Vie chrétienne Nouvelle revue
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M o n d e
B I M ESTR I EL DE L A COM M U NAUTÉ DE VI E CH RÉTI EN N E ET DE SES AM IS – Nº 47 – MAI/J U I N 2017
Se réconcilier : une école de vie Ignace et ses confessions Engagée dans la gestion des conflits
l’air du temps Rencontrer les migrants André Blandin chercher et trouver dieu
NOUVELLE REVUE VIE CHRÉTIENNE Directeur de la publication : Jean Fumex Responsable de la rédaction : Marie-Élise Courmont Rédactrice en chef adjointe : Marie-Gaëlle Guillet Comité de rédaction : Marie-Élise Courmont Jean-Luc Fabre s.j. Marie-Gaëlle Guillet Marie-Thérèse Michel Véronique Westerloppe Comité d'orientation : Nadine Croizier Marie-Claude Germain Anne Lemant Claire Maillard Étienne Taburet Fabrication : SER – 14, rue d’Assas – 75006 Paris www.ser-sa.com Photo de couverture : Wavebreakmedia ltd
Prochain dossier : Ce que l’art nous révèle Sortie Juillet 2017 Impression : Corlet Imprimeur, Condé-sur-Noireau
ISSN : 2104-550X 47, rue de la Roquette – 75011 Paris Les noms et adresses de nos destinataires sont communiqués à nos services internes et aux organismes liés contractuellement à la CVX sauf opposition. Les informations pourront faire l’objet d’un droit d’accès ou de rectification dans le cadre légal.
le dossier
Sommaire
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Se réconcilier, une école de vie
Témoignages 8 La réconciliation : travail et don 12 Guilhem Causse s.j. La réconciliation, une fête 14 Jean François Célébrer la pénitence et la réconciliation : un acte d’espérance 16 Fr. Patrick Prétot se former Contempler une œuvre d’art Hands across the divide, de Maurice Harron 19 Passer de la confession au dialogue pénitentiel 20 Carlo Maria Martini En me formant à la gestion des conflits 22 Georgina Corson Le Dieu des surprises, avec David et Natan 24 Claude Flipo s.j. Ignace et ses confessions 27 Bruno Marchand s.j. Se réconcilier en communauté locale 30 Marie Chevallier ensemble faire communauté Une parole à méditer De petites communautés Laudato Si Les formateurs en croissance Des vacances à la manière de la CVX Au CPU, 10 ans d'action Vers un jumelage avec la CVX Liban La CVX coréenne bien ancrée et au service babillard billet Le don du pardon Sabine Bommier prier dans l'instant A la table d’un restaurant Catherine Raphalen
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Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 47
Éditorial
le plus urgent et le plus universel…
«
® Basilique saint Clément du Latran, Rome
Quoi de plus urgent que la réconciliation ? Notre monde est partout en proie aux divisions. C’est à tout niveau que les clivages génèrent la violence, dans les familles, les communautés, entre les pays… Et cela est particulièrement d’actualité dans notre pays, dans ce moment d’échéances électorales. Entendons ce qu’Arturo Sosa, nouveau Supérieur Général des jésuites, disait à la Congrégation Générale : « Le premier défi… est de contribuer à la réconciliation, entre les hommes, mais aussi avec Dieu et avec la création ». Urgence donc, mais aussi universalité : car la réconciliation touche nos trois relations fondamentales. Avec des enjeux inscrits au cœur de tout homme : l’unité, l’harmonie et la paix.
»
C’est la raison pour laquelle, nous vous proposons, non seulement un dossier mais tout un numéro sur ce thème. Ainsi trouverez-vous, en complément du dossier, des expériences : celle tirée de la Bible avec David (p. 24-26), celle d’Ignace (p. 27-29), celle d’une formation au service des familles (p. 22-23) – et aussi des repères : pour nos communautés locales (p. 30) et pour le sacrement de réconciliation (p. 20-21). De quoi aider chacun à avancer dans cette voie de la réconciliation. L’urgence et l’ampleur de la tâche pourraient décourager. C’est effectivement au-dessus de nos forces ; mais le temps pascal nous tourne vers un avenir plein d’espérance, dans la foi qu’en Christ et par Lui tout est déjà réconcilié sur la terre et dans les cieux. (Col. 1,19-20).
Marie-Élise Courmont
redaction@editionsviechretienne.com
mai/juin 2017
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L'air du temps
rencontrer les migrants Depuis l’appel du pape François pour que chaque paroisse accueille une famille, de nombreuses communautés se sont lancées dans l’aventure. Au delà de l’élan généreux, des questions se posent, rappelle André Blandin de la cellule diocésaine des migrants de Lyon.
A
1. Pape François : discours au Forum international « Migrations et paix », 21 février 2017.
Les trois temps de l’accueil des migrants Héberger, un « toit » et un « toi » Répondre à l’urgence, pendant toute l’année, et pas simplement dans les situations paroxystiques c o m me c e t h i ve r. L a recherche d’un « toi », d’une relation. Après des mois, voire des années, de dangers divers, de craintes et de méfiance mutuelles, le premier regard où la personne se sent reconnue est irremplaçable.
® Pastorale des migrants
2. « Le pape François appelle à accueillir mais aussi à intégrer les migrants », La Croix, 3 février 2017.
Accueillir les étrangers ne saurait se réduire à des ouvertures de gymnases par période de grand froid aussi nécessaires soientelles. C’est s’engager dans la durée comme le rappelait récemment le pape François1.
▲ Campagne nationale réalisée par la conférence des Évêques de France.
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Accompagner L’hébergement acquis, commence alors un long parcours dans le labyrinthe administratif. Il faut scolariser les enfants, apprendre le français : pas d’emploi possible ni d’intégration à la vie sociale sans cela. Cela demande des efforts et une vigilance de la part des équipes paroissiales qui peuvent durer plusieurs années.
Intégrer et autonomiser On imagine facilement les obstacles sur la route vers un emploi. C'est essentiel aussi bien pour avoir « de quoi vivre » que « pourquoi vivre ». Lorsque le Pape a parlé de « réalisme », beaucoup l’ont compris comme une restriction par rapport à ce qu’il avait dit précédemment. En fait il s’agit de s’engager dans la durée pour la totalité du processus2. À cet effet, « l’accueil diffus » est préférable, semble-t-il, à un accueil dans des camps ou des centres. « Les programmes d’accueil diffus, déjà lancés dans différentes localités, semblent faciliter la rencontre personnelle, permettre une meilleure qualité des services et offrir de plus grandes garanties de succès »3. Il va sans dire aussi qu’il n’y a pas d’accueil possible sans travail d’équipe et de réseau.
Quels enjeux ? Le phénomène migratoire actuel sera probablement de longue durée, malgré les efforts qui seront déployés pour diminuer ou éviter les raisons de quitter son pays.
Question terrible pour nous : Et si la peur des migrants s’ancrait finalement dans notre peur de ne plus pouvoir leur dire quoi que ce soit ? La question migratoire ne se réduit pas au défi de l‘accueil, elle dévoile celui de l’annonce. Il semble que nous n’ayons rien à annoncer à ceux qui viennent. De même que le partage ne se résume pas aux biens matériels, il inclut le partage des biens spirituels. Or quelle parole avons-nous à partager qui nous semble urgente, heureuse et indispensable pour eux ? Au fond, « nous ne voulons pas vraiment les accueillir parce que nous ne savons pas quoi leur dire »5.
L’expérience du diocèse de Lyon
À la suite d’évacuations de camps de Roms ou d’Albanais en 2014 et 2015, après des péripéties, se constitue à Lyon une « Coordination Urgence Migrants » (CUM) réunissant une quinzaine d’associations, confessionnelles ou non, œuvrant au service des migrants. Cette coordination continue et développe encore ses actions : dénonciations des conditions d’accueil indignes, recherche de toits, sensibilisation de l’opinion publique… En septembre 2015, le pape François lance un appel pour « que chaque paroisse, chaque communauté religieuse » accueille une famille. Cet appel a été une étape décisive. Les associations paroissiales qui accueillaient déjà des migrants ont été confortées et beaucoup d’autres ont accepté de se lancer. En dix-huit mois leur nombre a plus que doublé, atteignant maintenant la soixantaine (sur 91 paroisses dans le diocèse), cent dix familles accueillies, plus de quatre cents personnes. Nous ne ferons pas le décompte des différents statuts : réfugiés, demandeurs d’asile… pour être dans la fidélité à Jean-Paul II, pour qui « l’Église est le lieu où les immigrés en situation illégale sont reconnus eux aussi comme des frères. » (1996)
Faire avec, plutôt que faire pour C ’ é t a i t d é j à u n de s t h è me s majeurs du rassemblement de Lourdes « Diaconia-2013 ». Non pas parler pour, ou faire pour les personnes en précarité, mais parler et agir avec elles.
Invitation à la Rencontre Si en tant que chrétiens nous sommes invités à accueillir l’étranger, ce n’est pas uniquement par charité à son égard, mais parce que l’Évangile est avant tout une invitation à la rencontre. Une rencontre qui
évoque la vie portée par chacun, qui provoque à aller plus loin et qui convoque à faire chemin ensemble. La rencontre fait de l’Évangile un lieu de relation plutôt qu’un objet de transmission (Diaconia 2013). Notre foi n’est pas un objet inerte qu’on se transmettrait d’une génération à l’autre, c’est la rencontre sans cesse renouvelée et imaginée d’un Vivant.
3. Pape François. Discours au Forum international « migrations et paix », 21 février 2017. 4. Pape François, ibid. 5. Père Laurent StallaBourdillon, directeur du Service Pastoral d‘Études Politiques (SPEP).
Pour aller plus loin Petit guide de l’accueil, par la Pastorale des migrants. migrations. catholique.fr
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L’arrivée des migrants dit aussi quelque chose de nos sociétés Si la question de l’arrivée des migrants est une question aussi sensible, ce n’est pas seulement pour des raisons économiques. Certes, elles existent, mais les exemples puisés dans l’histoire récente ont tendance à montrer que les avantages sont plutôt en faveur du pays d’accueil. L’enjeu est à chercher dans l’ordre du culturel. « L’intégration qui n’est ni assimilation ni incorporation, est un processus bidirectionnel qui se fonde essentiellement sur la reconnaissance mutuelle de la richesse culturelle de l’autre : ce n’est pas l’aplatissement d’une culture sur l’autre ni un isolement réciproque… »4
André Blandin Président de l’Association catholique pour l’accueil et l’accompagnement des migrants, Lyon mai/juin 2017
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Chercher et trouver Dieu
se réconcilier, une école de vie
© Rencontre d'Esau et de Jacob, James Tissot (1896-1902), Jewish Museum, New York
Si le nom de Dieu est miséricorde, comme le dit le pape François, la réconciliation est-elle une grâce ou un travail ? Examinons d’abord ses multiples dimensions : - l a dimension politique et sociale (p. 11 et 12) ; - la dimension familiale pour oser un pas et faire tomber un mur (p. 8) ou pour comprendre que « pour aimer d’un amour réparateur, il faut aussi pardonner » (p. 9) ; - la dimension personnelle qui en goûtant la miséricorde du Père, permet une réconciliation avec soi-même (p. 10). Certes le sacrement questionne bien des croyants, pourtant il ne s’agit pas tant de comprendre ses failles que de vivre un « retournement » sur le chemin vers Dieu (p. 16), ce qu’annonce la parabole du fils prodigue (p. 14). Mais n’oublions pas le frère aîné de cette parabole, en colère, pour qui la réconciliation « passe par l’acceptation d’une justice qui n’est pas la sienne ». La réconciliation serait ainsi affaire de confiance à travailler, sans cesse et dans toutes ses dimensions. Une école de vie, longue et difficile, mais de Vie ! Vie reçue et vie offerte. Marie-Thérèse Michel
TÉMOIGNAGES Un mur à abattre. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8 Un geste de pardon. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 Donner vie à une alliance. . . . . . . . . . . . . . 10 La médiation pour rétablir la relation. . . . 11 CONTRECHAMP La réconciliation : travail et don . . . . . . . . .. .12
ÉCLAIRAGE BIBLIQUE La réconciliation, une fête . . . . . . . . . . . . .. .14 REPÈRES ECCLÉSIAUX Célébrer la pénitence et la réconciliation : un acte d’espérance pour un monde troublé . . . . . . . . . . . . . . .. .16
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POUR ALLER PLUS LOIN . . . . . . . . . . . .18 mai/juin 2017
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Chercher et trouver Dieu
Témoignages
un mur à abattre Sans réel conflit, de la distance s’est installée entre Marie et un de ses fils. Comme une paroi de verre entre eux. Comment renouer le contact ? Marie a osé un pas et dire son amour à son fils adulte.
P
Cela nous attristait fortement et je devenais pessimiste sur l’avenir de nos relations familiales.
« Parfois nous érigeons des murs autour de nous, non pas pour empêcher les autres de nous rejoindre mais pour voir ceux qui nous aiment assez pour les abattre. »
En tombant sur cette phrase, j’ai soudain eu l’intuition (la grâce ?) que je pouvais faire quelque chose ; à savoir dire à mon fils que je l’aimais et que ses enfants seraient toujours nos petits-enfants quoi qu’il advienne… Étaitce donc si simple ?
