Vie chrétienne Nouvelle revue
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B I M EST R I E L D E L A CO M M U N A U T É D E V I E C H R É T I E N N E ET D E S ES A M I S – N º 4 8 – J U I L L ET / AO Û T 2017
Ce que l’art nous révèle
Avec saint François Régis De la lecture à la prière
Sommaire
Directeur de la publication : Jean Fumex Responsable de la rédaction : Marie-Élise Courmont Rédactrice en chef adjointe : Marie-Gaëlle Guillet Comité de rédaction : Marie-Élise Courmont Jean-Luc Fabre s.j. Marie-Gaëlle Guillet Marie-Thérèse Michel Véronique Westerloppe Comité d'orientation : Nadine Croizier Marie-Claude Germain Anne Lemant Claire Maillard Étienne Taburet Fabrication : SER – 14, rue d’Assas – 75006 Paris www.ser-sa.com Photo de couverture : Armel Guillet
Prochain dossier : Luther : quel héritage pour nous ? Sortie Septembre 2017 Impression : Corlet Imprimeur, Condé-sur-Noireau
ISSN : 2104-550X 47, rue de la Roquette – 75011 Paris Les noms et adresses de nos destinataires sont communiqués à nos services internes et aux organismes liés contractuellement à la CVX sauf opposition. Les informations pourront faire l’objet d’un droit d’accès ou de rectification dans le cadre légal.
le dossier
NOUVELLE REVUE VIE CHRÉTIENNE
l’air du temps Où en est-on après la COP 21 ? Étienne Charmetant s.j. chercher et trouver dieu
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Ce que l’art nous révèle
Témoignages 8 Un langage universel 12 P. Robert Pousseur Dire la résurrection 14 Geneviève Roux Le baroque et la spiritualité d’Ignace sous le même vent 16 Pascal Sevez s.j. se former Contempler une œuvre d’art Corps mystique de Malel 19 École de prière : De la lecture à la prière 20 Marie-Caroline Bustarret Expérience de Dieu : Au festival d'art 22 Lire la Bible : D’une foule multiple à l’Église 24 Marie-Agnès Bourdeau Spiritualité ignatienne : Saint Jean-François Régis 27 Pierre Iratzoquy s.j. Question de communauté locale : En attendant ma prochaine CL Claire Vergnault 30 ensemble faire communauté Une parole à méditer Première rencontre des accompagnateurs d’Exercices Fondation « Amar y servir » Assemblée de Communauté Rencontre européenne des CVX autour des familles Solidarité en CVX mondiale a lire cet été billet Cent non pour un oui Jean François prier dans l’instant En accompagnant des retraitants Dominique Pollet
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Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 48
Éditorial
gratuité, intériorité, disponibilité
«
Trois mots à mettre au fronton de notre été ; trois attitudes à cultiver pour nous ouvrir à l’altérité. N’en éprouvons-nous pas le besoin dans une époque où tout va si vite, dans une société qui pousse à l’individualisme et valorise consommation et efficacité ? Changer de rythme, souffler, s’arrêter ; l’été peut peut-être nous le permettre, pour une plus grande fécondité. ® Terra24 / iStock
Dans ce numéro, vous trouverez des œuvres d’art à contempler, des livres à goûter. Vous entendrez des invitations à marcher, prier, partager. La beauté et la richesse du patrimoine culturel, les festivals d’art (p. 22-23), la découverte d’un témoin d’hier, comme saint Jean-François Régis (p. 27-29) ou d’aujourd’hui, les temps de latence (p. 30) comme ceux de la rencontre… Tout cela peut devenir expérience spirituelle.
»
Nous le savons, nous pouvons trouver Dieu en toutes choses ; mais parmi ces choses, trois reflètent particulièrement la présence du Créateur : l’art qui parle au-delà du sensible, la nature dans sa beauté et sa diversité, et la rencontre des autres. Que ce numéro nous aide à laisser un peu le ‘faire’ pour ‘être’, tout simplement. Être, en relation avec le Seigneur et avec toutes Ses œuvres. Laudato Si !
Marie-Élise Courmont redaction@editionsviechretienne.com
juillet/août 2017
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L'air du temps
où en est- on après la COP 21 ? Les Accords de Paris sur le climat ont eu beaucoup d’ampleur fin 2015. Mais que deviennent les promesses ? Éric Charmetant s.j. dresse un premier bilan mitigé 20 mois plus tard et invite à poursuivre une conversion écologique soutenue par la spiritualité chrétienne.
L
L’Accord de Paris obtenu à la fin de la Conférence des Parties (COP 21, 30 novembre – 12 décembre 2015) sur le climat, placée sous l’égide des Nations Unies, a été signé par 195 pays et ratifié par 145 pays représentant 83 % des émissions de gaz à effet de serre à ce jour (début mai 2017). C’est une première dans l’histoire de l’humanité, une avancée et un espoir pour les générations futures après l’échec de la COP 15 à Copenhague fin 2010
® Mike Kiev / iStock
Éric Charmetant s.j., philosophe (Centre Sèvres, Paris)
et l’offensive des climato-sceptiques pour qui le changement climatique en cours soit n’existe pas, soit n’est pas le résultat des activités humaines. Pour la première fois, l’ensemble des pays, développés et en voie de développement, se sont mis d’accord pour réduire les émissions des gaz à effet de serre (le dioxyde de carbone (CO2), le méthane…) en vue de limiter le réchauffement climatique à l’horizon 2050 à moins de 2°C voire 1,5°C par
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Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 48
rapport aux niveaux préindustriels. De plus, les pays développés devront aider financièrement les pays en développement dans le processus de transition vers des énergies moins émettrices de gaz à effet de serre.
Des engagements à concrétiser S’il n’institue pas de sanctions ou de contraintes envers les États ne respectant pas leurs promesses de limitation des gaz à effet de
serre, l’Accord de Paris prévoit des rapports et des audits sur les émissions et les politiques de transition énergétique des États signataires. Le détail de ces mécanismes d’audit a fait l’objet de discussions à la COP 22 (Marrakech, novembre 2016) et doit être finalisé pour la COP 24 (Pologne, 2018). Les engagements vers une réduction significative des émissions des gaz à effet de serre sont encore à concrétiser et à mettre en œuvre, sachant que l’objectif de 2°C nécessite des efforts considérables de sobriété et de transition énergétiques. La France elle-même est en retard sur ses objectifs (-40 % d’émission des gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990) comme l’ont pointé plusieurs rapports parlementaires à l’automne 2016. Par ailleurs, l’élection de Donald Trump aux États-Unis représente une menace pour la planète : entouré de climato-sceptiques, il a proposé en mars 2017 de démanteler largement l’Agence américaine pour la protection de l’environnement en diminuant son budget de plus de 30 %. Cela conduira à une limitation des possibilités de contrôle et de sanction des industries polluantes ainsi qu’à une suppression massive des programmes d’aide à la sobriété et la transition énergétique.
Conversion nécessaire L’Accord de Paris malgré son importance ne peut éclipser la nécessité d’une conversion éco-
logique pour entrer dans une autre relation à la nature, qui seule peut motiver de l’intérieur le désir de préserver la biodiversité et les paysages pour les générations futures. L’encyclique Laudato Si du pape François en 2015 est un texte fort pour passer de l’écologie superficielle (simplement limiter et réparer les dégâts causés à l’environnement par les activités humaines) à l’écologie profonde (une autre relation à la nature, soucieuse de la biodiversité et de la responsabilité humaine envers tous les êtres vivants) selon la distinction posée en 1972 par le philosophe norvégien Arne Naess. Laudato Si souligne que « l’existence humaine repose sur trois relations fondamentales intimement liées : la relation avec Dieu, avec le prochain, et avec la terre » (LS 66). Or, pour le pape François, la racine de la crise écologique se trouve dans le paradigme technocratique de domination de la nature et des sociétés, qui asservit les sciences, les techniques, l’économie et la politique à son seul profit. Cet anthropocentrisme dévié conduit non seulement à une exploitation sans limites des ressources naturelles, mais à un « style de vie dévié » (LS 122) centré sur les plaisirs immédiats et la consommation, et se satisfaisant de la dégradation des relations sociales et du chômage de masse. L’encyclique invite à remettre le souci du faible, qu’il soit humain ou soit la terre, au centre pour
entrer dans un nouveau style de vie, plus sobre, plus soucieux de la terre et des autres.
Une autre relation à la Terre La conversion écologique, si elle rencontre parfois les « À quoi bon ? », « Aux autres de commencer », « C’est impossible », est aussi profondément soutenue par la spiritualité chrétienne. Celle-ci « propose une autre manière de comprendre la qualité de vie, et encourage un style de vie prophétique et contemplatif, capable d’aider à apprécier profondément les choses sans être obsédé par la consommation » (LS 222). Sobriété, simplicité de vie, humilité sont le chemin vers une joie et paix renouvelées et profondes. « Une écologie intégrale implique de consacrer un peu de temps à retrouver l’harmonie sereine avec la création, à réfléchir sur notre style de vie et nos idéaux, à contempler le Créateur, qui vit parmi nous et dans ce qui nous entoure, dont la présence ne doit pas être fabriquée, mais découverte, dévoilée. » (LS 225) Les initiatives d’une autre relation à la terre et aux autres montrées par le film Demain, la plus grande sensibilité écologique de beaucoup de nos contemporains sont des signes d’espérance et d’action de grâce pour l’œuvre de l’Esprit saint dans le cœur des êtres humains bien au-delà de l’Église visible. Éric Charmetant s.j. juillet/août 2017
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Chercher et trouver Dieu
ce que l’art nous révèle Rendre visible l’invisible Rendre visible l’essence-ciel Rendre visible la lumière de Dieu présente en tout homme Tel est l’art pour qui veut s’arrêter et se laisser toucher. L’art (et pas seulement le beau) nous révèle donc quelque chose de Dieu, mais il nous révèle aussi à nous-même, comme en témoignent ces personnes bouleversées, transformées par une rencontre avec une œuvre. Il peut aussi révéler quelque chose d’une époque, passée ou présente, avec une autre sensibilité. Rester ouvert, prendre le temps de laisser résonner en soi, oser l’expérience… il n’y a pas que l’œuvre d’art qui est créée. Nous aussi pouvons nous sentir recréés en nous approchant de cette lumière. Profitons-en pleinement.
© Giuseppe Arcimboldo, L'été, Musée du Louvre
Marie-Gaëlle Guillet
TÉMOIGNAGES Bouleversantes rencontres. . . . . . . . . . . . . . 8 Nécessaire poésie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 Relevée par la pierre. . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 Vers un regard plus aiguisé. . . . . . . . . . . . . 11
ÉCLAIRAGE BIBLIQUE Dire la résurrection . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. .14
CONTRECHAMP Un langage universel. . . . . . . . . . . . . . . . . .. .12
POUR ALLER PLUS LOIN . . . . . . . . . . . .18
REPÈRES IGNATIENS Le baroque et la spiritualité d’Ignace sous le même vent . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. .16
,
juillet/août 2017
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Chercher et trouver Dieu
Témoignages
bouleversantes rencontres Entre une musique qui relève et un tableau qui devient page d’Évangile, plusieurs rencontres avec des œuvres d'art ont bouleversé la vie de Cécile. Surprise d’une Parole agissante où on ne l'attend pas.
P
Plusieurs expériences artistiques jalonnent ma vie. L’art m’appelle, m’invite, m’ouvre les yeux, me révèle à moi-même, m’entraîne au-delà…
© Bethsabée sortant du bain, Rembrandt, Musée du Louvre
Je n’oublierai jamais cette « déliance » que provoqua en moi la musique de Schütz (la Passion selon saint Matthieu). J’étais, depuis de longs mois, sous l’emprise d’émotions douloureuses qui m’empêchaient de vivre, me coupaient de moi-même. Ce jour-là, au volant de ma voiture, ayant écouté l’émission musicale avec plus d’attention et de plaisir que d’habi-
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tude, il se passe quelque chose, la musique sublime de Schütz vient desserrer l’étau qui m’oppressait, elle semble ouvrir pour moi un passage vers la lumière, elle me transporte dans un autre monde, dans un bonheur nouveau où la beauté m’est offerte. Les pensées qui m’empêchaient de vivre et d’être heureuse deviennent secondaires. À cet instant, je reconnais que Dieu est là : « Tu as du prix à mes yeux, et je t’aime ». Je rends grâce. Une joie profonde m’envahit. Je me redresse. Je prends de la hauteur. Je ne suis plus la même, « je suis ». Cela s’est passé il y a près de trente ans. Il y eut un avant et un après. Quelques années plus tard, j’ai été profondément bouleversée par une peinture au Musée du Louvre représentant Bethsabée sortant du bain. On connaît l’histoire tragique de Bethsabée convoitée par le roi David qui finit par faire tuer Urie son mari pour l’épouser. Je me trouvais en face d’une femme nue peinte grandeur nature dont les formes réalistes n’ont rien à voir
Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 48
avec le canon de la beauté classique. Elle vient de recevoir une lettre, on peut penser que c’est un message du roi qui l’invite à le rejoindre. Elle baisse les yeux et à travers son regard empreint de gravité on comprend que son destin se joue dans la réponse qu’elle va donner. Bethsabée, entre ombre et lumière, est dans l’intériorité, nulle séduction dans sa posture, sa chair déjà marquée par les années révèle sa vulnérable fragilité mais ne s’offre pas au voyeurisme. Grâce au clair-obscur, à l’attitude empreinte de discrétion et de respect de la servante sortant de l’ombre et penchée sur les pieds de sa maîtresse, le peintre a su imposer à celui qui regarde un silence religieux. Ce tableau m’a bouleversée car j’ai senti dans le regard du peintre sur son modèle le regard de Dieu sur sa créature, celui du Christ sur la femme adultère, un regard qui révèle la beauté intérieure et rend à chacun sa dignité. En 1654 Rembrandt a écrit une page d’Évangile. Cécile
nécessaire poésie
L
La Poésie m’accompagne tout le temps ! En témoignant ainsi je prends conscience qu’elle m’est nécessaire comme me sont indispensables le silence et le repos pour m’arrêter, reprendre pied, souffler, contempler. Avec la poésie, « le temps est aboli et l’espace vaincu » (François Cheng).
