Revue Vie chretienne N°37 septembre 2015

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Vie chrétienne Nouvelle revue

C h e r c h e u r s

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D i e u

P r é s e n t s

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M o n d e

B I M EST R I E L D E L A CO M M U N A U T É V I E C H R É T I E N N E ET D E S ES A M I S – N º 37 – S E P T E M B R E / O C TO B R E 2015

Familles : des histoires à nouer Prier avec les psaumes La violence dans la Bible


NOUVELLE REVUE VIE CHRÉTIENNE Directeur de la publication : Jean Fumex Responsable de la rédaction : Marie-Élise Courmont Rédactrice en chef adjointe : Marie-Gaëlle Guillet Comité de rédaction : Marie-Élise Courmont Jean-Luc Fabre s.j. Marie-Gaëlle Guillet Marie-Thérèse Michel Anne Missoffe Laetitia Pichon Comité d'orientation : Marie-Agnès Bourdeau Nadine Croizier Marie-Claude Germain Anne Lemant Claire Maillard Étienne Taburet Fabrication : SER – 14, rue d’Assas – 75006 Paris www.ser-sa.com Photo de couverture : Kosmos111/iStock Impression : Corlet Imprimeur, Condé-sur-Noireau

ISSN : 2104-550X 47, rue de la Roquette – 75011 Paris Les noms et adresses de nos destinataires sont communiqués à nos services internes et aux organismes liés contractuellement à la CVX sauf opposition. Les informations pourront faire l’objet d’un droit d’accès ou de rectification dans le cadre légal.

le dossier

Sommaire éditorial

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l’air du temps Coexister Benjamin Bitane chercher et trouver dieu

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Familles : des histoires à nouer Témoignages Toute famille fait des histoires… saintes Jean-Philippe Pierron De la haine à l’amour fraternel, de la mort à la vie ! Catherine Lepelcointet La famille selon la tradition de l’Église Philippe Bacq s.j. babillard se former Prier avec les psaumes Sr Marie-Christine Landry En étant coach en management Denis Dolidon La violence dans la Bible - 2e partie Jacques Trublet s.j. Obéir comme un cadavre Michel Farin s.j. Pourquoi prendre des notes ? Nadine Croizier ensemble faire communauté Touches d'impression du Congrès Un site rajeuni Être compagnon dans le concret CVX Liban devant l'afflux de réfugiés Questionnement mondial de la CVX sur la famille billet Dieu nous paye des prunes Denis Corpet prier dans l'instant Prier quand mon cœur est divisé Dominique Pollet

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La revue n’est pas vendue, elle est envoyée aux membres de la Communauté de Vie Chrétienne et plus largement à ses « amis ».

CHACUN PEUT DEVENIR AMI OU PARRAINER QUELQU’UN. Il suffit pour un an de verser un don minimum de : l 25 € l 35 € si je suis hors de France Métropolitaine l Autre (50 €, 75 €, 100 €…) n Par virement : RIB 30066 10061 00020045801 60 IBAN FR76 3006 6100 6100 0200 4580 160 – BIC CMCIFRPP n Par versement en ligne sur viechretienne.fr/devenirami n Par chèque bancaire ou postal à l’ordre de Vie Chrétienne À envoyer à SER – VIE CHRÉTIENNE – 14, rue d’assas – 75006 Paris – amis@viechretienne.fr

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Éditorial

acteurs d’un monde en devenir

«

D’autres réalités interpellent notre société, comme la multiplication des conflits du fait des différences de culture et de religion. Les Semaines Sociales de France, qui se tiendront du 2 au 4 octobre, aborderont cette question comme un défi à relever, un appel à la créativité pour faire de cette situation critique une chance pour le monde de demain. L’air du temps (p 4-5) en donne un écho.

»

© Jolanta Dabrowska / Hemera

En octobre prochain s’ouvrira la deuxième session du synode sur la famille. Les questions débattues nous concernent tous ; c’est pourquoi nous avons choisi ce thème pour le Dossier (p 6-18). A partir des témoignages et des éclairages donnés, c’est une invitation à relire notre propre expérience familiale, à la recevoir comme un don de Dieu, comme un lieu de conversion et de réponse à l’appel du Seigneur. L’attention aux familles est aussi une priorité communautaire, d’où cette réflexion, proposée à tous par l’Équipe service mondiale (ExCo) (p. 38).

Il y a aussi la question de l’écologie, avec la parution de l’encyclique « Laudato Si » avant l’été et la future conférence sur le climat. Ceci fera l’objet d’un prochain dossier.

Car c’est dans cet aujourd’hui que notre vie chrétienne est à vivre. Les situations difficiles de notre temps sont porteuses d’enjeux qui nous dépassent. Mais c’est ce réel que nous avons à analyser et à accueillir ; de la difficulté peut naître une prise de conscience, un changement de cap, un élan de responsabilité et de créativité… A chacun de nous, en réseau avec d’autres, de chercher un chemin de vie pour notre monde en devenir. Marie-Élise Courmont redaction@editionsviechretienne.com

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L'air du temps

coexister Pour sa 90ème session, les Semaines sociales de France se penchent sur « les religions et les cultures comme ressources pour imaginer le monde ». Une jeune association interviendra le samedi après-midi pour montrer que l’interreligieux, est porteur de fruits pour notre monde et peut aussi être une affaire de jeunes.

L Benjamin Bitane, trésorier de l’association Coexister

www.coexister.fr

Votre association Coexister insiste beaucoup sur la ‘coexistence active’. Qu’est-ce que cela signifie ?

cueil de l’autre et non le clivage. S’appuyer sur les religions est un des moyens pour notre monde d’aller vers la paix.

Benjamin Bitane  : La coexistence active consiste à faire un pas vers l’autre, sans renoncer à son identité propre, à ce qui nous est spécifique. C’est une subtile ligne de crête, car il faut éviter à chaque instant un excès de syncrétisme, où les différences de chacun sont annulées par la fusion, et un excès de différenciation, où le communautarisme, l’exclusion de la différence ne sont pas loin.

Des groupes en faveur de l’interreligieux ou de la paix, il en existe déjà. Qu’apporte de plus votre association ?

En quoi les religions peuventelles être une chance pour surmonter les crises actuelles ? B. B. : De nombreux stéréotypes voient les religions comme opposant les individus, les cloisonnant. Or, si l’on regarde les leaders charismatiques en faveur de la paix des 60 dernières années, on constate que ce sont des personnes avec de fortes convictions religieuses : Gandhi, Martin Luther King, Nelson Mandela… Leurs valeurs sous-tendaient leur combat pour la paix. Selon moi, les religions prônent le rapprochement, la connaissance, l’ac4

B. B. : Notre association Coexister est ouverte à tous, mais seuls peuvent être membres actifs les 15-35 ans. Cela tient à notre création. En 2009, Samuel Grzybowski qui avait alors 16 ans participe à une manifestation pour la Paix au moment où l’opération Plomb durci de l’armée israélienne dans la bande de Gaza risquait d’importer le conflit israélo-palestinien sur le sol français. Les organisateurs du rassemblement pour la paix demandent à un jeune de venir prendre la parole. Samuel Grzybowski lance alors l’idée que des jeunes de différentes confessions se rassemblent pour commencer à vivre la paix entre eux. Il venait de participer à un Jamboree scout au RoyaumeUni et avait été très marqué par la force et l’unité qui se dégageaient alors que les jeunes venaient de pays très variés.

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Concrètement, sur le terrain, quelles sont vos actions en faveur du vivre ensemble ? B. B. : Il existe plus de 30 groupes rassemblant près de 2000 adhérents sur toute la France. Localement sont organisés des rencontres, des débats, des sorties cinéma entre personnes de confessions différentes pour mieux se connaître, soi et les autres. Mais il ne suffit pas de se rencontrer, des actions de solidarité menées ensemble sont également organisées  : banques alimentaires, en maraude, voire d’aller donner son sang ensemble… Quelles que soient nos différences, nous agissons ensemble pour la société. Puis notre troisième type d’action localement est la sensibilisation des collégiens et des lycéens par des ateliers pédagogiques. Nous avons touché cette année plus de 22 000 scolaires. Nous avons également des projets au niveau national, où le vivre ensemble se fait sur le plus long terme. Par exemple des voyages ensemble à Madrid, en Israël, à Prague… Nous avions prévu d’aller en Tunisie, nous


© Emmanuel Michel

attendons le feu vert du ministère des Affaires étrangères. Nous mettons en place des colocations entre chrétiens, musulmans, juifs et athées. Enfin, un second tour du monde des initiatives en faveur de l’interreligieux, Interfaith Tour, vient de débuter en juillet 2015. Quatre jeunes partent pour un an témoigner et découvrir de bonnes idées de pratiques interreligieuses. Vous pouvez les suivre sur : www.interfaithtour.fr/ Propos recueillis par Marie-Gaëlle Guillet

Au programme de la 90ème session des SSF Les Semaines sociales de France organise du 2 au 4 octobre 2015 leur 90ème session. Elles se tiendront autour du thème : Religions et cultures : ressources pour imaginer le monde. Cette session se déroulera à l’Unesco (Paris). Le nombre de places étant limité, il sera impossible de s’inscrire le jour-même. Consultez l’ensemble du programme et réservez vos places sur : http://ssf-lasession.org/ Retrouvez les Éditions Vie chrétienne et la CVX sur place.

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Chercher et trouver Dieu

familles : des histoires à nouer Il suffit de regarder autour de soi. Il n’existe pas ‘une’, mais ‘des’ familles. Et chaque famille est elle-même en perpétuel ajustement : les enfants grandissent, les parents vieillissent, les uns s’éloignent, physiquement ou spirituellement, d’autres, comme les conjoints des enfants, apportent leurs richesses à l’ensemble familial. Et toutes ces vies, toutes ces histoires en mouvement cherchent à s’ajuster, à se nouer pour former une famille. Une famille qui sera unique. Ces ajustements continus, comme le montrent les différents témoignages, sont une chance, une preuve que l’Esprit est bien présent dans nos familles. Les liens que l’on maintient malgré les difficultés, la place toujours offerte à celui qui part… autant de chemins pour nous aider à grandir mutuellement en humanité. Marie-Gaëlle Guillet

© Robert Kneschke / iStock

TÉMOIGNAGES Une histoire en mouvement. . . . . . . . . . . . . 8 Re-faire famille. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 Célibataire : facilitatrice de relations . . . . . 10 Vacances familiales sous tension. . . . . . . . 11 CONTRECHAMP Toute famille fait des histoires… saintes ? . . . . . . . . . . . . . . . 12

ÉCLAIRAGE BIBLIQUE De la haine à l’amour fraternel, de la mort à la vie ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 REPÈRES IGNATIENS

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La famille selon la tradition de l’Église. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16 POUR ALLER PLUS LOIN . . . . . . . . . . . 18 septembre/octobre 2015

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Chercher et trouver Dieu

Témoignages

une histoire en mouvement Relire sa vie sous l’angle de la famille a permis à Cécile de noter les différents ajustements qui ont été nécessaires tout au long des années : avec ses parents, la fratrie, les enfants, leur conjoint… Les liens changent et tissent une histoire unique.

A

Agée de plus de soixante ans, je me dis, quand je relis mon chemin, que la famille est à géométrie variable ! Celle qui est la mienne aujourd’hui avec mes nombreux petits-enfants ne ressemble pas à celle de mon enfance avec mes parents et mon frère. Tout a bien changé, sa composition, mais aussi, la manière de vivre et la culture ambiantes. Relire mon histoire en famille, c’est aussi voir qu’il y a eu des étapes et qu’à chaque changement un nouvel équilibre a été à trouver.

Ainsi, il m’a fallu du temps pour apprendre à être ‘fille de‘. Passage de la fusion de la petite enfance à la difficile distance à prendre pour gagner en autonomie ; difficile équilibre pour être vraiment soi-même, différente mais non en opposition ; et finalement pouvoir rendre grâce pour ceux qui, avec leur amour et leurs limites, m’ont donné la vie. Il m’a fallu aussi apprendre à être ’sœur’, à ne pas tomber dans la comparaison, à comprendre l’autre et à l’accepter différent ; en particulier quand les questions de succession ont révélé des sensibilités diverses et des blessures enfouies. Avec la famille que j’ai fondée, j’ai appris à donner. Une étape : celle de la maternité ! Avec l’émerveillement deva nt c e u x q u i m’étaient confiés. Mais là encore cela n’a pas été toujours évident. Comme

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beaucoup j’ai eu à trouver le difficile équilibre entre présence aux enfants et épanouissement personnel. Après, est venu le nécessaire lâcher prise pour permettre leur envol ; et nous avons eu à retrouver une vie à deux. Ensuite la famille s’est agrandie avec l’arrivée des conjoints des enfants, apportant leur histoire et leur culture différentes ; notre relation aux enfants s’est encore modifiée. Aujourd’hui des petits-enfants sont là, pleins de vie ; ils me réjouissent. Des fils sont à nouer avec eux, comme d’autres sont à garder : avec mes tantes âgées, mes frères et sœurs… D’autres se sont distendus… Les couleurs du tissu familial ne sont plus les mêmes. Moi aussi j’ai changé (grandi ?). Aujourd’hui j’ai conscience que ce tissu est précieux et que j’ai à en tenir la trame : faire des liens, accueillir chacun tel qu’il est, soutenir les uns comme les autres par le service et la prière et favoriser de joyeux moments ensemble ! Cécile


re-faire famille

Créer des liens avec les enfants d’un nouveau conjoint est une étape décisive pour la nouvelle vie de famille. Respect, confiance, pardon et discrétion sont les jalons que Xavier tente de vivre au milieu des joies et difficultés.

