Revue Vie chrétienne - mais 2016

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Vie chrétienne Nouvelle revue

C h e r c h e u r s

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D i e u

P r é s e n t s

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M o n d e

BIMESTRIEL DE LA COMMUNAUTÉ DE VIE CHRÉTIENNE ET DE SES AMIS – Nº 41 – MAI/JUIN 2016

Collaboratifs, vraiment ? Prier avec You Tube Ignace et la vie trinitaire


Sommaire

NOUVELLE REVUE VIE CHRÉTIENNE Directeur de la publication : Jean Fumex Responsable de la rédaction : Marie-Élise Courmont Rédactrice en chef adjointe : Marie-Gaëlle Guillet Comité de rédaction : Marie-Élise Courmont Jean-Luc Fabre s.j. Marie-Gaëlle Guillet Patrick Lepercq Marie-Thérèse Michel Laetitia Pichon Comité d'orientation : Marie-Agnès Bourdeau Nadine Croizier Marie-Claude Germain Anne Lemant Claire Maillard Étienne Taburet Fabrication : SER – 14, rue d’Assas – 75006 Paris www.ser-sa.com Photo de couverture : MHGALLERY / iStock Impression : Corlet Imprimeur, Condé-sur-Noireau

ISSN : 2104-550X 47, rue de la Roquette – 75011 Paris Les noms et adresses de nos destinataires sont communiqués à nos services internes et aux organismes liés contractuellement à la CVX sauf opposition. Les informations pourront faire l’objet d’un droit d’accès ou de rectification dans le cadre légal.

le dossier

l’air du temps Le rôle des chrétiens en Europe Herman van Rompuy chercher et trouver dieu

Collaboratifs, vraiment ? Témoignages Les contradictions de l’économie collaborative Elena Lasida Jérémie, héraut du lien social Marie-Élise Courmont Des échanges économiques aux échanges humains Étienne Grieu s.j. se former Contempler une œuvre d’art Le machaon de Barbara Strobel Prier avec YouTube Nicolaas Sintobin s.j. En travaillant pour les chrétiens en danger Jean-Pierre Dubos L’Évangile de la miséricorde Alain Matteews s.j. Ignace et la vie trinitaire Michel Fédou s.j. L’évaluation en fin de rencontre Marie-Françoise Olivier ensemble faire communauté Une parole à méditer Premiers pas en service Du chantier « familles » aux réalités familiales Pourquoi une université d’été ? Réviser autrement CVX en Nouvelle-Zélande babillard billet Heureux lâcher prise ! Patrick Lepercq prier dans l'instant En écoutant une conférence Dominique Pollet

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La revue n’est pas vendue, elle est envoyée aux membres de la Communauté de Vie Chrétienne et plus largement à ses « amis ».

CHACUN PEUT DEVENIR AMI OU PARRAINER QUELQU’UN. Il suffit pour un an de verser un don minimum de : l 25 € l 35 € si je suis hors de France Métropolitaine l Autre (50 €, 75 €, 100 €…) n Par virement : RIB 30066 10061 00020045801 60 IBAN FR76 3006 6100 6100 0200 4580 160 – BIC CMCIFRPP n Par versement en ligne sur viechretienne. fr/devenirami n Par chèque bancaire ou postal à l’ordre de Vie Chrétienne À envoyer à SER – VIE CHRÉTIENNE – 14, rue d’assas – 75006 Paris – amis@viechretienne.fr

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Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 41


Éditorial

urgent : cherche ouvrier pour ma vigne

Le champ de la mission n’a pas de limite !

® Deep Green / iStock

«

Il est des réalités de notre société qui requièrent particulièrement notre attention, notre présence et notre action. Ce numéro attire le regard sur l’Europe à travers son ‘Air du temps’ (p. 4-5), sur les chrétiens en danger (p. 22-23) ; il nous fait réfléchir à de nouveaux modes d’échange économique dans le dossier ; il nous parle d’actions menées par la Communauté concernant la famille (p. 33) et la préparation de l’université d’été dont le thème rejoint la pauvreté et l’écologie (p. 34). Tous les domaines sont concernés : politique, économique, sociétal. Chrétiens laïcs, c’est en effet dans tous les domaines de la vie quotidienne que nous sommes appelés à discerner la présence du Christ et à l’apporter.

»

Ce constat pourrait conduire au découragement… nous ne pouvons être partout… tout cela nous dépasse ! Il peut aussi nous porter à l’action de grâces. Pour la présence du Christ en tous lieux, Lui le seul Sauveur. Pour la collaboration de tous à Sa Mission, chacun avec son charisme et sa vocation propre. Pour le compagnonnage nous rendant solidaires de la mission des autres. Toutes ces réalités souffrantes ont besoin de notre compassion, de notre action, et de notre espérance. Confions cela à Marie, « modèle de notre collaboration à la mission du Christ »1.

Marie-Élise Courmont

redaction@editionsviechretienne.com

1. Principes Généraux de la Communauté de Vie chrétienne.

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L'air du temps

le rôle des chrétiens en europe A l’heure où l’Union Européenne est secouée par les crises financières et par l’arrivée de réfugiés fuyant les guerres, le président émérite du Conseil européen, Herman Van Rompuy dans un discours à la chapelle pour l’Europe, revient sur les valeurs morales faibles, qui président aux choix européens actuels et sur le rôle des chrétiens en Europe pour contribuer au changement.

L ® Conseil Européen

Herman Van Rompuy, premier président permanent du Conseil européen de 2010 à 2014.

L’Union Européenne a été créée sur des valeurs. Ce n’était pas d’abord un projet économique. C’était notre réponse à la cruauté et à la barbarie de la seconde guerre mondiale et de toutes les guerres précédentes. L’Union était basée sur la réconciliation entre les nations et par là sur la restauration de la dignité humaine et de la valeur irremplaçable de chaque personne humaine. En déshumanisant les autres, nous nous déshumanisons dans une spirale infinie de violence et de haine. En renonçant à la revanche, l’Union Européenne a mis un point final à cette évolution fatale. La chute du mur de Berlin était aussi basée sur des valeurs. C’était une victoire sur le mensonge, sur la dictature, sur l’ignorance de la spécificité de chaque être humain. Rejoindre l’Union signifiait rejoindre ces valeurs que nous appelons les valeurs européennes. Le rôle des chrétiens dans la création de l’Union fut crucial. Les chrétiens devraient aujourd’hui se montrer les plus forts défenseurs de l’idée européenne.

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Défis actuels et réponses éthiques Dans le monde actuel, nous sommes confrontés à des défis majeurs qui ont des implications éthiques très fortes. Le flux massif de réfugiés de guerre provoque deux sortes de réactions, y compris parmi les chrétiens : - la première souligne que le renforcement des communautés musulmanes en Europe est une menace pour le caractère propre de nos sociétés, de nos valeurs, de notre cohésion sociale. Ce serait un pas vers l’islamisation de l’Europe ; - la seconde réaction pointe que les réfugiés de guerre, en tant qu’êtres humains, ont besoin de notre compassion, et en tant que victimes du terrorisme et de la barbarie, ont besoin de notre générosité et de notre hospitalité. Nous pourrions œuvrer ensemble à leur intégration dans une société multiculturelle. Nous tenons fermement à nos valeurs publiques et la solidarité en fait aussi partie. Le premier groupe considère comme naïf le second. Le second décrit le premier comme égoïste, mû par la peur et non l’espérance.

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Une vision sage est de travailler à l’équilibre entre humanisme et réalisme. C’est plus vite dit que fait ! Permettez-moi de commenter ces deux approches. Nous ne devrions pas tomber dans le piège de la généralisation. ‘’Mettre tout le monde dans le même panier’’ et réintroduire la notion de culpabilité ‘’collective’’. Ce serait très dangereux car c’est la base du nationalisme et du racisme. Une répétition des attaques de Cologne ou de nouvelles attaques terroristes renforceraient ce sentiment de “choc des civilisations”. C’est pourquoi, il est crucial que des voix modérées, de lucidité, de dialogue, de fermeté soient plus souvent entendues aussi bien du côté musulman que du côté chrétien. Sinon, les choses peuvent dérailler. Mon slogan est “une civilisation, plusieurs cultures”. Notre civilisation occidentale est basée sur la démocratie, la règle du droit, l’égalité des sexes, la non-discrimination, la séparation entre


Mon second commentaire est que derrière cette soi-disant défense de nos ‘valeurs‘, il s’agit plutôt d’une aversion pour l’autre, un refus de solidarité, le côté égoïste de nos sociétés introverties, la peur de l’individu isolé. La défense de nos valeurs peut être un prétexte / un alibi pour un égoïsme que nous ne voulons pas voir. Cela aussi est une évolution dangereuse.

rester personnaliste Dans tous les cas, les chrétiens devraient rester personnalistes. Les êtres humains ont une dignité intrinsèque qui ne peut jamais être relativisée ou diminuée, et que nos contemporains et nos sociétés n’ont aucun droit de supprimer ou de violer. Les êtres humains sont des êtres de relation et des êtres qui s’engagent, c’està-dire qui prennent librement la responsabilité de leurs propres vies, mais aussi de celles de leurs contemporains et de la société dans son ensemble. Les chrétiens ne devraient jamais oublier que leurs contemporains sont des personnes réelles,

surtout celles qui sont dans le besoin. Nous devenons des personnes vraiment concernées et moralement engagées, vis-à-vis de ceux qui traversent la Méditerranée en hiver, vis-à-vis des enfants qui meurent dans le froid ou qui vivent sous des tentes à Calais. La vue de ces visages peut, peutêtre, changer notre point de vue et notre attitude. […] Nous devons être conscients que nous sommes à un carrefour et que beaucoup de choses sont en jeu. Les chrétiens, en tant que tels, peuvent avoir des vues différentes sur la politique économique, sur la nécessité de l’austérité ou de réformes structurelles, sur les irrégularités dans nos sociétés et sur la façon de résoudre le changement climatique. Les chrétiens peuvent donner un contenu différent à des valeurs telles que la responsabilité et la solidarité. Nous ne pouvons continuer d’augmenter sans fin des dettes publique et privée, de détériorer notre environnement, d’épuiser les matières premières et les sources d’énergie non-renouvelables. Aimer son voisin n’est pas suffisant. Tous les êtres humains, présents et futurs, sont nos voisins. C’est aussi simple que cela. Nous ne devrions prendre aucun risque. Échouer sur l’avenir de l’humanité est le plus gros échec que l’on puisse imaginer.

® Purestock

l’Église et l’État, et sur l’économie sociale de marché. À l’intérieur de ce cadre, il devrait y avoir de la place pour de nombreuses croyances et cultures… Une fois ce modèle accepté, le nombre de musulmans ou de personnes d’autres croyances est moins important. Le sentiment général est que nous n’y sommes pas encore.

▲ L’église du souvenir à Berlin ou Gedächnichtkirche restée en ruine rappelle les horreurs et les destructions de la guerre. C’est aujourd’hui un mémorial dédié à la paix et à la réconciliation.

[…] Nos sociétés changent radicalement en raison de la technologie, de la biotechnologie, de la prospérité, du progrès médical, de la mondialisation, de l’immigration… La pire des attitudes est de se replier sur soi et d’être dominé par la peur. Là est la source des conflits et de la violence. Notre approche doit rester pleine d’espérance. ("Wir schaffen das : Yes, we can"), nous devons être du côté d’Eros et non de Thanatos. Les chrétiens doivent contribuer à ce changement sociétal, même s’ils sont dans la position du ‘’petit reste d’Israël’’.

Retrouver l’intégralité de son discours en français et dans sa version originale en anglais sur le site : editionsvie chretienne. fr

Traduit de l’anglais par Marie-Thérèse Michel Discours donné à la Chapelle pour l’Europe à Bruxelles le 20/01/2016

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Chercher et trouver Dieu

collaboratifs, vraiment ? Ouvrir sa maison, sa voiture, sa bibliothèque… partager un travail, des recettes, des talents… Les différents témoins de nos pages l’ont fait. Au-delà de l’intention de départ, ce sont d’autres richesses qu’ils ont découvertes. Pourtant, ne fermons pas les yeux sur la part d’ombre de cette nouvelle économie. Au-delà des risques, cet attrait révèle sans doute la grande soif de liens, de contacts directs, d’échanges et de confiance qui habite notre société. Quelle que soit la forme que prendront nos échanges économiques et s’ils étaient avant tout des échanges humains ? Et si cela participait à notre collaboration à l’œuvre de Dieu ?

© Nicholas C. Ridge free library, Pittsburgh, Pennsylvanie.

Marie-Gaëlle Guillet

TÉMOIGNAGES Partages et échanges au quotidien. . . . . . . 8 Contempler avec blablacar. . . . . . . . . . . . . . 9 Avec les plus fragiles. . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 Des échanges en vacances qui bousculent. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 CONTRECHAMP Les contradictions de l’économie collaborative . . . . . . . . . . . .. .12

ÉCLAIRAGE BIBLIQUE Jérémie, héraut du lien social . . . . . . . . . .. .14 REPÈRES ECCLÉSIAUX Des échanges économiques aux échanges humains. . . . . . . . . . . . . . . . .. .16

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POUR ALLER PLUS LOIN . . . . . . . . . . . .18

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Chercher et trouver Dieu

Témoignages

partages et échanges au quotidien Après un déménagement, ce couple de trentenaires a été bousculé par un nouvel entourage pratiquant l’échange de savoirs et l’entraide. Ils font aujourd’hui l’expérience d’un mode de vie basé sur le partage.

