Revue Vie Chrétienne n°10

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Vie chrétienne Nouvelle revue

C h e r c h e u r s

d e

D i e u

P r é s e n t s

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M o n d e

B I M E S T R I E L D E L A C O M M U N A U T É D E V I E C H R É T I E N N E E T D E S E S A M I S – N º 1 0 – mars 2 0 1 1

Le poids de la parole

Une retraite pour l'été Échanges avec Taïwan


Sommaire

Éditorial

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L'air du temps ~ Henri Madelin

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Chercher et trouver Dieu

Le poids de la parole

Témoignages Le kaléidoscope de la parole Marie-Élise Courmont, Yves de Gentil-Baichis La femme adultère Natalie Lacroix L’écoute dans l’accompagnement spirituel Jeanne Thouvard

NOUVELLE REVUE VIE CHRÉTIENNE Directeur de la publication : Dominique Léonard Rédactrice en chef : Florence Leroy Comité de rédaction : Marie-Élise Courmont Marie Emmanuel Crahay Yves de Gentil-Baichis Dominique Hiesse Paul Legavre sj Barbara Strobel Comité d'orientation : Marie-Agnès Bourdeau Marie-Denise Cuny Noëlle Hiesse Catherine Mercadier Béatrice Mercier Armelle Moulin Administration : Michel Lepercq Conception graphique : Raphaël Cuvelier Un coin de ciel bleu Photo de couverture : © Philippe Lissac / Godong Impression : Corlet Imprimeur, Condé-sur-Noireau

de l'ESN Une lettre ISSN : 2104-550X l du MEJ et un appe s le s n a sd 47 rue de la Roquette sont glissé ation in st e d 75011 Paris à envois la CVX. e d s re b m Voir les coordonnées complètes sur des me

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Le babillard 19 Se former Face aux obstacles 20 Marie-Élise Courmont, Dominique Hiesse Quand le national nous sollicite… Nadine Croizier 22 Au service de la pédagogie Sophie Lassagne 24 Matteo Ricci Michel Masson 26 Retraites et sessions de l'été 29 Ensemble faire communauté 32 Une formation intégrale Jean Lacour Le service comme participation à la vie de Dieu Martin Pochon 33 Paroles de sortants Cat. Ernst, E. de Gaillard 35 La CVX de Taïwan Bernadette et Hervé 36 Ensemble malgré tout Céline Verley 38 Billet 39 Les métaphores de la parole Corine Robet Prier dans l'instant 40 En regardant un flash mob Charles Mercier

l'encart broché.

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Les noms et adresses de nos destinataires sont communiqués à nos services internes et aux organismes liés contractuellement à la CVX sauf opposition. Les informations pourront faire l'objet d'un droit d'accès ou de rectification dans le cadre légal.


© Bridgeman Giraudon

Éditorial

Fra Angelico. Musée San Marco, Florence (Italie)

Laisser partir

Une fois n’est pas coutume, j’aimerais vous proposer un petit exercice spirituel et physique en ce début de carême. Le carême nous prépare à la fête de Pâques et n’aurait guère de sens s’il était vécu pour lui tout seul. Pendant la veillée pascale, l’assemblée proclame la résurrection du Seigneur en chantant « alléluia » à pleins poumons. Mais voilà, pour pouvoir chanter, il faut avoir pris une bonne inspiration. Le souffle, ça se travaille. Prêt ? En premier lieu, choisir une chose qui m’encombre ; cette démarche sans cesse repoussée ; ce souci exagéré ; cette rancœur ancienne ; ce regret stérile ; cette béquille que j'ai peur de lâcher ; Prendre un temps de prière pour présenter à Dieu juste cette chose, concrète, précise. Je ne cherche pas la perfection, mais à m’ouvrir davantage à la vie. Chaque jour, prendre un temps de marche et dire « Ah » en vidant mes poumons, tout en imaginant que je laisse partir ce qui m’encombre ou me soucie. Inspirer en demandant la grâce de Dieu en abondance. À la veillée pascale, nous pourrons alors expirer profondément : a… llélulia, le vieux tissu prêt à craquer et le vin aigri ont disparu. Et inspirer à nouveau : a… lléluia, le tissu neuf, le vin de fête nous sont donnés. Christ est vraiment ressuscité.

Florence LEROY

Mars 2011

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L'air du temps

L’Europe au milieu du gué

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En ce début d’année 2011, l’Europe ressemble à ces puissants véhicules mal équipés qui, malgré le ronflement de leurs moteurs, sont condamnés à faire du surplace quand les routes sont trop enneigées. Notre continent en effet ne parvient pas à retrouver la confiance des marchés et la ferveur des opinions publiques ; du coup il se trouve devant un certain nombre d’obstacles que ses dirigeants ne parviennent pas à franchir.

Le malaise des pays de l’UE Si l’Europe ne va pas bien, c’est d’abord parce que les États-nations qui la composent vont mal. Et ceci en raison d’une faible croissance, du vieillissement des populations qui occasionnent de nouveaux frais, de déficits budgétaires alarmants, d’un chômage – surtout chez les jeunes – qui n’annonce pas sa décrue, sur fond d’un endettement préoccupant qui hypothèque l’avenir des générations qui vont nous suivre. Les écarts

entre riches et pauvres qui se réduisaient dans les dernières décennies ne cessent de s’aggraver. Il est vrai que nous sommes entrés dans une mondialisation de l’économie et une concurrence planétaire qui se jouent des frontières nationales L’Europe est, selon la formule de J. Delors, une fédération d’États-nations. La crise de l’État-nation se double donc d’une crise de l’Europe qui apparaissait jusque-là comme une puissance de substitution à nos faiblesses. Mais les institutions de l’Union européenne peinent en cette période à imaginer et à mettre en route des parades salutaires. Les attaques auxquelles doit faire face l’euro sont le signe d’un dérèglement des missions confiées aux diverses autorités bruxelloises. Du coup, l’euroscepticisme et la montée en puissance des partis de la droite extrême occupent le terrain en faisant croire à cette chimère que serait le repli sur le bastion national.

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Une grande ambition

On ne peut en rester à ces constats pessimistes. L’Europe est notre véritable espace et notre chance pour entrer avec confiance dans cette mondialisation qui nous fait peur. Matelas de sécurité pour humaniser cette marche en avant inéluctable, une Europe forte et protectrice est notre vraie porte d’accès à une mondialisation qui touche désormais la totalité de l’humanité. Il vaut mieux dans un moment pareil être ressortissant européen qu’africain ou asiatique. Eux sont jetés dans une tourmente qu’aucune institution politique ou sociale ne régule sérieusement. Savons-nous aimer l’Europe pour ce qu’elle nous apporte de positif ? Les Européens – et spécialement les Français – sont trop pessimistes quant à leur propre futur. Ils devraient plutôt être fiers de ce qu’ils ont


© Christos Dogas/Council of the European Union

Les dirigeants des États-membres du Conseil de l'Union réunis pour une photo de famille. Au premier plan Herman van Rompuy, président du Conseil.

commencé de construire avec d’autres dès la fin de la Seconde Guerre mondiale : cessation de la guerre entre voisins, respect de l’avenir pour les vaincus, paix entre nations jadis ennemis héréditaires, solidarité entre riches et pauvres, transferts entre régions opulentes et terroirs défavorisés, acceptation par les religions d’une laïcité positive.

de plus de 500 millions de ressortissants, se décide à parler désormais d’une seule voix si elle veut tenir sa place dans le concert mondial en face des nouveaux géants que sont la Chine, l’Inde, le Brésil, le Mexique, l’Indonésie… Elle ne peut plus agir en ordre dispersé.

La mise en pratique de ces valeurs est la raison de la grande attraction qu’exerce l’Europe d’aujourd’hui sur son voisinage au sud et à l’est. L’Europe est un filtre géant qui oblige les nouveaux entrants à accepter les règles du pluralisme et du respect des minorités.

Ambiguïté des crises

L’Europe demeure une chance au sein d’une humanité encore belliqueuse. Il devient donc impératif que cette Europe, forte

C’est la pression extérieure qui obligera les politiques à changer pour éviter de nouveaux revers.