V

Qu’est-ce qui fait l’inédit de cette relation dans ma vie d’homme et de chrétien ? Je me suis vite rendu compte que cette vie commune m’appelait à une grande humilité. A vivre le respect mutuel, qui s’incarne dans de toutes petites choses. Je trouvais les temps de repas trop courts pour échanger. Il aurait été facile d’exiger de prendre le temps, mais les moyens que je me suis donnés ont été ceux… de la bonne cuisine ! L’accueil de nos histoires, de nos questions sur les études, les centres d’intérêts, ont alors trouvé un espace de confiance, de fraternité. Nous prenons le temps de nous accueillir tels que nous sommes. Le temps du repas est un moment clé. Premier jalon. Pas facile parfois de vivre un nouveau chemin en famille « recomposée ». Accueil de l’autre, de son

© IPGGutenbergUKLtd / istock

Voilà bientôt trois ans que je connais Nicolas, âgé de 15 ans. Je me suis marié avec sa maman il y a deux ans, nous voilà embarqués pour une nouvelle vie de famille, autour de nos enfants respectifs (nous avons vécu un divorce chacun de notre côté, sa maman l’a élevé seule et de mon côté je suis papa de sept enfants de 17 à 28 ans).

histoire, de ses relations amicales, familiales. Très vite bien sûr des différences avec l’éducation que j’avais reçue et celle que j’avais donnée dans ma première famille se sont fait jour. Nous avons tous eu à vivre cet accueil de l’histoire de l’autre, ce qui nous a demandé à chacun des efforts. Nos limites apparaissent plus rapidement parfois, et les reconnaître avec simplicité nous a permis à tous d’avancer. Une erreur reconnue avec humilité nous rapproche. Le pardon : second jalon. Je ne serai jamais le papa de Nicolas, il le sait, mais il m’est parfois arrivé d’oser une parole lorsque la quête d’autorité se faisait sentir (« Si ton père était là, il te dirait peut-être, même sûrement, ce que je vais te dire »).

Mais le plus important encore, ce qui fait, je trouve, la richesse humaine de toute relation, c’est d’avoir à l’esprit de guider tout en respectant la liberté de l’autre. Troisième jalon. Concrètement, discerner les moments où Nicolas a plus le besoin d’être proche de sa maman, de sa famille, savoir être présent dans une sorte d’effacement. Laisser la place, servir dans l’effacement porte des fruits. La discrétion aussi. Cela a aussi changé mon regard sur mes propres enfants, plus proches tout en étant pourtant plus loin. Xavier

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Chercher et trouver Dieu

Témoignages

célibataire : facilitatrice de relations Célibataire au sein d’une grande famille, Corinne constate la richesse de sa place particulière vis-à-vis de ses frères et sœurs, de leurs enfants et du reste de la famille. Malgré les difficultés, elle se sent actrice de l’histoire familiale.

A

Aînée d’une fratrie de six, je perçois au fil des ans que cette place particulière et mon célibat sont porteurs d’un « rôle » tout à fait unique au sein de la famille. Place permettant des relations privilégiées avec les parents, frères, sœurs, neveux et nièces.

moi c’est un signe d’une réelle complicité entre nous. Nos échanges en famille ne cessent d’évoluer au fur et à mesure du chemin de chacun, des aléas de vie, du désir d’être en vérité les uns avec les autres, d’oser une parole pour faire un pas de plus ensemble, d’un pardon.

Très jeune j’étais la confidente de maman et le suis encore.

Quatre sœurs, deux frères : des liens forts se sont créés. Avec les mariages, j’ai dû trouver une nouvelle façon de partager, d’être à l’écoute, d’accueillir les joies, les souffrances, les blessures. Accepter de rencontrer le frère ou la sœur, là sur son chemin. J’ai vécu de vrais déplacements.

© mikanaka / istock

Je suis la seule à avoir un surnom donné par mes neveux. Je suis touchée de les entendre m’appeler « Tante Coco ! ». Pour

Peu à peu, j’ai compris que le Seigneur m’invitait à accueillir pleinement mon célibat et à le rendre fécond. Une conviction forte m’animait : « garder la porte du cœur » toujours ouverte. Une façon pour moi de ne pas me fermer, me regarder,

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être jalouse ou envieuse mais au contraire occasion de me décentrer pour une ouverture aux autres. Quel meilleur lieu que la famille pour vivre cela ! Quelle joie d’être marraine, tante, de vivre pleinement l’arrivée des neveux et nièces, de nouer des liens avec cette génération. Je note un « davantage » d’écoute, d’échange et d’accompagnement pour mes filleuls. Être célibataire donne une disponibilité, permet une juste distance par rapport aux évènements, aux temps familiaux, de faciliter les relations entre les trois générations, une parole pour une meilleure compréhension, d’avoir une certaine neutralité, de favoriser au cours des années une croissance mutuelle en humanité de chacun par l’écoute et le dialogue, d’être témoin et un peu actrice d’une histoire familiale qui se tisse. Corinne


vacances familiales sous tension Comment peut-on se blesser mutuellement lors de retrouvailles familiales aimantes ? Pourquoi la joie de vacances en famille se transforme-t-elle en parcours à embûches ? Pas si facile de vivre ensemble et de découvrir la vraie vie loin de nos rêves. Un chemin pour tous.

J’évoque ces dernières vacances d’hiver, éprouvantes, stressantes (trajet épuisant, soucis à rebondissement, détour par l’hôpital et même la casse !). Bref j’ai déclaré la famille inapte aux sports d'hiver ! J’ai tenté de proposer des sessions… Parlons-en ! L’un des enfants a même supplié que nous le laissions sur le bord de la route plutôt que de vivre cela en famille. « Où que l’on soit, mer, montagne campagne, c’est toujours la même chose ! » telle fut ma conclusion désolée. La thérapeute me répond : « Vous avez une famille vivante ! Le conflit fait partie intégrante de la famille. »

J’ai mis du temps à le comprendre. A comprendre que mes attentes étaient démesurées par rapport à la réalité. Les différences de sexe, les places dans la famille (les aînés me reprochant de chouchouter la dernière)… m’ont permis de beaucoup discuter avec les plus grands. De leur raconter leur histoire, la mienne et de faire le trait d’union. De donner et recevoir pardons et acceptations. Aujourd’hui encore, je remarque que les retrouvailles sont encore l'occasion de blessures et de tensions. Nous, parents, sommes loin de la perfection (heureusement, car alors, quelle pression pour nos enfants !). Par exemple, pour moi, la vocation de mes enfants est source de souffrance lors de réunions familiales… pour l’instant, j’évite le sujet. Après 25 ans de mariage, après avoir versé de l’eau dans notre vin, ma belle-mère et moi nous nous blessons quelques fois encore. Mais finalement, quelle joie de pouvoir se dire les choses et de

© altrendo/stockbyte

U

Un jour, j’arrive en consultation chez une conseillère familiale. Pleine de culpabilité, je lui avoue mon incapacité à faire régner la paix et la joie dans la famille. Bref, mon incompétence maternelle ! J’évoque les derniers souvenirs familiaux, les retrouvailles, les vacances, tous empreints de joie… et d’amertume.

voir grandir mes enfants dans leur choix, cela me fait grandir également. Les conflits sont bons car ils sont source d’ajustement et de pardon. C’est l’apprentissage de la vraie vie. Myriam septembre/octobre 2015 11


Chercher et trouver Dieu

Contrechamp

toute famille fait des histoires… saintes ? Toute famille, quelle que soit sa composition, est une histoire sainte. Là aussi s'y vit l'histoire du salut, là aussi travaille la force de vie, rappelle Jean-Philippe Pierron, philosophe.

L Jean-Philippe Pierron, doyen de la faculté de philosophie de Lyon 3 et membre de CVX

Les évangiles, et plus généralement la Bible, pour nous donner à vivre le familial, nous racontent des histoires. Ils ne donnent pas des modèles mais des histoires de reconnaissance mutuelle en train de se faire. Ainsi, la « Sainte Famille » est-elle une icône bien différente de l’imagerie pieuse, désincarnée, ignorante apparemment des joies et des blessures propres aux histoires familiales qu’en fit le XIXe siècle sulpicien. Elle n’est pas un modèle à imiter mécaniquement, imposant ce que doit être ‘LA famille’. Visiter la sainte famille déroute. Les mages venus d’Orient qui feront cet exercice, eux aussi repartiront par d’autres chemins. On en fait souvent un programme à imiter, à honorer – sous-entendu à ne pas déshonorer ! – mais ne vit-elle pas d’un processus mystérieux à l’égard duquel il faut se laisser travailler pour comprendre l’appel à la vie qui se vit dans nos histoires ? C’est tout un mystère que la vie de l’Esprit dans l’esprit de famille !

la vie de l’Esprit dans l’esprit de famille On ne peut y faire l’économie de l’histoire dans le tissage des liens. Car en toute famille, chacun occupe une place dans le lignage qui le situe spatialement et historiquement. On y fait son histoire comme fils ou fille, frère ou neveu, cousin, grand-mère ou papa. Une position généalogique donne un point de vue singulier sur le monde et sur les autres. C’est à partir de cette position que se noue toute histoire. Être en famille c’est être reconnu dans un lignage, au nom duquel on nous appelle. Mais pour cela, mémorial à l’intention de toute expérience familiale : toute famille, aux deux sens du terme, « fait des histoires ». C’est pourquoi, parler de famille naturelle ou sacraliser un ordonnancement familial - le saint n’est pas le sacré - n’aide pas vraiment à y déchiffrer l’opacité du sens

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de ce qui s’y vit et de ce qui s’y cherche dans le temps. Mais si toute famille est une histoire sainte, elle atteste que dans l’histoire d’une famille se donne à vivre l’histoire du salut. La vie de famille appelle à scruter ce qui en elle appelle à reconnaître la Vie dans sa vie, pour accompagner la croissance de tous les membres du corps familial. Il faut se souvenir de la promesse faite à Abraham, et de ce qu’a de vertigineux une descendance promise aussi nombreuse que les étoiles du ciel ! Il y a un vertigineux infini de la famille, non moins vertigineux que l’infini du ciel étoilé. Celuici est spatial : le vaste cosmos étendu de l’univers. Celui-là est temporel. L’infini du généalogique qui en amont nous tourne du côté de l’origine (Le grandpère, l’Ancêtre, Dieu le père) et en aval du côté de l’avenir (l’histoire qui fait de toute promesse familiale la recherche d’une terre promise) installant nos histoires dans une histoire cosmique. Les


© Mantegna / Staatliche Kunstsammlungen Dresden

naissances ou les deuils dont on fait part, les compétences et les débuts dans la vie, les alliances sont autant de manières de lier et de faire vivre, parfois jusqu’à la déchirure, la texture du tissu familial pour déchiffrer en elle la force de vie et de créativité qui la travaille et lui donne son élan, sans y confondre le don de soi avec le sacrifice de soi.

reconnaître les autres comme nôtres Ainsi l’histoire de Marie, Joseph et Jésus nous enseigne sur la dynamique fondamentale qui travaille la famille plus qu’elle nous renseigne sur ce que devrait être ‘LA’ famille exaltée en une forme définie. L’étrange famille qu’ils composent, parce qu’elle confirme d’une certaine façon que nos enfants ne sont pas nos enfants, atteste bien qu’une famille est cet espace-temps où les autres en leur étrangeté – de sexe, d’âge et de désir – nous apprenons à les reconnaître comme les nôtres. Qui sont mes frères, ma mère, mon père dit brutalement Jésus ? Pourquoi, pour s’incarner, un Dieu a-t-il besoin d’une famille si ce n’est pour manifester chaque naissance comme la gloire déroutante de l’Infini généalogique qui rentre dans chaque histoire familiale ? Et Jésus, ce fils qui très vite se dira fils de Dieu, se déprenant de l’attachement au familial comme une forme d'idolâtrie du clan, de l’entre soi, du sang érigé en idole – bon sang ne saurait mentir –

▲ La Sainte Famille n’est pas un modèle à imiter mais un appel à se laisser travailler par l’Esprit dans nos propres familles.

demandant qui sont ses frères, ne donne-t-il pas de revisiter nos simplifications sur ce qui fait l’unité d’une famille ou l’évidence d’une fraternité qu’on vit pourtant aussi comme difficile ? On aimerait que l’unité en famille soit donnée comme une évidence. Elle est plutôt conquise en une histoire irremplaçable qui donne à chaque famille sa singularité.

conjuguer différence et similitude Les familles, dans leurs diversités, sont ainsi des lieux de capacités stimulées mais parfois de formes de vie méprisées ou humiliées. Apprendre à y conjuguer la différence (politique, d’orientation sexuelle, d’option sociale…) avec la similitude fait que toute famille apprend à vivre d’une

déroute. La déroute n’est pas une défaite, mais elle meurtrit nos idéaux abstraits sur ce que devrait être la famille ou la nostalgie de vies de famille à l’unité rêvée. Elle dit que l’on apprend à consentir à sa famille en une histoire dont nul ne sait a priori quel sera le chemin, mais que l’on apprend aussi à « supporter » au sens sportif du mot. Cela tient à ce qu’en famille les identités n’y sont jamais définies pour toujours : on y est tantôt dépendant ou indépendant selon les âges et les aléas. Il s’agit alors de vivre la joie appelant chacun à choisir la Vie lorsque la vie de famille paraît caricaturée par rapport à ses idées toutes faites, ses attentes ou souvenirs sur ce qu’aurait dû être la famille et son désir de relations authentiques.