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jeunes parents qui se mobilisent sans relâche contre la fermeture d’une petite maternité rurale… Leurs vies nous semblaient unifiées, bien plus que les nôtres. Combien de fois nous sommesno us d i t  : « I l s ne s o nt p a s croyants, et pourtant, comme il est beau le chemin qu’ils nous ouvrent dans le respect de l’autre, de la création, dans leur accueil du plus petit et de la différence. » La conversion a commencé, elle a été porteuse de joie. Cette soif de partage et d’authenticité sommeillait en nous (sous nos carcans familiaux et les schémas

© NLshop / iStock

En 2009, notre arrivée dans le Berry a marqué un tournant. Nous nous sommes liés d’amitié avec plusieurs membres de réseaux alternatifs, associatifs et militants (MRJC, Confédération paysanne, Accueil paysan). Nous avons été bousculés, dérangés parfois, par les choix de ces personnes, devenues depuis nos amies. Un ancien ingénieur militaire qui se convertit en paysan et qui fabrique son fromage avec ses 25 chèvres, d’une race locale en voie d’extinction ; un jeune papa de 25 ans qui fait le choix de vivre la semaine à Paris durant trois ans pour son mandat de secrétaire général du MRJC ; des

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inculqués dans nos études), elle ne demandait qu’à germer. Construction de notre maison en paille, toilettes sèches, échanges de services sur les chantiers, soirées « partages de savoirs » de couture, cours de guitare à un petit voisin, trocs de fringues entre copines, échanges de maison, groupement d’achats locaux… sont quelques-uns des domaines où s’exprime ce désir. La difficulté est la contagion qui s’opère dans tous les domaines de la vie, et que nous devons gérer. La richesse humaine et l’épanouissement sont tels dans ces nouveaux choix que les systèmes « classiques » nous semblent de plus en plus difficiles à vivre. La quête de sens s’étend comme un raz de marée dans notre vie. Et nous sommes conscients que nous devenons de véritables poils à gratter dans notre milieu familial et professionnel. Une place pas toujours simple à vivre, ni certainement, à accueillir. Claire et Nicolas


contempler avec blablacar Ayant commencé le covoiturage pour des raisons pratiques, Anne découvre un chemin d’humanité au travers des nombreuses rencontres improbables qu’elle y fait. Bel et parfois difficile exercice de contemplation.

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« Dis maman, tu devrais prendre des covoitureurs ! » C’est sur l’interpellation de mes enfants étudiants que j’ai commencé l’aventure de Blablacar. Il faut l’avouer, au départ, c'était pour des considérations économiques et pour me donner un peu bonne conscience en participant à la protection de l’environnement dans un cadre sécurisé : je sais avec qui je voyage, pas d’échange d’argent en direct… Je retiens plusieurs anecdotes qui sont pour moi presque un chemin spirituel. J’habite dans une toute petite ville et pourtant au cœur de mes nombreux voyages, je rencontre toujours des personnes que je n’ai jamais croisées. De nombreux étudiants pourraient être mes enfants : souvent ils me parlent de leur formation, je les questionne sur leurs centres d’intérêts. Certains s’ouvrent. Ceux qui posent des questions sur ce que je fais sont assez rares… Surtout, que dire quand on est mère au foyer, engagée dans l’Église ? Comment cela peut-il les rejoindre ? Parfois j’ose en dire un peu plus… au

risque d’un grand silence. Cela ne m’est pas naturel de risquer une parole vraie avec des inconnus, je ne suis pas toujours prête à accueillir le silence. De temps en temps des dialogues naissent. Un voyage a réuni trois musulmans dans ma voiture : un vieux monsieur en djellaba, un jeune de la deuxième génération et un musulman africain. Une plongée dans un autre monde pour moi ! Une autre fois, une dame en quête de sens, qui a été proche d’une secte, avec qui nous avons eu un bel échange. Je suis touchée par la simplicité : « Excusez-moi, je reviens d’un mariage, cela ne vous dérange pas si je dors ? » Alors je poursuis ma route en silence en pensant à mes enfants qui, eux aussi, bénéficient parfois d’un ange gardien qui les conduira pendant leur sommeil. Je rends grâce pour ces rencontres improbables que je reçois comme des cadeaux ! J’apprends à vivre la rencontre avec ce qu’elle a de frustrant parfois : dur dur quand le passager garde ses écouteurs sur les oreilles, ou qu’il téléphone

pendant le trajet ! Ce jour-là je peste en moi-même, ou alors j’ai une envie folle de mettre la radio, mais comme les émissions que j’aime se trouvent sur RCF, vais-je oser imposer cette radio engagée ? La rencontre et son contenu ne m’appartiennent pas : je m’exerce à chaque fois à accueillir la nouveauté, à sortir de moi-même, à dépasser mes frustrations et le soir dans ma prière d’alliance, je confie chacun au Seigneur. Ces voyages sont aussi une manière de contempler l’humanité si diverse, aimée de Dieu… Anne mai/juin 2016

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Chercher et trouver Dieu

Témoignages

avec les plus fragiles Installée à Lyon, avec une activité de traiteur et l’exploitation de deux restaurants d’entreprise, PRESTAL emploie aujourd’hui 60 salariés dont 40 personnes en insertion. Un essai pour se soutenir et construire collectivement en entreprise.

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Entreprise d’insertion… Deux mots conjugués pour mettre l’économie au service de l’homme. Une manière d’envisager le travail autrement.

© Thomas Northcut / Digital Vision

Dans l’entreprise, tous les postes peu qualifiés sont réservés à des personnes en difficulté (rupture sociale, échec professionnel, réfugiés…). Ainsi, dans notre recrutement, les plus fragiles sont prioritaires sur les plus performants. Critères inverses du management ordinaire, mais au final, ceux à qui nous donnons

une chance nous le rendent bien : c’est une entreprise où l’on est heureux de venir travailler, dans un climat très positif. L’attention de l’encadrement est concentrée sur les salariés en situation d’insertion, pour lesquels toute l’équipe s’engage à construire un parcours professionnel qui s’inscrira dans la durée, jusqu’à retrouver un emploi durable. On peut passer des heures à chercher des solutions pour une personne en difficulté. Le salarié est entouré, formé, soutenu et accompagné. C’est un vrai travail collectif, un projet d’entreprise partagé par tous. Et la réussite naît de ce partage. La réussite, c’est d’abord la joie de voir une personne dépasser ses limites, faire confiance, saisir la main tendue, se reconstruire, retrouver une vie sociale, un emploi, une place… et parfois revenir nous voir, au bout de quelques années, pour nous donner des nouvelles. Ici on ouvre le champagne plutôt pour un CDI, un CAP ou un appar-

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tement obtenus… que pour un nouveau marché ou une croissance de chiffre d’affaires, même si bien sûr nous en avons besoin pour faire vivre l’ensemble. Cela nous rappelle que le travail est au service de la personne et non l’inverse. À côté de l’entreprise, il y a aussi des bénévoles qui donnent de leur temps gratuitement, pour soutenir tel ou tel, renforcer un niveau de français, de maths, accompagner une recherche d’emploi, encourager une démarche. Cette gratuité est un vrai cadeau pour la personne en parcours d’insertion, elle vient lui redire combien « tu as du prix à mes yeux » et elle est contribue grandement à la sortie de l’échec. Depuis 15 ans, plus de 300 personnes ont été accueillies et 70 % ont retrouvé un emploi. L’Esprit souffle… La preuve est faite qu’une autre voie est possible. Marine


des échanges en vacances qui bousculent Échanger sa maison pour partir en vacances quelques jours ou plusieurs semaines a permis à Rachel de changer son regard, de vivre un dépouillement et une confiance avec de parfaits inconnus.

Et lorsque nous arrivons à destination, à chaque fois c’est la sur-

Les amis à qui nous parlons de ces échanges nous questionnent très souvent : « Cela ne vous fait pas peur que des inconnus viennent chez vous ? » Je réponds : « Je suis chez eux quand ils sont chez moi. Ceux qui abusent chez les autres sont ceux qui ont peur que l’on fasse la même chose chez eux, ils ne font pas d’échange ». Car ces échanges se font sur la confiance. Une confiance envers de complets inconnus, dont je ne connais ni la religion, ni les valeurs. C’est le fait de faire confiance qui crée le climat d’ouverture et de bienveillance. Voir que la confiance est possible sans autre base que de la désirer, la construire et la vivre de par le monde… autant de graines de paix semées. Pour moi, c’est participer à construire le Royaume. Isabelle

© Ronstick / iStock

Au moment où les futurs voyageurs se plongent habituellement dans les guides touristiques avant de partir… nous, nous améliorons notre petit guide pour nos futurs visiteurs. On y retrouve tout ce que l’on peut faire dans une petite ville avec des enfants, les restos testés avec nos appréciations, les téléphones de médecins, de baby-sitters et de voisins prêts à dépanner en cas de problème. Même déplacement intérieur vécu au moment de boucler les valises : non seulement nous devons penser à ce qu’il faut emporter, mais aussi ranger, vider des placards pour que nos hôtes puissent ranger leurs propres affaires chez nous. Bref, je découvrais des vacances où l’on ne pense pas uniquement à soi !

prise. Chacun a sa propre manière d’accueillir : des bonbons sur les oreillers pour les uns, un bouquet de fleurs fraîches, des spécialités culinaires au frigo… ou rien. Chacun a sa notion de la propreté : de gros moutons sous les lits chez certains, des consignes qui me semblent maniaques pour une propreté parfaite chez d’autres. Cela bouscule et dépouille, il faut s’adapter, ne plus attacher autant d’importance à certains usages, en sachant que la famille en face devra aussi faire des efforts pour s’acclimater à notre maison. Cela demande aussi un peu de lâcherprise : par exemple lorsque nous retrouvons au retour que les casseroles ‘qui-ne-peuvent-pas-passer-à-la-machine’ nous attendent propres dans le lave-vaisselle. Estce aussi grave que cela ?

© VladimirFloyd / iStock

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Famille nombreuse aimant voyager à l’étranger, nous avons trouvé la solution des échanges de maison pour aller loin, longtemps et ensemble. Mais dès la décision prise en vue du premier échange, je me suis aperçue que ces vacances m’amenaient beaucoup plus loin que prévu.

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Chercher et trouver Dieu

Contrechamp

Les contradictions de l’économie collaborative Renforcement de la consommation ou alternative au capitalisme. Les nouvelles formes de cette économie interrogent, constate l’économiste Elena Lasida. Mêlant écologie, économie de crise, refus des charges sociales, nous conduisentelles vers de nouvelles solidarités ou vers une déstructuration des liens ? Tout est encore possible.

A Elena Lasida Directrice du Master « Économie solidaire et logique du marché » de l’Institut Catholique de Paris. "Le goût de l'autre", de Elena Lasida, Albin Michel, 2011.

Acheter un canapé, une robe ou un Smartphone d’occasion, faire du covoiturage ou louer une voiture à un particulier, échanger son appartement ou louer une chambre chez l’habitant : autant de pratiques associées à l’économie collaborative. Le Bon Coin, BlaBlaCar, Airbnb, Uber… constituent les nouvelles enseignes du marché. Ce sont des plateformes numériques qui permettent l’échange des biens et des services entre particuliers. S’agit-il d’une alternative au capitalisme et à l’économie de marché ou, au contraire, d’une manière d’optimiser le revenu et les biens qu’on possède ? S’agitil d’une économie plus humaine et solidaire ou d’un moyen de consommer moins cher ? L’économie collaborative est traversée par ces contradictions : c’est à la fois sa force et sa faiblesse, ce qui la rend en même temps attirante et insaisissable.

Les lignes qui suivent ne prétendent pas élucider son mystère mais plutôt, donner quelques clés pour l’accueillir et le faire évoluer dans le sens de la vie.

Des motivations contradictoires Dans les pratiques de l’économie collaborative on peut identifier des motivations très différentes, voire contradictoires :

d’agrandir, le niveau de consommation sans dépenser plus. Ceux qui rendent le service arrondissent ainsi leur fin du mois et ceux qui l’achètent, y accèdent à moindre coût. On est dans une logique gagnant-gagnant qui permet de « se débrouiller » quand on a peu de moyens. Il s’agit en ce sens d’une économie de crise. Optimiser les échanges

Faire plus avec moins Voyager, se loger ou consommer moins cher, vendre ou acheter près de chez soi, accéder à un service adapté. Le coût, la facilité d’accès, et l’adaptation du service aux besoins du consommateur sont les arguments mis en avant par les enseignes de l’économie collaborative. Dans un contexte généralisé de crise économique et de réduction du pouvoir d’achat, ces pratiques permettent de maintenir, voire

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L’économie collaborative permet de démultiplier les échanges en évitant le cadre normatif qui régule le marché. On ne paye ni des impôts ni des charges, il n’y a rien à déclarer ni à faire contrôler. L’échange marchand peut ainsi s’élargir sans la contrainte des normes publiques qui régulent l’activité économique. La souveraineté du consommateur et la liberté du producteur sont ainsi privilégiées.


