Nouvelle Revue Vie chrétienne N°38

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Vie chrétienne Nouvelle revue

C h e r c h e u r s

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D i e u

P r é s e n t s

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M o n d e

B I M ESTR I EL DE L A COM M U NAUTÉ VI E CH RÉTI EN N E ET DE SES AM IS – Nº 38 – NOVEM B R E/DÉCEM B R E 2015

Pour une conversion écologique joyeuse Avec les réfugiés Miséricorde dans les Exercices spirituels


NOUVELLE REVUE VIE CHRÉTIENNE Directeur de la publication : Jean Fumex Responsable de la rédaction : Marie-Élise Courmont Rédactrice en chef adjointe : Marie-Gaëlle Guillet Comité de rédaction : Marie-Élise Courmont Jean-Luc Fabre s.j. Marie-Gaëlle Guillet Marie-Thérèse Michel Laetitia Pichon Comité d'orientation : Marie-Agnès Bourdeau Nadine Croizier Marie-Claude Germain Anne Lemant Claire Maillard Étienne Taburet Fabrication : SER – 14, rue d’Assas – 75006 Paris www.ser-sa.com Photo de couverture : VvoeVale/iStock Impression : Corlet Imprimeur, Condé-sur-Noireau

ISSN : 2104-550X 47, rue de la Roquette – 75011 Paris Les noms et adresses de nos destinataires sont communiqués à nos services internes et aux organismes liés contractuellement à la CVX sauf opposition. Les informations pourront faire l’objet d’un droit d’accès ou de rectification dans le cadre légal.

le dossier

Sommaire éditorial

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l’air du temps Qui sont les cathos aujourd’hui ? Yves de Gentil-Baichis chercher et trouver dieu

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Pour une conversion écologique, joyeuse Témoignages Passer du moins vivre au mieux vivre Patrick Viveret Dieu, ma saveur Isabelle Pellegrino Puisque tout est lié, il faut tout intégrer ! Luc Dubrulle babillard se former Pour une prière de petits gestes Miguel Roland-Gosselin s.j. Vous avez dit consacrés ? Sylvie Robert s.a. Ezéchiel (1re partie) : Un prophète au temps de la déportation Marie-Agnès Bourdeau De la Bible aux Exercices spirituels : la miséricorde Pierre Gibert s.j. Le second tour en réunion Denis Corpet ensemble faire communauté Retraites à la carte D'autres approches des Exercices Open CVX : partir à la rencontre des jeunes Le DESE en famille Auprès des réfugiés Des livres pour le monde billet Des signes et du sens Rachel Tsehaye prier dans l'instant Devant une corde à linge Catherine Raphalen

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La revue n’est pas vendue, elle est envoyée aux membres de la Communauté de Vie Chrétienne et plus largement à ses « amis ».

CHACUN PEUT DEVENIR AMI OU PARRAINER QUELQU’UN. Il suffit pour un an de verser un don minimum de : l 25 € l 35 € si je suis hors de France Métropolitaine l Autre (50 €, 75 €, 100 €…) n Par virement : RIB 30066 10061 00020045801 60 IBAN FR76 3006 6100 6100 0200 4580 160 – BIC CMCIFRPP n Par versement en ligne sur viechretienne.fr/devenirami n Par chèque bancaire ou postal à l’ordre de Vie Chrétienne À envoyer à SER – VIE CHRÉTIENNE – 14, rue d’assas – 75006 Paris – amis@viechretienne.fr

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Éditorial

«

affaire de cœur

Dans ‘Expérience de Dieu’, une religieuse auxiliatrice parle de la vie consacrée (p. 22-23). Dans ‘Spiritualité ignatienne, la notion de miséricorde est reprise à la lumière des Exercices Spirituels (p. 27-29). Les pages 36-37 évoquent le camp d’expériment avec les migrants organisé en Sicile par la CVX Europe et une expérience d’accueil. Le dossier sur l’écologie (p. 6 à 18) incite à la réflexion, personnelle et de groupe, pour trouver le sens des gestes concrets à poser pour la planète ; il voudrait aider à voir comment ils touchent notre relation à Dieu et aux autres et peuvent être source de créativité et de joie.

»

© Davincidig / iStock

Année de la vie consacrée… année de la miséricorde ; encyclique invitant à une conversion écologique ; exhortation pour l’accueil des migrants… L’Église à travers les évènements qu’elle suscite indique aux fidèles des points d’attention pour la vie chrétienne. Cela nous concerne ; aussi la revue s’en fait-elle l’écho, à sa manière, marquée par la spiritualité qui l’anime.

‘Conversion’, ‘miséricorde’, ‘accueil’… ces mots invitent à une attitude du cœur. Les orientations données par l’Église ne sont ni des idéologies à véhiculer, ni des obligations à s’acquitter ; elles sont affaire de cœur. Pour ce temps de l’Avent qui vient, demandons seulement la grâce d’aimer, en actes et en vérité. Marie-Élise Courmont

redaction@editionsviechretienne.com

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L'air du temps

qui sont les cathos aujourd’hui ? Une étude révèle qu’en France l’archipel catholique est éclaté. Les diverses générations s’ignorent et dépassent mal leurs divergences.

Q Yves de GentilBaichis, longtemps journaliste à La Croix, a publié de nombreux ouvrages. Parmi les derniers aux Éditions vie chrétienne : Résister et oser l’espérance, entretiens avec Michel Rondet s.j.

Que dire des catholiques d’aujourd’hui ? On peut répondre de deux manières à cette question complexe. D’abord en publiant les résultats d’un sondage1 révélant que 56 % des Français continuent de se déclarer catholiques et que 15 % se disent pratiquants. On apprend aussi que ce dernier groupe compte plus de femmes, de personnes âgées et d’électeurs de droite que la moyenne des Français. Mais nous ne sommes guère plus renseignés sur la manière dont ces cathos croient et pratiquent les valeurs évangéliques.

C’est là où l’enquête qualitative réalisée par un professeur de l’université de Bordeaux et son équipe2 est intéressante. Elle nous aide à mieux comprendre les parcours des catholiques pratiquants d’aujourd’hui, les manières différentes dont ils vivent leur foi, leur attachement au Christ et à l’Église.

L’image renvoyée par les médias Beaucoup sont perturbés par l’image, souvent négative, que les médias donnent d’eux car présentant souvent le catholicisme comme une religion archaïque, 4

décalée et ringarde par rapport à la société et qui, en plus, cherche à imposer sa vérité. Quoi qu’ils fassent, les cathos ont l’impression de n’être jamais jugés sur leurs engagements pour la solidarité ni présentés tels qu’ils sont réellement, mais stigmatisés à partir de clichés médiatiques (refus du préservatif, opposition au mariage gay, mise à l’écart des divorcés remariés, prêtres pédophiles). Et ils souffrent de ne pouvoir modifier cette image. D’autre part, révèle l’enquête, les catholiques vivent dans des réseaux qui se juxtaposent sans se croiser et ils dépassent mal leurs divergences. Dans l’archipel catholique, très éclaté, les générations s’ignorent et ne réalisent pas que leur expression du catholicisme est le fruit d’une expérience historique particulière. Aussi ont-ils tendance à penser que leur position est la seule qui soit légitime. Or il est impossible de comprendre la situation actuelle si l’on ignore les évolutions qui ont marqué le monde catholique depuis 80 ans, note l’enquête, qui rappelle quelques étapes essentielles.

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Des évolutions accélérées Dans les années trente, les mouvements d’Action catholique souhaitent rechristianiser la société française. Chaque militant devient missionnaire dans son quartier, son usine. Mais cela ne suffit pas à enrayer la déchristianisation. Après la guerre, on insiste sur l’immersion des croyants dans la masse. Les prêtres-ouvriers adoptent intégralement la vie de ceux qu’ils veulent évangéliser. C’est le levain dans la pâte. De leur côté, les élites catholiques, découvrent qu’un monde nouveau est en train de naître, et elles veulent y être présentes en s’investissant dans les luttes politiques et sociales de libération de l’homme pour manifester que Dieu répond aux attentes des hommes. Le concile Vatican II est reçu comme un appel pour annoncer l’Évangile dans des temps nouveaux.

Le tournant Jean-Paul II L’accent change avec l’arrivée de Jean-Paul II. Les nouvelles communautés religieuses veulent affirmer une identité catholique


nombreux clivages Les « spirituels » accordent peu d’importance aux réactions des médias vis-à-vis de l’Église. Le christianisme, disent-ils, est une religion de simplicité, d’humilité, de don de soi, de présence auprès des plus démunis. Les médias, surtout intéressés par les gens brillants se mettant en avant pour faire parler d’eux, comprennent mal les comportements inspirés par l’Évangile. Les « pondérés », qui ont souvent un haut niveau d’études, font une double critique. Aux journalistes, d’abord, qu’ils accusent de traiter superficiellement des sujets religieux et de ne s’intéresser qu’à l’aspect anecdotique et folklorique du catholicisme. Mais ils

© Tai11 / iStock

Au cours des années 2000, cette tendance va s’accompagner d’une défiance croissante des catholiques à l’égard de la société car ils ont l’impression d’être victimes de « maltraitance médiatique ». Impression renforcée au moment des polémiques qui suivent l’élection de Benoit XVI. Mais tous les pratiquants ne vivent pas de la même manière cette « maltraitance », l’enquête distinguant plusieurs attitudes chez les catholiques. reprochent aussi aux autorités ecclésiales, qui ont souvent un discours déconnecté de la société, de ne faire aucun effort pour apprendre à communiquer avec le monde de la presse. Les « défensifs », sensibles au climat ambiant qu’ils trouvent anti-catholique, dénoncent un dessein calculé de nuire aux pratiquants. Aussi veulent-ils exprimer fièrement leur foi, en manifestant et en allant jusqu’à faire des procès, si nécessaire.

© Tai11 / iStock

forte. Les pratiquants désirent devenir crédibles, non pas en s’associant aux luttes pour la libération de l’homme, mais en témoignant de l’expérience personnelle d’une rencontre avec Dieu.

positions semblent un peu avoir évolué depuis l’élection du pape François qui, par son ouverture au monde, suscite une forte attente. La planète catholique, traversée par de nombreux clivages, est très complexe, révèle donc l’enquête. Et les auteurs constatent qu’aujourd’hui, aucune structure ecclésiale ne permet aux catholiques de sensibilités différentes de se rencontrer pour apprendre à se connaître et à se respecter. On peut le regretter.

Enfin les « réformateurs » estiment que la mauvaise image médiatique des catholiques provient des positions archaïques des autorités ecclésiales surtout préoccupées, selon eux, de rappeler la morale sexuelle. Sur ce point, les

Yves de Gentil-Baichis

1. Sondage IFOP réalisé du 27 février au 9 mars 2015 pour Le Pèlerin. 2. Qui sont les cathos aujourd’hui ? Yann Raison du Cleuziou DDB 2014.

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Chercher et trouver Dieu

pour une conversion écologique, joyeuse « Dieu vit que cela était bon ». Partout dans la Bible, spécialement dans l’Ancien Testament, la nature et ses manifestations sont des lieux d’expression de l’Amour divin pour l’homme : arc-en-ciel symbole de l’Alliance, manne tombée du ciel, brise douce où habite l’Esprit… Et nous ? Quel regard portons-nous sur la Création ? Si l’écologie est à la mode, la planète n’est-elle pour nous qu’un symbole d’angoisses – limitation des ressources, détérioration d’un bien commun, risque de catastrophes liées aux progrès humains – ou (sans nier les dangers qui peuvent survenir) une perspective de renouveau ? Regarder, agir, vivre ensemble différemment, c’est ce que promet une écologie pacifiée, bienveillante et positive : le vert est une couleur d’espérance ! Une écologie terrestre accouchant d’une écologie humaine : c’est l’une des idées forces de l’encyclique de François « Laudato si ». Changer notre regard sur et par l’écologie, cela se travaille. A l’école (p.9), au moyen d’un jardin communautaire (p.8), à travers le développement d’un éco-quartier (p.11) sont lancés des défis de créativité et de fraternité. Ces lieux de vie et de travail sont, comme tant d’autres, des lieux d’évangélisation où peut s’accomplir la « conversion heureuse », ce chemin de grande randonnée vers le Royaume. Jean François

© Yaruta / iStock

TÉMOIGNAGES Un jardin extraordinaire . . . . . . . . . . . . . . . . 8 Une « éco-école »… pour grandir en humanité. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 Amélioration en continu. . . . . . . . . . . . . . . 10 Éco-quartier : se sentir acteur du développement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 CONTRECHAMP Passer du moins vivre au mieux vivre. . . . .. .12

ÉCLAIRAGE BIBLIQUE Dieu, ma saveur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .14 REPÈRES ECCLÉSIAUX Puisque tout est lié, il faut tout intégrer !. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..16

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POUR ALLER PLUS LOIN . . . . . . . . . . .18

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Chercher et trouver Dieu

Témoignages

un jardin extraordinaire S’engager dans un jardin familial va plus loin que simplement s’occuper de sa terre, a découvert Colette. De belles rencontres improbables, une ouverture à d’autres rythmes et un nouvel équilibre intérieur sont les fruits surprenants de ce jardin bio en ville.

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Est-ce que je vais pouvoir tenir à m’occuper d’un potager une heure par jour ? C’est la question qui me taraudait lorsque j’ai répondu à cette proposition de ma ville de banlieue parisienne. Un ancien terrain de foot inconstructible allait être converti en jardins familiaux. C’est-à-dire pas seulement des jardins potagers, mais un lieu de vie avec aires de jeux et promenades. Une cinquantaine de jardins a été installée, sans clôture, juste des bornes délimitant les espaces pour que la

contres fortuites de jardin m’ont également aidée à faire tomber des clichés que j’avais. Une petite fille dont les parents ont aussi pris un jardin vient parfois m’aider. Je fais des échanges de légumes avec elle et ses parents : haricots verts, framboises… C’est ainsi que j’ai mieux connu ce couple dont la femme était voilée. Je ne connaissais personne sur ma ville depuis dix ans que je m’y étais installée, car toutes mes activités y étaient à l’extérieur. Depuis que j’ai ce jardin, je m’y suis fait des amis. On se téléphone pour s’y retrouver.

communication soit plus facile. Cela nous a bien aidés car comme nous avons tous commencé sans rien y connaître, nous faisions des erreurs en même temps, mais nous pouvions aussi plus facilement échanger des techniques, des coups de mains. Lorsque l’un part en vacances, les autres arrosent sa parcelle. Or comme tout se fait à l’arrosoir pour économiser l’eau, car ce sont des jardins soucieux de préserver l’environnement, proposer son aide est un véritable engagement et un gage d’amitié ! Ces ren-

© Halfpoint/istock

Nous devions être deux par jardin pour un cabanon. Je l’ai proposé à mon voisin de palier qui était très réservé. Depuis il s’ouvre plus aux autres. Il n’y a pas que la nature qui fleurit.

