Vie chrétienne Nouvelle revue
C h e r c h e u r s
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D i e u
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P r é s e n t s
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M o n d e
B I M ESTR I EL DE L A COM M U NAUTÉ DE VI E CH RÉTI EN N E ET DE SES AM IS – Nº 44 – NOVEM B R E/DÉCEM B R E 2016
Image, idole ou icône ? Vers la louange avec Zacharie Invitation à la conversation spirituelle
Sommaire
Directeur de la publication : Jean Fumex Responsable de la rédaction : Marie-Élise Courmont Rédactrice en chef adjointe : Marie-Gaëlle Guillet Comité de rédaction : Marie-Élise Courmont Jean-Luc Fabre s.j. Marie-Gaëlle Guillet Patrick Lepercq Marie-Thérèse Michel Laetitia Pichon Comité d'orientation : Nadine Croizier Marie-Claude Germain Anne Lemant Claire Maillard Étienne Taburet Fabrication : SER – 14, rue d’Assas – 75006 Paris www.ser-sa.com Photo de couverture : Leolintang / iStock Impression : Corlet Imprimeur, Condé-sur-Noireau
ISSN : 2104-550X 47, rue de la Roquette – 75011 Paris Les noms et adresses de nos destinataires sont communiqués à nos services internes et aux organismes liés contractuellement à la CVX sauf opposition. Les informations pourront faire l’objet d’un droit d’accès ou de rectification dans le cadre légal.
le dossier
NOUVELLE REVUE VIE CHRÉTIENNE
l’air du temps Nos éleveurs sont à la peine Nadine Croizier chercher et trouver dieu
Image, idole ou icône ? Témoignages Faut-il avoir peur des images ? Geneviève Roux, xavière Le serpent de bronze : idole ou icône ? Jean Lacour Ignace et son combat avec les images Jean-Luc Fabre s.j. se former Contempler une œuvre d’art Brodway de Françoise Garnier Prier avec une icône Une iconographe En accompagnant des chômeurs Gildas Zacharie, de la blessure à la louange Sr Marie-Amélie Le Bourgeois Conversation spirituelle Antoine Paumard s.j. Définir et tenir le cap Marie-José Bugugnani ensemble faire communauté Une parole à méditer La session familiale ouverte à tous En quoi l’université d’été était-elle CVX ? Pourquoi des retraites pour jeunes ? Une œuvre à l’œuvre : les Éditions La CVX Luxembourg fait vivre la rencontre avec des réfugiés La CVX aux JMJ babillard billet Vu Monika Sander prier dans l'instant En parlant avec des artisans d’art Catherine Raphalen
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La revue n’est pas vendue, elle est envoyée aux membres de la Communauté de Vie Chrétienne et plus largement à ses « amis ».
CHACUN PEUT DEVENIR AMI OU PARRAINER QUELQU’UN. Il suffit pour un an de verser un don minimum de : l 25 € l 35 € si je suis hors de France Métropolitaine l Autre (50 €, 75 €, 100 €…) n Par virement : RIB 30066 10061 00020045801 60 IBAN FR76 3006 6100 6100 0200 4580 160 – BIC CMCIFRPP n Par versement en ligne sur viechretienne. fr/devenirami n Par chèque bancaire ou postal à l’ordre de Vie Chrétienne À envoyer à SER – VIE CHRÉTIENNE – 14, rue d’assas – 75006 Paris – amis@viechretienne.fr
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Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 44
Éditorial
se laisser éduquer
«
Bien des domaines sont sujets à éducation, ‘éducation civique’, ‘physique’, ‘artistique’… et tous les âges sont concernés comme le laisse entendre le terme d’’éducation permanente’. Ouvrons donc le dossier de ce numéro ! Il aborde un angle particulier, l’éducation à l’image, dans cette époque où les images sont omniprésentes. Mais au-delà du thème du dossier, c’est à l’éducation ▲ Le projet de Dieu : l'homme à son image, à la liberté que voudrait contribuer la Revue. Liberté libre comme lui. qui demande une prise de distance, une écoute et un discernement. À chacun de se laisser rejoindre par les textes proposés et les expériences relatées, de prendre conscience de ce que cela provoque en lui et d’en tirer profit, pour une vie « purement ordonnée au service et à la louange de sa divine Majesté » (E.S. 46).
® Cathédrale de Chartres
Les questions d’éducation sont très présentes aujourd’hui. N’est-ce pas une question vitale pour tous les temps ? La 91ème session des Semaines Sociales de France qui se tient ce mois-ci, propose conférences et débats sur ce sujet sensible, sous le titre ‘Ensemble, l’éducation’.
»
Se laisser ainsi éduquer, voilà un beau projet ! Il demande du temps. Comme en témoigne l’expérience de Zacharie, ruminant la Parole du Seigneur pendant neuf mois avant d’entrer pleinement dans le projet de Dieu (p. 24-26). « Pour faire un homme, mon Dieu que c’est long ! » comme dit la chanson.
Marie-Élise Courmont redaction@editionsviechretienne.com
novembre/décembre 2016
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L'air du temps
nos éleveurs sont à la peine La crise agricole revient régulièrement à la une. Chacun a bien des solutions à proposer (ils n’ont qu’à faire du bio, vendre en direct aux consommateurs, faire du fromage…) Mais la crise est plus profonde. Pouvons-nous agir ? Nadine Croizier nous livre son éclairage.
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Chaque production : céréales, f r u i ts, l é g u me s, v i ns, l a i t , viande… évolue dans un contexte spécifique. Par souci d’honnêteté concernant mes connaissances, cet article se limite à la situation des éleveurs.
Nadine Croizier, ingénieur en agriculture, travaille dans une chambre d’agriculture d’un département d’élevage depuis 34 ans. Membre de la CVX.
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Le contexte général tous les journaux en parlent : libéralisation des marchés d’où production européenne excédentaire, dans un contexte de fermeture de marchés pour causes économiques (Chine) ou politique (Russie). Du coup les éleveurs laitiers vendent des vaches plus vite pour ralentir la production et le marché de la viande bovine se retrouve saturé, dans un contexte de baisse de consommation, de maintien d’importations importantes dans la restauration, et de réduction des exportations au gré des évolutions de normes sanitaires d’un pays à l’autre. Conséquence : les prix de vente chutent et restent durablement en dessous du prix de revient. Forcément, comme pour toute entreprise, ce n’est pas tenable longtemps. Surtout quand les trésoreries sont très basses, dues aux effets cumulés des déficits fourragers en 2015, des versements tardifs des aides de la Politique Agricole Commune (PAC)
dus aux changements incessants de logiciels de gestion, mais aussi parfois, comme dans tout type d’entreprise, à cause d’erreurs de gestion. Bref, pour de multiples raisons, ça va très mal économiquement. L’ambiance professionnelle est difficile à vivre avec des collègues qui quittent le métier et d’autres qui craquent (dépressions). Cela interroge forcément même si, aujourd’hui, on est éleveur par choix, goût et formation. Mais si le moral des éleveurs est à ce point entamé, c’est que le mal est plus profond : ils ne supportent plus ni leur écart de vie avec le reste de la société, ni les leçons que leur donne tout un chacun au mépris de leurs compétences. En ce qui concerne les écarts de vie, notez que, quand un éleveur investit, c’est toujours pour gagner du temps, pour vivre comme tout le monde (famille, vie sociale). Par ailleurs malgré leurs multiples compétences, les éleveurs peinent à gagner le SMIC, sans perspective d’évolution de leur rémunération et ne se sentent pas respectés. Le manque de respect de leurs compétences
Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 44
vous étonne ? Prenons juste deux « ils z’ont qu’à » et essayons de les éclairer un peu : « Ils n’ont qu’à produire du bio » : Tout d’abord le marché du bio est encore très minoritaire. Ensuite produire du lait ou de la viande en bio suppose les mêmes charges fixes (fermages, bâtiments équipés, matériel, charges sociales) qu’en conventionnel, mais avec une baisse de production et une fragilité plus grande (lors de sécheresses, l’achat de fourrages bio, moins courant, est plus cher). Enfin l’écart de prix payé au producteur reste faible, de l’ordre de 0,15 cts de plus. Produire et valoriser sa production en bio est une opportunité, mais cela suppose une solide étude préalable. La proportion d’éleveurs en difficulté est la même en bio et en conventionnel. « Ils n’ont qu’à tout vendre en local et ne plus aller sur les marchés mondiaux » : Tout d’abord, soyons honnêtes et allons ouvrir la porte de notre frigidaire ou rappelonsnous ce que nous avons mangé ces derniers jours. Par ailleurs, en production de viande, à chaque combinaison race-âge de l’animaltype de muscle correspond un
Enfin, transformer et vendre soimême suppose d’acquérir des compétences supplémentaires, de consacrer au moins un temps plein en plus du travail courant de la ferme, et d’investir pour vendre au même niveau de qualité sanitaire que les artisans. Dans mon département sur environ 3 000 fermes d’élevage, 700 pratiquent déjà cette activité mais seulement une petite vingtaine d’éleveurs caprins ne vivent que sur une commercialisation directe. En élevage, vente directe suppose aussi vente en circuit long pour équilibrer le temps de travail, la valorisation des types de parcelles et l’amortissement des équipements.
Que pouvonsnous faire ? Déjà, leur faire confiance, redevenir modeste et cesser de croire que nous savons mieux qu’eux. Parler directement avec les éleveurs, pas pour leur faire passer un examen, en se promenant, en se laissant inviter à une porte ouverte sur une ferme, en achetant sur le marché…
® Vstock LLC
marché différent. L’éleveur, lui, doit gérer un troupeau : il a donc besoin de disposer de plusieurs débouchés commerciaux avec par exemple quelques animaux très bien valorisés et des animaux plus jeunes qui partiront à l’exportation. Les premiers seront bien vendus mais auront coûté cher à produire, les seconds seront moins bien vendus mais auront coûté beaucoup moins cher. Tout est question d’équilibre !
Exercer un œil critique sur ce que nous livrent les médias : des photos parfois sans rapport avec le texte, choisies pour marquer les esprits, des expériences alternatives vantées en omettant la très faible rémunération du temps de travail… Plutôt que des positions radicales, affinons nos demandes : par exemple, si nous arrêtions de consommer de la viande rouge, il n’y aurait plus de prairies en France. Par contre, lors d’un achat, choisir un morceau issu d’élevages français, de race à viande, favorise à coup sûr le maintien d’élevage herbager. Exiger des repas de qualité dans les maisons de retraite et les
restaurants d’entreprises avec des produits au moins français. Savez-vous que l’approvisionnement local en viande et produits laitiers, ne coûterait guère que 20 cts de plus ? Les éleveurs ont des idées sur la crise économique qu’ils vivent. Ils négocient avec leur environnement économique, comme tout chef d’entreprise, et élaborent des propositions pour faire évoluer leur contexte professionnel. C’est de leur ressort. Pour leur moral et donc leur pérennité, notre qualité de relation et nos orientations d’achat ne peuvent pas tout mais compteront beaucoup. Nadine Croizier novembre/décembre 2016
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Chercher et trouver Dieu
image, idole ou icône ? « Miroir, mon beau miroir… » l’interpellation de la méchante sorcière, faite à l’image que lui renvoie son miroir magique, illustre à merveille nos attentes face au foisonnement d’images qui nous entourent ; publicitaires, elles accroissent nos envies et nos frustrations. D’actualité, elles entraînent colère, tristesse, passions. Artistiques, elles suscitent introspection ou élévation. Une grammaire peut s’avérer indispensable pour décoder toutes ces images (p. 12) ! Chacune est ambivalente, à l’instar du serpent vers qui le peuple de Dieu se tourne pour recouvrer la vie et la santé mais qui, depuis la Genèse, est aussi synonyme de mensonge et de duplicité (p. 14). Et si l’image dit quelque chose de son créateur… le regard qui s’y pose peut la rendre belle ou laide. Laetitia Forgeot d’Arc
© Rawpixel Ltd / iStock
TÉMOIGNAGES Entre image et réalité à l’école. . . . . . . . . . . 8 Un arrêt sur image évangélique. . . . . . . . . . 9 Quelle image relayer ? . . . . . . . . . . . . . . . . 10 Conscience du photographe . . . . . . . . . . . 11 CONTRECHAMP Faut-il avoir peur des images ? ». . . . . . . . .. .12
ÉCLAIRAGE BIBLIQUE Le serpent de bronze, idole ou icône ? . . .. .14 REPÈRES IGNATIENS Ignace et son combat avec les images . . .. .16
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POUR ALLER PLUS LOIN . . . . . . . . . . . .18
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Chercher et trouver Dieu
Témoignages
entre image et réalité à l’école Très influencés par les images des stars, les enfants, dès le primaire, peuvent avoir une mauvaise image d’eux-mêmes, pouvant conduire à l’anorexie. Au cours d’ateliers, Nathalie, une enseignante, a permis aux jeunes de comprendre la différence entre image et réalité.
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Nous avons fait intervenir une élève-infirmière dans nos classes afin d’aborder le sujet en ateliers. Le thème n’a pas été abordé directement en début de séance mais, au fil des jeux et par le biais de supports vidéo, des échanges ont pu avoir lieu et ont permis d’entrer dans le vif du sujet.