Je suis touchée par la faculté du poète de me donner de me re c o n n a î t re, c o m me e n re flet. « Connais-moi, si tu peux, ô passant, connais-moi ! / Je suis ce que tu crois et suis tout le contraire. » (Marie Noël) Pour moi, le poète nomme l’indicible, il dévoile l’invisible, éclaire les mystères insondables de la vie, de la mort, de la souffrance et de l’amour. Tout ce qui fait la condition humaine l’intéresse, de la situation la plus simple à la plus complexe, et il sait aussi trouver les mots pour la révolte, l’insurrection même... Cette capacité à nommer ouvre pour moi une brèche vers des chemins inconnus, un autre rivage que je découvre avec émotion et empressement car il me révèle qui je suis et ce que je cherche. J’aime les ponts que la poésie tend entre nos sens ; com-
ment elle met en relation les images, les sons, les fragrances, les goûts, le toucher. La poésie me donne à entendre des sons que sans elle je n’entendrais pas. Elle leur attribue des couleurs, elle dessine avec les mots des contours mouvants. J’aime ressentir la surprise, l’incompréhension parfois, en découvrant des associations de mots incompatibles mais qui soudain produisent quelque chose d’audacieux comme par exemple « l’éternité-instant » (Andrée Chedid). Rien n’est arrêté avec la poésie, tout est en mouvement. « En d’autres temps, d’autres termes, d’autres élans, la Poésie, comme l’amour, se réinvente par-delà toute prescription. » Et les poètes que je lis, que j’écoute, si différents soient-ils dans leur démesure, me proposent un voyage intérieur vers la rencontre du Tout-Autre, sa Présence au plus profond. La douceur et la suavité que je ressens alors me l’indiquent.
© Andrei Kisliak / iStock
Mouvements, sens, ponts, chemins inconnus, miroirs… la poésie est tout cela en même temps, ou séparément pour Geneviève qui voyage ainsi vers la rencontre du Tout-Autre.
« Quand il t’est donné de voir cette vie non plus seulement sous le ciel mais comme à travers lui (tu devines alors l’existence d’un second ciel en transparence et même parfois d’un troisième) tu peux supporter le cri du peuplier les yeux des offensés et ta propre histoire comme si la mémoire à cette profondeur prenait la couleur de la miséricorde de même que l’air devient bleu... » Jean-Pierre Lemaire, Les marges du jour, La Dogana, 2011
Geneviève
Retrouvez les références complètes des œuvres sur : editionsviechretienne.com juillet/août 2017
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Chercher et trouver Dieu
Témoignages
relevée par la pierre Par des églises romanes devenues bibles vivantes pour elle, Catherine a pu se laisser toucher et se reconstruire. Un bouleversement qui l'a conduite vers la vie.
U
Une lumière frémissante aux vitraux moyenâgeux d’une cathédrale à ciel ouvert : l’art roman me passionne, il m’a relevée. Médiateur des talents donnés que j’ignorais, tout à ma solitude. C’était une période de chômage, de doute, d’isolement. Tout à mon angoisse et à ma colère, j’étais sourde au souffle de Dieu. Et puis, le Seigneur a mis sur ma route les églises romanes. En Saintonge, Rétaub et Rioux furent pour moi des bibles vivantes, des mains ouvertes, des
D’églises en églises, de corniches ouvragées en colonnettes de tous genres et de toutes décorations, l’Art roman, comme un élan ar-
© Église de Rioux
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cœurs vibrants. Je pénétrais dans ces édifices et je m’apaisais. Je lâchais prise avec la fatigue et l’usure. Des intuitions sur mes possibilités de renaître survenaient par lumières successives. Avec le Christ, j’avais osé faire des démarches du dehors. L’effort produit (je sortais de chez moi, de mes lamentations), la confiance revenait.
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chitectural vers les hauteurs, produisait en moi un bouleversement magnifique. Je pouvais regarder avec bienveillance les talents que le Seigneur avait placés en moi. Je pouvais m’accueillir et réinventer ma vie. Je vivais, dans ces balades, le retour de mes compétences : l’histoire, les contes, l’animation de groupe, la formation. Force renouvelée parce que mise en confiance, la créativité renaissait : j’ai créé des circuits en Moyen Âge, fait du théâtre, écrit dans des revues littéraires… et enfin créé mon entreprise. Cheminant par Le blanc manteau d’églises, cher à Raoul Glaber, j’ai avancé dans la connaissance de la foi. J’ai appris de l’art roman la signification ternaire de l’existence humaine : la vie matérielle, les multiples trésors nichés dans nos cœurs, le travail en œuvre de la vie spirituelle et chrétienne. Avec la vigilance bienveillante, l’altérité et les luttes de tous les jours. Le Seigneur m’a révélé beaucoup, j’apprends chaque jour davantage à cheminer avec Lui ; tout a commencé par la pierre de ces temps lointains. Catherine
vers un regard plus aiguisé Ressemblant de loin à un blockhaus de béton, l’église Sainte-Bernadette de Nevers appelle à voir, selon Étienne, au-delà de ce qui est visible, comme les apparitions de Marie à Lourdes, comme l’Église dans notre monde, comme le mystère de l’incarnation. Brutaliste 1, l'église ne cherche pas à faire joli, à nous séduire. Elle nous montre quelque chose de Bernadette qui a vu ce qui nous semble si difficile à imaginer. Ici, dans ce quartier du nord de Nevers, la difficulté est de contempler l ’ É g l i s e : u ne é g l i s e re m a r quable, chef-d’œuvre de l’architecture, mais aussi le parcours de Bernadette, de ce qu’elle a vu et de ce que cette vision a engendré pour sa et la nôtre. « Je suis venue ici pour me cacher ». Cette phrase de Bernadette, interprétée en forme par
« Architecture Principe » (Paul Virilio et Claude Parent), nous interpelle depuis cinquante ans. Il ne s’agit pas ici de fuir le monde dans un refuge ornementé. J’aime l’Église quand elle ose l’exigence d’une forme. Une forme dessinée qui transforme nos idées, dans notre monde, une forme qui nous donne à voir davantage, avec un regard critique plus aiguisé, un idéal incarné. Dans une forme à l’œuvre, cette église, apparaît ce mystère qu’est l’incarnation.
1. Style architectural issue du mouvement moderne.
Étienne
© www.aitre.eu
J
J’aimerais vous parler d’une église, une grande œuvre architecturale et formelle, une manière d’interpeller l’habitant, le promeneur, le pèlerin, le chrétien, le catholique… moi qui aime la radicalité et les formes minimales, ce fut un choc lors de ma première découverte de Nevers, en avril 2006, où par hasard, un soir, alors que j’étais conduit nous sommes passés devant ce « caillou gris », car on ne se promène q u e p e u d a ns c e s q u a r t i e rs périphériques et populaires. Une grande œuvre architecturale, ce n’est pas un qualificatif subjectif, de goût. C’est « simplement » un bâtiment qui, par sa forme, son dessein, est à l’œuvre dans le champ de l’architecture, est regardé par d’autres artistes qui produisent aujourd’hui un imaginaire et une incarnation, concrète (cette église est en béton), du devenir de ce type de lieu qu’on appelle église. Un blockhaus. Le moins que je puisse dire c’est que l’église S a i nt e - B e r n ade t t e d u B a n lay ne laisse pas indifférent-s celles et ceux que j'y conduis : des artistes, des chercheur-s d'art et des chercheurs de Dieu.
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Chercher et trouver Dieu
Contrechamp
un langage universel révélant les traces de dieu en l’homme En rendant visible ce qui ne se voit pas, les artistes révèlent la lumière de Dieu présent en toute chose. Selon le P. Robert Pousseur, l’incarnation se traduit aussi dans l’art.
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Qu’est-ce que l’art nous révèle ? L’art accompagne l’histoire de l’humanité depuis la nuit des temps. Cette histoire nous apprend que les hommes partout dans le monde, marqués par leurs cultures et leurs histoires différentes, ont affronté les questions qui les taraudaient. Partout dans le monde, ils ont exprimé leur unité, leur recherche et leur expérience, souvent spirituelle, par des créations artistiques : danses,
© Legion, Lee Wagstaff, 2000
Robert Pousseur, prêtre du diocèse de Soissons, ancien secrétaire national de « arts, cultures et foi » à la Conférence des Évêques de France.
chants, tatouages de leur corps, mythes et poèmes, sculptures, dessins, architecture de bâtiments, rites religieux, et aujourd’hui, en plus, films, photos, vidéos… Il est surprenant de découvrir que ces créations artistiques ont été nourries par des cultures très différentes et en même temps sont un langage universel. Aujourd’hui les artistes ont acquis plus d’indépendance par rapport aux institutions du pouvoir et donc sont plus critiques.
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En quoi les artistes nous font pressentir quelque chose de l’absolu, de l’altérité, de la transcendance ? N o m m é s e c r é t a i re n a t i o n a l d’Arts, Cultures et Foi au service de l’épiscopat français, un ami, expert reconnu en art contemporain, m’a fait rencontrer à New York Andres Serrano. Cet artiste s’était fait connaître par le scandale d’une photographie de Jésus en croix, photo qu’il avait révélée dans un bain d’urine. Andres Serrano m’a confié qu’il cherchait comment représenter Jésus en croix, illuminé de l’intérieur par son amour qui va jusqu’à demander à Dieu son Père de pardonner ses bourreaux. Comme certains peintres du Moyen Âge, il a utilisé l’urine pour donner une lumière particulière à son œuvre. Les Églises aux USA ont vivement réagi et l’Église catholique aux USA l’a menacé d’excommunication. Un sénateur est intervenu au Sénat américain pour lui supprimer toute subvention.
Cet artiste rend visible ce que beaucoup ne voient pas. Andres Serrano m’a montré quelquesunes de ses photos : une moitié de visage de jeune fille aux yeux clos, un voile blanc couvre le reste de la tête. On dirait une madone endormie. La photo est superbe. Pourtant elle a été prise dans la morgue de la police de New York. Cette jeune fille sans nom a été violée et assassinée. « Je voulais montrer que même dans la mort, la plus abjecte ou la plus violente, les traces du mystère de la vie sont encore présentes. » Il nous montre une autre série de photos sur des "sans domicile fixe", des clochards de New York, cette ville si opulente. Les visages sont marqués par les blessures de la vie, la saleté, les ravages de l’alcool, ou par la vieillesse prématurée. Pourtant l’artiste a su capter dans leur regard ou dans leurs mains un sursaut de dignité ou un éclair d’humanité. Ces photos nous rendent ces hommes et ces femmes, en pleine déchéance, soudainement proches et infiniment respectables, comme s’il s’agissait d’amis ou de familiers. Qui ose aujourd’hui dialoguer avec ceux et celles qui frôlent la mort, avec ceux qui souffrent, ceux qui sont rejetés à cause de leur sexualité ou de leur couleur de peau, la violence, l’intolérance ? Les artistes comme ce photographe sont des porteparole des déchirures et de la beauté des hommes, de la na-
ture… Un artiste donne à deviner, à pressentir la lumière que tout homme porte en lui. Il invite à découvrir l’invisible, à contempler les traces de lumière dans ce siècle si violent, si difficile pour nombre de nos contemporains. Véritable porteparole de l’humanité, des plus pauvres, il révèle que l’homme est sacré car il porte en lui une lumière qui éclaire en vérité l’humanité. Peut-on faire un lien entre l’art et la foi ? Nous pouvons faire ce lien à condition d’accepter d’entrer en dialogue avec les artistes quand nous nous arrêtons devant leur œuvre. Il ne suffit pas d’avoir toutes les explications techniques d’une œuvre pour dialoguer. Encore faut-il faire silence intérieurement et laisser l’œuvre nous parler pour ouvrir notre cœur au cœur de l’artiste. Quand on peut dialoguer avec l’artiste à propos de son œuvre et lui partager comment elle parle à notre vie, la rencontre devient enrichissante. J’ai été surpris de rencontrer un artiste qui créé ses œuvres d’art à partir de son corps humain, comme s’il pressentait les questions qui allaient surgir au début du XXIe siècle. La chair s’exprime, se montre, se pare, se sépare. Elle devient la clef de voûte d’une œuvre de grande portée sur l’instabilité de la condition humaine. J’ai eu l’occasion d’échanger longuement avec Lee Wagstaff, né
à Londres en 1969, qui avait tatoué intégralement son corps et qui s’exposait nu dans une galerie parisienne. Il m’a confié que c’est après avoir lu et relu les récits de la Création dans la Bible qu’il avait pris pleinement conscience que son corps était une œuvre de Dieu et que sa mission était d’en faire un chefd’œuvre digne d’être exposé. Jésus créa de nombreuses paraboles. Ne portait-il pas un regard d’artiste sur ceux et celles qui criaient leur désespoir, leur envie de vivre autrement, leur soif de la force de Dieu ? Combien de fois leur a-t-il dit : « Ta foi t’a sauvé ! » Jésus ne vérifiait pas si leur foi était bien orthodoxe mais, avec l’œil de son cœur, il percevait la lumière qui brûlait en eux. Du temps de Jésus, son peuple croyait que le Temple de Jérusalem était la demeure de Dieu. À la Pentecôte, Pierre proclame que la prophétie de Joël se réalise : « Il arrivera que je répandrai de mon Esprit sur toute chair… » (Actes des Apôtres 2 ;17). Cette prophétie provoque une véritable révolution spirituelle qui se traduit même dans l’art. L’art sacré (à ne pas confondre avec l’art religieux) est pour les chrétiens l’art qui rend visible la lumière de Dieu présent dans les êtres humains et dans la nature. Robert Pousseur juillet/août 2017 13
Chercher et trouver Dieu
Éclairage biblique
dire la résurrection
© Apparition du Christ, Duccio di Buoninsegna, Sienne
Par des œuvres d'art, des artistes transmettent aussi leur foi et celle de l'Église. Nous vous proposons, pour ce numéro, une lecture d’image en écho au chapitre 21 de l’évangile de Jean.