Cette phrase d’un auteur inconnu, glanée lors d’une lecture, m’a réveillée un jour de torpeur.
© Hemera technomogie / AbleStock.com
Nous étions alors dans une relation assez complexe avec l’un de nos enfants, pour une raison que j’ignorais ou ne voulais pas creuser vraiment. Cela se traduisait par des visites de moins en moins fréquentes, des relations de plus en plus éloignées avec nos petitsenfants que l’on ne pouvait plus inviter en vacances.
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La démarche nécessitait un déplacement géographique et m’a beaucoup coûté personnellement. Étais-je dans mon rôle ? Ne devais-je pas respecter sa liberté ? N’étais-je pas dans l’illusion à vouloir une famille unie et parfaite ? Souffrait-il lui aussi de cette non-relation ? Il a accepté rapidement de se libérer pour déjeuner sans bien comprendre que j’avais quelque chose à lui dire. La prière préliminaire et la préparation claire et précise de ce que je voulais dire ont été des outils précieux. Certes il peut sembler naïf de venir dire à son fils adulte, que je l'aimais et j’avais très peur d’être ridicule. Cependant, j’avais
Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 47
comme la certitude que c’était ce qu’il attendait. Autant dire que ni l’un ni l’autre n’a pu finir son « plat du jour », tant « le menu affectif » nous a nourris à ce moment-là ! Trois jours après, j’avais un mail nous demandant si nous étions libres pour prendre ses enfants pendant l’été. Un mur est tombé, la paroi de verre érigée entre nous s’est brisée et à ma grande surprise, ne nous a pas blessés. Depuis, sans grand discours, il est devenu le plus proche de nos enfants partageant nos soucis et nos joies, nous faisant part désormais de ses projets et de ses inquiétudes. Qu’en ai-je tiré ? Aucune gloriole, c’est trop complexe, mais la conviction que les relations avec les plus proches ont besoin de petits pas à poser et re-poser au bon moment et surtout de beaucoup d’amour. La réconciliation n’est-elle pas tout simplement une affaire de cœur ? Marie
un geste de pardon La communauté de l’Arche propose de vivre le lavement des pieds comme geste de réconciliation. Un geste très surprenant pour Lauriane, nouvelle assistante à l’Arche, qui va questionner son rapport à l’autre.
Passé l’étonnement, tel Pierre quand le Seigneur veut lui laver les pieds, l’autre m’ouvre ses mains et s’avance vers ce qui m’est intime. Je peux entendre dans ce geste saint Jean : « Aimer jusqu’à l’extrême ». Aimer chez l’autre ce qui n’est pas en premier lieu aimable, aimer chez l’autre ce qui peut être blessé, parce que l’amour nous guérit, parce que l’amour panse les plaies de celui qui a trop marché, de celui qui a son sac, rempli de pierres, trop lourd pour continuer d’avancer. Quand je demande à Christian (membre de l’Arche, porteur de handicap) de m’aider à réfléchir sur le lavement des pieds : « Pourquoi Jésus pose cet acte ? », il me répond comme une évidence, « Bah pour nous montrer l’exemple ! ». Mais quel exemple ? Jésus pose un acte fort en lavant les pieds de Judas aussi ! Vous
embrasseriez celui qui vient de vous trahir, vous ? Alors, peut-être que ce que veut nous montrer Jésus, c’est que pour aimer, de cet amour réparateur, il faut aussi pardonner. Il me dit : « Laisse-toi pardonner et pardonne. » Peut-être est-ce en posant cet acte de miséricorde, en faisant un geste pour l’autre, pour le reconnaître aussi dans ce qu’il porte et qui est difficile, que nous pouvons vraiment vivre la relation. Aimer et me laisser aimer.
En nous lavant les pieds les uns les autres, nous nous disons « Oui tu es beau au-delà du sombre qui peut t’habiter. Oui, peut-être tu m’as blessée, mais ce n’est pas ce que je garde de toi. C’est là, dans l’intimité, dans ce que tu gardes de précieux en toi, dans ce qui est vrai et ce qui te porte vers la vie que je te regarde ». C’est pas à pas que nous avançons ensemble et que nous prenons soin réciproquement de chacun de nos pas. Lauriane
Retrouvez sur : editionsvie chretienne.com une réflexion sur le sens du lavement des pieds dans la communauté de l’Arche.
© L’Arche en agennais
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La première fois où j’ai vécu le lavement des pieds, je ne savais pas du tout ce que c’était. Étrange, montrer mes pieds, cette partie de moi que je n’ai pas forcément envie de montrer, que je n’aime pas. Laisser l’autre toucher ce qui m’est difficile de trouver beau, que je préfèrerais cacher. Difficile.
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Chercher et trouver Dieu
Témoignages
donner vie à une alliance Par le sacrement de réconciliation, Stéphane a pu passer du combat intérieur à un chemin d’unification. Lui, qui se nommait bègue, a osé lire à la messe et prendre la parole en public. Une libération.
B
Baptisé à la naissance mais jeune converti (2009), j’ai longtemps souffert du handicap du bégaiement. Il y a deux ans, le Seigneur est venu me chercher dans une peur de toujours : prendre la parole en public, un mouvement non naturel qui me demande du contrôle, un véritable combat. À chaque fois que l’on me proposait la première lecture à la messe, je répondais tout naturellement : ‘je suis désolé mais je suis bègue’.
Pendant la retraite, la lecture fut très écorchée. Cela n’avait rien de nouveau pour moi et je ressentais comme à chaque fois douleur, tristesse, humiliation puis colère. Ces émotions m’envahirent toute la journée. La Providence m’offrit
© Guérison d’un muet, miniature de la Bible Ottheinrich, Bayerische Staatsbibliothek
Cette réponse contient un ‘non’ à lire la Parole de Dieu, un ‘désolé’ d’être moi et m’identifie à mon bégaiement. Cette posture a toujours été en moi.
En 2016, j’ai posé un acte libre, un pas de confiance vers le Seigneur en disant ‘oui’ à la première lecture lors d’une retraite. C’était le début d’un chemin. En effet, je faisais ce temps de retraite pour préparer des prises de parole au FRAT 2016 à Lourdes pour lequel il m’avait été demandé de témoigner de mon handicap et de ma conversion. Deux oui précédaient donc ce oui à toutes les premières lectures que l'on me demanderait à l’avenir.
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la possibilité de recevoir, le soir même, le sacrement de réconciliation. Un autre oui… Lors de ma confession, l’Esprit Saint est venu rencontrer mes pleurs et mon épuisement : « Père comment puis-je me mettre autant au centre et dans tous mes états, alors que ton Fils a librement accepté d’être crucifié et renié au regard de tous ? » Je me sentais si pauvre ! Je lui ai promis de ne plus refuser de lire sa Parole, quelles qu’en soient les conséquences pour moi. Après deux autres refus de lire, j’ai goûté sa miséricorde. Aujourd’hui, à chaque fois que je me dirige vers l’ambon, je prends conscience que je donne vie à ce oui, à cette alliance avec sa Parole. La mienne est devenue fluide, vivante : j’y goûte de douces épousailles où le combat laisse place à une réconciliation. Le sacrement a été grâce de guérison, promesse de chemin d’unification : « Je te laisse la paix, je te donne ma Paix » ; « N’ayez pas peur »… Stéphane
la médiation pour rétablir la relation À côté de sa profession d’avocat, Olivier pratique la médiation pour résoudre des conflits. Une autre approche qui passe par une écoute et permet de surmonter des différends, restaurer les liens, aller vers un « vivre ensemble » pacifié.
La médiation peut ouvrir à une dimension éminemment spirituelle car elle va intégrer la révélation de la vérité des blessures humaines dans toutes ses dimensions pour tenter d’assurer un avenir pacifié. J’ai expérimenté cette aventure inattendue dans une conversion passant par la prière, le pardon et la miséricorde et non par la seule référence juridique. Ainsi, cette option s’est révélée comme une possible conciliation entre ma foi en l'homme marchant dans les pas du Christ et la résolution de ses conflits. Mais cela m’a imposé un exercice difficile, en complément de mon quotidien très judiciarisé, consistant en une triple dépossession : - Me libérer de la référence à la loi, la finalité étant ici la recherche de la guérison de la blessure souffrante du demandeur, et non plus la conceptualisation de sa traduc-
tion légale pour la rendre judiciairement victorieuse ; - Une écoute différente de celle du client, ici par une écoute jusqu’au bout, bienveillante, pour chercher à insérer le chemin de traitement dans un nouvel objectif : restaurer le lien ; - Ce n’est donc ni pour gagner de l’argent ni pour faire condamner l’adversaire mais pour aller vers un renouveau du vivre ensemble. Puis, c’est une fois ces prérequis posés et admis que nous suivons une trajectoire pour avancer et rechercher ensemble l’issue favorable. Si l’objectif de restauration du lien brisé est atteignable, cela permet vraiment de vivre cette transformation radicale et renversante. Des adversaires dépassent et surmontent leur conflit pour reconnaître qu’il est possible à nouveau de vivre ensemble. Bien évidemment, rien n’est certain, et si la médiation réussit, elle me certifie humblement d’avoir œuvré pour la paix entre
© Cienpies / iStock
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Ma foi en tant qu’avocat m’a conduit vers une voie, devenue aussi militance, d’intégration des modes alternatifs de règlement des différends (MARD) pour parvenir à résoudre les conflits.
les hommes, donc d’avoir participé à l’édification du Royaume. La victoire dans cette réconciliation est de réussir à unir la compassion et le dialogue face aux cris de douleurs, et, cela, sous ma responsabilité pour avoir prêté de l’attention à remettre en marche la relation blessée. Olivier
Lire aussi Médiatrice familiale et coach, Agnès accueille chaque jour des personnes d’une même famille qui cherchent à avoir des relations plus paisibles. Leur quotidien est miné et pourtant elles arriveront à trouver des solutions. Retrouvez la suite du témoignage sur :
editionsviechretienne.com
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Chercher et trouver Dieu
Contrechamp
la réconciliation : travail et don La réconciliation n’est pas simplement un geste entre individus, elle se vit aussi au niveau d’une nation, d’un groupe. À chaque fois, c’est un processus nécessitant des étapes et des rituels, long, difficile, mais c’est aussi un don à recevoir, menant vers la gratuité, souligne Guilhem Causse s.j.
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La réconciliation a la couleur, la chaleur d’un banquet de noces, d’autant plus joyeux qu’il marque l’issue d’un chemin difficile, où l’horizon a été long à se dégager, où certains jours, il semblait même disparaître.
lèbre où l’Afrique du Sud de Mandela remportait une victoire qui marquait d’un sceau durable le processus de réconciliation après des années d’Apartheid. Le sport peut révéler ce que le philosophe Paul Ricœur appelle le « pouvoir de vivre ensemble » : le don qui nous constitue en communauté, familiale, nationale, professionnelle, humaine.
Mais si le sport peut donner un sens à ce chemin, il est loin de suffire pour le parcourir. Ainsi, en Afrique du Sud, il aura fallu, avant ce match mémorable, une étonnante institution, la Commission Vérité et Réconciliation, créée grâce à la détermination de quelques hommes croyant assez en l’humanité pour l’appeler à cette espérance. Cette institution, conçue comme un rituel à la croisée de la justice et du pardon, a permis de refonder le pays sur le « pouvoir de vivre ensemble », plutôt que sur la domination des uns sur les autres. © CSoccer.com
Guilhem Causse s.j., docteur en philosophie, maître de conférences au Centre Sèvres à Paris.
Voici près de vingt ans, la France vivait, avec la victoire en coupe du monde de football, un moment de réconciliation : la France Black Blanc Beur disait-on. Les joueurs s’embrassaient, la foule affluait sur les Champs-Élysées, les divisions étaient dépassées. De tels moments, même s’ils ne durent pas, ont un goût de réconciliation. Un autre exemple est le match de rugby resté cé-
▲ La France Black Blanc Beur en 1998, un moment de réconciliation nationale.
