Vie chrétienne Nouvelle revue
C h e r c h e u r s
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B I M E S T R I E L D E L A C O M M U N A U T É D E V I E C H R É T I E N N E E T D E S E S A M I S – N º 4 3 – S E P T E M B R E / O C TO B R E 2 016
Les critères de confirmation d’un choix La prière d’intercession
Internet, espace spirituel
Sommaire
NOUVELLE REVUE VIE CHRÉTIENNE Directeur de la publication : Jean Fumex Responsable de la rédaction : Marie-Élise Courmont Rédactrice en chef adjointe : Marie-Gaëlle Guillet Comité de rédaction : Marie-Élise Courmont Jean-Luc Fabre s.j. Marie-Gaëlle Guillet Patrick Lepercq Marie-Thérèse Michel Laetitia Pichon Comité d'orientation : Marie-Agnès Bourdeau Nadine Croizier Marie-Claude Germain Anne Lemant Claire Maillard Étienne Taburet Fabrication : SER – 14, rue d’Assas – 75006 Paris www.ser-sa.com Photo de couverture : Scanrail / iStock Impression : Corlet Imprimeur, Condé-sur-Noireau
ISSN : 2104-550X 47, rue de la Roquette – 75011 Paris Les noms et adresses de nos destinataires sont communiqués à nos services internes et aux organismes liés contractuellement à la CVX sauf opposition. Les informations pourront faire l’objet d’un droit d’accès ou de rectification dans le cadre légal.
le dossier
l’air du temps Une économie du partage et de l’agir ensemble Pierre Larrouturou chercher et trouver dieu
Internet, espace spirituel Témoignages Les usages ont façonné l’outil Internet Sébastien Bachollet Un support nouveau pour l’annonce de l’Évangile France Delescluse Le Net fait bouger la théologie et la foi Sr Nathalie Becquart se former Contempler une œuvre d’art L’angélus de Jean-François Millet La prière d’intercession Sr Nathalie Albert En suivant un parcours de formation Aurélie D’Élie à Élisée : la transmission par le manteau Jean-Yves Pasquier Critères d’une confirmation de la décision Jacques Fédry s.j. Habiter l’inter-réunion Jean François ensemble faire communauté Une parole à méditer Allo l'enracinement ? Faire les Exercices en communauté régionale Pélerinage CVX - CCFD Offrir ensemble nos trésors Découverte mutuelle à Tokyo Plus de 450 ans de CVX au Japon babillard billet Chez le dentiste… se laisser faire Denis Corpet prier dans l'instant En voyageant Dominique Pollet
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La revue n’est pas vendue, elle est envoyée aux membres de la Communauté de Vie Chrétienne et plus largement à ses « amis ».
CHACUN PEUT DEVENIR AMI OU PARRAINER QUELQU’UN. Il suffit pour un an de verser un don minimum de : l 25 € l 35 € si je suis hors de France Métropolitaine l Autre (50 €, 75 €, 100 €…) n Par virement : RIB 30066 10061 00020045801 60 IBAN FR76 3006 6100 6100 0200 4580 160 – BIC CMCIFRPP n Par versement en ligne sur viechretienne. fr/devenirami n Par chèque bancaire ou postal à l’ordre de Vie Chrétienne À envoyer à SER – VIE CHRÉTIENNE – 14, rue d’assas – 75006 Paris – amis@viechretienne.fr
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Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 43
Éditorial
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Le temps des vendanges est revenu avec ce qu’il porte de promesse de vin nouveau. Nouveau, ce mot retentit aussi en cette période de rentrée, où activités et engagements reprennent. Dans nos vies personnelles ou dans notre société des changements surviennent ; faire du neuf est alors une nécessité. Pour les chrétiens, c’est même un appel, eux qui sont invités à devenir ‘des créatures nouvelles’, à marcher vers le Christ et l’avenir qu’Il a ouvert.
Ce numéro voudrait aider à récolter ce qui nous est donné aujourd’hui et à y déceler la promesse de vin nouveau dont il est porteur. L’objet du dossier est ce nouvel outil qui change nos manières de faire dans bien des domaines, Internet ; un moyen avec ses bons et ses mauvais côtés… saurons-nous en faire une chance pour la vie dans l’Esprit ? L’air du temps offre un regard sur le système économique actuel ; avec ses atouts et ses dérives… saurons-nous prendre notre part pour construire un monde plus juste et plus solidaire ?
® Photoprofi30 / iStock
promesse d’un vin nouveau
»
Faire du neuf, ce n’est pas faire table rase du passé, c’est l’intégrer pour avancer ; à la manière du prophète Élisée prenant la suite d’Élie (p. 24-26). Se mettre en mouvement, être créatifs, aller de l’avant… les pages qui relatent l’expérience d’autres, d’ici ou d’ailleurs, peuvent nous y aider. Alors le vin nouveau pourra être tiré et avec lui, c'est la joie qui sera goûtée ! Marie-Élise Courmont
redaction@editionsviechretienne.com
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L'air du temps
UNE éCONOMIE DU PARTAGE ET DE L’AGIR ENSEMBLE Économiste, fondateur du mouvement Nouvelle Donne, Pierre Larrouturou propose de changer notre regard sur « l’agir ensemble » et suggère plusieurs pistes : le partage, la protection de l'environnement, la flexibilité et la générosité.
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Mondialisation, « ubérisation », tout-puissance de l’information, l’économie change. Vous plaidez cependant pour que, au cœur de ces nouvelles manières, de faire, on impose une idée, un mot, qui paraissent tabous à beaucoup, le partage…
Pierre Larrouturou, économiste et créateur en 2013 du parti politique « Nouvelle Donne », vient de publier « Non-assistance à peuple en danger », Fayard, 2015 et « A nous d'agir ! 2017 le chaos ou le sursaut ? », Fayard, 2016.
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Un mot tabou ? Les chrétiens savent que le partage est au cœur de l’Évangile. L’économie collaborative montre que cette valeur peut s’appliquer aussi au travail, aux revenus, aux cultures, au pouvoir… Le partage doit nous aider à combattre l’explosion des inégalités. En 30 ans, la part des salaires dans le Produit Intérieur Brut a chuté de 10 % au profit des dividendes. C’est colossal. En 2003 déjà, la Banque des règlements internationaux sonnait l’alarme à ce sujet. Rien n’a changé depuis, au contraire. On pousse les gens à s’endetter pour accéder à des dépenses de base et les inégalités explosent : dans mon quartier, je sais qu’un homme qui travaille dans une banque, gagne 200 000 euros par mois mais le
même quartier est sillonné par des SDF qui cherchent de la nourriture dans les poubelles ! Pour certains, l’inégalité est le prix à payer de tout développement économique et social. À l’image du modèle chinois. Certes, la Chine rattrape en partie son retard mais sans jouer le jeu : alors qu’elle avait signé 22 conventions sociales avant d’entrer dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC), elle ne respecte aucune de ces règles (droit à un salaire décent, semaine de 44 heures, protection sociale,…). Depuis 2008, la Chine a ouvert tout grand les vannes du crédit, favorisant une énorme bulle immobilière, qui s’effondre. Elle investit comme jamais dans l’armement (+ 362 % depuis 2000 !). Du coup, le Japon en fait autant : « Nous devons être capables de faire la guerre à la Chine et à la Corée du Nord » affirmait fin septembre le Premier ministre japonais. La crise de 1929 a fini par la barbarie. Aujourd’hui encore, comme le dit Edgar
Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 43
Morin, l’humanité risque une sortie de route. L’inégalité prospère sur l’indifférence. Le pape a raison de dénoncer la mondialisation de l’indifférence. Comme le disait Martin Luther King, « Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères ou nous préparer à mourir comme des imbéciles. » La France, l’Allemagne n’ont jamais été aussi riches. Le partage est une nécessité. En France comme à l’échelle européenne. Parmi les nouvelles pratiques, les économies collaborative ou solidaire semblent aller à l’encontre de la montée des inégalités. Mais sont-elles créatrices d’emplois ? Ces nouvelles formes de l’économie recréent du lien et permettent aux citoyens de devenir acteurs. Et -bonne nouvelle- ça marche ! En plus, les emplois qu’elles créent ne sont pas délocalisables. Dans un moment d’effondrement, elles rassemblent et montrent ce qui peut naître. Certes, les emplois créés ne sont
pas encore très nombreux mais il ne faut pas appuyer sur un seul levier. Il faut aussi agir avec force pour protéger l’environnement. Mario Draghi, gouverneur de la Banque centrale européenne, va créer 1 500 milliards pour relancer l’économie européenne. Pourquoi ne pas mettre ces fonds au service de la lutte contre le dérèglement climatique ? Le pape François l’a dit. Il y a un choix de société à faire : l’Europe est-elle au service des banques ou au service des peuples et de la sauvegarde de la planète ? Selon les experts, cet effort pourrait créer 2 millions d’emplois. Vo u s p ro p o s e z é g a l e m e n t d’agir sur un autre levier : celui du temps de travail. Le partage de l’emploi est lui aussi un grand tabou… En 1995 déjà, le rapport Boissonnat affirmait qu’il fallait « réduire de 20 à 25 % le temps de travail d’ici à 2015 » si on voulait éviter que les gains de productivité ne conduisent à un chômage catastrophique. Tout le monde était d’accord ! Mais, en 2016, la durée réelle d’un temps plein est de 39,6 heures en moyenne (INSEE) et des millions de chômeurs font 0 heure par semaine. Il y a déjà 400 entreprises qui sont passées à 4 jours avec la loi de Robien. C’est souple, les horaires sont à la carte. Par exemple, dans une entreprise de logiciels où la durée moyenne
par jour est de 8,15 heures. Certains salariés arrivent un peu plus tôt, d’autres partent un peu plus tard. Du coup l’amplitude horaire est plus grande pour la clientèle. L’entreprise arrête de payer les cotisations chômage si elle a créé au moins 10 % d’emplois en CDI. Vous êtes donc un partisan de la flexibilité ? La flexibilité c’est comme le cholestérol, il y a la bonne et la mauvaise. La flexibilité des horaires n’implique par la précarité, comme l’a montré Volkswagen qui a fait travailler ses ouvriers 28 heures au lieu de licencier 30 000 salariés. Une entreprise agro-alimentaire que je connais fait l’essentiel de ses ventes entre octobre et le jour de l’an. Pendant cette période, les salariés travaillent 6 jours par semaine et le reste du temps, 4 ou 3 jours. La masse salariale n’a pas changé et on a gagné 15 % d’emplois en plus. À l’aéroport de Charleroi, on est passé aux 4 jours. L’absentéisme a baissé car le stress a diminué lui aussi. Grâce à un nouveau plan de formation, on a enrichi le travail de beaucoup ! Quel rôle les chrétiens peuventils jouer dans ce paysage économique nouveau ? En 1982, le texte des évêques de France sur les « nouveaux modes de vie » prônait imagination, générosité et solidarité face à
la crise. C’est encore plus nécessaire aujourd’hui. À Lampedusa, le pape François appelait à refuser l’indifférence et le découragement. Pour lutter contre le découragement, il faut se rassembler. On sait à CVX qu’on ne peut pas être chrétien en restant seul dans son coin. C’est vrai aussi de notre citoyenneté. Il faut s’engager avec d’autres. Les chrétiens sont souvent engagés dans l’associatif -c’est très bienmais pas assez en politique. Par modestie ou par peur du combat. Or, si l’on veut changer les règles du jeu, il faut aller en politique. Il est urgent de nous retrousser les manches et que décident d’agir ensemble, « ceux qui croient au Ciel et ceux qui n’y croient pas ». N’ayons pas peur. Saint Paul compare la mission évangélique à un combat (Éphésiens 6, 10-19). L’huile du baptême est aussi celle des gladiateurs ! Propos recueillis par Jean François
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Chercher et trouver Dieu
internet, espace spirituel Dans sa lecture des signes des temps, que nous dirait Ignace de Loyola au sujet de l’offre spirituelle disponible aujourd’hui sur Internet ? Osons envisager ce qu’il aurait sans doute pensé ! En bon observateur de la vie quotidienne, Ignace aurait compris que dans une vie chargée, c’est une option de faire retraite selon les Exercices sur le Web (p. 8). En missionnaire, il aurait sans doute apprécié la portée d’un témoignage sur Facebook (p. 9). Soucieux de l’action universelle, Ignace aurait senti les possibilités de croissance humaine et spirituelle d’une communauté à l’échelle du monde, en partageant des intentions de prière (p. 10), ou en se joignant au réseau de click to pray pour prier ensemble (p. 11). Laissant aller son imagination en méditant les lettres de saint Paul, il aurait vu l’efficacité de cette lettre « comme un mail d’urgence », ayant pour objet de faire vivre l’Église (p. 14). Internet contribue à nourrir notre foi. Mais Internet aurait-il fait évoluer notre foi ? L’expérience de la relation via Internet « invite à travailler une théologie de la communication enracinée dans la théologie trinitaire », haut exemple de communication permanente et inter-agissante entre trois personnes (p. 16). Ce dossier sur l’espace spirituel qu’offre Internet, nous ouvre à de nouvelles façons de rejoindre la parole de Jésus-Christ, de chercher Dieu, de prier ensemble en Église aux dimensions du monde, et pourquoi pas de s’inviter à rejoindre aussi une vie ecclésiale et sacramentelle de proximité.