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Dans la partie droite, six personnages sont debout dans une barque. Au premier plan, deux hommes courbés agrippent un filet rempli de poissons. Leurs visages crispés, leurs bras tendus manifestent leur effort. Derrière eux, quatre hommes debout, ont le visage et le regard tournés vers la gauche et se désintéressent de l’effort de leurs deux compagnons. Et puis, il y a cet autre homme debout, vêtu d’une tunique grise, barbe et cheveux de la même couleur. Bras tendus, mains ouvertes, il est en train de parler avec un dernier personnage que nous ne voyons pas en entier. Il est sorti de la barque, ses pieds nus sont dessinés sur les vagues comme ils le seraient
14 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 48
sur la terre ferme, sans qu’ils s’enfoncent le moins du monde. Est-ce une maladresse du peintre ? Après tout, les poissons eux aussi sont à fleur d’eau mais autour d’eux elle est plus sombre, comme agitée. Le dernier personnage debout sur un rocher que battent les vagues n’est pas représenté en entier, comme s’il était en train d’arriver, d’entrer dans la scène. Il fait face aux autres personnages et de sa main droite les exhorte. Il est vêtu d’une tunique rouge et d’un manteau bleu, tous deux frangés d’or. Un regard plus attentif nous fait voir sur sa main un petit cercle noir qui apparaît aussi sur l’autre main repliée pour tenir son manteau.
Là où nous attendrions un paysage, il n’y a rien qu’un fond d’or aux reflets pourpres. Qui sont-ils ? Le fond d’or et l’absence de paysage nous font penser au monde des icônes orientales. Le peintre qui a réalisé ce tableau est Duccio di Buoninsegna, peintre de Sienne, à un moment où la peinture va s’affranchir des règles rigides du style byzantin pour aller vers plus d’humanisme.
Mais d’où vient que Pierre semble marcher sur l’eau ? Ce n’est pas dans le texte de Jean. Le peintre se réfère à un autre passage de l’évangile de Matthieu au chapitre 14 aux versets 28 à 31. « Mais aussitôt Jésus leur parla : « Confiance ! c’est moi ; n’ayez plus peur ! » Pierre prit alors la parole : « Seigneur, si c’est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux. » Jésus lui dit : « Viens ! » Pierre descendit de la barque et marcha sur les eaux pour aller vers Jésus. »
Cependant les codes byzantins subsistent : l’habillement de l’homme qui arrive par la gauche Pierre qui a douté lors de la première pêche est celui du Christ, les couleurs lui sont propres : miraculeuse marche maintenant en toute sécurité bleu de sa divinité, rouge de son humanité. Les sur les eaux. Le Christ ressuscité affermit sa foi. points noirs sur ses mains sont les traces des clous Geneviève Roux, Xavière et cela nous indique qu’il s’agit du Christ ressuscité. Entre l’image et le texte « Il y avait là, ensemble, Simon-Pierre, avec Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau), Nathanaël, de Cana de Galilée, les fils de Zébédée, et deux autres de ses disciples. » Le compte est bon : six hommes dans la barque et un sur la mer. « Simon-Pierre leur dit : « Je m’en vais à la pêche. » Ils lui répondent : « Nous aussi, nous allons avec toi. » Ils partirent et montèrent dans la barque ; or, cette nuit-là, ils ne prirent rien. » L’image nous montre un moment précis du récit : le retour des pêcheurs alors que la pêche fut vaine. Alors pourquoi le filet plein de poissons ? « Au lever du jour, Jésus se tenait sur le rivage, mais les disciples ne savaient pas que c’était lui. Jésus leur dit : « Les enfants, auriez-vous quelque chose à manger ? » Ils lui répondirent : « Non. » Et Jésus leur indique un banc de poissons, là sous la barque. Une pêche miraculeuse ! Pour ces sept hommes cette pêche réveille un souvenir. Jésus déjà leur a indiqué où lancer leurs filets pour faire une prise abondante. Luc au chapitre 5 de son évangile aux versets 1 à 11, raconte cela et rappelle la parole de Jésus à Pierre : « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras ». Jésus ressuscité confirme Pierre et les dix dans leur mission.
prier avec ce tableau Me remettre sous le regard du Seigneur qui m’attend avec amour. Regarder le tableau, me laissant réjouir par la beauté des couleurs, les visages expressifs des apôtres. Demander la grâce de me laisser toucher par ce qui se passe sous mes yeux et de grandir dans ma foi au Christ ressuscité. + Regarder. Je fais des gros plans successifs. Sur le groupe des apôtres, sur le filet, sur Pierre en dialogue. Sur Jésus debout sur un rocher. La mer est devenue aussi ferme que le rocher. Et Pierre marche vers le Christ-rocher. Réfléchir en moi-même. Est-ce que j’éprouve que le Christ est mon rocher dans les tempêtes du monde ? + Entendre les différentes paroles de Jésus, des apôtres, de Jean. Entendre l’action de grâces de Jésus lors de la fraction du pain. Repasser en mon cœur la parole qui me touche. + Considérer ce qui se passe. Jésus, qui était mort, refait sur le rivage les gestes qu’il faisait pendant sa vie publique. Gestes ordinaires et gestes exceptionnels, tous font sens dans la lumière de la résurrection. Rien n’est perdu ou sans valeur. Nous sommes baignés dans l’or de la lumière incréée. Est-ce que tous les gestes de ma vie quotidienne prennent sens par la résurrection du Christ ? juillet/août 2017 15
Chercher et trouver Dieu
Repères ignatiens
le baroque et la spiritualité d’ignace sous le même vent Apparus à la même époque, le baroque et la Compagnie de Jésus sont très liés. Mais ce mouvement va au-delà de l’architecture, de la peinture ou de la musique, constate Pascal Sevez s.j. Ensemble, ils nous parlent de Dieu et nous appellent à plus grand.
Pascal Sevez s.j., directeur du Centre d’Études Pédagogiques Ignatien (CEP-I) qui accompagne les 14 établissements scolaires jésuites et 150 autres sous tutelle de congrégations religieuses de spiritualité ignatienne.
trinitaire dont la suite du Christ nous fait le danseur de sa périchorèse (1). Pas de point d’équilibre où le regard pourrait se stabiliser, pas de centre où s’arrêter en un repos de synthèse et de résumé, le mouvement invite la poursuite du mouvement comme cette impatience jubilatoire du « magis » ignatien où l'urgence du service est à la mesure de l'abondance de la moisson dans les champs du Royaume. L’attention qu’Ignace prête aux motions qui nous habitent, la pédagogie qu’il déploie à structurer dans ses Exercices ce « mo-
16 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 48
vere » si cher à Pascal, font des compagnons jésuites des Obélix de l’art baroque, tombés dès leur création dans cet art, à la fois portés et porteurs de cette nouvelle expérience du monde.
Totalité et profusion Parce que Dieu donne en abondance, que chaque jour il sort pour semer sans se lasser, le baroque se fait foisonnement, profusion. C’est la totalité d’un monde qui est convoqué, dans sa diversité, dans sa bigarrure, comme sous la plume d’Ignace qui invite à contempler © Gloria di Sant’ignazio, Andrea Pozzo, 1685, église Saint Ignace à Rome
L
L’art baroque met en mouvement. Il ne se contente pas de torsader ses colonnes, de chorégraphier ses personnages. Il met en mouvement au sens qu’il construit une expérience qui me met en mouvement, qui me plonge dans un mouvement. Tout est mouvement : le flot du temps qui passe et me mène à la mort ; le mouvement de mes passions qui m’emporte ; le mouvement du don généreux du Créateur qui fait descendre ses rayons sur le monde et remonter en louange le travail de sa création ; le mouvement de ce Dieu
Charpentier © Partition de
Unité et paradoxes réconciliés Paradoxalement, cette prolixité, l’œuvre baroque cherche à la faire ressentir en son unité. Elle embrase tout en embrassant l’éclatement bariolé de la création. Car la suite du Christ ouvre aux paradoxes du monde. Ceux qui marchent à sa suite apprennent à le découvrir pleinement homme et pleinement Dieu. Ce que l’homme sépare, oppose en tensions irréconciliables, Jésus le donne à vivre unifié dans sa grâce. À la suite du Christ, Ignace invite à « voir Dieu en toute chose », et le baroque s’extasie en oxymores (2). Jeux d’ombres et de lumières, fluidité et stabilité, puissance et fragilité s’ébrouent en échos des vies de ces hommes qui se regroupent et se lient au centre de l’Église pour mieux se laisser éparpiller aux frontières : passionnés et chastes envers ceux vers lesquels ils sont envoyés ; relisant, discernant leur existence et pourtant prêts à partir là où leur Supérieur les enverra contre toute attente. Ignace comme le baroque se joue de nos sentiments contradictoires, nous invitant à reconnaître sous les pas paradoxaux de notre existence les pas du Christ qui rend l’humanité à la dignité de son aventure divine.
© Église Saint Nicholas, Prague
l’Annonciation dans l’ampleur du regard de la Trinité. Rien n’est trop, puisque nous entrons dans la réponse reconnaissante du don divin, Ad Majorem Dei Gloriam, et que les extrémités de la terre appellent de nouveaux apôtres.
L’image, comme choix de Dieu L’Incarnation est ainsi prise à bras-le-corps. Rien n’est indigne de la présence de Dieu. Rien n’est trop humain à ne pouvoir rayonner du divin. L’expérience du Dieu qui « va parmi les marmites, en cuisine » n’est pas réservée à celles d’Avila (3) mais s’offre à tout un chacun, car créé à l’image de Dieu. Cette image, Ignace ose la prendre au sérieux, ose lui reconnaître sa légitimité et son statut. Ignace en fait le moteur de ses contemplations. Il laisse derrière lui les réticences de l’idolâtrie, les relents sulfureux que dégageait l’évocation de l’imagination pour ouvrir une pédagogie spirituelle faite de « composition de lieu », de mises en scène interpellantes comme celle des « deux étendards », de mise en situation comme celle qui m’invite à me faire le petit serviteur de la Nativité. « Il ne s’agit pas de créer un monde imaginaire mais de laisser jouer l’imagination jusqu’à ce que le retraitant trouve le lieu réel du combat auquel il est invité aujourd’hui. » (4) Comme dans le baroque, l’image n’est plus un sous-langage, n’est plus l’instrument auquel je dois m’abaisser, par défaut, pour toucher les plus jeunes ou m’adresser aux ignorants illettrés. L’Image du Dieu vivant parle aux images, appelle d’autres images, vient débusquer, purifier, nourrir les images qui me portent au plus profond, qui dévoilent les combats
qui me traversent, qui jouent les mises en scènes où je me cache, où je me laisse transfigurer. L’image, pour Ignace, comme pour le baroque, est d’abord un choix de Dieu : dans la Trinité, le Fils est image du Père ; dans l’Incarnation, le Christ est image de Dieu. Et cette image il en fait le sceau de sa création, appelant, dans son histoire, l’homme à sa ressemblance. C’est de cette dignité, c’est de cette « prétention », que s’empare le baroque pour construire à même l’image l’aventure de cette ressemblance. La sage illustration des images allégoriques est emportée par le souffle du symbole. L’image est travaillée jusque dans les trompel’œil pour aider l’homme à sortir de sa fausse sagesse mondaine et s’embarquer dans la folie de la passion divine ! L’image est construite pour me déloger de ma posture de spectateur, pour faire tomber les frontières dans lesquelles je m’enfermais et me maintenais à distance. L’œuvre divine comme l’œuvre baroque m’emporte en une plongée. Mises en abyme, jeux de miroir, répétitions torsadées se bousculent et me happent pour me faire expérimenter ce don de vie qui me portait, déjà, et qui s’offre à mon émerveillement si je consens à le reconnaître et à y répondre.