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Po u rq uo i c e t t e C o m m i s s i o n a-t-elle été efficace ? Que nous dit-elle des moyens que nous pouvons prendre ? Nous en distinguons trois : la parole don-
née aux victimes, d’abord ; les accusés invités à l’aveu, ensuite ; tout cela dans le cadre de rituels considérant la personne dans toutes ses dimensions : physique et psychique, relationnelle et spirituelle.
des rites qui réconcilient L’on commence à parler de réconciliation quand une relation a été abîmée, une confiance brisée. Le travail consiste à prendre la mesure de ce qui est à délier et relier. Nos relations sont tissées de toutes les dimensions de nos êtres : se réconcilier n’est pas seulement une question intellectuelle ou morale, c’est aussi une réalité corporelle et communautaire. Les rites, religieux ou autres, permettent de prendre en charge cette diversité. Le rite de l’eucharistie est ainsi d’une grande aide pour concevoir des rituels de réconciliation. En effet, l’eucharistie n’est rien d’autre qu’un rite qui réconcilie, ou une réconciliation en actes. Le premier moment est l’attention à la victime. Nous pouvons penser au geste du lavement des pieds. Les victimes sont les apôtres : leur petit troupeau est menacé, avec la mort prochaine de leur pasteur, de se perdre et de tomber dans l’abîme. Ce geste est d’abord un rituel domestique : il signifie aux hôtes, en lavant la poussière du chemin déposée sur leurs pieds, qu’ils sont arrivés, chez eux, qu’ils
peuvent se reposer en confiance, qu’ils n’auront plus, pour l’heure, à reprendre la route. Prendre soin d’une personne victime, c’est lui signifier par le geste et l’écoute, qu’elle est chez elle, qu’elle n’a plus à avoir peur, qu’elle est un membre plein et entier de la communauté, que ce qu’elle a subi non seulement ne l’exclut pas, mais raffermit cette appartenance. Il est l’heure, pour elle, d’habiter la maison, de refaire ses forces, de retrouver la considération à l’égard de soi en s’appuyant sur celle dont elle est entourée. Ce geste est d’autant plus fort qu’il est le fait de membres représentatifs de la communauté. L’hospitalité n’est certes pas la fin : les apôtres auront des tribulations à vivre après la Cène. Mais c’est l’élan nécessaire, et espérons-le, suffisant, pour que la personne victime avance, entourée, vers la réconciliation. Précisons que la victime, pour être accueillie, peut ne pas être membre de la communauté : le petit, le pauvre et l’étranger sont des victimes qui, précisément, n’ont pas de communauté pour les héberger. Le second moment est l’attention au coupable. Le premier pas vers la réconciliation est qu’il réintègre la communauté, la sienne et celle, plus large, qui l’unit à la victime. Cela passe par l’aveu de la faute et un repentir qui n’en reste pas aux mots,
mais passe en gestes. L’aveu et le repentir sont favorisés par la dimension du rituel – religieux, judiciaire ou plus informel – qui signifie à la personne qu’elle vaut mieux que ses actes reconnus mauvais. Ce qui est manifesté, c’est que rester humain malgré ce mal est un don. Qui le reçoit comprend ce que signifie la gratuité : ce don non seulement ne répond pas aux mérites, mais il est fait malgré les démérites. La communauté accompagne celui qui se repend, pour attendre le moment où la victime sera prête à le recevoir, mais aussi, le cas échéant, pour vivre la sanction légale. Le troisième moment est la rencontre entre victime et coupable. Pour être la partie émergée de l’iceberg, elle n’en est pas moins un moment de grande joie. Sceller ce moment par une fête est primordial : non seulement pour dire la gratitude de chacun envers chacun, mais aussi pour faire mémoire du « pouvoir de vivre ensemble » qui n’a cessé de chercher à se donner, gratuitement. C’est le moment pour entendre que la réconciliation, si elle est à l’horizon, n’en est pas moins à l’origine. Et de là, elle émerge, de loin en loin, dans le sport, l’art, ou des événements du quotidien, quand l’humanité soudain, se révèle dans son unité plus grande que ses divisions. Guilhem Causse s.j.
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Chercher et trouver Dieu
Éclairage biblique
la réconciliation, une fête fortune qui me revient.” Et le père leur partagea ses biens.
13 Peu de jours après, le plus jeune rassembla tout ce
qu’il avait, et partit pour un pays lointain où il dilapida sa fortune en menant une vie de désordre. 14 Il avait tout dépensé, quand une grande famine survint dans ce pays, et il commença à se trouver dans le besoin. 15 Il alla s’engager auprès d’un habitant de ce pays, qui l’envoya dans ses champs garder les porcs. 16 Il aurait bien voulu se remplir le ventre avec les gousses que mangeaient les porcs, mais personne ne lui donnait rien. 17 Alors il rentra en lui-même et se dit : “Combien d’ouvriers de mon père ont du pain en abondance, et moi, ici, je meurs de faim ! 18 Je me lèverai, j’irai vers mon père, et je lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. 19 Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. Traite-moi comme l’un de tes ouvriers.” 20 Il se leva et s’en alla vers son père. Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut saisi de compassion ; il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers. 21 Le fils lui dit : “Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils.” 22 Mais le père dit à ses serviteurs : “Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller, mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds, 23 allez chercher le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, 24 car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé.” Et ils commencèrent à festoyer. 25 Or le fils aîné était aux champs. Quand il revint et fut près de la maison, il entendit la musique et les danses. 26 Appelant un des serviteurs, il s’informa de ce qui se passait. 27 Celui-ci répondit : “Ton frère est arrivé, et ton père a tué le veau gras, parce qu’il a retrouvé ton frère en bonne santé.” 28 Alors le fils aîné se mit en colère, et il refusait d’entrer. Son père sortit le supplier. 29 Mais il répliqua à son père : “Il y a tant d’années que je suis à ton service sans avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. 30 Mais, quand ton fils que voilà est revenu après avoir dévoré ton bien avec des prostituées, tu as fait tuer pour lui le veau gras !” 31 Le père répondit : “Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. 32 Il fallait festoyer et se réjouir ; car ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé !” »
Luc 15, 11-32 Traduction Association Épiscopale Liturgique pour les pays Francophones (AELF)
14 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 47
© Retour du fils prodigue, Batolome Esteban Murillo, 1667, Museo del Prado, Madrid
11 Jésus dit encore : « Un homme avait deux fils. 12 Le plus jeune dit à son père : “Père, donne-moi la part de
V
Vue du père, la parabole dite du « fils prodigue » est une histoire de pardon. Vue du fils ou de son frère aîné, c’est une affaire de réconciliation. Affaire conclue dans le cas du premier, affaire à suivre pour le second. Ce cadet dépensier, jouisseur, ingrat et inconséquent, semble cristalliser tous les défauts. Sa démarche vers le père ? C’est la misère et la faim, pas un quelconque regret humain qui la motive ! Luc souligne pourtant que, dans l’impasse où il s’est mis, il « rentre en lui-même ». Mais c’est pour s’y livrer à une forme de calcul. En reconnaissant son péché, il pourra se voir placé au rang d’un ouvrier et recevoir une nourriture et un salaire de subsistance. Voilà un homme dépouillé de tout. De ses biens (dilapidés), de sa fierté (il aspire à se nourrir comme un cochon et à partager le sort des plus déclassés) et même de son espérance. Car il ne semble pas attendre ce pardon qui le sauverait. Ni prétendre à redevenir l’enfant de son père (« je ne mérite plus d’être appelé ton fils ») : il se contentera d’en être le serviteur. C’est sur ce dépouillement que le père bâtit. En courant vers lui, en l’accueillant à bras ouverts, à baisers redoublés, avec une robe de prix et un veau gras, il lui permet de se redonner – ex nihilo – une valeur. (« Tu as du prix à mes yeux et je t’aime » dit le Seigneur à Israël dans Isaïe 42,1). C’est d’abord avec lui-même que le fils peut se réconcilier, grâce au Père. Qu’il peut cesser de se condamner et quitter sa prison intérieure (« mort, il est revenu à la vie »). C’est au tour du père d’être prodigue. Mais cette prodigalité n’amenuise pas, n’abaisse pas, elle exalte et déborde. La réconciliation est une fête. Comme nous arrêterions volontiers notre lecture à ce banquet ! Comme nous voudrions oublier ce fils aîné, ce trouble-fête, au sens littéral. Si sa révolte nous embarrasse tant, ce n’est pas qu’elle nous est étrangère mais que nous la comprenons trop bien. Comme nous comprenons la jalousie de l’ouvrier face au collègue de la onzième heure, également rétribué par le maître. A l’image de son frère, l’aîné rentre en lui-même et fait le bilan d’une vie d’effort, qu’il estime sans récompense ni reconnaissance. Ce bilan ne le conduit pas au dépouillement mais à la revendication. Moi
l’aîné, arrivé avant, resté plus longtemps avec le père (« voilà tant d’années que je te sers »), j’exige une meilleure place. Je connais la hiérarchie des mérites et je la dis. Je demande à la justice du père, la justice divine, de se plier à la mienne. La relecture du père est toute différente. « Tu es toujours avec moi ». Tu l’as toujours été. Tu n’es pas le fils perdu puis retrouvé puisque tu es « mon enfant ». Le père incite son fils à revisiter cette présence auprès de lui comme une chance, une fête quotidienne même si elle n’est pas célébrée. La réconciliation de l’aîné (avec son père, accusé, avec son frère, condamné, avec lui-même, mal apprécié) passe par là, même s’il n’en exprime pas le désir. Elle passe aussi par l’acceptation d’une justice qui n’est pas la sienne. Qui n’est pas la justice « au mérite » des hommes. Elle passe par l’humble écoute de son père. On a bien besoin d’un Dieu pour opérer une conversion aussi surhumaine.
Jean François
points pour prier + Regarder chacun des trois acteurs de cette parabole. Me laisser toucher par chacun d’eux. Demander la grâce d’un cœur ouvert et même brûlant. + Qu’est-ce qui me rend proche du cadet ? Qu’est-ce que je gaspille, que je dilapide ? Qu’est ce qui me fait aller humblement vers le père ? + Qu’est ce qui fait que ce frère aîné est mon frère ? Ne m’arrive-t-il pas de me comparer ? Quelles sont mes jalousies ? Quelles sont, aussi, les chances que je ne sais pas voir ? + Contempler la façon dont le père m’accueille tel que je suis. Suis-je prêt à me laisser accueillir ? + Pour cela, il me faut me réconcilier avec moi-même, avant de le faire avec mon prochain. Sans fermer les yeux sur mes faiblesses mais pour entrer dans la joie du pardon. Rendre grâce pour cette joie qui m’attend. mai/juin 2017 15
Chercher et trouver Dieu
Repères ecclésiaux célébrer la pénitence et la réconciliation
un acte d’espérance pour un monde troublé
Le sacrement de pénitence demeure encore aujourd’hui assez délicat pour de nombreux chrétiens. Même si sa forme a été renouvelée plusieurs fois au cours de l’histoire, son image reste brouillée. Le sacrement de la confiance en Dieu, du renouvellement de la communion est à célébrer sans crainte, encourage le frère Patrick Prétot.
L
Les évolutions culturelles viennent brouiller l’héritage de la tradition. Comment parler de ce sacrement alors que certaines émissions de télé-réalités utilisent le terme confessionnal pour évoquer des formes d’introspection, voire un déballage de sa vie intime ? Et on doit souligner combien la question du péché est aujourd’hui devenue assez floue. Dès lors, pour beaucoup, identifier dans sa vie ce qui ressort du sacrement n’est pas évident.
Frère Patrick Prétot, moine à l’abbaye de la Pierre qui Vire, professeur de théologie à l’Institut Catholique de Paris (ICP), il a été membre du service national de la pastoral liturgique et sacramentelle.
Le pardon des péchés n’est pas la recherche d’une compréhension à l’égard des failles humaines. Dans un temps où on se trouve vite sommé de « faire des excuses », ce sacrement ne peut être compris comme une démarche d’excuses auprès de Dieu. Car inséparable du baptême, il restaure le fidèle dans le don baptismal irrévocable de la grâce de Dieu. Par conséquent, il s’agit non d’excuses mais de « retournement ». Ce qui a éloigné de Dieu devient le chemin
même du retour à lui : « Je me lèverai, j’irai vers mon père, et je lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi » (Luc 15, 18). À ce titre, l’aveu n’est pas une fin en soi. Il est en même temps action de grâce comme l’exprime le rituel : « confesser l’amour de Dieu en même temps que notre péché ».
Passer du judiciaire à la célébration Certains changements de vocabulaire traduisent le sens profond de ce que le concile Vatican II a voulu. Pendant des siècles, ce sacrement a été désigné par le terme « confession » : les prêtres allaient « entendre les confessions » dans un lieu désigné comme « le confessionnal ». Ce faisant, on mettait l’accent sur l’aveu de ses fautes que le pénitent faisait au prêtre considéré comme juge. La qualité de la démarche avait une grande importance : on insistait sur la contrition, c’est-à-dire le regret
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sincère éprouvé par le pénitent, pour éviter que l’aveu ne se replie sur un formalisme vide. En donnant l’absolution et en imposant une pénitence, le prêtre assumait les rôles de médecin et de juge (on parlait même de « tribunal de la pénitence »). Il suffit d’évoquer le curé d’Ars pour se rappeler combien cette conception a porté de vrais fruits de sainteté. Mais parce que ce sacrement touche directement les consciences, et donc les mentalités, il est particulièrement sensible aux évolutions sociales et culturelles. Reconnaître les fruits du passé n’implique pas que la forme soit valable pour tous les temps. D’ailleurs l’Église a estimé plusieurs fois nécessaire de modifier en profondeur sa discipline en ce domaine. Or parmi les éléments qui brouillent l’image du sacrement, l’importante transformation de sa pratique depuis au moins un
Si le rituel de 1973 est intitulé en latin Rituel de la pénitence, la traduction francophone (1978) porte un titre révélateur : Célébrer la pénitence et la réconciliation. Elle indique que le sacrement ne se joue pas dans un huis-clos entre un confesseur et un pénitent mais qu’il s’agit d’un acte de l’Église, qui exerce l’œuvre de la réconciliation entre Dieu et les hommes. Le prêtre, au nom de l’Église, exerce le ministère de la réconciliation, qui, elle-même, est un don de l’Esprit Saint provenant de la Pâque du Christ : « Que Dieu notre Père vous montre sa miséricorde : Par la mort et la résurrection de son Fils, il a réconcilié le monde avec lui et il envoyé l’Esprit Saint pour la rémission des péchés. Par le ministère de l’Église Qu’il vous donne le pardon et la paix » (n. 85)
C’est pourquoi en déclinant les étapes de la démarche sacramentelle, les préliminaires désignent la portée de ce verbe « célébrer » : s’accueillir mutuellement, écouter la parole de Dieu, confesser l’amour de Dieu en même temps que notre péché, accueillir le pardon de Dieu. En introduisant une proclamation des Écritures, en situant la confession des péchés dans une action de grâce envers un Dieu de miséricorde et qui trouve son sommet dans l’accueil du pardon, la réforme de Vatican II a voulu sortir d’une approche judiciaire pour retrouver le sacrement comme action liturgique célébrée avec et en Église. C’est pour cette raison aussi qu’une forme communautaire de célébration (avec rencontre personnelle avec un prêtre) a été introduite. En définitive, c’est l’eucharistie qui éclaire le sens d’un sacrement par lequel le pécheur est réintégré dans la communion de l’Église et dans la vie de la grâce et où l’Église s’associe à la joie du Père devant le retour des pécheurs.