La crise actuelle peut engendrer un éclatement de l’Europe ou au contraire son renforcement. L’enrichissement aurait-il chloroformé nos consciences ? C’est au plus profond de son malheur que l’Europe en 1945 s’est inventé un futur audacieux. Nous ne passerons le gué actuel que si nous gardons

cet esprit. Il oblige à mutualiser nos possibles, à fédéraliser nos politiques budgétaires et fiscales afin de créer au plus vite une gouvernance économique au service de tous. Parlant du New deal de Roosevelt qui a tardivement mis fin à la grande crise de 1929, Jean Monnet, dans ses Mémoires (p. 129) fait une remarque d’une brûlante actualité : « Comme toujours, la sagesse et les réformes n’intervinrent qu’au terme de grandes difficultés. Des mesures si simples, prises plus tôt, eussentelles évité la grande crise ? Poser cette question, c’est ignorer que les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise ».

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Henri MADELIN sj Service européen des Jésuites Bruxelles – Strasbourg

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Chercher et trouver et trouver Dieu Dieu

le poids de la parole Chut ! Taisons-nous quelques instants et avec notre imagination entendons les paroles échangées sur toute la surface de la terre ; certaines banales, d’autres graves… Quel brouhaha ! Les paroles s’envolent, les écrits restent, a-t-on coutume de dire. Pourtant, même éphémères, nos paroles ne sont pas sans effet sur les autres ; elles peuvent même détruire ou aider à vivre. Une autre Parole nous est adressée, celle de Dieu ; celle-ci est créatrice, efficace, féconde, comme « la pluie et la neige qui descendent des cieux n'y retournent pas sans avoir abreuvé la terre, sans l'avoir fécondée et l'avoir fait germer… » dit le prophète Isaïe (Isaïe 55, 10-11). Considérons donc le poids de nos paroles, celles que nous adressons et celles que nous recevons, et laissons-nous instruire par celui qui est Parole de vie. Témoignages Donner confiance . . . . . . . . . . . . . . . . 8 Parole donnée. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 Une parole qui célèbre et transforme. . 10 Blessante rumeur . . . . . . . . . . . . . . . 11 Contrechamp Le kaléidoscope de la parole . . . . . . 12

Marie-Élise COURMONT Éclairage biblique Paroles de mort, parole de vie : La femme adultère . . . . . . . . . . . . . 14 Repères ignatiens L'écoute dans l'accompagnement spirituel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16 Pour continuer en réunion  . 18

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© P. Deliss / Godong

Voir aussi l'article de Corine Robet p. 39

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Chercher et trouver Dieu

Donner confiance Véronique est professeur des écoles. Elle nous dit combien il est important de « mettre en lumière ce que savent faire les élèves ». Il suffit parfois d’une parole pour faire la différence.

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Je suis toujours frappée du grand besoin d’encouragements de la plupart des élèves : « continue, c’est bien, tu peux y arriver,… », il est parfois si tentant de déplorer ce qui n’est pas réussi ! Je me souviens de Sophie une petite fille de 5 ans, trisomique, qui en motricité s’est assise en disant : « je n’y arriverai pas ». Je lui ai alors dit : « Viens, tu en es capable », je l’ai encouragée. Devant son refus, j’ai ajouté : « Si tu n’en es pas capable, alors aucun autre enfant n’en est capable ! » et j’ai dit aux autres : « On s’assoit tous, personne ne continue ! ». Je ne connaissais pas bien cette petite fille, c’était un coup de bluff. Et avant que les autres ne soient assis, forte

© Barbara Strobel

Lorsque j’ai choisi mon métier, j’avais une expérience de cheftaine louveteaux et j’y avais appris l’importance de l’exemplarité : par les attitudes on fait passer beaucoup de nos valeurs. Durant ma formation professionnelle, j’ai été invitée à prendre du recul, à me remettre en question et à m’évaluer : une forme de relecture. J’ai petit à petit pris conscience de l’importance des mots et paroles prononcés. On peut facilement blesser par maladresse ou énervement, mais on peut aussi toujours rassurer, encourager, réparer,…

de la confiance que j’avais mise en elle, elle a repris son activité qu’elle a menée à bien jusqu’au bout ! Ou encore ce sourire de Clémence, une de mes élèves de CM2, suite à mes compliments devant l’appréciation de son professeur de sport. Quelques jours après, elle est venue me remercier de ces mots prononcés. Les enfants ont un besoin immense qu’on mette la lumière sur ce qu’ils savent faire !

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Je reste d’ailleurs toujours questionnée par cet élève, pile électrique, amusant et futé, dont l’autoportrait était 100 % négatif et qui n’avait à décrire que « sa nullité ». J’ai eu une discussion avec lui, j’ai essayé de soulever ses qualités, mais il est resté sceptique par rapport à mes paroles… Très souvent, comme maman ou enseignante, je ne prends pas assez de temps pour dire ce qui valorise… VÉRONIQUE

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Parole donnée

Le mariage est un sacrement. Le « oui » des mariés prononcé devant témoins lors de la cérémonie signifie leur désir de s’engager sans réserve dans cette aventure. Exemple d’une parole qui engage.

Enfant, j’ai souvent pris l’habitude de prononcer avec beaucoup de sérieux la phrase magique : « je te donne ma parole ». Cette expression engageait alors tout mon être. Après plus de quarante ans de mariage, et toujours en couple, j’use avec fierté de mon privilège, d’appeler ma moitié « mon épouse », pour signifier que le couple que je forme avec elle a résisté aux chocs des étapes de la vie. Par un beau jour de 1968, je me mariais à l’église Saint Séverin à Paris. Le pilier, derrière l’autel, est déjà tout un symbole. Le faisceau de lianes de pierre entrelacées autour du pilier évoque l’union, mais pas la fusion. Avec ma fiancée, nous nous étions, en fait, déjà engagés réciproquement en nous disant ce petit mot très fort et concret : « oui ». Ce « oui » intime était déjà la promesse que chacun de nous faisait de nous unir pour le meilleur et pour le pire tout au long de notre vie. Le jour solennel du mariage à l’église, nous avons confirmé

c’est nécessaire, pour éviter les blocages, mais le maître mot, est pour chacun, de continuer à s’adapter à l’autre qui évolue. Avec le temps qui passe, notre couple est passé de l’amour passion à l’amour admiration et respect.

notre engagement devant le prêtre et devant notre famille, nos témoins et tous nos amis. Cette assemblée, prise à témoin, nous a indéniablement aidés à réaliser notre projet de vie. Notre « oui » est devenu un oui dans la durée, via la foule des témoins présents ce jour-là.

Enfin, la devise que j’aime mettre en exergue dans ma vie, est le nom d’un pays d’Océanie, le Vanuatu, qui veut dire en français : « le pays qui se tient debout ». Parmi tant de valeurs bafouées aujourd’hui, je suis heureux de porter au plus haut, la fidélité à la parole donnée, et de me tenir encore debout quoiqu’il arrive. FRANÇOIS

Avec le temps qui passe, et les exemples de rupture, de plus en plus fréquents, mon épouse et moi, sans toujours se le dire, essayons d’être valeur d’exemple, vis-à-vis de nos enfants et de nos petits enfants. Leurs regards nous fortifient. Pour durer, telle Laetitia Bonaparte, fascinée par l’ascension fulgurante de son fils, on peut dire « pourvu que ça dure », mais ce n’est pas suffisant. Il faut des petits trucs. Pour éliminer la rouille qui a tendance à cacher nos différents et à masquer les difficultés, nous pratiquons, ensemble, en fin d’année, lors d’une promenade, une révision de vie. Nous faisons le point sur l’année passée et définissons des objectifs pour l’année future.

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© Philippe Noisette/ CIRIC

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« Et le verbe était Dieu… et le verbe s’est fait chair », nous dit saint Jean. Ce n’est donc pas rien que la Parole. Mais, c’est de la parole engagement, la mienne, dont je veux parler.