Alertés par des propos inquiétants sur la nourriture que tenaient certains de nos élèves, il est apparu urgent d’intervenir auprès de nos CM2. En effet, certains disaient vouloir restreindre leur quantité de nourriture, voire sauter des repas afin de perdre du poids, car ils n’aimaient pas leur image. Face à cette situation, il nous est apparu urgent d’intervenir auprès de nos élèves. Les CM2 semblaient la cible prioritaire car c’est une année charnière : les morphologies changent et certains parlent de « devoir perdre du poids » car l’image qu’ils ont d’eux ne leur convient pas.
© Wavebreakmedia Ltd
Tout d’abord chacun des élèves a rempli un livret portant trois volets : - Comment est-ce que je me vois ? (Chacun est invité à découper la silhouette qui lui corresponde, quels sont ses qualités, ses défauts ?). - Comment je me vois plus tard ? Physiquement, professionnellement… ? - À qui j’aimerais ressembler ? (découpage dans des magazines).
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Ce fut l’occasion pour chacun d’exprimer son ressenti, de pointer ses défauts, ses qualités, ses passions, ses talents… mais aussi de faire ressortir, pour certains, la peur du regard de l’autre.
Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 44
L’intervention se termina par le visionnage de photos de stars. Sous forme de jeu, les élèves brandissaient des pancartes « retouché », « non retouché ». L’occasion pour eux de découvrir, avec grande stupéfaction, que les images véhiculées par les magazines ne reflètent pas la réalité. Que, par le biais de logiciels, il est aisé de la transformer. Et surtout que, hors papier glacé, toutes ces stars ressemblent à chacun d’entre nous. Le message passé est retenu par les élèves attristés par la tromperie, mais un peu plus conscients, en tout cas, de la valeur de chacun de par ce qu’il EST et non pas par ce qu’il PARAIT. Certains avaient retrouvé le sourire, comme soulagés d’un fardeau, d’autres sont restés décontenancés par ce qu’ils ont vécu comme une trahison. Mais tous ont réalisé que les standards de la beauté véhiculés par les médias sont irréels et éphémères. Nathalie
un arrêt sur image évangélique Animatrice de l’association "Chemin d’espoir", Béatrice a témoigné de son expérience au congrès CVX de Cergy-Pontoise. Dans son partage avec les plus fragiles, l’image tient une place de choix.
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"Chemin d’espoir" a pour but de partager l’Évangile avec des personnes marquées par des souffrances, jusqu’à briser en eux l’espérance. Outre un temps de prière avec un psaume, l’activité est centrée sur la lecture de textes du Nouveau Testament – autour de deux accompagnateurs – avec des personnes de la rue, ou avec d’autres confrontées à l’isolement, l’illettrisme, des addictions, des affections psychiatriques. Pour cet échange, no us u t i l i s o ns s o u ve nt de s images très simples : œuvres d’art ou illustrations de livres. Pour faire comprendre notre démarche, nous avons, au congrès CVX de Cergy-Pontoise, fait vivre à des participants un partage d’Évangile utilisant des illustrations d’un manuel de catéchisme d’école primaire. Le texte choisi était la rencontre de Jésus avec Zachée. En s’arrêtant sur chaque image, qui décrivait une des scènes du texte, nous avons, à tour de rôle, exprimé ce qui nous touchait, dans notre rapport à cette scène, dans sa résonance en nous, avec cette question : Ne suis-je pas moi-même parfois dans cette situation ? – Zachée
est à l’écart. Et moi ? Il est jugé. Est-ce que cela m’arrive ? Etc. Plusieurs participants ont spontanément évoqué des situations personnelles en relation avec ces images : isolement, image négative renvoyée aux autres, mais aussi don du Christ qui vient « demeurer avec moi », accueil de personnes « dont personne ne veut », poids de la marginalité dans notre société, etc. Au début, cette proposition avait un peu étonné certains participants. Quoi ? Se remettre au
b.a.-ba du catéchisme ? Or, précisément, c’est cet « arrêt sur images » qui, disent-ils, les a nourris et enrichis. En leur fais a nt , p a r exe m p le, p re nd re conscience que le cerveau peut se montrer « zappeur » et peine à se fixer sur les scènes évoquées, même dans une prière de contemplation. Selon l’un des témoins, l’exemple des frères en difficulté qui contemplent ainsi l’Évangile fait prendre conscience de sa propre pauvreté et même de son « illettrisme spirituel » ! Béatrice
▲ Image utilisée par « chemin d’espoir ».
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Chercher et trouver Dieu
Témoignages
quelle image relayer ?
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Le milieu des sciences humaines dans lequel j’évolue m’a appris au fil du temps à fréquenter les images sans jamais les laisser parler seules. Qu’elles illustrent un texte littéraire (dans un livre), un mouvement artistique (au musée), un épisode de l’histoire (dans un manuel), un engagement politique ou même l’actualité (sur le Net, à la télévision), les images n’ont pour moi de sens que quand elles sont prises dans un contexte et dans un ensemble plus grand qui les expliquent et les éclairent.
que dans ce qu’elle nous apprend de la sensibilité de celui qui l’a produite et de ceux qui la diffusent. C’est pourquoi j’essaye d’être toujours prudent face aux images qui circulent, plus nombreuses et plus rapides que jamais, sur les réseaux sociaux et dans les flux d’information continue. Les images s’y déroulent en liberté, et une grande partie d’entre elles, qui relève souvent du domaine du sensationnel, de l’inédit, ou du publicitaire, m’exhibe parfois de manière choquante ce que ma propre sensibilité ne s’attend pas à voir, ou veut me donner accès à la réalité de manière orientée, détournée ou infidèle. La facilité avec laquelle les images sont produites et diffusées nous fait oublier que l’image est un langage propre à l’homme, et qu’elle en dit long
La beauté de l’image réside moins, à mon sens, dans ce qu’elle montre 10 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 44
sur notre humanité. Cela est surtout vrai actuellement : la crise migratoire, le terrorisme, les guerres, les débats de société, la représentation de la femme… Dans tous ces cas, une image qui choque par son indécence, sa violence ou sa maladresse, je le crois, peut devenir dangereuse : la partager, c’est cautionner le message qu’elle véhicule, c’est le faire sien et c’est participer à son succès. C’est adhérer à une certaine vision des relations et des réalités humaines qui ne doit pas se prendre à la légère. C’est pourquoi je fais de mon côté le choix d’être le relais d’images qui invitent à dépasser les idées préconçues, le relais d’images qui montrent même dans le malheur la beauté de l’humain. Clément
LIRE AUSSI… Travaillant avec Facebook, Maud témoigne de son lien vis-à-vis de l’image et de son impact dans sa vie. Faut-il s'anesthésier, s'interrogetelle. Comment contribuer au bien commun sur ces réseaux sociaux ? Retrouvez son témoignage sur editionsviechretienne.com
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© Tanys04 / iStock
Prudent face aux images qui circulent, Clément, étudiant en lettres, cherche le sens derrière l’apparence. Il fait le choix de ne relayer que des images dépassant les idées reçues, celles soulignant la beauté de l’humain quelle que soit la situation.
conscience du photographe Marc est photographe professionnel. Son rapport avec les personnes photographiées est très important pour lui. Le moment de la prise est un échange riche. Loin de certaines pratiques de presse proposant du voyeurisme à ses lecteurs.
Lors d’une résidence d’artistes dans un établissement public de santé mentale, avec les conseils d’infirmiers et de médecins, j’ai sollicité des personnes qui étaient en capacité de comprendre ma démarche photographique. Ce qui excluait d’emblée un certain nombre de patients. Certains usagers ont accepté d’aborder publiquement leur maladie. Ce ne fut pas anodin. Aussi, je m’attache à ce que la participation des personnes à ce travail spécifique ne les mette pas en danger par la suite. Parfois il m’arrive d’être force de persuasion lorsque je crois en l’impact positif de la rencontre photographique. Une jeune fille marquée par des cicatrices dont se moquaient certaines personnes ne parvenait plus à voir la puissance de son regard et la force de son sourire. Avec des
équipes médico-sociales, nous avons insisté pour qu’elle participe à un projet d’exposition. Après des semaines de travail, Jennifer a validé une photographie qui figure toujours dans son ancien lycée sous la forme d’un portrait en gros plan d’un mètre carré. Les phases de prise de vues, d’interview et du choix final de l’image requièrent l’adhésion de la personne. Dans mon travail, la photographie valorise le sujet, même s’il arrive que celui-ci n’adhère pas d’emblée à ma proposition pour l’image finale. Je propose alors une autre lecture de l’image avec le recul dont ne dispose pas la personne photographiée. Il arrive parfois que la communication verbale s’avère impossible avec une personne rencontrée. À chaque fois se repose la question de la légitimité de mon travail. Ce fut le cas avec la petite Clara (photo) que j’avais rencontrée en préparant une exposition sur le handicap chez les jeunes. Les photographies se firent avec sa maman. Ce fut une expérience
© Marc Helleboid
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Dans mon travail photographique, le portrait s’est très vite imposé avec une forte dimension sociale. Pour chaque image, un texte bref apparaît sous la forme du témoignage de la personne photographiée.
▲ "Au camping à la ferme où nous allons tous les week-ends et pendant les vacances, trois filles du même âge s’occupent beaucoup de Clara. Elles ont posé des questions très simplement : « Pourquoi Clara ne voit pas ? Pourquoi elle ne marche pas ? Pourquoi elle ne parle pas ? » En fait, elles n’étaient pas choquées. Elles étaient intriguées. Le rejet vient parfois des adultes lorsqu’ils mettent de la distance entre leur enfant et Clara". Véronique, maman de Clara
inoubliable. Mal à l’aise au début de la séance de prises de vues, je vécus finalement cette expérience comme un moment de grâce.
Des photos de Marc ont été exposées à l’Université d’été de la CVX au Hautmont en août 2016. Découvrez d’autres photos de Marc sur son site :
marc.helleboid. net/
Marc Helleboid novembre/décembre 2016 11
Chercher et trouver Dieu
Contrechamp
faut-il avoir peur des images ? Séductrices ou effrayantes, les images nous entraînent au-delà de la simple représentation. Par une grammaire visuelle, les cinéastes ou photographes suscitent des émotions en nous. Geneviève Roux, Xavière, nous invite à les décrypter pour avoir la juste distance et savoir nous interroger.
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Qui n’a pas fait l’expérience d’avoir vu une image et d’être hanté par elle ?
Geneviève Roux, xavière, a travaillé pendant 30 ans pour l’audiovisuel au service de l’annonce de l’Évangile, puis pour la communication comme déléguée nationale à Chrétiens-Médias. Elle a animé pendant plusieurs années à Nice des séances de ciné-club avec l’association Cinazur. Elle propose régulièrement des retraites cinéma.
Je devais avoir 12 ans lorsque j’ai vu un film historique sur Duguesclin. Une scène m’a terrifiée : un gros plan où l’on voyait une main armée d’un couteau énucléer l’œil d’un autre personnage. Des décennies plus tard son souvenir réveille en moi une répulsion profonde… Elle continue de me poursuivre comme un condensé de la violence. Par ailleurs, qui, n’a pas été séduit par une image ? Le cinéma nous en propose d’admirables : gros plans de visages subtilement éclairés, paysages somptueux… Et nous devons avouer que l’image peut-être un lieu de plaisir intense. Devons-nous nous laisser aller au plaisir et à la peur ? Pouvonsnous prendre distance ? Est-ce utile ou nécessaire ?
L’écriture de l’image Devenus des producteurs d’images par téléphone portable et « selfies » interposés, nous pouvons penser que l’image est d’un rapport immédiat et revêt une grande simplicité. Il n’en est rien. L’image est un langage, elle constitue un système de communication. Elle possède une grammaire. La connaître et l’utiliser nous permet de déchiffrer les impacts de l’image, de prendre distance, mais d’abord de goûter plus profondément la richesse de ce qu’elle communique. Lorsque je suis derrière un appareil photo, que j’en sois conscient ou non, je fais des choix. Par exemple, je vais m’asseoir, voire m’allonger, sur le tapis pour capter l’expression d’un petit enfant absorbé dans un travail de construction. Si je reste debout, je montrerai l’environnement dans lequel il joue et je privilégierai le geste de ses bras, l’inclination de son corps. De cette même place,
12 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 44
je peux zoomer pour faire un gros plan de sa main tenant un cube. Si je mets ces trois images bout à bout, je compose en quelque sorte une phrase : c’est une séquence (ce qui signifie suite). La séquence est à l’image ce que la phrase est au mot. Celui-ci, qui est toujours polysémique (susceptible de plusieurs significations), prend sens dans la phrase. Ainsi l’image dans la séquence. Lignes, points de vue, cadrages, échelle des plans et profondeur de champ, éclairages et couleurs sont quelques-unes des composantes de la grammaire qu’utilisent photographes et cinéastes. A chacun de ces éléments est liée une signification : par exemple : si ma caméra est située au-dessus du sujet que je veux photographier je domine mon sujet, j’obtiens une vue d’ensemble. Si elle est placée au-dessous, le sujet est mis en valeur mais aussi il me domine et une forte contreplongée peut me rendre le sujet menaçant. La ligne horizontale
L’éveil des sens et des émotions Avez-vous pris conscience que notre œil a le pouvoir de nous renvoyer à nos autres sens ? Les publicitaires usent et abusent de cette capacité à nos dépends. Par une journée caniculaire, la sensation de soif que nous ressentons est multipliée au vu d’une affiche d’une bouteille de bière et de verres où perlent des gouttelettes de condensation. A l’heure de midi, l’image d’un camembert et d’un pain croustillant nous fait entrer sans plus tarder dans la boulangerie la plus proche. Notre goût est en éveil. Le toucher est sans doute encore plus sollicité. Un gros plan sur le visage d’un tout-petit nous donne envie de le prendre délicatement dans nos mains pour l’embrasser, et s’il pleure nous allons essuyer ses larmes. La force sensuelle des images s’enracine là sans que, le plus souvent, nous en ayons conscience. L’érotisme s’en nourrit.