Célébrer l’alliance Célébrer la pénitence et la réconciliation, c’est donc renouveler la communion là où le péché l’avait mise à mal. Et pour cela faire mémoire de l’œuvre que le Père a accomplie en son Fils, et par son Esprit. La liturgie de la Parole qui normalement précède la confession des péchés est donc de grande importance, même si elle peut prendre la forme très simple de quelques versets choisis des Écritures. Elle est un mémorial de
© Ascension, Perugino, 1496, musées des Beaux Arts de Lyon
siècle est de particulière importance. Le délaissement des confessionnaux a pu apparaître comme le signe de l’obsolescence du sacrement lui-même ou, au moins, d’une forme de sa célébration. Il serait toutefois erroné d’en rester à cela : depuis le milieu du XXe siècle, de multiples recherches pastorales, motivées parfois par le désir d’endiguer la chute de la pratique, ont provoqué un renouveau, qui se manifeste à travers des célébrations communautaires, la pastorale des lieux de pèlerinage ou encore les journées du pardon.
▲ Célébrer la pénitence et la réconciliation, c’est donc renouveler la communion, faire mémoire de l’œuvre que le Père a accomplie en son Fils par son Esprit.
l’alliance : de même que Dieu n’a pas abandonné le Fils sur la croix, de même il n’abandonne pas les hommes dans la détresse du péché et ouvre sans cesse un avenir. Sur ces bases, il est possible de revenir en conclusion au titre de cet article. Dans un monde troublé où beaucoup sont des blessés de la vie, qui essaient de surmonter le désarroi provoqué par des comportements dont ils sont inséparablement acteurs et victimes, le ministère de la miséricorde, exercé par l’Église au nom du Christ sauveur, peut contribuer à restaurer confiance et espérance. En effet, le sacrement de pénitence et de réconciliation offre un chemin d’espérance parce qu’il est le sacrement de la confiance en Dieu comme le dit l’une des oraisons du Rituel : « Seigneur notre Dieu, Ton amour est plus fort que nos offenses et tu accueilles celui qui s’efforce de revenir à toi » (n. 107) F. Patrick Prétot, osb mai/juin 2017 17
Chercher et trouver Dieu
pour aller plus loin Des pistes pour un partage : • Je fais mémoire d’une expérience de réconciliation. Quelle relation a été restaurée ? Quel a été le chemin parcouru pour y arriver ? Qu’est-ce cela a apporté de neuf ? Ou à l’inverse je peux évoquer une situation où la réconciliation n’a pas encore été possible. Qu’est-ce qui empêche ? Qu’est-ce qui pourrait aider à avancer vers elle ? • Quelle expérience ai-je du sacrement de réconciliation ? Quels fruits, quelles difficultés ? Les textes des pages 16-17 et 20-21 rejoignent-ils mon expérience, m’ouvrent-ils des horizons ? Comment pourrions-nous nous soutenir dans ce domaine ? • Je regarde l’ensemble de l’humanité aujourd’hui, en prise à tant de divisions scandaleuses. Quelles sont celles qui me touchent plus particulièrement ? Est-ce que je vois aussi dans ces réalités des germes de réconciliation ? Lesquels ? Qu’est-ce que j’entends comme appel, personnel ou communautaire ?
À lire : • Le sacrement de la miséricorde : sacrement de pénitence et de réconciliation Joseph-Marie Verlinde – 2016 – Le livre ouvert – 13,90 euros. Réflexion sur ce sacrement et notamment sur son abandon dans l’Église actuelle. L’auteur analyse et explique les termes liés à ce rituel : faute, péché, culpabilité et contrition. • Se laisser réconcilier Christus n° 228 – Octobre 2010 – 11 euros. Quand elle advient. la réconciliation n'est jamais un simple retour en arrière. C'est un renouvellement, une résurrection, une création nouvelle : « Il était mort et il est revenu à la vie. »
À écouter : • U ne conférence de Michel Fédou s.j. sur le sacrement de réconciliation lors du colloque international de l’Université Grégorienne de Rome (28 février – 1er mars 2017) consacré à « Luther et les sacrements : une relecture catholique dans une perspective œcuménique ». – http://www.centresevres.com/home-infos/ eclairage-sur-le-sacrement-de-reconciliation-par-p-michel-fedou/
À voir : • Le Fils, réalisé par les frères Dardenne, 2002. Un prof accueille dans sa classe de menuiserie un garçon qui vient de sortir de maison de rééducation. Si l’homme s’intéresse autant à son nouvel élève, c’est que le garçon est le meurtrier de son propre fils. Quelle relation vont-ils vivre ? • Le Pardon, film documentaire québécois réalisé par Denis Boivin, 1992. Le documentaire met l’accent sur le pardon que deux parents ont accordé à deux individus qui ont violé et assassiné leur fille en juillet 1979. 18 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 47
© Derry Turism
contempler une œuvre d'art
Le fossé est-il trop grand pour eux ? Qui va oser le « petit plus » pour vraiment atteindre l’autre ?
« Hands across the divide », Maurice Harron (1994)
Située dans la ville de Derry, qui connut le 30 janvier 1972 le « Bloody Sunday », cette sculpture symbolise la complexité du conflit nord-irlandais où deux camps cherchent à coexister dans la paix malgré leurs oppositions. mai/juin 2017 19
Se former
École de prière
passer de la confession au dialogue pénitentiel Pour ceux dont la pratique du sacrement de réconciliation est difficile, le cardinal Carlo Maria Martini propose de poser une démarche pour retrouver la valeur du sacrement : se mettre sous la Puissance de Dieu. Extrait de son livre.
J
Je ne veux pas ici faire une étude pastorale, mais simplement faire une suggestion à ceux qui ont peut-être, à un moment donné, espacé de plus en plus leurs confessions sans réussir à bien en analyser le pourquoi et sont dans l’incapacité de reprendre une pratique désormais formelle, à cause d’un certain malaise intérieur. Je voudrais proposer une suggestion uniquement parce qu’elle m’a été utile. Chacun offre ce qu’il a expérimenté de positif.
© Resurrection, Mikhail Vrubel, 1887
© Resurrection, Mikhail Vrubel, 1887
Cardinal Carlo Maria Martini recteur de l’Université grégorienne puis archevêque de Milan en 1979. Décédé en 2012.
Je me suis demandé, ou le Seigneur m’a inspiré de me demander, lorsqu’une confession courte et faite à la hâte me pesait, pourquoi ne pas essayer de la faire plus longue et avec plus de calme. Cela a l’air d’un paradoxe, mais parfois, même les paradoxes aident à sortir de situations bloquées. Alors, avec l’aide de quelqu’un d’autre, je suis passé de la confession à ce que j’appellerais un dialogue pénitentiel. Ce dialogue, d’ailleurs, ne fait que développer les indications
▲ Que mon cœur soit changé, qu’il y ait en moi moins de lourdeur, moins de tristesse, moins de scepticisme, moins d’orgueil… je mets tout cela dans la puissance du Crucifié et du Ressuscité par la puissance de l’Église.
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données par la dernière révision du rite pénitentiel, publiée par le Saint-Siège et appliquée par les Conférences épiscopales, qui élargit grandement la possibilité d’y insérer prière et lecture de l’Écriture sainte.
Passer de la confession au dialogue pénitentiel Il me semble qu’il s’agit avant tout d’un dialogue avec un frère qui représente l’Église, donc un prêtre, en qui je vois un représentant direct de Dieu ; un dialogue fait en priant ensemble, dans lequel je présente ce que je sens en moi, en ce moment ; je me présente tel que je suis, devant l’Église et devant Dieu. À mon avis, ce dialogue comporte essentiellement deux parties : la première, que j’appelle « confessio laudis », c’est-à-dire confession d’après le sens primitif du terme. Là aussi, on peut partir d’un paradoxe : s’il est chaque fois si pénible et si difficile de dire mes péchés, pourquoi ne pas commencer par les bonnes actions ?
Saint Ignace lui-même le suggérait dans les Exercices, prenant comme premier point l’action de grâce (Exercices spirituels n° 43) : Seigneur, je veux d’abord te remercier parce que tu m’as aidé, telle chose a eu lieu, j’ai pu me rapprocher de telle personne, je me sens plus serein, j’ai dépassé un moment difficile, j’ai pu mieux prier. Remercier Dieu de ce que je suis, de son don, sous forme de dialogue, de prière de louange ; reconnaître ce qui maintenant, devant Dieu, me donne de la joie : je suis content de telle ou telle chose, passée ou présente. Il est important que ces choses émergent devant le Seigneur : la reconnaissance de sa bonté pour nous, de sa puissance, de sa miséricorde. Cela fait, on peut passer à une « confessio vitae » que je définirais comme ceci : plus qu’une recherche et qu’une énumération de péchés formels, c’est dire devant Dieu ce qui maintenant me met mal à l’aise, ce que je voudrais faire disparaître. Souvent, ce sont des attitudes, des façons d’être, plus que des péchés formels, mais au fond, les causes sont les douze attitudes que répertorie saint Marc : orgueil, envie, cupidité… qui émergent dans ces états d’âme. Ou bien, je dirai devant Dieu : je regrette de ne pas pouvoir parler sincèrement avec telle personne, mon rapport n’est pas authentique avec tel groupe, je ne sais pas par où commencer. Je regrette de ne pas réussir à prier, je me
sens mal à l’aise d’être pris par ma sensualité, par des désirs que je ne voudrais pas avoir, des fantasmes qui me troublent. Je ne m’accuse peut-être d’aucun péché en particulier, mais je me mets devant le Seigneur et lui demande qu’il me guérisse.
Une immersion baptismale dans la puissance de l’Esprit Il ne s’agit vraiment pas de mettre sur la table trois ou quatre péchés, pour qu’ils soient annulés, mais d’une immersion baptismale dans la puissance de l’Esprit : « Seigneur, purifie-moi, éclairemoi, illumine-moi ». Je ne demande pas seulement, dans cette confession, que soit annulé tel ou tel péché, mais que mon cœur soit changé, qu’il y ait en moi moins de lourdeur, moins de tristesse, moins de scepticisme, moins d’orgueil. Je ne sais peutêtre même pas par où commencer, mais je mets tout cela dans la puissance du Crucifié et du Ressuscité par la puissance de l’Église. De là naît une prière qui peut être faite avec le prêtre : on peut réciter un Psaume, une prière de la Bible, de remerciement ou de demande, ou même, une prière spontanée sur laquelle une absolution sacramentelle vient comme la manifestation de la puissance de Dieu que je demande parce que je ne suis pas capable de m’améliorer tout seul. Je me remets une fois encore sous la Croix, sous
cette puissance qui m’a baptisé pour qu’une fois encore elle me reprenne en main. Voilà ce que j’entends par dialogue pénitentiel ; ce n’est pas simplement un dialogue psychologique, ou une sorte de thérapie. Il n’est pas nécessaire que le confesseur me révèle les sources secrètes de mes fautes ; cela pourrait aussi avoir lieu avec un spécialiste du cœur humain, mais même si le confesseur est une personne qui ne sait pas grand-chose du cœur humain, il peut toujours prier pour moi, sur moi et avec moi. Il s’agit de se soumettre à la puissance de l’Église, et donc de retrouver la valeur du sacrement : je vais me confesser non pour sentir des choses intéressantes, ou pour voir quel conseil on me donne, mais parce que c’est moi qui dois me soumettre à la puissance de Dieu et cela me suffit, me donne joie et paix. C’est donc, avec de nombreuses variantes possibles, une suggestion que je souhaitais vous donner. Il est clair que, de cette façon, la confession peut durer longtemps, mais on l’affronte plus volontiers car l’on voit ce qu’elle signifie dans son chemin vers Dieu. Cardinal Carlo Maria Martini Extrait de « Et moi je suis avec vous. Avec Ignace de Loyola, méditer l’évangile de Matthieu », éditions Vie Chrétienne, 1992.
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Se former
Expérience de Dieu…
en me formant à la gestion des conflits Suite à des émeutes sur l’Île Maurice, une formation a été conçue pour transformer la société à partir du quotidien des personnes. Devenue formatrice, Georgina s’émerveille de voir les situations se débloquer, les personnes se libérer… et comprend mieux en quoi Jésus nous sauve.
E
En 2000, j’entends parler d’une formation « Apprendre à mieux gérer nos conflits par une communication vraie et une négociation efficace ». Intriguée, je décide de tenter l’aventure et m’inscris pour ce parcours.
