Vie chrétienne Nouvelle revue
C h e r c h e u r s
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P r é s e n t s
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M o n d e
BIMESTRIEL DE LA COMMUNAUTÉ VIE CHRÉTIENNE ET DE SES AMIS – Nº 36 – JUILLET/AOÛT 2015
Contempler aujourd’hui L’Europe et les migrants Face au grand âge
Éditorial
Directeur de la publication : Jean Fumex Responsable de la rédaction : Marie-Élise Courmont Rédactrice en chef adjointe : Marie-Gaëlle Guillet Comité de rédaction : Marie-Élise Courmont Jean-Luc Fabre s.j. Marie-Gaëlle Guillet Marie-Thérèse Michel Anne Missoffe Laetitia Pichon Comité d'orientation : Marie-Agnès Bourdeau Nadine Croizier Marie-Claude Germain Anne Lemant Claire Maillard Étienne Taburet Fabrication : SER – 14, rue d’Assas – 75006 Paris www.ser-sa.com Photo de couverture : Pinkypills / iStock Impression : Corlet Imprimeur, Condé-sur-Noireau
ISSN : 2104-550X 47, rue de la Roquette – 75011 Paris Les noms et adresses de nos destinataires sont communiqués à nos services internes et aux organismes liés contractuellement à la CVX sauf opposition. Les informations pourront faire l’objet d’un droit d’accès ou de rectification dans le cadre légal.
éditorial
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l’air du temps Rencontrer des migrants Michael Schöpf s.j. chercher et trouver dieu
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Contempler aujourd’hui Témoignages Se laisser surprendre pour contempler Paul Valadier s.j. Regarder ou contempler ? Geneviève Delhomme La contemplation : une manière de se situer Jean-Luc Fabre s.j. babillard : des livres pour l’été se former La prière du Christ François Partoës s.j. Face au grand âge Michel Rondet s.j. La violence dans la Bible Trublet s.j. L’experiment Denis Delobre s.j. Le premier tour en réunion Marie-José Bugugnani ensemble faire communauté Nouveautés aux Éditions Vie Chrétienne Des rencontres à vivre Compagnonnage CVX et CCFD Demandeurs d'asile et décision de justice Rencontres mexicaines Congrégations mariales et CVX à Madagascar Quand le Pape parle à la CVX billet Théologienne à la tache Philippe Robert s.j. prier dans l'instant Sur la route Catherine Raphalen
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matière à exercices
Tout apprentissage demande de s’exercer et cela semble tout à fait naturel quand il s’agit d’un sport ou d’un art. Saint Ignace l’applique à la vie spirituelle ; le titre de son livret « Exercices Spirituels pour se vaincre soi-même et ordonner sa vie… », ainsi que la première annotation l’indiquent clairement. Aussi l’exercice est-il au cœur de la pédagogie ignatienne ; sa pratique peut revêtir bien des manières. L’expériment dont il est question (p. 27-29) entre dans cette dynamique. Pas étonnant que les Éditions Vie Chrétienne aient créé un nouveau label : « Matière à exercices » pour ses livres (p. 32) ! La Revue aussi voudrait inviter à entrer dans une expérience. L’éclairage biblique propose des points pour prier (p. 15), le dossier est toujours suivi de pistes pour aller plus loin personnellement ou en groupe ; les rubriques ‘École de prière’ ou ‘Lire la Bible’ donnent matière pour des exercices.
Dans ce numéro d’été, tout particulièrement, vous trouverez des livres à lire (p. 19), une invitation à prier (p. 21), des questions pour une relecture (p. 38). Et des exercices en lien avec le dossier : tous nous sommes invités à « Contempler aujourd’hui ». S'exercer, non pas dans un souci de performance, mais pour répondre de manière plus ajustée à l’appel du Christ. Et comme tout exercice se relit, n’hésitons pas à partager les fruits de notre pratique ! Marie-Élise Courmont
redaction@editionsviechretienne.com
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La revue n’est pas vendue, elle est envoyée aux membres de la Communauté de Vie Chrétienne et plus largement à ses « amis ».
CHACUN PEUT DEVENIR AMI OU PARRAINER QUELQU’UN. Il suffit pour un an de verser un don minimum de : l 25 € l 35 € si je suis hors de France Métropolitaine l Autre (50 €, 75 €, 100 €…) n Par virement : RIB 30066 10061 00020045801 60 IBAN FR76 3006 6100 6100 0200 4580 160 – BIC CMCIFRPP n Par versement en ligne sur viechretienne.fr/devenirami n Par chèque bancaire ou postal à l’ordre de Vie Chrétienne À envoyer à SER – VIE CHRÉTIENNE – 14, rue d’assas – 75006 Paris – amis@viechretienne.fr
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Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 36
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NOUVELLE REVUE VIE CHRÉTIENNE
le dossier
Sommaire
Partagez votre goût de la spiritualité ignatienne : offrez un numéro de la Revue à des amis. Retrouvez-nous sur le stand des Éditions Vie Chrétienne au Congrès.
juillet/août 2015
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L'air du temps
Pour s’informer : - le Service jésuite des réfugiés http://www. jrsfrance.org/ - l’atelier Étranger de CVX : maguy.pellerin @free.fr
Les tragédies qui se répètent en Méditerranée nous interpellent directement. Qu’est-il possible de faire en tant qu’Union Européenne, État ou individu ? Entre générosité et frilosité nous balançons. Michael Schöpf s.j., longtemps directeur du Service jésuite des réfugiés (J.R.S.) nous invite à ne pas avoir peur de la rencontre avec les migrants afin de nous forger notre propre conviction politique, loin des fantasmes.
L Michael Schöpf s.j. travaille à l‘Institut d’Études sociales et du Développement auprès de la Faculté de philosophie des jésuites à Munich, Allemagne. Formé en philosophie et sociologie de développement, il a une longue expérience dans le Service jésuite des réfugiés dont il était directeur pour l’Europe entre 2008 et 2014.
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Les images qui nous parviennent de la Méditerranée témoignent d’un temps de mort et de violence dans lequel nous sommes entrés. Cette mort n’est pas symbolique ou psychologique. Elle est réelle et physique. Nous avons d’abord été choqués par ces petits bateaux chavirés devant les côtes italiennes ; ensuite par les nombreux corps rejetés par la mer presque chaque jour ; et maintenant par la brutalité des passeurs qui embarquent les demandeurs d’asile dans des Zodiac qui ne pourront jamais arriver à destination. Nos pays sont entrés dans cette spirale de la violence au moins deux fois. Pendant presque un an ils ont refusé de sauver les vies des naufragés, en mettant en place un contrôle des frontières qui ne comprenait aucun mandat humanitaire pour la recherche active des personnes en danger. Et aujourd’hui les politiques européens proposent comme solution de couler les embarcations au plus près des eaux libyennes. Les demandeurs d’asile ne pourraient alors plus quitter l’Afrique pour s’adresser à nous.
© Handout / Reuterss
RENCONTRER DES MIGRANTS
▲ La stratégie de l’Europe actuellement est de rendre invisibles les réfugiés et leur demande.
Po u r t a nt , d ’ a u t re s moye ns existent bel et bien dans nos c ad re s l é g a u x . C e s o nt de s moyens raisonnables dans le sens propre du mot. Plus de 90% des demandeurs d’asile syriens obtiennent un titre de protection une fois arrivés en Europe. Pourquoi leur imposer ce voyage en Zodiac comme unique solution de survie, au lieu d’accepter une demande de visa destinée au même but : constater si oui ou non ils ont droit à l’asile en Europe ? Cette solution mettrait hors-jeu le business plan des passeurs, par la même occasion.
peur de perdre le contrôle D’autres solutions existent, pour d’autres groupes de réfugiés potentiels : la réinstallation dans un pays européen pour ceux qui ne sont toujours pas en sécurité dans leur pays de premier accueil ; la réunification des familles qui facilite souvent l’intégration ; et un accueil temporaire dans nos pays, si un exode en grand nombre est provoqué par des violences, comme c’était le cas en ex-Yougoslavie.
Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 36
Malheureusement, cette réflexion raisonnable nous fait peur. Ou faudrait-il mieux dire que malgré le choc causé par le grand nombre de morts, persiste notre peur face à ceux qui s’adressent à nous pour sauver leurs vies ? Nous craignons profondément de perdre le contrôle que nous exerçons sur nos vies et sur les leurs, et refusons ainsi des solutions intelligentes et pratiques.
Quel remède ? Actuellement, notre stratégie tente de renforcer les contrôles et de rendre invisibles les réfugiés et leurs demandes. Si nous détruisons leurs Zodiac déjà en Lybie, on ne les verra plus mourir - et une fois loin de nous, ils ne pourront plus s’adresser à nous. Nos politiques d’asile ont déjà fait naître bien des lieux qui garantissent d’une manière comparable une certaine invisibilité des réfugiés et permettent d’éloigner leurs supplications. Les centres de rétention en témoignent, autant que la pauvreté des demandeurs d’asile qui vivent comme SDF dans nos rues.
Une de mes collègues a rencontré dans un centre de rétention un homme, père de famille, tout juste rescapé d’un naufrage en Méditerranée. Il lui a parlé de sa famille, sa femme et ses enfants, dont il ne savait plus rien. Étaientils sains et saufs en Italie ? ou bien à Malte ? ou bien noyés ? Il ne pouvait plus supporter cette incertitude et la terrible possibilité de leur mort. En pleurant il disait : « Je ne peux pas dire que nous n’étions pas au courant. Nous connaissions le risque. En voulant sauver ma famille d’une mort certaine dans la guerre, je l’ai tuée ! » Ma collègue, mère de famille elle-même, était émue aux larmes, elle aussi. Elle réalisait alors cela : c’est nous-mêmes qui avions fortement contribué à la mort de cette famille, parce que nous n’avions pas été prêts à recevoir leur supplication autrement. Le remède est la rencontre - pour nous autant que pour eux. Il est possible d’accueillir, de s’ouvrir à une rencontre, sans que le résultat doive être défini d’avance, sur le plan personnel et
sur le plan politique. La volonté d’accueillir inclut la possibilité de me laisser moi-même transformer par cet échange, d’une manière que je ne prévoyais pas. En France, le Service jésuite des réfugiés a demandé à des citoyens d’héberger temporairement dans leurs appartements des demandeurs d’asile qui vivaient dans la rue, au début de leur procédure. L’expérience a été très positive pour les hôtes. Beaucoup d’entre eux disaient qu’ils ne savaient pas dans quelle mesure ils seraient capables de réussir à offrir cette hospitalité. Cette expérience n’a pas seulement changé les relations entre les hôtes et les personnes accueillies, qui se sont tous découverts comme des êtres humains égaux, avec des peurs et des espoirs comparables. Cette expérience a aussi profondément formé leurs revendications politiques qu’ils ont développées par la suite. La solidarité sur un plan politique naît d’une expérience qui nous a permis de nous rendre compte que personne d’entre nous n’est destiné à la mort. Elle porte le visage de ceux que nous
avons rencontrés : dans nos appartements, dans un projet de notre commune ou ailleurs. Le pape François ne fait pas autre chose : il fait primer la pastorale sur la doctrine, parce qu’il voit comment la rencontre sans a-priori avec ceux qui souffrent nous permet de comprendre la vie que Dieu a imaginée pour nous. Une culture de la mort n’a plus sa place sous cet horizon. Je crains que les incitations morales et les obligations imposées seules n’aient qu’une faible chance de nous changer profondément et de nous permettre de surmonter notre peur. C’est la pratique de la rencontre qui nous ouvrira à des solutions plus justes sur un plan personnel, local et international. Il s’agit d’une vertu qui nous fait apprendre par la pratique. Je vous invite à aller vers ces rencontres avec les réfugiés, pour former votre opinion sur la politique migratoire dont nous aurions besoin.
Manifeste... "nous ne serons pas complices par notre silence" Un manifeste signé par la CVX Europe et le réseau européen migration de la cvx. A lire sur cvxfrance.com Avec les demandeurs d'asile Des camps de 3 semaines en Sicile sont proposés par la CVX aux jeunes adultes et autres à partir de juillet jusqu'en décembre 2015. Plus d'informations sur cvxfrance.com Inscriptions : migrantsnet workcvx.e@ gmail.com
Michael Schöpf s.j. juillet/août 2015
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Chercher et trouver Dieu
contempler aujourd’hui « Chercher et trouver Dieu en toute chose »... une spiritualité qui propose un tel programme doit être experte en contemplation ! Peut-être mais rien n’est dit ni fait, tant sont variés les formes, les lieux, les moments de nos contemplations (p. 11). Chacun, quels que soient son travail, son quotidien, peut faire de sa vie une contemplation. En témoignent les récits de ce dossier. Une condition cependant. S’arrêter. Point de contemplation dans le rush. C’est à la pause que le regard se pose. Comme celui d’Abraham sur le cadeau que lui fait Dieu (p. 14). Une terre promise, pleine de surprises. A découvrir, à accueillir… en un mot, à contempler (p. 12). Laetitia Forgeot d’Arc
© 1stGallery / istock
TÉMOIGNAGES Le regard du soignant. . . . . . . . . . . . . . . . . . 8 Regard d’espérance sur une classe. . . . . . . 9 L’œil de l’artiste. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 Dans la rue, dans le métro, par SMS, par le souvenir. . . . . . . . . . . . . . . 11 CONTRECHAMP Se laisser surprendre pour contempler. . . . 12
ÉCLAIRAGE BIBLIQUE Regarder ou contempler ? . . . . . . . . . . . . . 14 REPÈRES IGNATIENS
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La contemplation : une manière de se situer . . . . . . . . . . . . . . 16 POUR ALLER PLUS LOIN . . . . . . . . . . . 18 juillet/août 2015
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Chercher et trouver Dieu
Témoignages
regard d’espérance sur une classe
Pas si facile pour un médecin urgentiste de prendre le temps de contempler, même si ce regard sur l’Homme fut à l’origine de cette vocation de soignant pour Emmanuel.