1 : Périchorèse désigne ce qui unit les Trois Personnes de la Trinité ; union consubstantielle (inséparable) dans un mouvement incessant d’amour par lequel le Père engendre le Fils dans l’Esprit. 2 : Oxymore, figure de style qui réunit deux mots en apparence contradictoires (une obscure clarté). 3 : Sainte Thérèse d’Avila, dans le « Livre des Fondations » écrit pour ses moniales une lettre, avec ces mots : « mes sœurs, souvenez-vous, Dieu va parmi les marmites, en cuisine ». 4 : Claude Viard s.j. Christus n° 124
Pascal Sevez s.j. juillet/août 2017 17
Chercher et trouver Dieu
pour aller plus loin Des pistes pour un partage : • Au-delà du visible, l’invisible. Quelle que soit sa nature (architecture, poésie, musique, peinture, sculpture, littérature…), l’œuvre d’art peut révéler un au-delà d’elle-même, offrir une transfiguration du réel. En ai-je fait l’expérience ? Ai-je pu mettre des mots sur l’émotion ressentie ? Cela a-t-il été pour moi un chemin spirituel ? En quoi ? • Vivre un temps ensemble. Découverte d’une œuvre d’art, en famille ou avec un groupe… Après l’avoir contemplée, partager sur ce qu’elle me révèle de moi-même, de l’histoire, de Dieu, et échanger. Prendre le temps ensuite de considérer ce que j’ai découvert et ce que cet échange a permis pour le groupe. • L’art, reflet d’une époque. De même que l’art baroque nous instruit sur le contexte d’une époque, l’art contemporain dit quelque chose de l’aujourd’hui. Choisir une œuvre actuelle pour entrer dans une compréhension de notre monde.
Matière à Exercices : • Initiation à l’oraison à partir de tableaux Le centre spirituel de Penboc’h, en Bretagne, a reçu 17 tableaux du peintre Robert Fausser, comme autant de jalons pour suivre l’Évangile. Bruno Régent s.j. nous guide pas à pas, avec profondeur et délicatesse sur trois parcours spirituels successifs. Trois parcours à faire seul ou en groupe pour contempler, méditer, prier. Un chemin spirituel. À l’écoute des tableaux de Robert Fausser. Éditions Vie Chrétienne – Avril 2017 – 14 euros.
À recevoir :
• Recevez trois fois par semaine, gratuitement par email, une info pour rentrer dans l’histoire d’une œuvre ou d’un artiste – www.artips.fr
À lire : • Du spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier Kandinsky, Folio Gallimard – 11,90 euros. Écrit en 1910 alors que l’artiste venait de peindre son premier tableau abstrait, nourri des observations et des expériences accumulées peu à peu, ce livre compte parmi les textes théoriques essentiels qui ont changé le cours de l’art moderne.
À vivre :
• L'atelier art de la CVX regroupe des membres de la communauté de Vie chrétienne et des personnes de sensibilité ignatienne souhaitant relire leur pratique artistique – Contact : atelierart@cvxfrance.com
Retrouver d’autres suggestions sur editionsviechretienne.com
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© Corps mystique, Malel, 2005
contempler une œuvre d'art
L’harmonie dans un tableau, c’est ce qui fait qu’un morceau, une couleur est à sa place juste en fonction de tous les autres. Rien ne choque, rien n’écrase, rien ne domine inutilement, tout se répond, tout communique avec fluidité et l’œil n’est agressé par rien. Comme une rivière coule tranquillement, l’eau du tableau harmonieux vivifie tout sur son passage. Il en va ainsi du corps du Christ qui fait vivre en Lui tous les morceaux colorés que nous sommes. Et le sang qui circule partout dans toutes les parties du corps, c’est l’Amour. Malel juillet/août 2017 19
Se former
École de prière
de la lecture à la prière Profiter du calme de l’été pour des temps de lectures spirituelles, pour laisser son intériorité être mise en mouvement par une lecture, pour écouter ce qui bouge en soi. Bref laisser travailler l’Esprit au cours de lectures.
N
Nous ne sommes pas des sources qui se renouvellent par ellesmêmes, nous avons besoin de puiser dans des nappes plus profondes pour éviter que notre âme ne s’assèche. Pour nous prémunir de cela, la Bible est une remarquable alliée mais elle n’est pas la seule, une multitude d’écrits peuvent nourrir notre vie intérieure.
La lecture spirituelle est un échange silencieux mais réel entre un lecteur et un texte. Pour qu’une lecture soit spirituelle, il faut donc deux acteurs : un texte inspirant et un lecteur qui se laisse inspirer. Une lecture est spirituelle dans la mesure où elle met en mouvement l’intériorité du lecteur, où elle entre en résonance avec ses question-
© Bestdesign / iStock
Marie-Caroline Bustarret Rédactrice en chef adjointe de la revue Christus, docteur en théologie, elle a fait partie de CVX pendant 15 ans.
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nements et ses désirs profonds. Toute lecture doit se choisir en fonction des goûts propres et des affinités mais aussi des besoins et des capacités de chacun. De la même façon que nous choisissons nos amis, autorisons-nous à sélectionner les lectures et les auteurs dont nous ferons nos compagnons de route !
Faire fructifier ses lectures Comme l’expression l’indique, une lecture spirituelle c’est d’abord une lecture, c’est-à-dire que c’est en premier lieu l’affaire d’un lecteur. Notre lecture est spirituelle parce que nous lisons avec une intention qui est celle de laisser l’Esprit travailler en nous. Ainsi, ce n’est pas tant la profondeur de la parole délivrée qui va nous mettre en mouvement que la capacité que nous avons à faire fructifier ce que nous lisons. Nous pourrions passer une vie entière à lire la Bible ou des écrits de grands saints sans que cela ne produise le moindre fruit de conversion si nous ne nous disposons pas intérieurement à l’écoute. Cependant, pour qu’il y ait lecture il faut qu’il y ait eu écriture. La lecture spirituelle est possible car il y a des témoins qui ont un jour accepté de livrer le mystère dont ils sont habités. Ces hommes et ces femmes prennent la plume pour nommer et donner Dieu. Il y a ainsi des ressources inépuisables dans la tradition chrétienne mais également dans d’autres traditions religieuses. Au-delà des écrits dont le propos est, à proprement parler, religieux, la littérature profane comporte bien des ouvrages qui ont une véritable portée spirituelle. Ceux-là disent les émotions, sondent les profondeurs et font vibrer nos sens, ceux du corps et ceux de l’esprit. Ils sont dotés d’une capacité toute particulière à saisir la vie, à décrire le monde
et à dépeindre l’âme humaine dans sa complexité. L’acuité de leur regard et la justesse de leurs mots font approcher de ce qui est beau, vrai, de ce qui dépasse ; ils font ainsi goûter au divin.
Comme une respiration La lecture est le plus souvent un voyage solitaire. Comme pour la prière, on peut se donner un temps pour lire, fixer un lieu propice au silence et se préparer pour la rencontre avec l’écrit et avec Dieu ; se mettre en présence du Seigneur, lui demander sa lumière. Puis, lire, chercher à comprendre, savourer, laisser résonner, voir ce que le texte produit comme goût, comme résistances, comme joies. On peut se constituer une bonne « cave à vins » en notant sur un carnet, pour pouvoir y revenir plus tard, ce qui a eu de la saveur : ici une phrase, là un mot ou une image ; puis laisser monter la prière qui vient. Mais la lecture
peut aussi être une quête plus légère qui se fait tout simplement au fil des jours, une nourriture qui se picore au gré des envies, peu importe le lieu ou l’heure ! Quoi qu’il en soit, la lecture spirituelle devrait être une respiration : il ne faut pas chercher à lire beaucoup ni à être rentable, mais se donner le temps de découvrir et d’écouter ce qui bouge en soi car comme dit saint Ignace : « ce n’est pas d’en savoir beaucoup qui rassasie et satisfait l’âme mais de sentir et de goûter les choses intérieurement »1.
et AUSSI… Retrouvez des idées de lectures en p. 38 de ce numéro et sur le site editionsvie chretienne.com
1. Annotation 2 des Exercices Spirituels.
La lecture spirituelle est une rencontre. Gardons-nous de lire par devoir, essayons de le faire par amour. Ainsi nous pourrons prendre le texte pour ce qu’il est : une parole adressée à chacun personnellement. Marie-Caroline Bustarret
Vers une lecture spirituelle en groupe Visée : faire une lecture avec d’autres au bénéfice d’un approfondissement de la vie intérieure. Préparation : choisir un livre et se donner un programme de lecture sur une durée déterminée à partir d’un découpage du texte (on peut demander l’aide d’une personne d’expérience). Avant chaque rencontre : lire au préalable l’extrait, noter éventuellement les points à éclaircir (sans trop s’y attarder : le compagnonnage fidèle avec un texte apporte souvent ses propres lumières). Commencer par une lecture à voix haute du passage retenu, il est bon de ralentir ainsi le rythme et d’entrer dans la musique singulière des phrases. Tirer les fruits spirituels de la lecture : partager sur ce qui touche, ce qui heurte, ce qui est ressenti avec le cœur et l’esprit et non ce qui est compris avec la tête. Toujours rester vigilant à ne pas transformer la rencontre en débat d’idées. juillet/août 2017 21
Se former
Expérience de Dieu…
au festival d'art contemporain A l'origine du festival "Les Jours de Lumière" de Saint-Saturnin, Marie-Claude relit le chemin personnel que les rencontres et les expériences artistiques lui ont fait vivre.
N
Nous atteignons la soixantaine, mon mari et moi-même, et se pose à nous la question du lieu que nous allons choisir pour vivre notre retraite… Ce, il y a une vingtaine d’années : Paris ou un village d’Auvergne classé parmi les plus beaux villages de France ?
insertion dans ce village, berceau de ma famille.
Dans ce choix se glissait pour moi, soit une option pour enfin pouvoir « consommer du Paris », résidence jusque-là vouée à une vie de famille et de travail, soit une option pour développer mon
Saint Saturnin l’a emporté et les sollicitations n’ont pas manqué ; entre autres, faisant appel à mes connaissances historiques, la proposition de faire visiter le bijou d’art roman qu’est l’église.
En résumé, consommer du culturel à satiété et non au comptegouttes comme dans le passé, soit donner de ma personne dans des activités pastorales.