© Geneviève Roux
suggère le calme, l’oblique, la dynamique… Le contre-jour installe le mystère et provoque l’inquiétude par rapport à ce que l’on ne voit pas. Les films d’horreur en font un usage immodéré. Ce ne sont que quelques exemples de cette grammaire de l’image. Savoir les repérer dans une image ou une séquence permet de prendre distance : ce que je vois n’est pas la réalité, mais la manière dont le réalisateur veut me la montrer. Il aurait pu en choisir d’autres.
Petite lecture d’image Au premier plan sur la droite, les deux troncs tourmentés d’un arbre. L’un penche légèrement vers la droite, l’autre vers la gauche, comme deux danseurs qui hésitent entre l’étreinte et l’éloignement. Ils portent les cicatrices de leur vie : moignons, excavations qu’un peu de mousse vient colorer de vert tendre. Tout en bas, la racine montre ses veines : « Qui voit ses veines voit sa peine. » dit le proverbe à propos des vieilles gens. Il nous prend l’envie de caresser ces troncs, d’avancer prudemment la main vers ces excavations voire de nous y réfugier. La légère pente qu’amorcent les racines fera dire à un méditerranéen qu’il s’agit d’un olivier, sans doute une ou deux fois centenaire. Sur la droite, un terrain dépourvu d’herbe recueille l’ombre de l’arbre. Au tiers de l’image, une ligne horizontale détermine un arrière-plan. D’autres troncs noueux s’y dessinent, mais nous ne voyons plus leur pied, ce qui nous fait percevoir que le sol est en pente au-delà de cette ligne. Le feuillage est fin, allant du vert tendre au bleu gris. Nous sommes bien dans une oliveraie. Un sentiment de calme et de force se dégage de cette image. Être là, écouter, humer au rythme de la nature. Si j’ai déjà été par-là, je reconnaîtrais peut-être une photo prise en Corse, pas loin de Bastia à la fin du printemps. L’image réveille mes émotions. C’est surtout à travers ces impacts sensoriels que les images ouvrent en nous la boîte de Pandore de nos émotions. Nous nous projetons dans les images : mécanisme qu’utilisent les tests psychologiques dits « projectifs » et aussi le « photolangage » qui permet de libérer la parole dans un groupe. Le champ en est immense, il recouvre nos souvenirs, parfois les plus enfouis, nos centres d’intérêts, les valeurs sur lesquelles nous
À lire aussi une analyse de publicité par Geneviève Roux sur :
editionsvie chretienne.com
avons fondé notre vie. La rencontre d’une image peut déclencher une violence latente, susciter nos larmes, raviver une joie. Les images ne sont pas neutres. Nous sommes donc invités à un discernement et à une ascèse. On ne peut pas tout voir. Geneviève Roux Xavière novembre/décembre 2016 13
Chercher et trouver Dieu
© Le serpent de bronze, Anthony Van Dyck (1620) Musée du Prado
Éclairage biblique
le serpent de bronze, idole ou icône ?
En chemin, le peuple perdit courage.
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Il récrimina contre Dieu et contre Moïse : « Pourquoi nous avoir fait monter d’Égypte ? Était-ce pour nous faire mourir dans le désert, où il n’y a ni pain ni eau ? Nous sommes dégoûtés de cette nourriture misérable ! ».
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Alors le Seigneur envoya contre le peuple des serpents à la morsure brûlante, et beaucoup en moururent dans le peuple d’Israël.
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Le peuple vint vers Moïse et dit : « Nous avons péché, en récriminant contre le Seigneur et contre toi. Intercède auprès du Seigneur pour qu’il éloigne de nous les serpents. » Moïse intercéda pour le peuple,
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et le Seigneur dit à Moïse : « Fais-toi un serpent brûlant, et dresse-le au sommet d’un mât : tous ceux qui auront été mordus, qu’ils le regardent, alors ils vivront ! ».
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Moïse fit un serpent de bronze et le dressa au sommet du mât. Quand un homme était mordu par un serpent, et qu’il regardait vers le serpent de bronze, il restait en vie !
Livre des Nombres, chapitre 21 Traduction liturgique
14 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 44
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La découverte des grottes comme Lascaux ou Chauvet, montre que, depuis les temps les plus anciens, l’homme a représenté les animaux qui l’entouraient. Même si le sens de ces images nous est inaccessible, elles avaient sûrement un pouvoir. Le passage biblique du serpent de bronze, reste, lui aussi, assez mystérieux.
Les chrétiens reconnaissent dans cette image une évocation, une icône du Christ en croix, invités à cela par l’interprétation que Jean donne dans son évangile : Comme Moïse éleva le serpent dans le désert, ainsi faut-il que soit élevé le Fils de l’homme, afin que quiconque croit ait en lui la vie éternelle (Jean 3, 14-15).
Le serpent, dans les mythologies du MoyenOrient, est symbole de vie, il est associé à des divinités de la fertilité. On en trouve une trace dans les caducées, emblèmes des professions médicales. Mais il est aussi symbole de mort, à cause de sa morsure dangereuse.
Saint Ignace, après l’exercice sur les péchés, invite le retraitant à regarder le Christ suspendu à la Croix dans une attitude qui rappelle celle des Hébreux mordus appelés à regarder le serpent, mais le regard s’accompagne ici d’une parole qui fait entrer en relation.
Dans la Bible, dès le récit de la création, il est une créature néfaste (Genèse 3,1), et il y est associé au diable. Dans l’Apocalypse, Jean associe l’énorme dragon qui veut dévorer l’enfant à l’antique Serpent, le Diable ou le Satan,… (Apocalypse 12, 9)
De cet épisode, on peut conclure que pour Dieu, l’image n’est en soi ni bonne ni mauvaise. Idole ou icône, c’est le regard porté sur elle qui va lui donner du sens, ici la rendre porteuse de vie.
Or, dans le livre de l’Exode, Dieu interdit toute représentation du vivant (Exode 20,3), pour éviter le culte de faux dieux. Le serpent de bronze est donc un paradoxe, car c’est l’image d’une créature vivante, et c’est Dieu lui-même qui demande à Moïse de le fabriquer. Cette image représente aussi la punition même que Dieu a envoyée aux Hébreux à cause de leur péché. Et il dit que la regarder les sauvera de la mort. Accorder un tel pouvoir à une image, c’est sans doute reproduire des pratiques familières aux Hébreux venant d’Égypte, et c’est la transformer en idole. Alors, pourquoi Dieu fait-il cela ? Peut-être lever les yeux vers l’image, invite-t-il aussi à lever les yeux vers son Dieu, qui, seul, peut sauver. Peut-être aussi le serpent est-il une image du péché de ceux qui sont mordus, et que regarder en face son péché est une manière de rester en vie, une voie de salut. On peut penser au Psaume 50 : Oui, je connais mon péché… Tu veux au fond de moi la vérité… Rends-moi la joie d’être sauvé…
Jean Lacour
points pour prier Me mettre en présence du Seigneur et lui demander une grâce, puis méditer le texte : + Le peuple perdit courage. Le peuple est dans le désert, où il a faim et soif, entouré de peuples hostiles. M’arrive-t-il, à moi aussi, de perdre courage ? + Le peuple récrimina contre Dieu et Moïse. La confiance a disparu. La peur de mourir fait regretter le passé d’esclavage. Quelle est ma confiance en Dieu dans les moments difficiles ? + Alors le Seigneur envoya contre le peuple des serpents… Plus de confiance, plus d’espérance, plus de foi, la porte est ouverte à l’irruption du mal. Beaucoup succombent. Et moi ? + Fais-toi un serpent brûlant… Dieu, par une médiation, oriente le regard du peuple vers Lui. L’invite à regarder en face son péché. Et cela rend la vie. Qu’estce qui me permet un retour à Dieu, qui m’aide à redevenir vivant ? novembre/décembre 2016 15
Chercher et trouver Dieu
Repères ignatiens
ignace et son combat avec les images L’appel aux images, à la composition de lieu, est très présent dans les Exercices Spirituels. Mais elles sont appelées à être dépassées, comme Ignace s’en est lui-même détaché au cours de son chemin spirituel. Libéré de toute fascination, Ignace en fait un lieu de discernement et un moyen au service de sa relation avec le Seigneur, souligne Jean-Luc Fabre s.j.
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Ignace a développé toute une manière dans la durée, pour que le retraitant apprenne à se rapporter librement à sa capacité de générer des images, et également à savoir user, en toute liberté, des images qui se présentent à lui. Ce chemin prend appui sur la propre histoire d’Ignace. Aussi, avant d’explorer les manières de contempler, allons-nous faire un bref excursus dans le Récit, là où Ignace à la fin de sa vie a confié ce qui dans son existence devrait être porteur de lumière pour ses disciples.
Un chemin personnel de libération des images
1. Ignace de Loyola par lui-même. Texte Son chemin spirituel, Ignace en intégral du Récit. a rendu compte à la fin de sa Éditions Vie chrétienne, vie, dans le Récit1. Nous y voyons 14 euros.
comment un premier basculement s’est fait pour lui entre l’image de la femme de haute naissance et le récit des saints. Les deux
lui donnent d’imaginer des scènes. Mais l’image de la dame était, pour lui, en ce temps, un lieu de délectation qui se terminait par de la sécheresse et du mécontentement. Alors que les images suscitées par la vie des saints l’entraînent à l’action et à la joie… Plus tard, l’image deviendra consciemment un lieu pour le travail de discernement. Ainsi lors de son basculement définitif, lorsqu’il « s’éveille comme d’un rêve », le morceau de viande est considéré pour ce qu’il est, comme source de discernement pour son existence (Récit n°27) : une tentation ou au contraire un appel à chercher une vie plus équilibrée, plus ordonnée ? L’image devient, peu à peu, source de réflexion pour son humanité entière, pour une orientation de vie. Ceci entraîne un appauvrissement de l’image en elle-même. À la fin de son séjour à Manrèse, devant la croix, il rejettera d’ailleurs la
16 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 44
belle chose… « Mais il vit bien, alors qu’il se trouvait devant la croix, que cette chose n’avait pas une aussi belle couleur qu’à l’accoutumée. Et, il eut la très claire connaissance, avec un grand assentiment de la volonté, que cela était le démon ». [Récit n° 31] L’image se révèle donc pour Ignace non plus comme le lieu de la captation mais comme le lieu où le réel vient le toucher pour l’aider à entrer dans un chemin d’alliance avec le Seigneur. Cela requiert de renoncer à toute fascination de l’image après en avoir éprouvé pleinement la force. Ce chemin a été, pour lui, chemin de vie, en apprenant à vivre de la Parole, du dialogue avec son Seigneur, à recevoir aussi sans cesse son chemin de cette relation. Bref à être Pèlerin toujours en quête, au-delà de toute image reçue…
© Albert Chevallier-Tayler (1862-1925) chapelle St Ignatius de l’Église du Sacré-Cœur, Wimbledon / Jesuit Institut
Un chemin offert Ignace ensuite basculera de son expérience propre pour aider l’âme de son prochain, dans la création des Exercices spirituels, école de contemplation. Voilà ce que propose Ignace dans la première contemplation. Le premier point est que le retraitant crée ses propres images avec « une composition en se représentant le lieu », puis il lui propose de contempler, c’est-à-dire de « voir les personnes » puis d’« entendre ce que disent les personnes » et enfin de « regarder ce que font les personnes » à partir du rappel de l'histoire [vraie] qu’il a à contempler. Sur cette base, un nouveau travail est proposé : « réfléchir afin de tirer profit de cette vue… de leurs paroles… de chacune de ces choses » pour « faire un colloque en pensant à ce que je dois dire aux trois Personnes divines ». Le chemin va d’images explicitement produites par le retraitant jusqu’à une parole personnelle du retraitant adressée à son Seigneur… Ce qui fait transition, c’est le fait que la contemplation porte sur des personnes, des êtres doués de parole. Cela donne au retraitant de quitter la représentation imagée avec son risque d’enfermement pour s’inscrire dans l’échange langagier avec d’autres personnes. Tout au long des semaines, ce schéma demeure mais évolue vers une accentuation de la dimension dialogale. Durant la contemplation de la Passion, en plus de « voir », « entendre »,
« regarder », il s’agit de « considérer divers points », qui sont un vrai « travail » pour terminer par le colloque… Lors de la contemplation des apparitions du Christ ressuscité, en quatrième semaine, la prise d’initiative personnelle va croissante. La composition de lieu reposant sur une base objective ouvre à un dialogue personnel entre Dieu et le retraitant, ne reposant plus sur l’autorité enveloppante de l’Écriture. De la même manière, lors de la contemplation pour obtenir l’amour, le retraitant se saisit de sa propre histoire, de ses représentations pour s’adresser au Seigneur, en en étant parfaitement conscient…
peu conscience de sa capacité à générer des images et il découvre, à partir de là, comment cette capacité est à mettre au service de la relation avec son Seigneur. La contemplation pour obtenir l’amour sur ce point est essentielle. Il s’agit de se remémorer tout ce qui a été donné, pour le recevoir pleinement, en toutes ses dimensions, pour pouvoir ensuite s’offrir pleinement dans la nouveauté d’une situation accueillie, sans aucune image mais dans la foi en acte, à partir de cette « connaissance intérieure de tout le bien reçu, pour que, pleinement reconnaissant, il puisse en tout aimer et servir sa divine Majesté ».