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Au travers de mon métier de soignant, la « matière » même du travail est l’Homme, la créature appelée à être « à la ressemblance de Dieu ». Pas de plus beau sujet de contemplation donc ! Quand une personne se confie à nous, précision et efficacité sont une nécessité absolue. Au cœur de cette pratique vigilante, ce sont les regards parfois échangés 1, les sourires partagés, qui suscitent une joie profonde. Audelà du contentement du travail bien fait, le sentiment qu’aujourd’hui, oui, j’étais là où je devais être. C’est bon, d’autant plus
Mais peu à peu, est venu le sentiment grandissant d’avoir perdu cette joie, de passer à côté des hommes « à la ressemblance de Dieu ». Catastrophe !!! Mais non ; plutôt une invitation à chercher différemment, à prendre une voie un peu différente, contempler autrement. Mon chemin de reconversion s’est orienté vers l’homéopathie et le traitement des patients douloureux chroniques. Après
© Thomas Northcut / Digital vision
1. Soutenir le regard, Dr Jean-Marie Gomas : Revue Agora n°39, 1997 : « Pourtant aurions-nous oublié qu’un seul regard d’amour peut signifier que l’on aime ?… Pourquoi oublier combien notre regard est la preuve tangible que nous sommes là, présents, y compris dans notre fragilité, prêts à partager la vie, si menacée et si difficile soit-elle ?… »
que ces instants s’inscrivent au milieu de rencontres plus éprouvantes. Tandis que la médecine elle-même paraît se « tayloriser »
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Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 36
17 ans de médecine d’urgence, je découvre une pratique moins technique qui me permet davantage la relation. Différemment je découvre la souffrance vécue au quotidien par les patients. Ils me donnent à voir la force de vie, la vitalité qui se logent en chacun de nous. Des femmes et des hommes qui, lorsque je me donne la possibilité d’être pleinement présent, me permettent de contempler un peu de ce Dieu au cœur de chacun de nous. Alors contempler quand on est soignant, qu’est-ce donc ? - C’est peut-être un point de départ que j’avais moi-même oublié, l’utopie initiale qui m’avait conduit vers les études de médecine. Utopie qui, si on lui laisse de l’espace et des rencontres vraies, ne demande qu’à ressurgir. - Certainement un objectif pour la suite : favoriser les conditions pour qu’advienne l’énergie de vie rencontrée et partagée. - Et si contempler c’était d’abord être présent à moi-même, aux autres et à Celui qui m’aime depuis le début ? Emmanuel
Face à une classe de collégiens, divers dans leurs attentes, leurs joies et leurs motivations, un enseignant peut être présent par le regard porté sur chacun, ou vivre une sorte de « dialogue contemplatif » lorsque les regards se multiplient en conseil de classe.
I
Ils sont là présents, dans leur diversité, avec ce qui fait leur vie d’aujourd’hui, leurs questions et leurs soucis d’enfants, d’adolescents, de jeunes adultes le temps d’une petite heure de cours. Ils sont là et l’heure de classe devient ce lieu d’événement. Ils sont là un peu par obligation aussi, il faut le dire… Certains intéressés par la matière et les questions au programme, d’autres beaucoup moins. Ils sont là et ils m’invitent à être moi aussi pleinement présente, à vivre ce temps présent de la rencontre, à accueillir l’imprévu, à oser une relation de confiance. J’essaye de porter sur eux un regard bienveillant, un regard qui « en-visage », un regard d’espérance. J’ai aussi surtout beaucoup de chance d’être témoin au quotidien des progrès des uns, de l’entraide, des coups de main, de la fraîcheur et de la joie de vivre des élèves de sixième, de leurs visages rayonnants, voire de leurs fous rires… toujours partants. Un compagnon me rappelait récemment combien les enfants sont bien plus perméables à la joie que les adultes. Oui, j’ai cette chance en côtoyant des jeunes de pouvoir me laisser bousculer par leur joie de vivre.
© Fuse
le regard du soignant
Je n’oublie cependant pas ceux qui expriment leur souffrance par les larmes et les cris. Je porte tout cela dans la prière. Je rends grâce et je me réjouis de leur joie : « Dieu vit que cela était bon ». J’invite aussi souvent les élèves à chercher et à regarder ce qui est bien, beau et bon au collège, au lycée et dans le monde où nous vivons. Sans le nommer explicitement, je cherche avec eux à cueillir les "clins Dieu" du quotidien. Parfois ce sont aussi mes collègues qui m’invitent à changer mon regard, à faire tomber les étiquettes rapidement posées sur les élèves. En conseil de classe,
une collègue nous présente le beau travail réalisé par une élève en difficulté lors d’un exposé. Quand ensemble nous osons partager ces trésors du quotidien de la classe, nos regards s’ouvrent et changent. Ces cadeaux reçus sont autant d’invitations à espérer. Hélène A lire aussi Autre témoignage d'un professeur qui passe de la contemplation à l’agacement face aux élèves s’il oublie d’être le portier de son cœur sur : editionsviechretienne.com juillet/août 2015
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Chercher et trouver Dieu
Témoignages
dans la rue, dans le métro, par SMS, par le souvenir…
La contemplation de l’artiste est sans doute à part : regarder pour créer, mais sans capter, sans vouloir posséder, se laisser transformer par le regard pour un nouveau fruit.
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Avant de peindre je commence par contempler longuement la nature, si magnifique dans ses moindres détails.
© Dominique P.
En chemin j’ai découvert que j’ai à choisir la manière dont je re-
garde. Contempler pour recevoir la vie, non pour la prendre. Si je regarde en me demandant comment je vais pouvoir produire une « œuvre », c’est un peu comme si j’essayais de mettre la main dessus. Cela produit inévitablement découragement et insatisfaction, puisque la chose est impossible et le regard faussé. Le manque d’ajustement est parfois subtil. Je peux me situer de façon juste au début, paisible, ouverte, et en cours de route me faire rattraper par le souci d’être reconnue, et l’inquiétude de ne pas y parvenir. J’ai à chaque fois à refaire le choix d’une attitude réceptive, à en demander la grâce. Grâce de laisser venir à moi ce qui va me parler aujourd’hui, à travers mon filtre personnel. Grâce que naisse le désir d’une expression particulière, sur laquelle je vais pouvoir travailler. La clé pour moi de ce regard libre, tranquille, c’est la confiance qui me sera donnée d’exprimer quelque chose de ce qui me traverse, que je n’ai pas à m’en soucier. Je sais par expé-
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rience que ce sera au bout d’un long processus de recherche, mais qu’un fruit va éclore. Un fruit limité, imparfait, mais vivant. J’ai à écouter aussi ce que la technique me donne en cours de travail, à travers la résistance de la matière. Résistance du papier, de l’encre, de ma main, du souffle. Éprouver la matière pour qu’elle entre en vibration, qu’elle porte une parole. Le désir qui m’a mise en route m’invite à persévérer jusqu’à trouver une certaine justesse. Ce qui n’exclut pas le découragement, voire la souffrance, en cours de route. Il m’a été suggéré un point de progrès possible : quand le pinceau est trop rétif à exprimer quelque chose de vivant, il me faut revenir à la contemplation, au désir initial, et peindre en imagination sans la contrainte de la matière, pour la retrouver plus librement ensuite. Cela favorise le passage du souffle vivant. Dominique
Quelques lieux de contemplation insolites, partagés en communauté locale ou notés en relisant sa journée. La contemplation peut se faire quotidienne, remuant en nous des parts surprenantes de notre mémoire.
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La voiture de mon RER de chaque jour est pour moi un lieu de forte humanité. Le soir, les visages que j’y contemple disent la fatigue et la densité de la journée : gravité de cette mère qu’une seconde journée de travail attend à la maison, lassitude de cet immigré qu’on devine avoir trimé à un job répétitif, joie contenue de ce jeune, impatient de retrouver ses « potes », patience de cette prof qui tente d’échapper au tumulte en se cachant dans un livre. Les petits gestes bienveillants que j’y surprends me parlent de l’Évangile. A cette évocation, lors d’une réunion CVX, une amie a acquiescé, avec cette phrase extraordinaire : « En arrivant dans mon wagon de métro, j’ai parfois l’impression d’entrer dans une église » ! Dans cette communauté, qui invite à « chercher Dieu en toute chose », j’ai pu témoigner d’autres lieux inhabituels de contemplation. Dans la rue, la vue de certaines personnes croisées furtivement me touche au point que leur présence peut résonner longtemps. Des sanslogis, des paumés, des amoureux
et ce duo qui remue en moi une fraternité parfois joyeuse, parfois douloureuse : une mère (ou un père) accompagnant son enfant handicapé. J’ai eu l’occasion d’écrire des SMS à des amis touchés par un deuil ou frappés par une grave maladie. Ou simplement pour leur dire que je pensais à eux. Ces messages ne s’écrivent pas au fil de la plume. Ils nous poussent à regarder des vies avec « les yeux de l’âme ». Différents des missives de papier, instantanés, ils poussent à une économie de mots, comme un haïku dédié à quelqu’un. Chaque terme y est pesé. Un ami, est-ce que ça se contemple ? A priori non, ou alors à distance (par la pensée ou par SMS !) Et pourtant, j’ai retrouvé, il y a quelque temps, mon ami François : 12 années communes d’école et lycée puis… 30 autres sans se voir. J’étais inquiet, j’avais tort. Nous ne nous sommes pas dit grand-chose, deux idiots, sourire béat à la bouche, le moment était plein, parfait. Des mois après, il m’illumine encore.
© Defun / iStock
l’œil de l’artiste
La mémoire est un lieu de contemplation infinie : nos bonnes actions, nos fautes, nos bonheurs. Mention spéciale pour mes promenades de jeune père, naguère, les mains minuscules de mes enfants dans les miennes, temps arrêté. Plus fier qu’Abraham contemplant sa descendance dans les étoiles Jean-François
Partagez, vous aussi, vos moments de contemplation au quotidien à redaction@viechretienne.fr. Nous les publierons sur le site des Éditions Vie chrétienne. juillet/août 2015 11
Chercher et trouver Dieu
Contrechamp
Cette « certaine façon d’accueillir le réel », de se laisser enseigner par lui, demande d’être intérieurement ouvert à la découverte. Et même nos sociétés sécularisées, productivistes, cherchant à éliminer tout imprévu, ne peuvent empêcher de nouvelles formes de contemplation, constate Paul Valadier s.j.
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I Paul Valadier, théologien et philosophe spécialiste de Friedrich Nietzsche et de philosophie politique. Il a été rédacteur en chef de la revue Études et a enseigné à l’Institut d’études politiques de Paris et à l’Université Catholique de Lyon.
« Il y a quelque chose de pire que d’avoir une âme même perverse, c’est d’avoir une âme habituée », disait Charles Péguy. Une âme habituée, en effet, a perdu toute sensibilité au nouveau, à l’original, à l’événement imprévu. Elle vit repliée sur elle-même, donc incapable de surprise. Et du coup voilà une âme incapable de contemplation. Car si la contemplation comprend bien des aspects et s’il est bien des manières de contempler, ou encore bien des réalités diverses à contempler, il n’y a pas de contemplation du tout pour quelqu’un qui est incapable d’être surpris. Se laisser surprendre par l’événement constitue la base et la condition de toute contemplation. Les philosophes enseignent que l’étonnement est le commencement de la vie de la pensée, et avec eux on pourrait dire que l’étonnement est le choc qui réveille, surprend, fait bouger, oblige à sortir de l’habitude. La
routine est l’ennemi mortel de la contemplation, donc aussi de l’admiration. S’habituer à l’autre c’est finalement perdre le sens de son mystère ou simplement de son originalité ; et l’on sait que dans l’amour entre homme et femme, mais aussi dans l’amitié, la menace insidieuse tient souvent moins à des mésententes sur le fond qu’à la routinisation, à l’habitude, à l’incapacité où l’on s’enfonce peu à peu d’attendre du neuf de l’autre. Il est par là même, en quelque sorte, anéanti. C’est pourquoi si la contemplation est bien fondamentalement religieuse, elle n’est pas que religieuse. Elle est une certaine façon d’accueillir le réel, de se laisser déconcerter par lui, et donc aussi de se laisser enseigner par lui. Sans cette attitude d’ouverture, jamais rien ne nous enseigne, parce que jamais rien ne nous étonne. Aussi dans la contemplation en va-t-il d’une relation tout à fait première avec la réalité du
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monde, attitude fondamentale qui peut conduire loin, et ainsi aboutir à la louange religieuse proprement dite. Sans doute faut-il commencer par admirer le visage d’un enfant, la beauté sans pareille d’une fleur, un soleil couchant, les couleurs de l’automne, pour que l’on sorte de soi, pour que l’âme se laisse dérouter, déplacer, donc devenir apte à accueillir ce qui déconcerte. Or admirer n’aboutit pas nécessairement à adopter une attitude naïve ou béate, c’est bien plutôt se laisser instruire par des beautés ou des étrangetés qui nous dépassent, mais qui en même temps élargissent notre regard, notre sensibilité, notre intelligence. Y aurait-il jamais eu une découverte scientifique sans l’étonnement devant des phénomènes étranges ou déroutants, aussi bien le mouvement des planètes que la circulation sanguine ? Donc sans une « âme » disponible à la nouveauté des choses les plus routinières et les plus banales.
