Vie chrétienne Nouvelle revue
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B I M EST R I E L D E L A CO M M U N A U T É D E V I E C H R É T I E N N E ET D E S ES A M I S – N º 4 5 – JA N V I E R / F É V R I E R 2017
Se préparer à voter Quel texte pour prier ? Quand un migrant devient compagnon
Sommaire
NOUVELLE REVUE VIE CHRÉTIENNE Directeur de la publication : Jean Fumex Responsable de la rédaction : Marie-Élise Courmont Rédactrice en chef adjointe : Marie-Gaëlle Guillet Comité de rédaction : Marie-Élise Courmont Jean-Luc Fabre s.j. Marie-Gaëlle Guillet Marie-Thérèse Michel Laetitia Pichon Comité d'orientation : Nadine Croizier Marie-Claude Germain Anne Lemant Claire Maillard Étienne Taburet Fabrication : SER – 14, rue d’Assas – 75006 Paris www.ser-sa.com Photo de couverture : Leolintang / iStock Impression : Corlet Imprimeur, Condé-sur-Noireau
ISSN : 2104-550X 47, rue de la Roquette – 75011 Paris Les noms et adresses de nos destinataires sont communiqués à nos services internes et aux organismes liés contractuellement à la CVX sauf opposition. Les informations pourront faire l’objet d’un droit d’accès ou de rectification dans le cadre légal.
le dossier
l’air du temps La 36e Congrégation Générale : quels points d’insistance ? Étienne Grieu s.j. chercher et trouver dieu
Se préparer à voter Témoignages Dix repères arendtiens avant d’aller voter Véronique Albanel Discernement à Jérusalem Olivier Piganeau Un choix délibéré Étienne Perrot s.j. se former Contempler une œuvre d’art "Les pélerins dans la tempête" de Alain Gadenne Prier chaque jour : avec quel texte ? Sr Josseline Causse Au service de la foi des petits et des jeunes Véronique Westerloppe Débora, femme juge parmi les juges Claire Le Poulichet La Méditation du Règne dans nos décisions Sr Marie Emmanuel Crahay a.s. "Contempler – Discerner – Agir" et nos réunions ? Marie-Élise Courmont ensemble faire communauté Une parole à méditer Un migrant devenu compagnon Trois rencontres pour une Communauté en chemin Regards croisés sur la justice Sortie de crise de la CVX du Canada français Face à la société du rejet babillard billet Tiens-toi droit ! Jacques Fedry s.j. prier dans l'instant Avec un arc-en-ciel P. Mathias Amiot
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La revue n’est pas vendue, elle est envoyée aux membres de la Communauté de Vie Chrétienne et plus largement à ses « amis ».
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Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 45
Éditorial
nos choix construisent l’avenir ® Tutye / iStock
«
C’est le propre des débuts d’année d’inciter à se projeter vers l’avenir. De quoi cette année sera-t-elle faite ? Les motifs d’inquiétude ne manquent pas, à tous les niveaux. N’est-ce pas le moment de regarder la situation telle qu’elle est, pour prendre conscience des enjeux et agir en conséquence ?
C’est ce qu’a fait la 36ème Congrégation Générale qui s’est réunie l’automne dernier. Contempler le monde dans sa diversité, analyser les situations, pour orienter la mission des jésuites pour les années qui viennent. Une manière de lire les signes des temps qui peut nous éclairer. Étienne Grieu s.j. relit pour nous cette expérience et donne quelques points d’insistance (p. 4-5).
»
En France, cette année sera marquée par les élections. Un temps important, pas toujours facile à vivre, qui engage l’avenir. Parellèlement à la démarche proposée par la Communauté à ses membres1, le dossier donne des repères pour vivre cette période électorale, pour avancer vers un choix délibéré, dans le respect et le dialogue avec d’autres. Enfin, il y a ce qui fait le tissu de nos vies : nos familles, nos lieux de travail, nos associations, nos communautés ; là aussi nous sommes sollicités, là aussi des gestes sont à poser. L’article sur la méditation du Règne dans les Ex.sp. (p. 27-29) invite à considérer toutes ces occasions de choix comme des appels du Christ à Le suivre, à nous mobiliser pour prendre avec Lui le même chemin que Lui. Un chemin pas toujours facile. Avec à l'horizon : la paix pour notre temps. Marie-Élise Courmont redaction@editionsviechretienne.com
Bonne Année de Paix !
1. Chaque mois, dans la newsletter envoyée par la CVX France est proposée la démarche "2017 : votez en conscience".
janvier/février 2017
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L'air du temps
la 36ème congrégation générale : quels points d’insistance ? À l’occasion de l’élection du nouveau supérieur général des jésuites, les délégués des différents pays en profitent pour faire le point sur la situation du monde et ajuster leurs missions aux appels de ce monde. Une occasion pour chacun de réinterroger sa propre écoute des réalités de notre temps.
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Durant six semaines, deux cent quinze délégués des quatrevingts provinces jésuites des cinq continents se sont retrouvés à Rome pour élire un nouveau supérieur général (« Préposé général » est son titre officiel) et redessiner les contours de notre mission à partir des appels que nous percevons aujourd’hui.
Étienne Grieu s.j., Docteur en théologie, agrégé de géographie, il est doyen de la Faculté de théologie au Centre Sèvres, à Paris.
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Le 14 octobre, nous avons élu Arturo Sosa, vénézuélien, à la tête de la Compagnie. Il succède à Adolfo Nicolas qui avait pris cette charge en 2008. Pour la première fois, un non-Européen assumera la fonction de « Père général ». Arturo Sosa est un homme sensible aux questions sociales (il a longtemps travaillé au « Centro Gumilla », l’équivalent de notre « Céras »), un universitaire, docteur en sciences politiques, ancien recteur de l’université du Táchira, mais aussi quelqu’un qui a vécu dans la communauté jésuite du quartier de Catia, une grosse favela de Caracas. Ancien provincial, il était depuis deux ans responsable des « institutions romaines » de l a C o m p ag n i e ( le s l i e u x
d’étude comme l’Institut biblique, l’Orientale, la Grégorienne).
à quels rendezvous invitent le monde et l’Église ? Après l’élection, la Congrégation n’est pas achevée ! Il lui reste à effectuer un travail de réflexion et de discernement sur les rendez-vous majeurs auxquels la Compagnie est convoquée à la fois par l’Église et le monde, et qui marqueront son apostolat dans les années qui viennent. C’est la phase ad negotia de la Congrégation. Ce qui nous est apparu assez clairement, c’est que les tensions dans le monde se font plus vives et s’expriment souvent de manière plus brutale, ce qui ne présage rien de bon et pourrait nous entraîner dans de profondes tourmentes. C’est sans doute d’abord l’effet d’une mondialisation déséquilibrée qui conjugue l’hyper-efficacité d’échanges toujours accélérés avec la précarisation accrue de tous ceux qui n’ont pas la maîtrise de ces flux. C’est aus-
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si, peut-être, l’entrée dans une culture saturée d’images, de réactions immédiates, où les solutions sont d’abord envisagées selon le schème de la technique, qui risque de faire perdre l’estime des liens humains et la conscience de l’importance du temps long des mûrissements. C’est enfin le gros point d’interrogation des conséquences des changements climatiques pour les équilibres démographiques et politiques. Nous ne voulons pas nous voiler la face devant ces tensions qui parfois déjà éclatent en conflits violents ; et quand nous sommes touchés par elles, nous ne pouvons ni ne voulons nous y dérober. À ce sujet, un des moments forts de la phase ad negotia de la Congrégation générale a été la rédaction d’un message aux jésuites vivant en zones de guerre et de conflit. C’est l’occasion pour nous d’exprimer notre proximité à ces compagnons ainsi exposés, de les rejoindre, de nous identifier à eux qui sont aux prises avec la violence dont l’humanité est capable. Nous ne
® Sjcuria
▲ Fin de session pour les 215 délégués appelés à redessiner les contours de la mission des jésuites.
pouvons oublier que cette violence fut aussi celle de la Pâque du Christ. Bref, retentit fortement pour nous, dans ce monde douloureux, l’appel à devenir davantage artisans de paix.
Des tensions à l'approfondissement Nous avons conscience que les racines de ces tensions sont, au bout du compte, d’ordre spirituel : elles disent une difficulté à vivre de la grâce, à consentir de recevoir la vie d’un autre et d’accepter en retour de se risquer en réponse à cet appel. Si nous pouvons dire cela – et de fait, nous l’affirmons dans un des textes rédigé par la Congrégation – c’est que nousmêmes en faisons l’expérience : nous ne sommes pas indemnes de ces déchirures et quand elles passent par le fond de notre cœur,
nous savons bien que nous en sommes aussi complices. Voilà qui peut aider à comprendre une autre insistance assez forte, qui a traversé la Congrégation générale : un appel à nous enraciner profondément dans les fondamentaux de la vie jésuite : la familiarité avec le Christ, sans cesse à cultiver et à approfondir ; la proximité à ceux qui ne comptent pas, car eux nous ramènent vers Lui ; le souci de discerner le chemin de la vérité dans les histoires complexes des humains ; l’invitation à vivre la mission comme un compagnonnage – avec le Christ, mais également avec beaucoup d’autres ! Ce que nous a dit le pape François le 24 octobre allait en ce sens : nous attendions tel ou tel appel particulier, telle ou telle urgence
pour l’Église qu’il désignerait comme un chantier à travailler. Là n’était pas son propos. Il nous a appelés à nous orienter au plus profond vers la joie du Christ, à ne pas nous dérober à la Croix et à nous inscrire dans l’Église qui doit chercher et inventer son chemin dans ce monde tiraillé. C’est ainsi que la Compagnie sert l’Église et le Christ selon son charisme propre qui est celui de mettre en route. Au retour de ce temps fort, chacun des délégués rejoint son lieu de travail habituel. Mais il y a fort à parier que nous le retrouvons un peu autrement : davantage conscient des rendez-vous cruciaux qui nous attendent et prêt à entrer dans ces combats qui, même modestes, participent d’un même enfantement. Étienne Grieu s.j. janvier/février 2017
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Chercher et trouver Dieu
se préparer à voter Élection : quoi de plus familier aux « ignatiens » attentifs au discernement ! Pourtant qui peut se dire libéré des troubles, des incertitudes, des mouvements d’humeur qui nous prennent à l’approche d’un scrutin. Une réflexion, tirée des pensées de la philosophe Hannah Arendt (p.12) permet de formuler dix critères de préparation à ce choix. Beaucoup sont personnels. Il s’agit d’apprendre à penser par soi-même, à assumer ses convictions, à pouvoir aussi en changer si notre perception du « juste » ou du bien commun se déplace. Mais élire ou voter suppose aussi d’écouter et d’échanger avec ceux qui se disposent à la même démarche. Les Actes des apôtres (p.14) rappellent l’importance d’une réflexion collective mais aussi d’un primat donné à « ce qui nous unit ». Et plusieurs témoignages (p. 9 à 12) soulignent l’utilité d’une confrontation des approches. À condition de pouvoir cultiver la paix face à la contradiction et de refuser la diabolisation de l’opinion contraire. C’est à ce prix que les désaccords ne transforment pas une communauté humaine en société désaccordée. Jean François
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TÉMOIGNAGES Tentation d’abstention . . . . . . . . . . . . . . . . . 8 Écouter d’autres opinions. . . . . . . . . . . . . . . 9 Quel poids à mes critères ? . . . . . . . . . . . . 10 Évolution du vote au cours d’une vie . . . . 11 CONTRECHAMP Dix repères arendtiens avant d’aller voter. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. .12
ÉCLAIRAGE BIBLIQUE Discernement à Jérusalem . . . . . . . . . . . . .. .14 REPÈRES IGNATIENS Un choix délibéré . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. .16
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POUR ALLER PLUS LOIN . . . . . . . . . . . .18
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Chercher et trouver Dieu
Témoignages
tentation d’abstention Face à la désillusion de la politique, que faire d’autre que s’abstenir, semble dire une partie de la population. Pourtant, Adrien a trouvé un autre choix pour ne pas baisser les bras : s’engager autrement. Et peut-être retournera-t-il voter ?
J
Je fais partie de ceux qui étaient place de la Bastille le 6 mai 2012 pour fêter l’élection de François Hollande, un peu parce que j’avais envie d’y croire, et puis pour rendre hommage aux espoirs de mes parents. Pour me faire mon « 10 mai 1981 » à moi.