Ce fût là ma première expérience spirituelle liée à l’art, avec la conviction que la visite ne devait pas consister uniquement en un guidage technique mais plutôt en la révélation de toute la symbolique voulue par les bâtisseurs romans. Désormais, dans les échanges avec les visiteurs, j’ai pris conscience combien un lieu peut transmettre transcendance, lumière, sens, à condition de savoir le regarder et par là être passeur. Cette église m’a en quelque sorte imprégnée ; cette imprégnation n’est pas étrangère au surgissement en 1999 du festival dit « Les jours de Lumière. »
© Kim En Joong, maison diocésaine de Bourges
Pour ce faire, ma rencontre avec le Père Kim en Joong, dominicain coréen vivant en France depuis de longues années après une conversion au christianisme, a été déterminante. Je passe sur les coïncidences étonnantes de cette rencontre à plusieurs reprises dans un autobus parisien, pour m’arrêter sur la demande absolument pas préméditée que je lui ai faite de venir à Saint Saturnin exposer ses œuvres, en particu22 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 48
lier dans l’église. Je ne peux lire dans mes paroles si spontanées qu’un signe de l’Esprit dont j’étais l’instrument ; et qu’il ait accepté, après m’avoir dit « que les kermesses de villages n’étaient pas son truc » (sic) en est une autre. C’est à la suite de ce dialogue qu’est né un festival sur le thème art et spiritualité dont mon temps de retraite fut nourri spirituellement. Comment ? L’amitié du Père Kim, son récit éblouissant de sa conversion, si bien traduit dans sa peinture, de sa découverte du Christ vers l’âge de 30 ans, fut une étape importante. Le Père Kim m’a conduite à savourer davantage la joie d’être chrétienne, et sa peinture explosante de couleur et de mouvement à désirer ardemment de la communiquer. Et puis des faits égrenés au cours du festival m’ont également marquée. Entre autres, la vision d’une agricultrice de Saint Saturnin, venue contempler tous les jours du festival (à l’époque la durée était de huit jours) une toile du Père Kim. Elle n’avait aucune culture artistique mais venait, disait-elle, prier devant cette peinture non figurative car elle y « sentait Dieu ». « La beauté sauvera le monde », adage bien connu, souvent vérifiée au cours de ces années, en particulier avec toute l’équipe qui s’est investie dans le festival, équipe très diverse à tous niveaux mais soudée justement par la quête de la beauté, équipe
Les Jours de lumière C’est tout un village qui s’ouvre en proposant plus de 500 œuvres d’art réparties dans les maisons du village, des concerts, des conférences, des spectacles et des surprises musicales au coin des rues. Une invitation à une rencontre personnelle avec les artistes, à une célébration de la beauté dans les arts, à un regard sur soi-même, sur les autres, sur la nature et le monde. Une ouverture moderne à ce qu’il y a de spirituel au cœur de l’existence. Saint-Saturnin (Puy-de-Dôme), du 22-24 septembre 2017. www.lesjoursdelumiere.com soudée par les contacts avec les successeurs du Père Kim, et aussi avec les conférenciers, les musiciens etc., équipe soudée aussi lors des manifestations. Ainsi lors d’une conférence donnée dans l’église par Dominique Ponnan (directeur émérite de l’École du Louvre) sur le thème « Jardins intimes, jardins ultimes » : église pleine à craquer, on aurait pu entendre voler une mouche, expérience très réelle d’une communion dans le partage de nos profondeurs et qui a modifié mon regard sur l’autre, mon frère en humanité. Autre moment de grande communion à un concert liturgique dit « concert de la création » œuvre du Père André Gouzes o.p. Personnellement ayant suivi de très près la genèse de l’œuvre, mon émotion en écoutant le récit biblique de la création est intensifiée par la confirmation que créer touche au divin et à la grâce. Bien d’autres moments sont des
étapes dans ma vie spirituelle de toutes ces années. Ainsi à une liturgie de clôture de la fin d’un festival, un regard sur la nombreuse assemblée remplissant l’église m’a convaincue à la fois que j’étais un artisan de ce rassemblement mais encore bien plus que c’était le Christ qui agissait à travers moi. Ainsi mon sentiment était fait de reconnaissance, d’humilité ; cela a facilité un certain détachement, car s’il y a eu un avant avec les visites d’église, un pendant au cours de plusieurs festivals, il y a aujourd’hui un après. L’âge aidant, j’ai quitté l’équipe organisatrice pour me retrouver simple spectatrice. C’est là aujourd’hui mon chemin spirituel. Il faut savoir quitter, le grand âge l’exige dans bien des secteurs : quitter « les Jours de Lumière » fut, est, une exigeante et difficile nécessité. Heureusement la relève est assurée et bien assurée. Marie-Claude Hortefeux
Une théologienne relit cette expérience Renoncer à « consommer du culturel à satiété » et se trouver comblée spirituellement par l’art dans toutes ses formes. Plus encore : transformer ce fruit de grâce en lieu d’évangélisation, au cœur du monde contemporain, comme dans ses périphéries. Dieu nous rejoint dans nos désirs les plus profonds, les purifie et les transforme en dons au service de sa plus grande gloire. juillet/août 2017 23
Se former
Lire la Bible
d’une foule multiple à l'église Le livre des Actes trace la vie des premières communautés chrétiennes, mais sa visée n'est pas historique. Comme un récit des origines, des passages et des rebondissements sont vécus pour aboutir à une nouveauté plus grande encore. Ici l’Église, sauvée du péché par Dieu. Suivons les chapitres 2 à 5.
L
La dernière Parole de Jésus à ses disciples avant l’Ascension donne le programme de ce livre : « vous allez recevoir une force quand le Saint-Esprit viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre » (Actes 1, 8). Dans un premier temps, les disciples vont recevoir l’Esprit saint ; dans un deuxième temps, cet Esprit Saint leur donnera la force de témoigner (en grec martyrein) ; dans un troisième temps, les lieux de mission, de plus en plus éloignés de Jérusalem, sont annoncés. Par
ce programme, annoncé au tout début du livre, Luc exprime que c’est vraiment Dieu qui conduit l’histoire. Observons ce qui nous est dit de la communauté chrétienne naissante. Lorsque la communauté se réunit, elle prie (1, 14 ; 2,42-43.47 ; 4, 24-31 ; 5, 12.42). Les croyants écoutent assidûment « l'enseignement des apôtres » (2, 42 ; 5, 42). Toutes ces personnes sont assidues à la communion fraternelle et à la fraction du pain (2,42).
L'auteur du livre prend même le temps de détailler une prière communautaire (4, 2430). C'est une belle prière, bien construite, qui peut nous aider pour nos prières personnelles ou communautaires : il y a d’abord un temps de louange où les croyants rappellent les bienfaits de Dieu dans la création ; puis le rappel de l’action de Dieu à travers l’histoire avec David ; ensuite, ils présentent à Dieu les difficultés qu'ils doivent affronter et terminent leur prière en exprimant leur demande à Dieu, des demandes qui sont en vue de la mission. Dans la suite, Luc nous montre que ces demandes sont exaucées (5, 12).
© Girolamo Muziano, 16e siècle
Cette communauté est "Une"
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Le Christ a scellé avec le monde une Alliance nouvelle : la création a été renouvelée par sa mort et sa résurrection. L'harmonie qu'il y a dans cette première communauté renvoie au paradis terrestre. Luc rappelle cette unité avant chaque nouvel événement
(1, 14 ; 2, 1 ; 2, 42-47 ; 4, 2431.32-35 ; 5, 12-16). Le vocabulaire le manifeste : « un même cœur » (1, 14 ; 2, 46 ; 4, 32 ; 5, 12), « tout en commun » (2, 44 ; 4, 32) ; « tous ensemble » (2, 1), les croyants « vivaient ensemble » (2, 44). Face à cette communauté harmonieuse, les autorités juives qui refusent de croire sont hostiles (4, 1-3. 17 ; 5, 17s. 33.40), désemparées (4, 13-17.21) et divisées (5, 21b-26.33-39). Les hostilités sont entre le Temple où les sadducéens ont le pouvoir (et ne croient pas en la résurrection), et le Sanhédrin où il y a de nombreux pharisiens (qui y croient) : l'officialité juive veut disposer du pouvoir d'interdire la parole, mais la force reçue de l'Esprit Saint pousse les disciples à poursuivre leur enseignement. En soulignant les divisions des autorités religieuses, Luc manifeste que la communauté, qui est unie, est bien « de Dieu » (comme le souligne Gamaliel : 5, 39), ce qui n'est pas le cas des autorités juives.
Ils deviennent « multitude » Cette unité est un facteur essentiel pour sa croissance. L'image de la communauté qui transparaissait était signe de l’Esprit qui les animait et faisait que « chaque jour, le Seigneur leur adjoignait ceux qui allaient être sauvés. » (2, 47). Si leur but n'est pas le nombre, le nombre est signe de leur rayonnement.
Le témoignage qu'ils donnent dans la ville de Jérusalem attire à eux de nombreuses personnes. En quelques jours, elle rayonne tellement qu’elle passe de 11 (à l'Ascension) à 120 (Actes 1,15), puis 3000 (Actes 2,41), puis 5000 (Actes 4, 4) ; si bien que Luc dira souvent qu’il s’agit d'une « multitude » – ou foule – (2, 6 ; 4, 32 ; 5, 14). Cette multitude, poussée par le désir d'unité, a le souci des uns et des autres : les apôtres guérissent les malades (5, 1516) ; les croyants vendent leurs biens et partagent entre eux (4, 32) de telle sorte qu’il n’y a pas d’indigent (2, 44-45 ; 4, 32.3435). La vente des biens vise à faire disparaître la pauvreté au sein du groupe et l'argent déposé aux pieds des apôtres est distribué selon les besoins de chacun (4, 34-35).
marquée par un péché originel Sans le dire à la communauté, le couple d'Ananie et Saphire a divisé la somme reçue lors de la vente de leur bien pour en garder une partie pour eux. Pierre, qui voit comme un prophète avec les yeux de Dieu, voit la tromperie et perçoit que c'est Dieu qui est trompé, que le couple s'est laissé tromper par Satan. Ensemble, Ananie et Saphire ont choisi de trahir la loi de la communauté : ils ne sont pas loyaux envers elle. Par cette attitude, ils menacent donc la communauté de l'intérieur (ce
qui est très différent de l'hostilité extérieure). Puisque c'est Dieu qui est trompé, c'est Dieu qui exprime sa désapprobation ; or devant Dieu, il y va de la vie et de la mort ; en ne choisissant pas le chemin de vie, le couple a choisi un chemin de mort (Deutéronome 30, 15-20). Pierre le dit à Ananie : « Satan a envahi ton cœur, pour que tu mentes à l'Esprit » (5, 3) : comme Adam et Ève, ils ont été atteints par le Malin de l'extérieur et ont consenti au mal. Il leur fait remarquer qu'ils n'étaient pas obligés de partager ; mais ils ne peuvent partager en mentant à l'Esprit. Le mensonge met la communauté en danger : elle est menacée dans son efficacité missionnaire. Ananie meurt d'entendre les paroles de Pierre (5,5) : « Elle est vivante, la parole de Dieu, énergique et plus coupante qu'une épée à deux tranchants ; elle va jusqu'au point de partage de l'âme et de l'esprit, des jointures et des moelles ; elle juge des intentions et des pensées du cœur. » (Hébreux 4, 12). En rédigeant ainsi, Luc souligne que pour Pierre leur choix les coupe de la communauté. Par leur geste, les coupables ont détruit l'harmonie originelle. Comme ce fut le cas lors de la création, la première communauté chrétienne, dès ses débuts, a été animée et vit du souffle de Dieu, mais elle a aussi été attaquée par Satan. Dans le mal, l’homme et la femme sont com-
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Lire la Bible
Pour aller plus loin Daniel Marguerat « La première histoire du christianisme », Lectio Divina 180, Labor et fides – Cerf
plices. S'ils font corps l'un avec l'autre, ils se sont désolidarisés de la communauté. Comme en Genèse 3, l'origine de la faute est située dans la complicité d'un couple qui ment à Dieu (5, 4b) et qui est exclu par Dieu : ce ne sont pas les hommes qui les tuent, mais la parole de celui qui voit avec les yeux de Dieu. En racontant ce récit, Luc nous montre que, certes les membres de la communauté sont faillibles, mais l’unité de cette communauté est sauvegardée par le jugement et l’action de Dieu.
Le récit des commencements de l’Église
© Distribution des aumônes et mort d'Ananie, Masaccio, 1425
Le début du livre des Actes raconte l'origine de l'Église comme le livre de la Genèse raconte l'origine de l'humanité. Comme Genèse 1-11, Actes 2-5 est un récit
des origines. À travers ce livre, la communauté chrétienne se comprend et se dit. Le livre n’est pas un livre historique. Le genre littéraire utilisé par Luc explique tout autant la dimension merveilleuse utilisée pour décrire la croissance de la communauté que la violence du mal qui la traverse, exprimée par la mort violente d’Ananie et Saphire. Si Dieu crée un monde qui est bon, une communauté première qui est bonne, le Mal est venu pervertir le monde, comme il est venu pervertir la communauté chrétienne. Luc nous montre que dès son origine, l'Église a été atteinte par une blessure originelle, comme la création l'avait été lorsqu’Adam et Ève s'étaient laissé séduire par le serpent. Mais le livre ne s'arrête pas là ! Cette communauté devient « Église », elle devient assemblée. Luc n'a pas employé ce mot dans l'Évangile et il apparaît pour la première fois en Actes 5, 11, c'est-à-dire quand la communauté est purifiée du mal. Jusqu’alors, il s’agissait de la multitude, maintenant la communauté est formée. Il s'agit d'une assemblée, d’une Église. La communauté acquiert ce statut d'Église par l'action du jugement de Dieu : puisqu’Il est vainqueur du mal originel de la communauté, Il est définitivement vainqueur du mal. La résurrection de Jésus agit dans la communauté et transforme l’histoire. À nous, lec-
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teurs, il nous appartient d'y déchiffrer, aujourd'hui encore, Dieu agissant. À chacun de nous de demander sans cesse à Dieu sa grâce pour que nos communautés chrétiennes vivent avec « un seul cœur et une seule âme » (4, 32). Marie-Agnès Bourdeau CVX
À vos Bibles Choisissez 20 minutes et lisez Actes 2-5. En faisant cette lecture, - soyez attentifs aux mouvements. Observez les descriptions de la vie communautaire, les surgissements des événements ; puis comment ces événements sont expliqués (souvent un discours de Pierre). Observez alors les effets. - soyez aussi attentifs aux mots « tous », « même cœur », « ensemble », à tous ces moments de grande unité de la première communauté. - et s’il vous reste quelques minutes : faites vôtre la prière de la première communauté : Actes en 4, 24-30.
Spiritualité ignatienne
SAINT JEAN-FRANÇOIS RÉGIS, un compagnon de jésus pour aujourd’hui Décédé à La Louvesc, saint Jean-François Régis y attire encore des foules de pèlerins. Le message de ce patron de la Province jésuite de France, d’évangélisation et d’attention aux plus pauvres parle encore pour chacun, souligne Pierre Iratzoquy s.j.