C’est bien à travers ce processus, qu’Ignace éduque, à faire preuve d’imagination sans en être dupe. Le retraitant prend peu à
Jean-Luc Fabre s.j. Assistant national de la CVX France novembre/décembre 2016 17
Chercher et trouver Dieu
pour aller plus loin Matière à exercice : Et si vous priiez avec une image ? Choisissez-en une dans l’actualité ou dans la Revue. Mettez-vous en présence du Seigneur puis regardez. De quoi parle cette image ? Qu’estce qu’elle éveille en moi (tendresse, tristesse, révolte…) ? Qu’est-ce qu’elle me révèle de moi-même pour aujourd’hui ? Dieu me dit-il quelque chose à travers cette image ? Terminez en parlant au Seigneur.
Des pistes pour un partage : • Image et réalité : quelle différence je fais ? En quoi une image d’actualité est-elle réelle, est-elle partielle ou partiale ? M’est-il arrivé de me sentir manipulé(e) par une image ? À l’inverse, puis-je me rappeler d’une image qui m’a aidé(e) à sortir de moi-même et à me porter vers les autres, vers l’Autre ? • Choisir une image qui m’attire et une que je rejette ? Pourquoi ? Ce choix dit-il quelque chose de ma relation au monde, à Dieu ? A quoi cette prise de conscience me pousset-elle ?
À lire : • Qu’est-ce que tu vois ? Marie José Mondzain (Auteur), Sandrine Martin (Illustrations), ed. Gallimard jeunesse. « Qu’est-ce que tu vois ? » est la question qui court dans ce dialogue qui réunit une philosophe et un enfant pour parler des images. Voyons-nous, l’un et l’autre, la même chose ? Comment voir une image de soi ? Comment voir ce que nos yeux ne voient pas ? Comment voir ce qu’on sent ? Ce sont quelques-unes des nombreuses questions qui fusent dans cet échange animé. La philosophe sollicite l’avis de l’enfant sur des images très variées (illustrations, dessins animés, films, publicité, journal télévisé, œuvres d’art ainsi que des dessins réalisés par des enfants). • Fra Angelico : dissemblance et figuration Georges Didi-Huberman, ed. Flammarion Ce livre est un regard nouveau posé sur la peinture de la Renaissance italienne. Découvrant une partie inédite et surprenante d’une œuvre de Fra Angelico, l’auteur s’engage dans une véritable enquête qui finira par renverser un certain nombre de nos idées acquises sur la peinture figurative du XVe siècle.
À écouter : • Histoires de peintures en podcast sur France culture Un archange auto-stoppeur L’historien de l’art Daniel Arasse analyse la manière dont les peintres ont réfléchi à l’utilisation de la perspective dans les tableaux représentant des scènes d’Annonciation et se demande « pourquoi évoquer systématiquement la perspective à travers l’Annonciation ? ». 18 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 44
© Broadway, toile à l’acrylique, Françoise Garnier
contempler une œuvre d'art
Broadway devenu fleuve Vague bruyante, dissonante
Lumières factices des néons Seigneur, notre berger L’humanité dans sa pluralité. Guide les pas des égarés. Françoise Garnier
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Se former
École de prière
prier devant une icône De plus en plus souvent, des icônes sont présentes dans nos églises, reçues en cadeau et s’invitent dans notre prière. Mais au fait, qu’est-ce qu’une icône et pourquoi cet intérêt ? Quel sens cela peut-il bien revêtir ?
L
dans l’art byzantin. Elle est également le fruit de l’Ancien et du Nouveau Testaments, de l’enseignement des Pères de l’Église et de la tradition. Jusqu’au grand schisme de 1054, Orient et Occident ont collaboré
La première question que l’on se pose souvent est « peut-on représenter Dieu ? » La matière, par définition finie, peut-elle rendre compte du créateur incréé et éternel ?
Le peuple de la première Alliance ne représentait pas le vivant, mais toute reproduction n’est pas interdite puisque le Seigneur fait apposer à Moïse des chérubins (créatures célestes) sur l’Arche d’Alliance (Exode 25,18) et lui fera façonner le serpent d’airain (Nombres 21,4). Ce qu’Il nous demande d’éviter, c’est l’image que l’on divinise et que l’on adore au lieu de Dieu.
▲ Christ pantocrator
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et coexisté tout en grandissant dans des contextes différents. De fait, ce lien perdure dans notre approche du sacré et de sa représentation hiératique.
En tant que tel elle ne le peut pas, mais par le mystère de l’incarnation la représentation est possible.
© Icône écrite par le père Egon Sendler sj à partir d’une icône du VIe siècle du monastère Sainte Catherine-Mont Sinaï
L’icône byzantine est image de l’invisible et théologie en image. Elle répond à des canons techniques précis, qui nous échappent souvent, et qui découlent pourtant des modèles helléniques classiques passés
Nous souvenons-nous que pendant plus d’un siècle nos prédécesseurs dans la foi se sont battus et entretués pour savoir si l’on pouvait ou non représenter
Pour approfondir la spiritualité des icônes Lire les ouvrages du père Egon Sendler s.j., en particulier « L’icône image de l’invisible – Éléments de théologie, esthétique et technique » Desclée de Brouwer, 1981. Faire un stage - Atelier d’icônes de Meudon : Tél. : 06 36 77 64 20 – http ://www.atelier – icones-meudon.com/ - La session « Peindre une icône » au centre spirituel Saint-Hugues (38) du 25/01/2017 au 27/01/2017 Tél. : 04 76 90 35 97 - Une session d’écriture d’icône au centre spirituel du Hautmont (59) – Tél. : 03 20 26 09 61
Dieu ? (période de l’iconoclasme entre 730 et 843). C’est alors que pour contrer les détracteurs, certains ont fondé les bases de la théologie de l’image (Théodore Stoudite, Jean Damascène) à partir des évangiles, des conciles (Nicée, Chalcédoine) et des écrits des Pères de l’Église (Basile de Césarée). Retenons le sens profond de la vénération des images dans le cadre liturgique tel que défini : «…En effet, plus on regardera fréquemment ces représentations imagées, plus ceux qui les contempleront seront amenés à se souvenir des modèles originaux, à se porter vers eux, à leur témoigner, en les baisant, une vénération respectueuse, sans que ce soit une adoration véritable selon notre foi, adoration qui ne convient qu’à Dieu seul… »
Sens du Christ Pantocrator Nous vénérons cette icône qui est devant nous, image du prototype, au sens littéral du terme, ce qui nous porte à adorer Dieu. Ce Christ en majesté, dit Christ Pantocrator, est l’image du prototype du Seigneur Jésus Christ, revêtu de notre condition humaine, excepté le péché. De la main droite, Il nous bénit, mais avec un geste particulier des doigts (index et majeur) qui indiquent à la fois ses deux natures, humaine et divine tandis que le pouce rapproché de l’annulaire et de l’auriculaire manifestent les trois hypostases
de la Trinité Père, Fils et Esprit. De la main gauche, Il tient un rouleau ou la Bible, souvent richement décorée, pour nous signifier qu’Il est venu accomplir les Écritures et que les Évangiles sont le témoignage de sa venue parmi nous. Le Livre est parfois ouvert sur un verset l’évoquant « Je suis doux et humble de cœur » (Matthieu 11,29). Il est revêtu d’une tunique rouge, signe de son incarnation (chaque couleur a une symbolique précise) et de son amour pour les hommes, recouverte d’un manteau bleu qui marque son appartenance au divin. Il est bien de deux natures distinctes, humaine et divine. Son visage est entouré d’une auréole dans laquelle s’inscrit une croix, signe de la miséricorde de Dieu, complétée sur chaque branche des lettres o, v et ω : « Je suis Celui qui est » (Exode 3,14). À gauche du visage, l’inscription IC et à droite XC, Iesus Christus. Les différents éléments de l’inscription signifient « Jésus Christ est Celui qui est = Il est Dieu ». Chaque icône a un nom, ce qui permet de l’identifier et de la vénérer le jour de la fête qu’elle représente, le cas échéant, puisque par nature elle participe de la liturgie.
Comment faire ? Plaçons l’icône de manière à ce qu’elle soit à « hauteur d’homme », éventuellement avec une bougie
allumée, et mettons-nous en la présence spirituelle du Seigneur : debout, les bras le long du corps ou ouverts, inclinons-nous avec respect, traçons lentement sur nous le signe de la croix, puis faisons silence intérieurement. Gardons ce silence, d’où Il saura nous parler. Restons face à face avec le Seigneur, devant son visage et son regard aimant par lequel Il vient nous inviter à accueillir la réalité invisible. Ensuite s’offrent à nous plusieurs modes de prière : – Se laisser habiter lentement par ce que l’icône nous donne à voir : ici, l’amour infini du Père qui vient quérir le nôtre à travers son Fils Jésus-Christ Sauveur. – Lire et laisser résonner en nous un texte des Écritures qui nous parle, en s’arrêtant quand un passage ou un mot fait écho en nous. – Laisser monter de notre cœur une prière libre, un appel court qu’Il suscite en nous « prends pitié du pécheur que je suis » « gloria in excelsis deo ». Puis ressortons paisiblement de cet échange, en en gardant les fruits, signons-nous. « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera et nous viendrons vers lui et nous nous ferons une demeure chez lui » (Jean 14,23). Une iconographe ancienne élève du père Egon Sendler novembre/décembre 2016 21
Se former
Expérience de Dieu…
en accompagnant des chômeurs En accompagnant des chômeurs vers le retour à l’emploi, Gildas se sent grandir en humanité. L’accompagnement, pour lui, va au-delà du simple soutien. Peut-être même un chemin de vie vers Dieu par la rencontre avec l’autre.
J
J’ai trouvé ce que je ne cherchais pas. Après plusieurs expériences d’engagements en milieu associatif, il m’a été proposé de rejoindre SNC, initiative non confessionnelle.
d’une équipe de salariés et de centaines de bénévoles tournés vers l’autre.
Dieu, je le trouve dans le regard de l’autre. On y trouve le désespoir de la déconnexion sociale qu’engendre le chômage, avec ses conséquences : problèmes financiers, répercussions sur la famille, dépression. Mais aussi dans le retour de l’espoir, la sortie d’une fragilité psychologique.
Dieu, je ne le réduis pas au « croire ou ne pas croire ». Ma confiance va à la non-distinction qu’Il fait entre les hommes. Ceux-ci gardent, à mes yeux, leur dignité quelle que soit leur situation. La perception de leur souffrance entraîne ma compassion. Surtout pas la charité (celle, salvatrice, censée conduire à l’Eden) qui, en l’occurrence, ne laisse que peu de place à cette dignité et n’engage pas à la reconstruction. Beaucoup vont vers Dieu sans le connaître ni même savoir qu’il existe.
Dieu, je le vois dans l’efficacité d’une association animée par l’enthousiasme et le dynamisme
© Delphine Blast/ SNC.
Autant, auparavant, je traçais ma route dans la continuité de mes responsabilités professionnelles (encadrement, management, technicité), autant cet engagement m’a ouvert sur l’Homme, certains diront sur Dieu. Ce doit être vrai dès l’ins-
tant où l’on se libère d’une religion qui enferme, dogmatise, culpabilise.
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L’accompagnement est un mot très fort. Quel est ce privilège qui me fait contribuer au renouveau de celui ou celle qui a sombré ? De temps en temps, je m’interroge sur la motivation de ceux qui m’entourent. Je me garde bien de leur parler de chemin vers Dieu. Je respecte ainsi le caractère a-confessionnel de SNC. Je suis émerveillé de voir
que, pour beaucoup, il n’y a pas de référence à une éducation conductrice de style catéchétique. Mais il y a un élan vers l’autre, une soif de rencontre, de se connaître. Et si le succès est là, la joie est profonde et durable comme peut l’être la relation avec l’accompagné. Je me sens grandir en humanité. Un privilège qui m’est donné. Je veux bien que Dieu en soit l’instigateur. Cela me ramène à plus d’humilité. La rencontre avec Dieu, selon moi, ne se suffit pas de l’exercice de la « pratique religieuse ». Il faut, sans contrainte aucune, communier avec l’autre, avec ce souci d’objectivité qui doit prévaloir dans l’accompagnement. Au début de cet engagement, qui étais-je pour prétendre venir en aide à ceux qui sont marginalisés ? Combien de fois ai-je pu dire aux nouveaux entrants dans mon groupe que l’écoute pouvait suffire pour entamer la relation. On peut comprendre qu’ils redoutent les premiers entretiens.