Face à ces constats, où mon pouvoir d’agir paraît si faible, que faire ? Marcher à rebours du monde, prêter l’oreille à ces alternatives locales qui sont des petites révolutions, avec le risque qu’on me rit au nez, parler de
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Mais comme il y a plus de trente ans, l’enthousiasme est vite retombé. Et s’il est une chose que je ne pardonne pas à ce président : c’est de m’avoir éloigné de la politique. D’avoir signé la fin des illusions de ma génération des trentenaires. De m’avoir réduit au culte de « l’à-quoi-bon », du « tous pourris », toute cette dialectique installée depuis cinq ans en France, y compris chez les
électeurs de gauche. La défiance envers un système politico-médiatique qui ne sait plus comprendre les cris du peuple, une élite sociale dont on a bien du mal à se dire que son but est le bien commun, un système mondial fou où nous cherchons en vain du sens, la sensation que nous vivons dans un régime d ’ a u to e m p o i s o n ne me nt de notre planète qui compromet les chances des générations à venir.
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bien-vivre, remettre en cause le dogme de la croissance quand tout le monde ne cherche qu’à inverser des courbes. Faire confiance à la créativité de la société civile b i e n p l us q u ’ à l a m a rge de manœuvre des politiques pour faire bouger les lignes. Se dire que si le monde n’a jamais connu autant de problèmes, il n’a jamais expérimenté autant de solutions aussi ! Alors, c’est décidé, je n’attendrai plus un changement du système, je vais m’atteler d’abord à me changer moi-même. Devenir un humble « agitateur de solidarités ». Avec la croyance que par l’exemplarité qu’on dégage, on change un peu le monde autour de soi. Je ne sais pas encore si j’irai aux urnes en mai prochain, mais je sais déjà que mon combat se situe ailleurs, dans une vie de tous les jours que je veux réconciliée avec le monde. Et quelque part, je dis merci à François Hollande, qui m’a rappelé à ma responsabilité individuelle de citoyen. Nous sommes tous acteurs de cette société. Adrien
écouter d’autres opinions Est-il possible entre amis de parler politique ? D’entendre d’autres opinions que les siennes et de continuer dans le respect et l’amitié ? Cette mission impossible, Anne l’a vécue avec d’autres et a vu combien une même attente pour la société peut se concrétiser par des votes très différents.
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En avril 2012, l’élection présidentielle approchait et nous avions souhaité, entre amis de CVX, consacrer une partie de notre réunion à ce sujet. L’idée étant qu’on ne peut être chrétien hors sol. Notre thème était « comment je me prépare aux élections à venir ? » avec des aides sous forme de questions : quels sont les principaux critères sur lesquels je fais mon choix ? Quel processus va m’aider à faire ce choix ? Nous avions aussi proposé de faire part de ce choix aux autres si on le voulait. C’était une première : la politique est un sujet un peu tabou au fond. Nous nous connaissions bien sur d’autres plans, mais les options politiques restent un sujet discret. Notre état d’esprit ce soir-là n’était évidemment pas de débattre mais de s’écouter. Et au préalable, d’avoir pu se poser pour examiner les raisons de son choix. Ce qui en soi était déjà une très bonne chose !
dire « je » et non pas « on » (« je lis les programmes », « je trouve ce candidat médiocre », « je suis saturé par la politique »…) et le fait de ne pas chercher à convaincre les autres ou de chercher à justifier son choix. J’ai été très frappée de l’atmosphère de respect palpable qu’il y avait dans notre petit groupe ce soir-là, alors que s’exprimaient des opinions divergentes. Nous partions souvent de ce qui était important pour nous, pour faire société, ce qui a permis aussi de découvrir ou redécouvrir les engagements de certains, quitte à s’étonner intérieurement.
Certains ont même dit que cela les avaient rendus heureux de « pouvoir dire » leurs options politiques, rappelant que « la politique est une bonne nouvelle ». Pour moi, d’entendre l’importance que certains donnaient au « vote utile au premier tour » malgré une prévention contre le candidat, m’a fait m’interroger sur mon propre choix. À mes yeux, c’était une victoire d’être en paix quand d’autres expriment des options différentes des miennes. Nous avons une même attente constructive pour notre vie en société mais nous ne sommes pas dans la pensée unique pour autant. Anne
Tout le monde a joué le jeu, et nous avons fait un tour complet de prise de parole sans commentaires. Dans des partages de ce type, la qualité ressentie tient certainement à deux principes : le fait de janvier/février 2017
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Témoignages
quel poids à mes critères ? Pas si facile d’être rationnelle dans ses choix, découvre Claire. Un algorithme pour choisir son candidat, l’a aidée, de façon inattendue.
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Aux dernières élections présidentielles j’ai décidé de sortir de mes schémas habituels, de mon côté « de toute façon je suis de tel bord », façonnée par mon histoire.
grave, que faut-il faire ? Le mettre en prison, dans un quartier pour mineur, lui imposer un centre fermé … ou bien encore, une usine va fermer. Faut-il qu’elle prouve qu’elle ne va pas rouvrir les mêmes emplois dans un autre pays ?
À un moment, je me suis demandé comment sortir de ces arguments et contre-arguments. Une amie m’avait parlé d’un site internet qui analysait nos réponses à un certain nombre de situations concrètes. D’après mon souvenir, par exemple cela pouvait être : un mineur de 13 ans multirécidiviste est condamné pour délit
Je me suis lancée. Au fur et à mesure des questions, je trouvais ces cas concrets très parlants. J’avais l’impression de vraiment partir de mes valeurs et non réagir à ce qui est proposé. Bien sûr, il y avait des choix très transparents, je retrouvais facilement quel candidat avait ce projet. D’autres étaient étonnants. Ah bon ? Des candidats ont proposé cette solution ? J’étais assez heureuse d’avoir écouté mon amie et d’avoir un nouvel outil pour me décider.
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Pour cela j’avais besoin d’outils. Il y avait les comparaisons des programmes des candidats dans différents journaux de divers bords, les interpellations d’associations sur des sujets qui me tiennent à cœur (pauvreté, éducation, Europe…) et aussi sur des sujets dont je me sens plus loin mais qui ont pu révéler des facettes étonnantes du candidat. Pourtant, je me suis aussi méfiée de
ces réponses dans ces journaux pointus monothématiques, car le candidat n’ayant pas le temps de répondre à toutes les sollicitations, c’est souvent les experts de son équipe de campagne qui répondent pour lui.
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Mais la réponse finale est arrivée. Quelle surprise quand j’ai vu avec quels candidats j’avais le plus fort pourcentage d’affinité ! Cela correspondant peu à mon vote habituel, cet algorithme m’a surtout servi à me réinterroger sur le poids de mes critères les uns par rapport aux autres. Et m’a encouragée à creuser de nouveaux sujets comme les prisons. Claire
évolution du vote au cours d’une vie Entre influences familiales, expériences professionnelles et choix rationnels de critères décisifs, Christian constate les évolutions de son vote au cours de sa vie. cru’’. Depuis cette période, je me sens très profondément européen et mon premier critère de vote est plus que jamais la volonté de construire et renforcer l’Europe ; c’est ainsi qu’aux dernières élections européennes, j’ai voté pour une femme profondément impliquée dans la construction européenne mais d’un parti pour lequel je ne vote pas habituellement. Mon vote est aussi dépendant de considérations économiques et là, le principe de réalité doit aussi s’appliquer. Passionné de politique, l’information et le débat d’idées sont pour moi autant un
devoir qu’un plaisir. Ainsi, je lis quotidiennement un grand journal du soir, un hebdomadaire chrétien et je reçois sur mon smartphone un journal numérique de gauche et un de droite. Enfin presque tous les soirs, j’ai plaisir à regarder les deux débats politiques sur ‘’Public Sénat’’. Dès lors, pour les prochaines élections, je me sens libre de mon choix et voterai pour la personne qui incarnera le mieux, dans l’ordre : l’Europe, la justice sociale (y compris l’accueil des migrants), et aura un programme économique crédible ! Christian
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Pendant une dizaine d’années, étudiant puis marié et jeune ingénieur, je votais comme mes parents, comme ma famille, sans me poser trop de questions : mon vote était ‘’naturel’’. Et puis, après la trentaine, ‘’j’ai viré de bord politique’’. Pourquoi ? Certainement pas à la suite d’un ‘’raisonnement cartésien bien construit’’, ni en réaction à mes parents. En revanche, le fait que mon épouse et moi vivions à 600 km d’eux, avions déjà deux enfants m’a donné une grande liberté dans mes choix de vie et en particulier, je me suis senti totalement libre de mes choix politiques. Dès lors, je n’ai eu aucune difficulté à voter pour un parti pour lequel mes parents n’auraient jamais voté mais qui me paraissait, à l’époque, le plus préoccupé de justice sociale. Puis ce fut pour moi une période intense de voyages à l’étranger pour mon travail (Europe bien sûr, mais aussi Amériques du Nord et du Sud, Afrique, Proche-Orient…), j’étais très heureux de découvrir des univers différents et de travailler dans des usines avec des ingénieurs mais aussi avec des ‘’ouvriers du
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Chercher et trouver Dieu
Contrechamp
dix repères arendtiens avant d’aller voter Philosophe, « théoricienne de la politique », Hannah Arendt est encore étudiée pour ses travaux. S'appuyant sur son œuvre, Véronique Albanel pointe pour nous dix critères pouvant éclairer notre vote.
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En ces « temps sombres » et à quelques mois des élections, peuton espérer trouver quelque lumière du côté de Hannah Arendt, elle qui s’affirmait ni de droite ni de gauche ? C’est le pari qui est fait ici à travers les dix repères suivants :
Véronique Albanel, philosophe, enseignante au Centre Sèvres, membre de JRS, énarque, juge administratif, elle a consacré sa thèse de doctorat au rapport entre politique et christianisme chez Hannah Arendt. Amour du monde : christianisme et politique chez Hannah Arendt, Cerf, 2010.
1. Édifier un monde, p. 102.
Participer aux élections est le premier repère évident. Devenue citoyenne américaine après être restée dix-huit ans apatride, Arendt connaissait le prix d’une voix d’électeur. Même si elle jugeait l’isoloir trop étroit, réclamant des lieux politiques pour parler et agir à plusieurs, même si elle savait les électeurs manipulés, elle voulait avec d’autres « participer, faire entendre publiquement notre voix, déterminer l’orientation de notre pays ». Il importe donc de participer à la vie citoyenne, sans pour autant tout attendre des élections. Penser par soi-même constitue un leitmotiv de la pensée d’Arendt. Rester indépendant
dans sa pensée et son jugement suppose de « ne parler jamais qu’en son propre nom », de refuser l’idéologie et l’opinion publique. Rien de simple ici : saturés d’information et confrontés à la complexité des événements, il est difficile de se forger une opinion. Il convient alors de s’exercer à penser, à juger, quitte à se tromper.
dès l’origine, comme l’enseigne le récit de la Genèse : « homme et femme, il les créa ». L’unité de la nation ne saurait donc se faire au détriment de la pluralité des visages, des expressions, des cultures ou des confessions.
Distinguer la vie publique de la vie privée est une exigence. Car il convient à la fois de protéger ce qui est intime du regard public, et de s’arracher au souci de la vie personnelle en quittant son abri privé. Tel est le courage d’une vie politique. Arendt met ainsi en garde contre l’intrusion de la vie intime sur la scène publique, la politique étant un espace réservé aux questions qui « sont dignes d’être discutées en public »1.
Changer de point de vue signifie rester impartial. Pour Arendt, il est décisif de voir les choses sous différents angles, de se déplacer de point de vue en point de vue pour parvenir à un « mode de penser élargi ». C’est ainsi qu’elle envisage une affaire de discrimination raciale à l’école, en se mettant successivement à la place d’une « mère noire du Sud » puis d’une « mère blanche du Sud ». L’enjeu est d’être capable de se décentrer de ses intérêts catégoriels pour parvenir à une liberté et une indépendance du jugement.