Car la contemplation nous fait découvrir finalement que rien n’est banal dans la réalité, que tout peut devenir objet d’admiration, d’étonnement : le visage ridé d’un vieillard ou les gazouillis d’un bébé nous en disent peut-être plus sur la nature humaine que de longs et pesants traités d’anthropologie. Mais encore faut-il savoir regarder, être intérieurement disposé à la découverte, ce qui ne va nullement de soi. C’est dire aussi que la contemplation suppose un travail sur soi, sinon une ascèse. Car encore faut-il être désencombré de soi pour être disponible à l’événement, ne pas être entièrement tourmenté par ses problèmes propres ou absorbé par les tâches de la vie, pour pouvoir rester disponible à ce qui survient. On ne s’étonne guère alors que l’attitude contemplative soit si étrangère à beaucoup de nos contemporains, emportés qu’ils sont par les sollicitations immédiates (portable, smartphone, bavardages incessants, fond sonore radiophonique…) ou soucieux de tout prévoir, de tout programmer dans leur vie. Et il est vrai que nos sociétés sécuritaires se tourmentent à l’extrême contre tout surgissement de l’imprévu, alors que celui-ci s’impose à la surprise générale là où on ne l’attendait pas (terrorismes, calamités naturelles, crises financières, accidents d’avion…).
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se laisser surprendre pour contempler
être disponible à l’événement
ouverture à l’Inconnu C’est dire aussi que nous touchons ici à une réalité fondamentale : il est impossible d’écarter l’inconnu dans les événements ; il faut certes prévoir, c’est sagesse ; mais jamais on ne parviendra à tout maîtriser de ce qui arrive et arrivera. C’est aussi sagesse que de le reconnaître. Ainsi ne peut-on pas, quand bien même le chercherait-on, éliminer toute contemplation, même dans des sociétés productivistes comme les nôtres. Ce qu’on chasse d’un côté reviendra de l’autre, comme si l’être humain ne pouvait pas se dispenser de sa part spirituelle, gratuite, contemplative où il respire au-delà de ses besoins immédiats. Ainsi comment ne pas être frappé par l’attrait pour les arts, les expositions, les concerts, les musées où se pressent des foules attentives, souvent silencieuses, à la recherche de la beauté et de nourritures proprement spirituelles ? N’a-t-on pas là un critère assez sûr pour apprécier l’art
actuel : est-il divertissement et complaisance qui étourdissent, ou est-il surprise heureuse, ouverture à des regards ou à une écoute nouvelle du monde ? Nous déplorons souvent la sécularisation de nos sociétés. Mais sommes-nous aussi attentifs à tout ce que recèlent les formes nouvelles de contemplation en matière d’ouverture à l’inconnu, à l’Inconnu, à cette Réalité toujours surprenante, toujours neuve, éternellement neuve que les croyants appellent Dieu ? Et qui se fait pressentir à travers l’événement ? Sans doute bien des gens ne font plus l’expérience de Dieu à travers des pratiques liturgiques réglées, mais qui nous dit que de leur vie ont disparu ces moments de surprise qui les ouvrent au « Dieu inconnu » dont parlait Paul aux Athéniens ? Se laisser surprendre n’est-ce pas la condition de toute louange et donc de tout acte réellement religieux ? Paul Valadier s.j. juillet/août 2015 13
Chercher et trouver Dieu
Éclairage biblique
REGARDER OU CONTEMPLER ? possédait lui aussi du petit et du gros bétail, ainsi que des tentes. 06 Le pays n’assura pas les besoins de leur vie commune, car leurs biens étaient trop considérables pour qu’ils puissent vivre ensemble. 07 Une querelle éclata entre les bergers des troupeaux d’Abram et les bergers des troupeaux de Loth – Cananéens et Perizzites habitaient alors le pays – 08 et Abram dit à Loth : « Qu’il n’y ait pas de querelle entre moi et toi, mes bergers et les tiens : nous sommes frères. 09 Tout le pays n’est-il pas devant toi ? Sépare-toi donc de moi. Si tu prends le nord, j’irai au sud ; si c’est le sud, j’irai au nord. » 10 Loth leva les yeux et regarda tout le district du Jourdain : il était tout entier irrigué. Avant que le SEIGNEUR n’eût détruit Sodome et Gomorrhe, il était jusqu’à Çoar comme le jardin du SEIGNEUR, comme le pays d’Égypte. 11 Loth choisit pour lui tout le district du Jourdain et se déplaça vers l’Orient. Ils se séparèrent l’un de l’autre, 12 Abram habita dans le pays de Canaan et Loth dans les villes du district. Celui-ci vint camper jusqu’à Sodome 13 dont les gens étaient des scélérats qui péchaient gravement contre le SEIGNEUR. 14 Le SEIGNEUR dit à Abram après que Loth se fut séparé de lui : « Lève donc les yeux et, du lieu où tu es, regarde au nord, au sud, à l’est et à l’ouest. 15 Oui, tout le pays que tu vois, je te le donne ainsi qu’à ta descendance, pour toujours. 16 Je multiplierai ta descendance comme la poussière de la terre au point que, si l’on pouvait compter la poussière de la terre, on pourrait aussi compter ta descendance. 17 Lève-toi, parcours le pays en long et en large, car je te le donne. » 18 Abram vint avec ses tentes habiter aux chênes de Mamré qui sont à Hébron ; il y éleva un autel pour le SEIGNEUR.
Genèse 13, 5-18 Traduction TOB
14 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 36
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05 Loth, qui accompagnait Abram,
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Dieu a appelé Abram à tout quitter pour un pays inconnu promis à sa descendance (Genèse 12). Sur cette parole, Abram, déjà âgé, s’en est allé avec sa femme Saraï, son neveu Loth, ses serviteurs, ses esclaves et tous les biens qu’il possédait. A son arrivée en Canaan, Dieu a réitéré sa promesse et Abram lui a bâti un autel. Abram a alors parcouru tout le pays jusqu’en Égypte d’où il revient maintenant, toujours accompagné de Loth, avec des richesses accrues. Jusque-là, Loth a suivi docilement Abram dans ses pérégrinations. Cependant, un moment vient où la richesse de chacun devient un obstacle à l’entente familiale. Dans un pays où pâturages et points d’eau sont déjà occupés par d’autres populations, l’arrivée de deux gros troupeaux pose problème. Quand une querelle éclate entre les bergers d’Abram et ceux de Loth, Abram ne prend pas avantage de sa position d’aîné, il traite son neveu d’égal à égal, ne cherche pas à le retenir à ses côtés et le rend libre de son destin. Geste encore plus généreux, Abram s’efface devant Loth à qui il laisse le choix d’aller où il veut ; lui ira de l’autre côté. Face à la liberté qui lui est donnée, Loth doit choisir sa terre de résidence : il « lève les yeux et regarde ». Il pourrait lever les yeux vers le Seigneur pour lui demander son aide dans le discernement qu’il doit faire, il pourrait regarder autour de lui pour faire le tour des différentes possibilités, mais ce n’est pas ce qu’il fait. Il se laisse attirer par la vue d’un pays bien irrigué, un pays où l’on ne craint pas la famine, un pays semblable au jardin d’Eden. Pourtant, même au jardin d’Eden, les apparences peuvent être trompeuses (Genèse 3,6). Comme le dit Dieu à Samuel : « les hommes voient ce qui leur saute aux yeux » (1 Samuel 16,7). Loth se laisse fasciner par cette vision et ne tient pas compte de ce qu’il a entendu dire sur les villes de la plaine. En effet, ayant parcouru tout le pays, il connaît sûrement leur réputation. Il choisit cependant, sans réflexion, la terre qui l’attire. Ce choix se révèlera calamiteux. Loth est parti, c’était le dernier lien d’Abram avec sa parenté. Abram reste seul dans la montagne : il a fait ce qui semblait juste et porteur de paix. Aussi le Seigneur ne tarde-t-il pas à se manifester pour confirmer et compléter sa promesse : « Lève les yeux et
regarde ». C’est Dieu qui guide le regard d’Abram et il lui demande de regarder dans toutes les directions. Ce pays que Dieu avait promis de lui « faire voir » (Genèse 12,1), Abram doit le regarder dans toute son étendue. A la place du pays quitté et de la terre fertile à laquelle il vient de renoncer, Dieu lui donne, maintenant et pour toujours, le pays promis, à lui et plus seulement à sa descendance. Abram, toujours sans enfant et maintenant sans parenté, entend Dieu lui promettre que cette descendance sera incalculable. Abram a cru et il a vu le pays promis ; maintenant, il va devoir encore croire pour voir un jour la descendance à qui cette terre sera donnée. Dieu ne le laisse pas longtemps contempler le pays promis, il l’envoie aussitôt le parcourir. Il ne s’agit pas d’en rêver, mais de le connaître dans sa réalité, de l’habiter, de le recevoir comme un don. C’est ainsi qu’Abram s’établit près d’Hébron et bâtit un nouvel autel au Seigneur. Abram n’oublie pas qu’il reçoit sa vie de Dieu. Geneviève Delhomme CVX
Points pour prier + J’imagine un point haut d’où on découvre Canaan.
+ Je demande au Seigneur la grâce d’en-
tendre ses appels et de reconnaître ses dons. + Je regarde le comportement de Loth. + Je contemple Abram dans sa relation à Loth et au Seigneur. J’entends le Seigneur s’adresser à Abram. Qu’est-ce que ce récit me dit de ma manière de discerner ? De laisser l’autre faire ses propres choix ? Quand est-ce que je prends le temps de lever les yeux et de regarder où le Seigneur veut me mener ? J’écoute et j’accueille ce qui m’est donné. + Je termine en parlant au Seigneur, comme avec un ami, de ce qui m’habite maintenant. juillet/août 2015 15
Chercher et trouver Dieu
la contemplation : une manière de se situer La deuxième semaine des Exercices Spirituels de saint Ignace propose au retraitant de contempler le Christ tout au long de sa vie, depuis l’Incarnation jusqu’à l’Ascension. Prenant appui sur la première de ces contemplations, celle de l’Incarnation, Jean-Luc Fabre s.j. souligne l’enjeu d’une telle manière de faire : accueillir la réalité à contempler pour pouvoir répondre de manière ajustée à l’appel du Seigneur. Une façon aussi de se situer dans notre quotidien : ne pas analyser mais se laisser toucher et déplacer pour être pleinement dans la vie.
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Avec la deuxième semaine, Ignace introduit le retraitant à la démarche de contemplation. Celuici, à travers le colloque au Christ en Croix, a fait l’expérience d’une vraie parole qui peut s’échanger entre lui et son Seigneur, une parole qui ouvre un avenir vraiment neuf. Il a ainsi éprouvé le désir d’une nouvelle forme pour sa vie « qu’ai-je fait, qu’est-ce que je fais, qu’est-ce que je ferai pour le Christ ? » ainsi que sa capacité à la chercher. C’est à cet homme en plein devenir que s’adresse la contemplation de l’Incarnation. Il s’agit d’incarner un vrai changement. C’est un moment-clef, un nouveau commencement dans le cheminement du retraitant qui s’ouvre. Pour cela, quatre approches en cohérence et simultanées lui sont proposées. Un cadre très général commence à être posé : l’histoire de l’humanité avec en
son fond le projet intégral de Dieu, là où il pourra trouver sa propre place. Une manière de faire lui est proposée pour recevoir la nouveauté en sa vie : la contemplation. Un enjeu fondamental est mis en avant : aimer et suivre le Seigneur, imiter son style. Un modèle concret de contemplation, enfin, lui est donné : Notre-Dame. De bien saisir ces différents aspects peut donner de comprendre l’enjeu de toute contemplation pour chacun de nous, y compris celle de notre réalité quotidienne. Percevoir pleinement la situation, en laisser émerger les enjeux, pour pouvoir discerner le chemin de vie et ensuite agir résolument… Le cadre général : une histoire vraie nous est proposée, l’histoire de toute l’humanité, le mystère de Dieu qui veut notre salut, c’està-dire notre vie en plénitude. Il n’est question que de personnes
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et de relations entre elles, c’est la substance même de l’histoire, ce qui se passe entre les êtres. Les gens sont toutefois là posés, non à proprement reliés. Sur « l’'étendue ou la circonférence du monde entier, pleine d'hommes », une nouveauté s’y annonce « la deuxième Personne se ferait homme pour sauver le genre humain ». Une manière de faire : la contemplation. Il s’agit de laisser la réalité venir à soi et non pas d’aller vers elle pour la saisir, sinon la nouveauté ne peut se frayer un chemin, blessée qu’elle est par notre saisie. Alors comment nous ouvrir ? La première ouverture de soi, c’est la composition de lieu comme une fenêtre, un pas de porte où on va de l’un à l’autre : de l’histoire à contempler à mon être dans sa mémoire, sa capacité à produire des images, « voir la grande extension et circonférence du monde où se
trouvent des peuples si nombreux et si divers ; de même voir ensuite plus particulièrement la maison et les chambres de Notre-Dame, dans la ville de Nazareth, dans la province de Galilée ». Il y a ensuite le surgissement des personnes, d’abord dans leur densité, puis dans leurs dires et enfin dans leurs gestes. Les dires et les gestes sont là pour nous aider à éprouver la densité de la liberté de la personne qui crée le champ relationnel. Ainsi l’ange Gabriel : il se pose devant Marie, il va lui parler, il va lui faire sa révérence… mais sa parole et sa révérence ne font pas plus que d’expliciter sa présence… De la même manière pour Marie : ce qu’elle dira, ce qu’elle fera ne seront pas plus que l’expression de son être… D’où la multitude de représentations iconographiques qui, dans leur position figée, aident à la contemplation. Il est proposé de tirer profit de la contemplation pour notre propre manière d’exister. Un enjeu : aimer et suivre. Le réel poids de notre vie consiste à aimer, ce qui demande de savoir recevoir, rendre, pour demander et donner justement. C’est le Christ qui nous introduit dans cette manière en nous donnant de contempler sa vie depuis l’Incarnation jusqu’à son Ascension… Cet amour qui se reçoit, doit ensuite pouvoir se mettre en actes dans mon existence. C’est ainsi que se tisse dans l’histoire le grand corps de louange.