À la fin de notre entretien, nous décidons, dans un grand éclat de rire, de rempiler une année de plus. Bien sûr nous essayons de prononcer le mot « pardon » quand Mars 2011

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Chercher et trouver Dieu

Une parole qui célèbre et transforme

S'engager formellement dans un mouvement ou une association, qu'est-ce que ça change ? Tout nous dit Nicole.

J 1 Psaume 30

Ce fut pour moi 18 mois d’un chemin de discernement difficile, chaotique, seule et dans une petite communauté créée pour nous soutenir. Au départ : « Ah non, pas moi ! », des résistances, des combats, mais aussi une « brise légère et persistante ». « Mais, si… » : honnêteté de voir l’autre plateau de la balance. « Oui, mais… » : le malin ne lâche pas. Jusqu’au jour où… À Lourdes, le rosaire est présenté en plusieurs langues. Une amie me dit sa découverte en entendant que « je remets mon esprit » se dit en anglais « I commit my spirit ». Or, « I commit » est la façon de dire « je m’engage » pour les CVX anglophones. Me voilà enveloppée de ces paroles qui ne

© Barbara Strobel

J’ai prononcé mon engagement dans la CVX en 2009, avec six autres membres : à la fois sept paroles personnelles différentes et une parole commune dites simplement au cours d’une Eucharistie. Membres de CVX et autres amis sont nombreux à être témoins de notre démarche. Mes cinq enfants, dispersés aux quatre coins du monde sont tous venus sans m’en avertir. Quelle joie !

me quittent plus : ce n’est pas un engagement à faire qui m’est proposé, mais un engagement à être, à être avec Jésus le Christ qui a dit sur la Croix « Entre tes mains je remets mon esprit », s’en remettre à lui, il nous sauve !1 La grâce de Dieu me relève, tout va très vite dans la joie et la paix : Oui, je veux le dire à la grande assemblée, célébrer la Parole et rendre grâce : « Reconnaissant aujourd’hui tous les bienfaits reçus du Seigneur dans et par la Communauté de Vie Chrétienne, je désire rendre au Seigneur tout ce que j’ai reçu de lui par amour, tout ce que je suis, m’offrant à lui, en me mettant avec sa grâce

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au service de mes frères et sœurs dans le monde, avec le soutien de la CVX, dont je veux contribuer à la croissance apostolique et prophétique. « Entre tes mains, Seigneur, je remets mon esprit. » Aujourd’hui, ma vie est transformée, des petits détails qui changent tout. Un exemple : ce soir-là, j’avais été appelée à témoigner de mon engagement dans une autre région CVX. Il neigeait. Je n’avais qu’une voiture prêtée. Prête à renoncer, ce fut plus fort que moi, je suis partie et rentrée dans une tempête de neige ! Fidélité à la parole donnée. Soin des autres. Confiance totale. Rendre grâce. NICOLE

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Blessante rumeur Juliette a été témoin de la blessure qui s’est installée chez Monique à la suite d’une rumeur.

« À l’époque des événements, ditelle, je reviens régulièrement en vacances dans le gros bourg de province où j’ai grandi. Tout le monde se connaît. Ma famille et ma belle-famille sont amies depuis toujours, les relations sont bonnes avec les voisins. Mon beau-père, avec qui je m’entends bien, est atteint d’une maladie incurable, et il a toujours dit qu’il ne se laisserait pas dégrader par elle.

et aux autres, comme d’habitude, je ne comprends pas pourquoi on se détourne de moi, on chuchote sur mon passage ; j’entends : “c’est elle qui l’a tué”, et la rumeur se répand ; même les plus proches, et parmi eux un oncle et une tante que j’aime beaucoup, se détournent de moi. Pourtant je n’ai pas été mise en cause par la justice, alors pourquoi ? Intérieurement, je m’effondre : plus un seul sur qui compter, il n’y a plus que de la méfiance et de l’hostilité. J’ai beau chercher, je ne comprends pas pourquoi

tout le village s’est retourné contre moi ; bien sûr, je suis un peu grande gueule, je ne supporte pas l’injustice, mais cela peut-il suffire ? L’amertume et le désarroi s’installent durablement en moi. Même après la mort de mon oncle, qui m’a demandé pardon de m’avoir accusée sans raison, et la réconciliation avec ma tante regrettant d’avoir pris part à la rumeur, la blessure est toujours là, moins béante, mais encore sensible dans les moments plus difficiles. » JULIETTE

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© Corinne Simon / CIRIC

L

Lorsque je fais la connaissance de Monique il y a vingt-cinq ans, je sens bien que d’instinct elle se méfie de toute nouvelle relation. Avec le temps j’ai vu qu’elle a pu, tout doucement, refaire confiance, en se laissant apprivoiser. Témoin de son chemin depuis tout ce temps, j’ai enfin saisi pourquoi elle craignait qu’une main tendue ne soit pas fiable, qu’une trahison soit possible derrière ce qui pourtant semblait bien être de l’amitié. Avec l’histoire qu’un jour Monique me raconte, tout s’éclaire :

Un jour, alors que j’entre chez lui pour le voir, c’est le choc : il est étendu par terre dans un épouvantable désordre ; je trouve l’énergie pour appeler les secours, mais il est trop tard : mon beau-père est déjà mort, il n’a pas fait les choses à moitié. Dans les jours qui suivent, alors que je m’apprête à dire bonjour aux uns Mars 2011 11


Chercher et trouver Dieu

Le kaléidoscope de la parole La parole fait exister quand elle permet de dire « je », pour exprimer qui nous sommes et ce qui nous tient à cœur. Elle est l’expression de notre moi dans son originalité et sa liberté. Mais la parole aide aussi à se décentrer et à sortir de soi quand on est enfermé dans l’isolement et le mutisme. La parole crée des liens quand elle permet de communiquer avec d’autres, de dialoguer, de se comprendre. Sans elle, en particulier quand se dresse l’obstacle de la langue, il est difficile de se rencontrer et d’entrer en relation. Enfin la parole rassure et console. Que serait un univers où l’on n’échangerait pas de paroles ? Celles-ci manifestent que l’autre existe pour moi et qu’il ne m’est pas indifférent. La parole rend visible le fait que nous ne sommes pas seuls et que nous vivons aux côtés les uns des autres. Dans la détresse, cette parole peut être rassurante et vivifiante. Mais la parole, si diversifiée dans son expression, est capable d’avoir un pouvoir considérable (positif ou négatif) sur les autres, comme le montrent quelques exemples.

La parole qui apaise,

celle qui, sensible et compatissante aux difficultés éprouvées par ceux que nous rencontrons, parvient à leur faire percevoir que la solidarité, l’amitié, l’amour peuvent être plus forts que l’effet destructeur des épreuves.

La parole qui redonne courage,

quand elle est positive, bienveillante et donne confiance aux autres. Elle les aide à être eux-mêmes et leur permet d’oser entreprendre et de réussir là où ils ont peur d’échouer.

La parole qui libère,

quand on se sent paralysé par des blocages internes. Mettre des mots sur les tensions qui nous minent permet souvent de réduire leur travail de sape souterrain et d’éviter nos réactions de violence.

La parole qui manipule, celle qui n’est pas au service de la recherche de la vérité et qui veut dominer et instrumentaliser les personnes sans les respecter.

La parole qui tue,

celle qui, d’un mot ou d’une phrase, peut blesser et même détruire une personne en l’humiliant et en la faisant passer pour nulle à ses yeux et aux yeux des autres. 12 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 10


La parole qui nuance,

S'il te plaît, écoute-moi !

celle qui dénonce les déclarations à l’emporte-pièce et les enthousiasmes simplificateurs et permet de découvrir que les humains sont complexes et que leurs actions recèlent souvent une part d’ambiguïté.

La parole qui embellit,

celle qui, d’une phrase, sait mettre en lumière le sourire d’un enfant, la beauté d’une fleur, la richesse d’une action désintéressée ou la valeur d’un geste de solidarité et de fraternité.

La parole qui engage,

quand deux personnes se mettent d’accord pour rester fidèles à leurs promesses dans le temps. C’est valable dans les actes ordinaires de la vie (respecter un rendez-vous ou un contrat) comme dans les grandes décisions de l’existence (engagement des conjoints dans le mariage ou vœux des religieux et des religieuses).