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Finalement j’y suis trois à quatre heures par jour dans ce jardin. Cela me permet de décompresser, de me faire des amis et d’être autonome en légumes sur l’année. Que du bio et du bon ! Colette


une éco-école… pour grandir en humanité !

J

J’avais entendu parler d’une initiative finlandaise d’éco-école. J’étais personnellement sensible à l’écologie et en même temps animée de la volonté d’être force de proposition et d’innovation pédagogique pour l’école. J’ai engagé l’établissement dans cette demande de label. Depuis six ans, nous obtenons le label éco-école chaque année. Cette démarche demande du travail pour toute l’équipe pédagogique : groupe de pilotage, « délégués verts », productions pour la demande de label… Par exemple, la première année, la thématique a été celle des déchets. Cela a été travaillé dans chaque classe, ce qui a débouché sur des actions concrètes : les enfants récupèrent les papiers dans leur classe, organisent les goûters sans déchets, trient à la cantine, récupèrent l’eau des carafes dans des arrosoirs pour arroser le petit jardin de l’école… Cette année nous avons comme thème : « NourritureS : Energie pour la Vie ». Nous allons sensibiliser les enfants à « mieux se nourrir pour la planète » et à la surconsommation pour les conduire vers une « sobriété heu-

reuse ». Nous en profiterons aussi pour parler des vêtements : leur fabrication depuis le point de départ et les conditions de fabrication, le port des marques, le recyclage… Lors de notre lancement d’année, nous avons déjà commencé à réfléchir sur les nourritures qui nous donnent de l’énergie pour vivre ! Les enfants ont su dire ce qui les nourrissait : la famille, les câlins, les amis, un beau paysage… Les enfants sont surprenants et ce qu’ils expriment est fort et beau. Les familles sont informées lors de réunions de ces thèmes menés à l’école et les parents sont invités aussi à réfléchir à la maison avec leurs enfants. Je suis persuadée que la santé de nos sociétés et de nos collectifs est directement liée à la qualité des relations interpersonnelles que nous entretenons les uns avec les autres et que la santé de chacun dépend de la relation intrapersonnelle qu’il a avec luimême. D’où l’importance de la connaissance de soi et donc de sa vie intérieure pour pouvoir mieux

© Moodboard / Moodboard

Directrice d’école, Danielle a engagé son établissement dans une conversion de fond grâce à la démarche « éco-école ». Ce ne sont pas seulement des connaissances sur le développement durable qui sont recherchées mais un développement de l’intériorité, de la pensée et de la complexité.

vivre avec les autres. C’est ce que nous essayons de développer avec les enfants mais aussi avec les adultes. Nous voyons l’ampleur des révolutions mentales qui restent à effectuer et qui lient la transformation éducative, à celle personnelle et sociale. Car si nous ne parvenons pas à promouvoir cette éducation complexe, le risque est grand pour la société ! Il y a urgence !

Éco-École est un programme international d’éducation au développement durable (EDD) développé en France par l’office français de la Fondation pour l’éducation à l’environnement en Europe (of-FEEE). Cette association à but non lucratif, qui a aujourd’hui 30 ans d’expérience aide les différents acteurs de la société à comprendre la complexité du développement durable et les encourage à s’engager dans l’action afin d’accompagner la transformation de notre société.

eco-ecole.org/

Danièle novembre/décembre 2015

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Chercher et trouver Dieu

Témoignages

amélioration en continu Malgré l’image de pollueur, ce transporteur routier s’est engagé dans un processus d’amélioration constante de son impact écologique. Cela a permis la survie de l’entreprise mais aussi des changements profonds pour tout le personnel.

T

Tout a commencé par l’ouverture des frontières européennes en 2006 suivie par la crise économique de 2008. Possédant une entreprise de transport et de déménagement de 250 personnes, nous avons dû faire face à une très forte concurrence étrangère. Comme nous ne pouvions pas nous démarquer du point de vue du prix, la stratégie a été repensée. Comment être différent de nos concurrents ? Par la qualité, des certifications et des gains de productivité dans des domaines comme le traitement des déchets, la baisse de consommation de nos camions…

© Sodapix / Sodapix

Le tri en interne des papiers, du bois, de la ferraille, des huiles usagées n’allait pas assez loin.

Dans la poubelle de déchets non recyclables, différents supports recyclables étaient encore déposés : les films d’emballage, les supports d’étiquette, le papier bulle, les pare-chocs de camion… Maintenant, chaque type de déchets a son propre container. Chaque agence de notre Groupe trie ses propres déchets. Ensuite tout est rapporté au siège où nous avons investi dans une presse. Cela nous permet de reconditionner nos déchets et de les vendre. Ainsi, malgré le temps de traitement et le transport, cette opération est devenue économiquement rentable. En tant qu’entreprise de transport, notre première solution écologique est bien sûr d’agir sur la consommation de carburant. Tous nos chauffeurs sont maintenant formés à l’éco-conduite, chaque mois ils reçoivent un bilan de leur conduite analysée par l’informatique embarquée dans les camions. En huit ans, nous avons ainsi baissé de 30% la consommation et de 50% le nombre d’accidents ! Cette recherche d’amélioration a des effets directs sur les salariés,

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nos rapports à nos déchets personnels et professionnels ont changé : tri des gobelets de café, papiers recyclés, impressions recto-verso… et une certaine fierté à travailler dans une entreprise qui cherche à progresser. Nous avons aussi des actions de sensibilisation sur nos clients : ainsi les agences de déménagements proposent le choix entre cartons usagés ou neufs pour emballer certains objets moins délicats et nous informons sur notre production de CO2 pour leur transport. J’avais bien conscience que tous doivent s’y mettre pour sauver la planète, j’avais été sensibilisé lors du chemin de Compostelle fait en famille. Ce chemin spirituel et d’immersion dans la nature nous a permis de mieux intérioriser la nécessité de la protéger. Il faut aussi reconnaître que si la survie économique nous a poussés à nous engager toujours plus loin, l’encyclique « Laudato Si » nous encourage encore dans cette voie. Bertrand


éco-quartier : se sentir acteur du développement Près de Lille, un nouveau quartier misant sur l’Homme et son environnement a vu le jour. Récemment installé, Jean-Marie découvre qu’un nouveau regard sur ses voisins est possible. Créativité et solidarité sont en marche.

Dès notre installation, nous avons eu la chance d’avoir quelques repères et contacts. Hospitaliers à Lourdes, nous avons retrouvé dans un foyer d’accueil médicalisé et dans une EHPAD des amis handicapés ou malades que nous accompagnons tous les ans à la grotte. Nous avons le plaisir de côtoyer une fraternité œcuménique de six religieuses, dont

© Humanicité

S

Sous un toit qui avait abrité notre famille et mon cabinet libéral, les enfants partis, nous étions dans un volume bien trop important. Tentés par l’expérience de re-bâtir une nouvelle vie dans un quartier neuf, nous nous sommes installés dans un éco-quartier basé sur la mixité socio-économique, culturelle et générationnelle et le désir de mettre l’homme au centre du projet. Les constructions portent le souci de réduire la consommation énergétique. Les espaces verts sont utilisés pour récupérer les eaux pluviales et la gestion des déplacements privilégiant les flux doux incite à l’utilisation des transports en commun. Nous y vivons depuis 18 mois, dans une résidence neuve de 36 appartements.

nous connaissions déjà celles qui se rendaient sur notre paroisse. Depuis que nous sommes sur « Humanicité », notre nouveau quartier, nous avons pu commencer à vivre ce pour quoi nous y étions : nous nous sentons acteurs de l’organisation humaine de notre environnement. Les « ateliers d’Humanicité », rapidement implantés, sont là pour stimuler la créativité des habitants et leur permettre de tisser des liens. L’image du jardinier a récemment été utilisée lors d’un forum ouvert : La terre fertile, ce sont les habitants, les graines, leurs idées, les ateliers étant l’eau et le soleil qui favorisent la croissance.

La réalisation des objectifs fixés demandera du temps. Les relations du quartier avec la ville ne sont que balbutiements. Nous vivons encore au milieu de chantiers qui rendent difficiles l’accessibilité et les flux doux. Aucun commerce n’est encore implanté, seules quelques activités tertiaires existent. Mais une dynamique se met en place. Nous constatons depuis notre installation que nous avons un nouveau regard sur l’autre que nous croisons : il n’est plus l’anonyme mais le partenaire de la construction et de l’élaboration de notre nouveau quartier de vie et de ville où nous apprenons peu à peu à nous connaître, à nous découvrir, à partager, à créer des liens et à jouer la solidarité. Jean-Marie

humanicite.fr

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Chercher et trouver Dieu

Contrechamp

passer du moins vivre au mieux vivre Depuis des années, les partis dits « verts » et beaucoup d’hommes politiques présentent une vision de l’écologie largement fondée sur les menaces encourues par la Terre et sa population. Sortir d’une écologie de la peur  est possible selon Patrick Viveret, philosophe.

I Patrick Viveret, est un philosophe qui a beaucoup réfléchi sur les questions de l’écologie et de l’humanisme fraternel. Il vient de publier « Fraternité, j’écris ton nom ! » aux Éditions Les liens qui libèrent.

Il est vrai que beaucoup de discours présentent des solutions punitives à la question que pose la limite des ressources de notre planète. Ils empruntent, en cela, à la face sombre du religieux : sa dimension purement sacrificielle. Ce qui n’est pas le cas de la dernière encyclique papale. [Laudato si]. Mais les tendances actuelles alimentaires, énergétiques, le rapport à l’eau, etc. ne peuvent être prolongées. Certains se complaisent, à l’inverse, dans l’aveuglement : « nous dansons au bord du gouffre, mais tant que la musique joue… » Des mouvements associatifs récents comme Alternatiba, les forums alternatifs qui se tiennent en marge des grandes conférences sur l’environnement partent de l’idée qu’on ne peut se limiter à réfléchir sur le risque. Qu’il est nécessaire de construire un imaginaire positif et, si nécessaire, post-catastrophique. Il y a, derrière cette réflexion, un questionnement, non

pas sur le « vivre moins » mais sur le buen vivir, le bien vivre. Ce qui n’exclut pas la notion de frugalité, de décroissance… Dans certaines conceptions, la croissance voisine avec la démesure. Le philosophe Miguel Benasayag (qui s’inspire de Spinoza) appelle cela les passions tristes. La démesure engendre un mal être, une angoisse. On le constate dans de nombreuses tendances actuelles : le gaspillage économique, les inégalités croissantes, la spéculation financière. Un article célèbre du Wall Street Journal indique que « Wall Street ne connaît que deux sentiments : l’euphorie ou la panique. » Selon le Programme des Nations Unies pour le développement, les dépenses de toxicomanie équivalent à dix fois les dépenses qui permettraient de satisfaire les besoins vitaux de l'humanité (eau, nourriture…). Le buen vivir suppose un mode de vie plus sobre mais cette

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sobriété doit être heureuse. On peut par exemple changer d’habitudes alimentaires sans se priver. Adopter un régime carné plus modéré… Cette sobriété heureuse passe, comme le titre de votre dossier, par une conversion heureuse. C’est en effet un changement de posture radical. Mais qui se situe du côté de la joie de vivre. Et qui n’oublie pas, comme le dit Edgar Morin, les grandes fêtes. Ce changement fait aussi appel à l’énergie. Car l’angoisse contemporaine pompe nos énergies. Énergie, joie de vivre, cela ne se décrète pas… Certes, mais cela se construit. C’est un chemin de sagesse et d’humanité. Pour les chrétiens, le projet consiste à chercher « le Royaume de Dieu [qui] est en vous ». Toutes les spiritualités ont cette quête. Bouddha, par exemple, l’a dit : « tous les hommes sont ‘éveillés’. Le problème est que la plupart sont distraits… » Et toutes ces spiritualités axent cette recherche


La transformation nécessaire doit aussi être collective. Peuton compter sur la politique pour cela ? Même quand les politiques nous déçoivent, il peut y avoir un Gandhi, un Mandela qui inversent le cours des choses. Ou, à des niveaux plus modestes, des élus locaux. Pour opérer une vraie transformation, l’écologie, politique ou non, doit passer par trois postures : la résistance – non pas passive ou de pure opposition mais créative – aux modes de développement actuels. La vision transformatrice, qui débloque l’imaginaire et enfin l’expérimentation qui permet le progrès, anticipe sur la société de demain. Il est important que les politiques se convertissent dans leur rapport au pouvoir. En se saisissant du double sens de ce mot "pouvoir" : l’exercice de responsabilités mais aussi un infinitif synonyme de potentialités, celui du pouvoir créateur. Pour que le pouvoir ne soit plus un objet de conquête pour ceux qui rêvent d’exercer une domination, il faudrait par exemple réfléchir à la notion d’élection sans candidats. Comme celle qui désigne le pape… Par où doivent-ils commencer ? Quelles solutions privilégier ? La question financière est primordiale. On ne peut pas changer la planète sans les pays pauvres. Or, ils n’ont guère les moyens de contribuer. Pour le fonds cli-

© Nopparit / IiStock

sur l’être. Se cantonner à l’avoir ne permet pas d’atteindre au bonheur.

mat, destiné à lutter contre la progression des gaz à effet de serre, on a pour l’instant réuni à peine 10 milliards de dollars. L’objectif de la conférence de Paris, la Cop 21, est d’atteindre au moins 100 milliards de dollars… Or c’est à peu près la somme qui s’évade chaque année au lieu de grossir les impôts des pays. L’argent de la transition écologique est dans les paradis fiscaux qui brassent environ 20 000 milliards de dollars. Qui d’autre peut montrer le chemin ? Les mouvements associatifs, artistiques, religieux. En juillet, un « sommet des consciences » s’est réuni au Conseil économique, social et environnemental, pour préparer la Cop 21. Ces mouvements sont déjà au travail, et dans une logique de lien entre eux, de « reliance ». A travers par exemple

les expériences de dialogue en humanité, les grands forums sociaux mondiaux. Les individus aussi changent. Une enquête des sociologues américains, Sherry Anderson et Paul Rey, a montré qu’une part non négligeable (entre 12 et 25%) des jeunes a déjà changé de posture (par rapport à la génération précédente) en ce qui concerne l’écologie mais aussi les rapports hommes-femmes, le couple être-paraître, l’implication spirituelle… c’est grâce à tout cela que « Ca ne va pas plus mal » 1. Mais il faut persévérer. Dégager la nappe phréatique de la joie de vivre en nous. Le seul forage écologiquement utile, c’est en soi-même. Propos recueillis par Jean François 1. Titre de l’un de ses ouvrages : « Pourquoi ça ne va pas plus mal ». Fayard, 2005.