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Dans une compétition de relais, le coureur transmet le témoin au suivant. Aujourd’hui, il est transmis au prédécesseur… Jean-François Régis, né à Fontcouverte près de Narbonne le 31 janvier 1597, meurt à La Louvesc, en Ardèche, le 31 décembre 1640, à l’âge de 43 ans. Il sera canonisé le 16 juin 1737, en même temps que saint Vincent de Paul dans la basilique Saint-Jean-de-Latran. Ce saint, appelé « la providence des malheureux », ou encore « le marcheur de Dieu », a été choisi par les jésuites de France pour leur saint Patron. Dans la région, n’est-il pas appelé, encore aujourd’hui, tout simplement « le saint Père » tellement sa passion du Christ le projetait sur toute personne affligée : pécheurs, malades, mourants, et cela à travers les montagnes et les collines de toute une partie de France. Là, le « saint Père », c’est toujours lui ! Homme au grand cœur, assoiffé du désir de bâtir la paix entre les hommes et de faire connaître et aimer le Christ, ce missionnaire aspirait à des horizons plus loin-
tains et plus vastes, aux dimensions de l’amour qui l’habitait : un homme de feu qui désirait être envoyé au Canada poursuivre l’épopée missionnaire de saint Isaac Jogues et de ses compagnons, martyrs des populations de
ces contrées appelées elles aussi à la connaissance du Christ. Son Canada serait le Velay et le Vivarais, lui avait dit le Père général… Le saint, au cœur ouvert aux plus vastes horizons, sera le premier
Pierre Iratzoquy s.j., recteur du sanctuaire de La Louvesc.
Cet été à La Louvesc : Spiritualité jésuite d'hier et d'aujourd'hui : vers une intériorité créatrice ? Du 19 au 25 juillet et du 7 au 12 août 2017. www.saint regislalouvesc. org
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Spiritualité ignatienne jésuite français non martyr à être canonisé. Parfait exemple pour les fils de saint Ignace, il sera tout désigné à être le Patron de notre Province jésuite. Cependant, au moment où cette Province emprunte une nouvelle physionomie, englobant la Belgique méridionale et le Luxembourg, ce patronage est relayé à un autre saint jésuite, saint Pierre Favre, récemment canonisé par le pape François, né presqu’un siècle avant Jean-François Régis. Pierre Favre naît, en effet, le 13 avril 1506 au village du Villaret, en Savoie. Saint François de Sales, dans « L’introduction à la vie dévote », le présente ainsi : « Le grand Pierre Favre, premier prédicateur, premier lecteur de théologie de la Sainte Compagnie du nom de Jésus, et premier compagnon du bienheureux Ignace, fondateur d’icelle ». Là, tout est déjà dit de ce pasteur infatigable que l’on verra désormais sur les routes de cette Europe occidentale, allant de France en Italie,
d’Allemagne à l’Espagne et au Portugal. Il était donc juste, et même hautement souhaitable, que lui revienne aujourd’hui le relais du patronage des jésuites de la nouvelle Province de l’Europe Occidentale Francophone (EOF).
L’évangile et la rencontre des pauvres Pour l’instant, revenons à notre « saint Père du Velay et du Vivarais ». Quel exemple, quel message transmet-il aux hommes et aux femmes d’aujourd’hui ? Si ce sont ses contemporains qui l’ont proclamé « saint » dès son vivant et que près de 400 ans plus tard sont encore nombreuses les personnes à accourir à son tombeau lui confier les soucis de leur vie et lui témoigner leur reconnaissance pour les bienfaits reçus, c’est que la figure de saint Régis continue à porter des fruits : guérisons, changements de vie, confiance et espérance, « miracles » comme ces nais-
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sances d’enfants pour lesquelles on continue toujours de le prier. Son amour du Christ est l’illustration du célèbre mot de saint Paul : « Pour moi, vivre, c’est le Christ » (Philippiens 1, 21). À une époque où nous retrouvons l’urgence de l’évangélisation, quitte à l’appeler dans nos chrétientés fatiguées la « nouvelle évangélisation », la passion de cet apôtre à faire connaître l’Évangile au plus grand nombre demeure une force et un exemple pour nous, d’autant plus qu’il privilégiait déjà tellement la rencontre des pauvres, des malaimés, des malades, des souffrants, s’adressant pour être plus efficace à ceux qui pouvaient agir avec lui au service de toutes les misères et les souffrances. Des biographes ont sans doute participé à une époque plus récente à l’enjolivement de sa biographie, comme le voulait une certaine conception hagiographique, nourrie de religiosité plus que de service de l’homme et de référence à l’Évangile ; il n’en demeure pas moins qu’est présent encore aujourd’hui l’exemple du souci, si grand déjà dans sa vie, du développement des missions proches ou lointaines, des initiatives religieuses au niveau de la santé, de l’instruction, de l’engagement social, des organisations de charité. Comment ne serions-nous pas encore profondément touchés, émus et entraînés par ces faits dont la répercussion fut tellement forte dès son vivant qu’ils ne pouvaient pas ne pas provo-
A notre époque, pourtant beaucoup plus sécularisée, le témoignage évangélique et l’exemple de l’ardeur apostolique de cet homme plein de Dieu, réputé pour sa vie de prière, mais aussi personnage moqué, insulté, calomnié, rejoignent admirablement les interrogations et les problèmes de notre temps : ainsi dans le domaine de la dignité humaine, du respect et de l’accueil et surtout dans la compromission avec les pauvres et les mal-aimés qu’ils soient migrants, chômeurs ou délinquants.
Du prêche à l’œuvre du bouillon On aime évoquer des miracles dans sa vie. Ceux-ci ne doiventils pas être recherchés avant tout dans sa proximité avec les pauvres et les rejetés de la vie : prostituées, malades, pécheurs publics qui l’attiraient comme un aimant ! Les dentellières ont compris de lui que le décret royal interdisant leur travail en fait ne les concernait pas : aussi Régis sera-t-il choisi plus tard comme leur saint Patron protecteur. Les foules qui remplissaient les églises pour l’écouter prêcher connaissaient son souci d’organisation de la soupe populaire, « l’œuvre du bouillon » dont une rue porte encore le nom dans la ville du Puy. Là, comme dans
© LaLouvesc
quer émotion et changement dans la vie ? De son vivant et même les siècles suivants !
l’œuvre du refuge pour les jeunes femmes maltraitées, Régis savait solliciter les bonnes volontés. Il excellait à exiger le meilleur des personnes de la haute société pour les entraîner dans une action commune vers les plus dépourvus, nous laissant ainsi un exemple précieux, celui d’un travail ensemble, avec d’autres, pour améliorer les conditions de vie des plus pauvres. Il suffit de se brancher sur les médias pour être assailli d’images et de commentaires concernant les abus dans les trois domaines de l’être humain : l’avoir, le pouvoir, le cœur ou l’affectivité ; vol, violence, viol semblent parfois mener le monde. Que de scandales touchant au cumul des richesses alors que des millions d’hommes, de femmes et d’enfants continuent d’être pillés ou utilisés à des fins peu honorables ! Que d’excès de pouvoir chez tant de responsables oubliant que l’autorité a pour mission principale de faire grandir l’autre ! Que de manques de respect envers ses semblables et plus spécialement envers les femmes et les enfants, ces derniers étant les premières victimes des familles divisées.
À l’occasion du 400e anniversaire de la naissance de Régis, le père Peter Hans Kolvenbach, alors supérieur général de la Compagnie de Jésus, nous le donne à imiter : « Serviteur de la mission du Christ, peinant avec lui, partageant son amour préférentiel des pauvres, Régis nous montre comment nous pouvons l’être, à son exemple mais chacun à notre manière. Prendre notre part à la mission évangélisatrice de l’Église, pour une évangélisation intégrale où la Bonne Nouvelle s’annonce dans les multiples gestes de l’amour pour tous et chacun, s’incarne dans les diverses dimensions de l’existence humaine, Régis nous précède sur ce chemin ». En conclusion, n’oublions pas que Régis est passé au début et à la fin de sa formation dans la Compagnie de Jésus, par l’expérience des Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola. Ce parcours demeure encore aujourd’hui un chemin privilégié pour mieux vivre la grâce de notre baptême, comme disciple missionnaire du Christ, dans le sillon de l’exhortation « La joie de l’Évangile » du pape François.
Pour les 18-35 ans • Magis Pélé 2017 Du 22 au 30 juillet 2017 – 200 euros. reseau-magis.org • Vacances spi seul(e), en groupe, en famille pour 1, 2, 3 ou 10 jours Se re-po-ser dans une ambiance saine, se balader, jouer, animer des célébrations, prier ensemble, faire silence, avoir un accompagnement spirituel, partager sur sa foi, travailler la Bible et plus si affinités… reseau-magis.org
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Question de communauté locale
en attendant ma prochaine CL Suite à un déménagement ou à une recomposition d’équipe, je suis amené à changer de Communauté Locale (CL). Comment m’y préparer ?
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« Quitte ton pays, ta parenté… », dit Dieu à Abraham (Genèse 12, 1). Pas toujours facile de quitter des compagnons avec lesquels je chemine depuis un certain temps : des liens d’amitié se sont créés, nous partagions en confiance, nous nous sommes dévoilés les uns aux autres… et je me suis attachée. Mais au fond de moi, à quoi, à qui je suis vraiment attaché ? N’est-ce pas le Seigneur que je cherche et que je veux suivre, où que j’aille, quels que soient les compagnons qui partageront un bout de route avec moi ? Plutôt que de céder à la nostalgie, je choisis de tirer profit de l’expérience vécue et, avec l’aide de Dieu, de regarder en vérité le chemin parcouru ensemble, avec ses joies et ses moments plus difficiles. Reconnaissant comment Dieu s’est manifesté dans notre histoire commune à travers les hauts et les bas, j’y puise la confiance pour demain. Forte de ce viatique je me tourne résolument vers l’avenir, « vers le pays que je te montrerai » (Genèse 12, 1). Déracinée, alors que certains de mes repères bougent, je me fais une joie de pouvoir
continuer ma route avec une nouvelle Communauté locale ! Je voudrais que cette nouvelle aventure soit belle, alors je me dispose à recevoir ces nouveaux compagnons comme un don que Dieu me fait, en priant pour eux. Peut-être se trouvera-t-il parmi eux une personne que je connais déjà ? Et si je demandais la grâce de porter sur elle un regard neuf, comme si je la découvrais pour la première fois ?
Vers une CL idéale ? Mon aspiration légitime à retrouver une Communauté Locale sera peut-être mise à l’épreuve si l’ESCR me demande de patienter. « Pourquoi ne pourrais-je pas rejoindre tout de suite une CL en proximité géographique, composée de personnes de mon âge ayant les mêmes centres d’intérêt ? », me dis-je. Je me surprends ainsi à rêver d’une CL idéale. Si seulement je pouvais choisir ! Et pourtant je dois m’en remettre à l’ESCR. Suis-je vraiment prête à lui accorder ma confiance, consciente qu’elle connaît la Communauté régionale dans son ensemble, et ses réalités ? Je sais qu’elle tentera au mieux de prendre en compte
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les désirs et contraintes que je lui ai exprimés, en fidélité à sa mission de soutenir à la fois la croissance des membres et celle de la Communauté régionale toute entière. Et en tant que membre de la Communauté, je suis moi aussi donnée à mes compagnons pour notre croissance à tous. Suis-je disponible à me laisser envoyer ? Sentant encore quelque résistance, je demande à Dieu la grâce de l’indifférence pour accueillir la décision de l’ESCR et y adhérer, confiante en la promesse de vie faite à Abraham : « je te bénirai,… et tu deviendras une bénédiction » (Genèse 12, 2). Alors, oui, « Prends Seigneur et reçois toute ma liberté, ma mémoire, mon intelligence et toute ma volonté […] Donne-moi seulement de t’aimer et donne-moi ta grâce, elle seule me suffit ». Claire Vergnault
a lire aussi Un texte proposant de vivre ce temps comme un sabbat editionsviechretienne.com
Ensemble Lefaire Babillard Communauté
© DR, participants lors de l’Assemblée de Beyrouth
Une parole à méditer
Les Assemblées mondiales de la CVX depuis 20 ans Itaici 1998 : Approfondir notre identité en tant que corps apostolique – clarifier notre mission commune. Nairobi 2003 : Envoyés par le Christ, membres d’un seul corps. Fatima 2008 : Cheminer comme corps apostolique. Beyrouth 2013 : De nos racines aux frontières.
Buenos Aires 2018 : La CVX, un don pour l’Église et pour le monde.
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Ensemble faire Communauté
En France
première rencontre des accompagnateurs d’exercices Parmi les nombreux lieux où la CVX envoie des compagnons, il y a les centres spirituels pour accompagner les retraitants vivant les Exercices spirituels. Pour la première fois, anciens et nouveaux accompagnateurs se sont retrouvés. Réunion de famille.