Je ne suis jamais sûr d’apporter le meilleur de moi-même à ceux auxquels je m‘adresse. Heureusement, SNC favorise la formation, les échanges entre accompagnateurs. Cela apaise mes doutes. La discrétion de Dieu peut me révolter en certaines circonstances. Mais au sortir des drames, je dois être plus affirmé dans ma relation à l’autre. J’ai connu cette période d’isolement que constitue le chômage. J’en suis sorti grâce à Dieu ? Oui grâce à l’homme. Mais je sais que ce dernier est une infime partie de Dieu. Il me plaît de penser que je peux en être moi aussi. Le futur et le passé sont des concepts de l’homme. Dieu s’inscrit dans l’éternité et il n’existe que dans l’instant. Au fond, nous le rencontrons chaque jour, et il nous arrive de l’oublier. Mais, très vite, je le retrouve au gré des rendez-vous avec les accompagnés. Le chemin de vie vers Dieu passe par la reconnaissance de l’autre dans son regard heureux ou malheureux. Du coup, « je crois croire », comme a pu le dire Bernanos. Gildas
Une théologienne relit cette expérience Dieu n’a pas besoin de l’Église, ni pour sauver les hommes, ni pour se communiquer à ceux qui ouvrent leur cœur, ni pour susciter des initiatives en vue de plus de justice. Mais l’Église est dans le monde pour permettre à Jésus-Christ de perpétuer l’Évangile dans l’histoire des hommes : mystère de la foi et responsabilité collective des chrétiens.
Solidarités Nouvelles face au Chômage (SNC) Acteur associatif dont la méthode d’accompagnement vers l’emploi prouve son efficacité depuis 30 ans selon trois axes : - l’accompagnement individuel, personnalisé et dans la durée des chercheurs d’emploi par des binômes de bénévoles. - la création d’emplois solidaires, dans des structures de l’économie Sociale et Solidaire, pour les personnes dont la recherche d’emploi se prolonge. - la participation au débat public pour défendre les intérêts des chercheurs d’emploi et lutter contre toute forme de stigmatisation. L’association agit en France avec un réseau de 2 200 bénévoles répartis dans 180 groupes locaux. Indépendante de tout parti politique et de toute confession religieuse, SNC ne perçoit pas de subventions d’État et s’appuie sur la solidarité financière de particuliers et de personnes morales. novembre/décembre 2016 23
Se former
Lire la Bible zacharie, père de jean le baptiste
de la blessure à la louange Alors que le temps de l’Avent va bientôt commencer, une des figures de l’attente est Zacharie. Pendant les neuf mois de son silence, avant la naissance de Jean le Baptiste, il méditera l’annonce faite par l’ange, pour éclater en louange, souligne Sr Marie-Amélie Le Bourgeois.
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© Icône naissance de Jean le Baptiste
Sr Marie-Amélie Le Bourgeois, docteur en théologie, religieuse de la Compagnie SainteUrsule, de spiritualité ignatienne.
Ce n'est que dans l'Évangile de Luc, et seulement dans son premier chapitre, qu'il est question de Zacharie, le père de Jean (qui deviendra le Baptiste). Nous savons que le projet de Luc est d’abord théologique. Afin de mettre en valeur la spécificité et l’identité de Jésus, il procède dès le début de son Évangile à
une « mise en parallèle » des naissances de Jean et de Jésus, et des événements qui les entourent.
Le couple Zacharie et Élisabeth Le récit commence avec la présentation d’un vieux couple : nous y apprenons qu'au temps d'Hérode, roi de Judée, il y avait un prêtre nommé Zacharie (« Dieu se souvient »), de la classe d'Abia ; sa femme était de la descendance d'Aaron et s'appelait Élisabeth (« Dieu a promis »). Tous deux sont des « justes devant Dieu et suivent tous les commandements et observances du Seigneur d'une manière irréprochable ». Mais une blessure fait leur honte et leur tourment : « ils n'avaient pas d'enfant parce qu'Élisabeth était stérile et ils étaient tous deux avancés en âge ». Remarquons que le texte ne dit pas que Zacharie et Élisabeth priaient le Seigneur pour euxmêmes, se souvenant de ce que le Seigneur avait fait du temps
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des naissances d’Isaac (Genèse 11, 30), Jacob et Esaü (Genèse 25, 21), Joseph et Benjamin (Genèse 29, 31), Samson (Juges 13, 2-3), Samuel (1 Samuel 1, 5)… Il faut dire que ces souvenirs remontaient si loin dans le temps… Ils ne se rebellaient pas non plus contre leur sort. Non. ils continuaient à servir le Seigneur en grande fidélité et, semble-t-il, résignés.
L'évènement Et voilà que Zacharie est appelé comme prêtre à prendre son tour au Temple pour « brûler l’encens dans le sanctuaire du Seigneur ». Et c’est là que l’ange Gabriel lui apparaît : « Rassure-toi, Zacharie, ta prière a été exaucée ». L’ange poursuit : « Ta femme Élisabeth mettra au monde pour toi un fils, et tu lui donneras le nom de Jean. 14 Tu seras dans la joie et l’allégresse, et beaucoup se réjouiront de sa naissance, 15 car il sera grand devant le Seigneur. Il ne boira pas de vin ni de boisson
© Domenico Ghirlandaio, 1490, chapelle Tornabuoni, Florence
forte, et il sera rempli d’Esprit Saint dès le ventre de sa mère ; 16 il fera revenir de nombreux fils d’Israël au Seigneur leur Dieu ; 17 il marchera devant, en présence du Seigneur, avec l’esprit et la puissance du prophète Élie, pour faire revenir le cœur des pères vers leurs enfants, ramener les rebelles à la sagesse des justes, et préparer au Seigneur un peuple bien disposé. »
Le doute Le texte continue : 18 « Alors Zacharie dit à l’ange : ‘Comment vais-je savoir que cela arrivera ? Moi, en effet, je suis un vieillard et ma femme est avancée en âge‘. » Zacharie, le prêtre, est tellement tourmenté par sa blessure d’être « sans enfant » qu’il n’a entendu que le début de ce que l’ange lui a dit. Comme s’il n’avait entendu ni le nom à donner à l’enfant, ni la prophétie de l’ange à propos de cet enfant… Saint Augustin, commentant ce passage 1, en donne une clef de lecture très éclairante : « Personne, dit-il, ne songe à demander dans ses prières ce qu’il n’a aucune espérance d’obtenir. Or Zacharie avait si peu l’espérance d’avoir des enfants qu’il refuse de croire à la promesse de l’Ange. Ces paroles donc : « Ta prière a été exaucée, » doivent s’entendre de la prière qu’il faisait pour le peuple. Mais comme le salut, la rédemption de ce peuple et la rémission des péchés devaient avoir lieu par Jésus Christ, l‘Ange annonce de plus à
▲ Zacharie écrivant le nom de Jean.
Zacharie qu’il lui naîtrait un fils destiné à être le précurseur du Christ. » Ainsi, ce que l’ange annonce de la part de Dieu, ce n’est pas d’abord pour lui, Zacharie, ni pour son couple, c’est pour son peuple, parce que Dieu est fidèle à ses promesses. L’enfant d’Élisabeth et de Zacharie aura pour nom « Jean », autrement dit « Dieu fait grâce ». Il aura pour vocation de « préparer un peuple bien disposé » à la venue de Jésus, le Christ Sauveur. La réponse de Zacharie à l’ange : « Comment vais-je savoir que cela arrivera ? » n’est donc pas à la hauteur de ce que l‘ange annonce. C’est pourquoi il est « réduit au silence jusqu’au jour où cela se réalisera ».
Le silence « Zacharie se tait et perd la parole, remarque encore saint Augustin, jusqu’à la naissance de Jean. Alors la parole lui est rendue, à cause de la naissance de celui qui est la voix. La voix, c’est Jean, tandis que la parole, c’est le Seigneur : Au commencement était le Verbe. Jean, c’est la voix pour un temps ; le Christ, c’est le Verbe au commencement, et c’est le Verbe éternel. »
1. Sermons 290 et 291 pour la Nativité de saint Jean-Baptiste, IV et V.
Re m a rq uo ns q u e c e s i le nc e a duré 9 mois, le temps d’une grossesse, la grossesse d’Élisabeth. Durant ce temps, Zacharie rumine la parole de l’ange et entre, peu à peu, dans le mystère de la naissance de l’enfant, son fils, qui sera d’abord au service du projet de Dieu, le précurseur du Christ. Sa joie de
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Se former
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Lire la Bible Le Cantique de Zacharie 68 « Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël, qui visite et rachète son peuple. 69 Il a fait surgir la force qui nous sauve dans la maison de David, son serviteur, 70 comme il l’avait dit par la bouche des saints, par ses prophètes, depuis les temps anciens : 71 salut qui nous arrache à l’ennemi, à la main de tous nos oppresseurs, 72 amour qu’il montre envers nos pères, mémoire de son alliance sainte, 73 serment juré à notre père Abraham de nous rendre sans crainte, 74 afin que, délivrés de la main des ennemis, 75 nous le servions dans la justice et la sainteté, en sa présence, tout au long de nos jours. 76 Toi aussi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut ; tu marcheras devant, à la face du Seigneur, et tu prépareras ses chemins 77 pour donner à son peuple de connaître le salut par la rémission de ses péchés, 78 grâce à la tendresse, à l’amour de notre Dieu, quand nous visite l’astre d’en haut, 78 pour illuminer ceux qui habitent les ténèbres et l’ombre de la mort, pour conduire nos pas au chemin de la paix. » (Luc chapitre 1) (traduction liturgique)
père s’élargit en sa joie de prêtre qui, jour après jour et depuis si longtemps, a supplié le Seigneur d‘envoyer le Sauveur de son peuple et du monde…
Le Cantique
2. Paul Beauchamp, Testament biblique, Bayard 2001, p. 82. 3. St Bernard, Sermon pour l’Avent, I, n. VIII cité par Thomas Merton, Seasons of Celebration, Meditations on the Cycle of Liturgical Feasts, New-York 1965, p. 68.
En la bouche de Zacharie c’est alors le “Benedictus”, ce psaume prophétique, qui commence par un hymne d’action de grâce, se poursuit par la vision de ce que deviendra l’enfant selon le dessein de salut de Celui qui se souvient “de son Alliance sainte” ; il se termine en évoquant “la tendresse et l’amour de notre Dieu, quand nous visite l’astre d’en haut”. C’est à Zacharie, prêtre de la première Alliance, homme blessé dans sa vie de père, de chanter et d’annoncer l’accomplissement des promesses.
On comprend que les communautés chrétiennes au long des siècles ont eu à cœur de reprendre ce cantique chaque matin à Laudes, au sortir du silence de la nuit, quand le soleil se lève. Oui, en Jésus, le Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob… de Zacharie et d’Élisabeth, comme un soleil levant, nous a visités, nous visite encore aujourd’hui et nous visitera demain.
De Zacharie à Marie De l’Évangéliste Luc, Paul Beauchamp a écrit qu’il était un « intermédiaire né » 2. C’est ce que l’on voit ici dans les premiers chapitres de son évangile : il aime nous introduire au « passage » de l’Ancienne à la Nouvelle Alliance,
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de Zacharie à Marie. L’ange luimême, quand il passe du Temple à la simple maison de Nazareth, passe d’un monde à l’autre, mais il est le même. Son nom, “Gabriel” a la même racine que le mot hébreu “Guévoura”, qui évoque Dieu dans sa toute-puissance, mais ici c’est la toute-puissance de celui qui peut se faire petit pour ne pas écraser ses créatures, ses amis, ses pauvres, tels Zacharie, Élisabeth, Marie… ceux et celles qui attendent tout de lui. “Notre plus doux Sauveur et médecin de nos âmes”, commente saint Bernard, “est descendu des hauteurs et a adapté son éclat à la faiblesse de nos yeux…”3 Sr Marie-Amélie Le Bourgeois
Spiritualité ignatienne la conversation spirituelle
dialogue avec dieu et dialogue avec les hommes Parmi les cadeaux reçus d’Ignace, la conversation spirituelle peut être utilisée par tous, dans toutes les circonstances. Encore faut-il s’y disposer, rappelle Antoine Paumard s.j., peut-être simplement en accueillant le Verbe et en l’offrant aux autres. même tout à fait étrangère aux choses spirituelles, qui finalement ne fut transformée. Ignace disait de lui : ‘Pierre tire l’eau de la pierre‘. »1
jaillissement extérieur Il est d’ailleurs significatif que le Récit du Pèlerin, ce qu’Ignace de Loyola a transmis de lui-même à la Compagnie, résulte d’une conversation avec un autre jé-
suite pour montrer comment Dieu conduit, dans une conversation intérieure, celui qui le cherche dans tous les aspects de sa vie. Le Récit est donc une authentique œuvre de conversation spirituelle et cela sur deux plans : la conversation intérieure et extérieure (P. Kolvenbach).
Antoine Paumard s.j., directeur de JRS France (Jesuite Refugee Service).