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Chercher et trouver Dieu

Éclairage biblique

DIEU, MA SAVEUR ses promesses envers toi 03 qui écoutes la prière. Jusqu’à toi vient toute chair 04 avec son poids de péché ; nos fautes ont dominé sur nous : toi, tu les pardonnes. 05 Heureux ton invité, ton élu : il habite ta demeure ! Les biens de ta maison nous rassasient, les dons sacrés de ton temple ! 06 Ta justice nous répond par des prodiges, Dieu notre sauveur, espoir des horizons de la terre et des rives lointaines. 07 Sa force enracine les montagnes, il s’entoure de puissance ; 08 il apaise le vacarme des mers, le vacarme de leurs flots et la rumeur des peuples. 09 Les habitants des bouts du monde sont pris d'effroi à la vue de tes signes ; aux portes du levant et du couchant tu fais jaillir des cris de joie. 10 Tu visites la terre et tu l'abreuves, tu la combles de richesses ; les ruisseaux de Dieu regorgent d’eau : tu prépares les moissons. Ainsi, tu prépares la terre, 11 tu arroses les sillons ; tu aplanis le sol, tu le détrempes sous les pluies, tu bénis les semailles. 12 Tu couronnes une année de bienfaits ; sur ton passage, ruisselle l'abondance. 13 Au désert, les pâturages ruissellent, les collines débordent d’allégresse. 14 Les herbages se parent de troupeaux et les plaines se couvrent de blé. Tout exulte et chante !

N

Nous héritons de notre foi en Dieu à travers celle d’Abraham, des prophètes, des apôtres, de Jésus… de nos familles, mais aussi à travers celle de personnes toutes simples dont parfois le nom n’apparaît pas dans la Bible, ni dans nos vies  : le centurion, le voleur, la veuve, l’aveugle, le sourire d’un passant, le bonjour d’un voisin, la patience d’une caissière… le psalmiste. Le psalmiste inconnu dans l’Écriture et pourtant si proche de nos vies… Il a des milliards de noms, de visages : les nôtres… Il est l’invitation incessante de Dieu à nous laisser aimer de Lui, à nous convertir, à respecter l’humanité ainsi que notre terre. Il est celui qui nous aide à prier le

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Traduction AELF

Créateur dans ce travail d’enfantement afin que notre conversion devienne peu à peu plus heureuse et même, pourquoi pas joyeuse… Dans les versets de 2 à 5, les lieux de la prière ont une place particulièrement importante : la ville de Sion, la demeure, le Temple. « Sion » désignait à la fois des lieux géographiques et tout ce qui personnifiait la présence et la bénédiction de Dieu. Le psalmiste reconnaît la beauté de l’action de grâce quand elle retourne à Dieu. Il l’exprime comme un poème, élan de sa prière. Nous pouvons percevoir à quel point Dieu est accueilli dans sa vie comme un sauveur qui écoute, pardonne, donne en abondance… Ces dons sont sacrés, ce sont ceux du temple.

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02 Il est beau de te louer, Dieu, dans Sion, de tenir


Ce même temple dont Jésus dira qu’il le rebâtira en trois jours, nous invitant à le découvrir en nos cœurs pour y construire la « demeure » de Dieu. Dans les versets de 6 à 9, la justice de Dieu apparaît aux yeux du psalmiste comme un espoir pour tous sans exception, un cadeau offert de manière universelle, des prémices de la victoire de Jésus «pour qu’aucun ne soit perdu ». Que ce soit dans l’histoire du peuple d’Israël, dans celle de l’humanité, Dieu créateur de toute vie est celui qui enracine, apaise, combat le chaos, le vacarme, le désordre, inspire le respect. Il devient celui « qui est » du ciel à la terre et de la terre au ciel, « de l’univers visible et invisible »… Cet univers, d’où jaillissent des gouttes d’eau vive parfois si petites qu’elles sont invisibles à l’œil nu, capables de se transfigurer en ‘fleuves d’eaux vives’ : des progrès scientifiques au service du respect de la vie, des terres préservées, soignées, pour la sauvegarde de toutes ‘espèces vivantes’ en souffrance sur notre terre, les naissances de tant d’enfants et le sourire de leurs parents malgré les difficultés économiques et sociales de notre temps. Ce monde, dans lequel nous pouvons voir des personnes qui agissent et prient, chacun dans leur foi, souvent dans l’humble obscurité de leur quotidien… Dans les versets de 10 à 13, à travers la visite de Dieu on peut percevoir ici les fruits de l’Alliance. Les bénédictions du créateur ressemblent à celles d’un paysan prenant amoureusement soin de sa terre et se réjouissant de ses fruits. Et ce, année après année… la terre est reine aux yeux de Dieu qui la couronne de bienfaits. Un air printanier se fait sentir dans ces quelques versets où on peut en déceler l’abondante fécondité… Comment ne pas penser à tous ceux qui préparent pour nous la terre de nos cœurs pour que nous accueillions Dieu dans nos vies… comme l’ont fait les prophètes, Jean-Baptiste, Jésus mais aussi tous ceux et celles qui ont été à la croisée de nos chemins.

Comment ne pas rester debout, en marche sur cette terre où nos yeux contemplent son infinie beauté, les arbres se dressant vers le Ciel et la moindre semence de vie trouvant toujours son chemin même si le sol n’est pas toujours favorable ? La faune et la flore devenant d’insondables prémices de fécondité, nous apprenant à respecter la vie créée par Dieu. Comment ne pas marcher au rythme de la Terre et entendre la prière monter en nous ? « Que mon cœur te ‘bénisse et n’oublie aucun de tes bienfaits’, que ma mémoire te rende grâces, Dieu, ma Saveur… » Isabelle Pellegrino CVX

pistes pour prier + Le matin je me mets en présence de Dieu,

Père, créateur et origine de toute vie. J e lis le psaume. + Tout au long du jour, je rends mes sens attentifs et mon cœur vigilant  : - au sol où je marche ; - aux sons du quotidien, les voix, la ville, la campagne, là où je vis ; - à ce (ceux) que je touche : objets, personnes, eau, nourriture… et à ce (ceux) par quoi (qui) je suis touché, rejoint… - à ce (ceux) que je regarde : personnes, animaux, végétaux, pierres et terres, créations et transformations de mon environnement ordinaire ; - à ce que je sens, et par l’odorat et dans mon intériorité, ce que je goûte… Dieu notre Sauveur mais aussi notre Saveur… + Le soir, avant le coucher, je laisse venir à mes facultés (mémoire, intelligence, volonté ou mon cœur) ce qui remonte de mon intériorité pour les rendre au Créateur, origine de toute Vie… + Je m’abandonne en ses mains pour la nuit… novembre/décembre 2015 15


Chercher et trouver Dieu

Repères ecclésiaux

puisque tout est lié, il faut tout intégrer ! Vrai succès de librairie, l’encyclique du pape François Laudato si porte une attention soutenue à l’écologie intégrale, souligne pour nous le P. Luc Dubrulle. Loin de toute école partisane, elle reprend le développement intégral de l’homme et donne une place à chacun pour la sauvegarde de la maison commune qu’est la terre. Ce n’est plus une option, mais, des gestes d’amour pour suivre la volonté de Dieu.

T

« Tout est lié » : l’expression sonne comme un refrain tout au long de l’encyclique Laudato si. Au fil des chapitres, François égrène les interactions multiples entre les hommes, entre les hommes et la nature, entre les hommes et Dieu. Ce n’est pas un choix, c’est une donnée, c’est le réel : tout est lié. Comme nous abîmons la nature, nous nous abîmons les uns les autres, nous blessons notre relation au Créateur et nous nous blessons nous-mêmes. Ce « tout est lié », nous avons à l’observer, l’analyser, le contempler, l’accueillir et à y consentir.

P. Luc Dubrulle, président-recteur délégué de l’Université catholique de Lille et membre du comité scientifique du CERAS.

Et si « tout est lié », alors toute approche fragmentaire, partielle, qui ne prendrait en compte qu’un point de vue, est vouée à l’échec. La solution ne peut être qu’intégrale. Il faut « un regard plus intégral et plus intégrant ». Notons que le dialogue avec toutes les parties concernées, dont Dieu, fait partie de ce regard. Dieu n’a pas seulement créé les êtres humains et les organismes, il a créé

les systèmes. Comprendre les écosystèmes, c’est donc comprendre un peu plus l’acte créateur de Dieu et son projet. L’habitation de l’homme dans les écosystèmes doit s’insérer dans la dynamique de la création divine.

écologie intégrale ou développement authentique Puisque la solution doit être intégrale, François pose le concept d’ « écologie intégrale ». Il ne faudrait pas trop vite se tourner vers des explications externes, encore moins des théories externes pour comprendre ce dont il s’agit. D’ailleurs, la première fois qu’il utilise le terme, c’est à partir de François d’Assise : le poverello constitue la figure de l’homme réconcilié qui vit l’harmonie de toutes les relations. Et puis, la doctrine sociale de l’Église se déploie en accueillant des données extérieures mais à partir de son propre socle, toujours in statu possessionis. François construit le concept d’« écologie intégrale » dans la droite ligne

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du « développement intégral » cher au P. Louis Lebret et magistralement déployée par Paul VI en 1967 dans l’encyclique du développement, Populorum progressio : « Pour être authentique, le développement doit être intégral, c’està-dire promouvoir tout homme et tout l’homme » (n° 14). En 2015, l’ « écologie intégrale » est le nouveau nom du développement authentique. La question sociale du XIXe n’est plus seulement devenue la question mondiale du XXe, elle est aussi la question écologique du XXIe siècle. Le concept d’écologie intégrale est donc construit de manière analogique à partir de celui du développement intégral mais aussi de ceux d’ « évangélisation intégrale » et de « salut intégral », chers à Jean-Paul II. Dans Évangelii gaudium, François consacre tout un chapitre à la dimension sociale de l’évangélisation. Le social, l’économique, le politique et l’écologique sont liés. « Le tout est supérieur à la partie ». L’écologie


intégrale participe du projet global de Dieu pour l’homme et pour la terre : rendre présent dans le monde le royaume de Dieu dans toutes ses dimensions et dans toute son extension.

Ainsi chez le pape François, l’écologie devient une façon d’habiter le monde, les uns avec les autres dans notre maison commune. La planète est la maison de la famille humaine. Economie et écologie s’appellent alors l’une l’autre en tant qu’elles constituent les arts et les règles qui régulent les manières d’habiter ensemble. Aussi l’écologie intégrale se décline en ses composantes sociale, économique, culturelle, politique, quotidienne. La qualification d’intégrale constitue le concept englobant qui permet de se démarquer de toute école écologique précise, en particulier d’une écologie politique partisane. Elle convoque et provoque tous les chercheurs et tous les acteurs et assigne à chacun, et particulièrement aux pauvres, une place et une responsabilité incontournables pour le bien de tous.

écologie humaine et pauvreté C’est dans cette ligne que le pape retravaille le concept d’ «écologie humaine ». Alors que ce concept désigne chez certains une manière de respecter la nature biologique, dans Laudato si l’expression veut d’abord décrire la façon dont les pauvres habitent et sauvent un

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habiter le monde

▲ François loue la créativité des pauvres et leur imagination pour transformer des enfers en des lieux vraiment habités, où chacun se sente en communion.

lieu. François loue leur créativité et leur imagination pour transformer des enfers en des lieux vraiment habités lorsque « chaque personne se sent incluse dans un réseau de communion et d’appartenance ». Ici encore, les pauvres sont nos maîtres. L’option préférentielle pour les pauvres consiste aussi à se mettre à leur école. Du coup, mieux et plus que d’autres, ils nous provoquent – et Dieu par eux – à développer cette écologie humaine : la façon dont les humains habitent un espace. François invite par exemple à développer notre vision d’ensemble d’une ville, plutôt que de s’enfermer dans un quartier, pour accroître « notre sensation d’enracinement, notre sentiment d’ «être à la maison » dans la ville qui nous héberge et nous unit ».