V
© Mike Powell / Digital vision
« Voyant la grâce de Dieu à l’œuvre il fut dans la joie »1. Cette parole au sujet de Barnabé, nous l’avons vécue ce week-end à Saint-Hugues où plus de 90 accompagnateurs de la Communauté étaient venus de toutes les régions de France pour une université de printemps ! Ce qui m’a étonnée et réjouie c’est l’ampleur de la manifestation. Impensable il y a 30 ans d’imaginer un tel rassemblement. Les accompagnateurs laïcs de retraite dans les centres étaient l’exception ! Ils étaient appelés par un jésuite ou une religieuse qui leur faisait confiance et les supervisait. Ils devaient continuer à se former en recherchant dans les centres les formations les plus adaptées. Quel chemin parcouru en termes d’audace, de confiance et de formation !
Ces deux jours furent pour moi des retrouvailles familiales. Nous sommes envoyés par la CVX et accompagnons en Église. Mais la pratique de l’accompagnement dans le concret est un service souvent solitaire. Même si la présence de l’Esprit ne nous lâche pas, nous sommes des êtres de chair et avons besoin de frères différents, solidaires pour sentir ce corps qui nous envoie. Ce corps a besoin d’être nourri car l’accompagnateur est en formation et conversion permanentes. Ce week-end le repas de famille fut copieux et consistant : - En apéro nous avons goûté une contemplation du monde, de la « société liquide » dans laquelle nous vivons, des jeunes, de la difficulté de vivre libre dans un monde qui pressure au risque du burn-out. - Le plat de résistance fut la lecture éclairée du texte Amoris Laetitia. Souffle de tendresse qui pacifie et dynamise nos pratiques d’accompagnement. - Le plateau de fromages divers et variés était garni de nos expériences partagées : la retraite dans la rue ou l’accompagnement des personnes dans les souffrances
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provoquées par nos communautés ou notre Église… La soirée de l’élection du président français fut un moment important pour nous qui affectionnons « l’Élection » ! - Au dessert la joie put éclater par le chant et la musique dans les célébrations et spécialement à la dernière Eucharistie. - Dans un « café librairie » des cousins se découvrirent en présentant le livre qu’ils aimaient ! Ce fut un repas tonifiant : certains ont même pu réapprendre à aimer leur famille CVX après avoir vécu ces derniers temps lassitude ou souffrance ! Beaucoup sont repartis avec une grande gratitude pour la Communauté et tous ceux qui la soutiennent dans sa croissance et sa mission. Zette Delannoy
Ps : A revivre ! À petites doses ! Car les réunions de famille se révèlent dynamisantes quand elles ne sont pas trop fréquentes !
1 : Actes 11,23.
fondation "amar y servir" Une fondation vient d’être créée par la CVX France pour recevoir des fonds et soutenir des projets en lien avec les frontières où les compagnons sont invités à aller.
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« En toutes choses, aimer et servir », cela vous dit quelque chose ? Sûrement ! Amar y Servir est également le nom de baptême que porte la nouvelle œuvre créée par la CVX France.
Le projet de créer une fondation a été validé en décembre 2014, mais l'idée est bien plus ancienne. L'équipe service communauté nationale (ESCN) a souhaité finaliser dans l’année 2017 la naissance de cette nouvelle œuvre de la communauté. Son but principal est de financer et soutenir des projets audacieux, des projets ouverts sur le monde, en particulier aux frontières identifiées durant l’assemblée mondiale de 2013, des projets où l’homme prend soin de son prochain…, des plus pauvres, de la famille, des jeunes, mais aussi de la planète. Le statut de la fondation lui permet de recevoir dons et legs. Avec une dotation initiale de la CVX, elle fera ensuite appel à des donateurs pour compléter ses ressources. Pour éviter une création exnihilo (très difficile), la Fondation Amar y Servir sera sous l'égide (ou abritée) de la Fondation Terre Solidaire, créée récemment par
© CVX
De quoi s’agit-il ?
notre proche partenaire, le CCFD. La convention de création entre Terre Solidaire et Amar y Servir a été signée durant ce 17 juin. La Fondation sera animée par une équipe de 6 à 8 personnes – dont un membre de droit de la fondation Terre Solidaire. C’est l’ESCN qui a appelé les membres de ce premier conseil, qui par la suite, sera composé de membres appelés par la CVX et de personnalités qualifiées externes. Bientôt vous pourrez proposer, directement ou indirectement, des projets pour que fleurissent la Vie, la Joie, la Fraternité et la Parole pour bâtir aujourd’hui le Royaume ! À travers cette Fondation, nous souhaitons partager notre manière d’être et d’avancer en CVX en proposant accompagnement et relecture aux porteurs de projets éligibles. En effet, en fonction
des projets retenus, des compagnons sensibles à la nature de ces derniers ou ayant compétence dans le domaine et favorisant l’écoute et la compréhension, seront appelés pour accompagner les porteurs de projets. En communion avec les appels du Pape François, de l’Église et de l'équipe service communauté mondiale (ExCO), la Communauté de Vie Chrétienne en France se dote d’un outil pour être artisan d’un monde plus solidaire et plus juste, participer à la transition écologique et sociale de ce monde que le Très Haut nous confie à tout instant, « artisan agissant » à travers les porteurs de projets accompagnés et les projets soutenus.
Où agira la Fondation ? En France et à l’international tout particulièrement aux quatre "frontières" : - Mondialisation et pauvreté. - Écologie intégrale et respect de l’environnement. - Familles et nouvelles réalités familiales. - Jeunes.
Tous ensemble, demandons au Seigneur la grâce que cette Fondation porte beaucoup de fruits ! Le conseil de Fondation juillet/août 2017 33
Ensemble faire Communauté
Quelques Témoignages
une assemblée de communauté discernante Du 23 au 28 mai 2017, à Nevers, se sont retrouvés 120 délégués venant des 46 communautés régionales de France et de différents lieux de mission afin d’élire une nouvelle équipe service nationale et émettre des recommandations pour les deux années à venir. Mais ce discernement communautaire à 120 fut aussi une expérience spirituelle forte pour chacun. En voici quelques pépites. Une communauté ? A bon ?!? Je suis donc membre d’une communauté locale, d’une communauté régionale, nationale, mondiale !? Ça change quoi ? Grâce à vous, j’ai compris ! L’expérience de ces quelques jours vécus en Assemblée de Communauté en est la réponse. Et cette réponse me comble au-delà de toute attente. Au service de l’animation, j’étais aux premières loges pour contempler cette communauté (de délégués) rassemblée : notre communauté ! Une belle diversité de ses membres, une aptitude à entendre des expressions personnelles, un désir de rechercher des orientations communautaires, une expérience que des tensions sont sources de mouvement et que le mouvement est bon et porteur d’avenir. Certes, l’imprévu nous complique un peu la vie mais nous donne la chance de creuser le sens et ouvre à la créativité. J’ai vu comment notre communauté vit, se parle, se fâche parfois, traverse désolation puis consolation, initie des démarches de pardon, accepte de renoncer à vouloir être parfaite… J’ai entendu un engagement réel à faire grandir notre Communauté Vie Chrétienne pour une vraie recherche de la gloire de Dieu aujourd’hui dans notre monde. C’était beau, c’était bon. Agnès Delépine Déléguée et animatrice de l’assemblée
Cinq jours pour une assemblée ? Quel sens ? A l’heureuse invitation de l’ESCN, j’ai eu l’occasion de vivre cette expérience peu banale. J’en ressors émerveillée par le foisonnement d’une vie de communauté qui s’offre à contempler et à partager. Le discernement communautaire à 120, cela prend du temps, c’est le prix pour grandir ensemble, pour faire de plus en plus communauté, non dans l’idéal rêvé mais dans la réalité de l’engagement et du service. Et c’est beau ! Comme lors de nombreuses activités CVX et plus encore par la spécificité, une telle assemblée nous révèle semblables et différents. Nous sommes en effet semblables, comme personnes et comme communautés nationales participant de la communauté mondiale, par Celui qui nous rassemble et que nous essayons de suivre, par une spiritualité ignatienne partagée et le charisme propre de la CVX. Nous sommes aussi différents dans la manière d’incarner dans notre lieu de vie propre ce qui nous unit. Isabelle Gaspard Invitée, Présidente CVX Belgique francophone
La faiblesse de nos richesses Quand nos moyens sont puissants, la tentation est d’en faire une fin : tentation de contrôler toute les hypothèses, d’avoir une connaissance absolue, de vouloir prévoir la fin... Nous sommes appelés à faire confiance à la dynamique de l’Esprit : l’important est le mouvement, d’en identifier la source. Et finalement le résultat final de cette assemblée n’est pas si essentiel tant que l’on est dans ce mouvement. Herminio – Vice assistant ecclésiastique mondial de la CVX 34 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 48
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En France
Un renouveau communautaire Rentrant de Nevers, j’éprouve un émerveillement d’avoir perçu l’Esprit à l’œuvre dans ce rassemblement. Cela est particulièrement mis en évidence à travers les mouvements qui traversaient cette Assemblée : moments de défiance, moments de tension et d’incompréhension, moments de joie, d’humour, de légèreté, d’humilité, de paix. L’humour de « Cracotte » était comme un miroir qui nous reflétait parfois nos lourdeurs. Nous avons pointé des dysfonctionnements dans la gouvernance et des demandes de pardon ont été formulées. Les accompagnateurs nous ont aidés à avoir la juste posture, avec le Christ, pour privilégier l’écoute jusqu’au bout. La conversation spirituelle a ouvert un espace pour s’exprimer. Je suis responsable d’une équipe service de grande région et j’ai pu témoigner à l’Assemblée des fruits de la nouvelle gouvernance ; ils sont particulièrement visibles avec l’arrivée des nouvelles équipes service de Communautés Régionales en 2016 ou 2017 : simplicité, souplesse, dynamisme, mise en mouvement, collégialité,… Notre Communauté va bien !... Certes, durant cette Assemblée, nous avons passé probablement trop de temps sur notre gouvernance, nos textes, notre « soupe interne» mais en relisant, je prends conscience que c’était nécessaire pour libérer la parole jusqu’au bout ; même si elle peut paraître douloureuse, elle est libératrice. Sans qu’il y ait eu concertation la même référence à une lettre de Paul Roger Dalbert s.j.*datant de 1971 est revenue à deux reprises : « Ayons l’audace de croire que ce que nous vivons à Vie Chrétienne pourra un jour apporter quelque chose de neuf à la communauté ecclésiale de demain. » A l’issue de cette Assemblée, c’est pour moi une certitude, nous vivons un renouveau communautaire vers une Communauté contemplative dans l’action. Un « clin Dieu », le thème de la prochaine Assemblée mondiale de 2018 est « CVX, un don pour l’Église et pour le monde ! » Bruno Durochat – Responsable équipe service grande région sud-est * À l’origine de CVX.
Retrouvez photos, video et les topos sur : assemblee 2017.cvxfrance.com/ relire
Retrouvez d’autres témoignages sur : editionsviechretienne.com
Pendant cette Assemblée, j’ai acquis d’immenses oreilles. Mon ouïe au second degré s’est formidablement développée. En effet, je n’avais pas à comprendre ce qui se disait, mais ce qui pouvait mouvoir ceux qui parlaient, comme ceux qui se taisaient d’ailleurs : entendre le ton d’une voix, une question insistante, un débat nouveau, le bruit inutile, une question simple et pertinente, un sujet qui traine trop longtemps, une remarque agacée, l’humour qui libère et la ‘brise très légère’ de la présence à Dieu… Et ainsi pouvoir éclairer l’Assemblée sur son discernement, sa liberté dans la décision, la force salvatrice du pardon demandé, nos désordres intérieurs en désolation : bref, la vie rêvée d’une accompagnatrice. En plus, j’ai entendu tant de confidences … Merci aux compagnons CVX pour leur immense confiance. Merci à Michel Guyomarc’h, qui a co-accompagné cette assemblée avec moi. Nos échanges étaient francs, nos vues complémentaires. Sr Michèle Marchant Accompagnatrice de l’Assemblée de communauté
© CVX
Une oreille
Quand la richesse est pauvreté J’aurais pu me dire en écoutant les temps de relecture des désolations et consolations vécus en France : qu’est-ce que je fais là, cela ne me concerne pas. Mais ce ne fut pas le cas. Nous sommes de la même famille. Quand un membre souffre, le corps souffre, quand un membre est dans la joie, le corps est dans la joie. Je réalise combien la richesse de la France peut, par moment, être source de pauvreté si la communication ne passe pas d’abord par la relation. Une belle expérience qui me permet d’aimer davantage notre Communauté mondiale. Dominique Pampusa Invitée, membre de CVX Ile Maurice juillet/août 2017 35
Ensemble faire Communauté
Dans le monde
rencontre européenne des cvx autour des familles Près de 25 personnes venant de Pologne, Lettonie, Pays-Bas, Belgique, Italie, Malte, Espagne et France se sont retrouvées du 28 avril au 2 mai à Poznan en Pologne pour partager leur réflexion sur « Amoris laetitia » et des projets autour des familles.