© P?ter Mßcs / Hemera
Patrick Lepercq
TÉMOIGNAGES Une retraite sur son écran . . . . . . . . . . . . . . 8 Témoigner sur Facebook. . . . . . . . . . . . . . . . 9 A la recherche d’une communion par un blog. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 Une alerte pour prier pour le monde . . . . 11
ÉCLAIRAGE BIBLIQUE Un support nouveau pour l’annonce de l’Évangile . . . . . . . . . . .. .14
CONTRECHAMP « Les usages ont façonné l’outil Internet ». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. .12
POUR ALLER PLUS LOIN . . . . . . . . . . . .18
REPÈRES ÉCCLÉSIAUX Le Net fait bouger la théologie et la foi . . . . . . . . . . . . . . . . . .. .16
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Chercher et trouver Dieu
Témoignages
une retraite avec son écran Les conditions de la vie ont poussé Claude à faire une retraite sur le Web, ce qu’elle n’envisageait même pas avant. Elle y a découvert d’autres façons de prier et de se ressourcer, d’autres manques aussi. Mais la grâce est toujours là.
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Prendre un temps de retraite selon les Exercices, guidé par une proposition sur le Web : pendant des années je pensais cela totalement inconcevable. Je ne me voyais pas entrer en prière devant mon écran ! Mais les périodes de travail professionnel bien dense qui désorganisent mes journées ont eu raison de cet a priori ! N’ordon-
nant alors plus bien mon temps, je me sens comme « livrée à moimême » et j’abandonne petit à petit mes rencontres du matin avec le Seigneur et sa Parole ! Et si, malgré tout je prends mon « Prions en Église », alors ma lecture devient bien paresseuse et rapide. « Bon ! Cela suffit ! Seigneur, j’ai besoin de ton aide pour sortir de cette spirale descendante ! ». Et pourquoi pas une retraite Notre Dame du Web ? J’apprécie maintenant cette aide quand je ne peux pas vivre une autre forme de retraite.
© ndweb.org
Je me laisse faire par le cadre proposé, le rythme des envois, les règles rappelées, les points avant les textes, la variété des propositions. Je ne prends pas forcément tout, je choisis (texte, tableau), j’imprime et je n’ai qu’à chercher un lieu adapté, à la maison ou à l’extérieur. J’apprécie aussi le petit truc pratique par exemple, la cordelette dans la poche, avec chaque jour un nœud en plus, ou le fond d’écran 8
Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 43
qui rappelle le texte prié. J’entre souvent en prière avec la partie musicale ou bien je la prends en fin de journée. Je suis très touchée aussi par la communauté de priants que nous sommes, répartis sur la planète et le Livre d’or où l’on peut partager sa prière. Tout au long de la journée la Parole donne alors une coloration à ma vie quotidienne. Mais tout n’est pas facile ! Rester fidèle à ces rencontres quotidiennes ou bihebdomadaires : le choix est toujours à refaire ! Et il me manque un accompagnateur qui me stimule, me guide plus personnellement et avec qui je puisse relire. Une certaine solitude est là. Mais la grâce reçue à chaque fois et le clin d’œil de l’Esprit qui me rejoint toujours pèsent bien plus lourd. Claude www.ndweb.org/
témoigner sur facebook Baptisée depuis peu, Maud n’a pas hésité à témoigner sur Facebook de son parcours de catéchumène. Elle a été très touchée du soutien qu’elle y a reçu. Elle continue de témoigner, évangélisant par ce réseau social.
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Mon fils a été baptisé en septembre 2013 et à la suite de cela, j’ai moi-même demandé le baptême. Ce fut un beau parcours de foi mais aussi un bon chemin de vie que mon catéchuménat. Quand j’ai annoncé que j’allais me faire baptiser sur Facebook, j’ai eu des questions sur ce parcours, mais aussi beaucoup de soutien. J’ai parlé ouvertement de cette foi que j’avais depuis toujours en moi, de ce besoin de devenir enfant de Dieu à plus de 35 ans. Je témoignais de ma foi en mettant un psaume, une photo de l’église, un bout d’évangile ou d’homélie de la messe. Lorsque j’ai été baptisée, j’ai reçu
© EVX
J’ai un compte Facebook depuis fort longtemps, et j’ai toujours témoigné sur des sujets qui me parlent aussi bien de l’actualité que de ce qui est plus personnel. Il y a plus de trois ans j’ai suivi une préparation au baptême pour mon dernier enfant qui avait été gravement malade. Je venais de renouer avec la foi à l’hôpital, je n’étais pas baptisée mais j’avais fait du catéchisme à l’école. Au début, j’ai annoncé cela de façon un peu timide, tout en mettant des photos de l’église puis en parlant un peu plus ouvertement par la suite.
de beaux témoignages d’amour de la part de mes « amis » Facebook qu’ils soient catholiques ou non. Mon baptême a été vu comme une grande joie, enfin je l’ai ressenti comme cela. Témoigner de ma foi sur Facebook c’est montrer que ma foi est importante pour moi, que le Seigneur fait partie intégrante de ma vie. C’est aussi une façon d’évangéliser. Lorsque je mets un extrait d’évangile, c’est comme une porte ouverte, comme une invitation à rentrer dans une église et être touché par la grâce. Je
sais que mon parcours a fait réfléchir plus d’une personne et des gens que je ne pensais pas croyants ont ouvert leur cœur en me parlant de Dieu, de Jésus, de leur foi. C’est aussi cela, l’amour du Seigneur, il travaille dans le cœur de chacun. Parfois, une petite phrase laissée sur un réseau social peut ouvrir réflexion et cheminement. Et c’est bien mon but d’évangéliser, le Christ nous envoie tous en mission, nous sommes ses missionnaires d’une façon ou d’une autre. Maud septembre/octobre 2016
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Chercher et trouver Dieu
Témoignages
a la recherche d’une communion par un blog Alimentant chaque semaine un blog par des prières universelles pour le dimanche suivant, Kim-Liên se nourrit des intentions de prières des internautes comme de l’actualité pour cet apostolat de l’Église.
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En janvier 2009, un blog est créé pour faire rayonner l’aumônerie sur l’école d’ingénieurs de Purpan à Toulouse. Sept ans plus tard, il est devenu un outil au service des pays francophones avec ses 1 400 visiteurs par jour. Ses spécialités sont les commentaires de la Parole de Dieu du dimanche et les prières universelles (PU). J’ai la charge de ces dernières. Je m’appuie sur les textes litur-
giques du dimanche, sur les actualités de la société et de l’Église, sur les intentions du Pape. Je confie ce qui se passe autour de moi et dans le monde au Seigneur. Les PU sont très simples, mais elles sont le labeur du Jardinier même de Dieu ! Car malgré mes limites, j’arrive chaque semaine à les écrire, en m’appuyant sur Celui qui est là et en le priant.
© Purestock
À travers ces années, la rédaction de ces PU a fait grandir ma foi, mon attention aux situations du monde, ma reconnaissance envers la sollicitude du Pape qui nous éveille à tant de situations douloureuses… Mais, dans la durée, j’ai éprouvé rudement le fait de ne pas connaître mes correspondants, de ne pas les sentir. Je savais seulement qu’ils étaient nombreux et en attente. L’idée m’est venue de demander des prières. Alors nos lecteurs ont pris visage. Pourtant, je ne cherche pas à avoir de communication personnelle avec eux,
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ni eux non plus avec moi d’ailleurs. Désormais leurs demandes habitent, colorent ma prière. Pour ces demandes de prière, une messe est célébrée une fois par mois, elles sont aussi portées par une équipe de priants qui sont de mes amis. Ce blog, « Jardinier de Dieu », est aussi un relais d’info, annonçant ce qui se passe à Paris, Lyon, Toulouse… Il soutient les chrétiens opprimés. Grâce à lui, j’entre en relation avec des radios. Quelle joie de pouvoir parler de l’Amour qui anime ma vie, de pouvoir agir pour Lui en relayant des nouvelles ! Grâce à cette œuvre inattendue, je réponds à l’appel de Dieu comme auxiliaire de l’apostolat pour l’Église de Toulouse. Ma mission est d’annoncer Celui qui vient comme Jean-Baptiste l’a fait, mais d’une autre manière, dans un autre désert. Kim-Liên
www.jardinierdedieu.com
click to pray Une application sur son téléphone rappelle trois fois par jour à Dominique de prier avec les intentions du Pape. Une nouvelle manière de faire communauté.
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Trois fois par jour je reçois une alerte m’indiquant les prières envoyées par click to pray. C’est un moyen de me réveiller, de m’inviter à rejoindre d’autres chrétiens qui ont la même démarche et de rester ainsi au cœur des demandes de prières de notre Pape François. J’ai une très grande affection pour notre Pape et j’essaye de rester davantage en lien avec ce qu’il nous enseigne et là où il nous invite à « sortir aux périphéries ». Pour porter et prier les intentions qu’il nous confie, qu’il me confie… Je ne pourrais pas dire que je ne savais pas !!! Selon les jours, il peut y avoir 500 personnes qui cliquent pour signaler qu’elles ont prié avec l’intention proposée. C’est une manière de faire communauté
de manière beaucoup plus large. Et nous sommes dans une communion élargie à l’échelle du monde, les uns avec les autres, les uns pour les autres, rassemblés autour de notre Pape. Il existe aussi un mur de prières sur lequel chacun des utilisateurs peut laisser sa propre intention. Cela me permet d’être en union de prière avec des frères et des sœurs que je ne connais pas, que je ne rencontrerais sûrement jamais, certains souffrant et d’autres se réjouissant. « Soyez joyeux avec ceux qui sont dans la joie, pleurez avec ceux qui pleurent »1. Ce sont des inconnus, mais être en peine avec ceux qui sont en peine, c’est ma façon d’être à leurs côtés, de leur dire qu’ils ne sont pas seuls en cliquant sur leur
intention et parfois en y mettant quelques mots de soutien. Cela humanise davantage les intentions trop larges ou générales comme prier pour les malades, les migrants… Derrière les mots laissés sur ce mur de prière, si je n’ai pas de visages, j’ai des noms et parfois des lieux, un morceau d’histoire particulière. L’incarnation est là. Click to pray ne change pas ma façon de prier, ni ne la renouvelle. Cette application amène un « plus », un autre souffle par ce petit rappel discret trois fois par jour sur mon téléphone. À bientôt sur Click to pray…
1. Lettre de saint Paul aux Romains 12,15.
Dominique
www.clicktopray.org
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Chercher et trouver Dieu
Contrechamp
les usages ont façonné l’outil internet En relisant l’histoire d’Internet et du Web, Sébastien Bachollet, expert sur la gouvernance d’internet, souligne à quel point c’est l’utilisation qui induit les transformations de cet outil de communication. Mais les risques à venir nécessitent sans doute un ajustement entre protection et liberté.
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Comment Internet est-il né ?
Sébastien Bachollet, voix des utilisateurs d’Internet sur les questions de gouvernance (membre de l’association française pour le nommage Internet en coopération AFNIC et participant actif de l’Internet corporation for assigned names and numbers ICANN et d’autres forums de gouvernance de l’Internet).
Ce système est né dans les laboratoires américains. On était encore en pleine guerre froide et l’armée cherchait des solutions pour survivre à une guerre. Les universités cherchaient quant à elles des solutions pour faire travailler les ordinateurs entre eux. Le financement de cette recherche a donc été mixte, à la fois militaire et universitaire, et a débouché vers la fin des années 60, début des années 70. Internet est donc né à la fois d’un besoin de sécurisation et un besoin d’échange d’informations. Le même grand écart persiste encore aujourd’hui. À cette époque les ordinateurs utilisaient encore des fiches cartonnées ou des bandes. Le jour où deux ordinateurs ont pu échanger des données, ce fut extraordinaire. C’était le début des ordinateurs en réseaux. Il faut bien se rappeler qu’Internet est simplement un réseau
de réseaux. Au tout début, seuls les ordinateurs d’universités américaines communiquaient entre eux. Puis des centres de recherche d’autres pays se sont joints à ces réseaux. Le mot Internet est apparu seulement dans les années 80. Le seuil d’évolution suivant fut le nommage. Jusque-là une machine était connue sous une suite de chiffres. Par exemple 145.12.985.579. À partir du début des années 80, ce nom devenait UCLA.net par exemple. Beaucoup plus facile à utiliser et à retenir. Plus incarné. Ce fut aussi le moment où le nombre d’ordinateurs connectés a énormément progressé. Et le Web dans cette histoire ? Le Web ou World Wide Web, abrévié par www et que l’on connaît car il persiste dans les adresses de site, est une invention européenne. Créé par le CERN (centre européen de recherche nucléaire),
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il permet de passer d’un point à un autre beaucoup plus facilement, sans avoir besoin de programmer comme c’était le cas jusque-là. Les machines, donc les utilisateurs, s’émancipent peu à peu des informaticiens. C’est le développement en parallèle de la messagerie et du Web qui a permis l’essor des usages sur Internet. De plus en plus d’utilisateurs y ont vu un intérêt, et pas seulement les chercheurs. Cette série d’évolutions étaitelle planifiée ? Savait-on où on allait ? C’est très clair qu’aucune idée préconçue sur ce système n’existait au départ. Si cela avait été le cas, les systèmes auraient été beaucoup mieux sécurisés et il y aurait moins de problèmes aujourd’hui. Personne ne pouvait soupçonner que cela allait prendre autant de place dans la vie quotidienne.