Mais l’économie collaborative met également en avant la relation de confiance entre les particuliers qui échangent, la création des circuits courts, la proximité des échanges, la convivialité de la rencontre. Il s’agit d’une autre manière de faire du collectif et de créer du commun. Et ce commun atteint également les générations futures car la préservation de l’environnement constitue une justification majeure dans ce type d’échange : on pollue moins en faisant du covoiturage, on gaspille moins en achetant d’occasion… On voit ainsi que dans l’économie collaborative se croisent des enjeux et des intérêts différents, voire contradictoires : moyen de survie, développement du marché ou création d’une nouvelle manière de faire société…

Ne pas confondre avec : La multiplicité de motivations et d’enjeux sous-jacents dans l’économie collaborative conduit souvent à une confusion avec d’autres modèles économiques émergeants, qui sont proches mais qui ne doivent pas être complètement assimilés. l’économie circulaire : elle désigne un système d’échange et de production visant à augmenter l’efficacité de l’utilisation de ressources. Cela implique de recycler les déchets mais aussi de fabriquer des produits avec une du-

© Jacques Charlier 2014.

Créer du commun

▲ Une multiplicité de motivations et d’enjeux sous-tendent l’économie collaborative.

rée de vie plus longue, de faciliter leur maintenance et réparation, et de permettre de réemployer leurs composants (éco-conception). l’économie de fonctionnalité : elle privilégie l’usage par rapport à la possession. Au lieu de vendre le produit, on vend le droit de l’utiliser. Par exemple : le système de bicyclettes publiques existant aujourd’hui en plusieurs villes (Vélib à Paris) ou la location d’outils de bricolage. On produit moins de biens et plus de services. l’économie de partage (pair-àpair) : elle désigne des communautés de coproduction au sein desquelles les individus s’autoorganisent pour produire un bien commun, sans plateforme intermédiaire comme dans l’économie collaborative. l’économie sociale et solidaire (ESS) : elle regroupe les entreprises qui ont une utilité sociale, laquelle peut se traduire dans la manière d’organiser l’activité (coopérative, mutuelle, association ou fondation) ou dans la finalité poursuive par l’activité (santé, éducation, lien social, accès au travail…).

L’économie collaborative partage ainsi avec l’économie circulaire et l’économie de fonctionnalité le souci écologique mais sans en faire sa principale finalité. Elle permet de produire des services à plusieurs mais ces services ne font pas l’objet d’une propriété collective (comme dans les coopératives). L’organisation des structures est pyramidale : pilotées par un gestionnaire informatique (pas de gouvernance démocratique). Leur finalité première est souvent la maximisation du profit (et non pas l’utilité sociale comme dans l’ESS).

Menaces et promesses Il s’agit sans doute d’une nouvelle manière de faire de l’économie, avec des risques énormes, qui ouvrent pourtant l’horizon vers de nouveaux possibles. La principale menace est la déstructuration du système fiscal et de la politique sociale. Sa promesse : la possibilité d’inventer un nouveau modèle fiscal et social, fondé sur une nouvelle manière de concevoir la construction du commun et de la solidarité. Elena Lasida mai/juin 2016 13


Chercher et trouver Dieu

Éclairage biblique

jérémie, héraut du lien social 1 Que n’ai-je au désert un gîte de

caravaniers ? J’abandonnerais mon peuple, je le planterais là, tous sont des adultères, un ramassis de traîtres.

2 Leur langue est comme un arc

tendu ? Leur essor dans le pays sert le mensonge, non la vérité. Ils commettent méfait sur méfait, et moi, ils ne me connaissent pas – oracle du Seigneur.

3 Soyez sur vos gardes, chacun envers

son compagnon, ne vous fiez à aucun frère, car tout frère s’y entend en mauvais tours et tout compagnon répand la calomnie.

4 Chacun berne son compagnon,

© ReinhodLoeffler / iStock

plus de paroles vraies ! Ils entraînent leur langue aux paroles menteuses. Dans leur perversion, ils ne peuvent plus revenir.

5 Brutalité sur brutalité, tromperie

sur tromperie ! Ils refusent de me connaître – oracle du Seigneur.

6 Eh bien, ainsi parle le Seigneur

tout-puissant, je vais les fondre et les examiner. Ah, comme je vais intervenir face à la méchanceté de mon peuple !

7 Flèche meurtrière que sa langue ! Il profère la tromperie. Des lèvres, on offre la paix à son compagnon,

mais dans le cœur, on lui prépare un guet-apens.

8 Ne dois-je pas sévir contre eux ? – oracle du Seigneur – Ne dois-je pas me venger d’une nation de cette

espèce ?

Jérémie 9,1-8 Traduction œcuménique de la Bible (TOB)

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Le prophète Jérémie, à la suite d’Amos, Osée et Esaïe, dénonce l’injustice sociale de son temps. Il s’adresse tour à tour au roi, aux riches, au peuple et rappelle le devoir de justice inscrit dans la Loi. Mais ici l’oracle s’adresse à l’ensemble du peuple et dénonce ce qui est perverti dans les relations d’égal à égal au sein de la société d’alors. Porte-parole de Dieu, Jérémie est là pour avertir, pour appeler à la conversion ; à travers ce réquisitoire peut se lire en creux le projet de Dieu pour son peuple. A en croire l’accumulation des mots utilisés par le prophète, les relations à Jérusalem se sont terriblement détériorées. Ce qui est pointé du doigt c’est le mensonge, la déloyauté, le désir de supplanter l’autre et la calomnie. Prenant appui sur des pratiques précises (non respect de la parole donnée, balances faussées, médisances, faux témoignages…), Jérémie s’en prend à la corruption des relations entre proches, frères et compagnons, partageant la même vie quotidienne. L’insistance est mise sur les péchés de langue ; car dans le contexte culturel du Proche-Orient ancien, l’arme de la parole était efficace pour détruire la situation sociale de ceux qui apparaissaient comme des concurrents. C’est la violence d’un climat de mensonge et de chacun pour soi qui est décrit ; et devant cette situation c’est une parole désabusée du prophète qui surgit, invitant chacun à la méfiance ! En vivant ainsi le peuple ne connaît pas Dieu ; il Lui est infidèle ; pire encore il est incapable d’entendre les exhortations du prophète à changer de comportement. Sa fausseté dans son rapport aux autres suscite la colère de Dieu. Le peuple ne répond pas à Son désir qu’il vive des relations de confiance, qu’il bâtisse une communauté loyale, paisible et harmonieuse. Bien sûr le contexte économique et social aujourd’hui n’est pas le même que celui du 7ème siècle avant JC, mais ce qui demeure, c’est la place centrale donnée à la relation aux autres, des relations basées sur la vérité et la confiance. C’est l’urgence de quitter une logique de concurrence, une logique de recherche individuelle de prospérité et de chercher à tisser des liens, à agir ensemble pour trouver

une qualité de vie sociale, où personne n’est exclue. La Loi et les Prophètes trouveront leur accomplissement en Jésus-Christ. Comme Jérémie, Jésus ne prend pas parti sur les institutions ou l’organisation de la vie sociale ; mais il donne des repères pour la vie fraternelle. Il annonce la venue du Règne de Dieu, règne de justice et de paix où les pauvres sont premiers . Et il nous invite tous à devenir des collaborateurs de ce Royaume qui vient. Créé à l’image du Dieu Trinité, l’homme est un être social appelé à bâtir une communion fraternelle. Aujourd’hui les nouvelles technologies de l’information et de la communication favorisent la mise en relations. Des expériences d’économie collaborative sont fondées sur la mutualisation et le partage et permettent de nouvelles modalités relationnelles. Sont-elles un pas vers un agir ensemble, dans la confiance réciproque ? Sont-elles un pas dans cette construction du Royaume ? Marie-Élise Courmont

points pour prier

Points pour prier Je me mets sous le regard de Dieu bon et miséricordieux. Je me mets sousde lefaire regard Dieu bon et Je+demande la grâce lade vérité. miséricordieux. Je considère les mots qui pointent ce qui n’est pas dans leslarelations peuple. Quel écho + ajusté Je demande grâce dedufaire la vérité. dans ma vie sociale ? + Je considère les mots qui pointent ce J’entends la pas souffrance de les Dieu d’être du méqui n’est ajusté dans relations connu, lui Dieu de justice  ; sa déception devant peuple. Quel écho dans ma vie sociale ? le manque de fraternité de son peuple. Qui donc est + J’entends la souffrance de Dieu d’être Dieu pour moi ? A quoi m’invite-t-il aujourd’hui ? méconnu, Lui Dieu de justice ; sa décepJe m’adresse à Lui : pardon pour ce qui fausse tion devant le manque de fraternité de mes relations aux autres… Appel à l’aide… Expresson peuple. Qui donc est Dieu pour moi ? sion de mon désir de collaborer à son œuvre de A quoi m’invite-t-il aujourd’hui ? Salut en Jésus-Christ. Je m’adresse à reprenant Lui : pardon pour ce Je+peux terminer en le refrain de qui Taizé fausse mes relations aux autres… Appel à « Ubi caritas et amor, ubi caritas Deus ibi est ». l’aide… Expression de mon désir de collaborer à son œuvre de Salut en Jésus-Christ.

+ Je peux terminer en reprenant le refrain

Courmont de Taizé « Ubi caritasMarie-Élise et amor, ubi caritas Deus ibi est ». mai/juin 2016 15


Chercher et trouver Dieu

Repères ecclésiaux

des échanges économiques aux échanges humains Économie collaborative, échanges, trocs… Quels que soient le nom ou les moyens, il y a toujours une rémunération, une comparaison des prestations, constate Étienne Grieu s.j.. Seuls les plus petits, les plus faibles peuvent nous ouvrir à un autre système de valeur. L’Alliance proposée par le Seigneur à son peuple a de quoi vivifier tous nos échanges économiques en revenant à la personne.

P

Participer à des échanges économiques suppose d’accepter des contraintes : fournir une prestation correspondant à la demande dans les délais prévus et contre une rémunération sur laquelle nous nous sommes accordés. Que la rémunération s’effectue sous forme monétaire, en nature ou bien par le biais d’un service rendu en contrepartie, il s’agit bien d’une rémunération. Il sera nécessaire de compter. Sans doute n’y a-t-il pas de vie en société sans cela. Les évangiles ne l’ignorent pas, eux qui parlent si souvent d’argent

© Visitation / le Pontormo (1529), église de Carmignano

Étienne Grieu s.j. doyen de la faculté du Centre Sèvres et professeur de théologie.

(dans un contexte beaucoup moins monétisé que le nôtre). Les comptes ont ceci de pratique qu’ils rendent possible la comparaison, ouvrent la possibilité de mettre en compétition les acteurs selon les services qu’ils rendent et le prix qu’ils demandent. Ils induisent donc aussi des classifications et font parfois naître le sentiment que tout pourrait y être soumis. Les systèmes de comptabilité que nous nous sommes donnés – car en réalité, il y en a plusieurs, qui privilégient des critères différents – vont donc jouer un rôle très important, car ce sont des repères sur lesquels nous pouvons facilement nous accorder pour entrer en relation et échanger des prestations. Ils occupent des positions stratégiques et l’on peut leur attribuer un pouvoir énorme car d’eux dépend la place que nous allons tenir dans le jeu des échanges. Nous pouvons regarder ces systèmes comme ce qui déclare quelle est la valeur de notre existence et, poursuivant en ce sens, nous rapporter à eux comme si

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c’étaient eux qui nous donnaient la vie. Bien sûr nous ne formulerons jamais la chose en ces termes, nous n’oserions pas, mais en réalité, en sommes-nous si loin ? Un test : quelle valeur attribuerionsnous à notre existence, si nous en venions à échouer dans presque tous les domaines où nous intervenons ? Est-ce que ma vie vaut encore quelque chose si j’ai de très mauvais résultats partout ?

Une autre logique que les échanges calculés Des personnes obligent à se poser cette question, ce sont celles qui, dans toutes les petites mises en compétition qui règlent notre quotidien, sont à la peine : les enfants et ceux qui sont entrés dans le très grand âge, les personnes marquées par le handicap, la maladie ou par une histoire de misère, celles qui sont étrangères à nos manières de compter. Dès que nous nous trouvons en face d’elles, nous sommes conduits à reconnaître que nos systèmes comptables habituels ne sont pas


© Visitation / le Pontormo (1529), église de Carmignano

satisfaisants, parce qu’ils ne disent rien de leur valeur ni du bonheur que nous trouvons à les côtoyer. Nous sommes alors amenés à redécouvrir tout un pan de notre existence sociale, qui est mû par une autre logique que celle des échanges calculés. Ce sont les relations qui ont comme premier motif, non pas une prestation à fournir mais la joie de retrouver l’autre, d’être avec lui et de le savoir heureux. Leur seul « pourquoi » est « parce que c’est toi ». Or, c’est ce versant de notre existence qui nous fait vivre. Car tous ceux qui chaque jour nous adressent des signes qu’ils tiennent à nous, simplement « parce que c’est toi », appellent en nous ce qui est singulier, incomparable et ne peut être placé sur une échelle de grandeur. Ils m’appellent comme pour une naissance qui a déjà commencé mais n’est pas terminée. Et ces liens sont de puissants points d’appui car nous pressentons bien que, même si nous décevons ces amis, ils ne jetteront pas l’éponge mais reprendront leur petite musique qui dit : « Nous t’attendons », « Tu as du prix à nos yeux ».