© Annonciation v1460, Joos van Cleve, Metropolitan Museum of Art New York
Repères ignatiens
Un modèle : Notre-Dame. Ce qu’Ignace nous propose est mis en œuvre devant nous par la Vierge. Marie sera, en fin de compte, celle qui nous conduira dans l’approfondissement de la contemplation avec notamment la première contemplation de l’apparition du Christ ressuscité à sa Mère bien-aimée en quatrième semaine. Elle est là pour réguler le chemin, montrer comment la parole reçue donne de rendre et alors de pouvoir demander et donner justement. « Qu’il me soit fait selon ta parole » dit-elle à l’ange. Elle se laisse toucher, déplacer par ce qui survient, elle accueille et laisse naître sa propre parole à partir de là. Elle ne faillira pas dans cette attitude tout au long de sa vie, même au moment de la Passion, acceptant d’être déplacée, conduite pour en tout « aimer et servir ». En conclusion, la contemplation cherche à initier une toute nou-
velle manière de se situer dans la vie, la seule manière d’accueillir la vraie nouveauté qui se propose. Elle est portée par une confiance en la bonté du Seigneur qui me donne d’accepter de ressentir et de laisser mon intelligence et ma volonté fonctionner à partir de ce qui se donne, de ce qui a du goût pour moi, pour nous, ainsi se guérit notre mémoire. Je n’analyse pas la situation a priori, je me laisse toucher, déplacer et en moi naît une parole de réponse, qui me donne de me situer autrement, d’entrer en alliance, de suivre… Cela se vit dans le deuxième tour de la réunion CVX, cela se vit dans une conversation spirituelle… Cela peut se vivre en toute situation de la vie quotidienne : la mère attendant son enfant, l’homme faisant face à une difficulté… Jean-Luc Fabre s.j. Assistant national CVX juillet/août 2015 17
Chercher et trouver Dieu
Babillard © B. Strobel
A lire cet été Matière à exercices
pour aller plus loin Des exercices personnels ou de groupe : • Je prends le temps de contempler mes proches : ma famille, mes collègues de travail, les amis rencontrés, les membres de mon groupe de partage… De quoi puis-je rendre grâces à leur sujet ? Qu’est-ce qui me surprend chez eux ? Qu’est-ce que cela suscite ; comment cela m’instruit ? • Je prends un temps d’oraison avec la contemplation de l’Incarnation (ES n° 101 à 109) puis je relis ma prière : qu’est-ce qui m’a touché ? Quel désir est monté en moi ? Quelle orientation pour ma vie ? •
« SON VISAGE ET LE TIEN »
Alexis Jenni
Éditions Albin Michel 2014 – 15 € Voici un hymne à nos cinq sens... Des sens, outils à notre portée, capa bles de saisir l’intensité de la présence , la plénitude de la vie qui a goût d’éternité. Une méditation à lire par tous ceux qui désirent « sentir et goûter les choses intérieurement » !
« GENÈSE DE TON ABSENCE »
Annie Wellens Éditions Salvator 2015 – 16 € 7 jours pour créer le monde, et pendant 7 jours aussi Annie Wellens a accompagné Serge, son mari, vers la mort. Et chaque jour des souvenirs sont remontés… Un hymne à l’amour qui donne visage d’Espérance à ce départ. On sort heureux de ces pages.
E n CL ou en groupe de partage, choisir un évènement ou une réalité de notre monde. Rassembler des données pour comprendre la situation et l’analyser. Puis ensemble discerner à la lumière de Jésus-Christ. Quels appels entendons-nous ? Quelles petites décisions pouvons-nous prendre ? (voir les fiches « Se laisser interroger par l’évènement » et « S’exercer à discerner les signes des temps » sur le site CVX france.com).
À lire : L’art de voir un film de Jean Collet, mars 2015, éd. Hermann – 19 euros. Comment contempler une œuvre de cinéma, ce « mensonge qui dit la vérité » (Jean Cocteau) ? Ancien critique à « Études », l’auteur s’appuie sur de nombreux exemples pour, de manière ignatienne, nous apprendre à laisser parler l’émotion des sens et de l’intelligence et chercher ce que le film rejoint en nous. « Une œuvre de qualité n’en finit jamais de se révéler, de produire du sens ». Se risquer en elle est alors un acte de foi récompensé.
« LE MYSTÈRE DE SAINT JOSEPH » Gilles de Christen Éditions de l’Œuvre 2012 L’auteur nous conduit à travers la Bible pour découvrir toute la profondeur de Saint Joseph, son rôle auprès de Jésus et dans la Sainte Famille. De nombreuses pistes de réflexion viennent nourrir son approche spirituelle du père de Jésus, qui reste si caché à nos yeux.
« UN CHRÉTIEN LIT LE CORAN »
Jacques Jomier Éditions du Cerf 2015 – 10 € À rebours des idées reçues et des préjugés hâtifs, le dominicain Jacques Jomier, grand spécialiste du Coran nous propose un ouvrage méthodique pour instaurer une compréhension mutuelle sans faire l’économie des différences fondamentales.
À voir : Printemps, été, automne, hiver…et printemps de Kim Ki-duk, 2004. À travers les changements de saisons se reflètent les relations entre un maître zen et son disciple, isolés dans un temple au milieu d’un lac. Ce film d’un Sudcoréen qui fut peintre avant de découvrir le cinéma en France est presque sans parole laissant une grande place pour les émotions du spectateur.
À vivre : Retraite dans la rue – Pour se mettre à l'écoute de l'Esprit au cœur de nos villes. Du 20 au 26 juillet. A Lille. Tél. : 03 88 84 60 03
Vous avez choisi de vivre tel ou tel exercice, partagez-en les fruits sur www.editionsviechretienne.com 18 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 36
« HISTOIRE D’IRÈNE »
Erri De Luca
Gallimard – 12,50 €
Trois récits de mer et de soleil, de nuit et de lumière ; trois personnages attachants, audacieux, don t Irène qui vit avec les dauphins. Et surtout, une écri ture poétique, puissante et profonde, qui traduit tous nos sens.
« L’AUTRE DIEU »
Marion Muller-Colard Labor et Fides – 14 € Sous-titré La Plainte, la Menace et la Grâce, ce court essai démonte avec bienveillance l’image de Dieu qui nous protège puisque nous croyons ! Par son expérience personnelle et sa lecture de Job, l’auteur souligne la pensée magique et révèle le mystère de Dieu caché, sa grâce.
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Se former
École de prière
Et si nous nous tournions vers Jésus pour Le regarder prier et nous laisser enseigner par Lui ? A la demande des disciples de leur apprendre à prier, Il leur a laissé quelques mots qui peuvent nous éclairer sur la relation au Père dans la prière et dans la vie.
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La grande différence entre la prière de Jésus et la nôtre, c'est qu'elle est merveilleusement libre. Ainsi, les trois premières demandes du Notre Père n’expriment que ce désir d’un Autre, son Nom, son Règne, sa Volonté ; et après, nos besoins peuvent s’exprimer car celui qui sait reconnaître le Père, peut se recevoir de Lui, il sait que tout ce dont il a besoin, le pain, la miséricorde, la libération de la misère et du Malin, lui est donné « par surcroît ».
Joie du Père : enfin il avait parmi les hommes un fils, qui le priait avec un cœur de fils et uniquement pour cette raison. Nous autres, nous prions toujours quelque peu pour nous « reprendre », « mettre Dieu dans notre vie », quand ce n’est pas par mécontentement de nousmêmes, quand ce n’est pas par devoir. On comprend avec cela qu’il y en ait tellement pour affirmer que la vraie prière c’est encore la vie !
regarder vivre le christ Et ils disent vrai. Il suffit de regarder vivre le Christ pour
voir combien ils ont raison. Il vit constamment pour son Père, pour les autres, attentif, infiniment proche et inébranlable ; tout lui parle du Père, et il exulte de reconnaître son action en ceux que le « Père lui donne ». Et pourtant il trouve du temps, il invente des moments pour « être avec son Père », dans la joie de cet entretien (Psaume 104, 34), dans le secret de son regard (Mathieu 6, 4), qui nous fait « exalter le Seigneur » (Luc 1, 46-48), dans sa présence qui nous « donne un cœur sûr envers Lui » (Psaume 78, 8), un cœur « qu’il rassemble » (Psaume 86, 11). « Tu es mon Fils ! » – « Abba, Père ! »
Prier en son Nom Nous nous demandions pourquoi prier. La prière du Christ est la réponse, totale ; la raison qui ne se laisse pas séparer de notre propre liberté de fils, car toute prière désormais se fait en son nom, ainsi qu’il le demande à ses disciples au soir de la Cène (Jean 16, 24). Cette liberté de tout dire, de tout demander à Dieu, et pour commencer de Lui demander l’impossible, c’est-àdire, comme le Fils, « d’être sau-
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vés de la mort » (Hébreux 5, 7), nous-mêmes et chacun de ceux que nous aimons, et tous nos frères sans exception, et cela avec la certitude filiale d’être exaucés (1 Jean 3, 21). Cette liberté de pleurer sur nos fautes et celles des autres, comme nous l’exerçons peu, avouons-le. Et cette autre liberté de rendre grâce à notre Père pour tout (à commencer tout de même par les joies), oui, d’oser nous réjouir de nos joies, de savoir les reconnaître au lieu de les ignorer, de les minimiser ; cette liberté de tout recevoir de la main de Dieu, de nous émerveiller de sa présence, de son travail en ce monde, de tant de choses, de confiance et d’affection, qui ne nous sont pas dûes à nous si pauvres pécheurs, cette liberté-là surtout, comme nous l'exerçons peu ! Vraiment comme nous prions peu en Son Nom !
double dimension Ainsi avec sa double dimension d’intercession et d’action de grâce, la prière est en JésusChrist la chose à la fois la plus nécessaire et la plus gratuite.
En Jésus-Christ également la prière et la vie sont devenues inséparables. Il convient en effet de prier tels que nous sommes, comme nous vivons. Et la prière n’a d’autre raison que d’être « en Son Nom » l’acte par lequel nous reconnaissons que notre existence, celle du monde entier, sont reçues de Dieu (action de grâce) ; par lequel aussi nous témoignons que notre vie est engagée dans le drame du monde, solidaire des autres ; et cela par le Christ, de la même manière que lui, devenu homme une fois pour toutes, pour ne plus jamais se retirer de notre existence humaine au cœur de laquelle il s’est porté et qu’il a menée à son terme (intercession). François Partoës s.j.
Tiré de Retrouver la prière Supplément dirigé par Édouard Pousset s.j. Vie chrétienne N° 127, mai 1970
© Jean-Georges Cornelius- Musées de Bourgogne
LA PRIÈRE DU CHRIST
On voit mieux maintenant pourquoi nous ne pouvions au début, en énoncer ce qui la fonde, la justifie.
Matière à exercices : Prier avec les mots du Notre Père Considérer ces mots : « Père », « notre ». Habiter ces mots, en pétrir la pâte, en voir l’inouï, ou l’espérance, ou le mystère, ou ce qu’il révèle de moi, de Dieu, de nous, des autres… Si ces deux mots sont riches de sens, ne pas se soucier d’aller plus loin, même s’ils occupent tout le temps de prière prévu. Sinon, passer au mot suivant. À la fin du temps fixé, se tourner vers le Père et lui exprimer en quelques mots, les miens cette fois, mon propre désir, la grâce ou les besoins qui me sont apparus importants. Je contemplerai le sens du ou des mots qui suivent celui où j’en étais resté. (d’après « Jalons pour prier » Betty Oudot p. 68)
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Se former
Expérience de Dieu…
…FACE AU GRAND ÂGE Une chute à 90 ans, et le Royaume devient l’avenir le plus proche. Comment vivre ce passage ? Comment se sentir appelé à la Vie lorsque tout diminue en soi ? Michel Rondet s.j, nous partage ce nouveau chemin qui s’offre à lui.