Où va la famille ?, Jean-Philippe Pierron, Éditions les Liens qui libèrent, mai 2014.

Jean-Philippe Pierron septembre/octobre 2015 13


Chercher et trouver Dieu

Éclairage biblique

© Pontormo 1515, National Gallery Londres

DE LA HAINE À L’AMOUR FRATERNEL, DE LA MORT À LA VIE !

15 Voyant que leur père était mort, les frères de Joseph se dirent : "Si Joseph allait nous traiter

en ennemis et nous rendre tout le mal que nous lui avons fait ?" 16 Aussi envoyèrent-ils dire à Joseph : "Avant de mourir, ton père a exprimé cette volonté : 17 Vous parlerez ainsi à Joseph : Ah ! pardonne à tes frères leur crime et leur péché, tout le mal qu’ils t’ont fait ! Et maintenant, veuille pardonner le crime des serviteurs du Dieu de ton père !" Et Joseph pleura aux paroles qu’ils lui adressaient. 18 Ses frères eux-mêmes vinrent et, se jetant à ses pieds, dirent : "Nous voici pour toi comme des esclaves !" 19 Mais Joseph leur répondit : "Ne craignez point ! Vais-je me substituer à Dieu ? 20 Le mal que vous aviez dessein de me faire, le dessein de Dieu l’a tourné en bien, afin d’accomplir ce qui se réalise aujourd’hui : sauver la vie à un peuple nombreux. 21 Maintenant, ne craignez point : c’est moi qui vous entretiendrai, ainsi que les personnes à votre charge." Il les consola et leur parla affectueusement. 22 Ainsi Joseph et la famille de son père demeurèrent en Égypte, et Joseph vécut cent dix ans. 23 Joseph vit les arrière-petits-enfants qu’il eut d’Éphraïm, de même les fils de Makir, fils de Manassé, naquirent sur les genoux de Joseph. 24 Enfin Joseph dit à ses frères : "Je vais mourir, mais Dieu vous visitera et vous fera remonter de ce pays dans le pays qu’il a promis par serment à Abraham, Isaac et Jacob." 25 Et Joseph fit prêter ce serment aux fils d’Israël : Quand Dieu vous visitera, vous emporterez d’ici mes ossements. 26 Joseph mourut à l’âge de cent dix ans, on l’embauma et on le mit dans un cercueil en Égypte.

Genèse 50, 15-26 Bible de Jérusalem

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N

Nous sommes à la fin de l’histoire de Jacob et de celle de son fils Joseph. Longue histoire de familles éprouvées par la stérilité : Sara, femme d’Abraham, Rébecca, femme d’Isaac, Rachel, stérile aussi, très aimée de Jacob, qui lui donnera finalement deux fils dans sa vieillesse : Joseph et Benjamin. Ce sont des histoires familiales très humaines, faites de tendresse et d’amour, mais aussi de jalousies, de rivalités, de roueries, de haines et de meurtres. Voilà Jacob, père de douze fils avec quatre femmes. Joseph est le fils aîné de Rachel, le petit dernier, le préféré de son père et jalousé pour cela par ses frères. Ils complotent entre eux pour s’en débarrasser, et il ne devra son salut qu’à son frère aîné, Ruben. Son père le croit mort et en demeure inconsolable. Mais Joseph n’en veut pas à ses frères, ils se retrouvent, pleurent, s’embrassent. Sa première question est pour son père : « Mon père vit-il encore ? ». Il ne leur fait pas de reproches, il va seulement justifier l’ignominie commise en ces termes : « Ce n’est pas vous qui m’avez envoyé ici, c’est Dieu qui m’a établi… »

Cependant, malgré ces paroles, et après la mort du père, les frères ont peur. Ils sont taraudés par leur faute, et inventent une volonté de Jacob avant de mourir. Ils n’ont pas le courage de le dire euxmêmes, alors ils envoient des messagers pour demander « le pardon du crime des serviteurs du Dieu de ton père ». Comme s’ils n’étaient pas eux aussi les fils du père ! Alors Joseph pleure. Il avait déjà longuement pleuré en se faisant reconnaître de ses frères. Il leur avait manifesté son pardon en leur disant : « Je suis Joseph, votre frère, que vous avez vendu en Égypte. Mais, maintenant, ne soyez pas tristes et ne vous fâchez pas de m’avoir vendu ici, car c’est pour préserver vos vies que Dieu m’a envoyé en avant de vous… ». Mais il leur faudra beaucoup de temps pour comprendre enfin le vrai sens du pardon et l’amour fraternel retrouvé. Il leur faudra aussi attendre la mort du père, pour grandir en liberté et tisser des liens nouveaux. Dans ce passage

de la Genèse, Joseph est la figure du pardon de Dieu, toujours redonné. Ses frères, à ses pieds, se présentant comme ses esclaves, nous évoquent la parabole du Père prodigue : Joseph restaure, par son pardon, l’amour fraternel. Humblement, il les ouvre au dessein de Dieu : sauver la vie à un peuple nombreux, et au-delà, à toute l’humanité. Il les tourne vers Dieu qui s’est servi du mal qu’ils ont fait à un seul pour le tourner en bien pour tous. Pas une seule fois Joseph n’aura fait de retour sur lui-même. Il a souffert, il a craqué, mais il a dépassé sa souffrance grâce à sa conviction intime de l’action de Dieu, expérimentée dans ses rêves. Il peut les consoler, leur parler affectueusement et leur faire la promesse que « Dieu les visitera, et les fera remonter de ce pays dans le pays qu’il a promis par serment à Abraham, Isaac et Jacob. » Catherine Lepelcointet CVX

points pour prier + Je demande au Père la grâce de me

laisser rejoindre par Lui dans ma vie en ce moment.

+ Je regarde les frères de Joseph, leurs

visages inquiets, j’écoute leurs conciliabules. Qu’est-ce que cela évoque pour moi ? + Je regarde Joseph, son chagrin, je me rends attentif à ce qui l’habite, j’écoute ses paroles d’apaisement, d’espérance et de vie. + Je laisse ce récit se réfléchir sur mes difficultés à pardonner, à accueillir le pardon… + Comme à un ami, je dis au Père, en confiance, ce que j’ai découvert et qu’il peut m’aider à ajuster. Je termine par un Notre Père. septembre/octobre 2015 15


Chercher et trouver Dieu

Repères ecclésiaux

la famille selon la tradition de l’église Défendant le modèle traditionnel de la famille, l’Église a cependant fait évoluer sa position sur deux points lors de Vatican II. La parole libérée avant le synode sur la famille a fait surgir des positions qui semblent irréconciliables, rappelle Philippe Bacq s.j. qui évoque une possibilité pour éviter l’éclatement.

A Philippe Bacq s.j., est théologien et philosophe, il enseigne au Centre international Lumen Vitae à Bruxelles qui offre une formation catéchétique et pastorale aux responsables ecclésiaux.

1. Pie XI, encyclique Casti conubii, 31-121930, n° 28. Pie XII, Discours aux jeunes époux, 10-9-1941. 2. Jean-Paul II, Encyclique Mulieris Dignitatem, 15- 8-1988, n° 7, 10, 24.

Au long de sa tradition, l’Église n’a cessé de mettre en grand relief la dignité de la famille. A ses yeux, elle est non seulement le premier noyau de la communauté chrétienne, mais aussi le germe d’une société plus humaine et plus juste. Pour cette raison, le magistère a toujours défendu le modèle traditionnel de la famille, sans rien concéder aux évolutions culturelles qui se succèdent au cours de l’histoire.

Et pourtant, au milieu du XXe siècle, le concile Vatican II a opéré un tournant décisif dans deux domaines. Il a tout d’abord déclaré « l’égale dignité personnelle » de l’épouse et de l’époux dans le couple, ce qui était nouveau (GS 49). Jusqu’alors, l’Église avait toujours enseigné que la femme était soumise à son mari. Pie XI et Pie XII l’avaient encore rappelé avec force1, au moment où la culture occidentale initiait un vaste mouvement de libération féminine. Selon eux, il n’était pas possible de changer quoi que ce soit à la tradition, car celle-

ci découlait de la loi naturelle et était confirmée par l’Écriture (Genèse 3,16 ; 1 Colossiens 11, 3 ; Ephésiens 5,22-24).

soumission de la femme Or non seulement le concile n’a fait aucune allusion à cet enseignement, mais il a dénoncé toute discrimination fondée sur le sexe comme contraire au dessein de Dieu (GS 29). Une vingtaine d’années plus tard, le pape JeanPaul II a réinterprété dans le sens d’une réciprocité tous les passages de l’Écriture que la tradition alléguait pour fonder la soumission de l’épouse à son mari2. Depuis, l’Église n’a plus jamais remis en question l’égalité de l’homme et de la femme au sein du couple. Elle a donc osé changer sa doctrine sur un point capital au nom d’une meilleure compréhension de l’Écriture. Pourquoi ne pourrait-elle pas évoluer aujourd’hui encore sur d’autres points ? Le deuxième apport du concile concerne le respect de la

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conscience personnelle des époux dans la manière de gérer la sexualité. Ils ont « le devoir de transmettre la vie », rappellent les évêques, mais c’est à eux d’exercer leur « responsabilité humaine et chrétienne » en tenant compte de leur bien, de celui de la communauté familiale, de l’Église et de la société (GS 50). C’était aussi fort nouveau. Dans la société occidentale, une très grande majorité des couples se sont appuyés sur cette déclaration conciliaire pour justifier le recours aux moyens artificiels de régulation des naissances. Ils continuent de le faire aujourd’hui encore, malgré le cran d’arrêt posé par le pape Paul VI dans l’encyclique Humanae Vitae de 1968. Une distance s’est ainsi créée entre de nombreux couples chrétiens et l’enseignement officiel de l’Église. Le désaccord se vit de façon discrète, car jusqu’il y a peu, le silence était de mise sur cette question ainsi que sur deux autres, tout aussi délicates : la situation des divorcés remariés et les unions des personnes du même sexe.


Fin du silence mais divergences radicales Le pape François a surpris tout le monde lorsqu’il a demandé l’avis du peuple de Dieu sur ces sujets, en vue de préparer le synode sur la famille. Ce fut le premier effet positif de sa décision : une discussion publique est née. Le climat de silence et de peur qui entourait ces questions est désormais rompu et c’est fort heureux. Mais en même temps, des divergences de vue radicales se sont révélées au grand jour : aujourd’hui, les arguments avancés par les uns et les autres pour ou contre une évolution de l’Église s’avèrent irréconciliables3. D’une part, les situations sont si différentes d’une région du monde à l’autre qu’il ne paraît pas possible d’arriver à un accord universel. D’autre part, les prises de positions reflètent des mentalités et des sensibilités bien différentes dans la manière de « sentir » la tradition de l’Église. On ne voit pas bien comment le synode pourrait trancher entre des points de vue si différents en si peu de temps. Sur certains points, les évêques réunis au concile Vatican II avaient mis trois années pour faire mûrir les questions traitées ! Dans ces conditions, que peuton souhaiter de meilleur ? Que le synode laisse aux conférences épiscopales continentales le soin de « discerner » ce qui paraîtra le plus ajusté en fonction des contextes culturels de chaque

3. Cf. un relevé des diverses prises de positions et une appréciation des arguments par Ignace Berten, Synode, ouverture ou blocage sur le site : http:// www.lumenonline. net/main/document/ document.php ? 4. Tel est notamment le souhait de Mgr Bony, évêque d’Anvers, qui a envoyé à Rome un long document, très ouvert, en vue de la première session du synode. Cf. Mgr Bony, Église et famille, ce qui pourrait changer, éd. Fidélité, Salvator, 2014, p. 27.

r é g i o n . L e s c h r é t i e ns de l a culture occidentale pourraient alors espérer que, dans leur région, les évêques reviennent à l’apport du concile 4. Qu’ils rappellent le respect du jugement de conscience en évoquant les critères à respecter pour se former une conscience droite et en proposant quelques proposi-

tions liturgiques pour cadrer la pratique pastorale. N’est-ce pas la seule manière d’éviter l’éclatement des conduites selon la fantaisie du moment ou la rigidité d’une obéissance toute extérieure à une loi considérée comme intangible ? Philippe Bacq s.j. septembre/octobre 2015 17


Chercher et trouver Dieu

pour aller plus loin Des pistes pour un partage : • Considérer ma famille telle qu’elle se compose aujourd’hui. Y a-t-il un écart entre la famille dont je rêve et celle que j’ai à vivre ? Qu’est-ce qui fait son unité, malgré la diversité des histoires ? Qu’est-ce que je peux repérer comme force de vie, comme croissance de ses membres ? A quelle conversion je me sens appelé(e) ? • Je fais mémoire de mon expérience familiale ? Repérer les moments importants dans cette histoire ? Qu’est-ce qui a été douloureux ? Qu’est-ce qui m’a fait grandir ? Quelle a été la place du pardon ? •

L orsqu’elles seront parues, lire les conclusions du Synode sur la famille. Qu’est-ce qui me réjouit dans ce texte ? Qu’est-ce qui me dérange ? En quoi cette réflexion est-elle porteuse d’avenir ? A quel changement ce texte nous invite-t-il ?