Simplement l’usage. Lorsque le système s’est détaché progressivement du langage informatique, il est devenu plus simple d’utilisation et deux formes d’application ont rapidement vu le jour. Internet a été utilisé pour communiquer, via les mails, et pour publier des informations, via les premiers sites web. Ainsi, en France, les grandes entreprises au milieu des années 90 ont abandonné le minitel pour passer sur Internet pour informer leurs clients. Dans le même temps elles ont commencé à échanger leurs telex et fax pour des messageries électroniques. Rapidement ces sites web sont devenus des sites de ventes. L’aspect commercial a très vite pris une importance exponentielle. L’éclatement de la bulle Internet en mars 2000 n’a pas freiné les utilisations et les utilisateurs.
© DAJ
Qu’est-ce qui a induit le passage d’un objet de recherche pure en un objet du quotidien quarante ans plus tard ?
▲ Lorsqu’Internet s’est détaché du langage informatique les usages se sont développés.
Vers quelles évolutions allonsnous ?
Internet a-t-il changé la société ?
Les changements ne sont pas tous positifs. La facilité de communiquer a aussi sa face noire, on le voit bien aujourd’hui avec les jeunes qui se radicalisent sur Internet, que ce soit vers le djihadisme, l’anorexie ou le suicide en direct. Ou plus prosaïquement, avec les spams et le phishing 1 qui perturbent nos mails.
C’est indubitable ! Mais pas Internet seul, c’est également le Web et les téléphones portables connectés qui ont permis de nouveaux usages. Aujourd’hui on « googlise » pour avoir une info dans l’instant, avant il y avait les bibliothèques ou plus succinctement les dictionnaires dans une autre relation au temps. Le rapport au savoir et aux entreprises a totalement changé.
Demain, nous serons entourés d’objets connectés qui nous aideront dans notre quotidien. Le revers est que n’importe qui pourra savoir précisément où l’on est, ce que l’on a fait. La protection des données personnelles est un enjeu majeur. Mais la peur et sa fausse réponse, le contrôle, ne sont pas forcément la bonne solution. Car si chacun souhaite de bons usages de cet outil, qui contrôlera ? Les
États doivent-ils superviser ? La Chine et la Russie qui tentent de fermer leur société au reste des infos du monde se rendent également compte qu’elles pénalisent leurs entreprises. Je penche vers des structures décentralisées où les élus, les entreprises et les utilisateurs seraient ensemble en capacité de superviser. Ainsi les enjeux de pouvoir, d’argent et de liberté pourraient être pris en compte simultanément. Quelle liberté admettre ? Qui contrôle ? Dans quel but ? Quelles données peuvent être utilisées dans une société où la frontière entre vie privée et vie professionnelle s’estompe ? Libertés politiques, syndicales et religieuses sont re-questionnées par ces bouleversements technologiques.
1. Phishing ou hameçonnage est une technique de fraudeurs pour obtenir des renseignements personnels. Cela consiste à se faire passer pour un tiers de confiance – banque, administration – afin de soutirer à la victime des renseignements personnels : mot de passe, numéro de carte de crédit, date de naissance, etc. C’est une forme d’attaque informatique par courrier électronique, des sites web falsifiés ou autres moyens électroniques.
Propos recueillis par Marie-Gaëlle Guillet septembre/octobre 2016 13
Chercher et trouver Dieu
Éclairage biblique
© Papyrus contenant une épître de saint Paul / Wikimedia
un support nouveau pour l’annonce de l’évangile
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C’est pour que nous soyons vraiment libres que le Christ nous a libérés. Tenez donc ferme et ne vous laissez pas remettre sous le joug de l’esclavage.
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Moi, Paul, je vous le dis : si vous vous faites circoncire, Christ ne vous servira plus de rien.
3
Et j’atteste encore une fois à tout homme qui se fait circoncire, qu’il est tenu de pratiquer la loi intégralement.
4
Vous avez rompu avec le Christ, si vous placez votre justice dans la loi ; vous êtes déchus de la grâce.
5
Quant à nous, c’est par l’Esprit, en vertu de la foi, que nous attendons fermement que se réalise ce que la justification nous fait espérer ? Car, pour celui qui est en Jésus-Christ, ni la circoncision, ni l’incirconcision ne sont efficaces, mais la foi agissant par amour.
7
Vous couriez bien ; qui, en vous barrant la route, empêche la vérité de vous entraîner ?
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Une telle influence ne vient pas de celui qui vous appelle.
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Un peu de levain, et toute la pâte lève.
10
Pour moi, j’ai confiance dans le Seigneur pour vous : vous ne prendrez pas une autre orientation. Mais celui qui jette le trouble parmi vous en subira la sanction, quel qu’il soit.
Galates 5, 1-10 Traduction œcuménique de la Bible
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Dans le monde gréco-romain du 1er siècle, la correspondance écrite est pratique courante, notamment pour le commerce, ou l’échange de nouvelles. L’apôtre Paul en invente une utilisation et une forme inédites, en s’adressant aux jeunes communautés chrétiennes établies dans tout le bassin méditerranéen « Tenez donc ferme, et ne vous laissez pas remettre sous le joug de l’esclavage » 1 Une lettre à une communauté particulière qui traverse une crise majeure . La communauté des Galates, fondée récemment en territoire entièrement païen par Paul et jusqu’ici assez solide, est en danger, séduite par des missionnaires chrétiens judaïsant qui remettent en cause l’enseignement de Paul. Depuis Éphèse, à 500 km de là, Paul réagit « à chaud » pour convaincre les Galates de la vérité de l’Evangile qu’il leur a annoncé et les dissuader d’adhérer à la prédication de ces missionnaires prosélytes qui veulent imposer les prescriptions de la Loi aux païens. L’exhortation est vigoureuse, et dans son ardeur et sa peine Paul ne prend même pas le temps d’une salutation initiale,… un peu comme un mail en urgence. « Car, pour celui qui est en Jésus Christ, ni la circoncision, ni l’incirconcision ne sont efficaces mais la foi agissant par l’amour » 6 Une lettre pour poursuivre l’œuvre d’évangélisation . Au-delà d’un écrit de circonstance imposé par l’éloignement, la lettre est outil de prédication sur un point de doctrine. Ici pour l’essentiel, Paul, « chef de mission des incirconcis », réaffirme la primauté de la foi au Christ qui donne d’agir par amour dans la liberté vis-à-vis de la Loi, dans la liberté de l’Esprit. Paul développe cette thématique ailleurs et notamment dans la lettre aux Romains… on verrait bien « pj en pdf » ! « Pour moi, j’ai confiance dans le Seigneur, pour vous : vous ne prendrez pas une autre orientation » 10
Une lettre qui « édifie » l’Église. Le lien établi entre les différentes communautés dispersées sur le territoire de Galatie, où cette lettre était lue publiquement, vers l’an 54, c’est déjà l’unité de l’Église en marche. Cette assurance que le Seigneur appelle et guide son Église, rejoint bientôt tous les destinataires de l’Église naissante, dans laquelle très vite les écrits de Paul, deviennent régulateurs et modèles de transmission de la véritable foi au Christ. Au sein du Nouveau Testament où sur 27 écrits, 13 le sont de sa main ou dans sa ligne, ils constituent une mémoire vivante de la Parole. De sorte qu’aujourd’hui, à travers la voix de Paul s’adressant à cette communauté en pasteur, pédagogue et théologien, nous reconnaissons l’appel du Christ à la liberté dans l‘Esprit pour inventer une manière d’être en Église « levain » dans la « pâte » d’un monde si lointain et si proche du monde grécoromain. Résonance inouïe d’une trace de stylet de roseau sur papyrus… France Delescluse
points pour prier + Je me mets en présence du Seigneur. + Je demande la grâce de grandir dans
l'attachement au Christ. + Je reçois ce don de liberté que le Christ me fait et fait à chacun, je rends grâce pour ce qui en moi déjà a été libéré. + Je laisse le Seigneur m’éclairer sur ce qui m’entrave aujourd’hui pour mettre en œuvre davantage ce don dans les différents lieux de ma vie : de quels esclavages, attachements ai-je à me laisser libérer ? Dans ma vie personnelle, familiale, professionnelle, sociale, en communauté locale… + Je reçois de Lui le pas que j’ai à faire aujourd’hui et lui dis ma confiance dans l’action de l’Esprit en moi, en toute chose. + C’est Lui qui appelle son Église, je rejoins la prière de mes frères : Notre Père. septembre/octobre 2016 15
Chercher et trouver Dieu
Repères ecclésiaux
le net fait bouger la théologie et la foi Avec le développement d’Internet et du numérique, nous devenons de plus en plus des « homo numericus ». Notre rapport au travail, au temps, à l’espace, aux infos, aux autres… change. Notre foi ne peut pas rester à l’écart. Elle aussi est impactée par Internet et la culture post-moderne numérique, souligne Nathalie Becquart, Xavière. Mais si plongés dans ces outils, notre relation aux autres et nos manières d’être en Église bougent, le cœur de notre foi reste le même.
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Internet a changé nos façons de travailler, de nous informer. A-til aussi un impact sur notre foi ?
Nathalie Becquart, Xavière, directrice du Service national pour l’évangélisation des jeunes et pour les vocations à la Conférence des Évêques de France L’évangélisation des jeunes : un défi ; eglise@jeunes2.0 Édition Salvator, 2013
Internet a un fort impact sur nos sociétés. C’est devenu notre milieu de vie, toutes les activités humaines se numérisent. Avec le développement de ce que j’appelle la culture post-moderne numérique, nos relations aux autres, au temps, à l’espace, à l’autorité… ont changé. Donc, forcément cela modifie également notre foi qui s’exprime toujours dans et à travers une culture donnée. Vivre sa foi aujourd’hui est sans doute différent de vivre sa foi avant l’apparition d’Internet même si l’on n’a pas encore suffisamment de recul pour le nommer complètement. Cela relève de la dynamique d’inculturation de la foi. On ne peut pas penser et exprimer Dieu en dehors d’une culture et de son langage, si la culture change, notre façon d’appréhen-
der et nommer le mystère de Dieu change également. En effet, on ne vit pas la foi tout à fait de la même façon si l’on est Japonais, Brésilien ou Français, si l’on vit au XVIe, XIXe ou du XXIe siècle. Chaque culture met en relief tel ou tel accent ou facette du Dieu de Jésus-Christ… Aujourd’hui, par exemple, un principe fort de cette nouvelle culture dont les réseaux sociaux sont un des symboles, met en avant beaucoup plus le partage, la communication horizontale. Si j’aime une vidéo sur Facebook, je « like » et je partage. N’est-ce pas une valeur évangélique, comme une « semence du Verbe » ? Bien sûr dans cette nouvelle culture Internet, comme dans toute culture, s’il y a des éléments en affinité avec l’Évangile, il y en a d’autres à convertir. Sur Internet s’exprime le meilleur – la solidarité, la communion par exemple lors d’un attentat comme on a pu le voir le 13 novembre avec le buzz du hashtag
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#PrayForParis – comme le pire avec le développement dramatique de la pornographie. Et la théologie, est-elle également changée par ce nouvel outil ? Je pense que les fonctionnements nouveaux qui se développent dans cette société hyper-connectée que nous habitons – (l’interactivité, le réseau, l’expression plus grande de l’opinion publique dans l’Église…) nous poussent à aller plus loin dans la réception de Vatican II. Cette culture Internet qui appelle plus de participation, moins de hiérarchie, plus de co-construction, peut encourager notre chemin vers une Église plus synodale et dialogale. Par ailleurs, dans une culture numérique et démocratique qui met la relation et l’individu au centre, sans doute a-t-on redécouvert davantage la dimension de la relation de Dieu-Trinité.