Michel Rondet, jésuite depuis 1942, a été maître des novices puis professeur de théologie à la Baume-lès-Aix. Il a donné des retraites au centre Saint-Hugues de Biviers pendant de nombreuses années.
J’avais 90 ans et, depuis quelques années déjà, je me préparais à ce que je souhaitais être mon dernier acte de foi, le plus radical, ma mort. J’avais écrit, parlé, sur ce thème mais je n’envisageais pas qu’auparavant ma vie puisse connaître un tel tournant. Mon existence a totalement changé et il faut que je l’accepte et que je me mette courageusement dans la perspective d’avoir à inventer une vie nouvelle.
Une rupture Le premier sentiment qui s’impose est donc celui d’une rupture : ce corps qui répondait habituellement à mes désirs, à mes appels ne répond plus, ou du moins très incomplètement. Je dois m’habituer à cette impuissance et à adapter mes gestes et mes initiatives à cette situation nouvelle. Cela prend du temps mais je ne dois pas laisser l’inaction aggraver mon état et pour cela je coopère au travail, parfois douloureux, des kinésithérapeutes.
On me reconnaissait habituellement un esprit clair capable de synthétiser et de bien exprimer ma pensée. J’ai heureusement gardé l’essentiel de cette capacité, mais là aussi il me faut reconnaître des changements : j’arrive moins bien à maîtriser ma pensée, il me faut du temps pour progresser dans la réflexion, ma mémoire me joue de plus en plus souvent des tours. Il me faut accepter de n’être plus ce que j’étais pour mes amis, de voir que, quand on parle de moi, on se réfère de plus en plus à mon passé.
Ma foi chahutée ! Par grâce, j’ai toujours eu une foi paisible. Le cadre chrétien qui soutenait ma vie m’a toujours accompagné depuis mon enfance. Le fait aussi d’avoir eu comme tâche essentielle d’aider des fidèles à approfondir leur foi a soutenu et fortifié la mienne. Aujourd’hui, je me retrouve face à une vie qui ne peut prendre sens que dans une référence forte et quotidienne à une foi vivante. Ce n’est pas évident alors que remontent en moi des questions que j’avais ignorées ou laissées de côté. Si tout
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cela n’était qu’une illusion, si j’avais bâti mon existence sur le sable ? Ces questions créent une sorte de vide inconfortable qui contraste avec les certitudes avec lesquelles j’avais vécu. Heureusement, la foi m’est toujours apparue comme un dialogue. Je reste persuadé que Dieu m’a appelé personnellement et que j’ai essayé de lui répondre. Au cœur de ce dialogue, la fidélité de Dieu m’a précédé et accompagné tout au long de ma vie. C’est sur cette fidélité que je compte aujourd’hui encore et, s’il est une grâce sur laquelle j’ai pu m’appuyer, c’est bien le sentiment que je me devais de répondre généreusement à ce don de Dieu. Manquer à la parole donnée serait me détruire et je ne peux l’envisager face au don de Dieu. C’est cela qui me maintient debout dans la foi avec mes doutes et mes fragilités.
Une vie nouvelle C’est donc bien à une vie nouvelle que je me sens appelé : une nouvelle naissance, comme celle à laquelle Jésus a appelé Nicodème. Renaître d’en haut, renaître dans l’Esprit, ou comme le dit saint Paul, vivre en res-
Retrouver la version longue du texte de Michel Rondet s.j. sur editionsvie chretienne.fr © Ocskaymark / iStock
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Le 7 novembre 2013 ma vie a basculé. Une malencontreuse chute dans un escalier m’a laissé infirme, paralysé du côté gauche et condamné à une hospitalisation permanente.
▲ Le temps est enfin proche de notre union définitive au Corps du Christ et ceci doit nous emplir de joie.
suscité avec le Christ. C’est paradoxal à un moment où tout en moi tend à la diminution et pourtant ma vie ne prend sens qu’en fonction du Royaume qui vient et de son avenir. Loin de revenir avec nostalgie ou regrets vers le passé, c’est vers l’avenir qu’il faut me tourner chaque matin. Un avenir aux couleurs du Royaume à vivre dans la foi et l’espérance. Cela ne s’improvise pas, il me faut chaque jour nourrir et fortifier cette foi. D’abord me donner un cadre de vie personnel. Les soins et les activités communautaires occupent déjà une partie de mon temps, le reste peut être envahi par des futilités et l’insignifiance si je ne
prévois pas dans la journée des temps de prière, de recueillement et d’étude. Tout ceci avec souplesse pour laisser du temps aux rencontres fraternelles et aux imprévus. Ici la prière avec mes frères m’est devenue absolument nécessaire. Pour reprendre chaque matin dans la foi ma vie quotidienne dans sa grisaille et sa monotonie, j’ai besoin de sentir autour de moi la présence de mes frères, éclopés comme moi, mais fidèles et vigilants dans la prière. Nous retrouver ainsi côte à côte dans la chapelle est pour moi un soutien indispensable. Ensemble nous sommes ce corps souffrant du Christ qui offre sa pauvreté.
Le Royaume a toujours été l’horizon de notre vie, mais sa proximité prend pour nous aujourd’hui un visage nouveau. Il est là comme notre avenir le plus proche et nous n’en avons pas d’autre. Cette pensée doit nous devenir familière. Même si nous avons mis du temps à l’accepter, il nous faut maintenant apprendre à l’aimer. Le temps est enfin proche de notre union définitive au Corps du Christ et ceci doit nous emplir de joie.
Parmi les livres de Michel Rondet s.j. aux Éditions Vie Chrétienne.
Résister et oser l'espérance 10 e, 2014.
Finalement notre prière, quelle que soit sa forme, s’unifie autour de cette demande : "fais grandir en nous la foi". Michel Rondet s.j. juillet/août 2015 23
Se former
LA VIOLENCE DANS LA BIBLE (1ère partie) Religion et violence sont liées, la Bible n’y échappe pas. Avant d’en comprendre le sens, Jacques Trublet s.j. nous invite à parcourir les Écritures pour redécouvrir les différentes formes que la violence humaine ou divine peut prendre.
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Les événements récents nous apportent l’évidence que religion et violence sont liées. Des islamistes s’appuient sur le Coran pour commettre les pires atrocités. Hormis quelques cas isolés, la Bible n’est guère invoquée pour cautionner des exactions de cette envergure et pourtant on pourrait y puiser des justifications de la violence.
Jacques Trublet s.j., Professeur émérite d’Études Bibliques, Facultés jésuites de Paris
Les chrétiens sont longtemps restés étrangers à la violence présente dans la Bible en raison d’un manque réel de culture biblique ou d’une anesthésie liturgique qui, depuis Vatican II, censure les passages jugés trop peu évangéliques ; par exemple, on met entre parenthèses les imprécations du psautier. Nous voudrions dans ce premier article rafraîchir la mémoire du lecteur en le confrontant à la violence omniprésente dans la Bible. Un second article ébauchera quelques explications du phénomène. Commençons par quelques chiffres. L’Ancien Testament ne contient pas moins de 600 passages où l’on voit se détruire ou
s’exterminer des peuples, des rois et des individus. Pire encore, c’est souvent Dieu qui ordonne ces carnages ou ces exterminations, qui encourage à la guerre près de 100 fois, et près de 1 000 fois sa colère engendre la ruine et la vengeance. Une enquête de vocabulaire révèle que l’hébreu connaît plus de 100 mots qui connotent la violence. À ce décompte déjà impressionnant, il faudrait ajouter des passages des livres que nous ne possédons qu’en grec (Maccabées, Sagesse ou Judith). Quant au Nouveau Testament, entre le massacre des saints Innocents et la passion du Christ, auxquels on peut ajouter d’autres crimes ou scènes de violence, on doit constater que la violence est bien présente dans la Bible. Nous allons envisager d’abord la violence humaine avant d’aborder le thème plus délicat de la violence divine.
La violence humaine La Bible évoque à maintes reprises la violence commise ou subie par les hommes, en parti-
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culier celle que les Israélites déploient à l’encontre de leurs ennemis ou de leurs compatriotes. La violence au sein du peuple S’il fallait recenser tous les sévices commis contre des individus, la liste serait longue. Depuis le viol des femmes : Ammon force sa demi-sœur à coucher avec lui (2 Samuel 13) ou la concubine d’un lévite, violentée par tout un groupe et qui meurt sous les coups (Juges 20). Sans parler de David qui « vole » la femme de l’un des généraux et qui, pour étouffer l’affaire, le fait mourir au combat (2 Samuel 11). Les rois ou les gouvernants usent de leur pouvoir pour violenter le peuple : le règne de Salomon décrit comme idyllique (1 Rois 4,20) n’a pas contribué au bonheur des petites gens, corvéables à merci et écrasés d’impôts. C’est sans doute là qu’il faut chercher la raison de la sécession du nord (1 Rois 12,18). Manassé laissa une réputation de tyran : « Manassé répandit aussi le sang innocent en telle quantité qu’il en remplit tout Jérusalem, sans parler du péché qu’il fit commettre à Juda, en faisant ce qui est mal aux yeux
© Massacre des innocents - Nicolas Poussin (1628), Musée Condé, Chantilly / google project
Lire la Bible de YHWH ». (2 Rois 21,16). Michée n’a pas de mots assez forts pour qualifier les exactions des urbanistes qui traitent le peuple « comme viande en la marmite ». On trouverait chez Jérémie et Ézéchiel des réquisitoires aussi implacables. La violence à l’égard des nations Les Israélites n’ont sans doute rien à envier aux Assyriens dans la conduite de la guerre. Les vaincus sont razziés et mis à mort ou déportés. Tous les coups sont permis. Yaël séduit et assassine Sisera (Juges 4,17-21) à l’instar de Judith qui séduit et décapite Holopherne (Judith 13,2-10).
La violence divine Le Dieu de la Bible est violent ; c’est une évidence. Cela se manifeste à travers les sentiments qu’il éprouve ou les actions qu’il entreprend.
Sentiments divins : - La colère, mentionnée plus de 168 fois dans l’Ancien Testament ou son irritation. Certes, elle est souvent provoquée par les hommes, mais elle produit des effets dévastateurs sans proportion avec les fautes commises et fait périr des innocents lors des plaies d’Égypte par exemple ou de la peste qui tue 70 000 personnes en représailles au recensement d’Israël par David (2 Samuel 24). Dieu punit parfois la faute des pères sur les fils des fils jusqu’à la troisième et quatrième génération (Exode 34,7).
- La jalousie divine est moins soulignée puisqu’elle n’apparaît qu’une trentaine de fois, mais ce sentiment génère des morts et encore parmi eux des innocents.
Les actions destructrices de Dieu : - Contre l’humanité toute entière avec le déluge. On peut douter qu’il n’y ait eu que Noé et sa famille à être justes. C’est la création tout entière (hommes, bétails) qui disparaît de la surface de la terre. - Contre les nations païennes qui habitent le pays de Canaan : « Lorsque YHWH ton Dieu t’aura fait entrer dans le pays dont tu viens prendre possession, et qu’il aura chassé devant toi des nations nombreuses, le Hittite, le Guirgashite, l’Amorite, le Cananéen, le Perizzite, le Hivvite et le Jébusite, sept nations plus nombreuses et plus puissantes que toi, lorsque YHWH ton Dieu te les aura livrées et que tu les auras
battues, tu les voueras totalement à l’interdit. Tu ne concluras pas d’alliance avec elles, tu ne leur feras pas grâce. » (Deutéronome 7,1-2) L’interdit ou l’anathème, c’est l’extermination des personnes ou des biens. Cette règle sera érigée en loi de la guerre et devra être appliquée dans toute sa rigueur. « Quand tu t’approcheras d’une ville pour la combattre, tu lui feras des propositions de paix. Si elle te répond : « Faisons la paix ! », et si elle t’ouvre ses portes, tout le peuple qui s’y trouve sera astreint à la corvée pour toi et te servira. Mais si elle ne fait pas la paix avec toi, et qu’elle engage le combat, tu l’assiégeras ; YHWH ton Dieu la livrera entre tes mains, et tu frapperas tous ses hommes au tranchant de l’épée. Tu garderas seulement comme butin les femmes, les enfants, le bétail et tout ce qu’il y a dans la ville,
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Se former
L’EXPERIMENT
- Contre son peuple, Dieu n’est pas moins tendre. Dieu est souvent en colère contre Israël. C’est sans doute Ezéchiel (5,12-17) qui porte les accents les plus terribles.
Nous avons évoqué plus haut la violence des oracles contre les nations : Amon, Moab, Edom, Assyrie, Babylonie, Égypte, Perse et Grèce si elles continuent à attaquer Israël. On les trouve chez Amos, Jérémie et Ézéchiel. Si l’on peut comprendre que Dieu châtie son peuple en vertu de l’alliance conclue avec lui, on ne voit pas sur quelle base, il peut s’en prendre aux peuples païens.