L’alliance : un rapport de vie Ce type de rapport rappelle très fortement celui qui est thématisé dans la Bible à travers l’alliance : Dieu s’adresse à son peuple, non pas à cause de prestations que celui-ci devrait lui fournir, ni pour réussir quelque chose, ni non plus à cause de telle ou telle qualité qu’il y aurait trouvée, mais simplement « parce que c’est toi, mon peuple ». La formule de l’alliance « je serai votre Dieu, tu seras mon peuple » ne dit pas plus que cela1. Or c’est ce type de rapport qui a permis à ce peuple de trouver consistance, de se frayer un chemin dans l’histoire et d’y apporter une contribution incomparable. L’alliance met en genèse, elle fait grandir, elle fait faire l’expérience du pardon (car nous ne sommes qu’exceptionnellement accordés à elle), elle invite à considérer ce qui est faible, elle interdit de s’enclore dans une relation exclusive avec Dieu mais au contraire ne cesse d’être rouverte par des nouveaux venus. C’est elle qui donne véritablement la vie. Face à cette relation au Dieu vivant, toutes nos compétitions font piètre figure et les comptes

sont remis à leur juste place, celle d’auxiliaires qui certes facilitent les échanges mais ne sont pas la source de la vie. Quand nous accueillons ceux que nous côtoyons en nous réjouissant de ce qu’ils sont, nous faisons écho à cette logique d’alliance, nous y répondons et, ce faisant, nous contribuons à lui donner consistance. Il y a quelque chose de la vie divine, alors, qui circule entre nous. Bien sûr, nous ne sommes jamais entièrement dans l’alliance ; peut-être parce que nous ne sommes pas – encore – en Dieu, tout entiers. Mais chaque relation, chaque contact, même s’il a comme objectif l’échange de prestations, peut être irrigué par la logique de l’alliance. Cela commence dès qu’on se souvient que nous avons affaire non à des fonctions, mais à des personnes. Et cela peut aller jusqu’à modifier profondément les règles du jeu, pour que chaque acteur s’y sente bienvenu, et cela, non à cause de la prestation qu’il fournit, mais « parce que c’est lui ».

1. Cette formule qu'on trouve telle quelle en Exode 6,7 est largement déployée en Osée 1-3, Exode 19-24, Deutéronome 26-31, Jérémie 31.

Étienne Grieu s.j. mai/juin 2016 17


Chercher et trouver Dieu

pour aller plus loin Des pistes pour un partage : • Ai-je expérimenté tel ou tel échange proposé par l’économie collaborative ? Quelle était ma motivation de départ ? Qu’est-ce que j’en ai retiré ? Qu’est-ce que j’ai découvert ? Qu’est-ce que cela a changé dans ma relation aux autres ? Si je n'ai pas expérimenté, pourquoi ? • J e regarde dans la société l’émergence de nouvelles formes de partage. Est-ce pour moi « un signe des temps » ? Qu’est-ce qui me semble nouveau et porteur d’avenir ? Les valeurs promues rejoignent-elles les valeurs évangéliques ? Quelle vigilance à avoir ? Dans mes échanges économiques habituels, en quoi j’accorde une place à l’autre (attention aux modes de production du produit, aux impacts environnementaux, à la relation humaine avec le vendeur, la caissière… ?). Qu’est-ce que je pourrais améliorer ? •

L ’alliance de Dieu avec son peuple : comment cela résonne dans mon expérience personnelle ? Comment cela colore mes relations aux autres ? Quels lieux me semblent porteurs de cette logique ? Quand suis-je moi-même dans cette dynamique ?

À lire : • L’économie qu’on aime ! Amandine Barthélémy, Sophie Keller et Romain Slitine. Édition Rue de l’échiquier, 2013. 10 euros. Un livre concret, précis nourri par l’immersion des auteurs dans des expériences originales et intelligentes. Une exploration des « bonnes pratiques » d’entreprises qui ne baissent pas les bras et qui croient que des solutions concrètes et à la mesure de chacun existent, et fonctionnent… preuves à l’appui ! • Économie collaborative et droit : les clés pour comprendre Loïc Jourdain, Michel Leclerc, Arthur Millerand. Fyp éditions, 2016. 16 euros. Des juristes qui analysent les possibilités de cette révolution des usages et des structures et qui mettent en lumière les failles actuelles du droit autour du partage.

À voir : • Demain 2015 de Cyril Dion et Mélanie Laurent. César 2016 du meilleur documentaire. A partir des expériences les plus abouties dans tous les domaines (agriculture, énergie, habitat, économie, éducation, démocratie…), une enquête pour trouver des pistes capables de sauver la nouvelle génération. Un film qui redonne de l’énergie et confiance : il est possible d’agir. • T he big short (le casse du siècle), 2015 de Adam McKay Quatre financiers prévoient la crise des subprimes et décident de tirer profit financièrement du prochain effondrement économique. Tourné comme un documentaire, mais avec un ton humoristique, ce film plonge le spectateur dans les méandres si complexes de l’économie. 18 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 41


contempler une œuvre d'art

© Barbara Strobel www.couleurstrobel.com

Le Machaon, ou Grand porte queue, un des plus beaux papillons diurnes français

Laudato Si ! Avec mes photos de nature, je désire partager avec mes contemporains, souvent citadins, la fascinante beauté de la Création. Cette photo peut être contemplée seule ou en lien avec le Cantique des trois enfants (Daniel 3, 51-90). Barbara Strobel mai/juin 2016 19


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École de prière

PRIER AVEC Et si le site de vidéos sur Internet tant apprécié des jeunes était aussi un instrument pour expérimenter l’intériorité ? C’est ce que propose Nikolaas Sintobin s.j. par des méditations guidées pour tous. A saisir pour soi ou pour l’animation de groupe !

D Nikolaas Sintobin s.j., jésuite flamand, a travaillé comme avocat, enseignant et aumônier dans des collèges jésuites à Paris et Anvers et comme accompagnateur spirituel. Résidant aujourd’hui à Amsterdam, il travaille à la diffusion de la spiritualité ignatienne dans les médias et le monde numérique. Il vient de publier “Moquez-vous des jésuites, Humour et spiritualité” aux éditions Fidélité.

Depuis quelques années, j’essaie de développer une présence évangélisatrice dans l’environnement numérique. Étant passionné par la pédagogie et la spiritualité ignatiennes, YouTube s’est pour moi, petit à petit, révélé comme un lieu privilégié où je trouve du matériel pour introduire des (moins) jeunes dans une expérience d’intériorité. Ceci m’a conduit à construire un site internet (www.seeingmore. org) pour partager mes vidéos avec le réseau ignatien international. Classifiées avec des tags et selon la dynamique des Exercices on y trouve des centaines de vidéos, toutes profanes, brèves, avec peu ou pas de paroles et sans message contraignant. Une de mes utilisations préférées de ces vidéos est la méditation guidée. Concrètement, je propose un temps de prière d’environ une demi-heure, inspiré de la tradition ignatienne. Dans cet article je donnerai un aperçu de cette méthode ainsi qu’un exemple concret. Je commence par expliquer que la méditation commence dès le visionnement de la première vidéo. Qu’à partir de ce moment-là une certaine qualité de silence est souhaitable. Ensuite j’invite à

ne pas chercher “l’interprétation exacte” des vidéos. Mieux vaut laisser entrer les images et les sons dans son intériorité, les goûter, sentir, et observer ce qu’elles provoquent en soi. En général je propose trois vidéos. Avant de lancer une vidéo, je donne aussi peu de commentaires que possible.

priante ou davantage profane. En introduction et à la fin, je propose les exercices (demande de grâce et colloque) qui sont habituels dans toute méditation ignatienne guidée avec un texte biblique. En bas de page, je donne un exemple de “points” (en condensé) pour trois vidéos.

Après la projection de la première vidéo, je laisse une minute de silence en invitant les gens à laisser les images entrer en soi et à relire brièvement ce qu’ils ont ressenti, ce que les images ont pu toucher ou provoquer en eux. Immédiatement après je propose un temps de partage entre voisins. Non pas pour convaincre l’autre. Mais bien pour échanger le vécu, le ressenti, les mouvements intérieurs. Ce temps de partage ne doit pas dépasser deux minutes. Le même schéma est suivi trois fois de suite, en veillant sur la qualité du silence, notamment pendant le visionnement.

Mon expérience m’a montré que cette médiation et cette méthode fonctionnent avec tout public : ados, religieuses, hommes d’affaires, profs… Le visionnement des vidéos crée une atmosphère de gratuité et de gaieté. Les moments de relecture et d’échange, aussi brefs soient-ils, opèrent une première ouverture du récit visuel. D’autant plus que celui-ci mène avec une facilité étonnante à l’intériorité et l’intimité personnelles. Le fait que ce récit visuel soit un des genres littéraires contemporains les plus répandus et donc bien plus familier que le texte biblique contribue considérablement à rendre ce type d’exercice accessible au plus grand nombre.

Après cette première partie, on passe à une méditation guidée, dans la tradition ignatienne, avec comme particularité que l’on prend comme texte les récits visuels. Selon le public, cette méditation peut être explicitement

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Nikolaas Sintobin sj

http://www.seeingmore.org/


© Rvlsoft / iStock

Méditations à partir de trois vidéos The piano – amazing short Un grand-père joue du piano et raconte sa vie à son petit-enfant. Les souvenirs reviennent : des souvenirs doux et agréables, mais aussi des souvenirs douloureux. Je prends le temps pour relire le temps passé. Je regarde d’abord, en présence du Seigneur, les événements, les rencontres,… beaux. Pour quoi est-ce que je voudrais rendre grâce ? S’il me reste du temps, je regarde ce qui m’a fait mal, ce qui m’a laissé dans la désolation. Peutêtre, me vient-il le désir de demander pardon. A la fin de cette première partie, je peux me poser la question : qu’est-ce que je conclus de cette relecture : y-a-t-il un point d’attention que je voudrais offrir au Seigneur ? Ou peut-être j’ai envie de Lui demander sa grâce pour une intention particulière.

Battle at Kruger Sur les images du parc naturel, nous avons vu que la vie est plus forte que la mort, que Dieu choisit ce qui est fragile. Même si parfois cela peut prendre du temps. Je médite ces images. Suis-je prêt à y croire ?

Où est-ce que j’ai dû me battre moi-même, où est-ce que d’autres se sont battus pour moi ? Et ai-je été sauvé d’une situation qui semblait désespérée ? Que signifie la résurrection dans ma vie ?

Le moine et le poisson Un moine fait tout ce qu’il peut pour attraper un poisson, sans y parvenir. Cela le désespère. Après avoir tout essayé, il se rend. En ce moment même le poisson se rapproche de lui. Ensemble ils montent au ciel. Il suffit que le moine se dessaisisse de son désir le plus profond pour que la réponse lui soit donnée. Quel est mon désir le plus profond ? Est-ce qu’il m’est déjà arrivé de me dessaisir de la réponse et de m’abandonner ? Est-ce qu’il m’est déjà arrivé que la réponse me soit donnée gratuitement ? Suis-je prêt à demander au Seigneur de pouvoir lâcher prise ?

Pour retrouver ces vidéos, tapez le titre dans YouTube.

mai/juin 2016 21


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Expérience de Dieu…

en travaillant pour les chrétiens en danger Abordant par hasard un nouveau travail dans une association s’occupant des chrétiens en danger, CSI (Solidarité Chrétienne Internationale) Jean-Pierre (re)découvre l’œcuménisme, la force de la prière, la vitalité de la Parole de Dieu. Au-delà du geste secourable et de pitié.

A

Abordant la dernière partie de mon parcours professionnel, je désirais un engagement plus radical au service d’une cause rejoignant mes centres d’intérêt et mes valeurs chrétiennes. Un soir, un cabinet de recrutement bien embarrassé me joint au téléphone : « Un projet tout à fait pour vous : une cause à développer, des membres bénévoles très engagés, une dimension internationale… Cependant je dois vous prévenir : il y a un point délicat. Dans cette association, avant chaque réunion de travail, ils prient ! Ça ne vous dérange pas ? ».

Une rencontre improbable dans un hôtel d’affaires parisien : je retiens de ce premier entretien les termes de chrétiens persécutés, libération d’esclaves, liberté religieuse, dignité humaine, œcuménisme, international… Intrigué, interpellé, je choisis de poursuivre la découverte de cette association. Au siège international de l’association, en banlieue zurichoise, je découvre des chrétiens de toutes confessions et de divers pays travaillant ensemble pour promouvoir la liberté de religion en Occident et aider les persécutés à cause

de leur foi dans une quinzaine de régions du monde. Pour un « converti » de Taizé, marié grâce à Taizé, profondément marqué par l’interconfessionnel, le discernement fut, pour une fois, assez facile : je rejoignais l’association en décembre 2014. Comme tout le monde, j’ai admiré les chrétiens d’Irak sommés de se convertir à l’Islam ou de payer l’impôt, d’offrir leur fille, de partir ou de mourir. Ils ont quasiment tous choisi de tout quitter, de risquer leur vie pour garder leur foi.