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dans des milieux multiconfessionnels. « En CVX quelle aide et quelle difficulté pour nos familles ? ». Unanimité des pays ! La principale difficulté est d’allier vie de famille avec une vie d’engagement communautaire et de mission. Même si les participants reconnaissent que la famille est le principal don reçu et le premier lieu de la mission. Des solutions ont été partagées : en Lettonie les communautés locales se font les kangourous les uns des autres ; à Malte, des rencontres pour les enfants sont organisées pendant les rencontres des parents.
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Quelle est la réalité des familles dans ces pays ? Dès le premier jour, face à cette question les participants ont pu prendre conscience des lignes de force et des objectifs de chaque pays. Ainsi, les CVX de Malte, de Belgique, d’Espagne et de France sont impliqués dans des actions autour de la diversité sexuelle. Les Pays-Bas et la Lettonie ont partagé leurs expériences
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La CVX en Espagne a présenté « l’horloge de la famille », un document destiné à toutes les familles, avec un regard positif, où la famille est vue comme un ensemble, sans rôles féminins ou masculins, ce qui a permis beaucoup de souplesse pour accueillir une grande diversité de situations familiales. Et selon la Lettonie, les 12 points de la spiritualité ignatienne pour aider les familles.
Après avoir partagé sur « amoris laeticia », trois frontières plus spécifiques se dessinent : accompagner les adolescents (en Pologne existe un grand vide pastoral entre la première communion et le mariage), les premières années après le mariage et l’accompagnement des situations « irrégulières ». Cette dernière dénomination a soulevé des critiques ; il serait profitable que « accepter les situations irrégulières » signifie faire mûrir la capacité d’aimer toutes les personnes, quelle que soit leur situation. Le but n’est pas de chercher à devenir des familles parfaites, ni de le demander aux familles rencontrées. La mission est d’aimer et servir les familles « imparfaites ». C’est ainsi qu’une constante de la rencontre s’est dessinée « Mercy a way of understanding » (la miséricorde comme chemin de compréhension).
solidarité en cvx mondiale Aidée par les responsables de la CVX Liban et des compagnons CVX France, une réfugiée syrienne a pu faire venir son fils en France. Cette succession de gestes de solidarité a fait boule de neige bien au-delà du premier cercle, s’émerveille Armelle qui les a soutenus.
Pendant de longs mois, je lui ai appris le français, l’ai réconfortée, car elle était très abattue. Je l’ai invitée à partager nos repas, nos activités associatives. Je l’ai accompagnée dans de multiples démarches, y associant des amies. L’une d’elles, a réussi à la faire inscrire à l’université pour qu’elle obtienne un diplôme reconnu en France. Avec l’appui d’un membre de la CVX, nous avons obtenu pour Maya une aide d’urgence exceptionnelle du CROUS et une autre de la part du FSE (Fonds social Étudiant).
Mais pour Maya, ce qui lui tenait le plus à cœur était de pouvoir retrouver son fils. Une démarche de réunification familiale a été initiée. Tout étant fermé en Syrie en raison de la guerre, il fallait déposer un dossier dans un pays voisin de la Syrie. Ce dossier devait contenir le passeport original de l’enfant resté en Syrie et être déposé en personne par Maya. Or son statut de protection subsi-
diaire lui interdisait de sortir de France. Situation inextricable ! En désespoir de cause j’ai pensé qu’il nous faudrait trouver quelqu’un à Beyrouth qui puisse aller se renseigner. Je me suis souvenue que la CVX était une communauté mondiale, aussi nous avons adressé un courriel de « demande d’aide » à la CVX Liban. Dans l’heure qui suivait nous avons reçu une réponse très chaleureuse qui nous a dit qu’un couple était prêt à faire tout ce qui serait en leur pouvoir. Grâce à leur aide, une procuration fut suffisante et un jésuite du Service jésuite des réfugiés (JRS) a pu rapporter le passeport. Quelques mois plus tard, le visa de l’enfant était accordé. Mais il fallait que le passeport tamponné reparte rejoindre Rami, son fils. Cette fois, ce fut par des voisins syriens du couple de la CVX au Liban. Grâce à l’appui de compagnons de la CVX engagés dans le Secours catholique à Lille, nous avons reçu une aide financière pour acheter le billet d’avion de l’enfant. Pendant que nous étions en réunion de la CVX régionale Rami dînait chez ce couple au Liban
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Par l’intermédiaire d’une amie, j’ai fait la connaissance de Maya, réfugiée syrienne en février 2016. Elle avait fui la Syrie en urgence, laissant, la mort dans l’âme, son fils de 11 ans aux soins de ses parents.
avant de prendre l’avion pour Paris. Dès le lendemain, nous avons assisté à l’étreinte émouvante de la maman et de son enfant. Au fur et à mesure de cette aventure, nous avons pu partager l’essentiel avec notre Communauté locale… Une merveilleuse histoire qui se termine bien grâce au dévouement de nos amis de la CVX Liban que nous devons rencontrer l’été prochain à Paris. Armelle Soufflet CVX Cambrai-LILLE
Retrouvez le témoignage complet des péripéties sur : editionsvie chretienne.com Maya, musulmane, dans son français encore approximatif : « Grâce à vous, je me sens… Comment disent les chrétiens de Jésus Christ après sa mort ? » et le mot qu’elle cherchait était « ressuscitée ».
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L'énigme des talents Bruno Régent s.j. – Éditions Vie Chrétienne – Juin 2017 – 12 € Parmi les paraboles de l’Évangile, l’une des plus connues est celle des talents, au chapitre 25 de Matthieu. On croit facilement comprendre sa pointe : mettre en valeur les dons reçus de Dieu et ne pas les enterrer. Bruno Régent montre, avec « talent », que cette conclusion courante est bien en-deçà des multiples interprétations possibles.
Soigner l’esprit, guérir la Terre. Introduction à l’écopsychologie Michel Maxime Eger – Labor et Fides – 2015 L’écologie, science de la terre, fait de lents progrès toujours fragiles. La psychologie semble parfois plus encline à aider les hommes à « s’adapter » aux souffrances dues à l’environnement. L’écopsychologie ouvre de nouveaux horizons thérapeutiques (guérir avec les jardins, les animaux, la nature sauvage…). Elle est une invitation à inscrire l’homme dans son tissu naturel, social et politique. Pour un croyant, l’écopsychologie aide à sentir et goûter l’Esprit comme fondement de toute la création. Un ignatien peut entendre à travers ce livre un appel à faire l’unité de sa vie, en sortant d’un anthropocentrisme qui nous « sépare » de la nature comme toute forme d’égocentrisme nous sépare de Dieu.
Plus tard, je serai un enfant Entretiens avec Catherine Lalanne – Bayard Éditions Enfant déjà, Éric-Emmanuel Schmitt voulait être écrivain et homme de théâtre. L’auteur raconte l’amour et la confiance des siens qui ont su faire éclore cette vocation d’artiste et comment l’enfant vit en lui aujourd’hui.
Les demeurées Jeanne Benameur – Folio 3676 Dans une maison reculée, une mère et sa fille, deux demeurées, vivent en osmose mais sans parole, hors du monde. Mais le monde vient les rejoindre, la petite doit aller à l’école, une rupture impossible ; l’institutrice s’attache à elle, veut l’aider, fait tout ce qu’elle peut pour elle, mais cette forte intrusion provoque un grand désarroi et la petite tombe gravement malade. Nous sommes alors plongés dans le bouleversement vécu par ces personnages attachants. Un roman bien écrit, une belle langue.
Le plus et le moins Jésus, Approche historique José Antonio Pagola – Collection « lire la Bible » Cerf – 540 pages Dans ce livre, l’auteur, professeur de christologie, explique ce qui peut être connu avec certitude sur Jésus. Connaisseur de la Palestine au temps de Jésus, l’auteur nous fait marcher avec Jésus qui annonce le Royaume. Il nous fait découvrir un homme vivant humblement avec les gens simples de son pays. Ce livre à la fois scientifique et écrit dans un langage simple, nous touche dans notre intelligence, dans notre foi, dans notre cœur. L’auteur l’a écrit car il est « convaincu que Jésus est le meilleur de ce qui fait notre Église et le meilleur de ce que nous pouvons offrir aujourd’hui à la société ».
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Erri De Luca – Gallimard – 2016 – 14,50 € 37 petits textes retraçant les souvenirs intimes de la vie de cet auteur italien : les livres, la mer, la liberté, les luttes politiques et la fraternité, la Bible. Emporté par une écriture à la fois poétique et visuel, le lecteur s’évade et retrouve ses propres sensations.
Quand tu étais sous le figuier… Adrien Candiard – Les Éditions du Cerf – 2017 – 10 € Prenant appui sur des figures bibliques comme Jacob ou Nathanaël, ce dominicain nous renvoie à l’authenticité de la vie chrétienne. Unité de l’humain et du spirituel, humilité, désir, volonté de Dieu, « ligne de joie », autant de mots qui entrent en résonance avec notre spiritualité.
Billet
Le réveil sonne. Ce matin, mon premier geste « lucide » est d'éteindre la radio qui m’envahit de publicités agressives. Qui me submerge, aussi, d’informations et de messages. Je ne m’entendais plus penser. Ni saluer la journée qui naît, les promesses qu'elle contient. Me voilà dans la rue. Mon regard, mal éveillé, est capté par la statue vivante d'une mère, sur le trottoir, enfant dans les bras, main ouverte. Vite, je détourne la tête. Plus loin, plus haut, le panneau déroulant des affiches. Cette « réclame » est trop laide. Celle-ci, trop aguicheuse. Je baisse les yeux. Puis l’enfilade des vitrines. D'abord l'agence immobilière, sombre, au reflet pratique. Je pourrais vérifier si je ne suis pas trop décoiffé, si ma couleur de chemise ne « jure » pas. Modeste (ou fataliste ?), je passe outre. Puis la boulangerie, encore tentatrice malgré le petit-déjeuner tout proche. Là encore, je fais celui qui ne voit pas. En moins d’une heure, j’ai dit cinq fois non. Des non de résistance. Non aux sollicitations des marques, qui me font objet, marchandise, compte en banque. Non au flot de savoir, qui me fait récipient. Non au clin d'œil du miroir. Non au plaisir express d'un goût, d'une saveur. Ces refus courageux, il y en aura d'autres dans ma journée. Quel être stoïque je fais. Mais, et ce non à la petite mendiante de tout à l'heure ? Tous ces non de démission, de paresse, de fermeture. Non au coup de fil à cette tante, dépressive, à cette sœur, si seule. Non au voisin âgé qui semblait tant avoir besoin de parler, même cinq minutes. D'ailleurs, la jeune femme de la rue, cette pieta du trottoir, était-ce seulement de l'argent qu'elle voulait ou des mots, du temps, de la présence, utile ou pas ? Face à tous ces non, quel relief prend un oui ! Le oui mûrement réfléchi d'une décision difficile. Le oui d'un engagement, d'une réconciliation. Un oui d’acquiescement ou de consentement. Mais aussi le oui à l'imprévu. Répondre à ce numéro familier qui s’affiche soudain et va arracher un long temps à ma tranquillité. Me remobiliser quand les devoirs d'un enfant réclament un moment de ma précieuse soirée. M'arrêter quand, dans la rue, un appel me dérange. Sourire à celui que j'étais prêt à traiter de tous les noms. De tous les non.
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cent non pour un oui
Jean François
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Prier dans l’instant en accompagnant des retraitants Cette semaine j’accompagne des personnes qui viennent faire retraite. Elles sont d’âge, d’horizon, de situation de vie et de préoccupations très divers. Comme il est classique de le faire, je leur propose de déposer auprès du Seigneur ce qui les habite : leurs joies, leurs peines, leurs soucis, leurs questions, leurs choix à faire, afin de les rendre disponibles à la parole de Dieu pour elles.
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Mais aujourd’hui une chose me frappe davantage que lors de mes précédentes expériences : le besoin qu’ont la plupart de ces personnes de dire leur souci, et de prendre le temps qu’il faut pour cela. Sans se perdre dans un récit périphérique qui diluerait la parole, mais en cherchant à dire ce qui occupe leur cœur. Je prends conscience à travers elles à quel point il nous est bon d’entendre le Seigneur nous dire, comme aux disciples d’Emmaüs en Luc 24,19 Quoi donc, quels événements, raconte-moi… En voyant vivre ces retraitants je repère que c’est en passant par cette porte, douloureuse parfois, car il s’agit souvent de dire une souffrance, que le Seigneur les rejoint sur leur route particulière. Je Le vois recueillir ces confidences, puis aider ces personnes à les relire à Sa lumière, les éclairer d’un jour nouveau qui ouvre l’avenir. Relire. Relecture. Ces mots nous sont tellement familiers, cela deviendrait presque banal, et pourtant… Seigneur, je désire me souvenir toujours que je peux Te confier tout, sans limite, comme un ami parle à un ami, pour que Tu relises avec moi en m’apportant Ta lumière. Tous les jours, en tout temps. Dominique Pollet
Nouvelle revue Vie Chrétienne – juillet/août 2017