On le comprend au fil de la lecture : l’écologie intégrale n’est pas un concept compliqué, qui nous permettrait de rester à distance, et l’écologie n’est pas une option possible pour certains. C’est la nécessité de la prise en compte de la totalité de ce que Dieu veut, et donc de la place et de l’action de chacun pour le bien de tous, présent et à venir, dans la création. Des gestes anodins pour prendre soin de la création constituent des actes d’amour. Si chacun peut et doit prendre sa part, pour autant la solution est totale. C’est dire l’importance et la nécessité du dialogue avec tous pour provoquer une conversion écologique de tous. P. Luc Dubrulle Président-Recteur délégué de l’Université catholique de Lille novembre/décembre 2015 17


Chercher et trouver Dieu

pour aller plus loin Des pistes pour un partage : • ‘Conversion écologique’ : comment ces mots retentissent-ils en moi ? Ai-je le sentiment d’avoir besoin de conversion dans ce domaine ? Qu’est-ce qui serait à changer pour moi ? Qu’est-ce qui pourrait m’y aider ? • Lire l’encyclique ‘Laudato si’. Qu’est-ce qui me touche particulièrement dans ce texte? Est-ce que cette lecture m’a incité à poser des actes concrets ? Lesquels ? Sinon qu’est-ce qui me semble possible de faire à mon niveau ? dans notre groupe ? avec d’autres ? •

J e regarde autour de moi les initiatives prises pour préserver « notre maison commune ». Que changent-elles au niveau de l’environnement, du lien social… ? En quoi cela me semble heureux ? De quoi puis-je rendre grâces ? A quoi cela m’invite-t-il ?

À vivre : •

M arche des pèlerins pour la justice climatique : Le 28 novembre à Saint-Denis autour de la Basilique, des marches de sensibilisation débutées il y a plusieurs mois dans le monde entier vont s’achever et se retrouver. Des pétitions seront remises et un partage d’un moment inter-religieux pourra se vivre. Pour savoir si une marche passe près de chez vous : eglise.catholique.fr

À lire : •

H abiter autrement la Création : une lettre spéciale de la commission Justice et Paix de la conférence des évêques de France. Au nom de leur foi, des chrétiens, orthodoxes, protestants et catholiques s’engagent pour la justice climatique – http://www.justice-paix.cef.fr

J eux pour habiter autrement la planète avec les 8-11 ans, avec les 11-15 ans, avec les 15-25 ans : les éditions des scouts et guides de France, 2013, 15,20 euros Une collection de livres pour animateurs ou enseignants donnant des idées de jeux pour habiter autrement la planète. Selon les âges, des jeux pour régler les conflits, pour mesurer sa consommation, pour vivre la solidarité… • L es spiritualités au secours de la planète ? : Revue Projet N°347, 13 euros Radicalité, écologie profonde, génération future, sagesse commune, veiller sur la Création… Les angles pour approfondir le sujet de l’écologie sont variés et intéressants comme à chaque numéro de la revue Projet. •

L a conversion écologique : habiter un monde fini : Revue Études, 15 euros.

B oîte à outils : la CVX Belgique vient de mettre en ligne une boîte à outils pour les communautés locales désireuses de faire une ou plusieurs rencontres sur le thème de l’écologie, de la création… http://cvx-belgique.org

A telier Chrétiens Co-responsables de la Création (CCC) : parmi les ateliers de la CVX France, retrouvez les propositions de l’atelier CCC sur le site cvxfrance.com ou contactezles à : cvxatelierccc@gmail.com

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Babillard © B. Strobel

Le second tome du livre de PierreMarie Hoog s.j. vient de sortir. Il poursuit la lecture méticuleuse et vivante de l’évangile selon saint Jean, d’après une série de « causeries » données en l’église saint Ignace à Paris entre 1995 et 1997. Le lecteur retrouve sa façon de faire « chanter » les textes et de se laisser travailler par eux. Pour un seul but : répondre à l’appel du Christ « Veux-tu guérir ? » Éditions Vie Chrétienne – octobre 2015 - 15 euros

AVENT: VEILLEZ ET PRIEZ, LE SEIGNEUR VIENT Le centre spirituel de Penboc’h propose un week-end pour débuter le temps de l’Avent. Pour découvrir ou redécouvrir la Promesse de la venue d’un Sauveur annoncée par les Prophètes, soutenue par une projection de films et de lectures bibliques réalisés par Michel FARIN, s.j. et Jacqueline TAOUSS comédienne.

CHANTIER FAMILLE

Dans la mouvance du Synode sur la famille, le chantie r apostolique de la CVX France « Réalités familiales » poursui t son travail de recherche et propose pour cette année : -P our les membres vivant l’expér ience de l’homosexualité et leur famille. Du 6 au 8 Novembre 2015, au Centre Spirituel de Saint Hugues de Biviers – accueil@sain thugues – Tél. : 04 76 90 35 97. - Pour les membres divorcés, divorcés-remariés ou vivant en concubinage. Du 6 au 8 Février 2016. A la Maison Saint Paul à Issy-lesMoulineaux – saintpaul;ac@wanado o.fr – Tél. : 01 45 29 16 06. - Pour les membres divorcés, divorcés remariés ou vivant en concubinage. Du 6 au 8 mai 2016. Au Centre Spirituel de Penboc’h accueil@penboch.fr – Tél. : 02 97 44 00 19 Ces propositions mettent en œuvre notre pédagogie spécifique qui alterne le partage des expériences, l’écoute de la parole du Christ et de l’Ég lise, la prière personnelle et les célébrations collectives, en vue de s’aider à grandir ensemble dans un sentir avec l’Ég lise.

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POUR QUE VOUS CROYIEZ – TOME 2

Du 27 au 29 novembre 2015 Info : 02 97 44 00 19

A QUELS MONDES RÊVENT LES JEUNES ?

ÉLÈVE-MOI

Pour poursuivre la réflexion sur la famille et aider famille et éducateurs, voici un livre d’Isabelle Parmentier qui a pub lié aux Éditions Vie Chrétienne « Appelés ? Quand le désir de Dieu rejoint celui de l’homme ». Il donne des repères éducatifs en se fondant sur l’Évangile. Au centre de ce livre : Jésus, lui qui passe sa vie à « élever » ceux qu’il renc ontre. Salvator, août 2015, 22 euro s

Quelles jeunesses ? quels lieux d’engagement ? Quelles difficultés ? Quelle autonomie ? En quatre jours, la session du Ceras tentera d’éclairer ces questions en s’appuyant sur des expériences de terrain. Du 25 au 28 janvier 2016, au Centre Sèvres à Paris. Tél. : 01 48 22 40 18 session@ceras-projet.com – www.ceras-projet.org

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École de prière

POUR UNE PRIÈRE DES PETITS GESTES Et si de petits exercices simples nous rendaient plus attentifs à Dieu ? C’est ce que propose régulièrement Miguel Roland-Gosselin s.j. aux étudiants dont il est l’aumônier. Nous pouvons nous en inspirer pour nourrir notre propre vie de prière lorsqu’elle fatigue parfois. Se décider pour une familiarité avec Dieu est un soubassement pour notre vie chrétienne.

A Miguel RolandGosselin s.j., Aumônier d'étudiants de grandes écoles pendant 2 ans, il vient de rejoindre l'église Saint-Ignace à Paris

Aumônier d’étudiants, cent fois en tête-à-tête j’ai parlé « prière ». Pour encourager patiemment, pour stimuler le goût à moindre effort, je cherchais des suggestions concrètes, des entrées faciles. J’ai dû répéter souvent que Dieu n’exige pas nécessairement de longues attentions (« Note bien que tes parents aussi, ils se contentent de peu… »). La visée est d’abord de nouer une familiarité ; à force de petits exercices simples, se rendre attentif à Dieu. Découvrir de mieux en mieux qu’il est proche, apprendre sa présence active dans son existence, voilà l’enjeu.

Des gestes filiaux I n ve nto ns p o u r c o m me nc e r quelques gestes filiaux. Un geste radical et simple : demain matin, au réveil, marque aussitôt ton corps d’un grand signe de croix ! Tu poses à peine les pieds par terre, tu t’éveilles à toi-même, mets-toi immédiatement en face de ton Père. Pour l’heure, ta journée est 100% prière ! Bientôt elle sera autre,

agitée, soucieuse, joyeuse : pour l’instant, tout est à Dieu. Lui et toi vous êtes mutuellement regardés. Tu l’as salué. Cherche les quelques mots que tu pourrais lui adresser : les tiens, les mêmes mots chaque matin, ceux qui signifieront ton intention la plus profonde à la première heure. « Seigneur, je m’offre à toi, j’accueille ce jour comme un don qui vient de toi. » Autre idée : veux-tu essayer l’aide d’un ange ? Voici une carte postale, « l’ange espiègle » du peintre Arcabas ou l’ange souriant de Reims, et voici la règle du jeu. Tu poses cette carte sur ta table de nuit. Ce soir, à l’heure du coucher, tu iras la déposer sur le plancher, debout contre la porte de ta chambre. C’est l’ange « gardien ». Demain matin, il t’empêchera de quitter ta chambre avant de t’être baissé pour ramasser la carte et la redéposer près de ton lit, le temps qu’il te souffle à l’oreille : « As-tu salué ton Seigneur ? » Tous les soirs et tous les matins, l’ange t’ouvrira en

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douceur un petit filet de prière. Que vas-tu en faire ? Quels qu’ils soient, les procédés les plus élémentaires ne tiendront pas si tu n’en fais pas une décision. Le signe de croix matinal deviendra un automatisme (mais c’est déjà cela, un salutaire automatisme) s’il n’a pas reçu la consistance d’avoir été choisi, retenu, mis en forme par anticipation. Décision et anticipation sont de grands mots de la vie spirituelle. Dieu n’est pas exigeant, il peut tout faire à partir de peu de choses, mais le peu qu’il lui faut relève d’un acte de ma volonté. Je choisis telle façon de prier, je l’adopte, je m’y tiens. C’est là un principe essentiel (un principe « ignatien ») : décider, durer, évaluer, décider à nouveau une étape suivante. Il existe mille et une manières de s’introduire doucement dans une familiarité avec Dieu. L’Église a ses « mantras » à elle, ses formules de prédilection : « Ô Marie conçue sans péché… », « Seigneur Jésus, aie pitié de moi pécheur »,


© Éric Santos

etc. L’automatisme, porté par le rythme de la respiration, entretiendra une vigilance de la volonté : les mots, à fleur de ma conscience, me demanderont un discret acquiescement. Ils creuseront lentement ma vie intérieure, habitée par l’amour de Dieu. De la même façon, j’ai pu recommander à des étudiants de graver une croix minuscule sur chacune de leurs pages de brouillon, ou de mettre au point un procédé correspondant chaque fois qu’ils ouvrent leur ordinateur (« Cherchez, vous trouverez… »).

Prier pendant nos déplacements

▲ Tous les soirs et tous les matins, l’ange t’ouvrira en douceur un petit filet de prière. Que vas-tu en faire ?

Il y a aussi, évidemment, le bon usage des déplacements. Sur le trajet des cours, glisserais-tu un Credo ou un Notre-Père ? À quelle étape du circuit cela pourrait-il s’accrocher, de façon systématique ? Que dirais-tu d’un arrêt à la chapelle, comme on fait un détour par la source ? Et sur le chemin, sais-tu que tu peux asséner à tes camarades de discrètes bénédictions ? (Prier pour les gens : cela se pratique bien aussi dans le métro…)

gé notre civilité, nous les devons d’abord à Dieu. Alors je propose aux étudiants : va donc promener le chien ! Tous les soirs, quitte un instant ta chambre, sors de la résidence, fais le tour du pâté de maisons et marche un instant, seul avec toi-même, seul avec ton Dieu. Le temps d’un merci, histoire que la journée ne se referme pas sur elle-même sans avoir été « prononcée », reconnue dans l’action de grâce. Pour telle rencontre, pour tel effort accompli ou telle grâce inattendue, Seigneur merci. Cet examen intérieur est celui où se vérifie la qualité de mon engagement : la vérité de mes décisions, la constance de ma fidélité.

de Dieu ? Elle ouvre un autre versant de la prière. Sans les Écritures, quel est ce Dieu qui mériterait mon attention ? Comment saurais-je qu’il est mon Père qui mérite un salut matinal ? D’ailleurs, lorsque tu ramasses au matin la carte postale, l’ange te soufflera peut-être de parcourir les lectures du jour et d’y choisir une pépite, un mot à savourer en chemin (c’est « l’opération stabylo-boss »). La prière va se déployer dans les Écritures. Mais la décision simple d’entretenir une familiarité avec Dieu constitue un soubassement ; elle nous pose déjà au « principe et fondement » de la vie chrétienne.

Au terme de tous ces procédés, on s’étonnera : quid de la Parole

Miguel Roland-Gosselin s.j.

Bien sûr, jésuite oblige, j’ai recommandé par-dessus tout « les trois mots en or », les premiers que nous avons appris quand nous étions petits (« Qu’est-ce qu’on dit ?… »). On dit : merci, pardon, s’il-te-plaît. Les mots qui ont for-

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Expérience de Dieu…

VOUS AVEZ DIT « CONSACRÉS » ? En cette année de la vie consacrée, décidée par le pape François, interrogeonsnous sur ce qu'est une personne consacrée par rapport aux baptisés. Sylvie Robert s.a. pointe ce qui habite leur vie : Parole de Dieu, ouverture aux autres, don de leurs propres dynamismes de vie… Qu’ils soient religieux ou laïcs consacrés, leur place, à la fois à part et dans le monde et l'Église, est une richesse unique.

L Sylvie Robert, s.a., religieuse auxiliatrice, professeur de théologie spirituelle et responsable du Département Spiritualité et Vie religieuse au Centre Sèvres, membre de l'équipe d'accompagnement et d'animation du Centre spirituel Manrèse, coordinatrice de la Commission théologique de la CORREF (conférence des religieux et religieuses en France).