© CSI

Au-delà des exactions que les médias ont rapportées, c’est avant tout leur formidable témoignage de foi et leur immense espérance qui m’ont touché. Ayant tout perdu, ils espèrent plus que jamais dans le Seigneur.

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A mon arrivée chez CSI, je pensais apporter une aide humanitaire aux chrétiens persécutés, chassés, déplacés, discriminés. Je n’imaginais pas ce qu’ils pouvaient m’apporter. Je dois reconnaître aujourd’hui qu’ils affermissent ma foi. Leur témoignage est une grâce.


Association CSI-France Solidarité Chrétienne Internationale

Lorsque vous demandez à un chrétien persécuté ce qu’il attend en priorité des Occidentaux, il répond "la prière !" Pour ceux qui ont tout perdu, la relation entretenue avec le Seigneur est encore davantage leur unique trésor et toute leur espérance. Savoir que d’autres chrétiens ne les oublient pas et prient pour eux leur est d’un grand réconfort. Les persécutés ressentent cette communion au Corps du Christ très fortement. Pour les persécuteurs, les chrétiens ne sont pas divisés, ils ne sont pas luthériens, orthodoxes, évangéliques ou catholiques. Ils sont chrétiens ! Et ils doivent mourir pour cela. C’est « l’œcuménisme de sang », expression chère au pape François qui affirme par ailleurs « le sang des martyrs chrétiens nourrira une nouvelle ère d’engagement œcuménique ». Au sein de CSI, organisation chrétienne œcuménique, je me réjouis de louer et servir le Seigneur avec des frères catholiques, luthériens, évangéliques, réformés. Au-delà des divergences historiques ou théologiques, chacun apporte la diversité de ses dons et de sa tradition pour travailler ensemble à l’œuvre du Seigneur. Nous accueillons avant tout ce qui nous

CSI Solidarité Chrétienne Internationale est une organisation chrétienne œcuménique de défense des droits de l’homme. Elle soutient particulièrement la liberté de religion et la dignité humaine. En Occident, CSI organise des campagnes d’information et de sensibilisation auprès des différents publics sur les persécutions et les discriminations religieuses. Sur le terrain, l’association apporte une aide humanitaire, juridique et sociale aux victimes des persécutions religieuses et des catastrophes humanitaires. Les membres de CSI prient et agissent en commun. Dans plusieurs régions de France, ils se réunissent en groupes locaux. CSI Christian Solidarity International a été fondée par le pasteur suisse Hansjürg Stückelberger en 1977. La branche française a été lancée par un prêtre alsacien, le père Paul Humbrecht en 1980. Plus d’info : info@csi-France.fr www.csi-france.fr – Tél. : 01 56 95 17 70

unit, Jésus-Christ, et c’est une bénédiction. Par rapport à ceux qui n’ont pas renié leur foi et qui ont tout perdu pour le Seigneur, j’éprouve le devoir d’approfondir plus que jamais l’écoute de la Parole et la fidélité à la prière. De plus, devant la montée inexorable de la persécution et de la discrimination des chrétiens dans le monde, nos frères persécutés nous alertent en nous rappelant constamment la nécessité de se convertir et de s’engager toujours davantage à la suite du Christ. Par ce travail, mes relations aux autres ont changé. Alors que j’appartiens à une génération qui a souvent enfoui sa foi au fond de sa poche, j’ose aujourd’hui un appel fraternel à l’engagement

au service de l’Église. J’ai pris conscience du scandale de la division des chrétiens. Si la mission de Jésus-Christ est d’unir l’humanité, comment pouvons-nous nous satisfaire de la situation de nos Églises séparées ! Comme tous les membres de CSI, je m’exerce à prier chaque jour pour quelques situations de persécutions dans le monde. Je sors de cette prière révolté et redynamisé. Je me sens poussé à me faire le relais de leur souffrance et de leur témoignage de foi et d’espérance. J’appelle chacun à s’investir dans cette mission. Dieu est miséricorde, il ne laisse pas tomber son peuple… Écoutons les persécutés le témoigner haut et fort. Jean-Pierre Dubos

A travers cette expérience Contempler l’Église: « une seule réalité complexe, faite d’un double élément humain et divin » (Lumen Gentium 8) : confessions divisées et Corps uni par la foi, la prière et le témoignage. mai/juin 2016 23


Se former

Lire la Bible

l’évangile de la miséricorde, avec saint luc Saint Luc dans son Évangile insiste sur les différents aspects de la miséricorde : grâce du Père pour tous, actes d'amour et de pardon sans limite. Suivons Alain Mattheeuws s.j., dans son parcours.

L

Le pape François, en ouvrant cette année jubilaire, a ouvert aussi nos yeux et nos oreilles au mystère de la miséricorde. N’estelle pas à la fois une grâce et des actes précis : œuvres de Dieu et des hommes ? Si « le nom de Dieu est miséricorde » 1, cela signifie que les expressions de la miséricorde dans l’histoire humaine sont à sa mesure : riches, variées,

1. PAPE FRANCOIS, "Le nom de Dieu est Miséricorde". Conversation avec A. Tornielli, Paris, Laffont, 2016.

© Retour du fils prodigue / Fresque du réfectoire du séminaire orthodoxe sainte Geneviève à Épinay-sous-Sénart

Alain Mattheeuws s.j., professeur de théologie morale et sacramentaire à la Faculté jésuite de Bruxelles.

inscrites dans nos paroles et nos gestes de la vie ordinaire. L’évangéliste Luc souligne cette profusion de grâces qui accompagne la vie et les paroles de la « source » de toute miséricorde : le Christ, fils du Père de toute bonté. Que nous enseigne donc son Évangile ? Quelle tendresse suscite-til dans nos cœurs ?

▲ « La justice est dépassée par une miséricorde qui sauve le temps et construit une « nouvelle maison » où les fils pourront vivre en vérité leur relation filiale au Père »

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Des paraboles ? Jésus nous instruit à travers ce genre littéraire et nous indique ce qu’est le dynamisme du pardon. Car pour le père prodigue (Luc 15, 11-32), l’attente d’un changement dans le cœur de ses deux fils est une attente « patiente » et « passionnée ». Ce dynamisme est dès lors veille et bienveillance, ouverture des bras et du cœur dans la durée. Le temps de l’attente est transformé par la miséricorde « intérieure » qui précède toutes ses futures expressions. Ce temps est incontournable : il est le lieu du salut. Vivre ce temps d’attente, c’est déjà être dans la miséricorde. Au sein de cette attente, l’histoire n’est pas dans une impasse : tout est possible et l’espérance revêt les attentes d’une couleur aimante : c’est un nouvel arc-en-ciel, signe d’une alliance qui survit malgré certaines apparences contraires. Dans l’attente, la justice est dépassée par une miséricorde qui sauve le temps et construit une « nouvelle maison » où les fils pourront vivre en vérité leur relation filiale au Père. La recherche de la brebis perdue (Luc 15, 3-7)


Une alternance d’actes et de regards précis Quand Jésus s’approche de JeanBaptiste pour entrer dans les eaux du Jourdain (Luc 3, 21), il témoigne d’une nouveauté radicale : il se met au rang des pécheurs et se rend solidaire de tous les hommes. Lui qui est sans péché, il a été fait péché et il se fait péché pour nous. Cette attitude n’est pas fusion avec le péché ni avec le pécheur : elle est le chemin intime par lequel la miséricorde entre dans la réalité personnelle de tout homme et dans la condition « brisée » du monde créé. Le don de la miséricorde est une grâce qui touche la nature du créé par la puissance divine du sauveur. Ce don est intérieur à toute liberté

et à tout élément du créé : il n’est pas un ajout extérieur. Il est la trame de la création ! Au niveau des personnes, ce don est le « jusqu’au bout de l’amour » qui touche les fils de Dieu aimés et reconnus par Dieu lui-même. Les regards de Jésus posés sur Judas (Luc 22,21) ou sur Pierre (Luc 22,61) attestent eux aussi, au cœur de la tourmente des lâchetés et des trahisons, combien la miséricorde traverse ces temps de mort. Elle demeure : elle est comme le roc de toute espérance. Elle est une attitude plus forte que toute brisure. Elle prend une forme inattendue et irréversible sur la croix quand surgissent du cœur du Christ les paroles de pardon, de compassion, de vie nouvelle : « Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Luc 23,34) ; « En vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis » (Luc 23,43). Et en confirmation de ces mots, le sang et l’eau issus de son côté après sa mort, sont la preuve que la vie est plus forte que toute violence et péché : cette vie nous est encore et toujours offerte en son Église et dans tous les sacrements. Cette gratuité de la miséricorde est inscrite dans l’intime de la personne du Christ. Elle se dévoile au fur et à mesure que nous lisons l’Évangile. Nous savons que le Père est miséricordieux car Jésus nous le dit avec netteté (« Soyez miséricordieux comme votre père céleste est miséricor-

© Bapteme de Jésus / Pierro della Francesca (1450), National Gallery Londres

et de la drachme (Luc 15, 8-10) explicite ce dépassement du « donnant-donnant » et la mise en œuvre d’actions en disproportion d’amour avec la situation concrète. Ces paraboles nous instruisent ainsi sur la nécessaire « remise » des dettes qui accompagne tout mouvement de miséricorde. Cette remise des dettes (voir l’intendant avisé, Luc 16, 1-8) est à la fois raisonnable et déraisonnable : elle n’est limitée que par l’élan du cœur et les inspirations de l’Esprit. Ainsi l’aide du bon samaritain est-elle aussi un exemple interpellant (Luc 10, 30-37) : il nous offre un « visage » concret de cette œuvre de miséricorde que tout homme en son humanité est appelé à offrir à ses frères et sœurs.

▲ « Par le baptême de Jésus, la miséricorde entre dans la réalité personnelle de tout homme et dans la condition « brisée » du monde créé. »

dieux », Luc 6,36) et nous voyons le Christ « être miséricorde » en actes. Il en est le témoin dans cette annonce d’une bonne nouvelle pour tous et dans l’acte précis où il s’offre à tous pour leur salut. Sur la croix, il garde les bras ouverts pour nous signifier que la porte de l’amour du Père reste toujours ouverte pour celui ou celle qui désire revenir à Lui et guérir de toutes les blessures.

Le visage du Christ éclaire nos visages Quand saint Ignace nous invite à contempler le Christ en ses mystères (exercices spirituels !), il nous offre un chemin non seulement pour l’imiter, le suivre, mais aussi pour devenir « comme Lui » et aimer « comme Lui ». La prière est un chemin de meilleure compréhension du mystère de Dieu et du nôtre : en ce lieu et en ce temps, l’Esprit de Jésus nous

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mai/juin 2016 25


Se former

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Lire la Bible modèle à son image. Il nous suffit de répondre à son action. La prière nous rend miséricordieux.

© Jésus chez Simon le pharisien, Albert Bouts (1407), musées royaux des beaux-arts de Belgique

L e C h r i s t e s t l e F i l s  : i l e s t admirable et sa beauté régénère en nous les capacités d’aimer et donc d’aimer jusqu’à « soixantedix fois sept fois » (Matthieu 18, 21-22). Pour pardonner à notre tour, Jésus nous invite à accueillir son pardon divin en nos vies. Cet amour est le plus souvent au-delà de nos forces et les indications du Christ pour l’amour des ennemis (Luc 6, 27-28) insiste sur le fait que nos modes d’aimer doivent être aussi « sauvés ». La réciprocité ne suffit pas dans nos relations humaines (Luc 6,29-35). Nous devons puiser dans ce qui nous dépasse et réside le plus souvent en dehors de nos sentiments naturels. La paix du Christ dans sa passion est un exemple de la force qui nous manque le plus souvent pour porter les injustices et les souffrances subies. Nous sommes

appelés à demander avec courage une grâce particulière. Regarder le Christ, c’est découvrir qu’il est le Fils bien aimé et que nous sommes ses frères par adoption. Ainsi notre regard est-il convié à voir dans le visage d’autrui la réalité de sa filiation. Si nous disons « notre Père », c’est que nous sommes tous, par grâce, les fils d’un même père. C’est le fondement d’un appel à nous aimer les uns les autres et à chercher à dépasser tout obstacle à cet amour. Le visage du Christ nous dit notre dignité « fontale » : faire miséricorde, c’est redonner à autrui la vérité de son être filial en redécouvrant sa beauté originelle et en la restaurant dans notre propre regard et dans nos actions vis-à-vis de lui. Faire miséricorde, c’est régénérer l’homme dans ce qu’il est nativement et en éprouver une joie et une paix profondes. Si cette miséricorde est une grâce, c’est aussi parce que seul le Christ peut tirer le bien de toutes les

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formes du mal qui existent dans le monde et dans le cœur de l’homme. Le Christ fait miséricorde : il connaît la profondeur du cœur humain et distingue toujours la personne de ses actes. Il nous rend capables de faire comme Lui. Il nous pousse à faire comme Lui (Luc 17, 4). Le prochain est celui qui se rend proche d’autrui « en exerçant la miséricorde envers lui » (Luc 10, 37). Nous découvrons ensemble les traits de nos visages par le pardon mutuel : nous sommes tous des pécheurs pardonnés par le Christ. A ce propos, l’épisode de la rencontre avec la pécheresse chez Simon le pharisien est éclairant (Luc 7, 36-50). Les dialogues nous enseignent que la miséricorde est un travail qui engage nos libertés : nous sommes toujours entre le pardon et le péché. Nous sommes appelés, par l’exemple du Christ, à nous mettre, résolument et tels que nous sommes, sous « l’étendard » de la miséricorde. Être mis avec le Christ et rester à sa suite, c’est clairement vivre un combat spirituel dont l’enjeu est manifeste : avoir un cœur aux dimensions du cœur de Dieu et porter cette assurance que l’amour de Dieu fait tout renaître. Le « printemps » de nos vies est dans cet abandon à cette grâce divine dans l’espérance de porter un « fruit qui demeure » : « montrer beaucoup d’amour » (Luc 7, 47). Alain Mattheeuws s.j.