La parole qui fait rire,

celle qui, dans une réunion sérieuse ou difficile, sait prendre un bref raccourci pour détendre l’atmosphère en montrant que rien n’est jamais tout à fait sérieux ni totalement dramatique.

La parole qui déçoit,

quand les mots qu’elle prononce se traduisent par des déclarations envahissantes et inutiles qui ne correspondent à aucune réalité concrète.

La parole qui éclaircit,

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DR

quand la recherche des mots justes permet de clarifier la pensée et aide à comprendre ce qui jusque-là était embrouillé ou caché.

Marie-Élise COURMONT Yves de GENTIL-BAICHIS

Lorsque je te demande de m'écouter et que tu commences à me donner de bons conseils, alors tu ne fais pas ce que je t'ai demandé. Lorsque je te demande de m'écouter et que tu te mets à me dire pourquoi je ne devrais pas me sentir ainsi, alors tu piétines mes sentiments. Lorsque je te demande de m'écouter et que tu penses devoir faire quelque chose pour régler mes problèmes, alors tu me laisses tomber, aussi étrange que cela paraisse. C'est peut-être pour cela que la prière aide certains, car Dieu est muet et ne donne pas de bons conseils ni n'essaye "d'arranger" les choses. Il ne fait qu'écouter et nous laisse prendre soin de nous-mêmes. Alors, s'il te plaît, écoute-moi seulement, et si tu veux dire quelque chose, sois patient. Ensuite, je te le promets, je t'écouterai. Anonyme Mars 2011 13


Chercher et trouver Dieu

Paroles de mort... Parole de vie

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La femme adultère Les célébrations de la fête des Tentes viennent de se terminer : une foule nombreuse a écouté Jésus enseignant dans le Temple. Les Pharisiens voient d’un mauvais œil ce succès grandissant de Jésus. Ils voudraient se saisir de lui, l’arrêter, voire le tuer mais comment faire sans se mettre la foule à dos ? Les pèlerins s’en sont retournés chez eux. Jésus, lui, comme il en a l’habitude, se retire au mont des Oliviers pour prier. Là, dans le silence de la nuit, il peut se rebrancher sur la source de sa vie : le Père. Au petit matin, il est déjà dans le Temple ; il enseigne. Tout le peuple vient à lui : ces hommes et ces femmes ont soif… soif de ces paroles qui donnent la vie. L’unique souci de Jésus est de les aider à entrer en relation avec le Père, source de vie et de la véritable liberté. Surgit alors avec fracas et violence un groupe de scribes et de pharisiens traînant une femme qu’ils ont surprise en flagrant délit d’adultère. Ils sont venus en groupe pour se donner du courage. Mais l’homme qui était avec cette femme, où est-il ? C’est bien le signe que leur intention n’est pas droite. Leur objectif, en amenant cette femme à Jésus, n’est pas l’application de la Loi de Moïse, car celle-ci stipule à deux reprises que ce sont l’homme et la femme surpris en adultère qui doivent être lapidés (Levitique 20, 10 et Deutéronome 22, 22-24). Le but qu’ils poursuivent est de trouver matière à accuser Jésus et, pour ce faire, ils n’hésitent pas à faire de la Loi une parole de mort. Leur parole est un mensonge au service de leur désir mauvais. Face à ce déferlement de haine, Jésus commence par se taire : sans doute fait-il silence pour entrer à nouveau en dialogue avec le Père avant de réagir. Il s’abaisse… Il se met ainsi au même niveau que cette femme pécheresse, traînée dans la boue de-

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vant tout le monde. Il se met à écrire sur le sol… Cela a dû intriguer les scribes et les pharisiens qui ont certainement essayé de voir et de comprendre ce que Jésus écrivait. Ce faisant, il détourne de cette femme l’agressivité des pharisiens. Désormais, les choses se passent entre eux et lui.

Après un long temps de silence durant lequel les Pharisiens insistent et s’énervent, Jésus prend la parole. Il ne va pas s’adresser au groupe. Il s’adresse à chacun d’entre eux et renvoie chacun à sa conscience, l’unique lieu de la rencontre intime de l’homme avec son Père. Chacun est invité à faire œuvre de vérité et à se décider en liberté. Pour favoriser cet examen de conscience décisif, Jésus entre à nouveau dans un silence priant. Dieu prend le temps : patiemment, il nous attend au cœur de notre cœur. Alors, un par un, ils s’en vont tous. La Loi ayant été remise à sa juste place, le face-àface entre Dieu et cette femme devient possible. Jésus s’adresse à elle comme il l’avait fait à Cana avec sa propre mère : « Femme ». Il ne lui dit pas : « Où sont-ils ? Les pharisiens ne t’ont pas condamnée ? ». Il lui demande : « Personne ne t’a condamnée ? » car Jésus qui connaît le cœur de l’homme, sait que la pire condamnation n’est pas celle qui vient des hommes mais celle qui vient de soi-même, du regard impitoyable que l’on porte souvent sur sa propre vie et qui nous rend imperméable à la miséricorde du Seigneur, qui ne permet pas au pardon de Dieu de faire son œuvre de guérison en nous. Jésus renvoie aussi cette femme au cœur de son cœur pour l’inviter à ne pas se condamner à mort elle-même en s’enfonçant dans la culpabilité ou la honte. En répondant à Jésus : « Personne, Seigneur », elle se rend disponible pour accueillir le pardon de Dieu. Alors, sa miséricorde peut s’engouffrer par cette brèche : « Moi non plus, je ne te


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© Bridgeman Giraudon

condamne pas » et Jésus peut rendre cette femme à sa vraie responsabilité : « Va, désormais ne pèche plus ». Cette parole met debout, elle libère, elle invite à prendre la route en quête du bonheur vrai et durable qui ne se trouve pas du côté de la satisfaction de plaisirs éphémères. Natalie LACROIX

École italienne (15 siècle) - Biblioteca Reale, Turin (Italie) e

1 Jésus s'était rendu au mont des Oliviers ; 2 de bon matin, il retourna au Temple. Comme tout le peuple venait à lui, il s'assit et se mit à enseigner. 3 Les scribes et les pharisiens lui amènent une femme qu'on avait surprise en train de commettre l'adultère. Ils la font avancer, 4 et disent à Jésus : « Maître, cette femme a été prise en flagrant délit d'adultère. 5 Or, dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, qu'en dis-tu ? » 6 Ils parlaient ainsi pour le mettre à l'épreuve, afin de pouvoir l'accuser. Mais Jésus s'était baissé et, du doigt, il traçait des traits sur le sol. 7 Comme on persistait à l'interroger, il se redressa et leur dit : « Celui d'entre vous qui est sans péché, qu'il soit le premier à lui jeter la pierre. » 8 Et il se baissa de nouveau pour tracer des traits sur le sol. 9 Quant à eux, sur cette réponse, ils s'en allaient l'un après l'autre, en commençant par les plus âgés. Jésus resta seul avec la femme en face de lui. 10 Il se redressa et lui demanda : « Femme, où sont-ils donc ? Alors, personne ne t'a condamnée ? » 11 Elle répondit : « Personne, Seigneur. » Et Jésus lui dit : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus. »

Jean 8,1-11

Pour prier… ✚ M e représenter la scène : voir Jésus, dans le silence de la nuit, il prie seul. Il rejoint le Temple au petit matin afin de partager à celles et ceux qui l’attendent une parole de vie. Voir le groupe de scribes et de pharisiens qui surgissent traînant derrière eux une femme surprise en flagrant délit d’adultère. ✚ D emander la grâce de me laisser toucher par les paroles de Jésus. ✚ R egarder les pharisiens, le cœur rempli de jalousie. Ils n’ont qu’un désir, supprimer Jésus qui leur fait de l’ombre. Pour arriver à leurs fins, tous les moyens sont bons, y compris sacrifier une vie. Entendre leur parole de mort. ✚ R egarder Jésus. Baissé, il se tait ; il renvoie chacun – les pharisiens et la femme - au cœur de son cœur. Entendre sa parole qui ouvre un espace de vie, qui veut mettre chacun en relation avec le cœur profond du Père. ✚ M e laisser toucher et laisser surgir ma propre parole. Au terme de ce temps de prière, qu’ai-je le désir de dire à Jésus ou au Père ? NB : Je peux me mettre dans la peau d’un personnage et éprouver ce qu’il ressent.