L'expression « vie consacrée » a permis de désigner, à côté de la vie religieuse, d'autres formes de célibat choisi à cause du Christ. Mais elle a ses ambigüités Elle peut faire oublier que la consécration fondamentale en christianisme est celle du baptême : tout chrétien est consacré ! Il n'y a pas de « consécration supérieure » qui viendrait se surajouter au baptême ! Pour dire l'originalité de l'expérience de ceux que l'on appelle des « consacrés », recourir au terme qui est commun à tous les baptisés n'aide pas à s'y retrouver et à percevoir ce qui les caractérise. Toute vie chrétienne est choix radical de s'en remettre à Dieu avec et par le Christ ; tout baptisé dit au Seigneur : « Toi seul es le chemin, la vérité et la vie », et ce « oui » oriente sa vie. Du point de vue de la constitution hiérarchique de l'Église, il n'y a que deux catégories de baptisés : ceux qui forment le peuple de Dieu et ceux que l'Église a appelés à une fonction comme pasteurs de ce

peuple. La « vie consacrée » n'est pas comme un « tiers état » entre les clercs et les laïcs ! Elle est d'un tout autre ordre, relevant d'une gratuité, « sans raison », sinon une rencontre décisive, une résonance de la Parole de Dieu, une amitié tissée avec le Christ, qui ont suscité un désir et ont conduit à faire le choix d'une forme de vie particulière. Car les « consacrés » ont une manière originale de dire le « Toi seul » baptismal. Pour les baptisés qui ont vocation au mariage, le choix radical du Christ se fait en recevant de jour en jour leur conjoint et les enfants qu'il leur est donné d'avoir. Ceux et celles qui sont appelés à la « vie consacrée » font le même choix radical du Christ, mais sans conjoint ni descendance. Ils disent au Seigneur un « Toi seul » sans aucun autre « toi seul ». Leur vie est-elle alors de solitude ? Pour une part, oui, car la relation privilégiée pour eux est dans l'invisible. Mais la Parole de Dieu leur fournit un interlocuteur tangible, essentiel pour qui fait sa vie

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avec quelqu'un qu'il ne voit pas : parole d'un Autre, qui donne de connaître Dieu, ouvre des horizons, résiste aussi, et apprend à parler au Seigneur. A travers la prière, à l'écoute de cette Parole ou de la présence, des appels, de l'œuvre de Dieu dans toute rencontre, activité, événement, se développe une relation d'intimité avec le Seigneur : il prend de plus en plus de consistance en même temps que son mystère s'approfondit et que l'existence reçoit densité et s'unifie en lui, jusqu'à pouvoir expérimenter la vérité de la parole de Paul : « ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ qui vit en moi ». Dire au Christ un « Toi seul » sans aucun autre « toi seul » ne prive pas de relations. Bien au contraire, le Dieu Trinité qui est lui-même relation en ouvre à l'infini le champ : que l'amour ne se porte pas sur un être unique, choisi, est une invitation à élargir son cœur pour apprendre à regarder tout être humain comme un frère. Et, pour que ce chemin se confronte


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au réel, dans la vie religieuse l'appartenance à une communauté offre la saveur et la douleur de la confrontation à des êtres en chair et en os, que l'on n'a pas choisis mais à qui l'on est lié par la relation mystérieuse et en définitive incommunicable de chacun avec son Seigneur.

des vœux de conversion La « vie consacrée » est l'incarnation d'un désir ; c'est le sens des vœux, qui sont vœux de conversion. Chasteté dans le célibat, pauvreté, obéissance sont souvent vus uniquement sous l'angle du « ne pas » : ne pas se marier, ni garder son salaire, ni faire ce que l’on veut ! Ou bien ils sont assimilés à un règlement ce qu’on a ou le non le droit de faire - et réduits à une ascèse individuelle, pour une perfection personnelle. En réalité, ils sont l'offrande de tout l'être en ses dynamismes fondamentaux ; ils touchent le rapport à la vie, faite pour se déployer en fécondité, qui ne peut subsister sans être entretenue, et dont nous ne sommes pas les maîtres. Ils sont une manière d'être au monde, qui travaille toutes nos relations, qu'elles soient de partenariat, de solidarité humaine, de dépendance et d'autorité. Et ils sont regard sur autrui : au rebours du regard mondain, voir l'autre non à travers le prisme de ses richesses apparentes, ni avec un œil intéressé, ni en le privant de parole, mais comme fils de Dieu.

▲ La Parole de Dieu fournit un interlocuteur tangible pour ce qui fait sa vie avec quelqu'un qu'il ne voit pas.

Comme à tout baptisé, le Seigneur confie aux « consacrés » de s'ouvrir à son amour pour le laisser passer à travers eux, jusque dans leur propre corps, vers l'humanité qu'il aime. Ce n'est pas à travers une charge, comme pour les clercs, appelés à prêter au seul Pasteur toutes leurs forces pour construire son corps qui est l'Église ; ce n'est pas non plus à travers l'amour humain, chargé de refléter dans la chair l'amour unique, indéfectible, fécond, du Seigneur pour l'humanité. Leur mission est d'offrir à Dieu, à travers leur personne, une place en ce monde, la place qu'il

n'a pas encore, qu'il n'aurait pas sans eux. Ainsi vivent-ils, à travers combats et joies, dans la situation incertaine de la « vie consacrée » aujourd'hui, d'une attente et d'une espérance, du goût de ce qui ne passera pas ; leur vie, « sans appui et pourtant appuyée »1, accueille en son être l'aspiration du monde vers Dieu et l'amour de Dieu qui désire s'étendre sur l'humanité. Sylvie Robert, s.a. 1. Jean de la Croix, Poèmes, X, « Glose a lo Divino ».

La « vie consacrée » en chiffres : Dans le monde, 702 529 religieuses ; 134 752 religieux prêtres et 55 314 religieux frères ; 711 membres des Instituts séculiers masculins, 24 702 des Instituts séculiers féminins. En France, 6 262 religieux, dont 1 192 moines et 554 étrangers ; 29 174 religieuses, dont 3 340 moniales (en 228 monastères) et 2 413 étrangères ; environ 500 vierges consacrées ; environ 300 ermites hommes et femmes. Il faut ajouter à ces chiffres les laïcs consacrés des communautés nouvelles. Statistiques 2014 du Vatican et de la Conférence des Religieux et Religieuses de France.

Un conseil du pape François : « Ne cédez pas à la tentation du nombre et de l'efficacité, moins encore à celle de se fier à ses propres forces. Scrutez les horizons de votre vie et du moment actuel en veille vigilante. » (Lettre aux consacrés du 21 novembre 2014).

Commission théologique de la CORREF, L'identité de la vie religieuse, 2011. Cahiers de vie religieuse, MédiaSèvres (actes des sessions annuelles de vie religieuse du Centre SèvresFacultés jésuites de Paris).

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Lire la Bible

EZÉCHIEL (1

ÈRE

PARTIE)

Le livre d’Ezéchiel, lu et médité, fut travaillé et complété par des disciples du prophète : cela explique des lourdeurs, des répétitions et des incohérences historiques. Mais ce livre témoigne d'une époque très particulière de l'histoire d'Israël (VIe siècle avant J.C.) dont l’expérience spirituelle peut nous éclairer.

C

Chercher à comprendre qui est Ezéchiel, ce qu'il a vécu, permet de mieux comprendre le sens de ce qu'il dit, de ce qu'il fait. C'est ce que nous voyons dans cette première partie.

Une histoire agitée Le royaume d'Israël est situé entre l'Égypte au sud, et l'Assyrie, Babylone et la Perse au nord ; c'est un tout petit pays situé sur la route entre des grandes puissances. Après le règne de Salomon, le peuple s'est révolté car il était forcé par le nouveau roi Roboam, de faire des travaux

encore plus lourds que du temps de Salomon. C’est ainsi que le royaume a été séparé en deux en - 9 3 5  : a u no rd , le roya u me d’Israël, au sud, le royaume de Juda. S’il y a deux royaumes, il y a un seul « peuple de Dieu », puisqu'ils ont le même Dieu, un Dieu unique qui leur a donné une terre. Le royaume d'Israël est au sommet de sa puissance quand l'Assyrie veut étendre son empire vers la Méditerranée : le royaume disparaît en -721 ; presque tout le peuple est déporté et sa trace est perdue. Reste le royaume de Juda qui est alors soumis aux Assyriens.

24 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 38

En -612, c'est la chute de Ninive : l'empire assyrien s'écroule. Le roi Josias reconquiert donc une certaine liberté et occupe l'ancien royaume du nord. Mais l'Egypte veut abattre les Babyloniens. Josias, voulant arrêter les Égyptiens qui montent écraser les Babyloniens meurt dans la bataille. Au retour de Babylone, les Égyptiens font prisonnier le roi Joachaz qui lui a succédé. Le pharaon met sur le trône son frère ainé Joakim : le royaume de Juda est sous la coupe égyptienne. Nabuchodonosor, roi de Babylone, ne peut supporter cela et met les Égyptiens en défaite ; il veut alors aller les combattre chez eux, mais n'y arrive pas. Juda, voyant cette défaite ne paie plus son tribut. Nabuchodonosor vient alors combattre contre Juda. Vainqueur, il installe son roi, Sédécias, et déporte une partie du peuple, notamment les notables, dont le roi Joakim et le prêtre Ezéchiel : c’est la 1ère déportation, en -597. Une autre partie reste ; ce sont plutôt les petites gens. Sous la pression de pro-égyptiens, ceux qui sont restés arrêtent de payer le tribut à Nabuchodonosor ; celuici se présente à Jérusalem ; après un siège de plusieurs mois, le roi tente de fuir, mais il est arrêté : on


© Flight of the prisoners /James Tissot / The Jewish Museum/ New York

lui crève les yeux et on le déporte à Babylone. La ville et le Temple sont incendiés. En -586, c'est la 2 e déportation ; la très grande majorité du peuple est alors en exil. Il n’y a plus de royaume de Juda. Ezéchiel est contemporain de la chute de Jérusalem ; on pense que sa prédication aurait commencé à partir de -593 et se serait achevée en -571 ; c'est une des plus tragiques périodes de l'histoire d'Israël : les institutions disparaissaient et une réflexion radicale devint nécessaire pour que le peuple puisse survivre. Après la chute de Jérusalem, rien ne sera plus comme avant. Ezéchiel fait partie du convoi des déportés de -597 ; le peuple pense que cela ne va pas durer, tandis que lui reproche au peuple de Dieu (3-24) comme aux nations (25-32) leur mauvaise conduite ; il tente de détruire leurs illusions et décrit aussi la chute des contrées alentour. À partir de -586, quand le peuple a perdu tout espoir, sa prédication devient message d'espérance : il annonce au peuple que Dieu va le restaurer (33-39) : il décrit même, de façon futuriste la Jérusalem transfigurée par Dieu (40-48). De condamnateur du peuple, il devient annonciateur du salut.

Qui est cet homme ? Son nom signifie « Dieu est fort » ou « que Dieu rende fort ou dur » : « voici que je rends ton visage aussi dur que leur visage, ton front aussi dur que leur front. Comme

un diamant plus dur que le roc, ainsi je rends ton front » (3, 8-9). Il est le fils du prêtre Bouzi (1, 3). Il est donc, lui aussi, prêtre au Temple de Jérusalem : les prêtres ne résidaient à Jérusalem que lorsqu'ils exerçaient leur service au Temple ; ils vivaient dans des villages alentour. Il a un sens très fort de « la sainteté de Dieu » et a le souci que cela se traduise par tout l'être ; étant prêtre, il s'inquiète aussi que cela se traduise dans le culte. En cela, il prend de la distance par rapport à la rétribution collective à laquelle on croyait alors, et insiste sur la responsabilité individuelle. Il va ouvrir les voies d'une religion nouvelle, plus spirituelle. Son appartenance à la classe sacerdotale se manifeste dans son goût pour les institutions religieuses (le Temple, la liturgie, le calendrier), son souci de séparer le sacré du profane, son horreur des impuretés légales. Il vivait dans la certitude que Dieu était matériellement présent dans le Temple. Pour lui une question morale se posait : il voyait des pécheurs se livrer à leurs mauvaises pratiques

dans le Temple, cela menaçait la ville entière. Puisqu'il a vécu la destruction du Temple, il est confronté comme tout le peuple à la question de la présence de Dieu, à la manière de rendre un culte à Dieu ; cette question qui le travaille va conduire à certaines paroles, à certaines visions. Le Temple, qui symbolisait l'unité de foi et le monothéisme n'est plus. Sur les bords de l'Euphrate, rien ne peut remplir ce rôle unificateur. Sa foi le pousse à voir le Temple tel qu'il sera reconstruit (40-42) et à voir la source de vie qui en sortira (47, 1-12). Comme tout prophète, Dieu a mis la main sur lui : « la main du Seigneur se posa sur moi. Il me dit » (3, 22). Son souci est que la Parole de Dieu qu’il a mission de transmettre soit entendue. Chargé de lutter contre la déformation religieuse et la dépravation morale de son peuple, il insiste dans ses discours sur le vrai culte à rendre à Dieu. Il est interprète de Dieu, et parle pour ses contemporains ; il vivait une époque si dure, provoquant incertitude et angoisse, qu'il y avait besoin de parole prophétique

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Lire la Bible

© Vision d'Ezechiel / Raffaello Sanzio 1516 / Florence

pour dévoiler le sens et la signification de ce qui arrivait et faire renaître l'espérance et la vie. Il est envoyé au milieu d'un peuple qui ne va pas l'écouter, mais il devra leur parler sans peur (chap. 2). Il le fait avec sa personnalité, car Dieu parle à chacun de nous à travers ce qu'il est, ce qu'il vit. Nous ne pouvons pas séparer la Parole de Dieu de l'interprétation de celui qui parle : tout est de Dieu et tout est de l’homme. S'il y avait d'autres prophètes à cette époque, il y avait aussi beaucoup de faux prophètes qui répandaient des prétendues paroles de Dieu.