Plusieurs séquences du Récit présentent Ignace parlant à Dieu comme à un ami, puis aux
1. J. Nadal, Contemplatif dans l’action, §24, p. 263.
© Christ enseignant Nicodème, Crijn Hendricksz, 1604
N
N i c o d è m e, l a S a m a r i t a i n e, l’aveugle-né, la femme adultère, Marie sœur de Lazare, Pierre ou encore Marie de Magdala… Si vous voulez savoir ce qu’est la conversation spirituelle, lisez donc l’Évangile de Jean et fixez votre attention sur toutes les personnes que Jésus croise et la nature des échanges qu’il a avec elles. Être chrétien, c’est recevoir pleinement ce don : pouvoir dialoguer en vis-à-vis, à pied d’égalité, en cherchant des chemins de vie et de charité. Pour cela, la Compagnie de Jésus a promu, au moins dans ces premières années, l’art de la conversation spirituelle. Elle l’appelait aussi ‘entretien spirituel particulier’ ou ‘entretien de piété’, convaincue que le Père Ignace s’était adjoint les neuf premiers compagnons par la maîtrise de cet art. Mais Ignace n’en n’était pas le seul détenteur. Ainsi Nadal parlait de « Pierre Favre qui était en effet entre tous efficace et souverain dans les entretiens de piété, car il n’abordait aucune personne,
▲ L’entretien entre Jésus et Nicodème, un des modèles de conversation spirituelle.
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Se former
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Spiritualité ignatienne
2. M. Giuliani, L’accueil du temps qui vient, p. 23.
hommes comme à des amis. Et se découvre ainsi une relation de cause à effet entre ces deux dialogues. C’est-à-dire que le mouvement va d’une conversation avec Dieu à une conversation avec les hommes (Récit §11, 20, 28). Il me semble intéressant de garder en tête que la conversation spirituelle trouve racine dans une expérience intérieure de Dieu. « La présence des âmes à aider s’impose à Ignace au cœur même de son contact avec Dieu, et non pas comme une nécessité seconde et extérieure. C’est une telle présence, garantie par les consolations divines, qui l’amène à se faire davantage tout à tous. Pour lui, l’expérience du zèle des âmes est nécessaire à l’intelligence du mystère de Dieu, l’action est nécessaire au progrès dans la prière »2.
Il y a donc dans la conversation intérieure un jaillissement de la vie extérieure, qui elle-même féconde la première en retour. Cela produit des fruits de charité : ainsi à Manrèse « après qu’il eut commencé à être consolé de Dieu - et qu’il eut vu le fruit qu’il faisait dans les âmes en traitant avec elles il abandonna certaines rigueurs qu’il pratiquait auparavant ». (Récit, §29) Un jeu fécond se découvre dans la conversation spirituelle qui a pour terrain mon propre cœur, carrefour auquel se rencontrent pour dialoguer Dieu et les hommes. Sans doute est-ce toujours a posteriori que l’on peut reconnaître, si oui ou non, une conversation a été spirituelle. En écoutant ce que nous dit notre cœur, en scrutant la consolation, la lumière ou la chaleur qui ont été imprimées en moi. Parfois, l’échange peut nous laisser
amers, et c’est dans un second temps que l’on en verra tous les fruits. Des parents questionnent leur enfant, embourbé dans une relation, le ton monte et l’on se quitte regard bas. Quelques jours plus tard, l’enfant trouve un écho heureux de cette conversation en réalisant qu’elle est un appel à grandir.
La conversation est spirituelle par son effet La conversation spirituelle ne l’est pas par son thème, qu’il soit pieux, théologique ou catéchétique mais par son effet : « augmentation de foi, de charité et d’espérance et toute allégresse intérieure qui appelle et attire aux choses célestes » (ES. 316.3). Ainsi la conversation entre deux amis de longue date se limite parfois à un échange de nouvelles. Néanmoins elle laisse une trace profonde, la force de la rencontre, le goût de l’autre.
© The conversation, Arnold Lakhovsky, 1935
Quatre conditions
▲ Une conversation entre deux amis peut laisser une trace profonde, la force de la rencontre, le goût de l’autre.
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La Compagnie dans ses Constitutions (que ce soit pour les jésuites en formation ou formés) et Ignace dans ses lettres donnent quelques conditions ou points d’attention pour se disposer à la conversation spirituelle, à traiter avec le prochain. Avec un principe : ce qui est de l’ordre du don doit être cultivé (Constitutions §814), un compagnon qui entre avenant, doué pour la conversation doit travailler ce don. Gardons pour nous quatre de ces conditions qui sont étroitement liées ensemble :
Le langage du corps dit quelque chose de la vie intérieure. Ignace pour avoir travaillé à la cour du roi le sait bien. La posture donne des indications sur le rang, l’arrogance, la tristesse, etc. C’est pourquoi Ignace voulait que l’humilité et la paix intérieures des compagnons soient aussi lisibles sur leur aspect extérieur. « Contribueront à acquérir [une autorité et un renom de sûre doctrine], non seulement les qualités intérieures, mais encore d’autres qui ont trait à l’extérieur, la gravité dans la démarche, dans la tenue, dans le costume et surtout la circonspection dans les paroles et la maturité dans les conseils, tant pour les choses pratiques que dans les questions de doctrine. Cette maturité suppose qu’on ne se hâte pas pour donner un avis si la question est délicate, mais qu’on prenne le temps de réfléchir, d’étudier ou d’en conférer avec les autres… »3. La patience et le contrôle de soi, comme la modestie, reviennent souvent sous sa plume, « écouter longuement et volontiers ». Le zèle et l’amour du prochain, ou zèle et salut des âmes est une expression utilisée par tous les jésuites. Il consiste à porter un grand amour, une grande affection, à celles et ceux que l’on sert, en enlevant de son cœur, toutes pensées et sentiments qui tendraient à leur discrédit (Pierre
© Diana Ong / Purestock
la modestie / patience et contrôle de soi, le zèle et l’amour du prochain, la connaissance de la personne, la visée.
▲ Une invitation à ce que le Verbe vienne demeurer parmi nous.
Favre). Celui qui est la source de l’amour est Dieu notre Seigneur et créateur, ainsi le zèle et l’amour du prochain invitent à s’en remettre à Lui. « Ce qui les [les compagnons] aidera particulièrement et d’abord, c’est d’espérer en Dieu d’un cœur magnanime, sans faire aucunement fonds sur eux-mêmes. »4. Cet aspect-là, il me semble, nous sauve d’une forme de volontarisme dans la conversation spirituelle. La troisième condition est celle de bien connaître la personne. Ignace était reconnu par ses compagnons, François-Xavier, Pierre Favre, Nadal, comme ayant un don hors du commun pour connaître la personnalité, les sentiments de son interlocuteur. Avoir l’intelligence de la personne permet « avec ceux qui seront tentés ou tristes, [de se comporter] amicalement, en parlant longuement, en manifestant beaucoup de plaisir et de joie extérieurement et intérieurement, pour s’opposer aux sentiments qu’ils éprouvent, pour une plus grande édification et une plus grande consolation. »5.
Cette adaptabilité doit se vivre également avec les colériques, les grands et nobles, les frustes et invite à rire avec ceux qui rient, danser avec ceux qui dansent. Enfin et c’est sans doute la plus délicate, pour Ignace, il y a une visée à la conversation spirituelle, entraîner à l’amour de Dieu. Simon Rodriguez écrivait de Pierre Favre : « Vraiment je ne sais comment il s’insinuait à ce point dans l’amitié des gens et comment il acquérait sur eux une telle influence que par la grâce de ses manières et la suavité de sa parole, il entraînait irrésistiblement à l’amour de Dieu tous ceux qui le fréquentaient… »6.
3. Aux compagnons qui partent pour l’Allemagne, Rome, 24 septembre 1549, Écrits, p. 756. 4. Aux compagnons qui partent pour l’Allemagne, Rome, 24 septembre 1549, Écrits, p. 758. 5. Lettre à Salmeron et Broët, Rome, Septembre 1541, Écrits, p. 666. 6. Simon Rodriguez, De origine et progressu Societatis Jesu. 1577, dans Monumenta historica S. J., Epistolae… S. Rodericii, Madrid, 1903, p. 453.
Sans doute, toutes ces considérations sur la conversation spirituelle ne sont-elles qu’une invitation à ce que le Verbe vienne demeurer parmi nous, et nous invite à nous conjuguer avec Lui pour que, tournés vers le Père, nous nous conjuguions avec les hommes. Antoine Paumard s.j. novembre/décembre 2016 29
Se former
Question de communauté locale
définir et tenir le cap Pour nos rencontres mensuelles, pas de parcours balisé, pas de programme d’année. Nous avançons à vue et quelquefois je ne vois pas bien le fil rouge. Le tandem responsable-accompagnateur a, semble-t-il, un rôle clé pour aider à la croissance de tous. Comment trace-t-il un chemin pour la communauté locale ?
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Qu’est-ce qu’un tandem : une bicyclette à deux places situées l’une derrière l’autre, ce qui lui confère une efficacité plus grande que celle d’un vélo normal. Et, plus largement, un partenariat de deux personnes unies pour une action ensemble. En CVX, c’est le tandem responsable-accompagnateur. Il ne peut être efficace que si les deux agissent dans le même sens, ensemble ; en étant au service de la croissance spirituelle, humaine et apostolique de la CL et de chaque compagnon, selon le charisme de la Communauté de Vie Chrétienne. Mais l’action concertée du tandem a une force manifestement plus grande que celle de chacun séparément. On le sent bien lorsque la CL n’a pas d’accompagnateur ou lorsqu’une CL débutante, au sortir de la période de Découverte, n’a pas encore élu son responsable. Dans ce contexte, l’accompagnateur aura un rôle de formation et de soutien vis-à-vis du nouveau responsable qui n’a pas encore l’expérience de ce service, pour que le tandem se constitue et fonctionne. Pendant la réunion, le responsable, élu par les membres de la CL, favorise un climat d’écoute, de respect, de partage, de confiance et de simplicité. L’accompagna-
teur, envoyé par l’assistant régional, est en retrait, pour mieux sentir et reconnaître les mouvements intérieurs qui naissent ; il parle peu, pour aider à comprendre et nommer ce qui se vit et la présence et l’action de l’Esprit ; il propose ce qui peut permettre à la CL de faire un pas de plus.
Une place différente et complémentaire Mais surtout, en dehors des réunions, le responsable et l’accompagnateur travaillent ensemble à ce que la visée de la CVX puisse rejoindre les membres de la CL au point où ils en sont. Ils relisent ensemble ce qui s’est passé, les mouvements spirituels perçus de consolation ou de désolation, boussoles pour guider la croissance de la CL. Chacun peut alerter l’autre sur un point. Le bilan de fin d’année permet au tandem de voir où en est chacun et la CL, et ce dont elle a besoin pour « suivre le Christ de plus près et travailler avec lui à l’édification du Royaume,… devenir des chrétiens engagés… » (PG 4). Pendant l’étape d’enracinement, le tandem est attentif au
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point où en est la CL dans les trois axes indissociables : disciple, compagnon, serviteur. Le tandem repère ainsi le progrès, le fruit espéré pour les mois qui suivent et le propose à la CL, avec des moyens concrets à mettre en œuvre grâce à la trilogie : contempler, discerner, agir. Ils incitent également à une plus grande participation à la vie de la communauté régionale, nationale, voire mondiale, et à la pratique des Exercices spirituels, « source spécifique et instrument caractéristique de notre spiritualité » (PG 5). À l’étape de discernement de la vocation ou de discernement apostolique, encore plus ouverte au monde, le tandem fait vivre le DESE, attentif à inciter et guider une demande d’aide au discernement, d’envoi de chacun dans sa mission - alors soutenue en tant que mission commune de la CL et de relecture et évaluation de ces missions. Ainsi la CL devient apostolique, et ses membres des compagnons, disciples et témoins du Christ dans le monde d’aujourd’hui, au service du bien commun. Marie-José Bugugnani
Ensemble Lefaire Babillard Communauté
© Krulua / iStock
Une parole à méditer
Notre Communauté se compose de chrétiens : hommes et femmes, adultes et jeunes, de toutes conditions sociales, qui veulent suivre Jésus-Christ de plus près et travailler avec lui à l’édification du Royaume, et qui ont reconnu en la Communauté de Vie Chrétienne leur vocation particulière dans l’Église. Extrait des Principes Généraux N°4
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Ensemble faire Communauté
En France
la session familiale ouverte à tous Utiliser les outils ignatiens pour vivre un temps en famille avec d’autres et repartir avec un regard neuf et des astuces pour mieux s’écouter et s’aimer, c’est ce qui était proposé à Penboc'h en juillet 2016. Une famille non CVX témoigne de découvertes émerveillées.
L
parents : des petits topos concis avant un temps individuel puis en couple /groupe. Pour les enfants : diverses activités adaptées à chaque âge sur le thème choisi.
L’accueil, dès le parking, autour d’un verre d’eau, simple, bienveillant, chaleureux, a d’emblée brisé la glace. Le 1er soir, le temps de présentation de chaque famille, a permis à chacun, petits et grands, de se présenter, individuellement, à sa façon, en choisissant une image parmi d’autres. Beaucoup de simplicité et d’humilité dans ces premiers mots. Pour nous parents, l’occasion de tirer un premier portrait vivant de notre famille.