Voir aussi dans le document « Pour un rendez-vous » : « Ma famille » p. 24. Disponible sur demande au secrétariat CVX France : guadalupe@cvxfrance

À lire : Les familles, l’Église et la société : La nouvelle donne – Mgr Jean-Luc Brunin – Bayard – 2013. Président du Conseil Famille et Société de la Conférence des évêques de France, Mgr Jean-Luc Brunin, évêque du Havre, répond à toutes les questions sur les familles, l’Église et la société. Entre toi et moi : la découverte des possibles – Nicole Jeammet – Odile Jacob – Mai 2015. Sommes-nous certains de véritablement aimer l’autre quand nous disons l’aimer ? La psychanalyste Nicole Jeammet montre comment la vie est une permanente « coconstruction » et combien seule la rencontre de l’autre, dans un plaisir partagé, ouvre à chacun un avenir, dans une découverte de possibles. Filiation, origines, parentalité : Le Droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle – Irène Thery et Anne-Marie Leroyer – Odile Jacob – Septembre 2014. Entourées de vingt-trois experts, les auteurs abordent les questions sur la filiation en général, l’adoption, l’assistance médicale à la procréation, la gestation pour autrui, l’homoparentalité, l’accès aux origines ou encore les familles recomposées. Famille : terre d’espérance – Christus – Hors-Série N°246 – Mai 2015 Frères et sœurs : de la fratrie à la fraternité – Christus N°240 – Octobre 2013. Être mère : un parcours, une vie – Christus N°229 – Janvier 2011

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Babillard © B. Strobel

HAUTMONT 2025

Imaginez-vous dans 10 ans, en 2025… Bénévoles, participants, animateurs, donateurs, visiteurs, volontaires ont rendez-vous le samedi 10 octobre pour commencer à imaginer ce que sera le Centre spirituel du Hautmont dans dix ans ! Avec l’aide d’intervenants extérieurs (sociologues, médecins, journalistes, religieux…) réunis autour de « tables inspirantes », vous pourrez vous nourrir et par la suite proposer vos idées, vos réflexions, vos souhaits, en discuter ensemble pour s’engager avec confiance dans les dix années à venir, et sans doute encore plus !

OSER PRENDRE SOIN DE SA VIE AFFECTIVE

Pour jeunes de 20 à 35 ans, seul s ou en couple, dans un climat de confiance et de convivialité, venez partager votr e expérience, accueillir des éclairages spirituels et psyc hologiques. Prier, danser et célébrer ensemble. Animé par des médecins et psychologue de CVX et Thierry Anne, jésuite. Du 29 octobre au 1er novembr e 2015 Coût de la session : 215,00 € – Tarif réduit (étudiants, chômeurs) : 140 € Info : 04 76 90 35 97 – Centre Saint-Hugues

Info : 03 20 26 09 61 – contact@hautmont.org

LAUDATO SI ET LA CVX

Le secrétariat mondial de la CVX à Rome souhaite recueillir les effets qu’a eu l’encyclique « Laudato si ». Et voir comment le pape François est en train de faire bouger le cœur de chaque membre de la CVX. Aussi il nous invite à leur partager : 1/ quelle ligne, quel paragraphe nous a touchés 2/ expliquez en quelques lignes pourquoi et quels sentiments, pensées cela a suscité en nous. Envoyer votre réponse avec votre nom et votre communauté nationale à progressio@cvx-clc.net

OSER LA CHARITÉ : LE TRAVAIL SOCIAL, VECTEUR DE L’AMOUR DE DIEU ?

L’auteur, Bernard Pommereuil, fort de plus de quarante ans d’ex périence comme travailleur social au service des familles démunies, et éclairé par la relecture de sa conversion au Dieu d’Amour, livre une réflexion prof onde sur les liens existant entre action sociale et charité. 11 euros – Juillet 2015

POUR QUE VOUS CROYIEZ

Le premier tome de la lecture par Pierre-Marie Hoog sj des récits de l’évangile selon saint Jean. En faisant « chanter les textes », l’auteur nous offre une véritable catéchèse de la foi et nous fait découvrir saint Jean comme un extraordinaire artiste littéraire. 15 euros – Juillet 2015

NOS VILLES D’UN CŒUR BRULANT : LES EXERCICES SPIRITUELS DANS LA RUE

Les Exercices spirituels, peuvent se vivre aussi au cœur du monde, et en particulier, dans les rues de nos villes, pour peu que l’on tienne son regard et son esprit disponibles pour recevoir les signes de la présence de Dieu. Il arrive alors que, tel Moïse au Buisson ardent, le retraitant découvre dans ces artères urbaines une Terre Sainte inattendue. C’est cette expérience spirituelle féconde que retrace ce livre à plusieurs voix. 12,50 euros – Juillet 2015

septembre/octobre 2015 19


Se former

École de prière

PRIER AVEC LES PSAUMES Ces poèmes de l’Ancien Testament sont une porte d’entrée de la prière, simple et accessible à tous. Prier avec eux ouvre notre cœur aux proches et aux lointains, à leurs détresses et à leurs joies. Louanges, cris, questions… A travers des mots qui n’ont pas vieilli, découvrons que le psalmiste peut être un véritable frère en humanité.

C

Comment prier les psaumes ? Nous pouvons les prier seul(e) ou avec d’autres. Tout peut trouver un appui dans la prière des psaumes : nos joies et nos peines, celles que nous vivons en famille, en communauté, celles aussi jaillies de notre écoute des événements du monde, reflets des solidarités humaines et de ses misères. Je vous suggère trois pistes, inspirées de la prière d’alliance.

Halte spirituelle avec les psaumes • 26 et 27 septembre 2015 • 30 avril1er mai 2016 Avec Sr Marie-Christine Landry, au Châtelard. 04 72 16 22 33

Merci Avec le Psaume 1 : Merci pour le bonheur auquel nous sommes appelés. Le psaume 1 commence par « Heureux ». Il exprime le désir du Seigneur à notre égard et implique notre responsabilité. « Heureux est l’homme qui n’entre pas au conseil des méchants et se plaît dans la loi du Seigneur ; il est comme un arbre planté près des ruisseaux… Il porte du fruit en son temps ». Autre traduction : « Heureux l’homme qui ne se met pas en marche dans le conseil des impies ». Se mettre en marche est le verbe des vocations. Quand

Dieu appelle, il faut se mettre en route, comme Abraham, dans la foi en la promesse. Souvenonsnous des conseils de Paul aux Colossiens : « Poursuivez votre route dans le Christ, tel que vous l’avez reçu ; soyez enracinés et fondés en Lui… débordant de reconnaissance » (Colossiens 2,6).

…Des pistes pour prier • Prendre le temps de laisser résonner ces mots dans notre cœur : ils interrogent notre désir. Est-ce que je veux vraiment demeurer avec le Seigneur et mettre mes pas dans les siens ou suivre mes idoles ? Porter du fruit par la persévérance ou me laisser aller loin de la source ? Ce discernement n’est pas ponctuel ; c’est une invitation permanente à la vigilance, une manière d’être, le choix de la vie, pour notre bonheur ! • Me souvenir de situations où je me suis senti(e) verdoyant, portant du fruit. Je rends grâce à Dieu pour ce don reçu et partagé qui a produit paix, joie, élan, confiance.

20 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 37

pardon Avec le Psaume 32 (31) : Pardon d’avoir caché ma faute ; Merci pour la joie retrouvée. « Heureux l’homme… Hommes droits, chantez votre allégresse ! » C’est ainsi que commence et se termine le psaume 32. Entre les deux, le partage d’un témoignage. Celui d’un homme, celui d’un peuple. Mais sur quoi se fonde cette joie ? Le psaume 32 (31), attribué à David (l’ensemble des psaumes est de datation plus tardive), exprime l’action de grâces d’Israël parlant comme un pécheur guéri et pardonné. On peut être surpris qu’il semble attribuer son épuisement à Dieu, comme si celui-ci en était responsable : « Ta main, le jour et la nuit, pesait sur moi ». Il est vrai que l’épreuve est souvent l’occasion de s’interroger. D’où vient cette lassitude ou cet épuisement ? Dans le psaume, cette altération de la santé paraît liée au choix du silence. Le refus de parler et de reconnaître sa faute entretient le mal comme un feu qui brûle et se


dessèche : « Je me taisais et mes forces s’épuisaient. Ma vigueur se desséchait comme l’herbe en été ».

Quelles conséquences dans mes relations à Dieu, aux autres… ?

Le péché enfoui peut jouer sur notre imaginaire. Il transforme l’image que nous avons de nousmêmes, de notre relation à Dieu et aux autres. « Si nous disons que nous n’avons pas de péché, la vérité n’est pas en nous » (1 Jean 1,8).

Avec le Psaume 85 (84) : S'il te plaît, aujourd’hui et demain.

Le contraire de « retenir » c’est « laisser aller » ; ouvrir un espace de liberté, la possibilité d’une création nouvelle. Les versets 8 à 10 le montrent clairement : le pardon donne l’assurance de l’amour retrouvé et une lumière nouvelle : c’est un appel à se laisser guider dans la confiance. « Je vais t’instruire, te montrer la route à suivre, te conseiller, veiller sur toi ; n’imite pas les mules et les chevaux… » Le pécheur pardonné, libéré, peut alors devenir témoin pour les autres. C’est ce que fait comprendre le psalmiste. Il peut alors inviter les cœurs droits à partager sa louange. Il nous invite sur ce chemin de vérité, à compter sur l’amour du Seigneur et à recevoir de Lui notre joie.

…Des pistes pour prier • Je prends le temps de me souvenir des moments où le poids de mon péché m’a pesé, des moments où je me suis senti libéré.

S’il te plaît…

Les bienfaits de Dieu dans l’histoire du peuple d’Israël, mémoire qui invite à la louange. (versets 2 à 4). Des demandes insistantes du peuple à son Dieu : « Fais-nous revenir, Donne-nous… » (versets 5 à 8). Un regard sur l’avenir, habité par la Foi et l’Espérance : Dieu entend et exauce la prière de ceux qui croient en Lui : « La vérité germera, la justice marchera »… (Versets 9 à 14).

…Des pistes pour prier • Je peux prier ce psaume en relisant une journée, une semaine : merci, pardon, s’il te plaît. • Je peux aussi me laisser guider par deux ou trois mots qui orientent ma méditation. Par exemple : - Le verbe hébreu shoûb est utilisé plusieurs fois. Il peut signifier : revenir, changer de route, se convertir. Souvenons-nous du contexte de ce psaume : l’exil à Babylone est terminé ; le Temple de Jérusalem est reconstruit. Mais l’en-

© iconesalain.free.fr

Ce psaume peut être divisé en trois parties :

thousiasme ne suffit pas : manque d’argent, de matériaux, tensions diverses. Je peux penser à ceux et celles qui sont freinés dans leurs projets de « reconstruction ». Je les nomme devant le Seigneur ; j’implore sa grâce. Je me présente à mon tour avec mes désirs et mes lassitudes. Dieu, fais-nous revenir… - Le mot « terre » revient aussi plusieurs fois : c’est sur cette terre que le Seigneur a été bienveillant pour son peuple ; terre que Dieu a créée et qui a vu naître Jésus ; terre d’où germera la vérité ; terre où l’Esprit est à l’œuvre aujourd’hui, dans notre monde, nos églises, nos familles, dans mon cœur. Je laisse résonner ce mot « terre », et je présente mes demandes au Dieu de bonté. Que demain, dans la Foi au Seigneur, mais aussi grâce à la bonne volonté de ceux qui cherchent à aimer, Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent.

A lire aussi : Psaumes, poèmes de Dieu, prières des hommes. Didier Rimaud, 12 e

Jour après jour, psaumes au rythme des Exercices Spirituels. Didier Rimaud, 12 e

Disponible sur

editionsvie chretienne.com

Sr Marie-Christine Landry, Sœur du Christ septembre/octobre 2015 21


Se former

Expérience de Dieu…

EN ÉTANT COACH EN MANAGEMENT La pratique de son métier a transformé son regard et sa relation aux autres. Abandonnant toute attitude de conseil, ce coach en management fait l’expérience que l’écoute inconditionnelle permet de libérer des énergies. Ce type d’écoute permet de faire émerger des solutions qui étaient déjà potentiellement présentes dans les personnes. Un acte de foi en toute personne.

D

Depuis onze ans, je suis coach en management, certifié par la Fédération française de coaching. Je travaille en free-lance pour des entreprises, généralement avec les responsables et les équipes dirigeantes. Au préalable j’étais directeur des ressources humaines. Ce changement a été un double saut périlleux arrière car j’ai cessé de donner quelque conseil que ce soit à quiconque.

En 2004, je me suis formé en même temps au coaching en management et à l’accompagnement spirituel. Ce fut l’occasion de constater que « saint Ignace a été l’inventeur du coaching, mais que les coachs n’ont jamais payé les royalties correspondantes » comme m’a dit un jour un coach.