Son livre manifeste son écoute de Dieu, son expérience de Dieu, ses visions ; il se décrit comme un « fils d'homme », un moins que rien face à la grandeur de la gloire de Dieu : « Comme l'arc apparaît dans la nuée un jour de pluie, ainsi cette clarté à l'entour : c'était l'aspect, la forme de la gloire du Seigneur. À cette vue, je tombai face contre terre, et j'entendis une voix qui me parlait. Elle me dit : « Fils d'homme, » (1, 28-2, 1). « Là s’abattit sur moi la main du Seigneur Dieu » (8, 1), « l’esprit me souleva, il me saisit » (3, 14) ; il a des visions divines époustouflantes : « le ciel s’ouvre » pour lui (1, 1). Dieu lui a demandé de manger le rouleau du livre ; la Parole de Dieu a pour lui tant de saveur qu’il dit du livre : « dans ma bouche il fut doux comme du miel » (3, 3). Il se met en scène pour raconter les épreuves que Dieu lui envoie : lors de la mort de sa femme, il cherche à faire comprendre au peuple, dans sa manière de vivre le deuil, ce qu'ils devront faire lorsqu'ils vivront une épreuve semblable quand le Temple sera détruit (24, 16-27). Aujourd’hui, nous le traiterions sans doute « d’original » : c'est

un homme tourmenté, au tempérament maladif, qui a des périodes de mutisme, mais aussi des extases et il étonne le lecteur ; peut-être lui fallait-il forcer le trait pour se faire entendre ? Il mime ce qu'il veut exprimer symboliquement, comme par exemple le siège de Jérusalem (4, 1 – 5, 17). Il décrit avec froideur les malheurs qui arrivent à son peuple, semblant souvent insensible à ce qui arrive, le justifiant par ses fautes. Il témoigne lui-même de son influence quand il écrit qu'on l'écoutait « comme un chanteur agréable, doué d'une belle voix et habile dans la musique » (33, 32). Ezéchiel a sauvé la conscience religieuse d'Israël, l'a préparé à son renouveau, d'où son influence posthume. Il est souvent appelé « le père du judaïsme », car son message a servi à la façon juive de vivre, après l'exil, son existence devant Dieu et avec les autres ; on dit souvent qu'il a « fondé une religion nouvelle ». Comme Jérémie, Ezéchiel prêche une religion intérieure, mais tout en insistant pour que la foi s'exprime par le corps et dans les rites. Marie-Agnès Bourdeau, CVX

A vos bibles ! Prenez vingt minutes et lisez les chapitres 1 à 3 : Ils vous montreront que, plus que tout autre prophète, Ezéchiel est un visionnaire ; vous découvrirez ses abondantes descriptions, difficiles à se représenter : qu'est-ce que vous évoque la vision de ce char divin (1, 4-28) ? Son envoi en mission est lié à la manducation du livre qu'il mange (2, 1 – 3, 15) : comment cela résonnet-il en vous ? Il définit un rôle important du prophète (3, 16-21) : comment recevez-vous ce rôle ? Enfin, il vit dans sa propre chair ce qu'il a à annoncer (3, 22-27) : quelle pertinence pour nous aujourd'hui ? 26 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 38


Spiritualité ignatienne

DE LA BIBLE AUX EXERCICES SPIRITUELS : LA MISÉRICORDE Alors que le pape François a décidé d’ouvrir une année sainte de la miséricorde le 8 décembre 2015, pour aider l’Église à être témoin de la miséricorde, Pierre Gibert s.j. commente pour nous la présence de cette grâce dans la Bible et dans les Exercices spirituels.

O

On a toute raison de s’attendre dans la Bible à un emploi courant du terme même de miséricorde, bien qu’il puisse présenter une difficulté de signification. En effet, il est souvent utilisé en place d’autres mots tels ceux de « grâce », de « pardon », de « pitié », accolés à différents verbes : « faire grâce », « accorder le pardon » ou le demander, « avoir pitié », « implorer la pitié », etc. Or, pour proches et même synonymes que soient ces différents termes, ils gardent de significatives différences dans leurs proches nuances. Il n’est que de fréquenter plusieurs traductions de la Bible, soit à partir de l’hébreu, soit à partir du grec, pour se rendre compte que dans les multiples langues de traduction, le terme de « miséricorde » paraît flottant. N’étant ni grec ni hébreu dans ses origines, mais latin, il surgit en différents contextes, au gré des choix de traducteurs, sans renvoyer à un seul et même terme d’origine. Autrement dit, par rapport à l’usage de ce terme, chaque lecteur de la Bible doit jouer aujourd’hui d’une certaine nébu-

leuse de sens qui font recouvrir les uns par les autres différents termes plus ou moins apparentés, tantôt utilisés de façon précise, tantôt recoupés, précisés ou complétés par d’autres.

une richesse de sens Pourtant, ce jeu de termes, avec les risques d’imprécision que certains regretteront, dit aussi la richesse de leurs significations dans une sorte de convergence où se jouent la grâce de Dieu, la réconciliation de l’homme, et en définitive le jeu même de l’amour divin comme celui de tout être humain. Dans cette complexité, retrouver le terme et l’idée dans des œuvres que la Bible a directement inspirées, permet souvent de saisir une féconde ou forte intelligence du terme. Ainsi, les Exercices spirituels de saint Ignace, offrent ici une voie qui n’est pas que de rapprochement plus ou moins hasardeux. Car il y a de fortes raisons pour faire se rejoindre ici la thématique biblique de la miséricorde et sa pratique dans l’itinéraire proposé à celui qui doit « se vaincre soi-même et ordonner sa vie sans

se décider par aucun attachement qui soit désordonné. » (E.S. 21).

Quatre passages de miséricorde dans les Exercices Pour cela, il n’est que de commencer par relever les lieux où, selon la version latine, se retrouve la misericordia, par une voie pédagogique qui ne propose d’abord que quatre lieux. C’est en premier lieu dans les « Annotations » qui ouvrent le livret des Exercices qu’il est fait allusion aux « œuvres de miséricorde », et dans un contexte significatif. En effet, la pédagogie mise en jeu par celui qui donne les Exercices, suppose qu’il soit tenu compte des dispositions et surtout des moyens d’intelligence du retraitant. Ainsi, « aux gens rudes ou sans culture », on pourra se contenter de parler des fondamentaux de l’expérience chrétienne, cette suite des « commandements, péchés capitaux, commandements de l’Église, cinq sens », qui se clôt sur le concret des « œuvres de miséricorde », autrement dit sur l’exercice concret de la charité.

Pierre Gibert s.j. Docteur en théologie et en littérature comparée, longtemps professeur d’exégèse de l’Ancien Testament à la Faculté de théologie de Lyon et professeur au Centre Sèvres. Il est l’auteur de nombreux ouvrages de référence et récemment, Ce que dit la Bible sur… la miséricorde, Nouvelle Cité, 2015.

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Spiritualité ignatienne

(cf. E.S. 18b). Ainsi le « rude » et « sans culture », aussi rude et sans culture soit-il, se voit en quelque sorte reconnu et respecté comme capable « de miséricorde » par le concret d’« œuvres » qu’il peut et doit accomplir dans le réalisme de son action.

En troisième lieu, dans le prolongement du second exercice, c’est encore en colloque, celui du « cinquième exercice », qu’il doit « rendre grâces » au Christ « de ce qu’il ne [l’]a laissé tomber en

© Retour du fils prodigue, Pompeo Batoni, 1773 ; Kunsthistorisches Museum, Vienne, Autriche

Le deuxième emploi se trouve dès le « second exercice » de la « première semaine », soit dans ce moment crucial et délicat de la prise en compte par le retraitant de son péché et corrélativement de la grâce qui lui a été accordée

par « toute la série des créatures » qui n’ont pas tenu compte de ce péché. Aussi lui est-il suggéré de « terminer par un colloque sur la miséricorde » qui le fait s’entretenir « avec Dieu notre Seigneur » et rendre grâces « de ce qu’il [lui] a donné de vie jusqu’à présent » (E.S. 61).

▲ La miséricorde comme œuvre divine.

28 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 38

aucun des groupes d’âmes qui ont mérité l’enfer », mais « de ce que jusqu’à présent, il a toujours eu pour [lui] tant de tendresse et de miséricorde. » (E.S. 71). La dernière mention se trouve significativement dans l’ultime « contemplation » des Exercices, celle « pour obtenir l’amour » (E. S. 230), où, dans le quatrième et dernier point, le retraitant est invité à « regarder comment tous les biens et tous les dons descendent d’en haut ; comme ma puissance limitée, de la puissance souveraine et infinie d’en haut ; et aussi la justice, la bonté, la tendresse, la miséricorde, etc. ; comme du soleil descendent les rayons, de la source les eaux, etc. » (E.S. 237). Même si ces évocations ne sont pas explicitement bibliques ou évangéliques, elles n’en appartiennent pas moins à un contexte de prière et de réflexion qui ne cesse de renvoyer aux grandes figures bibliques (notamment de la création et du péché), et surtout à l’itinéraire de l’Évangile et donc de la familiarité du retraitant avec le Christ tant dans la suite de sa vie publique que dans celle de sa Passion. Dans cette perspective, les évocations de la miséricorde dans les Exercices que nous venons de rappeler, doivent être entendues à la fois dans leurs résonnances bibliques et évangéliques autant que dans des significations immédiates où se jouent les effets de différents sentiments et de différentes réactions au service d’autrui.


En ce sens, on peut retrouver dans la dynamique des Exercices ce que nous révèlent l’enseignement et l’itinéraire même du Christ : pratiquant la miséricorde dans la rencontre de ses frères humains sur les chemins de la Galilée, dans sa pitié pour les malades, les possédés et les infirmes, il ne pourra qu’en faire un principe de reconnaissance comme il l’évoque dans la suite des Béatitudes : « Heureux les miséricordieux : il leur sera

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fait miséricorde » (Matthieu 5,7). Naturellement, étant donné l’itinéraire des Exercices selon l’institution de l’Eucharistie, selon la Passion et les apparitions du Ressuscité, la contemplation se nourrira de ce que tout cela implique de miséricorde, que ce soit à l’égard des apôtres, de Pierre en particulier, à l’égard des femmes croisées sur le chemin du Golgotha, à l’égard des bourreaux pour lesquels le Christ mourant assure le pardon du Père, tous gestes, attitudes et paroles qui dans leurs différences et leurs nuances résonnent sur un même fond, celui de la miséricorde. Contempler ainsi les mystères de la vie du Christ, s’identifier à tel personnage, du petit pauvre à la crèche au centurion reconnaissant le « fils de Dieu », c’est selon les Exercices se couler dans l’itinéraire

▲ La miséricorde comme pratique humaine.

des évangiles et faire se rejoindre dans l’esprit et la vie de chacun sa propre expérience avec l’enseignement du texte biblique. Dans la logique de la recherche de la volonté de Dieu par le retraitant faisant les Exercices, que peut-il y avoir de différent avec l’appel que le Christ a initié en sollicitant ses apôtres, en les invitant à le suivre, selon l’accomplissement des Écritures dont il avait fait son programme ?

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De ce fait, le sens du mot comme le concret de sa pratique ne prête à aucune ambiguïté : que la miséricorde soit oeuvre divine ou pratique humaine, elle appartient à cet ordre de la foi, de l’espérance et de l’amour qui émane de Dieu, qui a sa réalisation concrète dans l’appel de l’homme à Dieu dans son besoin de pardon et de pitié, comme il la trouve à sa manière dans les actes mêmes de tout homme à l’égard de son prochain.

La présence massive et indispensable d’outils connectés dans nos vies ne se contente pas de bouleverser notre manière de communiquer et de travailler, elle interagit aussi avec nos univers intérieurs. Notre tâche est d’accueillir pleinement ce monde naissant, afin de découvrir l’humanité qui s’y dit et le sens qu’elle y cherche.

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Question de communauté locale

LE SECOND TOUR EN RÉUNION Après le partage de chacun sur sa vie lors d’un premier tour, vient le moment où l’on s’adresse à l’un ou l’autre des compagnons en particulier. Comment être délicat tout en osant une parole ?

S 1. Vivre une réunion de CL comme un exercice de contemplation. Revue Vie Chrétienne n°32, p. 28.

Une version longue sous forme d’exposé à plusieurs voix est disponible sur : http://cvx mpy.free.fr/ et sur : editionsvie chretienne. com

Si je vis la rencontre de mon groupe comme un exercice de contemplation, à quoi comparer le second tour ? Jean-Luc Fabre1 nous propose de le vivre comme un colloque, où je parle au Christ « comme un ami à son ami ». Ce colloque est important dans la rencontre, c’est le temps où nous nous accompagnons. Oui, ce 2e tour est un accompagnement spirituel qui me permet d’entendre la parole du Seigneur dans la bouche de mes compagnons.

Au premier tour, si j’écoute « jusqu’au bout » je me tais. Souvent, cette écoute provoque en moi des mouvements que je note. Les communiquer sera délicat, et comme en mes colloques, plusieurs registres sont possibles. Mais je ne peux parler « en général » : je m’adresse à quelqu’un et pour le signifier, je commence toujours par dire son prénom en le regardant.

Sa parole me touche Une première façon de parler va être de dire à l’autre là où sa parole me touche, me déplace. Attentif à ne pas commencer par C’est comme moi, j’essayerai plu-

tôt : « Jean, quand tu as dis… cela a résonné en moi, m’a fait bouger, m’a rejoint. Je sens que ce que tu dis est pour moi « de la part du Seigneur ». J’ai compris que je pouvais… j’ai ressenti un élan pour… j’ai senti fraternité,… j’ai envie de rendre grâce… ». Si j’en ai l’inspiration, je peux aussi oser dire à l’autre quelque chose de la part du Seigneur. A partir de ce qui naît en moi dans un mouvement intérieur et qui vient d’un Autre, j’oserai une parole qui permettra à mon compagnon d’aller plus loin. Par exemple : « Marie, ce que tu nous dis montre un chemin par rapport à l’an dernier. Jean, dans ce que tu dis de ta vie je perçois pour toi un appel. Cécile, cette question revient régulièrement dans ta bouche : est-ce le moment d’une aide au discernement ? Luc, depuis 2 ans, tu es engagé dans cette mission. Nous t’avions aidé à choisir. J’entends que tu t’essouffles. Si tu le désires, notre équipe pourrait t’aider à relire ».