(Traduction AELF)

Mars 2011 15


Chercher et trouver Dieu

L’écoute dans l’accompagnement spirituel

L

1 Deutéronome 6, 4.

2 Matthieu 7, 24.

L’invitation à écouter est une des premières paroles de Dieu à Israël : « Écoute, Israël1 ». Elle précède les dix paroles qu’il est inutile de prononcer s’il n’y a pas une écoute qui accueille et qui se dispose à obéir, à mettre en œuvre afin de devenir peu à peu le peuple de Dieu, son enfant. « Celui qui écoute ma Parole et qui la met en pratique ressemble à un homme avisé qui a construit sa maison sur le roc2 », dit Jésus au terme du Sermon sur la Montagne. Nous savons que dans la Bible, le roc est une des images qui expriment la solidité de Dieu, celui sur lequel Israël peut s’appuyer pour tenir dans l’adversité, la souffrance. Le rocher, c’est aussi ce qui contient la source qui désaltère le peuple dans le désert. Écouter celui qui est solide, celui qui est la source, tel est le point de départ de toute l’expérience du croyant depuis Abraham qui se met en route à l’écoute de celui qui lui parle, jusqu’à Jésus lui-même dont l’histoire humaine n’a été qu’une écoute de la volonté du Père. Les Exercices spirituels de saint Ignace ont pour but de « chercher et trouver la volonté de

16 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 10

© Wilfried Guyot / CIRIC

Pour qu'une parole puisse prendre chair, il faut qu'elle soit écoutée, entendue. Parole et écoute de celui qui demande un accompagnement, parole et écoute de celui qui accompagne. L'une ne va pas sans l'autre des deux côtés.


Dieu3 ». Le retraitant se met en route pour apprendre à communiquer avec Dieu et recevoir de lui la décision qu’il cherche à prendre pour orienter sa vie avec le Seigneur : il s’agit de mettre en place une relation vraie, juste, aimante pour communiquer avec le Seigneur. L’un des moyens privilégiés pour aider cette relation à se mettre en place et à faire son œuvre – « chercher et trouver » – est la relation entre l’accompagnateur et le retraitant. La qualité de cette relation sera l’expression – humaine, certes, mais réelle – de celle que le retraitant cherche avec son Seigneur.

Écouter avec bienveillance Ignace présente l’esprit de cette relation dans le « présupposé » (Exercices spirituels n° 22). Ce numéro vient juste après le titre des Exercices et avant le « Principe et fondement »4. C’est dire son importance pour mettre en route la démarche : « Pour que celui qui donne les exercices aussi bien que celui qui les reçoit y trouve davantage aide et profit, il faut présupposer que tout bon chrétien doit être plus prompt à sauver la proposition du prochain qu’à la condamner. Si l’on ne peut la sauver, qu’on lui demande comment il la comprend ; s’il la comprend mal, qu’on le corrige avec amour ; si cela ne suffit pas, qu’on cherche tous les moyens pour que la comprenant bien, on la sauve. » Quand Ignace finit de rédiger les Exercices, à Paris, il est en

train de les donner à des universitaires5. Ce sont les débuts de la Réforme protestante et c’est aussi le moment de la réaction contre l’illuminisme espagnol. Tout cela crée un climat de méfiance doctrinale et le risque de rupture de dialogue sur des questions théologiques est réel. Il faut donc mettre en place une sorte de règle qui assure la confiance de base entre l’accompagnateur et le retraitant, les conditions d’une vraie compréhension qui évite les malentendus ou la méfiance. En restant sur un registre général, Ignace fait appel à l’identité de l’accompagnateur et du retraitant : « tout bon chrétien ». L’un et l’autre sont appelés à se situer dans le dynamisme de leur baptême ; habités par l’Esprit du Père et du Fils, ils participent à la vie trinitaire ; ils sont invités à vivre leur relation à l’image de la Trinité, dans la confiance mutuelle. Cet enracinement doit permettre de traverser les incompréhensions inévitables de toute relation humaine : vérifier qu’on s’est bien compris ; s’il y a une erreur, croire en la capacité de conversion de son interlocuteur, en se rappelant qu’on peut toujours se tromper soi-même, tout faire pour le détromper et le faire sortir de son erreur. Le mot « sauver », employé à trois reprises dans ce court texte indique l’objectif à atteindre : chercher le salut de celui qui s’expose en parlant, qui livre sa personne à travers ses propos. Seule cette perspective de salut peut faire avancer

la démarche. Elle passera donc par des moments où il faudra s’expliquer pour se comprendre, voire se « corriger avec amour » pour arriver à un registre de compréhension profonde, d’accord dans l’Esprit qui seul permet une vraie communion dans l’accueil de la lumière qui vient de Dieu. En d’autres termes, les mots du Psaume 84 peuvent faire comprendre la profondeur de ce « présupposé » : « Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent ».

3 Exercices spirituels : 1re annotation. 5 Cf. A. Demoustier. Les Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola, Éd. Facultés Jésuites de Paris, 2006, pp. 51-52.

Ne pas colmater la vérité La réussite spirituelle de la démarche des Exercices dépend pour une bonne part de la qualité de la relation accompagnateur – retraitant, même si le grand artisan c’est l’Esprit Saint qui envoie son souffle au jour le jour, sa lumière et sa force pour lutter face aux obstacles et qui sait mieux que quiconque triompher des erreurs humaines inévitables de l’une et l’autre personnes en présence, marquées chacune de leurs limites et de leur pauvreté. Ceci vaut pour toute relation d’accompagnement, bien sûr, où l’accueil, le respect de l’autre, le dépouillement de soi, de ses images et représentations, de ses certitudes sont des attitudes qu’on n’a jamais fini de travailler. Comme le potier qui manie l’argile pour faire un objet avec souplesse et fermeté, l’accompagnateur doit se tenir dans la position délicate de la souplesse pour accueillir l’autre

4 Le « Principe et fondement » est un texte qui se trouve au tout début du livret des Exercices spirituels. Il invite le retraitant à regarder la finalité de son existence et à remettre les moyens à leur place de moyens.

,

Mars 2011 17


Chercher et trouver Dieu

! 6 Matthieu 17, 5.

dans sa singularité, sa différence et de la fermeté pour ne rien sacrifier à l’Évangile qu’il doit manifester à celui qui l’écoute. Si nous contemplons Jésus dans ses relations, nous le voyons à la fois plein de douceur et de respect, mais aussi avec une autorité sans complaisance quand il s’agit de l’essentiel de son message : il est à la fois celui qui écoute la Samaritaine et la femme adultère avec respect et humanité, sans colmater la vérité, mais aussi, celui qui discute avec les pharisiens, « avec autorité », fermeté voire intransigeance, car il y va du fondement de son message d’amour du Père qui engendre

l’humanité dans la liberté et la vérité.

Un chemin de liberté Ce présupposé peut nous guider aussi dans toutes nos relations humaines, au travail, en famille, en couple ou dans les relations parfois difficiles avec les enfants, dans nos divers réseaux : partir de la confiance en l’autre en la personne qui s’expose à travers ses propos, l’accueillir dans la vérité, oser s’expliquer en liberté, sans avoir peur de perdre la face ou d’apparaître de telle ou telle manière, savoir être vrai dans la position qui est la sienne quitte à ne pas

plaire à son interlocuteur et à être prêt à ne rien transiger sur des points essentiels, mûris dans la réflexion, la prière et ceci quelle que soit la position qui est la sienne, animateur ou participant d’une équipe de travail, responsable ou exécutant d’une mission. C’est un chemin de liberté qui n’a jamais fini de s’apprendre et qui nous fait grandir dans notre humanité, appelée à s’épanouir à l’image du « Fils bien aimé du Père, celui qu’il lui a plu de choisir » et que nous sommes appelés à « écouter6 ».