Spiritualité ignatienne

ignace et la vie trinitaire La dévotion d’Ignace à la sainte Trinité a évolué au cours des années, comme le soulignent ses écrits. Passant d’un problème pratique : à qui adresser sa prière, à une contemplation de l’action trinitaire dans le monde. A son école à travers les Exercices spirituels, il est possible à notre tour d'entrer dans cette dynamique de la communion réciproque.

Expériences de la Trinité dans le Récit et le Journal Cette importance ressort d’abord d’un passage du Récit qu’Ignace dicta, vers la fin de sa vie, à Louis Gonçalves de Câmara. En 1522, le « pèlerin » avait gagné Manrèse où il allait passer une année entière ; or, dit-il, « il avait beaucoup de dévotion à la Très Sainte Trinité1 ». Il s’interrogeait d’ailleurs : puisqu’il priait chacune des trois Personnes divines séparément, et qu’il priait aussi la Trinité ellemême, comment pouvait-il faire ainsi quatre oraisons à la Trinité ? Mais cette pensée, alors, ne lui paraissait que de faible importance. Par contre, il eut un jour

une vision qui le marqua profondément : « Son entendement commença à s’élever, comme s’il voyait la Très Sainte Trinité sous la figure de trois touches, et cela avec tant de larmes et tant de sanglots qu’il ne pouvait se dominer […] Et après le repas il ne pouvait s’arrêter de parler de la Très Sainte Trinité, et cela à l’aide de comparaisons

nombreuses et très diverses, avec beaucoup de joie et de consolation. Si bien que pendant toute sa vie est resté imprimé en lui le fait de sentir une grande dévotion quand il fait oraison à la Très Sainte Trinité2. » Une quinzaine d’années plus tard, alors qu’Ignace était sur le point d’arriver à Rome, il entra dans une chapelle au lieu dit La Storta, il demanda à Dieu de pouvoir être « mis avec son Fils », et il se reconnut pleinement exaucé : © Sainte Trinité, grandes heures d’Anne de Bretagne, Jean Bourdichon, 1508, Bibliothèque de France.

L

Le P. Pedro Arrupe, ancien Supérieur général de la Compagnie de Jésus, donna en 1980 une conférence intitulée « l’inspiration trinitaire du charisme ignatien ». Ce titre attirait justement l’attention sur l’importance centrale qu’Ignace avait reconnue au mystère de la Trinité.

« Il sentit un tel changement dans son âme et vit si clairement que Dieu le Père le mettait avec le Christ son Fils qu’il n’aurait pas l’audace de douter de cela, à savoir que Dieu le Père le mettait avec son Fils3. »

Michel Fedou s.j. enseigne au Centre Sèvres-Facultés jésuites de Paris la patristique et la théologie dogmatique, notamment la christologie et la théologie trinitaire.

1. Récit, n° 28 ; dans Ignace de Loyola, Écrits, coll. « Christus », DDB, Paris, 1991, (p. 1033). 2. Ibid. (p. 1034). 3. Ibid. n° 96 (p. 1069).

À ces deux épisodes s’ajoute le précieux témoignage du « Journal des motions intérieures ». Ce ‘Journal’ nous est parvenu sous la forme de deux cahiers, écrits dans la période du 2 février 1544 au 27 février 1545. Ignace se posait alors la question

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Se former

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Spiritualité ignatienne

4. Voir Journal

des motions intérieures, dans Écrits, p. 321 et suiv. 5. Exercices spirituels, n° 102, dans Écrits, p. 108. 6. Ibid., n° 106-109 (p. 110-112).

suivante : les églises dépendant des « maisons professes » de la Compagnie de Jésus pourrontelles avoir des revenus, ou devront-elles consentir à une radicale pauvreté ? Ignace décida dans ce dernier sens, par conformité au Christ pauvre. Or les notes qu’il écrivit dans son ‘Journal’ montrent que la dévotion à la Trinité tint une place majeure dans son discernement – et cela, d’ailleurs, de façon paradoxale. En effet, il eut le désir de « voir »

les Personnes divines, espérant trouver ainsi une confirmation de sa décision ; mais il dut renoncer à une telle représentation, et c’est à travers ce dépouillement même qu’il reçut la confirmation espérée. À la faveur de cette même expérience il s’ouvrit au mystère de la « circumincession », en découvrant que la prière adressée à l’une de Personnes divines s’adressait en fait à la Trinité tout entière4.

Les trois Personnes dans les Exercices spirituels

© Sainte Trinité par Meister von Meβkirch (1535), musée Diocesain de Rottenburg

On comprend dès lors que les Exercices spirituels, si fortement marqués par l’expérience d’Ignace, fassent eux-mêmes référence au mystère de la Trinité. Cela se vérifie avant tout à travers la contemplation sur l’Incarnation. Le premier préambule de cette contemplation est ainsi formulé : « Me rappeler l’histoire de ce que j’ai à contempler ; c’est, ici, comment les trois Personnes divines regardaient toute l’étendue ou la circonférence du monde entier, pleine d’hommes, et comment, en voyant qu’ils descendaient tous en enfer, elles décident en leur éternité que la deuxième Personne se ferait homme pour sauver le genre humain5. » Le retraitant est ensuite invité à « voir et considérer les trois Personnes », à « entendre » ce qu’elles disent, et à « regarder » ce qu’elles font ; enfin, il doit

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faire un « colloque » en pensant à ce qu’il doit dire « aux trois Personnes divines » (ou encore « au Verbe incarné, ou à la Mère et Notre Dame »)6. Certes, il n’y a pas trois dieux ! Mais le Dieu unique ne s’en révèle pas moins comme Père, comme Fils et comme Esprit, et c’est bien cette révélation qu’Ignace a en vue lorsqu’il invite à regarder le moment de l’Incarnation – moment où l’une des trois Personnes divines vient demeurer parmi nous. Ignace relève en outre la finalité de cette Incarnation, tout entière ordonnée au salut de l’être humain : de même que Dieu avait dit « Faisons l’homme à notre image », de même les trois Personnes divines disent « Faisons la rédemption du genre humain ». La Trinité est tournée vers l’histoire, elle veut le bien de l’humanité, elle œuvre pour son salut. En outre, on relève dans les Exercices un écho de la vision d’Ignace à La Storta : la méditation des « deux étendards » invite à être aux côtés du Christ, et s’achève par un « colloque » où le retraitant, après avoir invoqué la Vierge Marie, s’adresse au Fils, puis au Père. Certes il n’est pas ici question de l’Esprit, mais celui-ci est toujours présupposé, à travers cette méditation comme dans l’ensemble des Exercices ; car c’est dans l’Esprit que le retraitant prie le Fils et, par le Fils, se trouve mis en relation avec le Père. Enfin, au terme des Exercices, on lit dans la « contemplation pour parvenir à l’amour » :


« Regarder comment tous les biens et tous les dons descendent d’en haut. Par exemple, comment ma puissance limitée descend de celle, suprême et infinie, d’en haut ; et de même la justice, la bonté, la compassion, la miséricorde, etc. ; comme du soleil descendent les rayons, de la source les eaux, etc.7. »

« Le troisième est l’Esprit qui procède de Dieu et du Fils, de même que le troisième par rapport à la racine est le fruit sorti de l’arbre, que le troisième par rapport à la source est le ruisseau qui sort du fleuve, et que le troisième par rapport au soleil est la lumière qui sort du rayon. Aucun d’eux cependant n’est étranger au principe dont il tire ses propriétés8. »

Portée pratique de la mystique ignatienne Les lignes qui précèdent disent déjà la portée de l’expérience transmise par Ignace : le retraitant est appelé, non seulement à adresser des prières aux Personnes divines, mais à considérer le monde à la lumière de la Trinité – plus exactement, à contempler la Trinité présente à

© Lakota Trinity, father John Giuliani

La référence trinitaire apparaît, bien que de manière implicite, à travers ces derniers mots. Ignace reprend en effet, ici, des images qui avaient été utilisées par des Pères de l’Église pour suggérer le mystère de la Trinité ; ainsi Tertullien avait-il écrit au début du 3e siècle :

ce monde comme Trinité créatrice et rédemptrice. Or il faut ajouter que la contemplation du mystère trinitaire, chez Ignace, oriente elle-même vers le service de Dieu au cœur de l’histoire. Si la deuxième Personne a pris chair en notre humanité, c’est pour que les disciples de Jésus, libérés du péché, naissent à la vie de l’Esprit et puissent ainsi œuvrer dans l’histoire « pour une plus grande gloire de Dieu ». Cet engagement pour le Royaume passe certes par toutes sortes de tâches dans la société et le monde. Mais ces tâches, quelle

que soit leur diversité, doivent être accomplies dans l’amour qui, comme le dit Ignace, « consiste en une communication réciproque » : aimer, c’est donner ce que l’on a, c’est se donner à autrui, et c’est ainsi participer à l’échange de la vie intratrinitaire puisque « Dieu est amour » et que l’amour divin s’exprime précisément à travers le don mutuel du Père, du Fils et de l’Esprit – cela au bénéfice même de notre monde que Dieu désire combler de sa propre vie.

7. Ibid., n° 237 (p. 174). 8. Contre Praxeas, III, 1-2.

Michel Fédou s.j. mai/juin 2016 29


Se former

Question de communauté locale

l’évaluation en fin de rencontre Il est 22h30, 22h45, la réunion se termine, le moment de l’évaluation arrive et la fatigue se fait sentir ! Comment faire pour que les formules aidantes ne s’usent pas, ne se vident pas de leur sens ? Comment faire pour que ce temps ait sa place entière et porte du fruit ?

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Pourquoi ne pas revisiter de temps à autre la manière dont nous vivons ce temps d’évaluation. Et d’abord quels en sont les enjeux ? Pour chacun des membres, c’est une rencontre avec le Seigneur qu’il vient de vivre, par la Parole, la prière, le partage de ses compagnons. Il s’agit de recueillir la grâce individuelle et collective qui est donnée, de la formuler pour soi-même et pour les autres.

1. Voir le tableau mettant en parallèle un exercice de contemplation et une réunion de CL, Revue n° 32, p 28.

Pour la communauté locale et sa croissance, pour les rencontres à venir, ce temps d’évaluation est capital. Des convergences, des tonalités nouvelles, des désirs peuvent s’y exprimer. Pour le binôme responsable-accompagnateur, l’évaluation peut être le point de départ de leur relecture du vécu de la communauté locale. Elle pourra leur donner des « balises » sur la route en indiquant des signes de progression ou des freins. Elle dira aussi si certains temps de la réunion sont à travailler (à rafraîchir) dans la forme et le fond. Pour ceux qui vont préparer la prochaine rencontre en concer-

tation avec le binôme, l’évaluation peut les aider à s’interroger sur la grâce dont la communauté locale a besoin ou sur une orientation à conserver ou une nouvelle voie à prendre. Quant aux manières de faire et de vivre ce temps d’évaluation, elles sont toujours à « réinventer » pour s’adapter avec simplicité, souplesse et rigueur. On peut s’inspirer de ce que nous faisons lorsque nous relisons notre prière1. Il s’agit de prendre quelques minutes (indispensables) à la fin du 2ème tour pour laisser d’abord « se calmer » les réactions immédiates puis se mettre en écoute plus profonde. Pour cela, revenir intérieurement aux différentes phases de la réunion, entendre le(s) mouvement(s) dominant(s) en soi, et ceux plus discrets puis, avec l’Esprit, choisir ce qui semble important de dire pour soi et pour la communauté locale : une parole personnelle et vraie à cueillir, une parole au plus près de l’amour que j’ai pour la communauté locale et du désir de sa croissance. Écrire quelques mots pour éviter l’écueil de l’influence du voisin précédent.