Goûter la pluralité est une joie. Rien de mièvre ici, mais une invitation à reconnaître « la loi de la terre », la loi de l’humanité, celle d’une réalité plurielle
Exercer ses pouvoirs de citoyen, c’est « commencer du neuf ». Nous sommes lassés, usés et désabusés des affaires publiques. Et pourtant, Arendt
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Refuser de « devenir un dragon » est une nécessité. Il s’agit ici de refuser de diaboliser l’adversaire, c’est-à-dire « de combattre un dragon (…) et d’en devenir un soi-même ». Car « si nous devenons nous-même dragon, peu importe lequel des deux monstres survivra finalement. La lutte aura perdu de son sens »2. Il importe donc de refuser de couper le monde en deux : bons/ mauvais, amis/ennemis, chrétiens/ non chrétiens, nous/ eux. Reconnaître l’humanité commune et en assumer la responsabilité est un défi. Car « l’idée d’humanité, une fois débarrassée de tout sentimentalisme, comporte une conséquence de poids sur le plan politique : (…) nous devons prendre sur nous la responsabilité de tous les crimes commis pas les hommes ». Cela signifie « comprendre, dans la crainte et le tremblement, ce dont l’homme est capable (…) ; c’est sur ceux qui sont saisis d’une peur véri-
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nous enseigne que le « miracle » du commencement politique est à notre portée. Même si nous traversons des « époques de pétrification », un nouveau commencement reste possible. Car les hommes disposent du pouvoir de corriger l’imprévisible et de réparer l’irréversible, grâce aux pouvoirs de parler et d’agir ensemble, de promettre et de tenir leur promesse, de pardonner et de faire confiance à nouveau. Autant de miracles humains qui sommeillent en chacun de nous. ▲ « L’unité de la nation ne saurait donc se faire au détriment de la pluralité des visages, des expressions, des cultures ou des confessions », selon Hannah Arendt.
table devant la faute inéluctable du genre humain, sur eux et sur eux seuls, qu’on pourra compter pour affronter partout (…) le mal dont les hommes sont capables et qui est sans limites »3. Redoutable enjeu qui suppose d’assumer une responsabilité politique étendue tout en écartant la culpabilité, exclusivement personnelle et juridiquement fondée. Se reconnaître faillible, complice du mal commis, permet de ne pas se prétendre « pur », tout en luttant contre le mal. Se soucier du monde commun est notre horizon d’humanité. Ce monde dont Arendt nous confie le souci est celui des hommes reliés par la parole et par l’action, celui que nous choisissons de construire chaque fois que nous faisons confiance, en nous risquant dans l’espace public, en osant des relations d’ami-
tié. Alors dit-elle : « Que faire maintenant ? Aujourd’hui pour la première fois, nous pouvons construire ensemble un monde contre la mort – ou ‘perdre notre temps’ ». Aimer le monde et partager la terre, tels sont les enjeux ultimes. Il nous revient ici de décider « si nous aimons assez le monde pour en assumer la responsabilité et, de plus, le sauver de cette ruine qui serait inévitable sans ce renouvellement et sans cette arrivée de jeunes et de nouveaux venus ». Il nous revient de décider « si nous aimons assez nos enfants pour ne pas les rejeter de notre monde ». Dans l’esprit d’Arendt, qui n’a jamais eu d’enfants, il s’agit des enfants de la terre.
2. Penser l’événement, 1989, p. 167-168. 3. Ibid. p. 33-34.
Véronique Albanel janvier/février 2017 13
Chercher et trouver Dieu
Éclairage biblique
discernement à jérusalem Des fidèles issus du pharisaïsme intervinrent alors pour soutenir qu’il fallait circoncire les païens et leur prescrire d’observer la loi de Moïse.
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Les apôtres et les anciens se réunirent pour examiner cette affaire.
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Comme la discussion était devenue vive, Pierre intervint pour déclarer : « Vous le savez, frères, c’est par un choix de Dieu que, dès les premiers jours et chez vous, les nations païennes ont entendu de ma bouche la parole de l’Évangile et sont devenues croyantes.
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Dieu, qui connaît les cœurs, leur a rendu témoignage, quand il leur a donné, comme à nous, l’Esprit saint.
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Sans faire la moindre différence entre elles et nous, c’est par la foi qu’il a purifié leurs cœurs.
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Dès lors, pourquoi provoquer Dieu en imposant à la nuque des disciples un joug que ni nos pères ni nous-mêmes n’avons été capables de porter ?
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Encore une fois, c’est par la grâce du Seigneur Jésus, nous le croyons, que nous avons été sauvés, exactement comme eux ! »
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Il y eut alors un silence dans toute l’assemblée, puis l’on écouta Barnabas et Paul raconter tous les signes et les prodiges que Dieu, par leur intermédiaire, avait accomplis chez les païens.
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Quand ils eurent achevé, Jacques à son tour prit la parole : « Frères, écoutez-moi.
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Syméon vient de nous rappeler comment Dieu, dès le début, a pris soin de choisir parmi les nations païennes un peuple à son nom.
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Cet événement s’accorde d’ailleurs avec les paroles des prophètes puisqu’il est écrit :
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Après cela, je viendrai reconstruire la hutte écroulée de David. Les ruines qui en restent, je les reconstruirai, et je la remettrai debout.
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Dès lors le reste des hommes cherchera le Seigneur, avec toutes les nations qui portent mon nom. Voilà ce que dit le Seigneur, il réalise ainsi ses projets
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connus depuis toujours.
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Je suis donc d’avis de ne pas accumuler les obstacles devant ceux des païens qui se tournent vers Dieu.
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Écrivons-leur simplement de s’abstenir des souillures de l’idolâtrie, de l’immoralité, de la viande étouffée et du sang.
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Depuis des générations, en effet, Moïse dispose de prédicateurs dans chaque ville, puisqu’on le lit tous les sabbats dans les synagogues. »
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Actes des apôtres 15, 5-21 Traduction œcuménique de la Bible
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C'est la crise au sein de l'Église chrétienne. Paul et Barnabas sont arrivés à Antioche et ont proclamé ce que Dieu avait réalisé avec eux en ouvrant aux païens la porte de la foi. Certains sont déstabilisés et ont demandé à ce que les nouveaux convertis se fassent circoncire et observent la loi de Moïse. Le différend doit être réglé à Jérusalem où Paul et Barnabas sont accueillis par l'Église, les apôtres et les anciens. Chacun devrait parler à tour de rôle, mais la discussion est vive, entre fidèles issus du pharisianisme et les autres. D'un côté les gardiens de la toute nouvelle identité chrétienne telle qu'ils la perçoivent, de l’autre les enthousiastes de la conversion des nations païennes. Un conflit entre fidèles de bonne volonté Des deux côtés, nous avons affaire à des fidèles authentiques. Ceux issus du pharisianisme se sont laissés convertir à la miséricorde de Dieu qui sauve tous les juifs, y compris les publicains et les pécheurs. Pour eux le don de l’Esprit aux païens est le signe de la volonté de Dieu de les voir rejoindre le peuple sauvé et donc d’en adopter les lois. Il convient dès lors de parachever ce que Dieu a commencé en eux. Les enthousiastes sont tout aussi convaincus : le Seigneur a rejoint des hommes et des femmes audelà du peuple juif. Pourquoi leur demander de rejoindre la loi de Moïse et le peuple juif puisqu'il les a touchés au-delà des limites du peuple juif ? Si la discussion est vive, c’est qu’elle touche aux convictions intimes de chacun, qu’elle risque de remettre en cause ce sur quoi chacun se sent construit par le Seigneur. Alors même que la discussion porte sur les conditions de l'intégration des non-juifs, c'est l'unité de l'Église des origines qui est en cause, ce conflit mettant au jour des différences entre ses membres. Passer des différences à ce qui unit L’intervention de Pierre partira de ce qui réunit les fidèles : « il leur a donné comme à nous l'Esprit saint. Sans faire la moindre différence entre elles et nous ». Et des dons de Dieu pour les chrétiens juifs : « C'est par la grâce du Seigneur Jésus que nous avons tous été sauvés, exactement comme eux. ».
Le climat revient aussitôt à l'écoute (« Il y eut alors un silence »), permettant aux « ré-unis » d'écouter « jusqu’au bout » Barnabas et Paul. Puis à Jacques de faire des propositions d'une observance adaptée aux cas des nouveaux chrétiens. La décision qui suivra (v.22) est prise en consensus : « d'accord avec toute l'Église, les apôtres et les anciens décidèrent (v.25) unanimement ». Elle sera donc facteur d'unité pour la communauté toute entière. En vue d'un vote : grandir en liberté Pour préparer tout vote, Pierre nous indique un point de vigilance à l'aune du joug excessif que nous pourrions imposer à certains. Surtout, si ce qui nous fonde influence légitimement nos opinions, ce passage peut nous aider à grandir en liberté par rapport à notre histoire, en revenant à ce qui nous unit à autrui, plus qu'à ce qui nous en sépare. Nous pourrons alors discerner en vue du bien commun. Olivier Piganeau – CVX
points pour prier + Me voici : « vois-moi ici » Seigneur. Je demande la grâce de voir l'Esprit à l'œuvre en chacun, présent à tous. + « Des fidèles issus du pharisaïsme ». Même s'ils ont une opinion différente, ils ont eux aussi été touchés par Dieu. Contempler avec les yeux de Dieu ceux qui ont une opinion différente de la mienne, en politique, au travail, dans mes engagements, en famille, en Église + « Pourquoi provoquer Dieu en imposant à la nuque des disciples un joug ? ». Mes convictions politiques, religieuses, morales imposent-elles un joug à certains ? Contempler avec le cœur de Dieu ceux que nous mettons à rude épreuve. + « Il y eut alors un silence puis on écouta » A quelle écoute du cœur, à quels pas m'invite ce texte ? + Je les confie au Seigneur. janvier/février 2017 15
Chercher et trouver Dieu
Repères ignatiens
un choix délibéré Comment la spiritualité ignatienne peut-elle éclairer un vote ? De la même manière qu’elle aide à prendre toute décision : en mettant en lien ses valeurs et ses choix, en se rendant libre de ses habitudes, de son milieu pour envisager toutes les possibilités, indique Étienne Perrot s.j.
J Étienne Perrot s.j., théologien et économiste, est spécialisé dans les problèmes de discernement et de prise de décision dans la vie professionnelle. Exercices spirituels pour managers, Desclée de Brouwer, 2014. L’art de décider en situations complexes, Paris, Desclée de Brouwer, 2007
Je vote pour Turquoise, je vote contre Magenta. Le plus souvent, je vote selon mon idéologie, ou bien selon l’attrait du candidat : il est gentil, pas triste. C’est avouer que la passion, l’imagination, voire le ressentiment, l’emportent sur la raison. Je suis ici en bonne compagnie, non pas celle de Jésus, mais celle de Blaise Pascal : « Les raisons me viennent après » écrit-il au duc de Rouannez. Chez moi aussi, les raisons me viennent après avoir choisi. Ce n’est pas glorieux ! Loyola, avec ou sans « Exercices », met en garde contre ces passions désordonnées ; il m’apprend à couler mon choix dans la raison. Non pas pour « avoir raison » lorsque se dévoilera l’issue du scrutin, mais pour mettre en relation (c’est ça la raison) mon pouvoir d’électeur et mes valeurs.
Comment faire ? trois étapes D’abord formuler une alternative « vraie ». Contre l’évidence que c’est Turquoise qui doit être élu, je suspends un instant mon
jugement. Il me faut sortir de ce faux dilemme « Je penche pour Turquoise pour écarter Magenta » ; car je ne choisis pas entre Turquoise et le néant. Une alternative « vraie » est celle où la seconde option n’est pas simplement la première assortie d’un signe négatif. Même si Magenta est un sombre crétin qui a prouvé par le passé son incapacité, je cherche ce que sa candidature pourrait apporter à la vie publique, ou ce qui manque à Turquoise pour que ses promesses soient davantage ajustées à mes aspirations. (Si je ne trouve rien de tel pour contrebalancer mon jugement favorable a priori en faveur de Turquoise, si je ne vois pas d’alternative, j’arrête là. Il n’y a plus de discernement ni de choix possible. Autant dire que mon milieu, la culture ambiante, mes habitudes, mes amitiés, ont choisi pour moi.) La deuxième étape consiste à mettre à l’épreuve l’option vers laquelle spontanément je penche. La mettre à l’épreuve, c’est d’abord mettre en lumière
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mes motivations. C’est ensuite passer chacune d’elles au feu de la contradiction. Selon la formule d’une actrice française, « j’ai une attente positive » envers Turquoise. C’est un signe, mais ce ne peut pas être une conclusion. « Attente positive », est-ce synonyme de « bon pour moi », ou de « favorables aux électeurs de Turquoise », de « avantageux pour la circonscription où je suis installé », ou encore de « gratifiant pour mon pays » ? Et surtout, « attente positive » est-ce le synonyme de justice ? Peut-être. Mais de quelle justice s’agit-il ? Celle qui vise à maintenir à toute force l’ordre public, ou celle qui, sans lâcher ce premier objectif, vise aussi à rendre à chacun ce qui lui est dû ? Cette promesse de justice va-t-elle au-delà des droits civils et politiques rappelés par la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 - et deux siècles et demi auparavant, par la bulle Veritas ipsa du pape Paul III en 1537 qui, contre les conquistadors, et à la fureur de Charles Quint, interdit la spoliation et l’esclavage des
Indiens d’Amérique « quand même ils ne seraient pas chrétiens ». La justice visée par mon vote englobe-t-elle non seulement les droits sociaux proclamés par la Déclaration universelle des Droits de l’Homme (ONU 1948) mais encore une culture, notamment religieuse, qui rendent désirables – et pas seulement possibles – les droits officiellement reconnus ?