6

Jeanne THOUVARD

Sœur auxiliatrice

Pour continuer en réunion… Trois pistes… • P our relire ma vie :

Faire mémoire de telle ou telle parole qui m’a profondément touché(e), qui a eu des conséquences sur ma vie, sur ma vision du monde. M’a-t-elle aidé(e) à vivre ? Pourquoi ? Comment ? M’a- t-elle blessé(e) ? Comment je vis avec cela ? Comment tirer profit de cette expérience ? Ouvrir avec d’autres un espace de confiance et d’espérance ?

• P our évaluer nos prises de parole en groupe :

+ Durant le partage, quelle vigilance j’exerce sur ma propre parole ? Quel poids je donne à la parole de l’autre ? Comment cela se traduit-il ? + Pendant l’échange, à quoi je fais attention ? Quelle parole j’adresse à l’autre ? Quelle parole je n’ose pas lui adresser ? Pourquoi ?

• P our entendre les appels du Seigneur :

Y a-t-il une parole de Dieu qui m’habite particulièrement ? Y a-t-il une parole venant d’un autre, qui me parle ou me questionne ? Comment ces paroles m’éclairent-elles sur ma manière particulière de suivre le Christ ?

18 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 10


Le babillard

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Mars 2011 19


Se former

FACE AUx obstacles Certaines situations nous effraient, nous découragent. Jamais nous n’arriverons à traverser l’épreuve. C’est sans doute ce que se sont dit Moïse, Salomon, Esther, ou plus près de nous Etty Hillesum. Pourquoi ne pas s’inspirer de leur prière ?

D

2 Sagesse, 9,1

3 Sagesse, 9, 9-11

1 Exercices spirituels n°46

4 Exode 14-13,14

Demander à Dieu de nous mettre à son service devant une difficulté, c’est se décentrer de soimême et reconnaître que c’est lui qui travaille. Voilà un changement de perspective ! Notre action vient alors participer ou non à sa mission. Nous orienter ainsi vers le Seigneur et rechercher sa plus grande gloire sur la terre ne va pas de soi. C’est une grâce à demander. Ignace, dans les Exercices, invite à commencer l’oraison par une prière préparatoire. « La prière préparatoire consiste à demander à Dieu notre Seigneur sa grâce pour que toutes mes intentions, mes actions et mes activités soient purement ordonnées au service et à la louange de sa divine Majesté.1 » Pourquoi ne pas reprendre cette prière dans la vie courante ? Une réunion qui risque d’être difficile au travail, un entretien avec quelqu’un qui énerve, un dialogue avec son enfant, une rencontre de catéchèse avec des jeunes… sont autant de moments importants qui deman-

dent de s’y préparer. Il suffit de quelques instants de recul et de silence pour se tourner vers le Seigneur et redire cette prière ; non pas comme une formule magique, mais en l’habitant et en trouvant ses propres mots. C’est une manière de se dégager de son propre intérêt et de s’ouvrir au projet de salut de Dieu. C’est lui dire son désir de servir, à travers cette activité et au-delà de la réussite ou de l’échec personnels, la venue de son règne. Selon les situations difficiles qu’ils ont à affronter, d’autres vont reprendre de façon plus ou moins spontanée une phrase qui les a marqués ou qu’ils ont mémorisée. Les mots empruntés jaillissent alors d’eux-mêmes du fond du cœur. Laurent a des responsabilités importantes en entreprise. Les décisions à prendre ne sont pas toujours simples, prises entre les contraintes d’une gestion économique serrée et le souci de justice et de respect de l’ensemble du personnel. La pression est forte. Alors régulièrement, le matin, avant d’entrer dans son

20 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 10

bureau, il murmure cette prière qu’il a découverte dans une retraite, la prière que le jeune Salomon adresse au « Dieu des Pères, Seigneur de miséricorde2…» pour obtenir la sagesse, alors qu’il a été choisi pour régner sur le peuple d’Israël : « Envoie [ta sagesse] de ton trône de gloire, pour qu’elle me seconde et peine avec moi, et que je sache ce qui te plaît3… » Amélie est médecin et face à ses patients, elle n’est pas indifférente au combat qu’ils mènent avec elle contre la maladie. Le découragement pointe souvent, surtout quand la rechute est là. Pour elle, le texte qui lui revient alors naturellement et qui l’habite est l’exhortation de Moïse aux Hébreux terrorisés quand ils se voient rattrapés par les Égyptiens face à la Mer Rouge. « N'ayez pas peur ! Tenez bon !… Le Seigneur combattra pour vous, et vous, vous n'aurez rien à faire.4 » Quand Ludovic se sent dépassé par les situations à vivre, la peur le submerge. Saura-t-il faire face ? Alors, il fredonne simplement


© Fred de Noyelle / Godong

cet air qu’il chante depuis son plus jeune âge, appris à l’aumônerie et repris encore dans certaines célébrations. Cet air-là, il l’a même appris à ses jeunes enfants qui le reprennent avec lui dans leurs moments de crainte, ou pour les consoler dans un de ces instants de découragement avant de s’endormir. « Entre tes mains, Seigneur, je remets mon esprit, entre tes mains, je remets ma vie.5 » Ceux qui ont l’habitude de prier selon la tradition monastique, avec Prière du temps présent, connaissent bien l’oraison qui conclut les laudes chaque lundi de la première semaine ordinaire. Ils la connaissent par cœur. Elle leur revient facilement à l’esprit quand une journée difficile est devant

eux : « Que ta grâce inspire notre action, Seigneur, et la soutienne jusqu’au bout, pour que toutes nos activités prennent leur source en toi et reçoivent de toi leur achèvement.6 » Avant de rencontrer une personne difficile à aborder, Léa se souvient de l’histoire d’Esther, la jeune et belle Juive en exil à Babylone se préparant à rencontrer le roi qui retient son peuple en captivité. Elle va jouer avec le danger pour obtenir la libération promise par le Dieu de ses pères. Trouver les mots pour que sa requête légitime soit entendue n’est pas facile pour Léa ; elle reprend alors spontanément la prière d’Esther : « Mets sur mes lèvres un langage harmonieux quand je serai en pré-

sence de ce lion, et change son cœur.7 »

5 Refrain du cantique Entre tes mains Paroles de John Littleton, Musique de Ray Repp

Chaque matin, c’est avec la peur au ventre que Claire se rend au travail. Ses amis la soutiennent pour que face aux attaques sournoises de sa hiérarchie, elle garde toute sa dignité. En rejoignant son open space, elle se redit la prière d’Etty Hillesum8 s’adressant à Dieu : « C’est à nous de t’aider et de défendre jusqu’au bout la demeure qui t’abrite en nous.9 »

7 Bible liturgique, Esther 14,13

L’épreuve est là, le moment est difficile. Pour beaucoup, les mots nous sont alors mystérieusement redonnés par Jésus : « Notre Père qui es aux cieux, que ta volonté soit faite10…». Marie-Élise COURMONT Dominique HIESSE

9 Une vie bouleversée, journal 1941-1943, p.175.

6 Oraison de l’office des Laudes du lundi de la 1ère semaine du temps ordinaire

8 Elle l’a découverte dans le livret de préparation du Congrès CVX de NantesPentecôte 2003 p.35. Elle a ensuite lu le livre d’Etty Hillesum, juive, professeur de littérature, morte en 1943 dans un camp de concentration.

6

10 Matthieu 6, 9-10.

Mars 2011 21


Se former

Quand le national nous sollicite… « Il arrive parfois que notre responsable prenne du temps sur la réunion de Communauté Locale pour des informations régionales ou nationales, et même, que certains partages soient entièrement centrés sur des questions posées par nos équipes service. Ce n’est pas toujours bien vécu. Comment faire ? »

V

Vie communautaire ou vie d’équipe ont la même visée. L’enjeu de nos réunions est de nous entraider à discerner dans nos vies, à poser des choix pour davantage « louer, respecter et servir Dieu ». C’est donc bien l’aujourd’hui de nos vies, leur contexte propre et le pas spirituel auquel nous sommes invités qui fait l’objet de nos relectures et de nos partages.