Autre exemple que je vis dans ma communauté Xavière où se trouvent les jeunes novices en formation. Il y a 20 ans au noviciat, quand j’étais novice et que nous avions à présenter à la communauté quelque chose du thème que nous avions travaillé, on partageait à partir d’un texte que nous avions écrit, parfois d’une affiche papier. Aujourd’hui, les novices quand elles partagent quelque chose à la communauté le font généralement en images, souvent avec une vidéo qu’elles ont réalisée. Et c’est très intéressant, car à travers cette nouvelle forme d’expression, elles nous font découvrir quelque chose de notre charisme avec une nouvelle tonalité ou facette. Saint Paul à son époque, pour continuer à communiquer avec les communautés qu’il avait fondées, a utilisé le moyen de son époque : les lettres. Ses épîtres sont structurées comme celles des lettrés de l’Antiquité, et pourtant il a su trouver comment, à tra-
© Papyrus contenant une épître de saint Paul / Wikimedia
Un seul Dieu en trois Personnes qui est en lui-même relation, auto-communication. Penser le christianisme à l’heure d'Internet nous invite à travailler une théologie de la communication enracinée dans la théologie trinitaire. Il est sûr qu’au Moyen-Âge, nous ne pensions pas tout à fait Dieu de cette manière. Pourtant, c’est bien le même Dieu. Notre approche de Dieu se dit avec le langage et les catégories mentales dont nous disposons.
vers ce langage, communiquer le mystère du Christ. Aujourd’hui, nous devons entrer dans la même démarche avec tous ces nouveaux langages Internet. Par Tweeter, Facebook ou Instagram, il est possible de communiquer l’Évangile. Le Pape - considéré comme une des personnalités les plus populaires et influentes sur les réseaux sociaux - le fait très bien. En quoi le Net peut-il nourrir notre foi ? Sur Internet on peut trouver beaucoup de sites et ressources pour nourrir sa foi : les textes du jour et le bréviaire, des retraites en lignes, des applications pour prier…. sans oublier les vidéos, images, musiques liturgiques… Est-ce que cela change notre vie spirituelle ? En quoi prier à partir de l’Evangile du jour sur mon smartphone plutôt dans une Bible papier, influence-t-il ma manière de prier ? Je ne saurais le dire. Mais ce que je vois aujourd’hui par exemple, dans l’accompagnement spirituel des jeunes, c’est que là où traditionnellement je proposais des livres de lectures spirituelles, il me faut aujourd’hui m’adapter pour proposer à certains là où ils en sont comme porte d’entrée et nourriture dans la foi plutôt une vidéo du Jour du Seigneur disponible sur Youtube, une prière guidée sur Notre-Dame du web, des podcasts avec les chants de Taizé pour les aider à entrer dans la prière personnelle… L’image et
la musique sont en effet devenues les langages premiers des jeunes. Nous sommes passés d’une culture de l’écrit à une culture des écrans. La musique, qu’ils écoutent en quasi permanence sur leurs écouteurs, a ainsi une place très importante dans leur vie. Ils sont habitués depuis l’enfance à certains standards musicaux. Du coup, si en paroisse à la messe, les chants sont faux, les micros mal réglés et s’ils ne sont pas sollicités visuellement… ils auront plus de mal à entrer dans la liturgie. Et les sacrements ? Les sacrements ont besoin de la rencontre incarnée. Nous sommes la religion de l’Incarnation. Ils ne peuvent donc se donner sur le Net. Pourtant quelque chose se donne d’une expérience de Dieu et de l’Église à travers le Net. Ainsi, les personnes qui suivent la messe à la télévision ne vivent-elles pas quelque chose du sacrement ? Et j’ai rencontré plusieurs personnes qui en suivant les JMJ sur les réseaux sociaux ou à la télé ont été touchées et retournées. D’autres m’ont dit sans l’avoir rencontré de visu mais seulement dans les médias numériques « le Pape François m’a fait retourner à l’Église »… La grâce de Dieu passe par toute sorte de moyens, lieux, personnes et expériences, y compris via le net ! Propos recueillis par Marie-Gaëlle Guillet septembre/octobre 2016 17
Chercher et trouver Dieu
pour aller plus loin Des pistes pour un partage : • Quel est mon rapport au numérique, à Internet ? Quelle incidence sur ma vie professionnelle, familiale, ecclésiale ? Quel temps j’y consacre ? Quels avantages et inconvénients ? Est-ce que je mets cette activité sous le regard de Dieu ? Nourrit-elle ma vie spirituelle ? Comment pourrait-elle davantage la nourrir ? • Je relis ma manière d’utiliser cet outil : quand je suis sur Internet, sur un réseau social… est-ce que je suis au service de la vérité, de la paix, de la communion ? Est-ce que j’exerce une vigilance quant à ce que je partage ? Est-ce que mon utilisation d’Internet me rapproche des autres, de Dieu ? Est-ce que j’en parle avec mon accompagnateur, avec un groupe d’Église ? • Dans nos communautés locales ou nos groupes de réflexion, comment cet outil peut-il être mis au service de la croissance spirituelle ? Je regarde l’Église, la société : en quoi ces nouvelles technologies sont-elles porteuses de vie ?
À lire : • Dieu et Internet, 40 questions pour mettre le feu au Web Jean-Baptiste Maillard, Béatitudes, 2011, 15,70 euros. Ces 40 questions répondent avec des mots simples à tous ceux qui se demandent comment utiliser Internet pour nourrir leur foi ou pour évangéliser, qu’ils soient déjà engagés ou simples néophytes. • Cyberthéologie Antonio Spadaro s.j., Lessius, 2014, 19 euros. Una approche théologique des changements suscités par Internet à notre société, en lien avec la noosphère de Pierre Teilhard de Chardin. Et si la tâche de l’Église consistait à élaborer une réflexion théologique sur cette nouvelle réalité qui, favorisant un espace de communion, conduit l’humanité à son accomplissement ? • La conversion numérique Christus 248, octobre 2015, 12 euros. Les experts de ce numéro de Christus appellent chacun à un « chemin de discernement » qui mène vers une compréhension profonde, personnelle et collective, de l’univers digital.
À voir : • Her Un film de Spike Jonze, 2014. Dans un futur proche, Theodore Twombly, suite à une rupture amoureuse, fait l’acquisition d’un programme informatique ultramoderne, capable de s’adapter à la personnalité de chaque utilisateur. En lançant le système, il fait la connaissance de ‘Samantha’, une voix féminine intelligente, intuitive et étonnamment drôle. Peu à peu, ils tombent amoureux… 18 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 43
contempler une œuvre d'art
▲ L’Angélus, de Jean-François Millet, 1857-1859, huile sur toile, Musée d’Orsay.
Je suis touchée par la grande piété des deux personnages dont la présence dans le tableau est très forte et délicate. Je m’imagine la pénibilité du labeur quotidien de ces paysans et leur fatigue en cette fin de journée. Et je les vois, en entendant la cloche, s’arrêter pour prier. Seigneur, que mon travail et mon quotidien soient prière. Que ton Esprit renouvelle et féconde mes journées. Hélène Faure septembre/octobre 2016 19
Se former
École de prière
la prière d’intercession Depuis le temps que l’on prie pour la paix dans le monde, il y a toujours autant de guerres. Ma voisine est décédée malgré mes prières. Finalement, prier pour quelqu’un, pour une situation difficile, est-ce vraiment utile ? Face à cette interrogation régulière, Sr Nathalie Albert nous invite à la confiance et en une remise entre les mains du Seigneur, toujours présent auprès de ceux qui souffrent.
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Il y a ces milliers de pèlerins à Lourdes, qui chaque soir à la saison des pèlerinages, marchent en procession, une lumière à la main, demandant à Marie d’intercéder pour le monde, de « prier pour nous, pauvres pécheurs maintenant et à l’heure de notre mort ». Il y a cette mère, à l’église, au pied de la statue de sainte Rita qui allume pieusement un cierge. Il y a la visite de cet ami qui vient dire, terrifié : « J’ai peur du diagnostic des médecins. Prie pour moi ».
Qu’est-ce que la prière ? La prière est un dialogue avec le Seigneur. Qu’elle soit reçue des apôtres et de la tradition comme le Notre Père, qu’elle soit faite de mots jaillissants ou bien quand elle soit écoute de la Parole, la prière est ce moment privilégié qui permet d’entrer dans l’intimité du Seigneur pour dire ce qui habite le cœur : joies, peines, désirs. Elle est ce temps du cœur à cœur, dans l’intimité de la relation avec celui qui aime sans condition et que l’on désire aimer.
Car ce long ruban de lumière, ce cierge allumé, la prière de l’ami, n’empêcheront ni la guerre, ni la douleur de l’enfant, ni la maladie. Alors en quoi consiste donc la prière d’intercession ? A quoi sertelle ?
© Mariage à Cana, Gérard David, 1450, Musée du Louvre
Sr Nathalie Albert, religieuse de Notre Dame du Cénacle en communauté à Raismes (59), participe à la vie spirituelle de la maison du diocèse. Elle est engagée auprès des 18-35 ans avec le réseau MAGIS, ancien RJI.
Autant de manières de demander à Dieu d’agir, d’intervenir, par l’intercession de Marie, des saints, ou d’un ami. Quel est le sens de cet appel ? Qu’attendent ces priants ?
▲ Comme à Cana, la prière de Marie consiste à présenter au Seigneur, dans une grande confiance, un manque, une attente. Et de demeurer là, sûre d’être exaucée.
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Elle prend parfois une couleur spéciale quand elle est pour quelqu’un, pour une intention particulière. Le priant se fait alors intercesseur et sa prière devient un cri pour le monde ou pour la personne qui l’a demandée. Le priant dépose dans le cœur de Dieu la détresse, l’inquiétude, l’espérance. Dans la confiance, il est sûr d’être exaucé.
La prière d’intercession dans les évangiles « Demandez, on vous donnera ; […] quiconque demande reçoit […]. Le Père du ciel donnera […] l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! » Dans ce passage (Luc 11,9-13), nous entendons la force de la prière et comment Dieu répond à ceux qui demandent : il donne ce qu’il y a de mieux, l’Esprit Saint. L’important est de ne jamais se décourager, de prier sans cesse, sûr que Dieu exaucera la demande. La parabole de la veuve importune (Luc 18,1-8) en est un magnifique enseignement. Cette femme ne craint pas de frapper à la porte d’un juge inique, sans scrupule, ne craignant ni Dieu, ni les hommes. Elle l’importune jusque dans la nuit car elle sait que sa persévérance finira par payer. Elle est dans une telle confiance que rien ne peut lui échapper. Et le juge finit par porter attention à la pauvre femme. Oh ! Pas pour elle ! Non ! Mais pour ne plus être dérangé, lui. Si le juge traîne à exaucer la prière de cette veuve, le Seigneur lui, ne tarde jamais. Il exauce toujours celui qui crie vers lui, mais à sa manière, et non à la manière humaine : le priant est invité à faire confiance !
Comme le dit le pape François, « la prière n’est pas une baguette magique », mais elle est signe d’une confiance et d’une espérance : Dieu est présent dans chaque douleur et intervient toujours en faveur de celui qui crie vers lui. Mais quelquefois de manière cachée. Au début de l’Evangile selon Jean, Marie à Cana intercède pour les invités de la noce. Jésus n’a pas encore accompli de signe qui manifeste sa gloire. Mais à Cana, Marie croit, au sens fort du terme, que Jésus exauce sa prière. Confiante, elle devance les besoins des convives : ils n’ont plus de vin. Trois mots et tout est dit à son Fils. Elle anticipe le don. La prière de Marie consiste simplement à présenter au Seigneur, dans une grande confiance, un manque, une attente. Et de demeurer là, sûre d’être exaucée d’une manière ou d’une autre.
Avec saint Ignace et les Exercices Spirituels Dans les Exercices Spirituels, saint Ignace propose le « triple colloque » (ES n° 147). C’est la prière d’intercession par excellence : en présence de la cour céleste, le retraitant présente sa prière à Marie, pour qu’elle la présente à son Fils qui la présentera à son Père. C’est tout un chemin qui fait de la prière non pas quelque chose de personnel, centré sur soi, mais qui rassemble tous les priants dans un même
désir : celui d’accueillir le don de Dieu.
Une prière qui ouvre le cœur Ce qui est important, c’est le dialogue avec Dieu et non l’objet de la prière, c’est cette foi inébranlable en un Dieu qui est là, au cœur de la souffrance, la foi en un Dieu qui est saisi aux entrailles à cause de la détresse humaine et qui marche avec chacun de ses enfants. Ce qui permet de transformer l’évènement à traverser, c’est cette remise de soi ou de l’autre qui peine dans les mains de celui qui a tout donné par amour, jusqu’à sa propre vie. Et cela est possible uniquement avec la confiance : elle est la clé de la prière exaucée. Mais la prière d’intercession, aussi confiante soit-elle, n’empêche ni guerres, ni cataclysmes. Elle ouvre le cœur au désir de Dieu : elle est accueil de la force de l’Esprit saint pour qui veut participer à la transformation du monde et travailler à une plus grande gloire de Dieu. Prions donc avec persévérance aux intentions du monde, avec la foi solide de la veuve importune de Matthieu. Nathalie Albert Sœur de Notre Dame du Cénacle
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Se former
Expérience de Dieu…
en suivant un parcours de formation Aurélie vient d’achever un parcours de trois ans, avec une douzaine d’autres laïcs, à Ajun, dans la Creuse. Accompagnée par Christoph Théobald s.j. et une équipe, elle relit cette formation « Chemin, Écriture, Passage » où elle s’est sentie appelée à la vie au travers de l'anthropologie, de l’étude de la Parole et de l’histoire de l’Église.
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faute de combattant, les rencontres s’étaient arrêtées, et je restais seule face au Livre. En résumé, je cherchais un lieu de compréhension, d’instruction. C’est un lieu de Vie que j’ai en fait trouvé. Dès la première rencontre, j’ai reçu de plein
© Duccio di Buoninsegna (vers 1 300).
Orientée vers ce groupe par le prêtre de ma paroisse de Boussac, il y a trois ans, je cherchais alors une sorte de «caté pour les grands ». Moi qui par ailleurs animais une équipe d’aumônerie, j’avais envie de nourriture ! J’avais également fait partie d’un groupe de partage d’évangile…
▲ Ces rencontres d'il y a 2 000 ans sont toujours d'actualité aujourd'hui.