Ces questions me laissent la conscience en paix. Ce n’est pas suffisant. Et si Turquoise n’est pas élu ? Et si, élu, il me déçoit ? Cet échec envisagé me laisse-il encore l’âme tranquille quand je m’apprête à voter pour lui ? Admettons que mon sentiment favorable surmonte l’échec envisagé. L’option « Turquoise » résiste au feu de la contradiction ; je vois donc bien mon candidat au pouvoir. Mais de quoi, de qui, de quel hasard, à quelles conditions dépend le succès de sa politique ? C’est devant ces incertitudes que se révèle le sérieux de mon option première. L’ o p t i o n Tu rq uo i s e a p a s s é l’épreuve de l’échec envisagé. Les familiers des Exercices de Loyola auront reconnu dans cette deu-
© Maurusone / iStock
Au-delà de cet horizon des droits humains, surgit la question essentielle : justice pour qui ? Justice pour quand ? Et qui en paiera le prix ? C’est seulement devant ceux qui en supporteront le coût que je peux savoir si les promesses de Turquoise « valent le coût ». Car une valeur n’est jamais que ce qui donne sens à un coût.
▲ Tester sa liberté en considérant toutes les options de son vote sans apriori
xième étape le reflet de la troisième semaine des Exercices, celle qui contemple l’échec humain de Jésus. Mais la « négativité », comme disent pompeusement les philosophes, aussi nécessaire soitelle pour un choix raisonné, n’est pas le dernier mot. La troisième étape consiste à valider mon choix. Bien menée, la deuxième étape m’a rendu libre d’envisager sereinement l’option contraire, l’option Magenta, sans ressentiment, sans a priori, avec le présupposé de bienveillance que Loyola demande à qui entre dans ses fameux Exercices. Un
autre test de validation pourrait être de reconsidérer l’option Turquoise si un élément nouveau venait à apparaître – ici encore, en la passant au feu de la contradiction. Une autre manière de valider mon choix est l’attention avec laquelle je suis capable d’écouter un ami qui me présente d’autres arguments (favorables à Magenta ou défavorables à Turquoise). La validation ne consiste évidemment pas à prendre l’option du dernier qui parle, mais à tester ma liberté qui est passée par le feu du doute. Étienne Perrot s.j. janvier/février 2017 17
Chercher et trouver Dieu
pour aller plus loin Des pistes pour un partage • Comment est-ce que j’aborde cette année électorale ? Est-ce que mon choix est déjà fait ou est-ce que je cherche à m’informer davantage ? Qu’est-ce qui compte pour moi et qui oriente mon choix ? Quels sont les moyens que je me donne pour me faire une opinion personnelle ? • Avec qui puis-je parler de ces questions politiques ? Ma CL peut-elle m’aider dans mon discernement ? La CVX propose une démarche dans sa newsletter mensuelle, quels échos dans ma CL ? Et puis il y a les textes de l’Église : doctrine sociale de l’Église, textes de la Conférence des Évêques. Comment toutes ces paroles venant des autres prennent place dans ma réflexion ? • Comment, dans cette période électorale, puis-je agir au service du Royaume de Dieu ? Quel point de vigilance je me donne ? Quel acte concret je peux poser pour avancer vers une société plus fraternelle ?
À lire : • Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique Conseil permanent des Évêques de France – Oct. 2016 – 4 e Les évêques de la Conférence des évêques de France prennent la parole parce que les catholiques, ne peuvent se désintéresser de ce qui touche à la vie en société, à la dignité et à l’avenir de l’homme.
LA POLITIQUE
La politique
Crise et désir de renouveau
•S ur le site editionsviechretienne retrouvez une réflexion sur le texte des évêques invitant à la fraternité.
Hors-série 2016
• La politique. Crise et désir de renouveau 15 euros À commander sur www.revue-etudes.com Ce hors-série est l’occasion de réfléchir à ce que nous voulons faire de la vie politique. Les Français aiment la politique mais sont déçus par les formes qu’elle prend et par ceux qui l’incarnent. HORS-SÉR IE
•E xtrême-droite : écouter, comprendre, agir 13 euros À commander sur www.revue-projet.com La politique peut-elle encore faire rêver, s’interroge le dernier numéro de la revue Projet afin de faire face à la séduction du Front National.
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contempler une œuvre d'art
Je suis avec lui dans Je veux le libérer, le glorifier, et je ferai ▲ Pélerins dans la tempête, de Alain Gadenne. Travail de photo et techniques mixtes.
© Alain Gadenne
son épreuve.
qu’il voie mon Salut. (Psaume 91)
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Se former
École de prière
prier chaque jour, avec quel texte ? Parfois la prière devient aride ou tourne à la routine. Peut-être peut-on la revivifier en revisitant son support, en arrivant avec ce qui fait sa vie, ses peines et ses joies, en retrouvant un sens à ce rendez-vous avec le Seigneur. MAIS AVANT TOUT QU’EST-CE QUE PRIER ?
C’est un moment de rencontre personnelle avec le Seigneur que je privilégie au cœur de ma journée. Pour apprendre à connaître le Seigneur, le recours régulier à l'Écriture est indispensable. Je ne vais pas m’arrêter sur la méthode, je vous invite à la rechercher dans les pages de la Revue sur son site (editionsviechretienne.fr) ou sur celui de Notre Dame du Web (NDweb.org).
CEPENDANT VOICI QUELQUES ÉTAPES PRÉALABLES
• Je prépare ma prière : je fixe l’heure et une durée réaliste et je m’y tiens. Il ne s’agit pas de me poser la question de savoir si j’ai envie ou pas. Je ne pars pas de moi et de mes états d’âme, mais de Dieu, en présence de qui je me tiens. • Comme le suggère Ignace (Ex. sp. 48), j’ose demander à Dieu notre Seigneur ce que je souhaite et désire. Quelle grâce lui demander ? • Je choisis un support à l’avance. Ignace préconise de préparer mon temps de prière la veille avant de m’endormir si je prie le matin.
1/CHOISIR LES TEXTES DE LA LITURGIE DU JOUR L’évangile, le psaume, la (les) lecture(s) sont une vraie nourriture que je reçois avec tous les chrétiens dans le cadre de la vie liturgique. Ils sont un moyen de prier au rythme de l’Église.
2/ CHOISIR UN TEXTE EN FONCTION DE CE QUE JE VIS Si je suis dans la souffrance, la détresse, je peux choisir : • Une guérison et contempler Jésus qui guérit et qui envoie. Matthieu 8 ; Matthieu 12, 15. • Un texte qui m’invite à la confiance Luc 12, 3334 ; Matthieu 6,25-34, le Psaume 22(21) • De prier avec le Pater. Matthieu 6, 7-14. • D’être éclairé dans ma situation actuelle sur la paix que je désire : Psaume 84(85). • De prendre conscience de tout ce qui me sépare 20 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 45
du Seigneur, et de lui présenter mes attentes, mes appels. Lui redire ma confiance : Psaume 129(130). • Que mes blessures peuvent être le moment d’aller vers le Seigneur qui m’aime profondément, me connaît mieux que moi-même et qui me relève par sa grâce toute puissante : 2 Corinthiens 1, 4. Si je suis sur le point de faire un choix, de faire un discernement je peux choisir : • Matthieu 13,14 décider de sa vie, c’est chercher et trouver le trésor caché, mon désir profond. • Deutéronome 30,15-20. • Psaume 16 (15).
• Marc 10, 17-23 et 46-56. • Romains 12,1-8. • 1 Corinthiens 12,7-11. Si j’ai un différend en famille ou au travail, je peux choisir • Luc 6, 27-35 ; Luc 6,36-38, Matthieu 5,43-48 ; et demander la grâce du pardon, de l’accueil de la différence, de l’amour. • Le Psaume 50 (51) pour faire appel à l’amour de Dieu et m’arrêter sur les expressions qui révèlent mon expérience de pécheur pardonné.
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Si je souhaite mieux entrer davantage dans la prière elle-même : • Je peux contempler Jésus priant dans la montagne : Luc 6, 12-13 ; Luc 22,39-53. • Je peux laisser venir à ma mémoire tout ce qui m’a marqué heureusement et fortement dans ma vie de foi mais aussi ce qui me manque aujourd’hui : Psaumes 41-42(42-43). • Je peux aussi reprendre mes notes de relecture d’une méditation qui m’a été donnée lors d’une retraite.
▲ À lire ou à écouter, la Parole est nourriture que je reçois avec tous les chrétiens.
3/ CHOISIR UN PSAUME SELON CE QUE JE CHERCHE • Le Psaume 1 nous place devant le choix fondamental de toute existence ; aller vers la vie ou vers la mort. • Le Psaume 4 est marqué par une atmosphère de paix et de sérénité. L’auteur exprime sa confiance en Dieu face des personnes qui ne partagent pas son opinion. • Le Psaume 8 commence et finit par un refrain de louange adressée au Seigneur. • Le Psaume 15 (16) est une déclaration d’amour que je peux faire au Seigneur « je suis tout à toi, tu es tout pour moi ». • Le Psaume 18 (19) et le 118(119) : la création rend gloire à Dieu. • Le Psaume 130(131) est le psaume de la simplicité, de la confiance.
• Le Psaume 143(144) avec tout le réseau de relations, je peux présenter au Seigneur les cris, les attentes et les joies de ce monde. • Le Psaume 150 est le psaume de la louange qui me renvoie à ma propre manière de louer le Seigneur.
Livres à retrouver sur :
editionsvie chretienne.com
4/ CHOISIR DES LIVRES DE SPIRITUALITÉ Ils donnent des pistes pouvant m’aider dans la prière, notamment les livres de Vie Chrétienne comme « Prier dans l’instant » et tous ceux de la collection « école de prière ». Sr Josseline Causse
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Se former
Expérience de Dieu…
au service de la foi des petits et des jeunes Après un accident et un deuil, Véronique doit se reconstruire. Ce sera, entre autres, à travers l’écriture de livres et la transmission de la foi dans différents lieux et services au cours des 25 dernières années.
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plir ce deuil si difficile à faire : vivre les funérailles de mon frère… J’avais besoin de goûter à la consolation de l’Église en sa liturgie et d’entendre l’espérance de la Parole de Dieu. Il m’a donc fallu inventer les funérailles de Vincent et c’est en écrivant un petit guide des funérailles chrétiennes que j’ai pu les vivre et que j’ai pu revivre ! Cet acte d’écriture fut l’occasion d’un approfondissement de ma relation à Dieu mais il fut aussi un acte de transmission : je voulais partager avec d’autres qui vivaient la même épreuve du deuil, ce
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28 juin 1991. La route fauche mon frère Vincent. Victime de ce même accident, plongée dans le coma, je ne peux assister à ses funérailles. J’apprends sa mort à mon réveil. Hospitalisée, il me faut survivre et je remets à plus tard l’évidence : il n’est plus ! Mais sa chambre vide, sa photo sur le buffet me rappelle que son absence s’éternise… Il m’aura fallu de longs mois pour commencer à accepter sa mort. Ce long chemin a creusé en moi le désir de Dieu et a fait grandir ma foi en Jésus ressuscité mais il me manquait une chose pour accom-
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que je découvrais de la foi et de ce qui la fonde, l’espérance en la Résurrection.
Transmettre fait grandir la foi Après le deuil et une hospitalisation longue, vint le temps de la reconstruction. Je fus alors appelée à travailler au Service diocésain de la catéchèse de Paris comme responsable du Service de l’éveil de la foi. Éveiller mes propres enfants à la foi, à la maison, en paroisse et participer en équipe diocésaine à la formation d’autres parents me réveillaient à la vie et à la foi et me reconstruisaient de l’intérieur. J’apprenais à formuler ma foi et je notais soigneusement toutes les grandes questions existentielles sur Dieu, la foi, l’Église et la vie que ne manquent pas de poser les jeunes enfants. Plus tard, j’en ferai une collection de livres pour les 3-7 ans et leurs parents. Il y eut aussi la participation à la rédaction du parcours catéchétique du diocèse de Paris/ Toulon : une riche expérience de travail en équipe. Toute transmission est un acte de témoi-
gnage. La foi grandit et s’affine quand on cherche à la partager et à la formuler avec d’autres. Je découvrais par cette expérience de transmission forte, le visage d’un Dieu incroyablement agissant et m’appelant à la vie ! J’expérimentais la consolation de Dieu. Puis vint l’opportunité d’animer une émission pour les enfants puis pour les éducateurs sur KTO Télévision. Dans cette dernière, il s’agissait de donner des éléments de réponse avec un bibliste et une psychologue à toutes les grandes questions sur Dieu des grands enfants et des adolescents. Je pouvais mettre à profit tout ce que j’avais reçu au Service de la catéchèse et j’en étais heureuse. Dans le même temps, comme pour achever l’acte de transmission et le partager largement, je rédigeais de petits livres pour les enfants et les ados. Au fur à mesure que mes enfants grandissaient, le Seigneur me donnait l’occasion d’exprimer et de partager la foi que je voulais leur transmettre, à un âge donné, au-delà du cercle familial dans ma vie professionnelle et par ma passion, l’écriture.