Une seule et même communauté Dans ce cadre, comment recevons-nous ce qui vient de la communauté plus large ? Agacé, tiraillé mais pas vraiment concerné, curieux, impliqué ? Nous passons tour à tour par ces réactions ; forcément, la parole d’un autre, c’est perturbant ! mais plus on connaît cet autre, plus on se sent lié à lui, plus l’a priori de bienveillance joue pour accueillir ses sollicitations. Quand la CVX s’adresse à chaque communauté locale, c’est que les équipes services ont repéré un point important pour notre croissance spirituelle. Se laisser questionner par une trame de réunion proposée ou une invita-

tion à un week-end, c’est faire confiance à ceux que nous avons appelés pour nous servir, comme nous faisons confiance aux membres de notre communauté locale dans les questionnements du deuxième tour.

Donner le sens Le responsable et l’accompagnateur sont attentifs aux propositions de questionnement de la Communauté (pour les élections, sur nos expériences de retraite, sur un texte national ou mondial…). Ils prennent le temps d’en comprendre l’enjeu. Ce temps de digestion rendra créatif pour choisir le moment et la forme pour les partager à la communauté locale, en informant et explicitant, en adaptant si besoin en fonction du groupe. Quant aux invitations aux weekends de la Communauté, elles nécessitent d’en donner le sens : qu’il s’agisse d’un week-end régional pour des membres récents ou d’un week-end « y voir plus clair sur l’engagement » pour des membres anciens, l’information seule peut vite conduire à l’évitement.

22 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 10

Quelque chose pour moi Plus le responsable et l’accompagnateur auront intégré l’enjeu de ces propositions communautaires, mieux ils l’expliqueront et plus les membres se laisseront interroger. Mieux, ils verront aussi comment celles-ci peuvent nourrir la communauté locale là où elle en est. Par exemple, une réflexion sur les élections ouvrira des membres récents au sens de la vie communautaire, ou des membres plus anciens à ce qui est en jeu aujourd’hui pour la Communauté. L’attitude de chacun aide l’ensemble : vais-je me laisser questionner et risquer d’être déplacé ? Et s’il y avait là quelque chose pour moi… Vais-je écouter poliment ou questionner pour comprendre ce qui est en jeu ? Sinon pour moi, du moins pour l’autre, pour la Communauté ? Accueillir la parole de la Communauté de Vie Chrétienne dans nos réunions : et si c’était faire l’expérience d’un pas de plus en compagnonnage ?

6

Nadine CROIZIER


Mars 2011 23

Š Pascal Deloche / Godong


Se former

Au service de la pédagogie Des « découvertes spirituelles qui coulent dans les veines professionnelles », voilà l'expérience que fait Sophie, formatrice en pédagogie.

A

d’aujourd’hui et l’enrichir. Je travaille à la fois avec des laïcs et des religieux, hommes et femmes, permanents et vacataires. Nous avons chacun notre façon d’habiter le « mode de vie » ignatien et des compétences variées, tous au service de la communauté éducative des établissements.

nelle où j’apporte mes compétences à un milieu en vivante mutation structurelle, le désir aussi de mieux appréhender la complexité de l’univers scolaire de mes enfants, le désir enfin d’approfondir la manière de vivre les évangiles à l’école des Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola.

C’est un triple désir qui m’a amenée ici : le désir longuement mûri d’une reconversion profession-

Indéniablement, je suis déplacée par cette expérience. Physiquement déjà, je voyage parfois au © CEP Ignatien

Après dix ans dans le métier des Ressources Humaines en entreprise (riche expérience !) et un congé parental de six ans (intense période !), je suis depuis un an formatrice au Centre d’Études Pédagogiques Ignatien. Il s’agit de former à la pédagogie ignatienne des enseignants, des chefs d’établissement et des éducateurs, pour que l’esprit ignatien puisse s’incarner dans le monde scolaire

24 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 10


gré des formations demandées par les divers établissements ! Spirituellement, je découvre en moi les clefs de nouveaux dynamismes et les pierres d’incompréhension contre lesquelles je bute parfois. Je découvre « l’humilité active » : une attitude qui pour l’instant laisse hiberner mes compétences précédentes et m’invite à une écoute vigilante, à la construction de nouvelles relations professionnelles, à l’accueil de nouveaux collègues et des acteurs du milieu éducatif. J’ai osé poser des actes qui m’ont ouverte à des rencontres passionnantes : la directrice d’une école primaire met en œuvre un projet d’intériorité pour des enfants de 7-11 ans ; un professeur qui débute son cours par un exercice d’écoute contemplative pour toute sa classe ; je découvre avec enthousiasme que la spiritualité ignatienne ouvre à des expériences pédagogiques bien incarnées. Les paroles reçues de nombreux échanges retentissent en moi ; je pense notamment à ce conseiller principal d’éducation qui m’a confié que bien que non croyant, il considérait comme la chance de sa vie de travailler dans un univers scolaire ignatien. Mes découvertes spirituelles coulent dans mes veines professionnelles. « Dieu est présent en toute chose » : avec mes collègues, dans l’enthousiasme de préparer une session, dans la grande chance de recevoir leur richesse, notamment leur bienveillance et leur confiance, dans les échanges d’idées et de points de vue en-

tre formateurs, (en ce moment, nous travaillons beaucoup à définir l’accompagnement) mais aussi dans l’inquiétude de savoir si face à un groupe, je vais être à la hauteur, dans la rigueur bien particulière qu’exige la rédaction d’un programme de formation pour obtenir l’agrément d’un organisme financeur. Avec les professeurs ou les chefs d’établissement, je reste touchée quand ils s’approprient les exercices proposés et repartent de la formation en partageant au groupe que l’accent mis sur l’intériorisation les a marqués. Je distingue une vie en mouvement quand je vois un professeur d’anglais et un professeur de philosophie réaliser un projet pédagogique commun à partir d’œuvres cinématographiques. Je découvre un véritable dynamisme quand un professeur de théâtre et un professeur de gymnastique bâtissent une séance qui proposera aux élèves d’expérimenter l’art du mime. Je me dis souvent que le CEPI représente un lieu prophétique d’Église (même s’il n’est pas bien sûr le seul !). Là, je dois respecter le dynamisme des charismes des différents fondateurs et fondatrices et les faire vivre dans notre monde actuel ; Par ailleurs - et c’est surtout cette dimension qui me touche particulièrement j’apprends à nous reconnaître chacun(e), laïcs et religieux, à la fois dans notre personnalité et notre sensibilité. « Ajouter des jours à notre vie ne nous appartient pas, mais

ajouter de la vie à chaque jour nous appartient. » Telle est la devise de sagesse et d’espérance reçue avec des vœux pour 2011 qui rythme mon quotidien en ce moment. Sophie LASSAGNE

6

Le Centre d'Études Pédagogiques Ignatien Réseau fondé en 1946 par la Compagnie de Jésus, affilié au Jesuit European Committee for Secondary Education (JECSE).

Objectif

Faire vivre la pédagogie ignatienne dans les écoles, collèges et lycées de plus de 150 établissements français sous la tutelle de 8 congrégations de spiritualité ignatienne scolarisant 68 800 élèves environ.

Activités

•  formation : sessions nationales de 1 à 3 jours et sessions personnalisées en intra ou inter établissement ; • recherche; • animation; •  accompagnement d’équipes pédagogiques.

Contact

14 rue d’Assas 75006 PARIS Tél. 01 53 63 80 90 cep-ignatien@orange.fr www.reseaucep.net Mars 2011 25


Se former

Matteo Ricci

Matteo Ricci est connu pour sa connaissance de la culture chinoise et des sciences. Pour beaucoup, il est aussi l’un des pionners de l’inculturation. Hormis cette érudition et cette approche « missionnaire », très neuve pour l’époque, que pouvons-nous apprendre de sa vie ? Le P. Michel Masson, jésuite, directeur de l'Institut Ricci de Paris nous répond.