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fouet, cette invitation : « Tu peux vivre ! » Complètement, sans culpabilité, sans scrupule. C’est l’appel que lance Jésus tout au long de son parcours. Nous avons lu, guidés par Marie-Angèle, l’Évangile de Marc de bout en bout. Au fil des pages, je vois ainsi Jésus qui guérit. Et, comme rendu à lui-même, l’homme peut « se mettre en jeu ». Ces rencontres d’il y a 2 000 ans sont toujours d’actualité, pour moi, aujourd’hui. Alors que ma vie me semblait parfois incompatible avec la foi, alors qu’il m’arrivait de penser « suis-je à la hauteur de cette religion ? », cette lecture nouvelle m’a donné confiance. La lumière est tellement plus belle lorsqu’elle traverse une surface fragmentée. L’itinéraire du Christ, lu à travers les mots de Marc, m’ont bien sûr permis de mieux comprendre Jésus et ceux qu’il rencontre. Mais elle m’a surtout donné de goûter ce commandement « Aimez-vous les uns les autres ».
© Gathering peaches in the collective farm in Armenia, Martiros Sarian, 1938 / wikiart
Une quête en commun Ce parcours de trois ans a forc é me nt é t é m a rq u é p a r le s rencontres que j’y ai faites. Le partage humble de nos questionnements, l’écoute, la confiance ont été d’une grande fécondité… Nous nous sommes donnés les uns aux autres. Notre groupe était très hétéroclite par l’âge, les professions, l’avancée dans la foi, les origines… Mais nous avions en commun une quête. Et cette dynamique, cette envie, lui a donné vie. Célibataire, élevée seule par ma mère, j'ai par ailleurs été très touchée par les rencontres avec les couples : ces personnes qui cheminent ensemble et chacun, soudées par l’amour et la volonté. Elles sont deux… et il y a cette troisième personne qui est le couple. Certains m’ont bluffée par l’honnêteté de leur témoignage, qui rejoignait les questions concrètes que je portais.
Unifier vie et foi L’histoire de l’Église a été une découverte pour moi. Suivre son
▲ « Ajuster toute sa personne et écouter, avant de discerner et, enfin, de cueillir une décision ».
A travers cette expérience Quand ensemble des chrétiens échangent sur leurs vies tout en scrutant les Écritures et interrogeant l’histoire de l’Église et son enseignement, ils font de la théologie, travail d’intelligence de la foi : non pas un exercice intellectuel, mais une rencontre avec Jésus-Christ, présent par son Esprit, qui nous engendre à la vie de Dieu. cheminement, ses questionnements, ses événements, ses tâtonnements… me l’a rendue plus familière. Plus humaine aussi. Ma foi était ancrée… je ne l’ai jamais mise en doute, parfois au placard, mais jamais longtemps. C’est donc un nouveau souffle que je lui ai offert. Cette (re)découverte de la Parole, de la Bible, et de son lien si fort avec les hommes. Avec moi. J’ai reçu des clés pour vivre cela au quotidien, en unifiant vie et foi. Concrètement la lecture et le partage
CEP Le « CEP » -pour « Chemin, Écriture, Passage » – est un parcours de formation d’une durée de 3 ans. Proposé et accompagné par Christoph Théobald et sœur Marie-Angèle Fauvel, ainsi qu’une équipe de laïcs, il se déroule en Creuse, à raison de 6 à 8 dimanches par an. Cette proposition s’adresse à toute personne désireuse d’unifier sa vie et de connaître le Christ et l’Église. Elle repose sur le trépied : étude de l’histoire de l’Église, lecture de l’Evangile de Marc pour y découvrir le chemin de Jésus, et enfin, regard sur la vie humaine et spirituelle de chacun.
de lettres écrites par le père Édouard Pousset s.j. touchaient quelque chose de sensible chez moi : la difficulté à prendre des décisions. Ses courriers étaient pour moi, parfaitement ajustés, et leurs déclinaisons dans ma vie parfaitement concrètes. Je perçois maintenant qu’il me faut ajuster toute ma personne et écouter, avant de discerner et, enfin, de « cueillir » une décision. Confiance et espérance. Le CEP m’a fait découvrir que les choses arrivent quand elles le doivent. Ces rencontres m’évoquent un petit jardin secret qui apporte de la fraîcheur. À chaque fois, j’en suis revenue renouvelée. Rayonnante de l’intérieur ! Alors oui, je m’y suis « instruite »… mais surtout, je sais maintenant que « j’ai le droit de vivre » ! Aurélie septembre/octobre 2016 23
Se former
Lire la Bible d’élie à élisée :
la transmission par le manteau L’article de la Revue N° 42 (juillet août 2016) a aidé à discerner comment peu à peu Élie a purifié ses images de Dieu. A l’Horeb, Élie sort de l’ombre de la grotte, de sa nuit intérieure, d’un long temps de désolation. Dieu se révèle non pas dans la violence du vent, du tremblement de terre et du feu, mais dans une voix de fin silence au cœur d’une théophanie. Poursuivons le récit en lisant 1 Rois 19 et 2 Rois 2.
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« Et Élie alla de là et il trouva Élisée » : Élie ne cherche pas Élisée, il se laisse conduire par Dieu à cette rencontre. Élie est toujours en chemin : « il passa vers Élisée » comme Dieu passe, dans le silence, « et il jeta son manteau vers lui ». Le manteau symbolise la personnalité et les droits de celui qui le porte. C’est avec ce manteau
© Double portion, Brenda Rose Wright, 2013
A l’Horeb, Élie a été littéralement « retourné » : 1 R 19 15 « Le Seigneur lui dit : « Va, reprends ton chemin dans le désert, à Damas… » Un appel à revenir dans le monde, dans la réalité de la vie du peuple ; et il reçoit la mission d’aller « oindre Hazaël et Jéhu comme rois et Élisée comme prophète à sa place… ».
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qu’Élie avait voilé, enveloppé son visage à l’Horeb ; ce n’est plus un simple vêtement : il est empreint de la présence de Dieu, de la face de Dieu. Dieu est présent dans les replis de nos vies. Élie laisse Dieu agir dans le cœur de celui qu’Il appelle. Pas de paroles mais un geste qui manifeste la transmission d’une partie de lui-même… premier signe sensible de ‘l’onction’. Élisée ne ramasse pas le manteau… Il ne se l’approprie pas. Sa fidélité au Dieu d’Israël lui fait percevoir la présence de Dieu dans l’action du prophète, dans ce geste qu’il reçoit comme un appel à un « autrement » de sa vie, avec Élie. Élisée est mis en mouvement et il acte une rupture radicale avec son passé : il abandonne ses bœufs, son travail d’agriculteur ; et sans poser de préalable, sans condition, il répond avec fermeté : « je veux embrasser, je t’en prie,
Élisée est conquis par le prophète, serviteur de Dieu. Mais la parole d’Élie peut surprendre : « Va ! Retourne… » Elle fait écho à la parole de Dieu à Élie : « Va, reprends ton chemin… » Parole de maître à son disciple, parole qui rend libre : ne pars pas comme ça… Où est ton désir… Qui veux-tu suivre ?… « Car qu’ai-je fait pour toi ? » Élie est porte-parole de Dieu ; il n’est pas propriétaire de la Parole, il la transmet ; ce n’est pas lui qui fait, qui agit, c’est Dieu qui a choisi Élisée.
Élisée entre dans une vie nouvelle « Et Élisée revint de derrière lui… » dans un geste solennel d’offrande il sacrifice ses bœufs et donne un repas de communion au peuple qui devient témoin de sa décision. Il brûle ce qui pouvait encore le retenir à sa vie passée, au sillon d’une vie toute tracée, pour entrer dans une vie nouvelle ; il abandonne son héritage, « puis il se leva, il alla derrière Élie, et fut à son service ». Tous deux ont entendu et répondu à un appel et ils partent… Rien n’est dit de ce qu’ils échangent, de ce qu’ils vivent ensemble… Jusqu’à ce que : « Et il arriva quand le SEIGNEUR fit monter Élie dans la tempête aux cieux. Élie alla, avec Élisée, depuis le Guilgal. Et Élie dit à Élisée : « Reste ici, je t’en prie, car le SEIGNEUR m’a envoyé jusqu’à
Béthel. » Et Élisée dit : « Par la vie du SEIGNEUR et par ta propre vie, je ne te quitterai pas ! » Et les fils de prophètes, qui étaient à Béthel, sortirent vers Élisée… » (2 Rois 2). Élie et Élisée sont toujours en marche : après Béthel, Jéricho puis le Jourdain. Avec le Guilgal, ces lieux renvoient à quatre épisodes de l’entrée d’Israël en terre promise. Mais ici, Élie et Élisée font ensemble le chemin inverse de celui suivi par le peuple conduit par Josué.
Élie le passeur E t e n c h a q u e l ie u , l e m ê me échange de paroles : « Reste ici, je t’en prie… le Seigneur m’a envoyé… je ne te quitterai pas… » Ce dialogue fait écho au premier échange (1 R 19, 20) mais maintenant, c’est Élie qui dit : « je t’en prie » ; et il ajoute : « car le Seigneur m’a envoyé ». Élie a compris l’attachement qu’Élisée lui manifeste. Il invite donc son serviteur à un davantage, à se tourner vers Dieu, à s’attacher à Dieu, à suivre le Seigneur. Élie n’est pas dans un ‘Pourquoi veux-tu me suivre ?’ Il n’impose rien, ne cherche rien pour lui. Élie est davantage qu’un maître : il est un passeur qui transmet à son disciple la liberté d’un lâcher prise. Élisée renoncera par trois fois à un retour en arrière, et chaque fois par un double serment. « Et ils s’en allèrent tous deux. Et cinquante hommes d’entre les fils de prophètes allèrent se placer et ils se tinrent vis-à-vis, à distance, tandis qu’eux deux se tinrent auprès du
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mon père et ma mère » ; un baiser d’adieu. Élie respecte la décision d’Élisée.
▲ Élisée divisant les eaux du Jourdain avec le manteau d’Élie, Jean-Baptiste Despax, 1751, chapelle des Carmélites, Toulouse.
Jourdain ». La communauté des croyants au Dieu d’Israël, des fidèles à l’Alliance, est convoquée en ce lieu ; ces cinquante hommes sont appelés à être témoins auprès de la communauté, du peuple. « Alors Élie prit son manteau, il le roula et en frappa les eaux : elles se partagèrent par ici et par ici ; et ils passèrent eux deux à sec. Et il arriva, comme ils passaient, Élie dit à Élisée : « Demande ce que je dois faire pour toi avant que je sois pris d’auprès de toi ! » Élisée dit : « Que soit, je t’en prie, une double mesure de ton souffle à moi ! » Et il dit : « Tu rends difficile en demandant ! Si tu me vois pris d’auprès de toi, il en sera pour toi ainsi ; sinon, cela ne sera pas. » C’est par le manteau d’Élie, comme par le bâton de Moïse, que les eaux se fendent. Élie et Élisée pénètrent dans le pays de Moab, là où Moïse exhorta le peuple à se rattacher à l’obéissance à la Loi, là aussi, au pied du Mont Nébo où Moïse fut mis au tombeau, mais personne n’a connu sa tombe jusqu’à ce jour. (Deutéronome 34, 5-6).
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Lire la Bible l’héritage du fils aîné
Vient alors, en passant, une parole d’Élie qui reprend les mots de sa question initiale (1 R 19, 20) : que / faire / pour / toi ; Élie sollicite une réponse d’Élisée, qui, sans attendre, demande une part de l’héritage d’Élie : une double mesure de son souffle, de l’esprit prophétique d’Élie, la double part, celle du fils aîné. Sans doute exprime-t-il ainsi son désir de poursuivre la mission d’Élie et d’être reconnu comme son successeur. Mais c’est Dieu qui appelle Élisée à être son prophète. Élie lui annonce un signe, un signe qui confirmera ‘l’onction’. « Si tu me vois pris d’auprès de toi… » « Et il arriva, eux allant et en parlant, voici : un char de feu et des chevaux de feu qui séparèrent entre eux deux, et Élie monta dans la tempête aux cieux ». Après l’annonce, la confirmation au cœur d’une théophanie, comme à l’Horeb : le feu de la présence de Dieu, de sa transcendance.
« Et Élisée, le voyant, criait : « Mon père ! Mon père ! Chars d’Israël et ses cavaliers ! ». Puis il cessa de le voir… » Élisée est pris dans le souffle, l’esprit vivant d’Élie ; Dieu seul peut transmettre la double part et confirmer le désir d’Élisée. Et c’est dans cette ‘présence-absence’ qu’Élisée reçoit ‘l’onction’. La transmission n’est plus celle d’un maître à un disciple, mais d’un père à un fils. Élie, fidèle serviteur de Dieu, monte aux cieux… Dieu est au cœur de cette transmission, Dieu consacre cette transmission. Le souffle d’Élie vient revêtir, comme un manteau, Élisée qui commence à agir comme son maître.
la transmission par le manteau « Élisée saisit ses vêtements et les déchira en deux. Et il ramassa le manteau d’Élie qui était tombé de sur lui, il revint et se tint sur la rive du Jourdain. Et il prit le manteau d’Élie qui était tombé de sur lui, il en frappa les eaux et dit : « Où est le SEIGNEUR, le Dieu d’Élie ? » Lui aussi il frappa les eaux : elles
© Wikipedia
Élisée attrapant le manteau d’Élie, Walthère Damery, 1644, coupole de l’église Saint Joseph des Carmes, Paris.