Nous retrouvons dans les traités assyriens des éléments très proches du Deutéronome. La même loi régit la conquête de Canaan par Josué (Josué 10,2040) ou les guerres maccabéennes. « Il laissa en Judée Joseph, fils de Zacharie, et Azarias, chef du peuple, avec le reste de l’armée pour assurer la garde. Il se tourna ensuite vers Aléma, l’attaqua, s’en empara, tua toute la population mâle, ramassa le butin et incendia la ville. » (1 Maccabées 5,18-35) 26 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 36
Comme on le voit, le tableau est plutôt sombre. Si nous cherchons à échapper aux images violentes que nous renvoie la télévision, ce n’est pas dans la Bible qu’il faut nous plonger. Elle évoque plutôt la permanence que non seulement l’homme a toujours été un loup pour l’homme et pire encore que le Dieu biblique semble non seulement cautionner cette violence, mais l’encourager. Comment interpréter une telle concentration de violence dans la Bible et surtout quelle explication lui trouver ? C’est ce que nous tenterons dans un prochain article.
Les novices jésuites ont dans leur formation des stages appelés « expériments » qui sont des expériences de vie engageantes. Denis Delobre s.j. revient sur cette pratique qui peut se vivre aussi dans d’autres formations, en soulignant les conditions d’une telle expérience et ce qu’elle permet.
L
L’expériment est un projet personnel qui permettra de vivre une expérience forte et formatrice. Cette expérience aidera le candidat (au noviciat jésuite par exemple) à mûrir et apportera une vraie valeur ajoutée à son projet de vie. Il s’appuie sur le désir de s’éprouver et de devenir capable d’un engagement. C’est une activité qui provoque la personne et contribue à la développer ; dans ces expériments, le candidat s’expose et se révèle. Le cadre, c’est un éloignement géographique et culturel, la mise en œuvre de supports personnels et une activité structurée. Le
Jacques Trublet s.j. (A suivre N° 37. Septembre 2015)
© Deluge – Leon Comerre, Musée des Beaux Arts de Nantes
© La mort de Sennacherib, miniature italienne (1300), Pauj Getty Museum, Los Angeles
toutes ses dépouilles ; tu te nourriras des dépouilles de tes ennemis, de ce que YHWH ton Dieu t’a donné. C’est ainsi que tu agiras à l’égard de toutes les villes qui sont très éloignées de toi, celles qui ne sont pas parmi les villes de ces nations-ci. Mais les villes de ces peuples-ci, que YHWH Dieu te donne comme patrimoine, sont les seules où tu ne laisseras subsister aucun être vivant. En effet, tu voueras totalement à l’interdit le Hittite, l’Amorite, le Cananéen, le Perizzite, le Hivvite et le Jébusite, comme YHWH ton Dieu te l’a ordonné. » (Deutéronome 20,10-17)
Spiritualité ignatienne
schéma est simple mais se révèle être une suite d’épreuves. La première consiste à vouloir vivre une expérience dans un lieu non choisi, à se laisser aider, interpeler, déplacer ; ensuite viendra l’épreuve du départ et de l’entrée dans un certain quotidien à vivre à un autre rythme ; dans ce nouvel univers, il faudra prendre des décisions. Et puis il y a la dernière épreuve, celle de revenir, d’accepter d’oublier, de retrouver son quotidien. L’activité formatrice et la mise à l’épreuve vont permettre d’enrichir l’expérience humaine sur tous les plans et de mieux se connaître.
L’expériment en effet développe la connaissance de soi ; il permet de prendre conscience de ses qualités, de les apprécier. Nous avons des qualités connues et ignorées (l’expériment va sans doute nous les révéler) « Je n’aurai jamais pensé pouvoir faire cela ! ». Garder pour soi une qualité est de l’égoïsme, je l’étouffe et l’empêche de s’épanouir et de ce fait elle risque de s’atrophier purement et simplement - « à celui qui a, on donnera et à celui qui n’a pas, on lui enlèvera même ce qu’il a ». L’expériment est une bonne expérience pour élargir nos limites souvent supposées. Nous sommes sans cesse en croissance, appelés à grandir. C’est un moyen de mieux se connaître et par là de remercier du DON reçu qu’est la Vie.
être en confiance
© jesuites.com
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Lire la Bible
▲ Un novice dans le camion-école de l'association ASET (Aide à la Scolarisation des Enfants Tsiganes et autres jeunes en difficulté)
Cette expérience, il importe de la vivre dans une confiance réciproque, si nous ne voulons pas qu’elle ne se déroule dans la tension. Le service de la personne suggère les conditions de cette confiance. La première condition est la vérité ; elle repose souvent sur l’information et la transparence. Dans « l’entreprise », l’une des expressions de la vérité est
Denis Delobre s.j. intervient comme formateur au CEPI (Centre d’études pédagogiques ignatien), qui propose des sessions de formation à la pédagogie ignatienne pour l’ensemble du personnel travaillant dans les établissements scolaires sous tutelle jésuite, dans les ICAM (Instituts catholiques d’arts et métiers) et l’École d’ingénieurs en agriculture de Purpan. Il est souvent proposé aux étudiants de vivre un expériment avant de rentrer dans la vie active.
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Se former
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Spiritualité ignatienne
La confiance pendant le temps de l’expériment permet tout d’abord l’acceptation puis la prise de risque. Elle libère les énergies souvent mobilisées en défense : « Ne suis-je pas manipulé ? Ne vais-je pas être abandonné ou rejeté ? » La défiance règne souvent, empêchant les libres synergies, l’audace, la créativité. La confiance donnée et respectée, à l’inverse, est source de joie, de paix, d’enthousiasme. La confiance génère la confiance.
Pour une croissance Cette confiance favorise la croissance. Croître c’est vivre. La vie surgit, la vie est là, sans que nous y soyons pour rien. Sans non plus
Relire l'expérience
© jesuites.com
la compétence et le professionnalisme. La deuxième condition est la sécurité. Elle est nécessaire à tous niveaux ; la sécurité dans la relation est particulièrement importante lorsque les défis relevés mettent en déséquilibre les personnes : la personne s’expose, elle doit avoir alors un soutien moral. La troisième condition est la mutation du sens du pouvoir : dans le service de la personne, le pouvoir, souvent domination, se mue en service qui est là pour faire grandir. Quatrième condition : la fidélité ; celle-ci repose sur une juste réciprocité, pour un temps et une action particulière. La confiance relève de l’alliance. Enfin la cinquième condition de la confiance est le respect : c’est dans la mesure où la personne se sent respectée qu’elle peut donner sa confiance.
▲ Un novice et une personne accueillie à Notre Dame des sans-abris
qu’il y ait à y chercher quelques justifications que ce soit. C’est cette gratuité de la vie qui s’impose à nous. C’est vraiment un don offert que nous avons à accueillir. Que sera le « résultat » de l’expériment ? Sera-t-il heureux ou sans bénéfice ? Nous l’ignorons, l’essentiel est de consentir à une réelle démaîtrise. La croissance nécessite une démaîtrise. Il me faut lâcher les sécurités, les appuis sur lesquels je comptais jusqu’alors pour oser et découvrir de l’inconnu sur moi. Le surgissement de la vie, sous quelque forme que ce soit, nous ramène toujours au réel. Cette présence au réel prend la couleur d’une confiance accordée à ce qui est plus que ce que nous imaginions ou désirions. Loin de s’enfermer dans ses capacités naturelles premières, la personne est invitée à la liberté pour dépasser les obstacles de son histoire personnelle. L’expériment est un moyen pour solliciter ce que la personne est profondément et
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ainsi être capable de prendre des responsabilités.
Rendre compte L’expériment ne peut pas se vivre sans un témoin. Un témoin qui autorise ; et autoriser c’est permettre que se passe quelque chose qui sans cela ne se ferait pas. Le grand mot qui fait que l’autorité est l’autorité, c’est qu’elle dit : « va » et que quiconque n’entend pas ce « va » ne part pas, reste prisonnier, reste enfermé, reste à tourner sur lui-même. Le dialogue dont tout homme a besoin, c’est justement celui avec un témoin autorisant. Un témoin c’est un compagnon de route. Le bon témoin marche avec et cherche à acquérir peu à peu la connaissance de l’autre, dans le respect de ses différences, respectueux de sa liberté, confiant et capable de susciter la confiance de soi. L’expériment ne peut produire des fruits qu’à ces conditions de dialogue et de témoin.
Encore faut-il ensuite relire l’expérience. C’est la re-lecture, c’està-dire la reprise permanente des expériences qu’on a déjà vécues pour en tirer profit. Seule une expérience relue, reprise, revue, est réellement formatrice. Ce qui nous menace le plus aujourd’hui, c’est l’infarctus de l’information et l’infarctus des expériences. Il y a trop de choses toujours nouvelles sans que cela soit repris, ré-intériorisé, reparlé, redit dans un langage personnel. L’évènement ne fait pas l’expérience. On vit en avant et on comprend en arrière ; il faut prendre le temps de revenir sur l’évènement. L’expérience est formatrice quand on peut se dire à soi-même et aux autres ce qu’on a vécu. Cette reprise incessante, cette intériorisation, permettent seules l’intégration à la personne
vient de paraître
des informations, des rencontres, des évènements qu’elle a vécus ou qu’elle a reçus. Ceci est très important pour le vécu d’un expériment. Prendre du temps pour se resituer dans le calme dans ce que la personne a vécu et les répercussions que cela peut avoir par rapport à l’orientation projetée, par rapport à la découverte de sa propre personne. Relire conduit à relier des évènements, des manières de faire, donc à donner sens – car nos vies sont très hachées, découpées, désarticulées. Faire mémoire pour se comprendre. Revoir va nous dévoiler le pourquoi de notre agir, le comment de l’action. Relire nous permet peu à peu de passer de l’écorce vue par tous, pour accéder au cœur, à la sève, à ce qui m’a conduit à agir. Relire permet de se connaître. Relire nous délivre de la subjec-
tivité pure et de l’immédiateté stérilisante. La relecture est aussi un moyen pour prendre des décisions. La démarche d’évaluation qui rejoint la relecture se fait selon trois directions : – qu’est-ce que j’ai fait ? – qu’est-ce que cela m’a fait ? – qu’est-ce que j’en fais ? L’expériment est à vivre car il oblige la personne à sortir de sa routine, à accepter de découvrir d’autres possibilités pour agir, donc à croître et à se situer en tant que personne dans un contexte nouveau. Il bouscule, ouvre la personnalité, en vue d’une décision précise. Rester passif c’est mourir. L’expériment oblige à avancer pour découvrir et décider.
Hors Série
Famille
Terre d’espérance Les évolutions de la famille soulèvent de nombreuses questions dont les enjeux humains nous mettent devant des choix parfois vertigineux. Ce hors-série veut éclairer la manière dont la famille tisse des liens durables. La famille est ouverture sur l’avenir et terreau privilégié de l’espérance. Pour le chrétien, la famille n’a pas sa fin en elle-même.
Denis Delobre s.j.
Ce numéro : 18 Pour le recevoir : envoyez vos nom, adresse et règlement à Christus, 14, rue d’Assas 75006 Paris Tél. : 01 44 39 48 04 En vente dans toutes les librairies et sur le site (paiement sécurisé)
Revue trimestrielle de spiritualité publiée par des jésuites
www.revue-christus.com juillet/août 2015 29
Se former
Question de communauté locale
LE PREMIER TOUR EN RÉUNION Il est heureux de pouvoir partager sur notre vie dans le premier tour de nos réunions. En général cela me semble facile. Mais je m’y prépare parce que je sais que l’échange au deuxième tour dépendra en partie de ce qui a été exprimé avant. Alors, quels points d’attention avoir pour ce premier tour, afin que la réunion porte du fruit ?
C
Chacun a reçu une feuille de préparation adaptée aux préoccupations de la communauté locale (CL), soit sur un thème particulier, soit pour une relecture de vie des dernières semaines. Aidé par ces questions, chacun fait une relecture dans la prière, en se remettant en mémoire les mouvements spirituels que les évènements ou les questions ont provoqués en lui, et ce qu’il en a fait. Dans tel ou tel évènement, dans telle personne rencontrée, où avons-nous perçu le Christ présent et à l’œuvre, ce que le Seigneur cherchait à nous faire comprendre dans notre manière d’être et d’agir, de façon à mettre en cohérence notre foi et notre vie quotidienne. Chacun se souvient de ce qu’il a ressenti ou ressent encore : joie, tristesse, trouble, paix, et de ce que cela a provoqué comme changement, approfondissement, croissance. À la suite de cette relecture, il écrit ce qu’il veut partager à ses compagnons au premier tour.