© Bataille entre carnaval et carême, Bruegel, 1559, Kunsthistorisches.
Mes relations avec mon mari et mes enfants en sont tellement transformées, que je suis volontaire quand Étienne Chomé propose de former des Mauriciens à devenir animateurs "Commu-
nicActions", le nom que nous avons trouvé pour notre association et qui dit bien ce qu’elle propose : agir pour mieux entrer en relation… Notre objectif est de rendre la formation accessible au plus grand nombre de Mauriciens de tous les milieux. En tant qu’animatrice, je suis souvent impressionnée par la manière dont les personnes font confiance aux outils que nous proposons et les mettent tout de suite en pratique ; ils reviennent la se-
22 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 47
maine suivante émerveillés que ça marche !… En ce qui concerne mon parcours personnel, j’ai découvert que j’étais une personne assez « conflictuelle » dans la mesure où je ne savais pas me taire quand je n’étais pas d’accord et qu’une situation me révoltait. Éviter les « TU » accusateurs et les pièges des jugements, des reproches et des exigences, les remplacer par des phrases dont le sujet est « JE », m’a permis d’aborder le dialogue de manière plus respectueuse et constructive. Ce qui m’a vraiment mise en route et qui a été le début du changement en moi, c’est lorsque j’ai compris que j’avais ma part de responsabilité dans les situations de conflit. Réaliser que chacun réagit par rapport à ses propres valeurs et vécus douloureux, m’a encouragée à essayer de comprendre l’autre au lieu de le juger, et à chercher un chemin pour avancer ensemble au lieu de me couper. Si je reste accrochée à l’attitude de l’autre que je juge
Née à la suite d’émeutes : CommunicActions
insupportable, je reste bloquée. J’ai ainsi pris conscience de mes intransigeances qui ne faisaient que cristalliser mes blocages et je me suis rendu compte de la violence de telles attitudes, surtout face à mes ados ! Dans tout conflit, ma première responsabilité est d’aller voir quelle blessure en moi a été réveillée par la situation. Puis le second pas est ce que je décide d’en faire. Là je retrouve ma liberté dans ce qui semblait bloqué, figé.
Les principaux obstacles à la réconciliation En cas de grandes souffrances, je constate que les personnes souvent s’enferment dans le rôle de victime. Pourtant, même dans le cas de violences conjugales, j’ai vu des femmes se libérer, ne plus rester sur « c’est sa faute à lui », mais s’épanouir et avoir des projets. Elles sont redevenues responsables de leur propre vie. En cas de fonctionnement violent, un cercle de violence s’installe. Il est possible de le stopper en refusant de jouer ce jeu-là, en changeant de registre et en apprenant à « purifier » ses propres paroles des propos qui accusent, culpabilisent et humilient et qui portent atteinte à la liberté de l’autre en exigeant. Enfin, un autre obstacle, très courant chez nous, est d’avoir peur de blesser l’autre en nommant les problèmes. Or en voulant éviter
L’aventure "CommunicActions" a commencé à l’île Maurice, en 1999, suite aux émeutes du « février noir ». C’est dans ce contexte multiculturel et multi religieux qu’Étienne Chomé, théologien et chercheur en résolution de conflits à l’université catholique de Louvain, a mis au point son parcours de formation à la demande de l’évêque de Port-Louis. Pendant 6 ans, ce chercheur a donné la formation « Apprendre à mieux gérer nos conflits de tous les jours » aux quatre coins de l’île et dans des milieux socio-économiques très divers. Sa priorité a été de former des animateurs qui puissent à leur tour donner ce parcours auprès de publics variés, jusque dans les cités défavorisées, les prisons, les écoles, les entreprises… Aujourd’hui "CommunicActions" est présente en Europe, en Afrique et au Canada, avec une centaine de formateurs. www.communicactions.com la violence, on se fait violence à soi-même en se taisant. Parfois cela peut mener à la maladie, à la dépression. Ma place de formatrice me permet d’être témoin de nombreuses libérations. Cela me stupéfie à chaque fois, et me donne beaucoup de joie et de confiance dans la vie. Être témoin de telles transformations me permet aussi de comprendre ce qui était longtemps resté mystérieux : que « Jésus est sauveur ». Vraiment sauveur ! J’ai appris à voir les chaînes dont il peut nous libérer : nos ressentiments, nos peurs… à voir qu’il peut également guérir nos corps par cette libération. J’ai vu des personnes ne plus avoir mal au dos après avoir fait la paix. Moi-même j’accumulais les tendinites tant que « je prenais sur moi » dans les situations difficiles. Je suis témoin que d’oser parler, même avec nos « ennemis », libère.
Se libérer Jusqu’à pardonner Cependant, le seul chemin de vraie libération est d’arriver
jusqu’au pardon. Mais c’est un long processus. J’en suis encore au début. Ce n’est pas juste en se disant : « il faut pardonner » que l’on y arrive. Comme il est impossible de faire changer une personne, la seule issue est de voir quel chemin, quelle conversion est à faire soi-même. J’expérimente encore que si je change, cela peut faire bouger l’autre. Mais si je change pour qu’il change, si je lui dis, « j’ai fait un pas, c’est à toi maintenant », c’est presque de la manipulation. Seule la gratuité de « aimez vos ennemis » peut vraiment nous libérer. C’est être capable de donner audelà de la blessure qui m’est faite, c’est « par-donner ». C’est faire le geste que l’on n’attendait pas…
« La méthode C-R-I-T-E-R-E pour mieux gérer nos conflits », Étienne Chomé, Presses universitaires de Louvain, 2009.
Georgina Corson
Une théologienne relit cette expérience
C
ontempler le Christ en croix qui pardonne à ses ennemis. S’émerveiller de la confiance de Dieu qui croit en l’homme au point de le penser capable de pardonner comme Il pardonne. Me convertir, rendre grâce et accueillir comme un don de Dieu d’être pardonné et d'être capable de pardonner. mai/juin 2017 23
Se former
Lire la Bible
le dieu des surprises avec david et le prophète natan Par deux fois, le Seigneur a fait se retourner le cœur du roi David, par la parole du prophète Natan. Par deux fois, il a fallu l’oreille attentive de Natan dans la prière et le courage d’aller voir le roi pour que David vive un retournement et puisse louer le Seigneur, souligne Claude Flipo s.j. Un chemin de conversion à retrouver aussi dans les Psaumes.
C
C’est un petit prophète, qui n’est pas même dans la liste, et qui pourtant a changé par deux fois le cours de l’histoire. Il apparaît dans le deuxième livre de Samuel
au chapitre 7 comme un membre du conseil royal, puis disparaît sans laisser d’autre trace que deux paroles inspirées qui ont retourné le cœur du roi.
Claude Flipo s.j., Ancien rédacteur en chef de Christus, il a publié aux Éditions Vie chrétienne Invitation à la prière, 10 euros
© Psautier de Paris, Bibliothèque nationale de France
Disponible sur viechretienne.fr et dans toute librairie.
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Ce n’est pas toi qui bâtiras David habite son palais dans cette ville de Jérusalem récemment conquise. Il en fit sa capitale sur tout le royaume du nord au sud. Le Seigneur Dieu lui a accordé le repos en écartant tous ses ennemis, et il s’est construit une belle demeure royale en faisant venir du Liban les plus beaux cèdres et de Tyr les meilleurs tailleurs de pierre : « Vois donc, dit-il à Natan, j’habite une maison de cèdre et l’arche de Dieu habite sous la tente ». Nous sommes en l’an 1 000 avant Jésus-Christ. Le petit berger de Bethléem, vainqueur de Goliath avec sa fronde, est devenu grand. Il a conduit les combats du roi Saül avec panache. « Saül en a tué mille et David dix mille », chante-t-on dans les chaumières (1 Samuel 18,7). Natan répondit au roi : « Va et fais tout ce qui te tient à cœur, car Yahvé est avec toi ». Construire un temple au Seigneur plus beau encore, se dit le conseiller, quoi de plus noble et de plus généreux,
Mais cette nuit-là, le prophète ne dormit pas. Il songeait, et la parole de Dieu lui fut adressée : comment, lui, le Seigneur qui a accompagné sous la tente les fils d’Israël depuis le jour où il les a fait monter d’Égypte sans jamais réclamer de demeure, lui qui a pris David au pâturage pour en faire le berger de son peuple… comment donc pourrait-il aujourd’hui vouloir s’installer dans un temple fait de main d’homme ? Va donc trouver David, et dis-lui : « Ce n‘est pas toi qui bâtiras une maison à ton Dieu, mais c’est Dieu qui te bâtira une maison, une lignée d’où sortira ce fils qui sera le berger de mon peuple. J’établirai fermement sa royauté et son règne n’aura pas de fin ». Et David se tint en présence du Seigneur et lui fit une belle action de grâces : « Mais qui suis-je, Seigneur, pour que tu m’aies fait parvenir jusquelà. Et c’est encore trop peu à tes yeux, Seigneur Dieu : tu as parlé aussi pour la maison de ton serviteur, longtemps à l’avance. Et qu’est-ce que ton serviteur pour-
© Vitrail de l’église saint-Pierre-et-saint-Paul, Rueil-Malmaison
quoi de plus politique aussi que de placer l’arche de Dieu au cœur de la nouvelle capitale ! L’arche avait été ramenée de chez les Philistins au mont Sion dans l’allégresse, et introduite à Jérusalem avec le concours de tout le peuple, au son des instruments, cithares, harpes, tambourins et cymbales, David dansant devant le cortège avec toute sa maison. Quelle bonne idée, devait se dire Natan, pour consacrer l’unité du royaume autour de la Cité de David !
rait te dire encore, alors que toi, tu connais ton serviteur. C’est à cause de ta parole et selon ton cœur que tu as accompli toute cette grande œuvre, en la faisant connaître à ton serviteur… Et tu as établi Israël ton peuple pour en faire à jamais ton peuple, et toi, Seigneur, tu es devenu leur Dieu ». Il faudrait relire et méditer tout ce chapitre 7, un des plus beaux de l’Ancien Testament, non seulement pour comprendre l’enracinement historique de la promesse messianique, mais aussi pour saisir sur le vif la démarche du discernement spirituel. Ce n’est pas toujours le premier mouvement, celui d’une générosité souvent mêlée d’intentions intéressées, qui est le bon. Sans doute, insinue le texte, Natan, méditant les motifs qui l’ont poussé à encourager le roi, a-t-il ensuite dans le silence de la nuit interrogé son cœur. Ne fallait-il pas aussi et d’abord interroger le Seigneur et s’ouvrir à ses intentions ? C’est
souvent le second mouvement qui est le bon, après ce pas de côté, ce suspens de la décision qui laisse l’Esprit du Seigneur inspirer nos pensées.
C’est toi, cet homme Deuxième intervention de Natan, après la faute de David. Horreur en Israël ! La rumeur a vite fait le tour du pays : le roi, le saint roi David, tout rempli de gratitude envers les promesses de Dieu, a abusé de sa confiance et s’est cru tout permis. Bouffi de suffisance, il s’est laissé emporter par la passion dans la spirale du crime, adultère, meurtre, mensonge… David fait semblant et cherche à sauver les apparences, mais son visage a changé. Il n’est plus le joyeux danseur devant l’arche, mais il est devenu ce Caïn qui se cache de Dieu après le meurtre d’Abel : « Qu’as-tu fait de ton frère ? ». Ce visage abattu, c’est celui du péché tapi devant ta porte comme une bête sau-
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Lire la Bible vage. Tu devais le dominer, mais la convoitise t’a vaincu et tu t’es laissé dévorer (Genèse 4,6). Natan est effondré. Comment le roi, qui vient d’être comblé des faveurs de Dieu, a-t-il pu tomber dans l’abîme du mal ? David, comblé de biens comme le riche de la parabole, a pris la femme de son serviteur Urie le Hittite après l’avoir fait périr à la guerre. La royauté, la dynastie, l’unité du peuple, tout est compromis, tout s’effondre comme château de cartes.