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A vos bibles Prendre le temps de lire Exode 2-3 et 1 Rois 18-19, en nous attachant aux figures de Moïse et d’Élie. Qu’est-ce que cela nous dit ? Poursuivre en regardant Josué et Élisée. A la transfiguration, Moïse et Élie s’entretenaient avec Jésus… Lire Luc 9, 18-36, sans s’interdire d’élargir à l’ensemble des chapitres 9 et 10. Qu’est-ce que Luc veut nous dire de Jésus, des disciples ? Et pour aller plus loin : Ce récit nous invite à contempler comment Dieu « passe » par des hommes pour appeler d’autres hommes ; il peut également nous aider à relire l’histoire d’une transmission de service dans la communauté, en Église, dans nos lieux de vie… quelle qu’ait été notre place dans ce « passage de témoin ». se partagèrent par ici et par ici ; et Élisée passa. » En déchirant ses vêtements, Élisée se débarrasse de ce qui pourrait le rattacher encore à sa vie passée ; il n’est plus le serviteur d’Élie. Il peut alors ramasser puis prendre le manteau qui reste, qui demeure le manteau d’Élie et qui les relie l’un à l’autre. Son double geste atteste de la pleine transmission d’Élie à Élisée. Le manteau signe de la transmission, d’une conversion toute empreinte de l’humilité de Dieu. Le manteau dans la main d’Élisée, Élisée dans la main de Dieu. C’est dans le « départ » d’Élie qu’Élisée devient vraiment son fils. Les fils de prophètes et tout le peuple sont invités à être témoins, à reconnaître en Élisée le successeur du prophète Élie. Élisée passe le Jourdain. Il va à Jéricho, puis à Béthel, à Samarie… Un chemin vers une terreune histoire promises, une mission promise… Jean-Yves Pasquier CVX
Spiritualité ignatienne « la chose venait bien de dieu »
critères d’une confirmation de la décision Comment savoir si la décision prise vient bien de Dieu ou bien si nous prenons nos désirs pour ceux de Dieu ? Une piste proposée par le cardinal Carlo Martini s.j. est de s’appuyer sur les critères d’Ignace lui-même à Loyola lors de sa convalescence pour une authentique confirmation.
A Loyola, après avoir frôlé la mort et pendant que les os de la jambe se ressoudent suite à la seconde opération exigée pour raison esthétique, Ignace va éprouver, en lisant la vie du Christ et celle des saints, le désir de changer radicalement de vie. Dans cette période, un événement marquant : une apparition de Marie, qu’Ignace relit après coup comme une « confirmation » de ses bons désirs. « Et déjà s’en allaient à l’oubli les pensées d’autrefois grâce aux saints désirs qu’il avait, lesquels lui furent confirmés par une visitation, de la manière suivante. Étant éveillé une nuit, il vit clairement une image de Notre-Dame avec le saint Enfant Jésus : de cette vue, qui dura un espace de temps notable, il reçut une excessive conso-
lation et il demeura avec un tel dégoût de toute sa vie passée, et très spécialement des choses de la chair, qu’il lui semblait qu’on avait enlevé de son âme toutes les images qui s’y étaient peintes auparavant. Ainsi depuis cette heure jusqu’en août 1553, où ceci est écrit, il n’eut jamais plus même le plus petit consentement aux choses de la chair. Et par cet effet on peut juger que la chose était de Dieu, bien que lui n’osât pas en décider et ne dit rien de plus qu’affirmer ce qui vient d’être dit. Mais son frère et toutes les autres personnes de la maison en vinrent à reconnaître par l’extérieur le changement qui s’était fait dans son âme intérieurement. Lui, ne se souciant de rien, persévérait dans sa lecture et ses bons désirs. Et le temps où il s’entretenait avec les gens de la maison, il le passait tout entier aux choses de Dieu, grâce à quoi il faisait du bien à leurs âmes. Et comme il goûtait beaucoup ses livres, la pensée lui vient d’en tirer, en ré-
sumé, certaines choses plus essentielles de la vie du Christ et des saints […] Il passait une partie du temps à écrire et une partie en oraison. Et la plus grande consolation qu’il recevait était de regarder le ciel et les étoiles, ce qu’il faisait souvent et pendant un bon espace de temps, parce qu’il en ressentait en lui un très grand élan pour servir Dieu notre Seigneur. Il
© Convalescence d’Ignace à Loyola, Albert Chevallier-Tayler (1904), Jesuit Institute, London dans l’église du Sacré-Cœur de Wimbledon
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Lors d’une conférence en Floride, Carlo Martini tirait d’un passage de l’Autobiographie d’Ignace de Loyola cinq critères d’une bonne « confirmation », étape finale essentielle de la décision.
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▲ Pendant sa convalescence à Loyola, Ignace va éprouver, en lisant la vie du Christ et celle des saints, le désir de changer radicalement de vie. Une apparition de Marie confirmera son désir.
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Spiritualité ignatienne pensait souvent à son projet, désirant être déjà tout à fait guéri pour se mettre en route » (Autobiographie, n° 10 et 11). Des désirs « confirmés » par une visitation : on sait l’importance pour Ignace de cette étape de la confirmation, aussi bien dans les Exercices (« offrir cette élection [choix vital], afin que le Seigneur veuille bien la recevoir et la confirmer », n°183,2) que dans son Journal spirituel 1. Le processus de décision ne s’achève que dans la confirmation par Dieu que « la chose vient bien de lui ». À partir des deux paragraphes 10 et 11 de l’Autobiographie relatant ce moment décisif de sa conversion, et la relecture qu’en fait Ignace trente-deux ans après, Martini propose de dégager cinq critères d’une authentique confirmation :
Persistance, car Dieu n’est pas inconstant (il n’eut jamais plus même le plus petit consentement). Manifestation extérieure (ils en vinrent à reconnaître par l’extérieur le changement qui s’était fait dans son âme intérieurement). Profit pour les autres (il faisait du bien à leurs âmes). Désir de servir (un très grand élan pour servir Dieu notre Seigneur). Ces cinq traits d’une confirmation venue de Dieu constituent un outil de repérage pour évaluer nos décisions : pas forcément tous ensemble dans chaque cas, mais toujours l’un ou l’autre.
des décisions ne venant pas de dieu On peut les voir fonctionner dans deux épisodes de l’Autobiographie qui suivent : - Le désir d’Ignace d’aller à la Chartreuse : pas de persistance. Ignace comprend que cette idée venue de lui n’est pas de Dieu puisqu’elle s’éteint progressivement (le désir de la Chartreuse se refroidissait en lui » (Autobiographie, n° 12). - La rencontre avec le Maure sauvé par la mule d’Ignace… Ignace veut défendre l’honneur de Marie en trucidant le voyageur qui avait mal parlé d’elle, sans se rendre compte que la nature objective de son acte, sa manifestation extérieure, était contraire à la volonté de Dieu. Son manque de discernement à cette étape de sa vie le conduit, par manque de clarté, à s’en remettre au choix d’une mule comme étant celui de Dieu… (Autobiographie, n° 16). Deux exemples de décisions qui manquent de la confirmation venue de Dieu.
© Carlos Saenz de Tejada (1958) Jesuit Institute, London
1. Il s’agit de son « Journal des motions intérieures », dont on n’a recueilli qu’une partie, publiée intégralement dans Ignace de Loyola, Écrits, Collection Christus n° 76, Paris, Bellarmin et DDB, 1991, p. 325-382. Le processus de « confirmation » y est constamment mentionné.
Clarté, car Dieu n’est pas opaque (il vit clairement une image).
▲ Vision à la Storta du Père plaçant Ignace auprès de son Fils.
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L’auteur passe ensuite en revue plusieurs autres exemples de moments décisifs dans l’itinéraire d’Ignace (quitter la Terre sainte, s’orienter vers les études, les vœux de Montmartre, la vision de la Storta, Rome prenant la place de Jérusalem, etc.) pour montrer comment les cinq cri-
tères dégagés par Martini peuvent s’appliquer dans toute l’Autobiographie et aussi, ajoute-t-il en fin d’article, servir pour démêler vraie et fausse consolation (Règles du discernement des esprits de 2e semaine, Exercices n° 332-336).
© Wikimedia
La fin de l’Autobiographie évoque brièvement la manière dont Ignace était constamment uni à Dieu, et dont il rédigeait les Constitutions en recevant dans la prière, à chaque étape, la confirmation venue de Dieu. ▲ Ignace rédigeant la Constitution de la Compagnie de Jésus.
« Il croissait toujours en dévotion, c’est-à-dire dans la facilité à trouver Dieu, et maintenant plus que jamais durant toute sa vie. Toutes les fois et à toute heure où il voulait trouver Dieu, il le trouvait. Et il dit que, maintenant encore, il avait très souvent des visions, surtout de celles dont il est parlé plus haut : voir le Christ comme un soleil. Et cela lui arrivait souvent quand il était en train de parler de choses importantes ; et cela le faisait venire in confirmatione [venir en confirmation]. Quand il disait la messe, il avait aussi beaucoup de visions ; et quand il faisait les Constitutions, il en avait aussi très souvent. Maintenant il peut l’affirmer plus facilement parce qu’il écrivait chaque jour ce qui se passait dans son âme et qu’il le trouvait maintenant par écrit. C’est ainsi qu’il me montra une assez grande liasse de manuscrits2, dont il me lut une bonne partie. C’était en
majorité des visions qu’il voyait en confirmation de quelque point des Constitutions, voyant parfois Dieu le Père, parfois les trois personnes de la Trinité, parfois la Madone, qui intercédait et parfois confirmait » (Récit, n° 99 et 100). Le fait que le témoignage d’Ignace s’achève sur ce processus de la confirmation est sans doute un signe de l’importance qu’elle avait pour lui.
tirer profit pour nous Pour nous, au terme de cette présentation du commentaire de Kevin Leidich relayant celui du cardinal Martini, la question utile pour en « tirer profit » pourrait être celle-ci : Comment reconnaître les fruits d’une retraite par leur confirmation dans la vie ordinaire qui suit
la retraite ? Nous ne bénéficions probablement pas, pour la plupart, des visions dont Ignace a été gratifié ; mais, pour lui comme pour nous, les événements qui sont « les maîtres que Dieu nous donne » (Pascal), l’écoute des autres, l’obéissance seront, entre autres « signes » que Dieu nous fait, des lieux où nous pourrons mettre en œuvre les cinq critères repérés par Martini : ils nous aideront à voir si « la chose vient bien de Dieu ». Jacques Fédry s.j. Directeur du centre spirituel de Douala, Cameroun
D’après un article de Kevin A. Leidich, s.j., « The thing has been of God » ; Ignatius’ Experience of God’s Confirmation in His Autobiography ». The Way, avril 2016, p. 7-16.
2. Il s’agit du Journal spirituel (voir note précédente).
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Se former
Question de communauté locale
habiter l'inter-réunion Être membre de la CVX ne nous limite pas à participer à la rencontre de communauté locale (CL). Cette appartenance peut se manifester dans des temps ou des lieux propres à chaque membre. Comment vivre cette inter-réunion ? Comment rester ensemble sans être physiquement réunis ?
D
Dans les CL auxquelles j’ai appartenu depuis une trentaine d’années, l’idée d’une communion spirituelle à distance s’est toujours affirmée. Dans l’une d’elles, nous avions convenu d’un lieu de prière dans lequel ceux qui pouvaient se retrouveraient chaque mercredi en fin de matinée. Mais c’était toujours le ou les mêmes. Le principe a été finalement abandonné. En dehors des week-ends de groupe, nous avons souvent fêté la fin de l’année scolaire par un repas de type pique-nique. Et, à quelques reprises, nous sommes allés voir une exposition ensemble, voire même une pièce de théâtre.
« C’EST MERCREDI » Retrouver l'ensemble de ces questions depuis 2009 sur : editionsvie chretienne. fr
Mais dans les années 90, l’arrivée d’Internet et des mails a changé totalement la donne. D’abord utilisé pour fixer les réunions ou permettre des changements de dates imprévus, il est rapidement devenu un instrument pour se donner des nouvelles (naissance, décès, examens scolaires, décision professionnelle) et, logiquement, ce « tour de table numérique » a favorisé l’expression de réactions proches de celles que nous avons lors des réunions de CL : remerciement, action de
grâce, reformulation spirituelle… Puis des messages en lien avec un partage de la dernière réunion, soulignant souvent un « point d’attention » dégagé alors. Un jour, nous est venue l’idée de consacrer un moment d’où pourraient partir les mouvements et les messages de l’inter-réunion. Sans pour autant empêcher les mails spontanés, lorsque les circonstances ou une urgence l’imposaient. Ce moment dédié nous l’avons appelé « C’est mercredi », chacun se rappelant, ce jour-là, qu’il peut, sans nécessité particulière, attirer l’attention sur l’Évangile du jour, nous inciter à prier les uns pour les autres ou proposant une autre intention de prière.
DES VACANCES RELIÉES Restait la plus longue des interréunions : les vacances d’été. Sur le modèle de « C’est mercredi » mais, cette fois, de manière plus organisée, nous avons mis en place un message-relais, confié à tour de rôle à un membre, le nombre de semaines concerné correspondant bien à l’effectif de la CL. J’ai relu, à titre d’exemple, nos échanges de juillet 2015.