L’après-midi, le temps en famille a été occupé à une relecture de la matinée puis un temps de construction en famille : un moyen de transport en famille à construire, une icône vivante de notre famille à inventer et représenter, un blason familial à écrire… Dans la pratique pour notre famille, ces temps ont d’abord été peu évidents, car faisant ressortir les fortes différences de caractère de chacun et les tensions internes. Mais force est de constater que nous avons réussi à gérer ces différences pour atteindre l’objectif fixé.
© CVX
Puis trois grandes journées rythmées par des temps en groupe par âge le matin, des temps en famille l’après-midi et une petite veillée le soir. Chaque matin un thème traité : d’abord l’écoute jusqu’au bout, puis le pardon et enfin la prise de décision. Pour les
Le reste de l’après-midi était consacré à de la détente en famille principalement de la baignade sur les plages de ce site magnifique au bord du Golfe du Morbihan. Les soirées / veillées ont permis à chaque famille de présenter le résultat de leur travail et de donner du sens à ces réalisations. Enfin nous avons été
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très marqués par le témoignage de Véronique le dernier jour sur la pratique du conseil de famille. Les fruits sont là : des temps d’échanges profonds ont eu lieu par la suite, pendant les vacances, avec certains enfants. Ils gardent tous un excellent souvenir de cette session et parlent d’y revenir. Nous avons aussi testé le Conseil de famille juste avant la rentrée, et il a duré plus de deux heures ! Un beau moment de communion familiale que nous allons tenter de maintenir régulièrement. Pour nous parents, des moments en couple privilégiés sur des thèmes qu’il est toujours sain de réaborder comme le pardon, la vraie écoute… Et puis des outils pour mieux « éduquer » nos enfants, un autre regard sur chacun d’eux dans ce qu’il est capable d’exprimer lors de la prière familiale le soir, lors des scénettes des veillées… Nous remercions aussi tous les animateurs ainsi que les familles avec qui nous avons eu de beaux moments de partage pendant les repas. François et Marie-Lorraine
© Jardin de Cocagne
en quoi l’université d’été était-elle cvx ?
Fin août 2016, s’est tenue l'université d’été de la CVX-France. De nombreuses autres sessions avaient déjà abordé des thèmes proches de l’encyclique Laudato Si, néanmoins ces trois jours portaient la touche de la CVX, peut-être une manière d’écouter, de contempler, de discerner et d’agir ensemble…
I
Il y a quelques jours, une personne nous demandait ce qui était spécifique de la CVX dans l’organisation d’une université d’été. Dans un premier temps, un peu d’embarras pour répondre car nous n’avions pas envisagé l’université d’été (UE) sous cet angle. L’originalité de cette UE est qu’elle s’est déroulée à la même date, dans trois lieux différents ! Le thème « Entendre le cri des pauvres, entendre le cri de la terre, agir ensemble » avait comme point d’appui « Laudato Si ». Ce qui est plus spécifique à la CVX est, dans un premier temps la manière de se mettre à l’écoute du sujet, de l’aborder et d’aller à la rencontre de personnes, agissant avec des personnes en précarité, ou voulant « soigner » la terre. Dès le jeudi soir, les participants ont partagé en communautés d’université « comment j’arrive, mes attentes, les questions qui m’habitent… ». Pas de discussion, simplement l’écoute attentive de chacun pour ensuite, dans un second tour, demander une précision à l’un ou l’autre, partager comment cela peut résonner en moi… Il en est de même pour tous les moments en communauté d’UE.
Précieux instants qui aident à être réceptif à ce que vit chacun et dont je peux tirer profit pour ma propre vie à la suite du Christ. Une grande partie du vendredi les participants sont allés à la rencontre d’associations locales pour contempler la réalité, et ensuite discerner là où le Seigneur appelle les uns et les autres : participer à une UE incite à vouloir s’impliquer concrètement « après ». Ces rencontres avec des bénévoles, des personnes aidées, des responsables, ont nourri le partage. Richesse des découvertes de la communauté du Cenacolo, de l’Arche, de Médecins du Monde, d’agriculteurs bio, des actions auprès des prisonniers, d’entreprises de réinsertion… Le samedi matin, au cours d’une table ronde, des témoins ont partagé sur ce que l’engagement dans un lieu associatif (chrétien ou pas) a bouleversé dans leur vie personnelle. « Je n’ai rien à donner aux personnes dans la rue, simplement un bonjour ou un bonsoir. Avec le temps, l’échange peut venir, et ensuite la proposition d ’ u n h é b e rg e m e nt e n ‘ c o l o c solidaire’ », dit l’un d’entre eux. Ou encore entendre de personnes
engagées dans l’accueil d’urgence : « ce n’est que trois nuits, certes mais on est devant un problème de société. On ne peut changer cela mais on peut faire une petite chose pour les autres. Je vous invite à faire de petites choses ». Ces témoignages nous ont montré concrètement comment agir ensemble. C’est-à-dire avec d’autres acteurs. Comment trouver des moyens adaptés aux situations locales ou plus larges ? C’est quelque chose qui pointe dans la CVXFrance et qui paraît se confirmer à la suite de cette UE. L’UE ouvre sur plusieurs chemins : - Sur l’agir ensemble avec d’autres. - Autour des questions « Comment peser dans les décisions locales et globales ? » « Comment s’organiser pour que les actions menées ensemble puissent aider à améliorer les situations précaires, les problèmes environnementaux ». Nous avons bien perçu que tout est lié. Et que nous avons encore à approfondir Laudato Si, à mieux entendre le cri de la terre. Il y a déjà des gestes posés. Un appel à être plus à l’écoute, dans un premier temps, à repérer toutes les initiatives porteuses d’espérance… Catherine et Christine
Retrouvez les nombreux témoignages de participants sur le site :
cvxfrance.com
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Ensemble faire Communauté
En France
POURQUOI DES RETRAITES POUR JEUNES ? Plusieurs retraites pour jeunes ont été organisées cet été. Pourquoi proposer des « spéciales jeunes » ? Quelles différences avec d’autres sessions ? Les animateurs de trois retraites en expliquent la spécificité.
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© Bessefr / iStock
Retrouvez les prochaines sessions sur : www.saint hugues.fr
« Les Exercices spirituels, veuxtu essayer ? », derrière ce titre tentateur se trouve le désir de proposer les Exercices aux jeunes sans qu’ils en aient peur. C’est la proposition que fait la famille ignatienne près de Grenoble, avec la pastorale des jeunes du diocèse, chaque année autour du 15 août à Saint-Hugues. « Nous soignons l’entrée dans les Exercices afin de faire communauté et que les jeunes puissent se porter dans la prière. L’entrée dans le silence se fait progressivement », sou-
ligne Sr Véronique-Marie de la Compagnie de Marie Notre-Dame. Dans les ES, toutes les dimensions de la personne sont en jeu, « or, les jeunes sont encore plus intellectualisés que les autres générations. Nous les accompagnons pour descendre dans le corporel par des ateliers créatifs en silence les après-midi. Ils apprennent à mieux articuler leur vie intellectuelle avec leur vie spirituelle », note l’accompagnatrice. D’autres propositions font sortir les jeunes des murs du centre spirituel. « Le ‘Prier marcher jeunes’ cible les jeunes adultes de 25-40 ans qui cherchent à vivre un ressourcement dans la nature, une expérience fraternelle forte et une retraite », indique Piero Silva, responsable du pôle jeunes de SaintHugues. Si les matins sont bien en silence, la marche silencieuse s’appuie sur la prière avec un sens différent chaque jour et sur la Parole ; les après-midi donnent lieu à des partages. « Au fil des années, nous avons laissé les topos au profit de la présentation de témoins. Car les jeunes aiment expérimenter le contact direct avec des chrétiens de notre temps ».
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Une spécificité de cette session est que la moitié des animateurs sont des jeunes – en formation en tant qu'animateurs – ayant déjà vécu cette session, « ce sont souvent des jeunes CVX, car ils ont l’habitude de l’écoute », précise Piero. Très touchée de voir des adultes ayant dépassé l’âge de Magis (ex RJI) et ne trouvant plus de retraite pour leur tranche d’âge, Christine Rogier a lancé cet été une retraite dans le Queyras pour les 30-45 ans. « C’est un âge de forts questionnements ; une belle communion s’est rapidement instaurée, par la randonnée et la vie fraternelle au gîte ». De très beaux paysages de montagne ont aidé à prendre de la hauteur et à se rendre disponible à la Parole. Marche le matin avec un psaume ; arrêt pour prier dans un lieu évoquant la scène biblique contemplée. Chacun a été accompagné pendant la marche. Un beau chemin spirituel s’est tracé, chemin de vie et de liberté. La demande est forte, puisque ces retraites sont complètes plusieurs semaines avant leur début.
© Guillet / EVX
UNE ŒUVRE À L’ŒUVRE : LES ÉDITIONS La présence des "libraires-relais" et un fort désir de partager largement la spiritualité ignatienne ont marqué l’assemblée générale de l’association des Éditions Vie chrétienne du 2 octobre.
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Tous les éléments moteurs des Editions Vie Chrétienne (EVX) étaient invités à l'assemblée générale : les membres des comités de réalisation des livres et de la revue, les membres du bureau de l'association, et pour la première fois les « libraires-relais » des communautés régionales et la présence d'un accompagnateur donné à cette nouvelle communauté de service. L'objectif était de vivre ensemble le passage d'un vécu efficace de groupes fonctionnels vers une communauté plus intégrée au service d'un large partage de la spiritualité ignatienne.
Une œuvre à contempler : les réalisations de l'année 2015 Pour les livres : 8 nouveaux livres, 3 réimpressions, une hausse des ventes de 28% par rapport à 2014, certes du fait du Congrès de la CVX à Cergy-Pontoise. 35 % des ventes concernent ces nouveaux titres et 50 % des ventes sont le fait des éditions précédentes. Six livres sont prévus en 2016 avec des collaborations internationales et un lancement de livres au format numérique, 19 e-books sont déjà disponibles.
Pour la Revue : une parution bimensuelle tenue dont deux numéros en 2015 très en lien avec l'actualité de la société et de l'Église, sur la famille et la conversion écologique. En 2016, le numéro sur l'Eucharistie et celui sur Internet et la vie spirituelle semblent avoir été particulièrement appréciés. Le tirage est de 6400 exemplaires adressés aux membres de la CVX, et aux amis de la CVX (652 dont 190 à l'étranger). Le site internet EVX, la présence sur Facebook, les news, la diffusion en ligne via le site ISSUU, ont considérablement développé l'accès aux contenus de la Revue.
Beaucoup d’ouvertures et de perspectives L'objectif est d'être une référence laïque dans la famille ignatienne, dans les groupes de vie évangélique et dans l’Église de France. Au-delà du cœur de cible que sont les membres de la CVX, l'écriture tant pour la Revue que pour les livres vise à utiliser un vocabulaire adapté à tous publics et sans jargon. La volonté est d'élargir le lectorat, notamment vers les jeunes :
utiliser les techniques de diffusion d’aujourd’hui, adapter outils, langage, sujets aux internautes; ouvrir le lectorat à l'international, rechercher des auteurs et des alliances de pays étrangers. U n fo i s o n ne me nt de p i s t e s concrètes est apparu grâce aux propositions d'ouverture et de promotion de la part les membres de cette AGO. Il faut noter qu'une attention clé est à apporter aux membres du réseau des « libraires », membres des communautés régionales, afin qu'ils aient à cœur de devenir des relais des EVX pour présenter livres et Revues lors des réunions, en montrant à quel point ce sont des ressources d'information, de formation et de lien entre les membres de la communauté CVX ; qu'ils deviennent aussi des relais d'expression des avis et des besoins des communautés locales vers les comités éditoriaux afin d'ajuster en permanence les nouvelles parutions, et soient des ambassadeurs pour rejoindre un public plus large.
N'hésitez pas à demander le projet EVX 2020, le bilan de 2015, les documents pour les libraires-relais et tout document utile à :
contact@vie chretienne.fr
Patrick Lepercq novembre/décembre 2016 35
Ensemble faire Communauté
Dans le monde
la cvx-luxembourg fait vivre la rencontre avec des réfugiés La CVX Luxembourg avait proposé des vacances un peu particulières : vivre trois semaines avec des migrants. Huit jeunes francophones venant du monde entier (Mexique, Égypte, Allemagne) ont tenté l'expérience. Françoise témoigne de ce qu'elle a vu.
O
Retrouvez son expérience sur : CVXfrance. com
Offrir de changer de regard sur les migrants, c’est ce qu’a proposé la CVX-Luxembourg en août dernier. Son message relayé dans toutes les Communautés nationales a touché 8 jeunes. Du 3 au 24 août, avec ces 8 jeunes venus du Luxembourg, de France, d’Égypte, du Mexique et d’Allemagne et malgré mes 70 ans, j’ai pu me joindre à eux. Nous étions dans 4 centres gérés par Caritas et nous étions simplement là, présents avec ces réfugiés, à vivre avec eux. Pour une fois qu'ils n'étaient pas transparents aux autres !