© Le Roi David à la harpe, Gerrit van Honthorst, central museum, Utrecht, Pays-Bas
Sombres pensées du prophète, tentation du désespoir ! Mais son Dieu, le Dieu riche en miséricorde, vient à son secours. Au lieu de se taire dans la complicité, ou de condamner la conduite du roi avec violence, il trouve dans sa
prière la parabole salvatrice. Une parabole, comme fera Jésus pour révéler le cœur de son Père : « Un homme avait deux fils… » Le Seigneur envoya donc de nouveau Natan à David. Il alla le trouver et lui dit : « Il y avait deux hommes dans la ville… Le riche avait force moutons. Le pauvre n’avait rien qu’une petite agnelle qu’il avait achetée… Elle couchait dans ses bras, elle était pour lui comme sa fille. Un hôte arriva chez le riche, et pour apprêter le repas du voyageur, il prit l’agnelle du pauvre ». David réagit par une violente colère contre cet homme. Et Natan lui dit : « Cet homme, c’est toi ! » (2 Samuel 12). La grandeur de David, c’est d’avoir reconnu sa faute avec une profonde humilité : « J’ai péché contre le Seigneur ! » Comme l’a exprimé le philosophe Jean-Louis Chrétien, « Dieu pardonne toujours, c’est son métier. Mais son problème, c’est de trouver quelqu’un qui accepte d’être pardonné. » C’est pourquoi, il a envoyé son fils qui s’est fait le dernier de tous, afin de nous supplier de nous laisser réconcilier avec Dieu. David est peut-être le seul personnage de l’Ancien Testament qui ait reconnu devant Dieu et devant son peuple qu’il était pécheur. Et Natan, venant le trouver comme en ambassade, est déjà la figure du Christ. Courage de Natan et noblesse d’âme de David. L’un et l’autre manifestent que le pardon exige que l’on fasse la vérité. Le prophète la montre au roi, sans craindre sa colère, et le roi la reconnaît sans craindre
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l’humiliation, parce qu’il sait combien le cœur de son Dieu est plus grand que le sien : « Crée pour moi un cœur pur, ô mon Dieu, restaure en moi un esprit ferme. » C’est pourquoi on a mis sous le nom de David les plus beaux Psaumes de pénitence (psaumes 6, 32, 38, 51, 103, 130, 143). Le Psaume 51, bien connu, porte le titre suivant : « Psaume de David, quand Natan le prophète vint à lui, après qu’il eut péché avec Bethsabée ». Mais nous évoquerons pour conclure le psaume 32, dont la formulation souligne à quel point la conscience du péché est liée à la reconnaissance de l’amour de Dieu. L’origine du péché, c’est l’ingratitude envers cet amour, c’est le mépris, la volonté de s’emparer du don, le don de la vie, le don de la miséricorde, en repoussant le Donateur de tout bien. Si David fait pénitence, c’est parce qu’il se rappelle combien il était bouleversé de reconnaissance après la promesse de son Dieu. Et c’est pourquoi toute confession est d’abord confession de l’amour reçu, avant d’être la confession de la blessure que nous lui avons faite. Selon ce qu’exprime le psaume : « Je t’ai fait connaître ma faute, je n’ai pas caché mes torts. J’ai dit : je rendrai grâces au Seigneur en confessant mes péchés. Et toi, tu as enlevé l’offense de ma faute ». Le premier enfant de Bethsabée mourut, mais le second devint Salomon. Claude Flipo s.j.
Spiritualité ignatienne
ignace et ses confessions Les premières années d’Ignace, dans son autobiographie, sont marquées par une succession de confessions, constate Bruno Marchand s.j. Pour gagner le ciel, éviter la mort éternelle, gagner une nouvelle vie. À chaque fois, c’est une fausse image de Dieu qui le guide… Jusqu’à ce que ses yeux s’ouvrent. Une réconciliation peut alors se vivre.
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Dès le début de son Récit1 Ignace fait mention d’une confession : dans Pampelune assiégée, à la veille de l’assaut et selon la tradition de la chevalerie, « il se confessa à l’un de ses compagnons d’armes » (1) : pour lui, le salut éternel est plus important que la vie terrestre et, pour y avoir droit, il convient d’avoir sinon reçu l’absolution, du moins confessé ses péchés : l’acte humain prévaut sur le don de Dieu.
On peut se demander : quelles images a-t-il de lui-même et de Dieu, puisque, nous le savons bien, notre comportement dépend fortement de notre imaginaire. Il apparaît comme un jeune courtisan cherchant à faire carrière, se regardant avec une certaine complaisance, et ne semblant avoir avec « le ciel » que des relations utilitaires. Une image l’intéresse, la sienne, et la blessure de Pampelune va la mettre à mal : il ne peut plus être ce qu’il était, et les souffrances inouïes qu’il s’impose pour la conserver montrent bien à quel point il y tenait (2).
Se mettre en règle
Nouvelle confession lorsque « les médecins (ayant) très
peu d’espoir de le sauver », le lui conseillent. Par rapport à la confession de Pampelune la forme change, mais le fond reste le même : il s’agit toujours de « se mettre en règle avec Dieu ». Sans doute celui-ci est-il vu comme capable de pardonner, sans quoi il n’y aurait rien à faire, mais à condition que ce soit demandé dans les règles. Nous sommes dans la logique d’une religion fortement ritualisée, à la limite de la magie : puisque les sacrements ont été correctement célébrés, le salut est assuré. Il survit, retrouve progressivement la santé, lit la Vie du Christ et la Légende dorée, et découvre par là un nouvel horizon : sa vie n’est que vide, et il en vient à se détester, désirant la pénitence pour elle-même, et voulant égaler, voire dépasser en héroïsme les saints qui viennent remplacer dans son imaginaire les chevaliers, héros de ses lectures. De Dieu lui-même, il n’est toujours pas question, même si, racontant cela plus de trente ans après, il reconnaît qu’il était bien à l’œuvre. Petit à petit, d’autres images se forment en lui. Il se
voit bien toujours comme pécheur, mais les pénitences qu’il envisage n’ont plus tant pour but « de satisfaire pour ses péchés que d’être agréable à Dieu et de lui plaire » (14). Il occulte ainsi sa propre réalité et fait de Dieu un être qui prend plaisir à la souffrance des hommes, ou à leurs exploits : ni plus ni moins que le dieu prédateur, amateur de sacrifices, combattu par tous les prophètes et par le Christ.
Un dieu impitoyable ? Cependant, ayant pensé « plus sérieusement à sa vie passée et à la grande nécessité où il était d’en faire pénitence », la décision du pèlerinage à Jérusalem - forme suprême de la pénitence s’impose (9), et il quitte Loyola avec cet objectif (12). Il se rendra à Montserrat pour y « faire une veillée d’armes » et « revêtir les armes du Christ », en suivant le rituel d’adoubement du chevalier, comprenant confession, bain rituel (qu’il omet), vêture, veillée, messe. Sa confession sera, avec l’aide du confesseur, préparée pendant trois jours. Puis, modifiant son projet initial, « il obliqua vers (…) Manrèse où il décida de rester
Bruno Marchand s.j., accompagnateur et formateur CVX, il donne régulièrement les Exercices Spirituels.
1. « Récit écrit par le Père Louis Gonçalvez aussitôt qu’il l’eut recueilli de la bouche même du Père Ignace ». C’est le texte souvent nommé « Récit du Pèlerin » ou encore (très improprement) « Autobiographie » : en fait, une sorte de « testament spirituel » que lui ont arraché les premiers compagnons. Dans ce présent article, les chiffres entre parenthèses renvoient aux numéros de ce document. Retrouvez ce Récit aux Éditions Vie chrétienne Ignace de Loyola par lui-même, 14 euros, en vente sur viechretienne.fr et dans toutes librairies.
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Spiritualité ignatienne quelques jours » (18). Changement radical par rapport aux deux confessions précédentes : elles devaient lui permettre d’échapper à la mort éternelle, celle-ci est la porte d’une « nouvelle vie » (21) - qui, cependant, s’avère diffi-
cile, accompagnée de tentations et d’alternances de son état intérieur, avec une sorte d’hallucination rémanente, la vision d’« une chose (…) extrêmement belle (ressemblant à) un serpent, (avec) beaucoup de choses qui resplendis-
2. Cf. « Récit… » DDB – Bellarmin, Paris 1988, Introduction et notes, Passim. 3. « Contador mayor » (trésorier général) du roi Ferdinand, il avait pris le jeune Iñigo à son service. 4. Cf. Enrique Garcia Hernan, Ignace de Loyola, Seuil 2016, pp. 59-60.
saient comme des yeux, tout en ne l’étant pas. Il se délectait beaucoup et était consolé de voir cette chose (…) et quand (elle) disparaissait (…) il en éprouvait du déplaisir. » (19). C’est alors aussi que surviennent les scrupules (22). Que se passe-t-il donc ? Sans comprendre pourquoi, « il a l’obscure conscience que sa vie n’est pas vraie » (Jean-Claude Dhôtel)2. Plus ou moins consciemment, il ressent le besoin de découvrir quel mensonge se trouve en lui et le met dans ce malaise intérieur permanent ; et puisqu’il pense, en toute bonne foi, s’être engagé dans un vrai chemin de sainteté, c’est forcément dans le passé que quelque chose ne va pas et il doit le retrouver pour l’expier. Dieu prend la figure du "débiteur impitoyable" de la parabole… Est-ce un hasard, alors que, à la cour de Juan Velasquez3, il était employé au service de la délivrance des dettes4 ?
S’en remettre à Dieu
© Ignace à Manrèse, Montserrat Gudiol, 1991, Jesuit Institut
5. Cf. Exercices Spirituels, n° 23.
▲ Ignace revêt les armes du Christ, la tenue du pauvre, et prépare sa confession générale.
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Il prend tous les moyens possibles pour en sortir, mais rien n’y fait, et son confesseur (car il se confesse fréquemment) ne parvient pas davantage à l’aider. Cela va le conduire jusqu’à la tentation du suicide (24) ou, plus tard, d’abandonner la partie. Il se trouve alors littéralement acculé à s’en remettre à Dieu, ayant enfin reconnu que sa libération ne dépend pas de lui : ayant fait tout ce qu’il pouvait, il n’arrive à rien ; alors il commence à « pousser des cris vers Dieu à haute voix en disant : « Secours-moi, Seigneur,
un nouveau regard Ce renoncement à ses anciennes images et aux pratiques qui en découlaient semble lui ouvrir les yeux : il découvre Dieu tel qu’il veut se révéler : le Dieu Trinité (28) ; le Dieu créateur ; le Dieu qui se donne dans l’Eucharistie ; le Dieu qui s’incarne en Jésus-Christ
© Ignace faisant pénitence dans la grotte de Manrèse, Juan de Valdès Leal, 1660, Seville
car je ne trouve aucun remède chez les hommes ni dans aucune créature… ». Ainsi doit-il poursuivre le chemin qui le convaincra de sa totale impuissance et lui permettra, finalement, de comprendre que ce n’est pas dans le passé, mais bien dans le présent, dans ce mode de vie héroïque, qu’il est dans le mensonge : « le Seigneur voulut qu’il s’éveillât comme d’un rêve » (25). La réalité, c’est un Dieu qui délivre du péché par pure miséricorde, gratuitement. Son imaginaire se trouve restauré : il n’a plus à jouer les héros ; et Dieu n’apparaît plus comme le "débiteur impitoyable", mais comme celui qui a « voulu le délivrer par sa miséricorde ». Peutêtre est-ce à ce moment que surgit en lui la nécessité pour l’homme de « révérer » ou « respecter » Dieu5, c’est-à-dire de le regarder tel qu’il se révèle par ses actes, et non tel que nous l’imaginons. Là se trouve la véritable ascèse, qu’il découvre dans le fait de renoncer aux « grandes connaissances (et) grandes consolations spirituelles » qui lui viennent au moment de dormir, puis à son abstinence (27) et enfin à laisser pousser cheveux, barbe et ongles « parce qu’il en avait été très soucieux » (19).
(29). Enfin, alors qu’il se trouve au bord du Cardoner, « les yeux de son entendement commencèrent à s’ouvrir » (30). Se mettant alors au pied de la croix pour rendre grâce à Dieu, il retrouve la vision « de cette chose qui lui paraissait très belle, avec de nombreux yeux. Mais il vit bien, alors qu’il se trouvait devant la croix, que cette chose n’avait pas une aussi belle couleur qu’à l’accoutumée. Et il eut la très claire connaissance, avec un grand assentiment de la volonté, que cela était le démon. » (31) Ce qu’il aimait tant, et qu’à présent, au pied de la croix, il identifie clairement comme démoniaque, n’était-ce pas, comme le suggère J-C. Dhôtel, « un miroir, reflétant l’image séduisante qu’(il) veut, bien qu’il s’en défende, donner de lui-même » ? Reflet inconscient du combat que, depuis Loyola, il mène consciemment contre la « vaine gloire » ; et qu’il continuera à
mener sans relâche, pour lui comme pour la Compagnie dont il sera le fondateur, et qui, pour lui, devra toujours rester « une petite Compagnie ».
Faire l’unité avec soi, avec Dieu, avec les autres Si l’on peut, sans anachronisme, parler de « réconciliation », c’est bien ici. Au-delà des pratiques apparemment pieuses, mais qui sont en fait « diaboliques » parce qu’elles séparent et divisent l’homme de Dieu, des autres, et de soi-même, la grâce de Dieu permet, en faisant sortir du mensonge, de poser des actes « symboliques » : qui rassemblent dans l’unité l’homme avec lui-même, les autres et Dieu. Dormir quand il le faut, se nourrir comme tout le monde, avoir une apparence normale sont de ceux-là. Bruno Marchand s.j. mai/juin 2017 29
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Question de communauté locale
se réconcilier en communauté locale Après un premier temps de découverte des uns et des autres, nous nous confrontons à nos différences. Cela peut conduire à des conflits larvés ou des dissensions. Comment faire pour gérer les crises et nous réconcilier ensuite ?