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Une bonne vingtaine de mails ont été échangés, à partir des quatre messages-relais du mois. Certains réagissant à chaque envoi, d’autres à un seul et d’autres ne donnant pas signe ce moislà. J’y ai trouvé des réflexions sur l’Évangile, des prières pour des parents, un prêtre, une avocate, un militant associatif, des copropriétaires. Des nouvelles des vacances qui commencent, des retraites individuelles ou d’accompagnement. Et des vœux pour le tout proche congrès de Cergy. Ce mode de communication nous implique de manière différente de celle de la réunion. Le temps – et l’Esprit – nous travaillent au rythme de chacun. Fortifié par les réunions et les repas pris ensemble, le groupe interagit autrement et tisse des liens nouveaux, nourrissant notre croissance. Jean François
Retrouvez d’autres façons de vivre l’inter-réunion dans la Revue N°6 (Entre deux réunions, p. 22) et Revue N°11 (Vivre la coupure de l’été, p. 30).
Ensemble Lefaire Babillard Communauté
© David de Lossy / digital Vision
Une parole à méditer
« La Communauté a le désir de faire vivre à chaque membre - le passage d’un « état » de baptisé à la décision de suivre le Christ de l’Évangile,
- le passage d’une vie généreuse où chacun reste maître de ses décisions à une vie spirituelle où il reçoit sa vie de Dieu, - le passage d’une vie dispersée à une vie plus unifiée par la parole de Dieu, - le passage d’un groupe de ressourcement à une communauté apostolique... »
Normes Particulières n° 15
Ces passages font l’objet du projet CVX ; ils ont été formulés dans un document de l’Association Vie Chrétienne en 1973 et ont été repris dans ‘Le Chemin de la CVX’ en 2005 et dans les ‘Normes particulières’ de 2010.
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Ensemble faire Communauté
En France
ALLO L'ENRACINEMENT ? Une nouvelle manière de faire a permis une plus grande circulation de la parole au service de l’ensemble de la Communauté : des conférences téléphoniques entre binômes testant un outil de la formation, le jardin.
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Le chantier « enracinement » a inauguré une nouvelle manière de faire pour la Formation. Nous distinguons un temps de conception à partir de ce qui se vit déjà, puis d’expérimentation en faisant appel à des communautés locales volontaires et enfin une phase de déploiement pour la Communauté entière. Depuis la conception, lancée en 2013, une intense circulation de la parole s’est déployée entre les membres impliqués. Ainsi, des conférences téléphoniques organisées en mai-juin et novembredécembre 2015 entre accompagnateurs et responsables de CL expérimentant l’enracinement. Ces conférences téléphoniques portaient sur l’outil spécifique de cette période appelé « le jardin ».
▲ Un jardin pour grandir comme disciple, compagnon, serviteur.
Ce jardin rassemble des propositions pour grandir comme disciple, compagnon, serviteur. Cette manière de faire nous semble si fructueuse et si en lien avec la manière de faire de la Communauté, que nous sommes heureux de vous la relater. Les objectifs de ces conférences étaient simples : - Permettre aux binômes qui testent « le jardin » d’échanger entre eux. - Recueillir leurs échos (les points positifs, les suggestions d’amélioration). - Redonner quelques messages pour bien vivre la démarche qui s’expérimente. Au total une soixantaine de participants, accompagnateurs et responsables de CL, représentant 41 Communautés régionales… un résumé de toute la Communauté nationale. Pour vous donner une idée des fruits, quelques évaluations glanées : Joie et action de grâce : « Joie de participer à l’expérience et action de grâce pour la richesse de la CVX » ; « Grande richesse du jardin, une aide précieuse, il permet d’aller plus loin » ; « C’est
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bon d’entendre « prenez votre temps », « sentez-vous libre ». Mais au-delà, une sensation de faire communauté « Dans l’expérimentation, il y a une certaine solitude ; c’est bon de pouvoir partager », « pas un modèle de CL unique, on tâtonne tous un peu mais l’important c’est d’être au service de nos compagnons ». Comme animatrice, je suis émerveillée de constater le bienfait des échanges téléphoniques : tous repartaient confortés, avec des idées à mettre en pratique, une certaine « fierté » d’œuvrer pour la Communauté toute entière. Cela m’a permis de compiler de nombreuses améliorations à apporter au jardin afin qu’il réponde au mieux aux attentes des compagnons, d’éprouver ainsi « la douce force de cet Esprit qui s’exprime en termes toujours nouveaux dans chaque situation de notre vie quotidienne ». PG 2. Le temps du déploiement est ouvert : depuis septembre 2016, tous les compagnons ayant vécu un parcours “découverte” peuvent bénéficier de « ce jardin ». Anne Le Nevé Chargée de mission Formation
FAIRE LES EXERCICES EN COMMUNAUTÉ RÉGIONALE Face à la demande, une ESCR1 a proposé une retraite selon les Exercices. Puis deux. Une bonne approche pour ceux qui n’osent pas se lancer et de beaux fruits personnels et communautaires.
Un an après : « Et la retraite régionale selon les Exercices ? Nous n’avons rien entendu dire ? » Face à la persistance et la force de la demande, nous avons promis. Ainsi une retraite régionale de quatre jours selon les Exercices fut organisée à l’Ascension 2013 au Cénacle de Versailles avec 54 compagnons dont plus de la moitié pour quatre jours et les autres pour deux jours. L’accompagnement individuel était assuré par les accompagnateurs de notre région Yvelines Sud et des sœurs du Cénacle. De nombreux compagnons découvraient la retraite selon les Exer-
cices, en silence. Après la crainte, l’étonnement, ils en ont été heureux et ont constaté combien le silence est fécond. Ils ont aussi découvert les compétences de nos accompagnateurs, nombreux à être formés pour accompagner selon les Exercices. Et ils ont éprouvé l’action de l’Esprit en eux, qui leur a donné beaucoup de joie. Toute cette joie, ces découvertes, les fruits personnels et communautaires nous ont conduits à renouveler cette proposition à l’Ascension 2016. 45 compagnons ont profité de cette offre, dont 27 pour les quatre jours. De nouveau, découverte des Exercices, de leur fécondité. Les 14 accompagnateurs de la communauté régionale qui se sont mobilisés n’ont pas chômé, car ils ont proposé deux entretiens par jour à la plupart des retraitants qu’ils accompagnaient. La possibilité pour les membres de découvrir les Exercices en communauté régionale est très stimulante. Elle permet d’atténuer les
© Halfpoint / iStock
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« Nous voudrions que vous organisiez une retraite régionale selon les Exercices ! Quatre jours à l’Ascension. C’est possible, car il y en a déjà eu ». C’était à la première rencontre responsables-accompagnateurs de notre mandat, en septembre 2011. La demande était précise et ferme mais nous n’avions pas encore les idées claires.
inquiétudes et de mieux découvrir les autres compagnons de la Communauté. Bien sûr, nous étions en silence, mais cela n’empêche pas de faire connaissance. Nous portions nos badges, ce qui nous a permis de retenir les noms.
1. ESCR équipe service communauté régionale.
Et nous avons vu que dans le silence, la communication est forte, mystérieusement. « Car il permet de vivre avec les autres sens. » La communauté est ressentie « en croisant des visages amis et souriants ». Merci Seigneur d’être venu nous visiter et de faire grandir à travers chacun de nous l’ensemble de la Communauté. Marie Chevallier Yvelines Sud septembre/octobre 2016 33
Ensemble faire Communauté
En France
PÉLERINAGE CVX-CCFD Tisser des liens entre la CVX et le CCFD Terre Solidaire se fait concrètement dans la communauté régionale Garonne Ariège. Ensemble, ils ont lancé un pèlerinage autour de la solidarité internationale et de la Miséricorde où des participants de tout le diocèse ont pu goûter les richesses de leurs charismes différents et complémentaires.
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En réponse à l’appel du Pape François1, la délégation Haute-Garonne du CCFD Terre solidaire et la CVX Garonne-Ariège, ont proposé un pèlerinage d’une journée sur « les œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles ». Ce pèlerinage se déroulait sur une partie du chemin de Saint Jacques. Grâce à une publicité élargie au diocèse, la diversité des participants était grande. Cette marche était à la fois : - un exercice spirituel : prier à partir de la Parole (Evangile du Bon Samaritain) selon la méthode d’Ignace. - un exercice physique : marcher en silence pour permettre la prière personnelle en présence de Dieu - un exercice solidaire : marcher à la suite les uns des autres à un rythme adapté aux plus lents. Alors en silence, le corps se fait prière, le groupe se fait Église, la Parole se cherche pas à pas. Elle
1. Dans sa « Bulle d’Indiction de l’année sainte de la Miséricorde », le Pape François nous dit : « Le pèlerinage est un signe particulier de l’Année sainte. Il est l’image du chemin que chacun parcourt au long de son existence… J’ai un grand désir que le peuple chrétien réfléchisse durant le Jubilé sur les œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles. » 2. « Compagnonnage CVX et CCFD en Garonne-Ariège » ; Revue Vie Chrétienne n° 36 – Juillet/Août 2015.
Pourquoi un pèlerinage organisé conjointement par le CCFD Terre Solidaire et CVX ?
Suscitée par le CCFD Terre Solidaire, cette marche se situait dans une opération associant le chemin de Saint-Jacques à la solidarité internationale. Pour la CVX, ce pèlerinage était une nouvelle manifestation du « compagnonnage institutionnel » que CVX Garonne-Ariège a décidé de vivre avec le CCFD Terre Solidaire2. C’était aussi une façon de partager au plus grand nombre l’accompagnement de retraites par des membres de la CVX. Grâce à la participation des membres du CCFD Terre Solidaire, la notion de solidarité internationale a pu être présentée et illustrée de façon concrète. Grâce à la participation de membres de la CVX cette notion de solidarité internationale a pris une dimension spirituelle. Un nouveau pèlerinage ensemble lors du Carême 2017 est prévu. Gérard Bel CVX, Marie Françoise Chamayou CCFD Terre Solidaire, Claude Chauchadis CCFD Terre Solidaire,
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Retrouver la version longue de cette expérience sur le site : editionsvie chretienne. fr
se partage dans le grand vent en petits groupes accompagnés par des CVX. C’est ensuite dans une petite chapelle en plein champ, que les mots des hommes font écho à ceux de l’Évangile. Des témoignages sur des œuvres de miséricorde sont présentés. Puis, reprise de la marche, habitée par la richesse vécue le matin. Chacun pouvait soit prier à partir de la Parole (Luc 25), soit échanger à propos des œuvres de miséricorde présentées. Pour clore cette journée, nous avons franchi la « porte de la Miséricorde », une version portable, réalisée par Bonne Nouvelle Quart Monde. Son franchissement symbolisait la marche faite dans notre vie personnelle par ce pèlerinage.
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Nicole Bonneviale CVX correspondante CCFD Diocèse de Toulouse
Dans le monde
OFFRIR ENSEMBLE NOS TRÉSORS Invitée à l’assemblée de la communauté de la CVX Allemagne, Maryke découvre les différences et repart avec des projets de soutien mutuel entre communautés nationales.
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« Alors ils sortirent leurs trésors »1. Tel était le thème choisi par la Communauté de Vie Chrétienne d’Allemagne (GCL) pour son Assemblée de la Communauté, près de Ratisbonne en Bavière. Invitée par la Communauté d’Allemagne, notre ESCN me proposa de faire le voyage. J’ai accepté avec joie ! Pour découvrir une autre Communauté nationale, y a-t-il mieux que l’Assemblée de la Communauté, à l’écoute de l’Esprit pour discerner l’appel que Dieu adresse à cette Communauté-là, aujourd’hui ? Les documents de préparation envoyés par la GCL me permirent de découvrir leurs trésors : l’or (les richesses), l’encens (Dieu à l’œuvre) et la myrrhe (les expériences amères). Bien des ressemblances avec ce qui se vit en France, à un point près : le logo (!) de la GCL, si différent du nôtre ! Sommes-nous de la même Communauté mondiale ? Alors, je les ai médités- la spirale au centre de la Croix ; le bois du bâton du Pèlerin. Oui, c’est bien la même Communauté mondiale, dyna-
mique, orientée par le Christ, centrée sur Lui, portée par Lui ! Seuls les moyens mis en œuvre diffèrent. La notion de compagnonnage exprimée par notre logo et les mots Communauté locale (les Allemands disent Gruppe/groupe) et compagnon (Mitglied/membre) ne s’impose pas dans la GCL au niveau des groupes locaux dont quelques-uns pratiquent notre spiritualité sans adhérer à la Communauté de Vie Chrétienne. Pas d’accompagnateurs de groupes mais une journée annuelle de relecture accompagnée ; pas de cheminement en CVX balisé par des étapes Découverte/Enracinement/Vocation et le triptyque Disciple/Compagnon/Serviteur, consolidé par de multiples formations. Donc un cadre plus léger et moins structuré, cependant fermement ancré sur les Exercices Spirituels.
beaux projets communs se sont dessinés au cours de ce weekend : a) rencontres/partage autour de l’accueil des migrants, b) marche-prière transfrontalière (« en route ensemble »), c) création de liens entre aumôneries universitaires allemandes et groupes MAG+S. Des projets portés par la foi que le Christ nous y attend et qu’Il sera avec nous ! En quittant Ratisbonne, un mot s’est imposé à moi : mittragen (porter avec l’autre) : se soutenir mutuellement entre Communautés nationales et offrir ensemble les trésors des Mages, l’or, l’encens et la myrrhe. Serait-ce le sens de la Communauté mondiale ?