échange en étoile On peut enfin se libérer du « tour » ! C’est vers UN compagnon qu’on va se tourner, pour l’accom-

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pagner avec bienveillance. Quand tous ceux qui voulaient lui parler l’ont fait, il peut en retour dire ce qu’il éprouve, sans que ce soit obligé. Ainsi Marie ose adresser à Jean une parole. Après quelques secondes, Nicolas aussi dit quelque chose à Jean. Puis Cécile, toujours pour Jean, et sans poser de question directe qui l’obligerait à répondre. Jean écoute « Dieu lui parler » par la bouche de ses compagnons. S’il le désire, quand ils ont fini, il peut dire en quelques mots ce qu’il ressent. Dans cet échange « en étoile » il y aura, forcément, du silence. Un silence habité où Dieu continue à parler au cœur. C’est fini pour Jean : on se tourne alors vers un-e autre à son tour… C’est délicat de s’accompagner ainsi. Délicat d’oser commencer, de choisir à qui je parle. Délicat de viser juste, sans appuyer. Délicat enfin car le temps manquera pour accompagner chacun chaque fois : ce sera la fois d’après. Et dans cet accompagnement, délicatement chacun grandit pas à pas et la communauté prend corps. Denis Corpet


Š Visitation, Rogier van der Weyden, 1445, Leipzig


Ensemble faire Communauté

En France

RETRAITE À LA CARTE ‘Retraite à la carte’, ‘Exercices spirituels à durée variable’ ou ‘choisie’… une formule qui facilite l’accès aux retraites puisqu’elle permet de choisir le nombre de jours. Retour de deux participantes.

L

choisie, de l’histoire et de l’attente de la personne… Ce qui demande à l’accompagnateur une attention toute particulière au point où en est le retraitant et une certaine créativité, même s’il fait l’expérience que c’est le Seigneur qui est à l’œuvre !

C

Dans cette formule bien sûr, le menu est différent pour chacun. C’est un parcours individualisé qui se construit au fil des rendezvous d’accompagnement personnel quotidiens ; c’est là que sont proposés au retraitant exercices et récits bibliques pour la prière personnelle, en fonction de la durée

Marie, une accompagnatrice

Cet été, j’ai eu la chance d’aller faire une retraite à St Hugues de Biviers dont le thème était «les Exercices spirituels à la carte». Depuis quelques mois trottait dans ma tête l’idée de prendre un temps de retraite pour mettre un peu en adéquation ma vie spirituelle et ma vie quotidienne. J’avais envie de montagne, de calme, de me ressourcer. Une amie m’a parlé de St Hugues qu’elle ne connaissait pas vraiment, et internet a fait le reste. Je n’avais qu’une idée très vague des Exercices spirituels mais je me sentais très déterminée comme si une force intérieure me poussait.

© Guillet

Retrouvez d'autres retraites au : www. sainthugues. fr

Le fait que chacun choisisse la durée de sa retraite, conduit à un groupe à géométrie variable, ce qui peut déstabiliser. Seuls de brefs enseignements, les temps de prière communautaire et les célébrations rassemblent retraitants et équipe d’accompagnement. Pourtant, dans le silence et la solitude, j’ai vu une vraie communion se créer entre tous au fil des jours.

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J’ai vécu un véritable tsunami intérieur. Le Seigneur m’a demandé de me mettre en chemin

pour le découvrir. J’ai senti tout de suite qu’il fallait que je fasse confiance, que je me rende disponible. L’accompagnatrice que je rencontrais chaque jour a fait preuve d’une telle écoute bienveillante dès le premier entretien que j’ai osé la confiance. Quel cadeau de pouvoir déposer son fardeau ainsi ! J’ai eu l’impression de mener un véritable combat contre moimême, jour après jour mais les textes qui m’étaient donnés à méditer m’obligeaient à réfléchir sur ma relation avec le Seigneur. Je peux dire qu’Il ne m’a jamais laissée seule, Il est venu me chercher là où j’en étais, dans ma détresse et je me suis sentie enveloppée de son Amour. Pendant cette retraite, j’ai vraiment été touchée au cœur. Jusqu’à présent, ma relation à Dieu était essentiellement intellectuelle, mais là j’ai compris que c’était à une véritable transformation intérieure que j’étais appelée et que cela impliquait de ma part, obéissance, confiance, écoute. J’ai à présent soif de continuer ce chemin, de placer ma vie sous le regard du Christ. Anne-Marie, retraitante


D’AUTRES APPROCHES DES EXERCICES Quel sens pour notre vie ? Pour répondre à cette soif de spiritualité très présente dans notre monde, les centres spirituels de la CVX France proposent des palettes de sessions et retraites très larges. Des expériences nouvelles soutenues par des membres de CVX, profitables à tous.

par le Cheval Lors de la session "cheval et prière", le matin, grâce à des exercices avec des chevaux, l’équipe de Transhumance propose aux personnes de ressentir en soi des élans vitaux, de retoucher à ce qui est vivant en soi. Cela les met en disposition pour l’après-midi ne pas rester dans le mental et mieux accueillir la Parole de Dieu. « J’ai été surprise de voir à quel point cela les mettait dans une grande liberté, ils ont réclamé et préparé la prière du soir », souligne

Catherine. Un accompagnement personnel est proposé, cela leur permet de mettre des mots sur ce qu’ils vivent. La plupart des participants sont plus jeunes que dans des retraites selon les Exercices. Ce sont des salariés qui sur leur temps de vacances sont en recherche d’intériorité. « La proposition d’allier des temps de méditation avec des exercices avec les chevaux leur a sans doute semblé plus « léger », plus facile. », suppose l’accompagnatrice.

par le souffle et le chant

Là encore la liberté des personnes est réveillée : des retraitants sont venus lui donner des conseils sur le topo qu’elle venait de faire, ce qu’elle ne voit jamais dans une retraite habituelle. Ils sont en demande de topos très nourrissants, eux qui ne pratiquent souvent plus. « Ce sont d’autres chemins, mais le Seigneur est là et j’ai vu combien il agit dans les cœurs », témoigne Catherine, prête à de nouvelles expériences pour offrir largement les outils des Exercices. Comme la prochaine session Vittoz et prière.

La session "accueillir la vie, oser la joie" est une alternance de travail spirituel et de travail corporel. A partir du chant, d’exercices liés au souffle, la psychophonie permet de libérer des zones emprisonnées en soi. Sortir son souffle, oser entendre sa propre voix et celle des autres va toucher des points sensibles. Mais surtout c’est « une rencontre avec le moi profond, c’est la (re)découverte que quelqu’un me veut du bien et m’habite », remarque Catherine.

© Hautmont

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Comment proposer une expérience spirituelle aux personnes qui sont loin de l’Église ? Et si cela passait par prendre appui sur le vécu corporel, comme peuvent si bien le proposer les Exercices spirituels… C’est en choisissant d’explorer cette piste parmi d’autres que le centre spirituel du Hautmont, près de Lille a présenté des sessions d’un nouveau type. « Nous proposons aux personnes d’accueillir le don de Dieu d’une manière à laquelle elles ne sont pas habituées », éclaire Catherine Duprez, CVX et membre de l’équipe du Hautmont.

Vittoz et prière du 7 au 13 février 2016 Cheval et prière du 10 au 16 juillet 2016 Atelier prier avec l'argile Centre spirituel du Hautmont : www.hautmont. org

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Ensemble faire Communauté

En France

LES OPENCVX, PARTIR À LA RENCONTRE DES JEUNES ! Plus de souplesse, de réactivité, d’accompagnement personnalisé, d’inventivité… c’est un mélange détonant pour mieux accueillir et se laisser accueillir par les jeunes de 25-35 ans afin de proposer gratuitement de goûter à la spiritualité ignatienne. C’est reparti pour une troisième année !

D Plus d’info : trottier. catherine@ bbox.fr

Depuis trois rentrées, des communautés régionales proposent des OpenCVX : dans huit villes pour cette rentrée 2015. Toute une aventure pour aller à la rencontre des jeunes de 25 à 35 ans. Partir les rencontrer là où ils sont, sur les terrains où leurs questions se posent, sur les chemins où leur désir les pousse ! Ils ont besoin d’être accompagnés pour grandir dans toutes les dimensions où ils sont attendus : activité professionnelle, affectivité, vie familiale… dans une société qui questionne, au milieu d’expériences qui bouillonnent… unifier spirituellement cet appel de Dieu à la vie ! C’est une forme de découverte réciproque qui est vécue au travers des OpenCVX. Il s’agit moins pour la CVX d’ « accueillir » les jeunes que de se laisser « accueillir » par eux ! Un mouvement qui nous pousse au dehors, nous la CVX. Cela exige bien sûr de laisser derrière nous nos « fonctionnements » pour inventer des manières nouvelles. Un parcours découverte qui s’adapte et invente, au rythme des besoins, avec souplesse. Une certaine insécurité pour les accompagnateurs mais

quelle richesse aussi de nous laisser interroger par le regard des jeunes porté sur le monde !! D’abord proposer de goûter gratuitement ce que la spiritualité ignatienne, personnellement et en petit groupe, peut faire grandir, et accepter que cela soit pour un temps, plus ou moins long. Il permettra ensuite à chacun d’inscrire, ou non, un lien plus durable à la Communauté. C’est donc d’abord dans cette gratuité que les OpenCVX s’inscrivent… confiants que ces expériences de rencontre, comme celles vécues au congrès, nous envoient plus loin à la suite du Christ dans le monde ! Une soirée OpenCVX c’est d’abord une soirée entre jeunes pour découvrir, expérimenter ce qu’ensemble, avec la CVX, nous pourrons parcourir comme chemin. C’est moins un temps d’information ou d’accueil comme cela peut se vivre ailleurs, qu’un temps où l’on essaie d’échanger avec chacun pour proposer un service d’accompagnement à un groupe. Puis, une fois lancés dans cette découverte, c’est avancer pas à pas dans la prière, dans cette capacité à dire « je », dans le partage avec les

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autres jeunes qui cheminent avec soi. Vient le temps d’une halte spirituelle : une expérience particulière… et puis décider de prolonger ce cheminement, entre jeunes encore un peu de temps, ou en s’ouvrant à d’autres expériences de vie si on s’y sent prêt ! S’inscrire peu à peu dans la vie d’une communauté locale, régionale, nationale, mondiale… pas à pas. Ne forçons rien, le Seigneur est là qui nous guide, sachons le reconnaître ! N’hésitons pas à inviter les jeunes de notre entourage… Catherine Trottier Responsable Équipe service jeunes


LE DESE EN FAMILLE Et si la démarche de la CVX pouvait s’appliquer en dehors des rencontres ? Et si, même avec de jeunes enfants, « discerner, envoyer, soutenir, évaluer » et l’écoute bienveillante, pouvaient faire grandir ? C’est ce qu’a mis en place une famille depuis un an.

« A Noël, nous avons pris un temps spécial pour relire toute l’année

© Fuse

J

« Je ne comprends pas pourquoi tu as envie de déménager ». Une question de second tour comme une autre ? Pas tout à fait, car elle vient de Théo, 9 ans, qui interpelle Tom, 7 ans. Le désir de l’un questionne l’autre sur ses propres peurs, un vrai travail intérieur est possible très jeune. D’où cela leur vient-il ? Tout a démarré en août 2014, après une session sur la pratique du DESE1 en famille, où la maman, membre de CVX, avait réussi à entraîner toute sa famille et même, « non sans mal », son mari non croyant. Et un an plus tard, rien n’est parti dans le tourbillon des nombreuses activités de l’année scolaire. « Chaque mois, nous prenons un temps d’arrêt en famille pour partager nos mercis en famille, pour prendre la parole et nous écouter à la manière de CVX, quel que soit notre âge », indique Marie. Au fur et à mesure, chacun a vu que c’était un lieu pour oser dire ses craintes et entendre celles des autres, un lieu pour se dire différent de son frère ou de sa sœur, constater les différences de sensibilités sur des faits variés, se donner une occasion pour changer son regard.

et dire ce que l’on désirait pour l’année à venir. Cela a permis aux enfants de voir qu’ils n’avaient rien à dire sur ce qui s’était passé avant la session de Nevers, avant qu’ils ne commencent à prendre des notes sur les événements importants qui les touchent », s’amuse Marie d’y voir un clin d’œil sur les fruits de l’écrit et de la relecture, pratiques qui lui sont chères.

Soutenir et évaluer avec nos enfants Pour le soutien et l’évaluation, le rôle des parents est essentiel selon Marie. « Très concrètement nous vivons le DESE dans le choix des activités périscolaires : foot ou rugby ? Danse ou théâtre ? Comment choisir et s’y tenir ? Nous aidons les enfants à dire ce qu’ils désirent et pourquoi ». Le soutien vient plus tard, quand l’activité devient moins attractive, que le

climat est moins favorable. « Soutenir veut parfois dire des paroles plus musclées pour l’aider à respecter l’engagement qu’il a pris, l’aider à comprendre que d’autres s’engagent avec nous, que c’est aussi respecter les autres que d’aller aux rencontres, même lorsqu’il fait froid et qu’il pleut ». Et surtout évaluer ! Afin de faire le bilan en fin d’année de cette activité, afin de l’aider à mieux choisir pour la suite. Pour les parents, c’est à chaque fois un émerveillement et cela permet d’identifier ou confirmer les goûts et attentes de chacun, pour ensuite y porter plus d’attention.

1. DESE : discerner, envoyer, soutenir, évaluer. Les 4 verbes essentiels de la CVX suite à l’Assemblée mondiale de Fatima 2008.

Pour aller plus loin : Une journée de reflexion a eu lieu le 8 novembre 2015. Qu’est-ce que la manière de faire CVX peut apporter aux familles ? Info : Chantier familles 01 53 36 02 25

« Ce temps ne se passe pas sans rechigner. Nous acceptons car cet échange permet à la famille de grandir, et comme toute croissance, un effort est nécessaire », précisent les parents. novembre/décembre 2015 35


Ensemble faire Communauté

Dans le monde

AUPRÈS DES RÉFUGIÉS En cette situation de crise, face à l’arrivée de réfugiés fuyant leur pays en guerre, la CVX est présente auprès de ces personnes en danger. Des initiatives européennes comme locales et personnelles sont prises. Cet appel du monde s’est incarné.