Les JMJ : la miséricorde partagée Aujourd’hui, mon aîné est étudiant et j’ai repris des études de théologie. Il y a deux ans, on m’a proposé de faire partie de la commission pédagogie des JMJ de Cracovie. « Bienheureux les miséricordieux, car ils
Les Journées Mondiales de la Jeunesse Les 31ème JMJ ont eu lieu du 26 au 31 juillet 2016 à Cracovie. Les JMJ ont été instituées par le pape Jean-Paul II en 1986. Elles sont une fête de la foi à l’occasion de laquelle des jeunes de tous horizons se rencontrent et font l’expérience de l’amour de Dieu. Les jeunes pèlerins sont d’abord accueillis par les familles du pays d’accueil, lors des pré-JMJ dans les diocèses de tout le pays. Ils convergent ensuite vers la métropole pour une semaine d’évènements culturels et spirituels qui s’achève par une veillée de prière et une messe de clôture présidée par le Saint-Père. L’équipe nationale, une cinquantaine de bénévoles français, a travaillé deux ans avant l’évènement pour préparer ces JMJ qui ne se réduisent pas aux journées dans le pays mais commencent bien en amont, dans les différents diocèses de France.
obtiendront miséricorde », tel était le thème de ces JMJ. La préparation et le vécu de ces JMJ en équipe nationale puis avec l’Église universelle fut un temps d’une richesse extraordinaire : découverte avec d’autres et par les autres de l’insondable miséricorde divine, fondement de toute théologie ! Service des jeunes et de leurs accompagnateurs sur ce chemin, joie d’être membre de l’Église universelle ! Je réalise aujourd’hui combien à chaque étape de la vie « Le Seigneur était là et je ne le savais pas » (Genèse 28,16) et que son nom est miséricorde. Dieu a tracé avec les événements le fil rouge de ma vie en me convoquant librement à une Alliance avec lui, me connaissant mieux que moi-même et mettant sur mon chemin juste ce qu’il faut pour construire ma vie présente. Une invitation à la confiance même si on ne voit pas toujours très clair ! Véronique Westerloppe
une théologienne relit cette expérience Toute vie humaine est expérience de précarité, précarité physique de nos vies, précarité de nos inscriptions sociales. Vivre en Église ne préserve pas de cette précarité. Mais l’écoute active et attentive permet de découvrir la fidélité de Dieu qui nous trace un chemin.
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Se former
Lire la Bible
débora, une femme juge parmi les juges Il n’y a pas que des prophètes dans l’Ancien Testament, il existe aussi des juges. Et parmi eux, une femme. Cette figure exceptionnelle est l’occasion de revenir sur le rôle des juges dans l’histoire d’Israël, qui appellent sans cesse à la fidélité et combattent l’oppresseur.
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Avant d’évoquer la figure de Débora, l’unique femme à la fois juge et prophète reconnue comme telle dans la Bible, il nous faut la situer dans l’histoire du peuple hébreu.
de Samuel, le dernier des juges. C’est lui qui donnera l’onction à Saül puis à David, inaugurant un temps nouveau marqué par l’avènement de la royauté.
Et pour cela ouvrir le Livre des Juges, dans l’Ancien Testament.
La disparition de Josué avait laissé un grand vide politique à la tête des tribus d’Israël. Or, il était essentiel de faire mémoire de la libération de l’esclavage et de l’Alliance conclue au désert avec le Seigneur afin de préserver le peuple d’une assimilation trop rapide dans les populations conquises. C’était la fonction de l’importante organisation de la vie sociale et religieuse mise en place par Moïse. Et chaque génération, l’une après l’autre, était appelée à vivre de cette Alliance… Ce qui n’allait pas de soi évidemment et la Bible s’en fait l’écho :
© Deborah, Charles Landelle, 1871
Ce livre couvre toute la période qui suit la mort de Josué, successeur de Moïse. Josué, premier chef à entrer avec les Hébreux dans la Terre promise. Jusqu’au temps
▲ Débora convainc le peuple de revenir au Seigneur.
« Il s’éleva après la génération qui était entrée dans la Terre promise une autre génération qui ne connaissait point l’Éternel, ni ce qu’il avait fait en faveur d’Israël. Les fils d’Israël firent ce qui est mal aux yeux du Seigneur et ils servirent les Baals » (Juges 2,10-11)
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Des juges pour rétablir le culte Le Livre des Juges relate comment le développement prospère d’Israël, désormais établi en Canaan, est entravé par ses infidélités envers la loi du Seigneur. Au contact de ses voisins, le peuple d’Israël se laisse contaminer par des pratiques idolâtres provoquant la colère du Seigneur. La conséquence pour le peuple d’Israël est l’alternance continue de périodes de paix suivies de temps de décadence et de domination étrangère. C’est dans ce contexte qu’apparaît à chaque fois un juge, issu d’une tribu d’Israël ou d’une autre, appelé pour rétablir le culte véritable. Et cela, douze fois de suite ! Suscitant, par la relecture de ces expériences douloureuses, la prise de conscience par le peuple que le Seigneur est fidèle. Voilà le déroulement du cycle : • Le peuple se laisse contaminer par les pratiques des pays voisins et s’éloigne du Seigneur. • Face à son infidélité, le Seigneur le met à l’épreuve. Un oppresseur d’un pays voisin survient
Débora, l’abeille ou la femme de feu C’est dans ce livre qu’apparaît Débora : « Or, Débora, une prophétesse, femme de Lappidoth, jugeait Israël en ce temps-là. » Elle siégeait sous le Palmier de Débora, entre Rama et Béthel, dans la montagne d’Éphraïm, et les fils d’Israël venaient vers elle pour faire arbitrer leurs litiges. » (Juges 4,4-5) « Les guides manquaient, ils manquaient en Israël, jusqu’à ce que je me lève, moi, Débora, jusqu’à ce que je me lève, mère en Israël ! » (Juges 5) Débora, dont le nom signifie abeille, toujours active, fabriquait des mèches pour les lampes à huile. Une « femme de feu » comme la surnomme Rachi, fascinée par la lumière. Quand on mesure l’ampleur du récit qui lui est consacré et les 40 années durant lesquelles elle exercera des res-
© Débora et Baraq luttent contre Sisera, Circle of juan de la Corte, 1660, fondation Banco de Santander
semant désordre et violence pour le peuple. • Israël, sous le joug ennemi, reconnaît son péché et appelle le Seigneur au secours. • Le Seigneur répond en appelant un juge. Revêtu de la force divine, il est un véritable chef de guerre, intervenant sur son ordre pour libérer le peuple de l’asservissement grâce à ses victoires militaires sur les ennemis. • À la suite de quoi, le peuple d’Israël retrouve une période de paix et de repos plus ou moins longue.
▲ Débora accompagne Baraq au combat.
ponsabilités, elle est considérée comme un « grand » juge. Débora inspire confiance aux fils d’Israël. Ils n’hésitent pas à la consulter pour arbitrer leurs différents conflits quotidiens car elle allie discernement et douceur maternelle. Elle conjugue les rôles puisqu’elle est à la fois prophète, leader politique et stratège de guerre. Et son cantique d’action de grâces, après la victoire, est celui d’une poétesse. Comment ne pas être vraiment surpris, quand on connaît le contexte culturel de l’époque, dans une société aussi patriarcale, de voir apparaître une femme mariée comme Débora chargée de telles fonctions en Israël ? La multiplicité de ses dons et toutes ses compétences conjuguées au pouvoir qu’elle exerce pourraient inquiéter… susciter des oppositions fortes. Peut-être même chez son mari ! Mais le texte ne suggère rien de tel. Elle est prophète… charisme rarissime pour une femme en Israël. Quelle charge puisque le prophète est celui qui dévoile le sens de l’histoire en train de se vivre ! Il est celui qui console, réconforte, et appelle sans relâche à la conversion quand le peuple se
fourvoie. C’est ce que fait Débora. Appelée par Dieu, elle répond en s’engageant totalement. C’est une mission qu’elle accomplit. En femme libre. Et ce qui le révèle, c’est sa manière d’être, l’autorité qu’elle dégage. Elle n’est pas du côté du pouvoir mais de celui du service. Décentrée d’elle-même, habitée par la parole reçue, elle parle sans détour, interpelle vigoureusement. Elle sait que c’est l’heure du Seigneur qui vient au secours de son peuple.
Partir au combat et faire confiance Ainsi quand Débora sent qu’elle a convaincu le peuple de revenir au Seigneur, elle s’adresse à Baraq, chef de l’armée d’Israël, et lui signifie qu’il est l’heure de partir à la guerre contre leur ennemi depuis plus de 20 ans, Yabin, roi de Yabor en Canaan. Ce roi, servi sur le terrain par le général Sisera, dispose d’une cavalerie bien entraînée et de nombreux chars de fer. Tant et si bien qu’Israël ne sait pas comment affronter un tel adversaire ! Débora doit donc insister auprès de Baraq pour qu’il obéisse à l’ordre du Seigneur : partir au combat. Comme elle perçoit son
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Se former
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Lire la Bible hésitation, elle use de son autorité et le rappelle à l’ordre.
abandonnera Sisera. » Débora se leva et se rendit avec Baraq à Qèdesh. Un peu plus loin, elle signale encore une fois à Baraq que « l’heure » du Seigneur est venue : « Lève-toi ! Car c’est aujourd’hui que le Seigneur livre Sisera entre tes mains ! Le Seigneur n’est-il pas sorti devant toi ? » (Juges, 4 25) C’est ensemble qu’ils affrontent Sisera. Devant ses troupes écrasées, paniqué, Sisera s’enfuit, pensant trouver refuge chez Héber, le Quennite… Mais la femme de celui-ci, Yaël, violant étonnamment les lois de l’hospitalité, le tue pendant son sommeil. Ainsi, c’est une autre femme, étrangère de surcroît, qui libère Israël de Sisera, prémices de la totale défaite du roi Yabin, tué à son tour peu après… Victoire qui inaugure pour le peuple d’Israël une période de paix pour les quarante ans à venir. Alors Débora, sans chercher une quelconque gloire personnelle, laisse éclater sa joie. Avec Baraq,
© Jael shows to Barak Sisera lying deadJames-Tissot 1902, Jewish Museum of New York
« Débora fit appeler Baraq, fils d’Abinoam, de Qèdesh en Nephtali, et elle lui dit : « Le Seigneur, Dieu d’Israël, n’a-t-il pas donné cet ordre ? “Va, fais venir au mont Tabor et prends avec toi dix mille hommes parmi les fils de Nephtali et les fils de Zabulon. » (Juges 4) Prophétisant, elle ajoute : « Je ferai venir vers toi, au torrent de Qishone, Sisera, le chef de l’armée de Yabin, avec ses chars et ses troupes, et je le livrerai entre tes mains. » Cependant Baraq marchande encore : « Si tu marches avec moi, j’irai ; mais si tu ne marches pas avec moi, je n’irai pas. » Débora accepte donc de partir avec lui au combat, tout en lui signifiant que ses atermoiements lui ôteront la gloire de la victoire : « Je marcherai donc avec toi. Mais, sur la voie où tu marches, l’honneur ne sera pas pour toi : car c’est à une femme que le Seigneur
À vos Bibles :
▲ Yaël, l’étrangère, tue Sisera dans son sommeil, libérant Israël.