Pendant la réunion Le temps de prière qui débute la réunion nous rassemble sous la Parole de Dieu, nous met dans une attitude de disponibilité à l’écoute de l’Esprit qui est en chacun et en la CL. Au premier tour, chacun exprime la relecture qu’il a préparée. Il choisit ainsi de se mettre sous le regard de ses compagnons, pour qu’ils l’aident à approfondir, à clarifier, à discerner les appels de Dieu, à le soutenir dans ce qu’il vit, éventuellement à modifier quelque chose. Il y aura bien sûr une part de récit, pour situer le contexte. Mais l’essentiel à dire est ce qu’il en retient, les mouvements spirituels, les déplacements qui se sont produits, qui peuvent être des appels du Seigneur. Nous l’écoutons sans l’interrompre, en notant ce qui nous semble important, même non exprimé verbalement, le désir qui l’habite, les signes de consolation : joie,
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espérance, amour, désir d’aller plus loin, ou les signes de désolation : amertume, tristesse, trouble, découragement. Une écoute en bienveillance, sans jugement, est la condition pour que la parole de chacun soit libre et en vérité. C’est une véritable contemplation où chacun découvre un peu plus la vie de ses compagnons comme une histoire sainte. Nous avons tous le souci d’une parole suffisamment concise pour permettre au deuxième tour d’être au moins aussi long que le premier, car c’est là que la communauté se construit et grandit. Mais chacun écoute aussi ce que la parole de l’autre fait retentir en lui-même, ce qui le touche et comment cela le confirme ou le déplace. L’Esprit Saint est à l’œuvre en la personne qui parle et en ceux qui l’écoutent. C’est ainsi que chacun et la communauté tout ensemble grandissent dans sa relation au Seigneur et au monde qui l’entoure. Marie-José Bugugnani
© Vitrail de la chapelle des ursulines à Loretteville, Quebec
Avant la réunion
Ensemble faire Communauté
En France
Les Éditions Vie chrétienne, une des trois « œuvres » de la CVX, publient la Nouvelle Revue Vie Chrétienne, et depuis 2010, des livres. Pour enrichir vos lectures d’été, venez tester le nouveau label Matière à exercices, regroupant des ouvrages pour s’exercer concrètement au discernement et découvrez les nouvelles publications.
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La collection de livres des Éditions Vie Chrétienne, riche de plus d’une trentaine de titres récents et d’un fonds de près de 200 ouvrages, se décline en cinq familles : - École de prière, - Écouter la parole, - Récits et témoignages, - Vie spirituelle et discernement, - Missions dans le monde et Église.
ignatiens : la Bible, les Exercices spirituels, une histoire sainte d’aujourd’hui.
Depuis février 2015, deux titres portant le nouveau label Matière à exercices sont au service de ceux qui veulent non seulement réfléchir, mais aussi expérimenter pour davantage s'impliquer et progresser.
Les Exercices sont aussi à vivre dans la rue comme autant de puits de la rencontre : de la théorie par Christian Herwartz s.j. aux témoignages de CVX.
Ordonner son temps à la manière d’Ignace de Loyola, de Denis Delobre s.j. Les exercices proposés invitent à se mettre à l’écoute des conseils de saint Ignace, afin de découvrir notre propre façon de gérer notre temps, cette denrée rare, et d’apprendre à le recevoir. Va vers le pays que je te montrerai. Vivre dans la prière l’itinéraire d’Abraham, de Gérard Quatrefages s.j. et Françoise Laurent Le récit d’Abraham proposé comme un guide concret d’une démarche de prière et de discernement propre à poser un fondement solide pour une histoire spirituelle personnelle. Pour l’été, trois nouveaux livres vous sont proposés, illustrant les différents fondements spirituels 32 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 36
Pour que vous croyiez, le premier tome de la lecture par Pierre-Marie Hoog s.j. des récits de l’Évangile selon saint Jean, une vraie catéchèse de la foi. Nos villes, d’un cœur brûlant ; vivre les Exercices Spirituels dans la rue.
Oser la charité de Bernard Pommereuil CVX. Un témoignage de conversion où l’auteur livre ses réflexions sur le lien entre travail social et charité. Bonne lecture !
Tous les livres sont disponibles chez votre libraire et sur le site : editionsviechretienne.com
Rendez-vous au stand des Éditions lors du Congrès à Cergy ! Vous y trouverez ces titres et bien d'autres.
DES RENCONTRES À VIVRE Pour vivre des rencontres, quoi de mieux que d’être logés chez l’habitant ! C’est ce qui est proposé pour le prochain Congrès. Mais comment trouver des places en plein de cœur de l’été ? Des membres au service racontent.
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Les maisons s’ouvrent par les liens personnels
Une multitude de formes de rencontres
"Depuis novembre 2014, avec 80 personnes ‘’référentes’’, nous activons chacun nos nombreux réseaux pour toucher le plus largement. Une des caractéristiques de Cergy-Pontoise est d’héberger une vie associative très importante et de générer de nombreux liens entre les personnes dans cette agglomération comprenant 13 communes. Notre objectif est de loger près de 1 200 personnes chez l’habitant. Du contact téléphonique établi à partir d’une connaissance, d’un courriel ou d’une rencontre fortuite, c’est essentiellement par des liens personnels que les maisons s’ouvrent. Par le voisinage ou l’ami rencontré, chacun se trouve ainsi sollicité. Il en est de même pour les appels paroissiaux à travers le web et les feuilles de messe,dont les retours sont liés aux liens existants entre les personnes. Quelles que soient leurs convictions ou leurs origines, des personnes très diverses, à l’image de Cergy, vont ouvrir leur porte. Nous nous en réjouissons".
"Mon premier accueil a été d’accueillir l’appel qui m’a été fait de participer à l’équipe de préparation du Congrès. Lors du dernier Congrès, à Nevers, j’étais encore en équipe d’accueil. J’ai été accueillie par un couple au centre de Nevers. Ce moment de partage m’a beaucoup touchée. Cet accueil reçu n’est pas innocent dans mon intérêt de proposer à d’autres ce que j’avais vécu de fort. Il m’a aussi fallu trouver la « maison des familles », un lieu collectif pour les familles, proche du Hall SaintMartin où se tiendra le rassemblement. Ils vivront un temps de rencontres sous d’autres formes. Certains seront également logés dans des maisons vides, prêtées par des propriétaires partis en vacances. Ils deviendront alors « communauté de maison » et découvriront d’autres rencontres".
Betty et Alain Clouet, coordinateurs de l’hébergement chez l’habitant sur Cergy-Pontoise et les communes proches.
Nathalie Houdard, responsable logement dans l’équipe Congrès
Accueil des CVX étrangers Presque une centaine de CVX venant d’autres pays seront présents lors de ce Congrès. D’abord
© Peshkova / iStock
NOUVEAUTÉS AUX ÉDITIONS VIE CHRÉTIENNE
accueillis par les Communautés régionales qui prennent en charge une partie du voyage et l’hébergement des premiers jours, ils rejoindront le Congrès et seront logés dans des familles CVX proches de Cergy, afin de mieux découvrir points communs et différences dans cette unique Communauté mondiale. juillet/août 2015 33
Ensemble faire Communauté
En France
COMPAGNONNAGE CVX ET CCFD EN GARONNE-ARIÈGE
DEMANDEURS D'ASILE ET DÉCISION DE JUSTICE
Entrée dans la collégialité du CCFD-Terre solidaire en 2012, la CVX y rejoint les nombreux mouvements et services d’Église qui la constituent. Chaque Communauté régionale a appelé des personnes pour incarner ce lien localement. Voici quelques réflexions tirées de la relecture des correspondants de Garonne-Ariège.
Des juges, des accompagnateurs de demandeurs d’asile, des avocats ont décidé de réfléchir ensemble sur la place des institutions judiciaires face aux demandes d'étrangers. Cette surprenante rencontre a été possible lors du week-end organisé par l’atelier Justice de la CVX.
Retrouver sur le site : editionsvie chretienne. com une relecture plus détaillée de cette expérience régionale.
Pour le CCFD, accueillir ce nouveau membre, c’est faire place à la spiritualité dont la CVX est porteuse : « voir Dieu présent en toute chose ». Des convergences flagrantes appelées à grandir par un « compagnonnage institutionnel », comme nous avons commencé à le vivre.
inventer des collaborations Première décision simple prise par l’Équipe Service Communauté Régionale (ESCR) : informer les compagnons de la vie locale du CCFD. Concrètement par deux outils : - Une rubrique sur le site régional de CVX diffuse la lettre mensuelle du CCFD qui relaie des infos sur les formations, conférences,
rassemblements qui concernent justice et développement, dérèglement climatique et tensions sociales. - Un stand dédié au CCFD au cours des réunions régionales permet un échange et propose les publications du CCFD.
chrétienne pour répondre aux problèmes environnementaux ? ».
Du côté du CCFD, les réunions diocésaines sont l’occasion de donner la parole aux représentants des membres de la collégialité et d’ouvrir des pistes de collaboration. Grâce à ce lieu d’échange deux pistes se sont ouvertes.
Le regard porté sur ces expériences conduit à s’interroger : - Les équipes diocésaines (HauteGaronne) puis régionales (MidiPyrénées-Roussillon) du CCFD se sont montrées prêtes à recevoir de notre communauté ouverture et propositions, la réciproque paraît plus lente à mettre en place. - Les liens avec le CCFD pourront mieux s’épanouir dans de nouvelles formes de travail en commun : après l’équipe Jeunes, l’équipe Logistique, pourquoi pas une équipe CCFD ? Vers une forme de vie collégiale porteuse de plus de vie ?
Aux pistes écologiques, agricoles, économiques, sociales et démocratiques que creuse le CCFD en Midi-Pyrénées Roussillon, la CVX a suggéré d’ajouter la dimension spirituelle. Ainsi, une petite équipe s’est constituée, membres de CVX et de l’atelier Chrétiens Coresponsables de la Création (CCC) pour écrire une page centrale du guide régional d’animation qui fournit des outils de réflexion et d’animation aux équipes locales du CCFD. Cette page s’intitule : « Quelle éthique
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De plus la CVX animera une relecture d’année pour l’équipe diocésaine du CCFD.
Équipe et réciprocité
Nicole Bonneviale, correspondante CCFD diocèse de Toulouse et Xavier Laborde, ESCR Garonne-Ariège
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Un livre bouleversant a interpellé des membres de l’atelier Justice CVX par la force du discernement qu’il contient dans la prise d’une décision de justice. Il s’agit de celui de François Sureau, actuellement avocat, ancien magistrat, qui raconte une expérience très forte vécue à propos d’un débat judiciaire sur une demande de reconnaissance du statut de réfugié politique1. Et avec ce livre, l’atelier Justice de la CVX France s’est senti appelé à creuser l’accueil des réfugiés et des migrants, cette brûlante actualité, sous l’angle des pratiques professionnelles des acteurs de la justice.
pratiques professionnelles et migrants En partenariat avec le centre spirituel de La Baume-lès-Aix, une journée ouverte à tous a été proposée avec François Sureau. Dès la préparation de cette journée par l’atelier marseillais CVX Justice, ce fut un moment fructueux pour les organisateurs grâce à « la recherche d’approches diverses du processus conduisant au jugement ». Autre preuve d’audace
de cet atelier : ouvrir la session à tous, car chacun osa proposer cette journée à son entourage familial ou paroissial… Plus d’une centaine de personnes ont ainsi pu écouter la conférence de François Sureau, puis un magistrat sur ce que représente pour lui « juger en conscience », un accompagnateur de demandeurs d’asile sur l’importance du respect de leur parole sur ce qu’ils ont vécu, même sans élément de preuve, enfin un avocat sur le rôle de « résistant » et de veilleur que peut tenir un défenseur de la cause des étrangers. Une parole personnelle sur ce sujet si complexe fut possible grâce aux carrefours : Jacqueline se réjouissant que la quintessence du questionnement de la journée soit autour de la meilleure réponse juridique, humaniste et humaine à appliquer à chaque cas. Sylvie et Virginie constatant à quel point l’institution est inadaptée pour « traiter » les demandes d’asile avec sérieux et humanité et admirant la détermination des bénévoles soutenant les demandeurs d’asile. Malgré la "diversité des points de vue et la rencontre
d’univers aussi variés sur ce sujet brûlant, la qualité des échanges a permis une richesse et une ouverture au monde exceptionnelle", se réjouissent Olivier et Paula, les organisateurs. Enfin, la poursuite de cette journée par une méditation autour du procès de Jésus a permis aux membres de l’atelier national CVX Justice de voir comme il peut y avoir loin de la vérité judiciaire à la Vérité. « Distu cela de toi-même » ou est-ce en fonction de pression intérieure ou extérieure ? Une invitation à entrer en soi-même et dans les textes.
Pour contacter l’atelier Justice : paula.dubois@orange.fr
1. Le chemin des morts, François Sureau, Gallimard, 2013.
Retrouver les témoignages des participants sur : editionsvie chretienne. com
© UNHCR
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Et si l’entrée dans la collégialité que constitue le CCFD n’était pas qu’une formalité ? Et si cela impliquait aussi pour la CVX de se reconnaitre partie prenante et soutien pour travailler à la justice et au développement de l’Homme et des sociétés humaines ici et làbas ? Comme un écho incarné des Principes généraux de la CVX.
▲ Centre de détention de réfugiés en Grèce
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Ensemble faire Communauté
Dans le monde
RENCONTRES MEXICAINES Quand un voyage d’affaires au Mexique se transforme en méditation intérieure, en chemin de prière, grâce à des rencontres très diverses avec des membres CVX du pays. Et pour Julien une certitude : une seule Communauté mondiale malgré nos différences.