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Sur des sujets douloureux, des opinions très divergentes, un ressenti d’un manque de respect… des dissensions peuvent voir le jour entre membres. Dans ces moments-là, la bienveillance risque d’être oubliée, ou exigeante à vivre. La question de la réconciliation en profondeur et non en surface se pose. Ainsi un membre souffrait d’entendre d’autres dire des paroles sévères à l’égard de l’Église, du pape, du clergé. Interrogé, l’accompagnateur a encouragé cette personne à demander une réunion autour de la question de « mon histoire avec l’Église, mon attitude ». Les membres ont pris la chose au sérieux, et finalement deux réunions ont permis à chacun de comprendre l’autre, de consentir à ce que l’autre soit frère et différent. La réconciliation s’est faite sans la nommer mais en la vivant, en pratiquant la bienveillance et le non-jugement. D ’ a u t re s t h è me s de r é u n io n peuvent contribuer à mettre des mots sur un malaise : « Le regard de Jésus et mon regard, le regard des autres tel que je le perçois ». Ou encore une réunion sur le par-
don : « Les obstacles sur la voie du pardon, ce que le pardon donné ou reçu a changé dans ma vie… » Parler en vérité (en « je ») permet alors de s’entraider pour y voir plus clair, pour avancer en compagnons, plus profondément. Et l’accompagnateur pourra si nécessaire mettre les mots qui faciliteront la réconciliation. Il arrive aussi que la crise éclate en réunion. Une personne craque suite à une parole véhémente, à une interpellation blessante, des paroles déplacées, un questionnement indiscret, une colère exprimée dans un partage ou l’annonce de quitter la CL sans en avoir parlé auparavant… Les membres sont surpris, c’est la crise. Dans cette situation inattendue, chaque compagnon et l’accompagnateur, essaient de prendre du recul pour sentir et reconnaître ce qui se passe. Les mots sont prononcés avec délicatesse. Chacun invite au calme et à accueillir ce qui se passe dans le respect de chacun. Il peut être nécessaire de prendre un temps de silence, de se mettre dans un climat de prière en tournant son regard vers Dieu, sa
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miséricorde. Et seulement ensuite reprendre le tour de table. Il est bon que le temps d’évaluation soit maintenu en invitant chacun à exprimer son vécu de la réunion, en vérité et non une évaluation bateau et « bienpensante ». L’accompagnateur conseillera à chaque membre de prendre du recul vis-à-vis de ce vécu difficile en évitant les échanges par courriels ou téléphone. Il invitera aussi à prier les uns pour les autres et parler à Dieu de ce vécu en demandant la grâce de sortir de l’épreuve. La préparation de la réunion suivante se fera en y incluant la relecture de cette dernière réunion : partager ce qui a bougé depuis chez chacun des membres. La confiance entre les membres peut s’appuyer sur la foi en cette Parole de Jésus : « Ne vous inquiétez pas de ce que vous allez dire, l’Esprit vous l’enseignera » (Matthieu 10,19). La communauté locale pourra cheminer d’autant plus facilement vers la réconciliation que la préparation et le partage seront vécus dans la prière. Marie Chevallier
Ensemble Lefaire Babillard Communauté
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Une parole à méditer
« Le Seigneur, comme à la Pentecôte, veut réaliser l’un des plus grands miracles dont nous puissions faire l’expérience : faire en sorte que tes mains, mes mains, nos mains se transforment en signes de réconciliation, de communion, de création. Il veut tes mains pour continuer à construire le monde d’aujourd’hui. » Pape François lors de la veillée de prière aux JMJ (30 juillet 2016)
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Ensemble faire Communauté
En France
de petites communautés laudato si Se sentant appelée à la rencontre, une communauté locale a décidé de proposer la lecture de l’encyclique Laudato Si sur une année. Des groupes se sont mis en place qu'elle a animés. Une expérience communautaire ouverte !
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écouter AUSSI…
© Paul Haring / CNS
d
Pour ceux qui veulent entendre des paroles de participants, écoutez l’émission réalisée par RCF Nièvre lors de la relecture vécue dernièrement. Retrouvez son témoignage sur https ://rcf.fr/ spiritualite/ des-equipescvx-laudato-si
À la suite du congrès de Cergy qui l’avait invitée déjà à rechercher des puits de la rencontre, une communauté locale de la Nièvre a décidé de proposer largement la lecture de l’encyclique. Quatre équipes se sont constituées, dont deux en rural, se réunissant chaque mois autour d’un chapitre de ce texte qui en compte 6. Animées par un duo de compagnons, les réunions étaient organisées en utilisant les moyens ignatiens : comment ce texte me parle, quelles convictions rejoint-il ? Quelles difficultés ? A quels déplacements ce texte m’invite-t-il ? De mois en mois, de petites communautés « Laudato si » ont ainsi cheminé, permettant à des croyants et à des non croyants en Dieu de faire l’expérience de l’étude d’un texte du magistère de l’Église.
Pour la communauté locale, composée de 8 membres, ce fut l’occasion d’expérimenter la triple dimension « disciple, compagnon, serviteur » dans une relation forte à l’Église institution : Disciples, ils se sont mis en marche à la suite du Christ après un temps de discernement communautaire. Compagnons, c’est deux par deux et soutenus régulièrement par leur CL à qui chaque duo venait rendre compte, que les choses se sont vécues. Serviteurs de leurs frères, à qui ils souhaitaient donner l’occasion d’une rencontre avec l’Église du Christ.
Les fruits De la JOIE, beaucoup de joie lors de la relecture qui vient d’être faite de cette expérience. La joie de partager la manière de faire de la CVX, et de voir ces pélerins-compagnons « Laudato si » heureux d’en bénéficier (bienveillance, écoute et échange sans tomber dans le débat, confidentialité, parler en "JE").
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La joie de partager une expérience d’Église et de constater qu’elle pouvait être interpellante pour les hommes d’aujourd’hui. La GRACE d’entendre des paroles fortes de non croyants en Dieu sur le pape, l’Église, le Christ. La grâce d’être interpellés sur sa foi et de dialoguer avec des militants fortement engagés sur les plans du respect de la planète et de la justice sociale (parti des Verts, Artisans du monde…). La grâce de découvrir la force du message évangélique et son aspect « révolutionnaire ». Des LIENS resserrés entre les compagnons de la CL, qui invitent à discerner pour le futur. Deux fruits inattendus parmi d’autres : - La revue Vents du sud d’Artisans du monde, dont plusieurs membres ont participé aux groupes, consacre une rubrique par mois à un chapitre de l’encyclique. - Une personne, en distance de l’Église institution, vient de rejoindre une équipe d’accompagnement de catéchumènes. Une communauté locale de Nevers
les formateurs en croissance Depuis 2012, la formation a fait peau neuve. Si les objectifs restent les mêmes, les chemins ont été adaptés et harmonisés selon les orientations de la 1ère Assemblée de Communauté. Pour relire ces années de changement et voir ce qui se dessine un temps a été proposé en mars 2017 à tous les formateurs.
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En revisitant l’histoire de la formation au cours de ce week-end en commun, les formateurs ont accueilli un texte, en cours de finalisation, qui met en mots l’aspect renouvelé du chemin de croissance en CVX. En petits groupes, chacun a lu à haute voix un paragraphe et après un silence a partagé ce qui le rejoignait ou pas. En grand groupe, une gerbe de mots et d’expressions a été rassemblée avec ses enthousiasmes, ses doutes et ses questionnements. L’après-midi, Anne Le Nevé, chargée de mission pour la formation membre, a reprécisé le fonctionnement de la formation aujourd’hui. Il s’appuie sur un point fondamen-
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« Prendre soin du corps [de la Communauté], en veillant notamment au respect de chaque personne en CVX pour qu’elle puisse y trouver un chemin de croissance personnelle, spirituelle et communautaire ». C’est à partir de cette orientation de la première Assemblée de la Communauté en 2012, que l’Équipe Service Formation d’alors a affiné et enrichit progressivement l’ensemble du chemin de croissance offert par la CVX à ses membres, en commençant par le chantier enracinement. tal : « le souci de la formation des compagnons est […] une des missions majeures des Équipes service de Communauté régionale1 ». C’est pourquoi tout part des besoins en formation des membres des communautés régionales. Les correspondants formation des communautés régionales avec l’aide du référent formation de l’équipe service grande région établissent notamment quelles sessions seront proposées en priorité dans différents lieux de la grande région, au plus près des besoins. Pour animer ces formations, les ESCR font appel au coordinateur du réseau des formateurs. En fonction des évaluations des ses-
sions qui ont lieu, et pour ajuster les contenus ou la pédagogie, une coordination nationale met en route une équipe conception pour améliorer l’offre. C’est ainsi que de nouvelles formations sont en préparation, notamment pour la formation des chargés d’entretien ou de matière à exercice.2 À la fin de cet après-midi, les formateurs se disaient prêts à bousculer certaines habitudes de fonctionnement et heureux d’accueillir des formations nouvelles.
1. Maurice Lony, correspondant formation de Paris Ste Geneviève, RVX n°42. 2. C’est un exercice, pour aider à avancer dans un discernement. Il regroupe des compagnons portant une même question précise : celle des parents âgés ou de l’école et son enfant...
Il est clair que la formation dans notre Communauté est bien vivante et n’a pas fini de s’adapter ! Béatrice Piganeau mai/juin 2017 33
Ensemble faire Communauté
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DES VACANCES À LA MANIÈRE DE LA CVX Parmi les nombreuses sessions proposées cet été, voici deux pépites originales qui reflètent la manière de faire de la Communauté, en simplicité. Trois jours pour vivre simplement ensemble Du 23 août au 27 août à Landévennec
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Pour celles et ceux qui souhaitent vivre un temps de vie simple et fraternelle, trois jours sont proposés chez les frères bénédictins de Landévennec. Au fond de la rade de Brest, ils nous accueillent dans la maison des familles en bas du monastère. La simplicité dans différents aspects de la vie quotidienne sera recherchée dans les relations, les
activités, l’alimentation et la préparation commune des repas ainsi que sur l’aspect financier. Prendre le temps, contempler les personnes, la Création, rendre grâce… Des temps d’échanges avec un frère bénédictin sont prévus et bien sûr la possibilité de participer aux offices de la Communauté. Tout le monde est invité : couple, célibataire, famille, jeune et moins jeune ! Attention : on ne s’inscrit pas à cette session pour s’asseoir, écouter et manger ce que d’autres ont préparé : chacun contribuera à l’élaboration de la journée, même les plus jeunes !
Abbaye Saint-Guénole, Landevennec.
Vacances intergénérationnelles spirituelles
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© Penboc’h
Du 9 au 15 juillet à Penboc’h
Penboc’h.
Pour tout renseignement et inscription : cvxfrance.com 34 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 47
Dans la suite de ce qui a été expérimenté les années passées, voici un temps à s’offrir en famille élargie (grand-père, tante, parrain…) pour vivre ensemble, échanger entre familles et entre générations. Des temps spirituels et des temps de détente et de veillées ensemble permettront à chacun d’être moins « speed » et plus tournés vers les autres et le ToutAutre. Une écoute des besoins des enfants de tout âge leur permettra de trouver leur place. Même les ados pourront respirer autrement !
AU CPU, DIX ANS D’ACTION AUPRÈS DES ÉTUDIANTS DE TOUS PAYS En ce mois de mai 2017, le CPU fête ses 10 ans. Bon moment pour revenir sur ce lieu de la famille ignatienne, où de nombreux compagnons CVX sont engagés au service d’étudiants étrangers et de demandeurs d’asile.
En 2017, le CPU fête dix ans de fonctionnement. Occasion de relire dix années d’engagement et de rendre grâce pour ces années de fraternité vécues dans la réciprocité, manière concrète de construire la paix. Le CPU a rapidement atteint ses objectifs aussi bien pour le nombre d’étudiants accueillis que pour celui des bénévoles. Plusieurs compagnons CVX interviennent au CPU. Avec les autres bénévoles, ils contribuent à rendre effective une pédagogie
qui s’appuie sur la spiritualité ignatienne, traduite concrètement dans une « charte des bénévoles ». En 2011 a été pris un tournant important avec l’accueil de demandeurs d’asile de niveau universitaire à qui sont proposés des cours quotidiens d’apprentissage du français. Cette ouverture à une forme de pauvreté est vécue chaque jour par tous, puisque les deux grandes salles sont occupées par ces cours collectifs quatre heures par jour, obligeant les autres groupes à se serrer, quitte à aller se réfugier au café voisin ! La vie est réglée par diverses commissions et par quatre journées annuelles de travail des bénévoles, occasions de relire notre pratique. Cette manière de vivre l’ouverture à l’international, à travers des rencontres régulières dans un esprit de tolérance, d’entraide et de solidarité, est une belle façon de mettre en œuvre les orientations de la CVX.
Jean-Noël Gindre a cette boutade : « Quelle chance pour nous de trouver l’international à notre porte ! ». Jean-Louis Marmond Président du CPU et compagnon CVX
Qui vient au CPU ?
650 étudiants venant de 80 pays dont 100 demandeurs d’asile 200 bénévoles, 32 000 heures Les cours : français 54%, Mémoires thèses 36%, Anglais / espagnol 3% Divers (Prépa examens/ Maths/Phonétique) 7 %
1. Les fondateurs du CPU : la Compagnie de Jésus, la Compagnie Marie Notre Dame, l’Institut Notre Dame du Travail, les religieuses du Sacré-Cœur de Jésus, les Ursulines CJA, la Charité de Nevers, les sœurs du Christ, CVX, les A.J.D., les Filles du Cœur de Marie, les religieuses Saint Joseph de Lyon.