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N’hésitez pas à ouvrir le livre des Juges : une occasion de connaître leur rôle au sein du peuple d’Israël. Et aux chapitres 4 et 5 vous découvrirez comment cette fonction prend le visage d’une femme exceptionnelle Débora… Dans un second temps, vous pourrez vous interroger : Ne suis-je pas comme le peuple d’Israël, moi aussi inconstant ? Où en suis-je de mon Alliance avec le Seigneur ? Quelles sont mes idoles aujourd’hui ? Est-ce que je sais les reconnaître ? Enfin, est-ce que je peux faire mémoire dans mon histoire d’hier ou d’aujourd’hui, d’un visage, d’une parole de femme dont le témoignage m’a touché au point de me pousser à revenir vers le Seigneur ?
elle chante une louange au Seigneur qui se clôt par ces mots : « Que périssent ainsi tous tes ennemis, Seigneur, mais que tes amis soient comme le soleil quand il s’élance dans sa force ! » (Juges 5,31) Comment ne pas se réjouir de croiser dans la Bible une femme telle que Debora ! Seul point d’ombre : honorée dans toute la tradition, elle n’échappera pas dans la littérature juive des siècles qui suivront, à la contestation du fait même qu’elle soit femme ! Claire Le Poulichet CVX
Spiritualité ignatienne
la méditation du règne dans nos décisions Étape importante des Exercices spirituels, la méditation du Règne, peut nous éclairer sur nos choix quotidiens. En déplaçant notre regard de notre question personnelle à une vision plus universelle, nous sommes invités à entendre l’appel du Christ dans tous nos choix, à imprégner notre cœur de sa manière de faire.
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Dans le parcours des Exercices, saint Ignace retrace des étapes par lesquelles il est lui-même passé. La méditation du Règne offre un tournant, un porche d’entrée royal à la 2ème semaine. Après le cri d’étonnement jailli de la joie d’être sauvé, le retraitant est invité, – on pourrait dire même pressé – de suivre et imiter le Christ. Il lui faut marcher avec Lui, s’offrir à Lui en consentant au chemin d’humiliation et de pauvreté qui a été le sien. Appelé à sortir de lui-même pour entrer dans un projet qui le dépasse, le priant emprunte un chemin qui le conduira à une décision libre qui pourra être vraiment la sienne et pleinement reçue.
tion laisse-t-elle dans nos choix ordinaires, dans les paroles et les gestes qui donnent du sel à nos journées, voire à nos existences ? Sans prétendre à l’exhaustivité, je retiendrai ici quelques expressions qui peuvent éclairer
Une fois la retraite achevée, quelles traces cette médita-
« Ne pas être sourd à son appel »
© Mimadeo / iStock
Tel est aussi l’enjeu de nos décisions quotidiennes : elles sous-tendent des pratiques qui nous rendront plus libres ou nous asserviront, qui serviront ou non le Règne du Christ.
et affermir notre détermination pour le Royaume. Non pour que nos moindres choix deviennent l’objet d’un long discernement, mais pour que s’imprègne dans notre cœur la manière d’agir et d’envisager le réel que lèguent les Exercices.
▲ Appelé à sortir de lui-même pour entrer dans un projet qui le dépasse, le priant emprunte un chemin qui le conduira à une décision libre qui sera sienne et pleinement reçue.
Q uo t i d i e n ne me nt no us sommes sollicités : un coup de fil annonce une visite, un projet nous tient à cœur mais tarde à « sortir » de nos mains, l’envie de dire une parole à un proche sans oser le faire… Que décider ? La méditation du Règne vient déplacer la question, elle nous invite à mûrir une réponse qui se voudrait spontanée, immédiate. Elle attire notre attention moins sur la solution à donner que sur Celui qui en vérité vient à nous par l’interrogation que nous nous posons. Derrière cette demande qui me casse les pieds ou ce travail qui polarise toutes mes
Marie Emmanuel Crahay, auxiliaire du sacerdoce, vient de publier « Nos soixante années au Brésil, un sacerdoce vécu au féminin », 2016, Karthala.
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Se former
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Spiritualité ignatienne énergies, un Autre frappe à la porte. Il s’invite chez moi. Vais-je lui ouvrir, l’écouter, accueillir son désir à lui ? C’est l’objet de ma demande initiale : « Que je ne sois pas sourd à son appel » Le premier fruit du Règne est de me décentrer de mon action pour demander au Seigneur la grâce d’ouvrir l’oreille à son appel et la volonté de m’y conformer. Dès lors ma question se fait relative, elle cesse d’être exclusivement la mienne, elle s’ouvre à d’autres possibles.
« Conquérir toute la terre… » Dans la première partie de la méditation, Ignace propose une parabole assez éloignée de nos mentalités, nous sommes tentés de la croire dépassée et de la sauter à pieds joints. Ce roi à qui les princes chrétiens rendent révérence, qui veut conquérir la terre des infidèles nous transporte à l’époque des croisades, il n’est plus de notre temps (encore que… le désir de dominer le monde…). Ignace branche celui qui veut faire la volonté de Dieu
sur un exemple humain pour le stimuler et lui faire prendre conscience de ses bons désirs. Ce roi est bon, sobre, courageux, fraternel. Nous connaissons de telles personnes, elles suscitent l’admiration. Pas seulement elles. Des associations, des mouvements et institutions œuvrent aujourd’hui pour relever certains défis de la planète : l’écologie, l’économie solidaire, la défense des droits de l’homme, l’accueil des réfugiés, les mouvements pour la paix… Ce sont de grandes ONG ou de modestes associations, des organismes internationaux, des forums mondiaux ou de petites structures dont l’action est à la mesure des hommes et des femmes qui les portent et des moyens dont ils disposent.
est un long travail sur soi nourri par des informations et de la formation. Lire le journal, s’intéresser aux articles qui concernent le monde rejoint le projet du roi très humain qui se propose « de conquérir toute la terre ». Dans les constitutions de la Compagnie de Jésus, dans le choix des envois en mission, Ignace retient premièrement celles qui sont données par le souverain pontife, qu’il considère comme le « lieutenant » du Christ sur toute la terre. Quant à celles données par le supérieur de la Compagnie, qu’elles soient choisies de préférence « là où c’est le plus urgent » et « là où l’on a plus de chance de porter du fruit », sans oublier que « le bien est d’autant plus divin qu’il est plus universel ».
Comme dans la parabole du roi temporel, ces exemples de solidarité élargissent les perspectives, font sortir chacun de son petit monde et ouvrent au bien commun. Pas seulement celui de la cité ou du pays, mais celui de la terre entière. Se laisser habiter par une perspective universelle
La parabole du roi temporel suscite le désir, elle ouvre au « davantage », au plus loin, au plus universel. C'est la vision que le Pèlerin de la surface de la terre se répétera dans les Exercices et transmettra à ceux qui se forment à leur école. Elle montre aussi que pour Ignace ce que vivent les hommes, leurs bons désirs, leurs rêves sont des stimulants pour se décider à la suite du Christ.
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« Avec moi »
▲ Lire le journal, s’intéresser aux articles qui concernent le monde rejoint le projet du roi qui se propose « de conquérir toute la terre ».
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Dans la 2 e partie de la méditation, il ne s’agit plus d’un roi hypothétique, mais du Christ lui-même roi éternel et devant lui tout l’univers qu’il appelle. Sa volonté est aussi de conqué-
© Jésus et le jeune homme riche ; Heinrich Hofmann, 1889, Riverside Church, New York
rir le monde entier et d’entrer ainsi dans la gloire de son Père. « Celui qui voudra venir avec moi, devra peiner avec moi, pour que me suivant dans la peine, il me suive aussi dans la gloire ». Le « avec moi » est répété. Avancer sans savoir où le chemin conduira mais avec un compagnon de route et quel compagnon ! Décider de marcher avec le Christ, consentir de peiner avec lui, de traverser ses épreuves, et en conséquence le suivre jusque dans sa gloire. Tout cela est devant le priant, devant les yeux de son intelligence, à la porte de son cœur. Reste à faire le pas.
« Vous imiter » Après avoir élargi sa perspective et entrevu l’appel à partager la peine de son Seigneur, celui qui pratique les Exercices (en retraite ou dans la vie courante), peut s’offrir. Il a saisi la volonté du Christ de se donner à tout l’univers, il s’agit maintenant pour lui de passer du désir de le suivre sur ce chemin à un départ effectif, de faire un premier pas avec lui. Et ce premier pas est une prière en « je », tel le « colloque » qu’Ignace propose à la fin des méditations. Passer du regard, des images données par la mémoire à des paroles en « je » reste certes une opération mentale, mais elle n’en est pas moins réelle. Le priant s’offre de tout son vouloir, disant à l’éternel Seigneur de toutes choses entouré de la cour céleste, sa « décision délibérée » de l’imiter, en subissant « outrages, opprobre
▲ La méditation du Règne vient déplacer la question et attirer notre attention sur Celui qui vient à nous par l’interrogation que nous nous posons.
et pauvreté », « s’il veut bien le choisir et le recevoir en cette vie et en cet état. » La décision prise déborde infiniment la question de départ qui s’est effacée durant la prière. Elle n’est pas pour autant oubliée, mais elle n’importe plus tant, il y a plus urgent.
Que retenir pour notre vie courante ? D’abord que les choix quotidiens qui se posent devant nous sont essentiellement des appels du Christ. Appel à le suivre et à l’imiter dans son désir d’atteindre tout l’homme et tous les hommes, appel à marcher derrière lui qui a affronté la passion pour devenir en tant qu’homme,
Seigneur et roi de l’univers. Cette méditation nous donne une vision universelle s’incarnant dans des décisions modestes, un « penser global » pour un « agir local » a dit le CCFD. Rien d’autre que ce que nous demandons chaque jour : « Que ton règne vienne, que ta volonté soit faite ». Aucune décision ne nous est « dictée » par le Seigneur, mais elle est appel à convertir notre cœur. Ce sera moins « mon choix » comme on le dit souvent que ma réponse à l’appel du Roi qui veut se donner à tous et me fait confiance. Comme dit Jésus : « Qui perd sa vie la trouvera. » Marie-Emmanuel Crahay Auxiliaire du sacerdoce janvier/février 2017 29
Se former
Question de communauté locale
"contempler - discerner agir" et nos réunions ? Depuis le Congrès de Cergy-Pontoise, j’ai l’impression que les mots ‘Contempler – Discerner – Agir’ reviennent souvent dans la Communauté. Certes ils s’accordent bien avec le désir d’être des hommes et des femmes ‘contemplatifs dans l’action’. Mais dans le vécu de notre CL, comment ce mouvement peut-il prendre corps ?
I
Il est un cas où ce mouvement est explicite, c’est lorsqu’un membre demande à sa CL une aide au discernement. Il y a l’exposé de la situation et les demandes de clarification qui permettent à chacun de contempler, puis le temps de silence pour discerner et choisir la parole à renvoyer, et enfin l’agir : la décision pour celui qui a fait la demande d’aide et le soutien dans la prière pour les autres. Dans l’ordinaire de nos rencontres, cela est peut-être moins explicite. Il y a bien le temps du partage où chacun peut exprimer ce qu’il vit et être écouté : temps de contemplation. Ensuite vient le second tour, un temps où chacun peut être attentif aux effets sur lui de ces paroles échangées, à ce qui a goût d’Évangile, à ce qui lui pose question : temps de discernement pour pouvoir renvoyer à l’autre une parole. Mais qu’en est-il de l’agir ? Bien souvent nos rencontres ne débouchent pas sur quelque chose de concret. Pourtant l’évaluation permet à chacun de dire avec quoi il repart : une parole qui l’a touché, un désir, une attente, un regret… Et c’est précieux car cela va guider le responsable/accompagnateur pour la suite à donner.
Passer du ressentir à l’agir Mais il ne faudrait pas grandchose pour que ce ressenti en fin de réunion se transforme en un agir : une petite décision personnelle pour incarner un appel entendu, – une proposition d’exercice pour l’inter-réunion, faite par l’accompagnateur ou par l’un des membres, pour progresser sur tel ou tel point – une décision communautaire… L’impact de nos réunions sur nos vies en serait probablement grandi. Si ce mouvement ‘contemplerdiscerner-agir’ sous-tend notre manière de vivre la réunion, il peut aussi se déployer sur plusieurs rencontres. Le choix du questionnement et la manière de formuler les questions peuvent alors mettre l’accent sur l’un ou l’autre de ces verbes ; permettant d’aller plus loin dans une même problématique. C’est ainsi dans le ‘jardin’, banque de données pour la période de l’enracinement. Pour un même fruit recherché, diverses propositions de réunions sont proposées, en lien avec ces trois verbes.