D

Depuis juillet 2015, des jeunes et moins jeunes de la CVX peuvent aller pendant quelques semaines aider une association soutenue par les jésuites italiens au centre d’accueil des réfugiés de Raguse, en Sicile. En première ligne pour accueillir ceux qui ont voulu fuir et traverser la méditerranée, ils font face à une immense détresse.

vers une vitre, parfois transparente, parfois translucide, mais toujours à distance. Ici, dans le centre d’aide aux demandeurs d’asile de Raguse en Sicile, je les vois depuis la terre. Quand je faisais route vers cette expérience, dans l'avion j’imaginais ce que j’allais rencontrer. J’imaginais toutes ces personnes ayant abandonné leur maison, le moment des adieux, ou peut-être sortant en cachette, se préparant un sac. Je les voyais parcourant des terres inconnues, sans carte, cherchant à progresser, jusqu’à arriver sur la côte. Et là, est-il possible de choisir son bateau ? Je les imaginais, cherchant à voir la terre et comme dans les films, le premier qui l’apercevrait crierait « Terre ».

Voici le témoignage d’une jeune espagnole qui y a passé trois semaines cet été.

au centre d'accueil de raguse

D

epuis la terre. Quand je lisais des infos sur le drame de l’immigration, quand je voyais des images à la télé… j’avais la sensation de voir à tra-

Et je suis arrivée dans la réalité à Raguse, au sud de la Sicile.

© CVX

C’est la première terre où ils accostent -si ils accostent- en quittant les côtes de Lybie. Leurs premiers mots lorsqu’ils commencent à raconter leur voyage sont que « c’est un enfer où seul Allah ou Dieu peuvent t’aider ». « J’ai vu mourir de soif des com-

36 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 38

pagnons dans le désert Nigérian », « J’ai vu tuer des gens qui étaient dans le même camion que moi, simplement parce qu’ils n’avaient plus assez d’argent pour payer », « On m’a volé tout ce que j’avais, en me laissant entièrement nu », « Je suis parti de chez moi à 18 ans, j’en ai 23 en arrivant en Sicile »… Histoire de vies depuis la terre. Toutes ces histoires ont un prénom, un nom, une famille, un numéro de téléphone à appeler. Toutes ces histoires ont un regard perdu, un geste de la tête pour essayer d’oublier, ou le désespoir d’un nouveau retard pour obtenir les papiers. C’est le lot quotidien de ce projet de Raguse. Arriver le matin, les saluer en les regardant en face et les traiter avec dignité. J’avais déjà eu l’expérience de rédiger des projets pour des ONG. C’est une partie importante dans laquelle il faut analyser l’efficacité, la durabilité… bien sûr cette partie est nécessaire pour que tout fonctionne. Mais je me suis toujours demandé si c’est vraiment ce dont ont besoin ces personnes pour qui nous donnons notre argent, notre temps.


© Wikimedia

Pour moi cette expérience a été nouvelle. Pour la première fois je m’occupe et me préoccupe seulement de les traiter avec dignité, avec cette dignité qui leur a été enlevée en chemin, avec cette dignité qu’ils ont vu bafouée chez des compagnons de voyage. Avec cette même dignité que nous expérimentons tous lorsque nous nous levons et avons où nous doucher. Celle que nous donnent les autres, en nous saluant avec amabilité quand nous entrons dans un lieu. Ceci peut sembler peu, cela peut sembler moins important. Bien sûr ce n’est pas la seule chose dont ils ont besoin, c’est pourquoi la fondation Jean Baptiste se charge avec beaucoup d’humanité et de respect de leur fournir le nécessaire pour manger, s’habiller et surtout qu’ils acquièrent des papiers officiels leur permettant de vivre en Europe comme des personnes libres. Mais travailler avec eux pour que leur premier contact avec des européens soit aimable, courtois, respectueux, en les regardant dans les yeux et les comprendre sans avoir besoin de mots. Je crois maintenant que c'est le plus important au moment de leur entrée en Europe. Est-ce que c’est efficace ? Pertinent ? Ici, depuis la terre, pour moi oui ce l’est. Rocio, CVX Espagne

Accueillir chez soi

«A

ccueillir un réfugié, ce n’est pas seulement lui donner un logement, ou de l’argent, c’est avant tout prendre du temps pour l’accompagner dans le but de le rendre autonome et heureux ». Et Marie sait de quoi elle parle. Elle et son mari ont accueilli chez eux pendant trois mois une famille de chrétiens d’Irak avec quatre enfants et un bébé à naître. Pourquoi ? Parce qu’en réflexion sur leur maison devenue trop grande, ils avaient reçu un mail demandant des familles pour accueillir. Et aussi parce que « quelque chose dans nos vies était encore possible » maintenant que son mari était en rémission depuis un an d’un cancer. Faisant partie de CVX, il était important pour eux de demander à leur communauté locale (CL) de les aider à « discerner ». Trois conditions pour se lancer dans cet accueil en sont ressorties : - recevoir chez eux pour un temps fixé, donc trouver un logement à louer, où la famille pourrait ensuite trouver son autonomie. - disposer d’un réseau de personnes prêtes à épauler. - s’appuyer sur une association regroupant les familles accueillantes pour partager infos, expériences et aussi le côté financier. Ce qui fut fait en un mois… Puis « nous avons envoyé au consulat français en Irak la demande d’accueil de cette famille, le frère d’un prêtre dominicain irakien. Nous avons signé des papiers officiels

très exigeants. Il y a eu beaucoup d’émotion à leur arrivée ! Nous découvrons alors une famille unie qui participe au quotidien, des enfants toujours souriants et heureux d’être là. Bien sûr, il y a des petits faits qui auraient pu nous décourager, mais cette famille est notre prochain et ça, c’est concret. Et puis, nous apprenons à nous détacher des choses moins importantes, pour être plus accueillants à ce qui a vraiment une véritable valeur humaine ! » L’objectif premier est d’apprendre le français. Un réseau d’une vingtaine de bénévoles est très présent. Les enfants apprennent vite. Pour les parents, c’est plus difficile. « Notre vie ensemble, les repas en commun, nous permettent d’échanger sur le quotidien, cela complète et illustre les cours d’initiation au français ». Mais la rentrée des classes, les visites médicales après la naissance d’un petit « Marcel », la recherche de boulots, les nombreux papiers de Sécu… Tout ceci est lourd pour ce couple de retraités. « Pourtant nous n’avons jamais eu de regrets, même lors des moments difficiles. Nous sommes profondément heureux dans cet engagement et très aidés ! », reconnaît Marie. « Notre CL nous « soutient » et fait avec nous une « évaluation » continue… La première a été difficile, mais très importante. La seconde a été constructive et chaleureuse. » Sans le DESE1, cette rencontre de vie n’aurait sans doute pas eu lieu.

Inscription et info sur le centre d'accueil de Raguse auprès du réseau européen CVX migrations : migrants network cvx.e@gmail. com Plus d’info sur : cvxfrance.com

1. DESE : discerner, envoyer, soutenir, évaluer.

Retrouver le témoignage complet sur : editionsviechretienne.fr

novembre/décembre 2015 37


Ensemble faire Communauté

Dans le monde

DES LIVRES POUR LE MONDE

A l’occasion de la sortie en chinois du livre La spiritualité ignatienne de JeanClaude Dhôtel s.j., petit tour du monde des traductions des Éditions Vie Chrétienne : Hong Kong, Italie, Espagne, Roumanie, et bientôt USA !

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Un livre des Éditions Vie Chrétienne vient de paraître en chinois ! Quelle drôle d’expérience de le feuilleter sans rien deviner ! Mais comment cette histoire a-telle commencé ?

Plus d’info sur CVX de HK : hkclc.catholic.org.hk/

« Je l’ai eu, je l’ai lu, je l’ai aimé », lance avec une simplicité désarmante Sean O Cearbhallain s.j. l’assistant national de la CVX de Hong Kong depuis 1978. « J’ai pensé qu’une version en chinois serait utile pour les membres de la CVX de Hong Kong. J’étais très impressionné par les trois éléments de spiritualité que JeanClaude Dhôtel développe dans son introduction. Rien de bien nouveau mais organisé de telle façon que j’ai pensé que cela serait un bon élément de formation de base pour les membres les plus nouveaux de notre communauté. » Pour des raisons de santé, ne pouvant pas luimême traduire du français vers le chinois, le jésuite s’est tourné vers des membres de la CVX en France pour une traduction d’abord en anglais qu’il ferait traduire ensuite en chinois. Cela ne se fait pas habituellement de passer par une langue pivot, mais l’important était le message plus que la qualité littéraire ! Or la traduction

anglaise était tellement bonne que Sean s’est décidé finalement pour publier le livre sous les deux versions : en anglais et en cantonais ! « Ici, certaines personnes préfèrent lire en chinois, d’autres en anglais. Avoir les deux versions permettait de toucher un large public. Surtout que ces livres seront vendus pour tout public, nous espérons que des versions puissent trouver leur chemin vers la Chine continentale. Même si une version en caractères simplifiés aurait alors été plus utile que les caractères traditionnels utilisés à Hong Kong et Taiwan. Mais ceux qui seront vraiment intéressés pourront quand même le lire. ». Une formation pour accompagnateurs de retraite basée sur ce livre a même été mise en place. Les traductions les plus anciennes ont été nouées avec la maison espagnole d’Editions jésuites : grupo de comunicacion Loyola, Sal Terrae. Cette grande entreprise a choisi de traduire Decidir segun dios de Jacques Fedry s.j. car l’ouvrage traite de manière simple et profonde du discernement. C’est un peu la même raison qui a conduit à la traduction italienne.

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C’est en cherchant des livres de spiritualité solide et « incarnée » dans les librairies françaises que la maison d’édition Qiqajon du monastère de Bose (Italie) s’est décidée pour La traversée de l’impossible ou La coppia attraverso gli anni de Xavier Lacroix. « Nous ne publions pas des feux de paille qui suivraient la mode, mais nous visons des « long-sellers » qui restent d’actualité durant les années et peuvent continuer d’accompagner les lecteurs », argumente pour son choix le frère Matthias Wirz. Une traduction en roumain de « Qui es-tu Ignace de Loyola ? » de JC Dhôtel est également en cours.

De leur côté, les Éditions Vie Chrétienne vont également chercher des pépites à mettre à disposition de leurs lecteurs : ainsi les deux livres du cardinal Martini (Et moi je suis avec vous ; La onzieme heure : se décider pour le Christ), ou parmi leurs derniers livres, Nos villes d’un cœur brûlant, dont une grande partie est traduite de l’allemand. Sans compter un livre attendu pour la fin de l’année d’un jésuite américain, Richard Hauser s.j., en coédition avec le Cameroun !


Billet

La rentrée est déjà loin. Mais les enfants continuent de nous enseigner. Telle Carine qui s’émerveille devant l’apprentissage de la lecture de sa « grande » dernière. « Lo-la-a-lu », ânonne Marion avant de relever la tête les yeux brillants : « Lola a lu ! ». Le passage entre des signes écrits, le son et le sens vient de se faire. Un prodige qui se répète pour chaque enfant. Ou presque. Car il y a ceux qui sont malades de l’école. On dit d'eux qu'ils sont en phobie scolaire. Les raisons sont diverses : du harcèlement pour l’un, un choc, une pression de la société, un manque de sens, une différence de sensibilité… Les parents sont tellement démunis : impossible de passer le portail du collège pour Clément, il vomit et est pris de tremblement. Pleurs et maux de ventre chaque soir pour Jules au moment de faire son sac. Maeva reste enfermée dans le noir dans sa chambre, refusant tout contact. Certaines familles trouvent appui auprès de groupes de partage sur Facebook. La litanie des échecs, des peurs, des appels est parfois rompue par la joie d’une « ancienne » qui a réussi un retour dans une nouvelle formation. Comment garder espérance devant tant de souffrances ! « Où est ton Dieu ? » Cette interrogation du psaume 42 est venue secouer Delphine. Elle vient de me dire qu’elle a pu rendre grâce dans son grand trouble. Elle ne voit plus une litanie de plaintes sur Facebook. Elle y voit un groupe de soutien, des parents qui ne se connaissant pas, ne se verront jamais, expriment leur désarroi mais aussi leur soutien : « Ne lâchez rien ! », lance ce père qui a passé trois jours avec son fils dans son collège, le suivant de classe en classe, s’asseyant près de lui, se levant lors de l’entrée de chaque surveillant. « Courage ! Tu es très forte. Tu as essayé aujourd’hui, tu y arriveras peut-être demain », encourage via le réseau social une maman à une jeune qui s’auto-dévalue de ne même pas arriver à faire ce que les autres de son âge font aussi facilement. Qui d’autre que son Dieu peut donner autant de courage et de vie lorsque les ténèbres semblent gagner ! Qui d’autre que son Dieu peut être présent jusque sur les réseaux sociaux, Lui, Trinité, qui est relation. Je suis émerveillée. Pour Delphine, comme pour la petite Marion, le passage entre les signes écrits et le sens vient de se faire.

© Altanaka / iStock

DES SIGNES ET DU SENS

Rachel Tsehaye

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Prier dans l’instant

devant une corde à linge Ce midi, après le repas, je n’ai pas d’urgence et comme je suis à la maison, je décide de « buller » sur la terrasse. C’est agréable cette pause. Je prends le temps de regarder autour de moi, les couleurs des arbres, les fleurs. © Sam Royds / Photodisc

J’entends un oiseau chanter, les autres doivent faire la sieste. C’est calme. Soudain mon regard est attiré par quelque chose de nouveau, deux jardins plus loin : une corde à linge. Il y a peu de temps qu’elle est installée. Sur cette corde, des vêtements prennent le vent et le soleil pour laisser partir l’humidité. Des tailles différentes, des couleurs multiples. Je prends conscience que de nouveaux voisins viennent de s’installer. Peut-être aurais-je l’occasion de les croiser, de leur parler ? Peut-être pas tout de suite. Je me tourne vers toi, Seigneur, et je te confie cette famille qui s’installe dans le village. Oui, Seigneur, envoie sur elle ta bénédiction. Bénis petits et grands et mets en leur cœur la joie de fortifier l’amour qui les unit. Je te remercie, Seigneur, pour cette pause qui m’ouvre sur mon environnement quotidien. Je comprends mieux comment tu me rejoins dans le concret de la vie. Catherine RAPHALEN

Nouvelle revue Vie Chrétienne – novembre/décembre 2015


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