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En 2006, au lendemain de la célébration des anniversaires ignatiens, la famille ignatienne lyonnaise désirait vivre ensemble un service concret. Après discernement, le choix s’est porté sur le soutien aux étudiants en difficulté, en particulier les étudiants étrangers qui sont 15 000 à Lyon. Ainsi est né le Coup de Pouce Université1, qui a bénéficié de l’expérience de Jean-Noël Gindre s.j. qui, en 2000, avait fondé le CISED de Saint-Denis (voir Revue N°46, expérience de Dieu, p. 22).
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Ensemble faire Communauté
Dans le monde
vers un jumelage avec la cvx liban Depuis plus d’un an, la communauté Paris Sainte-Geneviève chemine avec la question de liens fraternels avec le Liban. Une visio-conférence entre les deux Communautés lors d’une journée régionale a donné des visages à ce projet.
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Tout est parti d’un appel. Comme très souvent. En janvier 2016, le responsable régional donne la parole aux membres : quels projets désirez-vous voir surgir ? Parmi toutes les idées, jaillit celle de Fadi : ouvrir la communauté à plus vaste que leur territoire parisien. Différents pays lui viennent en tête. Mais ce sera finalement avec le Liban qu’il est invité à creuser la question. « Avec les 15 ans de guerre civile traversées par le Liban, la CVX Liban a sûrement
140 membres dans 21 communautés locales et groupes d’accueil. Deux retraites spirituelles annuelles, une marche en silence l’été.
ban s’appuyait sur ce qui se vit dans les centres spirituels de la CVX en France ? Bref de grands désirs et un manque de moyens humains qui questionnent. Car la CVX Liban, à la suite du congrès mondial qui s’y est tenu en 2013 a décidé de s’investir sur les quatre axes qui en ont découlé (la famille, les jeunes, l’écologie et la pauvreté). Sans oublier l’investissement de membres auprès des réfugiés syriens et irakiens (voir Revue vie chrétienne septembre 2015). Le 3 décembre 2016, lors de la fête de la famille ignatienne, Paris Sainte-Geneviève organise lors de sa journée régionale une visio-conférence entre les deux Communautés. Chacun se découvre et partage plus que des mots et des visages. Une envie de discerner ensemble toute action possible en commun, toujours pour la plus grande Gloire du Dieu. Mais déjà, des projets de liens fraternels se font plus précis : ils pourraient aussi se décliner entre communautés locales par des liens directs de prière, de soutien, de partage.
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Des liens avec la CVX France existent déjà : une retraite itinérante en 2010 au Liban, deux autres en France où des membres des deux pays se sont découverts compagnons.
à nous enseigner sur la question du pardon, du dialogue interreligieux, de l’Espérance malgré tout… », souligne Fadi, d’origine libanaise. À l’été 2016, il profite d'aller voir sa famille au Liban pour rencontrer l’équipe nationale. Là, se dégage des besoins : un partage autour des différents apostolats vécus dans les deux pays, formation des accompagnateurs et responsables libanais et des échanges de pratique entre Communautés. Et si le désir de créer un centre spirituel au Li-
▲ Visio-conférence entre le Liban et Paris.
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la cvx coréenne bien ancrée et au service
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Lors d'un voyage en Corée du Sud nous avons pris contact avec CVX à Séoul, une communauté jeune, engagée, généreuse et enracinée dans la spiritualité ignatienne. La CVX de Corée est née en 1989. Elle comprend 115 membres répartis dans 20 communautés locales, et 39 personnes en équipe d'accueil.
activités d’aide aux plus pauvres et par les problèmes d’environnement. Tous les ans chaque CL fait une retraite selon les Exercices d’au moins 5 jours. Tous les 2 ans la CLC tient son congrès national. De nombreuses formations sont organisées pour les membres (Exercices spirituels, expériences dans les centres apostoliques…).
Après l'année de découverte les personnes en accueil qui veulent continuer font leur engagement. C'est une cérémonie un peu solennelle où chacun prononce son engagement personnel accompagné par son équipe d'accueil qui devient alors sa communauté locale. Cet engagement est pris devant l'ensemble de la CLC de Corée. Chaque CL prend alors un nom de fleur. (Notre dénomination par numéros leur a paru assez peu poétique…).
Notre question sur leur relation avec le bouddhisme (compatibilité ou antagonisme ?) les a un peu étonnés : le bouddhisme fait partie de leur culture et la pratique de la méditation leur est naturelle.
Nombreuses activités apostoliques
Les CL se réunissent chaque semaine. Elles partagent prières, réflexions et activités apostoliques. Les thèmes paraissent moins basés sur le quotidien que chez nous.
Dans les années 90, la CLC a orienté ses activités apostoliques vers l'accueil des migrants asiatiques venus pour travailler, en créant un centre d'accueil en collaboration avec les pouvoirs publics. Puis en 2007 et en 2009 elle a ouvert des centres pour l'éducation des enfants pauvres ou de familles multiculturelles.
L’accent est davantage mis sur la vie spirituelle. Pour autant, ils pratiquent le DESE et ils nous ont paru très engagés dans des
En 2012, la CLC a considéré que les besoins de la société avaient évolué et qu'il était important de s'occuper d'adolescents en diffi-
© Droits Réservés
En voyage en Corée du sud, ce couple a rencontré l’équipe service nationale qui leur a présenté une communauté se réunissant toutes les semaines et ayant un fort ancrage dans les Exercices et les activités apostoliques.
culté afin de casser le cercle vicieux de la pauvreté. Aussi ils ont ouvert la Hope school : les jeunes y viennent après l'école, vers 17h. Ils y font leur travail avec l'aide de professeurs et de bénévoles. Ils y dînent et rentrent chez eux vers 21h. De plus ils bénéficient de « mentors » qui les suivent sur un plan plus personnel (confiance en eux, vie émotionnelle, positionnement dans la vie, orientation professionnelle…). Les parents sont invités à participer à des groupes de paroles pour prendre du recul et être accompagnés dans leurs difficultés. Une trentaine de bénévoles de la CLC interviennent dans cette école aux côtés de professionnels.
Corée du sud : 50% de chrétiens, dont 15% de catholiques Plus d’info : www.kclc.or.kr
Bernadette Barbiche mai/juin 2017 37
À VIVRE À LIRE Je répandrai mon Esprit sur toute chair Comment le spirituel rejoint-il le corporel ? Comment l’homme peutil conjuguer la matérialité de son corps, l’influence de sa vie psychique, avec sa volonté dans les décisions qu’il a à prendre et les choix qu’il doit poser ? À l’écoute de la Parole de Dieu et de témoignages, Pascal Eymery fait découvrir au lecteur comment l’Esprit saint peut nous guider vers l’unification de notre être. « Je répandrai mon Esprit sur toute chair. Unifier le corps, la mémoire, la volonté ». Éditions Vie chrétienne – Mars 2017 – 13 e En vente sur viechretienne.fr et dans toute librairie.
Aider le MEJ cet été Aidez les jeunes du MEJ à grandir dans leur foi, comme dans leur vie !Le Mouvement Eucharistique des Jeunes (MEJ) a besoin de volontaires pour l’aider à offrir la spiritualité ignatienne aux jeunes de 7 à 18 ans pendant les camps d’été. De spiritualité ignatienne, le MEJ, partenaire de la CVX, a besoin d’animateurs spirituels, de cuisiniers, d’intendants, de votre grain de folie pour que ces camps puissent devenir des souvenirs inoubliables pour le millier de jeunes qui font confiance au MEJ… Chaque année, des bénévoles ne connaissant pas le MEJ, osent se lancer. Et si vous les rejoigniez ? Pour découvrir : www.mej.fr/Les-equipes-des-camps Pour se proposer : camps@mej.fr
À PARTAGER À SUIVRE Marche et communication bienveillante Du 25 au 28 mai 2017 Découvrir la communication bienveillante alliée aux bienfaits de la marche en montagne. S’écouter, écouter les autres. Marcher, ralentir, se poser. La communication bienveillante est un outil de communication qui aide à prendre conscience de nos besoins et de ceux de notre entourage, en portant un regard bienveillant sur les uns et les autres. Cette formation qui s’adresse à des adultes, vise à trouver une résolution constructive des conflits, en créant les conditions du dialogue. Elle permet de travailler à partir de situations personnelles apportées par les participants dans le respect de la confidentialité. Coût : 396 e Centre spirituel Saint-Hugues (Isère) Tél. : 04 76 90 35 97 – sainthugues.fr
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38 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 47
Les Éditions Vie Chrétienne cherche un(e) bénévole Pour assurer la gestion et le développement des Éditions, pour toucher de nouveaux réseaux de lecteurs, un(e) bénévole est recherché(e). Elle/ il sera en charge d’assurer le suivi opérationnel des Éditions Vie Chrétienne, assurer le suivi de gestion courante, présenter les résultats et les perspectives, piloter des études de connaissance du lectorat actuel. Pour plus de renseignements : p.lepercq@wanadoo.fr en mentionnant « annonce service EVX »
À VIVRE Corps, cœur, clown… chemins vers Dieu Du 23 au 28 Juillet 2017 Session-retraite de cinq jours pour vivre une expérience selon les Exercices spirituels de saint Ignace, pour ouvrir toutes les dimensions de son être, aidés par la pratique du clown-théâtre. Chaque jour vivez des temps en commun et personnels, des exercices préparatoires et improvisations de clown-théâtre, des temps de prière avec l’Écriture, des temps d’échanges et de silence. Coût : 425 e Centre spirituel du Hautmont (Nord) Tél. : 03 20 26 09 61 – hautmont.org
Billet
Salle d’attente, lieu de l’attente. Selon les cas, nous sommes plongés dans un profond silence ou bien nous sommes au « spectacle », en première loge. C'était mon cas la semaine dernière. Un enfant, de 18 mois environ, avait réussi à sortir de sa poussette, sous le regard de sa maman qui, à bout d'imagination, avait rendu les armes. Son « grand frère » de trois ans avait porté son dévolu sur un jeu de cubes qu’il empilait avec application. Lorsque celui-ci s'apprêta à poser la dernière « pierre », le petit frère arriva par derrière et, d’un revers de main, effondra l'œuvre de l'aîné. Bruit de cubes qui se répandent dans la salle d'attente, cri du grand suivi d'une tape sur le petit, pleurs de celui-ci, désarroi de la maman sortie brusquement de sa lecture et indifférence mal dissimulée du public. C’est alors que la maman tenta de raisonner le « grand » et lui demanda de demander pardon à son petit frère. Peu importe qui avait déclenché les hostilités, l'heure était à la réconciliation immédiate et totale et la maman attendait vainement ce mot magique « pardon » qui tardait à venir. Mais que peut réellement signifier « pardon » pour un grand de trois ans ? Ce petit bonhomme alla d'abord chercher le « doudou » du petit frère et le lui donna. Mais le don n'était pas suffisant aux yeux de celui-ci. Le grand alla chercher les cubes et les plaça devant son frère : rien n'y faisait. C'est alors que je fus émue par le don suprême : l’enfant prit dans son petit sac à trésor son propre doudou et le posa sur la joue du petit qui se tut. (Par surprise je crois, plus que par reconnaissance.) Il est des scènes de la vie ordinaire qui m'étonnent et me déplacent. Je dois bien être capable dans ma vie de donner un coup discret dans la tour de l'autre et même de donner une tape à celui qui effondre la mienne. Je suis en capacité de dire « Excuse moi » ou même « Je te demande pardon ». Mais, au-delà des mots, « quel doudou » suis-je prête à donner à mon frère ? Ce doudou auquel je tiens tant : signe de tout mon amour ? Et suis-je capable d'accueillir avec justesse le doudou qui m'est proposé ? Comment faire en sorte d'allier parole et geste de pardon, en vérité ? Sabine Bommier
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le don du pardon
Prier dans l’instant a la table d’un restaurant Au restaurant, avec un proche, nous attendons d’être servis. « Quelle belle présentation ! » s’écrie-t-il lorsque le serveur dispose l’assiette devant lui. « Tu vois, il y a trois couleurs et du relief !
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L’harmonie des couleurs, des formes, tout cela attire le regard, aiguise l’appétit. » J’écoute avec intérêt. Ces paroles résonnent en moi. « Oui, tu sais c’est important la présentation, aussi bien pour le client que pour le cuisinier. C’est l’occasion d’imaginer, d’éviter la routine. » Je découvre que l’assiette qui est devant moi, répond aux mêmes critères. « Tu sais, parfois, c’est un détail qui change tout. Nous avons un légume commun préparé différemment. » Tout en savourant les premières bouchées, je me demande si ma vie quotidienne est colorée ? Quelles sont ses couleurs ? Et pour le relief, qu'en est-il ? Nous reprenons notre conversation, avec des silences. Durant l’un d’eux, je m’interroge : « Y a-t-il un peu d’épices dans ma vie ? Qu’est-ce qui est original, dans mon quotidien ? Et les trois couleurs, les volumes ? » Le Seigneur est proche ! Il est là, et m’invite à relire ces derniers jours à partir de ces éléments. « C’est un détail qui change tout ! » reste dans mon cœur. Et ce soir, en relisant la journée je chercherai les couleurs dominantes : la joie, la colère ou… Je penserai aussi au détail qui a tout changé, une rencontre, un sourire, une contrariété… Nous terminons notre repas et je rends grâce pour ce vécu ensemble. Catherine Raphalen
Nouvelle revue Vie Chrétienne – mai/juin 2017