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Quelques questions qui peuvent aider : - Quelle est la coloration d’ensemble (quelques mots pour la qualifier) ? - Qu’est-ce qui m’a permis de m’engager dans la rencontre ? - Et maintenant, qu’est-ce que j’éprouve (gratitude du cadeau de la soirée, lumière, pacification, reconnaissance, élan, désir… ou bien insatisfaction, tension, sentiment d’inachevé, tristesse, résistance…) ? - Et pour continuer, quels moyens mettre en œuvre, quelle grâce demander, quelles dispositions intérieures développer ? On peut aussi cibler des questions en fonction de ce qui se vit dans la communauté locale : par exemple sur l’écoute, la confiance mutuelle, la prière, notre rapport à la communauté régionale… L’évaluation est ce moment précieux qui permet de dire la valeur du don reçu et aussi de clore et d’ouvrir : clore la réunion avec les premiers fruits qui se disent, ouvrir les cœurs aux grâces à venir. Marie-Françoise Olivier


Ensemble Lefaire Babillard Communauté

Une parole à méditer

Lors de l'Assemblée mondiale du Liban en 2013 « De nos racines aux frontières » quatre frontières contemporaines ont été reconnues comme importantes : Mondialisation et Pauvreté, Famille, Écologie, Jeunes, “Lors de cette Assemblée, vous allez consacrer beaucoup de temps à parler des frontières, de leurs défis et de leurs perspectives. Je crois que là, le langage de la sagesse est important parce qu’il porte en lui la profondeur et combat les tendances superficielles d’aujourd’hui.” Discours du Père général, Adolfo Nicolas s.j. 4 Août 2013

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Ensemble faire Communauté

En France

PREMIERS PAS EN SERVICE Peurs, joies, cooptations, appels… font partie des premières expériences des nouvelles équipes service des communautés régionales mises en place depuis la rentrée 2015. Ajustement, accueil et contemplation vont les conduire dans leur désir de servir.

A

A la rentrée 2015 dans la Grande Région du Sud-Ouest (8 communautés régionales), toutes les équipes service ne sont pas encore totalement constituées. Des communautés régionales n’ont pu élire des équipes service. A ce stade, joies et craintes sont diversifiées, joie d’élections, crainte du vide de la situation nouvelle, de comment faire avec si peu pour certains… Recevoir ces situations avec confiance, confiance que l’Esprit est là et pourvoira ne va pas toujours de soi.

© Creatas images

Au week-end de lancement en octobre 2015 proposé à ces nou-

velles équipes toutes les communautés régionales seront néanmoins représentées. Dans leur majorité, les équipes service n’ont pas encore réparti les fonctions. Des appels, des cooptations sont en cours (pour la trésorerie, pour tenir le fichier Tobie, etc.). De l’écoute et de la rencontre de ces différences, nait un véritable ressenti communautaire. Enrichis par les partages, tous se sentent concernés par les situations plus difficiles que vivent certains.

Passer du faire à être Venus souvent avec la question « comment faire ? », ces compagnons entendent et découvrent que c’est une manière d’être qui est à vivre. Contempler tout d’abord, sa communauté régionale, sa « terre », découvrir aussi tout ce qui travaille la Communauté nationale, les enjeux de la formation notamment à travers les nouveaux parcours de découverte et d’enracinement. Petit à petit, les équipes se constituent, se renforcent, les responsables sont élu(e)s. Un travail de collégialité avec les responsables de CL se met en place pour certaines. C’est le temps de

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se connaître et reconnaître plus profondément, d’entrer dans les modalités de fonctionnement en équipe service avec les charismes et les limites de chacun. C’est aussi le temps des ajustements, en équipe : être à sa juste place, éprouver l’altérité du binôme assistant(e) responsable, altérité féconde et ouverte qui se poursuit dans d’autres relations au sein de l’équipe et dans le service. Et avec la communauté régionale : en vivant ce mouvement « contempler, discerner, agir », il faut prendre, par exemple, les dispositions pour accueillir ceux et celles qui frappent à la porte, préparer les journées régionales du mois de mars, une « première » avec la petite appréhension d’être « à la hauteur », de bien percevoir ce qui fera grandir la Communauté régionale. Ainsi cheminent à travers joies et doutes, nos compagnons d’ESCR portés par leur amour profond pour cette Communauté de Vie Chrétienne et leur profond désir de bien la servir. Isabelle Robinne Grande région Sud-Ouest


DU CHANTIER « FAMILLES » AUX RÉALITÉS FAMILIALES Creusant la question des familles depuis plus de trois ans, la Communauté a trouvé de nouvelles pistes. Attention aux personnes âgées et aux jeunes familles, ouverture plus large des sessions et week-ends, partage de notre manière de vivre en CVX…

Commencé à partir d’approches différentes (les membres de CVX divorcés et remariés et leur situation par rapport à l’Église, les personnes touchées par l’homosexualité – eux-mêmes ou par l’intermédiaire d’un membre de leur famille – et les membres de CVX vivant en famille), ce cheminement a connu une étape particulière en novembre 2015 lors de la réunion d’une quarantaine de membres de CVX issue de la moitié des communautés régionales pour partager sur ce que la CVX leur apportait dans leur vie familiale. Devant l’évidence de la complexité de la vie familiale et de ses différentes formes, on parle maintenant de « réalités familiales ». Beaucoup ont témoigné que la communauté locale était le premier lieu d’aide à la croissance du membre vis-à-vis de sa réa-

lité familiale et que la manière de faire de la CVX rejaillissait sur leur vie familiale dans le domaine du soutien ou de l’écoute jusqu’au bout par exemple. Le partage a montré comment le problème de la transmission inter générationnelle traverse la Communauté. Quand je transmets, qu’est-ce-que je reçois de l’autre ? Cette journée a confirmé le besoin de poursuivre les propositions de week-ends ou de sessions favorisant la vie en famille ou l’aide aux personnes en situation particulière. C’est ainsi que trois sessions sont proposées cet été 2016 à Penboc’h et des week-ends sont en cours de programmation pour la rentrée prochaine. Cette journée a aussi souligné le besoin d’élargir à l’accueil et au soutien des personnes âgées dans notre Communauté, de favoriser l’accueil des familles aux rencontres régionales. Chacun doit pouvoir se sentir accueilli : jeunes, personnes âgées, personnes avec un handicap… La solution doit être globale et adaptée à chaque communauté régionale.

© Mikanaka / iStock

D

Depuis trois ans, notre Communauté en France creuse la question soulevée aussi bien par la dernière Assemblée mondiale que par les deux dernières Assemblées de communauté en France et qui concerne la famille de chacun des membres de la communauté.

Cette journée s’est traduite enfin par un souhait de sortir de la Communauté : chacun de nous peut être témoin de comment la manière de vivre en CVX porte du fruit. Nous avons ressenti un appel à devenir plus apostoliques : en ouvrant les propositions de week-ends ou de sessions, quelle que soit la réalité familiale, à des personnes extérieures à la Communauté et en éditant un livre pour partager plus largement les moyens d’aide à la croissance humaine et spirituelle de chaque membre de la famille. Famille Devillers mai/juin 2016 33


Ensemble faire Communauté

En France

LILLE

TO U L O U S E

GRENOBLE

3 ÈME U N I V E R S I T É D’ ÉT É P R OP OSÉ E PA R L A

C om m u n au té de V i e C h r é t i e n n e

ENT ENDR E AG IR

POURQUOI UNE UNIVERSITÉ D’ÉTÉ ?

E NS EM BL E

. 1 9 . 2 0 . 2 1 AO Û T 2 0 1 6 J.1

J.2

J.3

S ’ ACCU E I L L I R

E N T E N D RE

R É F L ÉC H I R

AG I R

Enfants Membres CVX Amis Partenaires

P rie r Q u e s tio n n e r C élébrer D is c e rn e r Éc h anger C ont empler Rencont r er Découv r i r Épr ouv er Sent i r

Du jeu d i 1 8 (1 7 h) au d i m a nche 2 1 a o û t 2 0 1 6 (1 4 h) CO N TACT : u e 2 0 1 6 @ c v x fra nc e.c om I NSCRI PTI O N ht tp :/ / u e 2 0 1 6.c v x fra nc e.c om /

CVXFran ce

Du 18 au 21 août, se tiendra, dans trois lieux, l’université d’été de la CVX en France sur le thème : « Entendre le cri des pauvres, entendre le cri de la terre, agir ensemble ». L’équipe de préparation répond aux interrogations les plus fréquentes.

L

Le congrès de la CVX France s’est tenu l’été dernier. Pourquoi un nouveau rassemblement sous la forme d’une université d’été ?

© Stockbyte

Une université d’été dans la CVX permet à des personnes de se rencontrer pendant quelques jours pour réfléchir sur un thème commun. Vivre cet événement permet à chacun, membre de la Communauté ou non, d’ouvrir son intelligence et son cœur à la complexité du monde, de rencontrer des témoins et acteurs. Cet été, elle s’appuiera sur l’encyclique du pape « Laudato Si ».

Au long de ces quatre jours, la prière, les analyses d’experts et de grands témoins comme Guy Aurenche, Véronique Fayet et Pierre-Yves Maindinier, la rencontre d’acteurs locaux dans leurs lieux d’intervention, le partage de nos expériences en communautés locales, des veillées méditatives et festives, et des temps gratuits de respiration nourriront nos vies. Pourquoi se tiendra-t-elle sur quatre lieux ? La CVX n’est-elle pas UNE ? La nouveauté est là. C’est la même expérience qui sera donné à vivre quel que soit le lieu. S’ouvrir à différents pôles géographiques (Hautmont, Toulouse, Saint-Hugues) est une façon de faciliter la venue de chacun à partir de son lieu de vacances ou de sa région habituelle. C’est l’occasion de favoriser les richesses locales tout en offrant une démarche communautaire identique. Pourquoi le thème de l’écologie ? On l’a déjà beaucoup entendu cette année ! Entendre, c’est un premier pas.

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Nous sommes invités à cette université d’été pour aller plus loin : Entendre le cri des pauvres, entendre le cri de la terre et agir ensemble. C’est bien dans la dynamique de l’encyclique. Nous voyons la détresse de bien des personnes, nous percevons les déséquilibres de la terre. Nous recevons des échos d’initiatives prises à travers le monde qui améliorent des situations. Face à l’immensité de la tâche, le risque est d’être désorienté. Ce rassemblement donnera des forces et des idées. Qui peut venir ? Tous ceux intéressés par la proposition ! N’hésitez pas à inviter des amis, des membres de votre paroisse… et même les enfants ! Un parcours adapté à leur âge sera proposé. Les musiciens, animateurs, danseurs… souhaitant apporter leur talent sur un des quatre lieux peuvent nous faire signe ! Comment s’inscrire ? En retournant le bulletin reçu par courriel ou disponible sur le site : ue2016.cvxfrance.com

© CVX France

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LE CRI DES PAU VRES LE CRI DE L A T ERRE


RÉVISER AUTREMENT A l’heure où approchent les examens, où le stress monte chez les étudiants, des compagnons de la CVX se sont mis au service de ces jeunes avec des outils ignatiens. Emmanuelle revient sur ces 7 années de « Réviser autrement » au Hautmont. Quand les outils de la CVX peuvent aider plus largement.

Cette semaine diffère des autres possibilités de révision offertes dans les monastères par la dimension ignatienne qu’ont souhaitée les créateurs. Cela commence par la dynamique de groupe : « Des plages de révision de 3 ou 4 heures, 2 fois par jour dans une grande salle ou en petites salles sont prévues pour que les jeunes ne se sentent pas seuls face à leur bureau. La présence aux repas pris ensemble est obligatoire », commente l’enseignante. N’y aurait-il pas une part de cette dynamique en communauté locale ? Autre outil de la CVX mis à profit : la relecture. Après le déjeu-

© Antonio Diaz / iStock

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« Enseignante en lycée, je suis restée en lien avec quelques anciens élèves et j’avais des demandes pour des lieux motivants et tranquilles où ils pourraient réviser. J’en ai parlé à Frédéric Rochet, directeur du Centre spirituel du Hautmont. Alors avec Martine Léchevin de Fondacio, d’autres membres de la CVX et des partenaires diocésains, nous avons monté une semaine pour ‘Réviser autrement’ », explique Emmanuelle Lécluse-Raux de la communauté régionale de Cambrai-Lille.

ner, lorsque l’attention est basse, une relecture en groupe de leur journée est organisée autour de questions comme « Comment vous sentez-vous aujourd’hui ? Quels ont été les moyens expérimentés ? Qu’est-ce que cela a produit ? Quel pas concret pour demain ?… » « C’est organisé comme un premier tour de réunion CVX, chacun écoute. Ils y arrivent très vite », constate Emmanuelle. Une rencontre avec un adulte, un accompagnateur, est possible à tout moment de la semaine. « Nous les aidons à dire « je », à identifier ce qui se passe en eux, comme un retraitant au cours des temps d’oraisons apprend à connaître ce qui l’aide et ce qui le distrait… Nous orientons les questions selon ce qui s’est passé la veille pour chacun : est-ce que ton travail dans la chambre est finalement plus efficace que

dans la salle commune ? Ton téléphone sur la table est-il aidant ou distrayant ? Nous les aidons à apprendre à exercer leur liberté, c’est le cœur de notre projet », souligne l’enseignante. Et finalement qu’en retirent les jeunes ? « Ils redécouvrent avec joie qu’ils savent travailler, ils retrouvent confiance dans leurs propres capacités, certains réapprennent même à manger à table à heure régulière ! » rapporte Emmanuelle d’après les évaluations de fin de séjour. Une année, les jeunes ont continué d’être en lien en créant un groupe Facebook Hautmont révision. Preuve que la dynamique de groupe fut importante pour eux.