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me permet aussi de rompre le rythme soutenu de la semaine, et d’entrer en méditation intérieure. Au fil des discussions, je perçois des préoccupations bien différentes des miennes lorsqu’on m’évoque des actions sociales au milieu d’une violence aveugle. Et je m’aperçois que comme en France, le monde ignatien est engagé, désireux de partager sa foi, et très serviable. Quelques jours plus tard, je revois mon hôte, une dame qui m’emmène dans un restaurant comme si elle retrouvait un ami de longue date : avec une tequila pour l’apéro et un repas de fête !
En partance au Mexique en décembre pour le travail, je ne peux résister à un appel lu dans la Nouvelle Revue Vie Chrétienne : je vais prendre contact avec la CVX mexicaine. Bien que ne parlant pas espagnol, je déchiffre les adresses emails du site internet de CVX-Mexique et lance des bouteilles à la mer.
© CVX mexico
A Mexico, après une semaine intense de travail, on m’invite à une rencontre informelle de prière, de chants et de partage. Plongé au milieu d’une présentation animée en espagnol, je n’ai d’autre choix que de rechercher Dieu dans les mots inconnus qui s’affichent à l’écran. Cela
▲ Congres de la CVX Mexique
La deuxième surprise m’attend à Mérida, cité du Yucatán où je prends un peu de repos. Déjà rassasié par mes rencontres à Mexico, voilà que je reçois un mail : « CVX t’attend à Mérida ». Après quelques SMS, on convient d’un rendez-vous. ‘Embarqué’ dans une voiture, je me retrouve finalement à partager une réunion familiale où l’on allume solennellement la troisième bougie de l’Avent. Suit un temps de partage des enfants sur leur foi, sous l’œil fraternel de leur grand-mère. Mes hôtes d’un soir me font le plus beau des
36 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 36
cadeaux sans le savoir : ils me permettent enfin de me mettre en route vers Noël ! Moi qui n’arrivais pas à trouver une place pour la prière ces derniers jours, tellement j’étais préoccupé par le succès de mon travail !
héritage maya et pratique de la foi Le lendemain, avec des jeunes de ma génération, je poursuis les échanges autour de ce qui nous unit et ce qui nous sépare : nos métiers, notre environnement, notre pratique de la foi (ici très imprégnée par l’héritage maya) sont bien différents ; le fonctionnement de la communauté locale semble moins formel, et il est alimenté par plus de lectures extra bibliques. Mais nous retrouvons le noyau de la communauté locale (joies et difficultés à se constituer en compagnonnage), et l’apport de retraites autour des Exercices spirituels. Bref, je reviens émerveillé et certain que malgré nos différences, nous sommes bien unis au sein d’une même et unique Communauté mondiale ! Julien Thierry Hauts-de-Seine Sud
CONGRÉGATIONS MARIALES ET CVX À MADAGASCAR MDMK n’est pas un nouveau sigle, mais la traduction de la CVX en malgache. Si la CVX existe depuis une vingtaine d’années sur l’île, la spiritualité ignatienne pour laïcs y est présente depuis le XIXe siècle. Une forte tradition qui marque les pratiques, ont perçu Claire et Bernard Pelissier lors de leur passage.
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Pour ceux qui douteraient que la CVX soit issues des Congrégations mariales, un petit tour à Madagascar devrait suffire à les convaincre. En effet, introduites au 19e siècle par les missionnaires jésuites, elles se sont appuyées sur la prière ignatienne, « l’examen de conscience », la contemplation de l’Évangile, la recollection mensuelle, la retraite annuelle selon les Exercices spirituels de saint Ignace… Aujourd’hui encore de nombreux membres des Congrégations mariales font ainsi une retraite spirituelle selon les Exercices spirituels.
Quels liens entre les deux ? Depuis 1990, l’assistant ecclésiastique national a orienté davantage les Congrégations mariales vers CVX. Mais bon nombre de congrégations n’ont pas suivi, surtout celles des diocèses où il n’y a pas des jésuites. En 2008, une première vague CVX a été formée ; ils étaient une soixantaine au départ, tous membres des Congrégations mariales. Certains ont déjà fait la retraite de 30 jours fermée selon les Exercices spirituels ; d’autres,
30 jours dans la vie courante, mais la plupart ont fait les 8 jours. En ce moment, une deuxième vague se forme. Ils sont 120 adultes et une vingtaine des jeunes. Ces membres CVX de la première vague continuent à servir les Congrégations mariales, en les orientant davantage vers le style de vie CVX. Maintenant, des pré-communautés locales CVX sont en train de se former. Les responsables diocésains des Congrégations mariales suivent les formations de la CVX, mais à des rythmes très variables, en fonction des distances. Les liens se voient également à l’occasion de la grande fête de la CVX mondiale, le 25 mars ; un pèlerinage de 2 jours est organisé par la CVX dans un lieu différent chaque année. Les Congrégations mariales y participent : plus de 2600 personnes sont venues de 17 diocèses. Claire et Bernard ont rencontré la présidente des Congrégations mariales du diocèse de Diego-Suarez : « Beaucoup n’ont pas les moyens financiers d’y participer : voyage, nourriture, logement, même pas de quoi ache-
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Dans le monde
ter la plaquette de… 10 centimes ! surtout chez les paysans. » Comment aider la CVX Madagascar ? Claire et Bernard attendent vos idées lors d’un puits de la Rencontre à Cergy lors du Congrès.
Madagascar l’île rouge : 590 000 km², 24 millions d’habitants, 18 ethnies, religions catholique, protestante, musulmane combinées au culte des ancêtres. Politiquement indépendante depuis 1960. CVX ou MDMK (Mpiray dinidinika miaraka i Kristy) 150 compagnons CVX et 25 000 membres de Congrégations mariales très actifs dans les services de l’Église. 272 jésuites répartis dans 8 diocèses sur les 24 du pays.
Retrouvez le récit de voyage de Claire et Bernard sur le site : editionsvie chretienne. com
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Ensemble faire Communauté
Billet
Dans le monde
THÉOLOGIENNE À LA TACHE
La Communauté de Vie Chrétienne en Italie a proposé à une délégation de la CVX en France de se joindre à elle pour rencontrer le Saint Père au cours d’une audience le 30 avril 2015. Une parole qui rejoint la CVX en France dans ses missions.
Matière à exercices
Relire les priorités apostoliques données à la CVX en Italie et se demander : comment recevez-vous ces orientations de la mission ? Comment suis-je témoin fidèle du Christ crucifié pour un monde plus juste ?
aide à une contemplation plus profonde et plus large de la réalité vécue, et du coup il fait émerger les questions les plus cruciales proposées au discernement. Nous pouvons tirer beaucoup d’enseignements de cette manière de faire, pour nous personnellement, mais aussi pour nos communautés locales ; ainsi, quand le Saint Père nous invite à distinguer « une charité par habitude, et qui tranquillise, à une charité du progrès, qui rend l’âme inquiète : je dois faire davantage ! ».
dans le champ social, dans un service de l’Église, dans l’accompagnement sous diverses formes, et dans bien d’autres domaines encore. Le Pape nous inviterait à aller vers les réalités familiales, vers les jeunes, à nous engager pour un monde plus juste, plus solidaire, pour permettre à chacun d’y vivre bien en préservant les ressources pour les générations à venir. Oui, le champ de la mission est sans limite, mais il n’est pas sans frontières, et c’est là que nous sommes attendus.
Si nous avions à préparer une telle rencontre, que dirions de la Communauté en France ? Certains pourraient témoigner d’engagements dans l’action politique, ou
Clairement pour François, les frontières s’apparentent aux blessures, blessures du Christ, blessures de l’humanité, c’est tout un. Dans ces lieux où nous sommes déjà, et ceux où nous nous sentons appelés à aller et à nous risquer personnellement et en Communauté, il nous enverrait pour y « toucher » les blessures, pour y entendre « jusqu’au bout » le cri des malheureux, pour y trouver le Christ crucifié, et discerner la manière d’être ses témoins fidèles.
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Retrouvez l’intervention du Pape et les priorités apostoliques sur : editionsvie chretienne. com
En lisant le discours préparé par le Saint Père et le jeu des questions réponses finalement proposées par la CVX Italie, on peut retenir un premier enseignement. La parole du pape ne « tombe » pas d’en haut sur la Communauté. Les « lignes » qu’il propose à la Communauté de Vie Chrétienne sont le fruit de sa connaissance de la Communauté, de son histoire, et des thèmes que souhaitait aborder la CVX Italienne. Que ce soit dans le discours préparé, ou dans les réponses faites « au débotté », une même manière de faire ressort : approfondir, encourager, confirmer. De sa place, François invite la Communauté à aller plus loin dans la compréhension spirituelle de ce qu’elle vit. Le Pape
Nicolas Joanne Équipe Service communauté nationale
Jeudi dernier, pour son repas d’anniversaire, ma cousine Julie (oui, la théologienne) avait dressé une table comme elle seule ose le faire. Vaisselle amérindienne, couteaux africains, verrerie orientale, nappe asiatique… le monde entier s’y était mis. C’était une incroyable profusion de couleurs, de formes, de matériaux, un bric-àbrac universel et chaleureux. Julie, quoi.
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QUAND LE PAPE PARLE À LA CVX
Et ça n’a pas manqué : il a fallu qu’oncle Jean examine tout, dans le détail. Alors, pour voir de plus près la salière en forme de tapir, il a heurté du coude la saucière en forme de pagode, qui a failli se renverser sur sa voisine en forme de, …non, justement, pas en forme ce soir-là : elle eut un cri de bête, on aurait dit un tapir écrasé par une pagode. Julie a réagi très vite, mais au lieu de remettre prestement la saucière sur ses pieds, elle l’a accompagnée dans sa chute, et la nappe s’est trouvée tachée en un instant. Sursaut général, sourire apaisant de Julie, et, de ma part, le cri du cœur : « Chic, on va pouvoir manger salement, la nappe est déjà vouée au pressing… » Julie n’est pas qu’une bonne théologienne ; c’est aussi une cuisinière hors pair. On ne relira pas nécessairement son « Tyrannie de la Grâce, essai janséniste », mais ce soir-là, pour la dernière part de son tiramisu, Paul, diététicien de stricte observance, et Ève, notre athlète anorexique préférée, ont failli se battre. Ne me demandez pas de détails, le Sauternes lui aussi était formidable ; à cet instant il mobilisait toute mon attention. Mais je crois me souvenir que Paul a lancé : « Cette pointe de noix de muscade râpée, c’est divin. » Et Ève… oui, c’est ça… a surenchéri, d’un ton qui n’admettait pas de réplique : « Allons plus loin, c’est une preuve de l’existence de Dieu ! » Paul se veut libre-penseur ; il a ricané, tout en approchant son assiette du plat où trônaient les reliefs de tiramisu. Dans la manœuvre, il a heurté l’assiette de notre sportive qui tentait la même approche, le ton de la conversation s’est aigri (certains, c’est triste à constater, ont le Sauternes mauvais) mais oncle Jean a sauvé la soirée : – Au fait, Julie, tout à l’heure, pour la nappe, tu l’as fait exprès, non ? – Bien sûr ! Je me suis rappelé une coutume thaïlandaise : la maîtresse de maison fait une tache, pour que ses invités soient libérés de la crainte d’en faire autant. En me regardant, elle ajouta : « Terrible, cette hantise. Elle empêcherait de manger paisiblement. C’est comme ces gens qui, par peur de pécher, n’osent pas vraiment vivre. » Julie n’est pas qu’une cuisinière hors pair ; c’est aussi une bonne théologienne. Philippe ROBERT s.j. La rédaction remercie Philippe Robert pour ces cinq années au service des lecteurs et ces dix-sept « Billet » pris sur le vif, portant un regard aimant, taquin et riche sur ceux qui le croisaient. De nouveaux engagements l’appellent à quitter cet exercice.
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Prier dans l’instant
SUR LA ROUTE La distance à parcourir est assez courte : j’évite les autoroutes. La route traverse des villes et des villages. Sur le trajet, les panneaux m’aident pour la conduite : virages dangereux, passages surélevés, stops… Une signalisation annonce des travaux avec une circulation alternée. La file de voitures devant moi, me laisse à penser que cela risque de durer. Arrêt obligatoire. Durant ces minutes d’attente, je me demande comment je conduis ma vie en ce moment. Quels sont les virages dangereux ? Comment je les prends ? Et les stops ? Ai-je glissé des « stops » dans l’agenda ? Des stops pour lire, aller au cinéma, prendre un temps gratuit pour une rencontre, un coup de fil… Quant aux travaux, je me demande s’ils ont un lien avec des virages dangereux. Je me surprends à sourire : « il y a du pardon et de la réconciliation dans l’air ». Seigneur, je me tourne vers toi et te remercie pour cette relecture rapide. N’est-ce pas là, un appel de ta part pour une autre rencontre ? Alors, je te dis à ce soir, pour reprendre tout cela avec toi, plus en profondeur. La file de véhicules devant moi s’est réduite. Je passe la zone en chantier sans problème, avec au cœur, la joie d’un rendez-vous à venir. Catherine Raphalen
Nouvelle revue Vie Chrétienne – Juillet/Août 2015
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Les bagages sont dans la voiture. Le pare-brise et les vitres sont lavés. Tout est prêt. Je peux partir.