Se taire pour écouter au-delà des mots Mon activité de coach en management a renouvelé ma relation aux autres parce que je cherche à mieux écouter. D’ailleurs dans

sa traduction littérale de la Bible, Chouraqui a traduit la prière des juifs « Écoute Israël… » par « Taistoi Israël… » : pour écouter il faut commencer par se taire. Même si je suis loin de la perfection, je m’entraîne à mieux écouter l’autre. Quand j’y parviens, je suis émerveillé de la puissance que je libère ainsi chez mon client qui se réapproprie sa vie professionnelle, et qui prend des décisions ajustées, dans une liberté plus grande. L’écoute n’est pas une question de technique psychologique ; c’est une question d’attitude intérieure et de posture relationnelle. C’est surtout une ascèse exigeante. Lorsque j’écoute ce que me dit mon client, je n’interviens généralement pas sur ce qu’il me dit, afin de laisser émerger ce qui se joue au-delà de ce qui se dit. Cette approche respectueuse consiste à l'écouter vraiment et à le prendre au sérieux. Ainsi j’évite de prendre pour argent comptant la matérialité de ce qu’il me dit, afin de l’aider à voir plus loin que le bout de son nez. J’interviens

22 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 37

presque exclusivement sur les mécanismes relationnels qui se jouent, et non pas sur ce qui se dit. En fin de séance, je reviens parfois sur la demande initiale de mon interlocuteur qui constate alors que sa demande n’avait pas grand intérêt, et n’était qu’une entrée en matière un peu maladroite. En somme je me décentre du contenu, pour me centrer sur les processus relationnels qui encombrent mon interlocuteur, et qui l’empêchaient d’y voir clair.

J’ai cessé de donner des conseils Le coaching a transformé ma relation aux autres, parce que j’ai cessé de chercher à influencer mon client, à le faire changer ou à avoir un projet sur lui. Les séances de coaching commencent souvent par une demande de conseil : « Que dois-je faire dans telle situation ?, Comment mieux diriger ma réunion du lundi matin ?, Comment mettre davantage de cohésion dans l’équipe que je dirige ? ». Je dépense beaucoup


Je crois qu’il est plus fécond de m’abstenir de proposer une solution dans au moins 80 % des cas. Je me libère ainsi de la très mauvaise question : « Qu’est-ce que je vais bien pouvoir lui répondre pour qu’il sache que je suis plus malin que lui, plus compétent que lui, ou mieux informé que lui… ». Mais surtout je fais un acte de foi dans la capacité de mon client à mobiliser toutes les potentialités de son intelligence, de sa volonté, ou de sa sensibilité. Pratiquer cette continence de la parole est un véritable renoncement, surtout lorsque la solution me semble évidente. Pour mon interlocuteur, c’est une libération d’avoir en face de lui quelqu’un qui l’écoute jusqu’au bout et qui le respecte de façon absolue, tout en lui garantissant une confidentialité stricte. La pratique du non jugement et du respect inconditionnel d’autrui libère la puissance qui préexiste potentiellement chez lui.

© Rawpixel Ltd / iStock

d’énergie pour ne pas répondre à de telles questions, car ma réponse scléroserait aussitôt mon interlocuteur. Il s’infantiliserait en acceptant (ou en rejetant !) mon conseil. La pratique du coaching est un entraînement à croire que toute personne est potentiellement capable de trouver sa propre solution. Je crois que la solution est à la fois chez mon interlocuteur, et dans la relation que j’installe entre mon interlocuteur et moi. Pour cela, je cultive mon impuissance : qui suis-je pour avoir un avis sur toute situation ?

▲ Par le coaching, j’ai cessé de chercher à influencer l’autre ou à avoir un projet sur lui.

Cette exigence est parfois douloureuse lorsque je bute sur mes propres imperfections ou sur mon péché. Par exemple, alors que l’approche de la communication non violente m’inspire beaucoup, je me surprends parfois à être submergé par des opinions négatives sur la personne qu’est l’autre.

C’est pour cela que je suis supervisé professionnellement de façon permanente, en même temps que je suis accompagné spirituellement de façon ignatienne. Denis Dolidon

Une relation d’aide Le coaching est un métier émergent ; c’est aussi l’un des plus vieux métiers du monde. On peut le définir comme une relation d’aide ou un accompagnement personnalisé qui permet à une personne de voir plus clair dans sa vie professionnelle et dans l’interface entre vie personnelle et professionnelle. C’est un appui à la réflexion pour qu’une personne franchisse une étape dans sa situation de travail ou dans son identité managériale. Les métiers de coach font l’objet de certifications professionnelles délivrées par des organisations professionnelles. Plus récemment l’État a commencé à mettre en place quelques diplômes. Le choix d’un coach doit se faire avec une grande attention : existence d’un diplôme ou d’une certification, références théoriques affichées, valeurs de référence et intuition. septembre/octobre 2015 23


Se former

Lire la Bible

LA VIOLENCE DANS L’ANCIEN TESTAMENT (2ÈME PARTIE) Après avoir fait dans le numéro précédent un état des lieux des différentes formes de violence dans la Bible, Jacques Trublet s.j., nous invite à nous approprier ces textes et à nous interroger sur ce qu'on attribue à Dieu.

L

L’Ancien Testament nous renvoie une image de Dieu qui provoque un court-circuit avec celle que Jésus nous a révélée. Comment expliquer cette différence de potentiel et surtout comment nous approprier ces textes ? Telle est la question qui nous retiendra.

La violence de Dieu : une conception d’Israël

Jacques Trublet s.j., Professeur aux Facultés jésuites de Paris

© Frederick Arthur Bridgman l’armée de Pharaon engloutit par la mer rouge

Le Dieu de la Bible est violent, certes, mais ce n’est rien en comparaison avec les divinités du Proche Orient ancien ; en tout

cas, il est moins capricieux. C’est sans doute vrai, mais c’est une maigre consolation. Comme dans de nombreuses religions, les Israélites ont projeté sur leur Dieu leurs désirs ou lui demandent d’accomplir ce que leur impuissance ne leur permet pas. Par exemple, d’exterminer les ennemis en provoquant la noyade de Pharaon et de son armée. Israël enfin libéré, savoure l’anéantissement de ses bourreaux. Dieu rétablit les équilibres et solde les comptes. Cette tendance est sans doute accentuée par le fait que tout se joue durant cette

24 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 37

vie. La violence divine est donc commandée par sa justice. Ce thème parcourt la Bible depuis le déluge jusqu’à l’époque macchabéenne où nous voyons les grands empires qui ont opprimé Israël s’écrouler les uns après les autres. Une autre forme de la violence divine s’enracine dans sa jalousie et sa colère contre son peuple. Si Dieu aime passionnément son peuple comme le répètent à l’envi Osée, Jérémie et Ézéchiel, sa passion se retourne parfois contre lui pour le châtier en raison de ses infidélités. C’est l’amour bafoué du mari trompé ou du souverain lâché par ses vassaux. Certes, ces accès de fureur sont entrecoupés de séquences de pardon où Dieu renoue avec son peuple. Ce comportement nous choque parce qu’il semble très humain et qu’on attendrait autre chose de Dieu, qu’il pardonne inconditionnellement. Mais notre étonnement s’accroît quand nous constatons que c’est Dieu qui est l’instigateur de la


© Nicolas Le Poussin, Musée de l’Ermitage, Saint Petersbourg, victoire de Josué sur les Amaléchites

violence. C’est bien lui qui endurcit le cœur de Pharaon et le pousse à ne pas libérer Israël : « YHWH dit à Moïse : « Entre chez le Pharaon, car c’est moi qui ai voulu son obstination et celle de ses serviteurs, afin de mettre au milieu d’eux les signes de ma présence » (Exode 10,1). C’est lui « qui endurcit également le cœur de Sihon, le roi des Amorites » (Deutéronome 2,30) ou qui avait rendu inflexible le cœur des rois contre lesquels luttait Josué (Josué 11,20). Là où les choses s’obscurcissent vraiment, c’est quand nous constatons que la Bible affirme tout de go que Dieu provoque des malheurs, sans que les hommes aient quelque responsabilité. Pour y voir un peu clair, comparons notre réaction à celle des Hébreux lorsque survient une catastrophe naturelle : un tremblement de terre, une irruption volcanique ou la naissance d’un enfant trisomique. Spontanément, nous disons : pourquoi Dieu n’est-il pas intervenu ? Or, les Hébreux pensent autrement les choses. Dans nombre de passages, on attribue à Dieu ces catastrophes. C’est ce que certains auteurs ont appelé « le diabolique en Dieu ». Les versets qui l'expriment ont de quoi surprendre : « Eh bien ! Maintenant, voyez : c’est moi, rien que moi, sans aucun dieu auprès de moi, c’est moi qui fais mourir et qui fais vivre, quand j’ai brisé, c’est moi qui guéris, personne ne

délivre de ma main. » (Deutéronome 32,39) ou bien en Isaïe : « Je forme la lumière et je crée les ténèbres, je fais le bonheur et je crée le malheur : c’est moi, YHWH, qui fais tout cela. » (Isaïe 45,7). On pourrait ajouter quelques autres passages (Am 3,6 ; Lm 3,38 ; 1 S 2,6-7). Mais terminons par ce texte qui donne déjà la raison de cette position : « Au jour du bonheur, sois heureux, et au jour du malheur, regarde : (a) celui-ci autant que celui-là, Dieu les a faits (b) de façon que l’homme ne puisse rien découvrir de ce qui sera après lui » (Qo 7,14). Ces textes font un peu froid dans le dos. Rassurez-vous, la liturgie se garde bien de vous les faire entendre ! Comment expliquer cette conception qu’Israël se fait de son Dieu ? La réponse est assez simple. On préfère considérer Dieu comme responsable de tout plutôt que d’attribuer à une puissance maléfique extérieure à lui les maux

qui adviennent en ce monde. Dieu est ainsi pensé comme tout puissant et transcendant, n’ayant en face de lui aucune puissance qui le tiendrait en échec. C’est l’une des conséquences de la foi en un Dieu unique. Une telle image de Dieu finira par poser de tels problèmes théologiques que tardivement, on transférera l’origine des maux à des êtres diaboliques comme Satan, le Diable ou les mauvais anges. Mais cela mettra du temps et surtout cette tendance n’atteindra son plein développement qu’en dehors de la Bible, dans ce qu’on appelle les Écrits intertestamentaires ; ceux qui n’ont pas été reçus dans notre Bible.

violence humaine et souffrance

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On apprenait jadis de manière caricaturale que Corneille dépeignait les hommes tels qu’ils devraient être et Racine, tels qu’ils sont. La Bible se rallierait plutôt au

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Se former

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Lire la Bible point de vue de Racine. La violence humaine est multiforme, mais surtout guerrière, sociale et religieuse. La première est justifiée pour la conquête ou la défense du territoire. Les prophètes ou les législateurs dénoncent les exactions commises par les puissants contre les plus déshérités. Au contraire, on admet la violence religieuse pour défendre l’honneur de Dieu ou la liberté de culte. Mais il existe une violence langagière qui atteint son paroxysme dans certains oracles prophétiques et dans les imprécations des psaumes. Ce qu’on exige que Dieu fasse est d’une violence extrême, voire inhumaine ; en voici quelques exemples : dans le psaume 137 « Heureux qui saisira tes nourrissons pour les broyer sur le roc ! », ou celui 139 « Dieu ! si tu voulais massacrer l’infidèle ! »

1. Rémi Lack, Dictionnaire de la Vie Spirituelle, p.931, article Psaumes.

Nous osons à peine penser qu’il s’agit de prière ! Paul VI d’ailleurs a demandé de mettre entre paren-

thèses ces passages et de rendre facultative leur récitation dans l’office liturgique. Et pourtant quiconque a subi la maltraitance, la torture ou des traitements avilissants ne peut guère souhaiter autre chose pour ses bourreaux. Rémi Lack, dans une formule d’une grande justesse, indique notre rapport à ces psaumes : « Les psaumes imprécatoires sont là pour nous rappeler qu’en tout temps et en tout lieu s’élèvent vers le Seigneur des cris semblables, venus d’un excès de souffrance. Bien loin de se fermer les oreilles, le chrétien répétera les imprécations non pas en les adressant à Dieu, mais en les retournant vers sa propre conscience. Il se demandera en quelle mesure, il a contribué à les provoquer par ses manquements personnels et par ses compromissions avec un monde agressif. Il cherchera à rejoindre toute action qui vise à restaurer un ordre de justice. Quand ces imprécations auront cessé de résonner sur des lèvres humaines, alors il sera temps de les effacer également du livre des psaumes. » 1

© Kerald, Meister des Codex Egbati, Xe siècle, massacre des saints innocents

La face obscure de la Bible

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Israël est né dans la violence. C’est en Égypte que YHWH se révèle à Moïse comme « celui qui a vu la misère de son peuple » et qui le libérera de l’esclavage. Cette expérience fo nd a t r i c e m a rq u e ra à tout jamais l’Ancien

Testament. Cette blessure originelle, pourrait-on dire, ne se refermera jamais totalement et la Bible portera les stigmates de la violence. Certes, il sait faire la paix quand c’est possible, mais il est prêt à sortir ses griffes s’il est attaqué. C’est la face obscure de la Bible qu’on ne saurait effacer. Pour sauver les apparences, les Pères de l’Église et certaines traditions juives ont transposé ces passages et les ont allégorisés (leur faire dire autre chose), par exemple que les ennemis d’Israël sont les démons ou les pécheurs qui attaquent les justes ou Dieu, il n’en reste pas moins vrai que lors de l’entrée en Canaan, ce sont des peuples en chair et en os qui furent exterminés ! Mais ces pages ne doivent pas masquer les prescriptions du Deutéronome en faveur des esclaves ou des étrangers, l’offrande de sa souffrance par le serviteur de YHWH, sans parler de l’amour des ennemis ou le pardon sur la croix que Jésus offrira. Même après le Christ, se commettront au nom de Dieu des crimes horribles qui n’ont rien à envier à l’Ancien Testament. Pire encore, il est arrivé qu’on se réclame d’un texte sacré pour justifier des exactions inhumaines parce que ces textes portent l’empreinte de l’autorité de Dieu ; ce qui peut dispenser en certains cas de réfléchir et de penser vraiment aux actes qu’on impute à Dieu. Mais quel Dieu ? Jacques Trublet sj Professeur aux Facultés jésuites de Paris


Spiritualité ignatienne

« OBÉIR COMME UN CADAVRE » Comment comprendre l’idéal d’une obéissance absolue ? A qui obéit-on alors ? Comment conduit-elle vers la vie et la liberté ? En s’appuyant sur l’exemple de Jésus vis-à-vis de son Père, Michel Farin s.j. nous fait passer de l'imaginaire à l’amour.