1. « Dann holten sie ihre Schätze hervor » (Matthieu 2,11).
Je rends grâce pour cette expérience. Maryke
Malgré l’absence du mot compagnon dans la GCL, j’ai ressenti un compagnonnage fort, concret dans nos différences. Autant de richesses à découvrir, dans les régions, les services nationaux et même la Gouvernance ! De septembre/octobre 2016 35
Ensemble faire Communauté
Dans le monde
DÉCOUVERTE MUTUELLE À TOKYO De passage au Japon, Jean-Philippe a partagé une soirée avec des membres de la CVX nippone. Les enjeux pastoraux comme l’histoire de l’Église locale se sont invités à dîner. Fraternité et foi ont uni les participants.
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N’hésitez pas à contacter la CVX lorsque vous voyagez dans un pays. Retrouvez tous les contacts sur : www.cvx-clc. net/
En octobre 2015, je me suis rendu au Japon pour le mariage d’un cousin avec une Japonaise. Grâce aux contacts de ma belle-mère et de la mariée, j’ai eu la chance de passer toute une soirée avec cinq membres de la CVX locale. J’ai été accueilli par cinq compagnons à l’université de Tokyo, juste à côté de l’église SaintIgnace où avait lieu le lendemain le mariage de ma famille. Ils avaient préparé un panneau en français me souhaitant la bienvenue ainsi qu’à la CVX France. Cet accueil m’a profondément touché et m’a immédiatement donné un sentiment de fraternité et de proximité alors que c’était la première fois que nous nous rencontrions.
Nous avons commencé par prier tous ensemble en priant le Notre Père chacun dans notre langue, puis nous nous sommes présentés plus longuement, ce qui m’a permis d’en apprendre davantage sur la vie de la CVX là-bas. Les chrétiens restent minoritaires au Japon, ce qui se traduit par une communauté nationale réduite : environ 300 membres répartis sur une cinquantaine de communautés locales, pour un pays de 130 millions d’habitants. Historiquement, le christianisme s’est implanté via les jésuites au milieu du XVIe siècle, notamment par l’arrivée de saint François-Xavier en 1549 sur l’île de Kyushu. Traditionnellement c’est donc sur cette île, notamment dans la grande ville de Nagasaki, que se concentrent les chrétiens japonais. Mes hôtes parlent avec beaucoup de respect de la CVX à Kyushu : il s’agit de personnes très pieuses, vivant l’Évangile de manière touchante, et restées proches de la nature et des valeurs de simplicité, de solidarité, et de fraternité. Les chrétiens de Nagasaki ont hélas été des victimes collatérales de l’Histoire, puisque cette ville est restée tristement célèbre pour
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avoir reçu la deuxième bombe atomique le 9 août 1945. De nombreuses personnes s’étaient rassemblées à la cathédrale afin de préparer les fêtes de l’Assomption, et la bombe a tué 9 000 fidèles d'un seul coup. Nous avons poursuivi la soirée par un dîner, où nous avons pu échanger plus profondément. J’ai vraiment reçu cette invitation comme un honneur, car ce restaurant n’était pas fréquenté par beaucoup de touristes. J’ai mieux compris les enjeux pastoraux qui animent le Japon contemporain, marqué par l’accident de Fukushima et les nombreux réfugiés qui ont été pris en charge par la CVX. Les réformes prévues par le gouvernement afin de relancer l’industrie militaire préoccupent également mes hôtes sur le plan éthique. Cette belle rencontre m’a confirmé ce que j’avais déjà entrevu lors de précédentes rencontres internationales : le sentiment d’une fraternité et d’une foi qui sont décidément universelles, et qui dépassent largement les frontières culturelles et linguistiques. Jean-Philippe Martin
PLUS DE 450 ANS DE CVX AU JAPON ! Le Japon a une très longue histoire avec la CVX. Même si les chrétiens demeurent peu nombreux dans le pays, la CVX est attentive à apporter son soutien à tous lors des derniers drames survenus dans la région.
Les congrégations mariales continuaient d’exister au XXe siècle, lorsque des membres japonais ont participé en octobre 1967 aux délibérations qui conduisirent à la création de la Communauté de Vie Chrétienne et à l’approbation de ses principes généraux. Nos groupes se sont plusieurs fois réunis avant de passer des congrégations mariales à la CVX pour former la fédération japonaise des Communautés de Vie Chrétienne en juin 1968. Depuis l’assemblée de Guadalajara au Mexique en 1990, nous avons changé notre nom en Communauté de vie chrétienne du Japon. Il n’y a plus qu’une seule Communauté, et elle est mondiale, comme vous le savez aussi.
Nous réunissons une cinquantaine de communautés locales depuis l’île d’Hokkaido au nord jusqu’au Sud du pays. Nous avons une rencontre nationale tous les deux ans. Nos actions sont surtout tournées vers l’accompagnement de retraites. Pour cela nous travaillons avec la Compagnie de Jésus dans deux centres spirituels. © Peter Hermes Furian / istock
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Nous pouvons faire remonter l’histoire de la CVX Japon à l’arrivée de saint François-Xavier et de ses compagnons en 1549. En effet, dès cette période, on trouve la trace d’un groupe de laïcs, appelé Santa Maria no kumi, les prémices d’une congrégation mariale. La CVX Japon a donc le même âge que la CVX, c’est-à-dire 450 ans !
Après le tsunami de 2011 et l’accident de Fukushima, nous avons ouvert des centres d’aide pour accueillir les familles évacuées. Au sein du réseau asiatique, nous travaillons avec les CVX du Pacifique comme la Corée, Taiwan, Hong-Kong, Macao, les Philippines, l’Indonésie, le Sri Lanka, l’Inde et l’Australie. Les désastres naturels qui ont touché cette région récemment ont renforcé nos liens. Ainsi après le tsunami de 2011, la CVX Philippines a envoyé de l’argent et une grande statue de la Vierge Marie. Puis lorsque le Typhon a frappé les Philippines
en 2013, nous avons participé au projet fondé par la CVX Philippines pour redonner des bateaux aux pêcheurs qui avaient été touchés. Nous nous soutenons et prions les uns pour les autres. Noriko responsable CVX-CLC Japon traduction Yasué http://clcjapan.org/ septembre/octobre 2016 37
A SUIVRE Soyez miséricordieux comme votre Père céleste l’est ! La justice des hommes peut-elle s’inscrire dans la miséricorde de Dieu ? A quelles conversions m’appelle cette miséricorde que le Seigneur m’invite à vivre dans mon travail ou ma mission au service de la justice ? L’atelier CVX Justice vous propose un week-end de prière, de relecture et de partage à partir de l’enseignement du père Jacques Trublet s.j. du Centre Sèvres sur la thématique des liens entre justice et miséricorde du 8 à 12 h au 9 octobre 2016 à 16 h au centre de l'association Adèle Picot à Paris. Toute personne chrétienne exerçant une activité professionnelle ou une mission au service de la justice est la bienvenue au cours de ce temps qui sera vécu également avec des chrétiens ayant l’expérience de la grande pauvreté. Info et inscription : avant le 15 septembre 2016 auprès de paula.dubois@orange.fr
À VIVRE Pour tous, initiation aux Exercices spirituels Trois jours de retraite du 20 au 24 octobre 2016 pour découvrir les Exercices spirituels de saint Ignace. Possibilité de venir seul, en couple, en famille ou en équipe. Accueil et parcours adaptés pour les enfants. Au centre spirituel Saint-Hugues (Isère). Info et inscription : Tél. : 04 76 90 35 97 – www.sainthugues.fr
Retrouvez d'autres suggestions sur : editionviechretienne.com
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A VIVRE Ensemble, l’éducation Les 91e Semaines Sociales de France (SSF) se tiendront les 19 et 20 novembre 2016 à l’espace de La Villette à Paris. Deux jours de débats et conférences. Le dernier jour, les partis politiques des candidats à la présidentielle seront interpellés sur l’éducation à partir des contributions de la plateforme collaborative. Info et inscription : ssf-lasession.org
À PARTAGER
Un week-end au cœur de notre famille
Ce week-end s’adresse à toutes les familles qui ont envie de prendre un temps ensemble pour se poser, se rencontrer, se dire, s’écouter, se découvrir, s’amuser ensemble… Pour découvrir ma place et le rôle de chacun dans la famille, nos langages de l’amour, si nous sommes tous filles et fils de Dieu… et pour s’amuser en famille… L’animation s’adresse aux parents et enfants à partir de 6 ans. Du 15 à 14h00 au 16 Octobre 2016 à 17h00, au centre spirituel du Hautmont (Nord). Info et inscription : Bertrand et Jeanne Deceuninck Tél. : 07 70 01 20 82 – wefamille@neuf.fr
À VIVRE En cheminant avec Socrate et saint Paul Session-rencontre à Athènes du 10 au 18 novembre 2016 autour du thème : « En cheminant avec Socrate et saint Paul l’Orient et l’Occident se rencontrent : vers quels engagements ? ». Cette session sera accompagnée par Maurice Joyeux s.j. et des experts grecs et français. Info et tarif : www.philoxenia.net
Billet
CHEZ LE DENTISTE… SE LAISSER FAIRE
© thinkstock images/ stockbyte
Mon dentiste avait son cabinet près du Capitole. Ce vieil ami nous avait accueillis sur Toulouse autrefois. Jeunes mariés nous allions chez lui jouer aux cartes. D’autres fois nous partions, entre hommes, faire un sommet à ski dans les Pyrénées. Il nous avait même invités à son mariage. Et chaque visite était l’occasion de parler de nos enfants, avant qu’il ne me bloque la bouche avec ses cotons ou sa terrible roulette. Puis il prit sa retraite, et j’ai arrêté d’aller chez le dentiste. Un caramel mou m’oblige à en chercher un autre. Une amie m’en conseille un près de chez moi, « très compétent ». Je prends rendez-vous, j’y vais, et me voici allongé dans le fauteuil plastique, scialytique braqué sur ma bouche. L’homme est précis, discret, efficace. Et extrêmement poli, du style « auriez-vous l’amabilité de tourner un peu la tête, je vous prie ». Je repars trente minutes plus tard, ma couronne bien recollée, non sans avoir pris rendez-vous, car « Il y a du travail ! ». De visite en visite il fait son œuvre patiente de reconstruction de ma bouche. A droite il comble un trou par un bridge, et je peux mâcher à nouveau de ce coté-là. A gauche il reprend des travaux anciens, chefs-d’œuvre en péril… Il fait son ouvrage sur moi, en ma bouche. C’est lui qui bosse, je n’ai qu’à me détendre, à me laisser faire. Il nettoie les vieilles caries, comble les vides et me reconstruit une bouche toute neuve. Ça me rappelle ce que le Seigneur fait en moi, pendant une retraite. Je me pose et je m’allonge (au sens figuré) sous son regard bienveillant. Et je me laisse faire, en ouvrant grand mes oreilles, mon esprit, mon âme. Comme la bouche grande ouverte sous la lampe du dentiste. Le Seigneur agit avec douceur, mais parfois ça fait mal. Car je me crispe sous sa main : j’ai un peu peur. Ou parce qu’il touche une cicatrice, un abcès caché. Mais ce mal même me fait du bien, et c’est un autre Denis qui ressort du cabinet, heu je veux dire, du centre spirituel en fin de retraite. Un Denis tout neuf, prêt à croquer la vie à pleines dents pour mieux aimer et servir. Denis Corpet septembre/octobre 2016 39
Prier dans l’instant
en voyageant Il m’est donné de visiter New York pour la première fois, moi qui n’avais presque jamais quitté l’Europe.
© DAJ
Changement total de dimensions. Je suis subjuguée par la beauté, l’élan et la force qui se dégagent de Manhattan. Pour construire, les hommes et les femmes qui ont conquis ces terres se sont inspirés de tout leur imaginaire européen, et l’ont transposé à leur façon avec une totale liberté d’invention et une énergie impressionnante. Dans un premier temps je ne ressens que dynamisme et élan positif qui me sont communiqués, envie de créer de manière renouvelée. Mais petit à petit s’introduit comme une division entre ce que je vis ici et mon quotidien breton qui me semble petit, voire étriqué, à l’écart du vaste monde. Ne suis-je pas très loin de cet élan de vie que je perçois ici ? Est-ce que je ne passe pas à côté de l’essentiel ? Au bout de quelques jours, ma perception du rapport des choses évolue. Ce que je vois est le quotidien des gens d’ici, et mon quotidien à moi est ailleurs, sur une terre différente qui demande à être travaillée avec ce qui m’est donné, à ma petite échelle. Je prends conscience qu’entre le vaste monde et mon petit coin de terre il y a un lien, nous ne sommes pas séparés mais complémentaires. Je quitte cette grande ville, mais je la garde en moi comme un ferment. Seigneur, merci d’inspirer aux hommes tant de créativité au fil des siècles. Donne-moi d’y participer à ma manière, là où je suis enracinée, à l’échelle qui est la mienne. Dominique Pollet
Nouvelle revue Vie Chrétienne – septembre/octobre 2016