© Agnès Rausch
La CVX-Luxembourg, composée de 80 personnes, est engagée depuis longtemps auprès des migrants. Elle a discerné et porté ce service d'offrir à des jeunes de vivre une longue rencontre avec des migrants. Tous les soirs
de ce mois d'août, des membres de CVX nous rejoignaient et préparaient nos repas. Nous nous sentions soutenus par ceux qui, dans l'ombre, ont œuvré pour notre hébergement et ont financé toutes les activités. Ils avaient prévu 200 euros par semaine pour des activités avec les réfugiés et nous avions une carte de transport gratuite. Cette proposition était pilotée par Agnès Rausch de la CVX Luxembourg et engagée auprès des migrants depuis longtemps. J’ai pu contempler un vrai service communautaire ! Parmi les 8 jeunes volontaires, seulement trois étaient membres de CVX. Les autres ont découvert notre spiritualité au cours des semaines : chaque matin, nous vivions une demande de grâce, et chaque soir, un moment de relecture. Leurs journées en ont été changées. Ils sont repartis en se disant qu'il fallait faire quelque chose là où ils étaient, dans leur pays respectifs, mais aussi désireux de changements en eux. J'ai été éblouie par la vie communautaire qu'ont vécue ces jeunes volontaires.
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Quant aux réfugiés, après avoir découvert de grands adolescents, accros à Internet, fiers de leurs exploits sportifs, un peu frimeurs, rieurs, j'ai aussi entendu leur désir d'un monde meilleur : « la paix pas seulement dans mon pays, mais sur toute la planète » ; « il faudra un changement de regard pour ne plus avoir peur des autres ». Puis, il m'a été donné d'entendre d'immenses souffrances, celle d'Ali dont l'agitation s'apaise quand, dans la confiance, des mots se posent, celle de Jamal renonçant à lutter et qui revit quand il ose envisager un métier à son goût. Je pense profondément que sans la CVX ce volontariat n'aurait pas pu se dérouler dans une telle ouverture et joie de servir ; je suis témoin que bien des embûches ont été évitées. Vraiment, le service vécu de façon communautaire porte davantage de fruit et du beau fruit ! Françoise Cautain
LA CVX AUX JMJ DE CRAVOVIE Pour la première fois, la Communauté Mondiale a participé au Forum des Vocations des JMJ (Journées Mondiales de la Jeunesse) de Cracovie en juillet 2016. Sur le Forum des Vocations sont passés de nombreux jeunes présentant la CVX à d’autres jeunes. La responsable « jeunes » de l’Exco, Najat rappelle les points forts.
C’est ainsi que j’ai inscrit la CVX au Forum des Vocations. En effet, la CVX est une vocation, comme nous le lisons dans nos Principes Généraux : « Notre Communauté se compose de chrétiens […] et qui ont reconnu en la Communauté de Vie Chrétienne leur vocation particulière dans l’Église.» ( P G 4 ) . E t a us s i : « D e ve n i r membre de la Communauté de Vie Chrétienne suppose une vocation personnelle. » (PG10). La CVX peut aussi aider les personnes, à travers les Exercices Spirituels et le discernement qui caractérise nos réunions et notre style de vie, à trouver leur vocation dans l’Église et dans la société.
Les jeunes membres inscrits pour participer au Forum ont été impliqués dans la préparation. Des documents ont été élaborés et imprimés dans nos trois langues officielles (le français, l’anglais et l’espagnol), notamment un flyer décrivant notre Communauté et comprenant un lien de contact vers les communautés nationales, des marque-pages avec des slogans ignatiens, des brochures sur la relecture quotidienne... La CVX en Pologne a été d’une grande aide.
Sentir l'appartenance à une communauté mondiale Nos membres se sont relayés sur le stand. Venus de différents pays (Angleterre, Argentine, Brésil, Espagne, France, Hong Kong, Liban, Lituanie, Pays Bas, Portugal, Suède, Roumanie, et Pologne évidemment), ils étaient heureux de s’y retrouver et de sentir l’appartenance à une seule Communauté mondiale. Chacun accueillait les visiteurs, engageait une conversation, parlait dans sa propre langue de la CVX et de la spiritualité ignatienne, distribuait les documents ou répondait à des questions. Leurs témoignages seront publiés
dans le prochain numéro de Progressio, notre revue mondiale. Nous ne pouvons que rendre grâce au Seigneur de nous avoir permis de vivre une nouvelle expérience dans l’Église et dans la CVX, de témoigner de ce qui nous anime, et de goûter à la joie d’être unis par l’Esprit, membres d’une même Communauté. Nous remettons le tout entre les mains du Seigneur : c’est à Lui d’éclore – ou pas – la vocation CVX dans les cœurs qui ont accueilli notre petite semence.
De nombreux témoignages de participants aux JMJ sont sur : CVXfrance. com
Najat Sayegh CVX Liban, membre de l’ExCo
© Marie-Emmanuelle Reiss
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L’idée a germé en participant à la réunion préparatoire des JMJ en novembre 2015. Ayant été chargée par l’ExCo (Conseil Exécutif mondial de la CVX) de la commission « jeunes », j’avais été invitée par le Conseil Pontifical des Laïcs à cette réunion préparatoire. Là, j’ai senti que nous devions faire quelque chose : pourquoi ne pas saisir cette chance pour faire connaître la CVX et la spiritualité ignatienne à des centaines de jeunes du monde entier?
▲ Des jeunes de France, Pologne, Liban, Lituanie sur le stand de la CVX aux JMJ.
novembre/décembre 2016 37
À VIVRE Se préparer à Noël Du 17 décembre 2016 à 18h30 au 23 décembre 2016 à 14h00 Pour vivre la dernière semaine de l’Avent dans un cadre spirituel, en silence, avec un accompagnement spirituel, (avec Remi de Maindreville s.j. et Brigitte Van Dorpe). Mais aussi pour ceux qui le désirent des ateliers et des temps de partage à la manière de CVX. Ceux qui le veulent peuvent prolonger par la ou les sessions festives Vivre Noël autrement et Vers la nouvelle année… Centre spirituel Saint-Hugues (38) Tél. : 04 76 90 35 97
À VIVRE Noël : laisser Dieu naître en nous Du 26 Décembre 2016 à 12h00 au 30 Décembre 2016 à 14h00 Initiation à la méditation chrétienne selon l’enseignement de John Main, osb, comme démarche visant à se rendre disponible à Dieu., retraite animée par Éric Clotuche, de la Communauté mondiale des méditants chrétiens. Tarif : 255,50 e. Centre spirituel du Hautmont (59) Tél. : 03 20 26 09 61
A LIRE Ils comptaient sur toi Une promenade à la rencontre des hommes et des femmes du Premier Testament, avec pour fil conducteur leur prière à Dieu. Par un guide exégète, plein d’humour, au talent de conteur hors pair et à la fibre artistique. Des illustrations en couleurs soutiendront votre propre prière. Ce livre est la réédition conjointe des n° 141 et 165. 15,30 e – 264 pages A commander sur viechretienne.fr ou chez votre libraire.
A SUIVRE Vivre ensemble, un sacré défi Du 30 janvier au 2 février 2017 La session nationale de formation du Ceras s’interrogera sur ce monde pluriel qui est le nôtre, sur notre recherche de vivre les uns à côté des autres et sur notre vrai désir de faire société ensemble. En analysant les peurs et les violences qui guettent, les conférences, ateliers et visites tendront à une recherche du dialogue pour tisser des liens de reconnaissance. Centre Sèvres à Paris – 165 e www.ceras-projet.org
Retrouvez d'autres suggestions sur : editionviechretienne.com 38 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 44
A LIRE Oscar Romero, prophète d’une Église des pauvres Quelle est l’évolution spirituelle de Mgr Romero ? Quelle place a la spiritualité d’Ignace de Loyola dans la vie de cet évêque martyr, dans l’élaboration de la théologie de la libération et du peuple crucifié? C’est à ces questions que tente de répondre Martin Maier s.j. dans ce nouvel ouvrage. 12 e – 119 pages A commander sur viechretienne.fr ou chez votre libraire.
À VIVRE Formation à l’écoute psychologique 26 novembre 2016 Cette proposition de la CVX France concerne, de façon privilégiée, les responsables, accompagnateurs et chargés de découverte qui ont une expérience concrète de l’écoute. Ils présenteront au groupe des situations difficiles à relire et à analyser avec la psychanalyste Anne Chevalier. Information : marie-therese.desouche@xavieres.org
Billet
Sur un autre continent, dans une belle et grande ville, je tombe en arrêt devant un spectacle insolite. Deux personnes, assises par terre, font de la musique : une femme dont le regard semble mort bien qu’elle soit jeune encore. Et un homme plus âgé, très maigre, courbé sur son petit instrument fait de deux plaques en bois qu’il tape consciencieusement. Personne ne passe dans ce coin, j’éprouve une tristesse noire et sens monter ma colère.
© thinkstock images/ stockbyte
VU
Pourtant ces deux-là ne demandent ni pitié ni commisération. Ils ont échoué là, ils y mènent leur vie qu’ils gagnent en jouant, et ils jouent sérieusement. Ils semblent dans un dénuement total, cependant ils n’ont visiblement pas renoncé. Ils dégagent une sorte de noblesse qui les fait exister pleinement à mes yeux – et je crois voir la force que cela leur procure. Est-ce là la vie qu’ils méritent ? Certainement pas, pourtant c’est une vie et ils la vivent avec obstination ; voilà le mot que m’inspire la manière de jouer de l’homme. Il tape avec application, c’est son métier, il le connaît, il fournit quelque chose pour obtenir de quoi subsister. Comment sont-ils arrivés dans la grande ville ? Quelle misère les a fait partir ? Ils n’ont certainement pas oublié ce qu’ils ont laissé derrière eux et ils doivent savoir que là où ils vivent maintenant, ils ne sont rien. Pas de voisins à saluer ni sans doute de papiers à montrer. Ils sont devenus invisibles. Une vie humaine vaincue par le malheur ? Rouée de coups certainement, mais à les voir là, je n’ai pas l’impression qu’ils s’avouent battus. La force qui les a fait quitter leur vie d’avant leur permet de continuer. Éprouvent-ils de la haine pour la chaîne de responsabilités qui les a menés dans ce coin de rue venteux ? Ou bien est-ce la vengeance qui les fait tenir ? Je ne parle pas leur langue pour en savoir davantage, d’ailleurs ils ne m’accordent pas le moindre regard. Ils vivent là et travaillent pour gagner leur vie – durcis peut-être par mille offenses successives, indifférents en tout cas à leur entourage. Nous vivons une époque de grandes migrations, dans tous les pays des personnes se mettent en route, poussées par la guerre, la famine – ou le goût de l’aventure bien sûr. Aucune frontière n’est facile à franchir, en chaque migrant, la mémoire de ce qu’il a quitté restera vive. Cependant, pouvoir dire « je veux » procure du courage et permet de tenir, de vivre la vie au lieu de la subir. Monika Sander
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Prier dans l’instant
Sur l’étal des pièces de bois attendent, exposées, caressées par un doux rayon de soleil. J’admire ce bois travaillé. « C’est du noyer, un bois de chez nous » me dit-il avec un grand sourire. « Plus je le travaille, plus j’aime le travailler. C’est un bois doux. » J’écoute avec intérêt et joie. Rencontrer quelqu’un qui aime son métier, en parle avec calme et passion, c’est une chance à savourer. Il poursuit « Je sculpte tout aux ciseaux, à la gouge, sans machine. » J’entre en dialogue « Oui, je vois, les traces là, dans ce saladier. C’est joli, et donne un relief léger. » Nous poursuivons sur le même ton quelques instants. Je le sens heureux de cet échange. En écho, une exposition d’artisans créateurs, visitée il y a quelques jours. J’y vois la jeunesse de plusieurs exposants. Je sens leur joie d’exprimer cette décision de travailler une matière qu’ils aiment : pierre, métal, cuir, bois… Je suis sensible à la passion communicative de leur enthousiasme. J’écoute cette jeune femme expliquer comment elle s’inspire des empreintes animales, végétales, laissées sur les pierres, pour les mettre en valeur. Elle poursuit, avec conviction, sur le temps passé aux consultations de documents, aux marches dans la nature, à l’attention que cela demande. Je découvre comment des pierres froides en apparence sont riches de toute une vie. Quelle richesse tous ces talents révélés, développés, partagés ! Seigneur, par toutes ces personnes qui œuvrent au fil des mois sur des matériaux différents, je perçois davantage que création et patience sont liées. Je te confie ces artisans créateurs qui participent, en le sachant ou pas, à ta création. Comme tu as rempli, un des compagnons de Moïse de ton esprit pour qu’il possède la sagesse, l’intelligence, la connaissance et le savoir-faire pour toutes sortes de travaux : la création artistique, le travail de l’or, de l’argent, du bronze, la taille des pierres précieuses, la sculpture sur bois et toutes sortes de travaux1, continue d’inspirer des hommes et des femmes pour nous aider à percevoir les trésors cachés de notre environnement. Catherine Raphalen 1. Citation tirée de Exode 31, 3-5.
Nouvelle revue Vie Chrétienne – novembre/décembre 2016
© Catherine Raphalen
en parlant avec des artisans d’art