« Obéir comme un cadavre ! » Cette expression a un côté absurde : que peut-on commander à un cadavre ? On peut comprendre le jugement qui voit dans l’obéissance religieuse le comble de l’aliénation d’un être humain. Hélas, l’obéissance pervertie par des hommes d’Église livrés au fantasme de toute-puissance a donné raison à ceux qui moquent ce vœu religieux. Et pourtant, c’est vrai, l’obéissance religieuse a quelque chose à voir avec la mort. Mais ce mystère ne peut s’éclairer qu’à la lumière de la foi. Pour entrer dans cette Lumière, laissonsnous conduire par un militaire - un comble si nous nous rappe-

lons combien l’image militaire a servi à caricaturer l’exercice de l’obéissance dans la Compagnie de Jésus ! « Seigneur, dit le centurion, je ne mérite pas que tu entres sous mon toit ; mais dis seulement une parole et mon enfant sera guéri. Car moi, qui suis un subalterne, j'ai sous moi des soldats, et je dis à l'un : « Va ! » et il va, et à un autre : « Viens ! » et il vient, et à mon serviteur : « Fais ceci ! ›› et il le fait. » En entendant cela, Jésus fut dans l'admiration et dit à ceux qui le suivaient : « En vérité je vous le dis, chez personne je n'ai trouvé une telle foi en Israël ! » (Matthieu 8,8-10) Ce centurion en appelle à l’autorité de Jésus sur la vie, en prenant comme parabole l’exercice de sa propre autorité dans l’armée romaine. Il se dit lui-même subalterne, c’est-à-dire soumis à l’autorité d’un autre, en l’occurrence César par l’intermédiaire de sa hiérarchie, et s’il est obéi par ses soldats, c’est dans la mesure où il leur commande au nom de César.

Le centurion signifie ainsi qu’il reconnaît en Jésus un homme si parfaitement soumis à Dieu qu’il peut commander à la vie en son nom. Jésus est en admiration devant une foi qui s’adresse à lui avec une telle justesse qu’elle lui permet d’y répondre au nom de Dieu sans être tenté de se prendre pour Dieu. Dans la demande du centurion Jésus reconnaît l’Esprit qui l’appelle à

Michel Farin s.j. Réalisateur, il a travaillé durant trente-cinq ans pour l’émission « Le Jour du Seigneur ». Son grand projet fut de promouvoir la lecture de la Bible en usant de tous les moyens offerts par la télévision : de l’interview au documentaire, du témoignage à la fiction, jusqu’aux effets spéciaux que permet aujourd’hui le numérique.

© Luc Viatour/www.lucnix.be

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« Perinde ac cadaver ». Cette formule, attribuée à tort à saint Ignace de Loyola, a été retenue par une certaine opinion pour caractériser l’obéissance religieuse dans l’Église, et tout particulièrement l’obéissance dans la Compagnie de Jésus. Elle est citée jusque dans le Petit Larousse.

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▲ Le centurion reconnaît en Jésus un homme si parfaitement soumis à Dieu qu’il peut commander à la vie.

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Se former

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Spiritualité ignatienne

rendre gloire à son Père, et non à exercer une toute-puissance comme le lui proposait l’esprit diabolique dès la tentation au désert. Jésus peut alors dire à cet homme : « Va, qu’il t’advienne selon ta foi ! » Et l'enfant fut guéri sur l'heure, en même temps que Jésus et son interlocuteur, soumis l'un et l'autre au même Esprit créateur, demeuraient libres de toute idolâtrie d'un pouvoir sur la vie, et donc libres l'un par rapport à l'autre.

L’obéissance à Dieu laisse l’homme libre

Quand nous parlons d’obéissance dans l’Église, il ne peut s’agir que de cette obéissance de la foi, la seule qui laisse l’homme libre car rendue à Dieu seul. Toute autre obéissance est obéissance à une image porteuse d’autorité, et l’obéissance à une image rend esclave de l’imaginaire qui la constitue. Or Dieu justement n’a pas d’image. Pas d’autre image que l’homme libre, son interlocuteur, qui, de ce fait, ne peut, lui non plus, être réduit à quelle qu'image que ce soit. L’homme n’est donc appelé à obéir qu’à Dieu, c’est-à-dire à n’obéir à aucune image sous peine d’aliéner sa liberté, celle du fils.

© Alonso de Rodriguez / Francisco de Zurbaran, Real Academia de Bellas Artes de San Fernando, Madrid

Saint Ignace ne dit pas autre chose quand il écrit dans une lettre aux jésuites du Portugal, le 26 mars 1553 : « …Ce ne sont ni la grande prudence, ni la grande bonté, ni d’autres dons excellents que Dieu pourrait avoir départis au supérieur qui fondent le devoir de lui obéir, mais le fait qu’il tient sa place et son autorité, comme le dit l’éternelle Sagesse : ‘’Qui vous écoute m’écoute, et qui vous méprise me méprise’’. »

▲ Alfonso de Rodriguez, un homme entièrement soumis à un amour qu’il éprouve comme plus grand que lui.

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Le religieux n’est donc pas appelé à obéir à l’image qu’il peut avoir du supérieur, bon ou

pas, prudent ou pas… mais seulement à Dieu, selon le vœu d’obéissance qu’il a désiré librement dans la foi en s’engageant dans cet ordre religieux. C’est ainsi qu’il reste libre dans l’exercice de l’obéissance et non aliéné à l’image d’un supérieur quel qu’il soit. Saint Alphonse Rodriguez, frère jésuite du 16e siècle, portier de la résidence de l’île de Majorque, était un homme d’une extraordinaire bonté qui voyait se rassembler peu à peu à sa porte tous les pauvres de l’île à qui il portait secours quasi miraculeusement. Il déclara un jour, dit-on : « Si le supérieur de la maison me demandait d'arrêter de donner à manger aux pauvres, j'arrêterais immédiatement. » Le supérieur ne le lui a jamais demandé ! Une telle parole peut scandaliser si elle est entendue en dehors de la foi ; dans la bouche d’un saint, elle mérite qu’on s’y arrête pour en peser le secret. Elle ne signifie rien d’autre que le mystère d’un homme entièrement soumis à un amour qu’il éprouve comme plus grand que lui. Il n’obéit pas à une image des pauvres à laquelle correspondrait son seul sentiment humanitaire. Il n’est pas à l’origine de la compassion qui le submerge. Il y obéit, comme Jésus saisi de pitié pour les foules. Il reconnaît dans cette compassion même la présence de son Créateur et Seigneur qui l’habite, la présence du Père, celui auquel il a voué


obéissance dans la Compagnie de Jésus par l’intermédiaire de son supérieur. Mgr Dominique Tang y Ming, jésuite, évêque de Canton, que j’ai eu le bonheur de rencontrer à Hong-Kong alors qu’il sortait de dix ans de prison pour avoir refusé de rompre sa relation avec le Pape, me confia qu’une chose apprise au noviciat l’avait beaucoup aidé. On demandait aux novices d’obéir aux chargés d’office (cuisinier, jardinier, bibliothécaire...) en pensant qu’ils obéissaient au Christ lui-même. C’était alors un exercice, mais lui en avait retrouvé l’esprit dans cette situation infernale et limite, en décidant d’obéir aux ordres de ses gardiens comme au Christ. Il me témoignait ainsi que, mystérieusement, cette « obéissance » inouïe avait sauvé sa liberté intérieure au cœur de l’humiliation, et en particulier du poids de la terrible accusation d’être un mauvais Chinois, traître à sa patrie.

Et c’est là que nous retrouvons la mort présente au cœur de l’obéissance de la foi, car cette obéissance à Dieu seul, qui, seule, laisse libre, implique toujours le renoncement au jugement propre considéré comme ce qui devrait commander sa vie. Saint Ignace soulignait qu’il s’agissait là, pour un homme, du plus grand renoncement qu’il ait à accepter. Mais ce renoncement n’est humain que s’il est demandé par Dieu seul. Autrement il est aliénation, déshumanisation, soumission à tous les fantasmes, fussent-ils religieux. En un mot, il est suicidaire. Car l’obéissance ne peut impliquer la mort de l’amour-propre qu’au nom d’une soumission à l’Amour qui crée l’homme libre,

l’homme vivant, debout devant Dieu comme son interlocuteur, son fils et non pas son esclave. Michel Farin s.j. L’expression au travers des siècles L’expression « Perinde ac cadaver » est bien antérieure à Ignace. Les Pères du désert au IVe siècle l’employaient déjà pour signifier un idéal ascétique d’obéissance parfaite, permettant d’accomplir infailliblement la volonté de Dieu. Elle a été reprise notamment dans les Constitutions de la Compagnie, mais aucune trace n’a été trouvée de son utilisation par Ignace directement. « Que chacun de ceux qui vivent sous l’obéissance se persuade qu’il doit se laisser mener et diriger par la Divine Providence au moyen des Supérieurs, comme s’il était un cadavre [‘perinde ac si cadaver esse(n) t’] qui se laisse remuer et traiter comme on veut, ou comme le bâton d’un vieillard qui sert celui qui le manie où que ce dernier aille et quoi qu’il veuille faire. » [Constitution de la Compagnie de Jésus. N°547]

© Christ à Gethsémani / Paul Gauguin

Bien sûr, Dieu ne saurait vouloir l’humiliation d’un être humain ! Mais Mgr Tang me confiait sa certitude que Dieu voulait qu’il soit là où le conduisait sa fidélité à l’Église. C’est à cela seulement qu’il obéissait en acceptant librement d’être soumis au traitement que cela impliquait.

obéir : le plus grand renoncement « Pas ce que je veux, mais ce que tu veux », a dit Jésus à son Père dans la nuit de Gethsémani.

▲ Cette obéissance à Dieu qui seule laisse libre, implique toujours le renoncement au jugement propre considéré comme ce qui devrait commander sa vie.

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Question de communauté locale

POURQUOI PRENDRE DES NOTES ? Pendant nos rencontres de communauté locale, nous sommes encouragés à prendre quelques notes pendant l’écoute, mais pour quelle visée ?

A

1. Lire l’article « prendre des notes » Nouvelle revue Vie Chrétienne N° 14.

Après nous être laissés rassembler, intérieurement et ensemble, par le Christ, le premier tour de partage nous invite à contempler ce que chacun donne à sentir de son contexte de vie et de son cheminement avec le Seigneur. Prendre quelques notes n’est pas seulement un moyen technique pour fixer notre attention et résister au désir d’interrompre, c’est un enjeu de vie spirituelle et de compagnonnage.

En écoutant, parfois, comme Élizabeth recevant Marie, quelqu’un tressaille de joie en moi. Parfois, au contraire, ça gratte un peu ! Dans tous les cas, je le note en quelques mots. C’est un cadeau pour moi. J’y reviendrai plus tard pour réfléchir et en tirer profit.

Écouter : un temps pour sentir intérieurement.

Là il s’est dit quelque chose d’important, pour tel compagnon, pour moi. Là il y avait des signes de source, un point à creuser pour laisser jaillir l’eau. Là, encore cette ornière qui nous fait trébucher à chaque fois.

Certains propos me semblent inachevés pour pouvoir bien comprendre ? Je note quelques mots pour pouvoir poser ensuite une interrogation respectueuse.

Retrouver l’ensemble des questions de communauté locale sur : editionsvie chretienne. com

Dans ce que l’autre me donne à voir, je découvre des forces qui pourront lui être rappelées plus tard pour le soutenir, je goûte des fruits de l’Esprit, j’observe ce qui revient et semble porter paix ou au contraire division… C’est un don précieux que me fait l’autre en sa vérité. Je note quelques mots, si possible les siens, pour en garder mémoire pour lui.

Noter : comme on marque un chemin par des pierres blanches.

Prendre quelques notes pour pouvoir y revenir : dans le silence, après le tour de partage, pour préparer le deuxième tour. Entre deux rencontres, pour rentrer en moi-même et réfléchir. En fin d’année, pour me retourner et voir le chemin réellement parcouru, rendu visible par les pierres blanches, et en tirer profit pour décider, avec mes compagnons, de la route à prendre pour la suite.