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Enfin ce mouvement accompagne la dynamique de croissance de la CVX, faisant peu à peu passer nos communautés de groupes de ressourcement à des communautés apostoliques. Suivant là où en est la CL, l’accent se déplace : dans les premières années, l’accent est mis davantage sur ‘contempler’ ; puis vient le temps du discernement de la vocation et enfin, la période où se vit le discernement apostolique et où l’accent est mis davantage sur l’agir. Le mouvement ‘contempler-discerner-agir’ se conjugue de bien des façons et peut être utilisé dans bien des domaines, avec efficacité. Pour nous qui cherchons, avec nos compagnons de CL, à suivre le Christ de plus près, ce mouvement se nourrit de la contemplation du Christ et de son Évangile et du discernement des esprits. Au-delà de l’efficacité, c’est une manière d’exercer notre liberté, de chercher la volonté de Dieu dans la réalité de nos vies et de prendre nos responsabilités pour ce qui dépend de nous. En se souvenant que la croissance, c’est le Seigneur qui la donne. Marie-Élise Courmont
Ensemble Lefaire Babillard Communauté
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Une parole à méditer
« La loi intérieure de l’amour… nous incite à prendre conscience de nos graves responsabilités ; elle nous aide à chercher constamment les réponses aux besoins de notre temps et à travailler ensemble avec tout le Peuple de Dieu et tous les hommes de bonne volonté pour le progrès et la paix, la justice et la charité, la liberté et la dignité de tous les hommes. » Extrait Principe Général 2
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Ensemble faire Communauté
En France
un migrant devenu compagnon Demandeur d’asile, Jean-Claude a été accueilli dans une CL. Au-delà de l’élan du cœur, les compagnons ont découvert les difficultés de l’accueil, de la différence de culture et des conséquences pour leur propre communauté.
I Retrouvez le témoignage de Jean-Claude et la version longue de la relecture de la CL sur le site :
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editionsvie chretienne.fr
Il y a trois ans, il nous a été donné d’accueillir un nouveau compagnon dans notre communauté locale (CL). Nous le rencontrons pour faire connaissance. Il est sans papier, demandeur d’asile. Médecin diplômé dans son pays, il nous explique avoir dû partir pour sa sécurité, pour raisons politiques. Déjà membre de la CVX là-bas lorsqu’il était étudiant, il cherche à retrouver une communauté. Notre discernement quant à son accueil n’est pas si simple. Nous devons mettre en balance notre désir de solidarité, et la remise en chantier de l’équilibre de notre CL. Un élan du cœur quasi global nous a fait le recevoir une pre-
mière fois pour une réunion, puis une seconde. S’est révélé alors un problème douloureux. Un membre de la communauté locale, n’a pas pu vivre cet accueil sereinement. Ayant du mal à s’exprimer, il s’est tu puis nous a reproché ce qu’effectivement nous n’avions pas fait : prendre le temps d’un discernement commun avant d’accueillir. Nous avons donc fait cette réunion de discernement alors que JeanClaude avait déjà participé à deux réunions et pris les dates pour les suivantes. Cette réunion a été belle ! Nous avons chacun exprimé nos ressentis : pour un membre, la difficulté à recevoir l’étranger, à croire en sa parole, à parler devant lui, à oser lui faire confiance ; pour beaucoup, la joie profonde de le recevoir et l’appel entendu d’ouvrir nos cœurs mais aussi la peur de le privilégier au détriment d’un autre membre. Nous avons dialogué, essayé de vivre une véritable écoute. Après un vote, à la fin de cette réunion, nous optons à l’unanimité pour l’accueil de JeanClaude… et recevons quelques jours plus tard un mail du membre en difficulté avec cet accueil nous
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annonçant son départ et son sentiment d’avoir été exclu. Ce fut une épreuve, même si nous pressentions que ce départ était lié à bien d’autres facteurs qui nous dépassaient. Notre nouveau compagnon participe comme chacun d’entre nous à la vie communautaire. Sa situation particulière n’est cependant pas neutre : d’abord hébergé par des compagnons CVX, puis dans un logement prêté par le diocèse, il habite « au 115 », le centre d’hébergement des personnes en difficulté. Cela lui impose des horaires rendant compliquées les réunions CVX du soir. Les compagnons pouvant difficilement se libérer durant la journée, nous décidons alors de nous réunir le samedi afin qu’il puisse être présent. Choix difficile risquant de fragiliser certaines familles. Même si Jean-Claude ne participe pas en ce moment à nos réunions, ayant trouvé du travail dans une autre région et n’envoie pas ses préparations, il se sent de notre équipe et nous en sommes heureux, prêts à l’accueillir à nouveau. Il est en lien avec chacun d’entre nous de manières différentes mais réelles. Une CL de Saint-Brieuc
trois rencontres pour une communauté en chemin !
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Anne, tu es depuis 2012 référente dans l’ESCN pour la formation. Que peux-tu nous dire de ce qui a été mis en mouvement dans la Communauté ? L’invitation de l’Assemblée de Communauté à mettre des mots sur le cœur de la vie en Communauté (particulièrement après l’accueil) a entraîné la « naissance » de la période d’enracinement. Cela nous conduit à exprimer précisément ce qui définit notre manière de vivre en Communauté. La fin de mandat semble bien chargée ? Le mandat de l’ESCN se termine cet été. Déjà d’autres compagnons sont appelés à discerner leur disponibilité pour une élection en mai par l’Assemblée de la Communauté. En février-mars, les équipes service des communautés régionales, en présence des délégués à l’Assemblée de la communauté, reliront comment le Seigneur travaille nos Communautés régionales. Les enjeux qui germeront seront portés à la contemplation et au discernement de l’Assemblée de la Communauté.
En mai, à l’Ascension sera venu le temps de la relecture par l’Assemblée de la Communauté des cinq années passées, d’élire une nouvelle ESCN et de réajuster nos orientations. Les 1er et 2 juillet, la rencontre nationale de tous les accompagnateurs et responsables de CL aura pour thème « Qui demande, reçoit ! Ensemble renouveler notre regard sur notre communauté locale ». Elle permettra de découvrir le chemin de croissance proposé aujourd’hui par la Communauté. Toutes les richesses de la Communauté seront présentées : échos d'expériences diverses, services, missions, formation (découverte, enracinement, dese, engagement…). Alors qu’est ce qui relie tous ces événements ? C’est l’espérance que notre Communauté avance vers un « devenir davantage apostolique », enracinée dans nos quotidiens et désireuse de répondre aux appels du monde. Jusqu’au cœur de nos communautés locales nous sommes invités à expérimenter ce qui nous fait vivre : contempler, discerner, agir, comme disciple, serviteur et compagnon.
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De janvier à juillet 2017, trois rencontres sont prévues mobilisant les communautés locales, régionales et nationale. Pour laisser vivre l’Esprit et avancer, selon Anne Fauquignon.
À travers toutes ces rencontres, nous creuserons à la fois notre désir de transmettre le trésor de notre spiritualité à tous et notre désir de répondre davantage aux appels du monde à la manière d’Ignace. Les communautés régionales deviennent déjà des lieux où nous agissons ensemble. Oui, la Communauté grandit sur ce chemin de devenir davantage une Communauté laïque apostolique prophétique et c’est cela que nous allons redécouvrir, approfondir ensemble au cours de ces différents temps, en laissant circuler la parole entre nous. Osons, participons, soyons joyeux et créatifs ensemble ! Et d’ici là, portons cette profusion de vie dans nos prières ! janvier/février 2017 33
Ensemble faire Communauté
En France
REGARDS CROISÉS SUR LA JUSTICE L’Atelier Justice de la CVX a tenu son week-end national en octobre 2016 autour du thème « Justice et Miséricorde ». Des participants inattendus les ont rejoints dans leur réflexion, bousculant les regards de professionnels sur la Justice. Damien témoigne des déplacements intérieurs qu’il y a vécu.
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© Atelier justice
At t i r é p a r V é ro n i q u e, mo n épouse, à un week-end organisé par l’atelier Justice de la CVX, je me suis laissé faire. Quoi ma chérie ? Tu nous accordes un week-end sans travailler ? Sans service ? Partir à deux vers l’inconnu ? Quelle perspective distrayante ! Nous partons ensemble, avec le sourire, comme en vacances : je n’emporte même
pas mon ordi portable pour travailler dans le train. L’arrivée dans les lieux est réjouissante, et puis les premiers visages de compagnons inconnus qui arrivent. Rapidement, je découvre que je déjeune avec un confrère avocat, des magistrats, policiers, greffiers, conseillers de service pénitentiaire d'insertion et de probation, aumôniers de prison. C’est le grand bain ! Et nous voilà parlant immédiatement en vérité de nos métiers… ça paraît tout simple ? Pas du tout. Bientôt trente ans de métier, et jamais je n’avais trouvé le moyen de questionner des magistrats, de découvrir dans leurs regards la passion pour leur métier, de lire sur leurs lèvres leurs questionnements, d’entendre leur voix tremblante exprimant leurs doutes, quand ce ne sont pas leurs angoisses. Et le soir à la messe, cet avocat qui me dit « la paix du
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Christ, confrère » ? Je rêve ? Estce possible ?
Seul comme chrétien dans mon métier ? Premier déplacement. Je ressens brusquement que j’ai été bien seul comme chrétien dans l’exercice de mon métier. Et dire que demain j’y retourne, affronter la grande dureté du monde judiciaire. Obligatoire. Oui, mais au fond du cœur, je sens un grand espoir. Comme un réveil. Une dose d’Esprit Saint ? On verra bien. Au fait, ce week-end avait un contenu. Évidemment, je ne l’avais pas regardé à l’avance : j’avais le désir d’ignorer totalement où je mettais les pieds. Il avait été construit autour des mots Justice et Miséricorde. Pas de surprise : nous prions ensemble, nous lisons en petites équipes des textes bibliques et partageons autour de questions. Des mots sortent, la parole des autres nous fait un peu changer de perspective. La justice : c’est
Jusqu’alors, je n’avais pas bien compris que nous n’étions pas exactement entre nous. D’accord, certains membres de l’atelier justice ne sont pas en équipe CVX. Ils sont attachés à notre communauté par leur regroupement annuel de 2 à 4 jours au niveau national et leurs réunions bimestrielles d’équipe « atelier justice local» (2 équipes à Paris, une à Marseille et une toute nouvelle à Lyon). Ça j’avais compris, admis. Non, non, il y avait un autre groupe qui participait à ce week-end. Une communauté nommée La Pierre d’angle1 inconnue à mon organigramme.
La justice vue par les condamnés et les professionnels J’écarquille les yeux en écoutant la restitution de leur carrefour. La méditation du mot Justice inspire chez eux les mots de : souffrance, angoisse, destruction, séparation, regard néfaste, condamnation (pour la justice des hommes). Et pour la justice de Dieu : clémence de Dieu, Dieu est juste, il donne une chance…
© Atelier justice
mettre un terme à l’injustice, c’est permettre un « autrement », trouver le point d’équilibre entre délinquant et victime, protéger le pauvre et reclasser le méchant, remettre chaque partie debout, faire advenir la vérité, faire ressortir l’humanité de chacun… Les expressions sont belles et multiples. Chaque équipe restitue à l’ensemble. Et là…
Vous voyez comme moi une différence entre nos mots ? Ils sont des justiciables, passés par la machine judiciaire . Hum. Ouh ! Pas rassurant. Devant nous, ils témoignent de leur cheminement spirituel. Ils sont venus pour nous à ce weekend de « riches ». Le pape François, qu’ils ont rencontré cette année, ne leur a-t-il pas donné la mission – car dit le Saint Père, ils sont les seuls à pouvoir la porter – de prier pour la conversion des riches et des responsables de leur pauvreté ? Leur parole opère un second déplacement : vacillement. Je retourne lire leurs mots collés sur le panneau. Pas d’erreur : j’ai bien entendu. Tout se brouille. Il faut amortir le choc, questionner les uns, écouter les autres. Je ne repartirai donc pas indemne de ce week-end imprévisible ? Le week-end se poursuit. Les prières, la danse et les paroles partagées d’Anna, Manuela, Marcel, Sophia, Isabelle, Valérie, tous
membres de La Pierre d’angle, ont la douceur, la saveur et la force de la parole de Jésus. Je vois avec stupeur l’équipe service nationale arriver pour partager notre soirée.
La miséricorde vient de Dieu Invité à définir les deux motsclefs, Justice et miséricorde, avec la Bible, Jacques Trublet s.j. complète nos expressions. La justice c’est donner à chaque homme ce dont il a besoin pour être pleinement homme. C’est voir qui a été oublié, dénoncer les jougs. La miséricorde vient de Dieu : c’est le don gratuit, la promesse que son amour pour l’homme dure toujours, un désir qui vient du fond des entrailles. Et d’illustrer son propos par une méditation sur la parabole du bon samaritain puis par l’annonce du jugement dernier dans Matthieu 25,31-46.
Retrouvez les infos des différents ateliers de la CVX sur : CVXfrance.com 1. La Pierre d’angle réunit des militants d’ATD Quart Monde qui ont choisi une lecture chrétienne de leur expérience de pauvreté. www. lapierredangle.eu
Retrouvez des témoignages d’autres participants, dont l’un de la fraternité de la Pierre d’angle sur : editionsvie chretienne.fr
« Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ». Damien janvier/février 2017 35
Ensemble faire Communauté
Dans le monde
sortie de crise de la cvx du Canada français Comment une communauté nationale peut-elle sortir d'une crise majeure ? En prenant le temps et en s'appuyant sur le discernement, a répondu la CVX du Canada français. Marie-Gabrielle nous éclaire sur le processus.