Réviser autrement : www.haut mont.org

Révision à Saint-Hugues : www.saint hugues.fr

Cerise sur le gâteau : aucun des jeunes passés par cette semaine n’a échoué à ses examens ! mai/juin 2016 35


Ensemble faire Communauté

Dans le monde

COMMENT LA CVX EST-ELLE NÉE EN NOUVELLE-ZÉLANDE ? Entre trajet spirituel personnel et effet du DESE, suivez sur 30 ans le processus de création d’une future communauté nationale.

L

son engagement temporaire en 1995, elle est partie travailler au Secrétariat de la CVX Mondiale à Rome pendant 8 mois. « Une incroyable expérience » pour elle. Discernement. A son retour en Nouvelle-Zélande en 1996, elle avait un désir fort de faire connaitre et d’offrir la CVX. Aussi, elle contacta les jésuites en Australie, qui l’invitèrent à une retraite de trois semaines avec la Rencontre Internationale pour la Formation de la CVX – IFE – à Sydney, 1997. Envoi. Après un discernement avec un petit groupe de la Rencontre, elle fut envoyée dans son pays avec la mission de faire découvrir la CVX. Pour cela, elle a commencé par en parler à des amis de Wellington, puis a organisé une réunion pour discuter du projet. Environ 25 personnes sont

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La première tentative d’introduction de la CVX en NouvelleZélande date de la visite de jésuites d’Australie en 1985. Mais la bouture n’a pas pris racines, malgré le soutien de deux cours dans les années 90 donnés par le Père Gérard Hughes sj, l’auteur du best-seller God of surprises. Faute d’un soutien extérieur et d’un sens de mission, des groupes n’ont pas perduré. Malgré tout une petite graine invisible fut semée. Une participante à ces conférences des jésuites australiens, Patricia Kane, fut bouleversée. Pour elle, ce fut un coup de foudre. La vie changea pour toujours ! Devant partir travailler à l’étranger, elle essaya de rejoindre la CVX dans les pays où elle se trouvait. A Londres ? Sans succès. Plus de chance en France. A Nice, elle était invitée à se joindre à la CVX par Régis Araud sj, en 1990. Après

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Trame d’une rencontre : Prière silencieuse sur un article ou un texte de l’Écriture 10 minutes ; Partage sur où Dieu était présent dans les deux semaines précédentes, aucune discussion ou commentaire ; deuxième tour à la lumière du partage des autres ; prière d’intercession individuelle ; Affaires/aspects pratiques, prochaine réunion ; L’évaluation. Prière de clôture. venues, et certaines ont accepté d’essayer. Ils ont utilisé pour leur réunion une trame basée sur les Exercices Spirituels, développé par la CVX England &Wales. L’un des deux premiers groupes continue toujours à exister. Soutien. L’Australie est très utile par ses conseils, des visiteurs, des invitations aux assemblées et aux rassemblements australiens. Les jésuites de la Province d’Australie et Nouvelle-Zélande donnent une aide financière. Évaluation. Par des assemblées générales et des rencontres durant les 19 années dernières. »


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CVX EN AOTEAROA / NOUVELLE-ZÉLANDE

La Communauté de la Vie Chrétienne CVX débute en Nou-

© CVX / Aotearoa

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Ao t e a ro a e s t le no m M ao r i pour la Nouvelle-Zélande, qui s’ajoute au nom formel. Notre pays est composé de trois îles principales situées au Sud Est de l’Australie. La Nouvelle-Zélande compte 4,5 million d’habitants, dont 14% de Maori. Les catholiques comptent un demi-million de personnes environ, soit 12.5% de la population. Le nombre augmente grâce à l’immigration depuis les pays catholiques, comme les Philippines. Le catholicisme a débuté ici en 1838, avec l’arrivée du père Jean-Baptise Pompallier de Lyon, qui devint évêque, et d’un prêtre et un frère tous les deux maristes. Le seul ordre de religieuses de Nouvelle-Zélande, les Filles de Notre Dame de la Compassion, fut fondé par la nièce de Mgr Pompallier, Suzanne Aubert et ses compagnes. Les missionnaires français furent tôt remplacés par des prêtres irlandais. L’influence de cette culture sur l’Eglise a été très importante, mais des pères maristes et anglophones vinrent plus tard, tous ignatiens, un don pour CVX, car nous sommes sans jésuites ici.

velle-Zélande en 1997. Le nombre des équipes a cru et baissé au fil des ans, mais la première équipe, Loyola, reste encore forte depuis 19 ans. Les équipes sont stables, bien guidées et engagées dans la spiritualité ignatienne et son chemin de vie. Nous avons été en mesure d’offrir les Exercices Spirituels sous une forme ou une autre. Les missions communautaires sont encore rares, mais les membres sont invités à commencer à discerner leur mission individuelle au cours des deux premières années d’appartenance à une équipe. Certains membres réfléchissent sur l’engagement formel, encouragé par Patricia Kane, qui a fait son engagement permanent en 2000, avec son ancienne équipe en France.

CVX est présente dans trois diocèses avec un total de 16 équipes. Nous sommes actuellement dans une période de croissance avec de nouveaux groupes formés au cours des 12 derniers mois. LA CVX est surtout présente dans deux diocèses de l’île du Nord. C’est en partant de cette base solide qu’un Conseil Exécutif National a été créé. Il travaille actuellement à l’affiliation avec la CVX mondiale. Nous espérons pouvoir bénéficier d’un statut d’observateur à l’Assemblée Mondiale de 2018, et avec le parrainage de la CLC d’Australie, être accepté comme membre plein de la CVX mondiale en 2023. Le conseil exécutif de CVX Aotearoa mai/juin 2016 37


À LIRE Nouveau livre des Éditions Vie chrétienne

Poèmes d’Évangile, de Jean Magnan, s.j. La longue contemplation de l’Évangile et l’observation du temps présent ont conduit le Père Jean Magnan à l’écriture de ces poèmes, renouvellement de notre regard sur des récits évangéliques bien connus. Une belle méditation. 64 pages, 13,50 e. En vente sur viechretienne.fr et dans toutes librairies

À VIVRE Session Socrate Hors-les-murs Délivrance et salut Pour ouvrir ensemble des chemins de libération et de joie. Huit jours de conférences en plein air, de baignades quotidiennes et de visites de sites pour tous : familles, couples et célibataires de tous âges. Venez vous laisser guider et déplacer par la prière et les échanges en commun… Du 15 au 23 Juillet : Que la joie demeure ! Informations : Hélène des Pomeys – Tél. : 06 74 03 65 04 Inscriptions : inscriptionjuilletinoi@gmail.com Du 4 au 12 Août : Une réelle espérance Informations : Claire Cacher – Tél. : 06 83 57 15 98 Inscriptions : inscriptionaoutinoi@gmail.com

À VIVRE Renouveler le bureau EVX

Les Éditions Vie chrétienne (EVX) recherchent des bénévoles pour renouveler et faire vivre l’association éditrice. Un / une président(e) pour proposer la politique de développement des EVX en lien avec la vocation de la Communauté de Vie chrétienne, pour animer le bureau de l’association, définir et décider des objectifs, projets et budgets. Un membre du bureau (25-35 ans) : intéressé par la diffusion de la spiritualité ignatienne par le moyen de la revue et des éditions tant au sein de la CVX qu’en externe. Sensibilisé par les préoccupations et les modes de communication de la tranche d’âge 25-35 ans. Cinq réunions dans l’année plus une AG et d’autres implications si intérêt. Info : contact@viechretienne.fr

À VIVRE Une entrée dans les Exercices

Pour débuter dans les Exercices spirituels, venez vivre une première expérience de cinq jours avec de courts enseignements, des temps de prière avec l’Écriture, avec accompagnement personnel. Du 24 au 30 juillet 2016 à Saint-Hugues. Du 31 juillet au 6 août 2016 à Saint-Hugues. Une entrée dans les Exercices avec exercices corporels. Tél : 04 76 90 35 97 – sainthugues.fr

www.socratesaintpaul.eu

À FAIRE Aider le MEJ

Le MEJ permet de faire goûter la spiritualité ignatienne aux enfants âgés entre 7 et 18 ans. Les camps MEJ de cet été recherchent des animateurs/trices spirituels(les) et des directeurs/trices (avoir le BAFD, ou bien un diplôme équivalent comme professeur, éducateur…), car de nombreux jeunes animateurs seront partis aux JMJ de Cracovie. Et pour en savoir plus sur les camps : mej.fr ou contacter : stanislas.dejavel@mej.fr

38 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 41


Billet

Après des années et des années de voyages dans le monde et en France ; après des randonnées dans la neige avec son chien ; après des marches sur l’océan gelé et des semi-marathons au Canada, le voilà qui, pendant trois mois, marche péniblement avec des cannes anglaises. L’expérience de la perte de cette marche qui soutenait son quotidien sans qu’il n’y prête attention, c’est pour lui une perte de l’autonomie et de la mobilité dont il était si friand. Il est hospitalisé six jours pour changer son genou déficient. Dépendant des drains, perfusions et sonde, il ne peut plus faire un pas sans un kiné, pas faire sa toilette sans une aide-soignante, pas dormir sans ses médicaments. C’est certes le lot commun de beaucoup de patients en hôpital. Que peut-il faire ? Il attend les présences jusqu’à ce qu’elles se présentent ; il compte, écoute, contemple les heures de la nuit. Il attend qu’on vienne l’aider pour attraper tel ou tel objet ou pour obtenir un médicament. Il attend qu’on vienne mais n’appelle pas, ne voulant pas déranger. Lâcher son impatience : il apprend à attendre, il apprend à regrouper autour de lui tout ce dont il a besoin. Il aménage son temps dans un espace restreint sans mobilité. Et finalement pourquoi pas ? Cet espace est protecteur. On est aux petits soins pour lui. Il y a des bénéfices à vivre dans ce cocon ! Lâcher son souci de lui : il lui revient ce passage d’une prière de Mère Teresa « Quand j’ai besoin qu’on prenne soin de moi, envoie-moi quelqu’un dont j’aurai à prendre soin ». Alors, lorsqu’une personne de ménage, une aide-soignante, une infirmière ou un médecin, entre dans sa chambre, il s’inquiète d’eux, leur demande « comment ça va ? », ou « quel est votre souci du jour, ou de la nuit ? » Grand étonnement de leur part qu’il s’intéresse à eux, plutôt qu’eux s’intéressent à lui ! Cela crée vite des liens plus personnels. Puis, on l’encourage à quitter son lit, à se tenir debout, à poser un pied par terre ; il faut apprendre à marcher, à monter un escalier, et peu à peu à le descendre. Lâcher son espace protecteur, car chaque pas est douloureux et l’équilibre est plus que fragile malgré la proximité du kiné, pour découvrir que le genou fonctionne à nouveau ! Encore quelques jours et il quitte l’étage pour un petit tour dans le jardin toujours avec assistance du kiné, puis retour au domicile, et au bout de quelques semaines, il lâche ses béquilles ! Il constate la résilience accessible à chaque étape de cette modeste expérience : les cannes anglaises, la dépendance, le cocon, la ré-éducation. Il a fait l’expérience que le corps et l’esprit ont une grande capacité d’adaptation heureuse ; il la gardera en mémoire. Patrick Lepercq mai/juin 2016 39

© Claire Chevrolle

HEUREUX LÂCHER PRISE !


Prier dans l’instant

en écoutant une conférence Ce soir, je suis invitée à une conférence. Nous sommes peu nombreux, une trentaine peut-être. Arrivée en avance j’ai le temps d’observer les personnes qui arrivent. Parmi elles, un homme à l’air renfrogné se dirige vers sa chaise sans regarder personne. Il semble mécontent par nature. Le conférencier s’adresse à l’assistance sans paraître déçu de notre petit nombre. Il est passionné par son sujet et nous passionne avec lui. Ayant terminé, il nous demande si nous avons des questions. Aussitôt l’homme « mécontent » lui fait une remarque agressive, qui paraît totalement décalée par rapport à tout ce que nous venons d’entendre.

© FactoryTh / iStock

Il me semble que si j’avais eu à répondre j’aurais été polie mais expéditive. Le conférencier, lui, ne se contente pas de répondre aimablement à cet homme. Il trouve les mots pour légitimer sa question. Il argumente, certes, mais il prend en compte la critique, et ouvre la porte à des améliorations possibles. Cette faculté de faire se rejoindre deux paroles, alors qu’elles me paraissaient sur deux planètes différentes, force mon admiration. Cet accueil noue un lien là où il y avait fracture. Non seulement entre le conférencier et l’homme, mais entre toutes les personnes présentes. Je sens là plus qu’une faculté : une décision, un choix d’aller vers l’autre. Seigneur, tu me montres ce soir une belle façon de « sauver la proposition de l’autre ». Éveillemoi à cette patience, cet intérêt pour ce qui me dérange, confiante que cela ouvre des chemins dans les cœurs. Dominique POLLET

Nouvelle revue Vie Chrétienne – mai/juin 2016


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