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Écrire : pour considérer l’importance de la Rencontre. Si je n’aime pas prendre des notes, quelques mots suffisent parfois et de nombreuses manières de faire sont possibles1. Si je résiste sur ce point, il est toujours aidant de s’interroger sur les causes profondes. Ainsi, par exemple, il m’arrive de constater que je ne garde aucune trace de mes prières d’Alliance et quand arrive le temps de relire le mois écoulé, ma mémoire est prompte à retenir les évènements et les émotions fortes, mais oublie ces mouvements discrets qui ont alerté mon attention jour après jour et qui m’invitent à cultiver telle attitude, à prendre une décision… Écrire c’est considérer l’importance de ce qui se joue là. Dans le don précieux que me font mes compagnons et dans ce que je ressens en écoutant, le Seigneur passe. Même si je le perçois sur le moment, en garder trace me permettra une mémoire fidèle, d’être un véritable compagnon et de rendre témoignage. Nadine Croizier


© Hasloo/iStock


Ensemble faire Communauté

En France

TOUCHES D’IMPRESSIONS DU CONGRÈS Impossible de mettre trois jours d’une grande variété de rencontres en deux pages. Aussi ces quelques témoignages veulent simplement donner envie de retrouver textes et photos sur le site, et d’oser interroger ceux qui ont vécu ces rencontres improbables.

A

AU SERVICE DE Première Veillée

Retrouvez photos, interviews et textes des interventions sur : congres 2015-cvx. com

L’aventure du Congrès a commencé pour moi en novembre 2014. Appelée à rejoindre l’équipe en charge de la veillée festive du samedi soir, je ne savais pas trop où je mettais les pieds. Participer à un congrès CVX « de l’intérieur » fut pour moi, une expérience inédite. Je garde un souvenir très ému de cette veillée. Un grand moment de joie, de plaisir à donner, à partager avec le public, à l’entendre rire. Tout au long de cette soirée, nous avons beaucoup reçu. Une pluie de remerciements et de gentillesse. Un moment merveilleux pour toute la communauté qui a montré ce que des jeunes sont capables de construire, de donner ensemble. Riches de nos différences, de nos horizons colorés, nous nous sommes laissés toucher, déplacer, les uns par les autres, mais aussi par le public. Une fabuleuse aventure humaine à la suite du Christ. Alice

AUTOUR DES PUITS

La bagagerie Me voici donc nommé à la bagagerie, avec une incertitude sur le nombre de bagages à venir et sur le nombre de bénévoles nécessaire. Serons-nous assez nombreux ? A travers ce service, je peux témoigner de la générosité de nombreux compagnons. J’ai été frappé par le dévouement des membres de l’équipe de préparation du congrès et par leur volonté de garder le sourire, jusque dans l’épuisement. Si j’ai donné quelques heures, eux se sont démenés sans arrêt pendant plusieurs mois et plusieurs heures encore après le départ des derniers bénévoles. J’ai aussi été émerveillé de voir que, lorsque nous avons changé les horaires pour que la bagagerie reste ouverte pendant la messe, plusieurs personnes se sont mobilisées sur une simple sollicitation. Je repars de ce congrès avec de nombreux visages. Sans compter tous les compagnons qui sont venus déposer leurs bagages et que je n’aurai peut-être pas croisés autrement.

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Armel

Avec le comité du dialogue interreligieux de Cergy-Pontoise Lors de nos visites à la mosquée et de la synagogue, nous avons pu constater une amitié très forte entre les membres de chaque communauté, montrant un vivre ensemble et même une fraternité, avec et dans le respect

Cergy, une réalité spirit « Trois jours à Cergy au mois de juillet ? Drôle d’idée pour les vacances ! C’est donc une heureuse surprise, je m´étais fait une fausse image de cette banlieue parisienne », reconnaît Sabine, venue de Toulouse touchée par l’accueil des habitants « hébergeurs ». « Le choix de cette ville nouvelle pour accueillir le congrès de la communauté est un choix fort », estime quant à lui Étienne, passionné d’art et d’architecture, dont il a fait son métier. « C’est l’occasion de regarder et de comprendre comment ces lieux de vie ont émergé. Créer une ville à partir de rien, c’est accepter les frottements, parier sur les rencontres, croire en une sorte d’utopie ! » Alors Cergy, une réalité spirituelle ? « Évidemment ! s’enflamme Étienne.


Le congrès en chiffres : • 2484 congressistes adultes • 1162 adultes hébergés dont 900 chez l’habitant et 260 en collectif • 62 familles hébergées à la Maison des Familles • 240 enfants présents à la Maison des familles, plus 40 au camp Mej à Saint-Prix • 800 voitures dont 553 pour les covoiturages • 243 Communautés locales de congrès • 169 puits des différences. L’imam a bien rassemblé la pensée de chacun : « nous sommes d’abord frères en humanité. Les différences sont construites par l’homme qui a reçu à sa création la liberté ». A la suite de ce puits nous nous quittons la tête pleine d’envie de prolonger ces rencontres brèves mais vraies et profondes.

un de leurs enfants de son amour pour une personne du même sexe et de son souhait de construire une vie de couple. Après un profond ébranlement de leur être, cette annonce les a mis en marche sur un long chemin touchant leur relation à Dieu. Avec une immense foi, ils ont entamé le combat du changement personnel, passant pêle-mêle par la culpabilité de l’éducateur, l’incompréhension et le rejet de cette sexualité, les doutes et les raidissements du croyant, la peur du jugement des autres, de la société, le deuil des projets pour leur enfant…

Claude Avec des familles concernées par l’homosexualité Mené par hasard au puits des réalités familiales, je rends grâce d’avoir pu entendre le témoignage d’un couple de compagnons livrant avec confiance et en vérité, les étapes de leur cheminement depuis l’annonce, par

Et puis l’amour est plus fort, et malgré des rechutes dans la douleur et le refus, les bras s’ouvrent peu à peu pour ré-accueillir l’enfant, accueillir son conjoint, voir en eux des personnes aimées de Dieu et refaire famille, différemment d’avant.

tuelle et architecturale

Le premier fruit de cette rencontre a été immédiat, un compagnon présent a pu nous confier qu’ayant reçu la même annonce quelques jours auparavant, il venait de s’engager sur le même chemin et ne savait pas encore comment l’aborder. Joseph

© Jean-François Perzo

Tout ici est porteur de sens ! » Il salue la proposition faite à de nombreux compagnons de découvrir la ville et son célèbre « Axe majeur ». Parmi eux Jean-François ; il vit en Bretagne et se rend fréquemment à La Défense pour son travail. « Jusqu’alors, je plaignais franchement mes collègues vivant à Cergy, selon moi, c’était une pure galère cette banlieue ! » Mais à l'occasion d'un pèlerinage entre les deux premières églises de la ville : Notre Dame des Peuples et celle du bienheureux Frédéric Ozanam, il doit reconnaître qu'il découvre un lieu paisible, plein de verdure et de beautés architecturales. « Nous avons été guidés par des habitants, des chrétiens de tous horizons. »

Rencontres audelà des frontières Invitée par la Communauté régionale Som’Oise et venue en découverte pour la jeune CVX Burkina Faso, j’ai été frappée par la simplicité efficace des membres de la CVX de France, leur générosité... Il y a une infinité et une diversité de puits que nous n’imaginons pas : dans chaque être, dans chaque situation, une rencontre improbable et divine est possible! Il ne tient qu’à nous de nous y abreuver d’eau vivante, mais aussi, d’étancher la soif du Christ par notre écoute des autres et notre disponibilité.

Retrouvez l’intégralité de ces témoignages sur : editionsviechretienne. com

Merci à la multitude d’inattendus compagnons, chacun(e) unique, qui se sont faits les relais du Seigneur, pour faire de moi, à ce congrès, une heureuse Princesse du Royaume céleste ! Une Princesse qui ne rêve que de partager son « ignacitude », son « Eau vivante » et sa joie à la terre entière ! Anne-Marie Sawadogo Zoure de la CVX naissante du Burkina Faso septembre/octobre 2015 33


Ensemble faire Communauté

En France

UN SITE RAJEUNI Le site internet de la CVX n’a pas simplement fait peau neuve. Ce sont de nouvelles orientations qui le sous-tendent : être davantage apostolique, enrichir notre compagnonnage.

L

Le site internet de la CVX France a changé au début de l’été. Il a été présenté lors du Congrès à Cergy-Pontoise. Pourquoi avoir changé ? Pour être à la mode ? L'équipe du site internet : nous n’avons pas simplement adapté un site, c’est à la communication toute entière de la CVX que nous avons réfléchi ! Et ce, dès juin 2013 ! Pour que le projet reflète bien la diversité de la CVX, c’est un groupe de 15 personnes qui a passé en revue l’ensemble des ou-

tils, des façons de communiquer de la CVX et de ses futurs besoins. De ces réflexions sont sorties 99 propositions pour améliorer notre communication. Tout ne pouvant pas être mené en même temps, une décision simple a été prise : faire primer la qualité sur la quantité. En réalisant un site internet soigné cela rejaillira sur l’ensemble de la Communauté. Ce n’est pas à la question de « pour quoi changer », mais « pour qui changer », à laquelle nous avons voulu répondre par ce site. En effet, la spiritualité ignatienne a quelque chose à offrir à un public très large, aussi par internet nous devions pouvoir nous adresser à tous. Un site accessible à tous dynamique avec un langage simple a été conçu. Mais pour aller plus dans la précision, un espace dédié aux membres a été également créé avec de nouvelles possibilités.

© Guillet

En quoi ce ou ces sites reflètent ce qu’est la CVX ? Peut-on contempler, discerner et agir par eux sur le Net ?

▲ Vidéo et témoignages pour le nouveau site de la CVX France.

L'équipe du site internet : il est certain que l’on contemple la Communauté par ces sites ! La diversité des communautés régio-

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nales, des rendez-vous à venir s’offrent au regard. Les œuvres de la Communauté et les textes fondateurs sont mises en avant. L’espace "membres" aidera sans aucun doute à faire plus Communauté : des espaces dédiés pour les communautés régionales et les communautés locales ou par thèmes de réflexion, permettront de mieux se connaître, de mieux échanger entre nous. Bref, une sorte de réseau social privé permettant la mise en relation des membres entre eux pour mieux partager expériences et questions. Les outils de formation disponibles via le site aideront à discerner et à agir, donneront le goût d’être davantage disciple du Seigneur en mettant nos décisions sous sa lumière. En étant simple et clair, et en mettant en avant notre identité, nous devenons davantage apostoliques, car davantage tournés vers l’extérieur, vers les soifs spirituelles de nos contemporains. Testez les nouveautés et n’hésitez pas à réagir : communication@cvxfrance.com


ÊTRE COMPAGNON DANS LE CONCRET Que signifie être compagnon ? En expérimentant une aide ancrée dans le quotidien, Anne et Marc ont approché une nouvelle forme de compagnonnage de vie pour eux. Sa relecture leur a permis de grandir en humanité.

Cet été, j’ai vendu le pain de Marc sur le marché le samedi matin : une expérience d’aide concrète apportée à un compagnon que nous avons vécue comme un exercice « spirituel » et relue comme telle après l’été. Deux raisons m’ont fait accepter cette demande : – J’avais souhaité me rendre utile pendant cette période transitoire et, tant qu’à faire, je pouvais apporter mon aide à mes compagnons. – Marc avait besoin d’aide dans cette période estivale trop chargée pour lui : il devait faire face à une situation familiale complexe et il doit faire, le samedi, deux fois plus de pain pour le marché du dimanche. Après un premier samedi, où Marc m’a fait découvrir le travail, j’ai donc fait le marché tous les sa-

medis de juillet et août : ce qui concrètement voulait dire, me lever à 6h30, prendre le camion chez lui, l’amener jusqu'à Guingamp, monter le stand, vendre le pain, ranger le tout et ramener le camion chez Marc pour 14h. Quelques fruits de cette expérience de compagnonnage : – J’ai touché du doigt le quotidien d’un compagnon, c’est bien différent que de l’entendre raconter. J’ai pu mesurer les obligations : être là de bonne heure par tous les temps, accueillir le client parfois exigeant, attendre… et découvrir le travail de boulanger. Je n’aurais pas pu faire ce travail-là tous les jours : découvrir mes limites, me confronter au réel est une expérience incarnée. – J’ai dû demander de l’aide (le rangement à son emplacement du camion m’a posé problème), entrer en relation avec les autres vendeurs, m’intéresser à leur travail, tout un monde inconnu. Accepter de l’aide donne de la joie. – J ’ a i v ra i me nt a p p r é c i é l a confiance que me faisait Marc qui m’a confié ses pains et son camion, et qui n’a pas jugé ou critiqué mon travail et a même supporté que je ne fasse pas les

choses comme lui. Cette confiance nous a fait grandir. – J’ai trouvé assez difficile la première journée, mais je m’étais engagée pour deux mois. Au fil des semaines, le travail m’a paru plus facile, plus agréable. Persévérer porte du fruit, dans le concret comme dans la prière (ou dans les Exercices). Cette expérience nous a aidés à grandir en humanité, parce que nous l’avons relue. Elle a rendu le mot « compagnonnage » plus incarné dans le réel. Je vous invite à tenter cet exercice spirituel, ancré dans le réel, pour un vrai compagnonnage de vie. Anne Jezequel et Marc Trévoux CVX Bretagne

© Tomaswork/istock

M

Marc et moi appartenons à la même communauté locale, Marc est boulanger, il travaille dans son garage à faire du pain biologique et des tartelettes. Il vend sa production sur les marchés, dans des dépôts de pain et à des collectivités. Pour ma part, je suis dans les premiers mois d’une pré-retraite.

septembre/octobre 2015 35


Ensemble faire Communauté

Dans le monde

CVX LIBAN DEVANT L’AFFLUX DE RÉFUGIÉS Avec plus de 2 millions de réfugiés pour 4 millions d’habitants, le Liban est plongé dans la crise secouant le Moyen-Orient. Comment la CVX Liban, née en 1990 après une guerre civile de quinze ans, vit-elle cette situation ? Quels appels entend-elle ? Qui est son prochain ?