C Pour en savoir plus : www.cvxcanadafrancais.com
ESDAC : Exercices spirituels pour un discernement apostolique en commun. www.esdac.be
Comment la crise s'est-elle manifestée ? En 2010, la crise est apparue en plein jour. Quelques semaines avant le tout premier Congrès national, notre assistante ecclésiastique a été contrainte de partir, signifiant par là que quelque chose ne fonctionnait pas dans la CVX nationale. Du coup, le Congrès a été très différent de ce qui avait été prévu. Tous les comités étaient épuisés, tout a été arrêté d'un coup, notamment notre revue et notre site web, et l'Assemblée générale a réduit l’équipe nationale de 7 à 5 membres. Un nouveau président, Sam Loutfi, a été élu. Étant un homme de relation, il a réussi à maintenir les personnes ensemble, évitant d'autres crises majeures.
© Agnès Rausch
Avec quel outil avancez-vous ? Un nouveau départ s'est fait en
2014 avec l'élection de Thérèse Savard comme présidente et l’arrivée d’un nouvel assistant ecclésiastique, le P. Roch Lapalme. Ayant suivi une formation auprès de l’équipe ESDAC 1 basée en Belgique, il nous a proposé de suivre un processus de discernement communautaire en partant du début : d'abord savoir qui nous sommes, puis à quoi nous sommes appelés, et enfin comment répondre à l’appel. En 2015, lors de notre Journée nationale, nous avons fait l'exercice de la ligne historique. Nous avons tracé une ligne chronologique depuis l'an 2000 jusqu'à aujourd'hui en y plaçant les différents événements survenus dans la communauté. Cela nous a permis de prendre conscience des désolations et consolations vécues. Nous avons pu parler de ce qui avait été douloureux, dont les départs de nombreuses personnes. Un pas de plus a été fait lors de la Journée nationale de 2016, en réfléchissant sur qui est Dieu pour nous. Nous avons ainsi dressé le « portrait-robot » de notre Dieu. D’ici notre deuxième Congrès national, prévu à l’automne
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2017, nous tenterons de dégager la grâce que nous souhaitons demander pour notre communauté. Le Congrès sera l’occasion de célébrer le chemin parcouru ces dernières années. Nous avons hâte de connaître quelle est notre mission en tant que communauté, mais nous n'en sommes pas encore là. Quels liens avez-vous avec la CVX Canada anglais, avec d’autres CVX nationales ? Les deux provinces jésuites du Canada étant engagées dans le processus de formation d’une nouvelle province, la question se pose aussi pour la CVX. Notre culture différente de celle du Canada anglais doit être prise en compte. Avant d’envisager l’aventure d'une unification, nous devons d'abord savoir qui nous sommes. Nous avons aussi des liens d'amitié avec la CVX d'Haïti, nous nous soutenons mutuellement, et nous participons au voyage d’immersion qu'organise là-bas chaque année la CLC Canada (Région centrale). Propos recueillis par Marie-Gaëlle Guillet
face à la société du rejet L’engagement socio-politique est-il cohérent avec la CVX ? C’est essentiel ! répond la CVX d’Amérique latine dans un livre publié suite à une formation de 18 mois.
L’engagement politique des chrétiens est lié aux structures de pouvoir qui empêchent les personnes de vivre de façon humaine. Si nous comprenons ainsi l’engagement politique, il y a un grand besoin de promouvoir des engagements, que ce soit dans des partis politiques, des mouvements associatifs, ou dans des actions publiques. Dans le nouveau climat ecclésial que soulignent les nombreuses interventions du pape François sur ce sujet, plus de 40 laïcs ignatiens se sont formés de mai 2014 à décembre 2015 à la réflexion sur la réalité sociopolitique d’Amérique latine. Par cette formation, la CVX en Amérique latine s’engage à approfondir les causes de l’injustice afin de chercher des solutions structurelles. La complexité de nos pays confirme la nécessité de nous former intellectuellement pour mieux comprendre la problématique et par ce moyen intervenir de façon plus ajustée. Contre la culture du rejet, la globalisation de l’indifférence, le paradigme technocratique, la
loi de l’argent et la divinisation du progrès économique, sont nécessaires des « travailleurs plus compétents et des témoins plus convaincants » (PG12c) pour construire, avec tant d’autres, cet « autre monde possible ». […]
Politique et vocation chrétienne En terminant cette formation, nous nous sentons appelés à souligner le sens, la signification et la valeur de la pratique politique. Nous nous reconnaissons appelés à redécouvrir que la politique est une partie essentielle de notre vocation chrétienne. Parce qu’être chrétien c’est être disciple de celui que l’on nomme Jésus qui s’est engagé dans l’histoire et qui nous encourage à notre tour à donner notre vie pour annoncer et construire le Royaume de justice et de fraternité. Nous nous sentons appelés à revendiquer la valeur des petites actions collectives, depuis le peuple, depuis la base pour transformer les structures. Nous croyons en une pratique politique prophétique et avec « parrêsie » (assurance, confiance, courage de la vérité) qui n’est pas neutre, qui ne sacri-
© Marie-Emmanuelle Reiss
U
« Un catholique peut-il faire de la politique ? Il le doit ! Peut-il s’engager en politique ? Il le doit » (Pape François, avril 2015).
fie pas la justice au nom d’une fausse paix. Nous croyons en une politique qui prend parti pour les derniers, les plus pauvres, les marginalisés, les exclus, dont notre « Pacha Mama » (notre mère la terre), pour que tous et toutes vivent avec dignité en tant que fils et filles de Dieu.
Téléchargez le livre en espagnol et portugais sur : editionsvie chretienne.fr
N’oublions pas les paroles du bienheureux Paul VI : « la politique est une des formes les plus hautes de la charité ». Christian Ubilla Équipe coordinatrice des équipes exécutives nationales de CVX en Amérique latine janvier/février 2017 37
À LIRE À FAIRE Cheminer dans la neige Du 05 au 12 février 2017 Une retraite spirituelle au rythme de la randonnée en raquettes et à l’école d’Ignace. Retraite majoritairement en silence. Centre Saint-Hugues à Biviers (38) - 466,50 euros. Info : 04 76 90 35 97 – www.sainthugues.fr
Retrouver la prière Nombreuses sont les causes de délaissement d’une vie de prière fidèle. Et pourtant, au fond se fait sentir comme un manque, ou un appel au creux de notre cœur. Ce petit livre voudrait être un guide, nous éclairant et nous confirmant dans l’espérance par l’expérience d’autres croyants. Il nous fait découvrir ou redécouvrir quelle est notre liberté pour suivre un chemin unique en coopérant à la grâce de Dieu. 9,50 euros. À commander sur viechretienne.fr ou chez votre libraire.
À VIVRE Session retraite cinéma : la joie Du 12 au 17 février 2017 Un parcours éclairé par l’exhortation apostolique de François : la joie de l’Évangile. Le matin, projection d’un film suivie d’un débat. L’après-midi, enseignement (comment la foi chrétienne m’éclaire sur les questions posées par le film ?), indications pour le temps personnel et prière. La session est organisée par Geneviève Roux, xavière. Tarifs : 275 euros en demi-pension, ou 385 euros en pension complète. Info : 03 20 26 09 61 – www.hautmont.org
À VIVRE
À LIRE Méditer la Parole en Carême Pour chaque jour du Carême, Jacques Fedry s.j. propose une méditation à partir de l’évangile, une façon de nous laisser convertir dans la douceur et la patience de Dieu. À commander sur viechretienne.fr ou chez votre libraire.
Retrouvez d'autres suggestions sur : editionviechretienne.com 38 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 45
Réduire les inégalités : une exigence écologique et sociale Du 16 au 18 février 2017 Au Conseil Économique Social et Environnemental (CESE). Palais d’Iéna – 9, place d’Iéna – 75016 Paris Inscription obligatoire. Notre monde doit faire face simultanément à des défis écologiques inédits et à une explosion des inégalités. Alors faut-il choisir son combat ? Notre génération contre celles à venir ? Sauver la planète ou les pauvres ? Nous, associations engagées auprès des plus vulnérables, des travailleurs, des familles, ou dans la défense de l’environnement, refusons ces oppositions simplistes. Réduire les inégalités est une nécessité pour permettre à chacune de bien vivre dans les limites de notre planète. Mais comment y parvenir ? Quelles propositions avancer ? Quelles initiatives encourager ? Organisé par la Revue projet et ses partenaires. Info : claire.capou@ceras-projet.com
Billet
Il vient de m’arriver une chose étrange. Voilà qu’à 78 ans, je ressens le désir de me tenir droit, par moments, en sentant que c’est bon pour moi. Et du coup me revient un souvenir d’enfance, rejeté dans la poubelle de ma mémoire, l’injonction au goût amer : « Tiens-toi droit ! » Combien de fois l’aije entendue à table, sans l’avoir jamais vraiment acceptée ? Il faut dire qu’il y a environ un an, pendant des vacances à Lalouvesc, Pierrot, un compagnon jésuite m’a dit : « Mais dis donc, tu es terriblement voûté ! Tu vas finir complètement recroquevillé ! Fais attention ! » Et pour la première fois, j’ai commencé à accueillir cet avertissement, sans doute parce qu’il venait d’un ami : je me suis mis à me redresser de moi-même, à plusieurs reprises, quand je me sentais trop voûté. Il aura donc fallu toutes ces années… J’y repense. En particulier à cette année, à Lyon où j’ai bien souffert du dos (peut-être du fait que je sortais d’une charge trop lourde pour moi dont j’avais « plein le dos »). Les exercices conseillés par Dominique, un autre compagnon jésuite, les séances de kiné, la natation avaient contribué à remettre doucement les vertèbres en place. Il y avait eu aussi les exercices recommandés par deux kinés : mon cousin Jean-François et, plus tard, mon neveu Ivan… Depuis ce temps, de moi-même, j’ai pratiqué ces exercices qui me soulageaient. Mais ce n’est donc que récemment, à la suite de tous ces appels de mieux en mieux acceptés, que j’ai éprouvé enfin le désir de me tenir droit, notamment pendant la célébration eucharistique et pendant ma prière personnelle (pas bien encore à table…). J’ai aussi trouvé au bureau une chaise qui me tient le bas du dos bien cambré… Je comprends maintenant pourquoi, depuis de longues années, j’ai été si profondément touché par le geste de Jésus imposant les mains sur la femme courbée, cassée en deux, dont les yeux ne pouvaient voir que le sol, et qui, sous la parole de Jésus, se redresse en louant Dieu (Luc 13, 10-17). Et je m’interroge : comment faut-il parler à un jeune pour qu’il accepte pleinement une recommandation ? Et combien de temps faut-il à une personne pour apprendre à vivre ? The answer, my friend, is blowing in the wind !
Jésus soignant la femme courbée, James Tissot (1886-1896), Brooklyn Museum, New York
« TIENS-TOI DROIT ! »
Jacques Fédry s.j. janvier/février 2017 39
Prier dans l’instant face à un arc-en-ciel
© Père Matthias Amiot
En cette fin d’après-midi, me voici installé à Orly pour prendre le lendemain un vol long-courrier. Devant la fenêtre de ma chambre d’hôtel, j’ai une vue imprenable sur le Terminal sud. Un avion atterrit toutes les trois minutes : me voici en communion avec ces hommes, femmes et enfants, de toutes tribus, langues, peuples et nations. Je profite de ce temps de silence pour prier à leur intention. Une pluie intense se déverse sur la ville, mais voilà que le soleil vient marier sa lumière avec l’eau pour donner naissance à un bel arc-en-ciel. Je suis captivé par cette beauté éphémère. L’arc-en-ciel accompagne mon oraison et inspire ma prière : Je rends grâce pour la Lumière que ce jour a reçu de la main bienveillante du Père. Je me réjouis des Couleurs que le Fils a données à chacun de ses frères. Je souhaite que les peuples de la terre vivent l’unité et la diversité dans l’Esprit saint. L’arc-en-ciel s’estompe par morceaux, mais une branche semble solidement accrochée ! Elle finit par s’estomper peu à peu en des teintes vertes et violettes, et il est temps de prier les Vêpres. À vrai dire, après cette oraison superbement illuminée, je ne suis pas surpris de chanter ce soir : « Joyeuse Lumière Splendeur éternelle du Père Saint et bienheureux Jésus Christ ! » Père Matthias Amiot
Nouvelle revue Vie Chrétienne – janvier/février 2017