L

La CVX n’est pas isolée de son contexte mais ancrée dans la réalité où vivent ses membres. En 2011, une guerre civile éclate en Syrie, pays frontalier avec le Liban. La CVX a alors ressenti le devoir et la mission d’aller vers les plus touchés dans cette guerre. En effet, le conflit syrien a causé le déplacement de millions de personnes en dehors de ses frontières. Le Liban voit alors arriver une immigration massive sans que le gouvernement ne puisse régler ce flux. Le pays est déjà

surpeuplé et souffre d’une crise économique et politique. Aucun pays dans l’histoire moderne n’a jamais accueilli autant de réfugiés : aux alentours de 500 000 palestiniens vivant dans des camps depuis 1948, un million et demi de Syriens (selon les chiffres officiels des Nations Unis, alors que certains organismes avancent le chiffre de 1.8 millions), et environ 4 à 5.000 familles irakiennes (Chaldéennes, assyriennes, syriaques). Tout ce flux pour une population locale qui ne dépasse pas les 4 millions !

▲ Marche à Zahlé, dans le Bekaa.

36 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 37

Soutien aux Irakiens La présence des Irakiens au Liban remonte à l’époque de l’effondrement du régime de Saddam Hussein. Un groupe de la CVX a déjà collaboré avec un prêtre nommé par l’archevêché chaldéen pour venir en aide à des familles chrétiennes, au Liban « en phase de transition » car en attente de leurs visas des Nations Unis pour immigrer vers un autre pays, en principe les USA, le Canada ou l’Australie. En effet le Liban ne constitue pour eux qu’un pays de passage. L’aide se présente sur trois niveaux : matériel, psychologique, et bien sûr spirituel. Nous organisons ensemble des messes, des prières et des fêtes de Noël. Mais la tâche n’est pas facile, les jeunes, les vieux, les enfants, les femmes sont touchés jusqu’aux tréfonds de leur âme, ils ont tout perdu, certains sont partis avec juste ce qu’ils ont sur le corps. On se demande dans quelle mesure nous pouvons les encourager à résister et à rester sur cette terre qui se vide de plus en plus de ses chrétiens ! On se sent parfois démuni, vide…


Actuellement, un début de collaboration avec l’Église Assyrienne et Chaldéenne s’organise pour venir en aide à des familles I ra k i e n ne s do nt le no m b re ne cesse d’augmenter avec les attaques d’ISIS. Nous essayons d’intervenir par des conseils administratifs et ce, en agissant comme intermédiaire auprès des Instances Officielles, puisque ces personnes ignorent tout de la législation locale et de l’organisation pour obtenir la carte de réfugiés, les soins médicaux, la scolarité pour les enfants… Nous intervenons aussi auprès de différentes institutions comme le HCR : High Comité for Refugee une branche de l’ONU, pour leur accorder le statut de réfugiés, de Caritas, du CICR (Communauté Internationale de la Croix-Rouge), le Ministère de la Santé libanais… Urgence pour les Syriens Les réfugiés syriens constituent le 2e volet du travail social de la CVX. À la différence des irakiens, il s’agit d’une population pauvre à l’origine ayant fui le pays avec le peu qu’ils avaient. Une quantité de travail colossale et un besoin urgent nous entouraient à tous les niveaux : logement, sanitaire, éducatif, économique, travail, statut juridique... Avec le peu de moyens, mais une confiance profonde dans le Seigneur et un soutien admirable de la Compagnie de Jésus, la CVX tente de s’investir auprès des plus nécessiteux.

Le JRS (Jesuit Refugee Service) décide en 2014 de transformer une école abandonnée en un lieu de vie. Un lieu de vie dédié aux enfants que la structure éducative libanaise n’a pas pu intégrer. Située dans un quartier assez défavorisé de la banlieue de Beyrouth, cette école accueille aujourd’hui plus de 400 enfants. Un groupe de la CVX assure un soutien scolaire les après-midi et une aide aux activités extrascolaires. Nous avons pu également offrir aux enseignants une formation concernant la gestion des classes, organisée par une spécialiste dans la CVX. En parallèle, des missions d’aides ponctuelles (distribution de produits alimentaires, de vêtements et de médicaments) sont organisées dans des camps de réfugiés installés au nord du Liban, dans une région assez marginalisée et pauvre. La CVX assure également un rôle de pont entre des donateurs et des familles dans le besoin. En effet, certains donateurs ne désirant pas passer par les associations et les structures mises en place préfèrent aller directement vers les démunis. La CVX avec son réseau de contacts met les personnes en contact les uns avec les autres. Mais nous sommes appelés à donner encore plus, davantage. Le Seigneur Christ a distribué des dons à chacun selon sa capacité, des dons que sous sommes ap-

▲ Gâteau d'anniversaire des 25 ans de la CVX au Liban.

pelés à faire fructifier. Le pape François nous appelle à aller aux frontières, des frontières pas forcément géographiques, et souvent tout proches de nous. Ces paroles nous interpellent intensément en tant que communauté apostolique. Sommes-nous prêts à aller où le Seigneur nous envoie ? « Le disciple n’est pas plus que le maître, ni le serviteur plus que son Seigneur » (Matthieu 10, 24) Dans cette région du monde où la guerre fait rage, où il n’y a plus de place pour la paix, quel témoignage pouvons-nous donner autre qu’être cette flamme qui éclaire l’obscurité de la violence et de la haine ? Si notre action ne découle pas de notre être, elle n’a rien d’apostolique. Jésus n’avait-il pas annoncé des tribulations, des persécutions ? Cheminer en communauté, comme un corps apostolique, témoins du Christ qui vit en nous, pour un monde plus juste et plus humain, voilà notre mission.

La CVX au Liban 150 membres cvx-liban. org

Wissam Abdo Secrétaire de l’Équipe Nationale – CVX Liban septembre/octobre 2015 37


Ensemble faire Communauté

Dans le monde

QUESTIONNEMENT MONDIAL DE LA CVX SUR LA FAMILLE Une trame de questions sur la famille a été proposée le 25 mars à toute la communauté mondiale, à chaque communauté locale. Comment rejoindre des réalités aussi différentes de par le monde ? Dans quel but ? Edel Churu de l’ExCo mondiale nous éclaire.

P Edel Churu ExCo mondiale, de la CVX du Kenya.

Pourquoi avoir proposé une réflexion sur la famille à tous les membres de CVX de par le monde ? Edel Churu : La journée mondiale de la CVX se trouvait en 2015 entre les deux synodes sur la famille et à mi-mandat de l’équipe service mondiale (ExCo) issue de l’Assemblée du Liban. Nous désirions que chacun approfondisse son sentiment de gratitude pour la famille, son besoin de pardon et de guérison nécessaires au sein de toute famille, faisant face à une vérité libératrice qu’aucune famille n’est parfaite. Nous désirions ainsi permettre une plus grande ouverture pour accueillir toutes les familles telles qu’elles sont. A quel défi cela nous invitet-il ? E.C. : Le défi consiste à être conscient que nos propres familles et celles des membres de notre communauté, quelles qu’elles soient, sont un don. Et ainsi entendre la parole du Sei-

gneur qui nous est adressée dans ce don. Cela nécessite d’effectuer un déplacement entre ce que nous désirerions que les familles soient, et ce qu’elles sont réellement, d’apprécier le don qu’elles sont pour nous telles qu’elles sont, et de chercher avec elles la nouvelle vie à laquelle le Seigneur nous invite. Quel changement vitalisant pour notre mission ! Comment avez-vous préparé un questionnaire qui devait pouvoir s’adresser à toutes les CL à travers le monde, quelle que soit leur culture familiale ? E.C. : Les questions devant guider la réflexion se sont appuyées sur deux points essentiels pour la famille relevés dans le document de l’Assemblée mondiale du Liban. Nous avons aussi été touchés par l’ouverture à la diversité qui s’est expérimentée lors de conférences en marge du synode sur la famille en 2014 auxquelles participaient des membres de la CVX du Chili et de Malte. Leurs

38 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 37

comptes-rendus et leurs propres expériences de vivre avec divers types de familles, nous ont permis de sentir l’appel à inviter la Communauté mondiale à s’interroger sur ses possibilités d’ouverture et d’accueil de la diversité. A l’imitation de Jésus qui vient à nous, sans jugement mais avec compassion et invitant à accueillir en plénitude la vie. Nous nous sommes aussi beaucoup inspirés des mots du pape François après le synode, reprenant ses phrases dans le questionnaire et la revue Projets N° 161. N o us s o m me s p a r fa i t e me nt conscients de la différence d’ouverture aux différents types de famille à travers le monde, dûe à des racines culturelles et catéchétiques variées. Notre document cherche à être respectueux de ces différences et pourtant à inviter à entendre l’appel de l’Esprit quel que soit le lieu où se trouvent les communautés.


Billet

DIEU NOUS PAYE DES PRUNES © vvvita/iStock

Trouver Dieu en toutes choses : comme vous je m’y efforce, et en voici un récit tout chaud de cet été. J’étais dans un centre spirituel, à deux pas de Grenoble. Et j’y ai vu l’action de Dieu ! Vous me voyez venir, hein : - La Parole qui fait mouche, sur une page d’évangile ou de la bouche de l’accompagnatrice ? Non, vous n’y êtes pas. - Alors la beauté des célébrations, l’émotion de prier ensemble ? Non plus ! Alors, vous donnez votre langue au chat ? Voilà, c’est tout simple, je vous raconte ce qui m’est arrivé. Les repas étaient livrés chaque jour par une entreprise de restauration collective. C’était correct, rien à dire. Mais pour finir chaque repas, il y avait un « vrai » dessert : un gâteau, un entremets, une glace. Que des plats délicieux, mais un fruit, jamais. Jamais un simple fruit. Pour un nutritionniste (je le suis) qui répète à tout bout de champ « Cinq fruits et légumes par jour », et « pas un repas sans fruit », ces bons desserts étaient un genre de supplice. Mais voilà, « Dieu veille sur ceux qui le craignent ». En méditant dans le parc, j’ai vite repéré deux vieux pruniers qui croulaient côte à côte sous le poids de milliers de prunes : genre grosses mirabelles ou petites reines-claudes, vertes avec des tâches de rousseur coté bronzé. Personne n’y touchait. Alors j’ai commencé à faire un tour de ce côté là tous les soirs, pour compléter mon dîner. Mais y en avait des prunes, y en avait tellement ! Après quelques jours de grand beau, des centaines de prunes mûrissaient à toute vitesse sur les branches qui ployaient sous le fardeau. Et elles tombaient par terre pour y pourrir. Alors j’ai trouvé un seau, et j’ai ramassé, ramassé ces bons fruits pour aller déposer ma récolte sur les tables où les retraitants viendraient manger en silence. Et alors, Dieu dans tout ça, où est-il ? J’ai vu Dieu dans cette profusion, dans cet excès de dons. Il y en avait trop, ce n’était pas raisonnable. Si ça avait été moi, j’aurais programmé une fructification judicieuse. Je ne sais pas, moi, trois prunes par jour et par personne. Mais non, c’était sans mesure. Et, c’est pareil avec les cerisiers de juin ou les figuiers de l’automne : ils en font « trop ». Ces arbres généreux m’ont parlé de Dieu : Il est comme ça, Lui. Pas raisonnable. Il donne « trop ». Eh bien, profitons-en, sans oublier de rendre grâce. « Merci Seigneur » ! Denis Corpet

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Prier dans l’instant

quand mon cœur est divisé Je commence avec enthousiasme à travailler sur une commande de meubles liturgiques, en rendant grâce pour cet appel. Esquisses, premières propositions, concertation en équipe, tout est heureux et porteur. Cela représente du travail, mais dans la légèreté.

Presque insensiblement je suis passée d’un enthousiasme paisible au sentiment d’une possible erreur de casting. Naturellement cette disposition m’est familière, mais aujourd’hui Seigneur tu me donnes d’être alertée sans trop attendre. La couleur de ce climat, ce laminage de fond ne sont pas les signes d’un langage de vérité. Cette voix me ment, qui suggère que j’aurais dû pouvoir me passer de remettre l’ouvrage sur le métier à bien des reprises. Un psaume me réveille : « Qui regarde vers lui resplendira, sans ombre ni trouble au visage ». Regarder la lumière du Seigneur et non mes ombres. Les noter mais pour les lui remettre aussitôt ; je ne suis pas de taille dans ce combat. Je peux me battre sur le chantier du travail : persévérance, patience, courage parfois. Mais je ne peux lutter contre ce découragement qu’en me tournant vers toi Seigneur. Dominique Pollet

Nouvelle revue Vie Chrétienne – septembre/octobre 2015

© Christian Müller / istock

Et puis, petite touche par petite touche, des ombres se glissent, des doutes s’immiscent. Quelques différences d’approche parmi les commanditaires prennent à mes yeux couleur de divergences. La nécessité de trouver des solutions techniques pourrait me faire croire à un mauvais choix dans la conception générale. Je regarde d’autres réalisations en me disant que leurs créateurs ont certainement su éviter ces écueils.


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