T

Paul aux Corinthiens (11,25-27) peut certainement s’appliquer à Matteo Ricci. Il s’est embarqué à Lisbonne un jour de mai 1578 pour rejoindre Goa en Inde. Trois bateaux avec leurs équipages, qui emmenaient des soldats, des officiers et leur femme, des prostituées, des esclaves africains et quatorze jésuites. Vous imaginez ! De temps en temps, ils organi-

saient des processions ou même jetaient des reliques à la mer pour demander à Dieu de les garder en vie lorsque les tempêtes faisaient rage ou qu’au contraire le manque de vent leur faisait craindre d’épuiser leurs ressources en vivre avant d’atteindre les côtes. Avant même d’avoir atteint les abords de la Chine, Matteo Ricci a failli échouer dans sa mission. © Selva / Leemage

« Trois fois, j'ai fait naufrage et je suis resté vingt-quatre heures perdu en mer. Souvent à pied sur les routes, avec les dangers des fleuves, les dangers des bandits. […] J'ai connu la fatigue et la peine, souvent les nuits sans sommeil, la faim et la soif, les journées sans manger, le froid et le manque de vêtements » Cet extrait de la 1ère lettre de saint

Matteo Ricci (1552-1610) et le lettré Xu Guangqi (1562-1633), baptisé en 1603, peinture du 17e siècle, cathédrale St Ignatius de Shanghaï

26 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 10


Plusieurs de ses compagnons sont arrivés malades.

Traverser les épreuves Une fois à Goa, il termine sa formation avant d’être ordonné prêtre à Cochin en 1582. En 1583, il s’installe d’abord à Macao (une enclave portugaise sur le sol chinois) avant de s’installer à Zhaoqing, tout près de Canton, dans le sud de la Chine. Dans cette région proche de la mer, la xénophobie est très forte : les Chinois craignent les pirates japonais, les Espagnols installés aux Philippines et les Portugais qui ont colonisé Macao. Leur pays attire bien des convoitises. Ricci achète une maison non sans mal et doit faire face régulièrement aux attaques de bandits. Sa présence est remise en cause à plusieurs reprises par les autorités chinoises. Il vit loin de ses compagnons au milieu d’un peuple à la culture tout autre. Il faut certainement des nerfs à toute épreuve pour endurer ce qu’il a enduré. Alors qu’il croit enfin pouvoir parvenir à la cour impériale et part pour Pékin, l’invasion de la Corée par le Japon, vient troubler la situation politique chinoise et Ricci doit s’arrêter à Nanchang. Découragé, il a une vision qui est comme une réplique de la vision de la Storta (voir encadré ci-contre). Il parviendra finalement à Pékin en 1601. Dix huit ans après son arrivée sur le sol chinois.

Discerner avant d’entreprendre Pour Valignano, son supérieur, les choses étaient simples. Il fallait

organiser une ambassade avec le Portugal pour aller voir l’empereur avec un ou deux missionnaires afin d’expliquer ce qu’était la religion chrétienne à l’empereur. L’empereur trouverait cela très bien et se convertirait. Matteo Ricci s’est rendu compte très vite que cette démarche était irréaliste et qu’il était plus important de parler avec les lettrés qui avaient un grand pouvoir politique. Au début Ricci s’est habillé en moine bouddhiste dans la mesure où l’habit noir des jésuites européens n’évoquait rien pour les Chinois. Au bout d’un moment Ricci réalise que les moines bouddhistes sont méprisés et décide alors de s’habiller comme un lettré mandarin. Notons que la décision n’était pas aussi claire qu’on veut bien le dire, car Ruggieri qui était son premier compagnon a longtemps été habillé comme un moine bouddhiste et il était très respecté, car il y avait aussi des moines lettrés. Ricci devait mener seul ce genre de discernement puisqu’à Rome personne n’avait idée de la situation. Il aura l’impression de ne pas accomplir grand chose, mais à sa mort, la Chine comptera quand même 2500 chrétiens. La grande majorité de ces chrétiens ne sont pas des lettrés et n’ont pas été évangélisés directement par Ricci mais par des disciples de Ricci. Voilà donc un homme qui aura enduré de grandes épreuves, mais qui avance avec constance, soucieux non pas de faire beaucoup de conversions en un coup, mais plutôt quelques conversions solides. Propos de Michel Masson Recueillis par Florence Leroy

La vision du lac P'oyang Alors que, pendant toute la journée, il avait songé à ce qu'il devait faire, il s'endormit. En cet assoupissement, il crut voir en songe un homme inconnu qui lui disait tout en cheminant : « Est-ce ainsi que tu vas vagabond par ce royaume avec le dessein d'abolir l'ancienne religion et d'en introduire une nouvelle ? » Le Père qui, à cette époque, se gardait bien de découvrir à personne son intention de répandre notre sainte loi, lui dit : « Vous qui le savez, il faut que vous soyez ou bien Dieu ou bien le démon ! » « Je ne suis pas le démon, dit celui qu'il pensait voir, mais Dieu. » Alors le Père, très tendrement, comme s'il avait rencontré celui qu'il désirait trouver pour verser ses larmes, se prosterna à ses pieds et dit : « Seigneur, puisque vous connaissez mon dessein, pourquoi ne m'avez-vous pas aidé jusqu’à présent ? » et il commença dévotement à pleurer en se tenant à ses pieds. Et le Seigneur se prit à le consoler en lui disant : « Allez directement dans cette ville, et je vous aiderai dans la cour royale » ; sur le moment Ricci crut que la ville montrée en rêve était Pékin, mais, plus tard, en revenant de Pékin, il rentrera dans Nankin conformément à ce qu'il voyait alors. Se réveillant làdessus, les yeux encore baignés de larmes, il raconta le songe à son compagnon Dominique Fernandez qui, lui aussi, était bien attristé par ces adversités, et Ricci le lui dit afin de le consoler parce que cela paraissait être plus qu'un songe.

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Extrait des Mémoires de Matteo Ricci par Nicolas Trigault Traduction Floride de Ricquebourg-Trigault

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Se former

!Petite biographie Matteo Ricci est né le 6 octobre 1552 dans une famille de notables de Macerata, petite ville d’Italie de la région des Marches, dont le chef-lieu est Ancône. Après trois ans d’études du droit à Rome, il entre à 19 ans au noviciat de la Compagnie de Jésus et développera au cours de ses études au Collège jésuite de Rome de grands talents dans des domaines très différents : la philosophie, les mathématiques, l’astronomie, l’art de fabriquer des mécanismes. Homme de la Renaissance, attiré par les nouveaux territoires récemment découvert, il demande à être envoyé en mission dans les Indes. Il embarquera en mai 1578 à Lisbonne pour Goa ; il restera trois ans dans les Indes, avant d’être appelé à Macao pour la mission de Chine, où il arrivera en août 1582. De nombreux missionnaires avaient tenté au cours des décennies précédentes d’entrer dans ce pays fermé pour y prêcher le christianisme, mais en vain ; le pays était fermé, ne laissait entrer des étrangers que pour faire du commerce à Canton et ce, deux fois par an. Toutefois, un autre jésuite, en accompagnant ces marchands, avait gagné l’estime de magistrats de Canton qui acceptèrent sa demande de s’établir sur le territoire chinois. Matteo Ricci était appelé à Macao pour être son compagnon en Chine. Les deux religieux s’installent dans la ville de Zhaoqing, capitale administrative de deux provinces du Sud. Ils portent le froc bouddhiste, ils s’accoutument aux us et coutumes chinois, font connaissance des magistrats de la ville, suscitent leur curiosité et intérêt par des cadeaux sortant de l’ordinaire ; ils

reçoivent du peuple le traitement réservé aux bonzes ; mais se produisent aussi des incidents où ils sont pris à partie. En 1589, Matteo Ricci aura à quitter Zhaoqing pour s’installer à Shaozhou, toujours dans le sud de la Chine, accompagné d’un autre compagnon. Ricci y continue l’apprentissage du chinois, commence l’étude des classiques confucéens, sans se livrer à une prédication directe ; il vise en effet à atteindre Pékin pour y rencontrer l’empereur et lui demander l’autorisation de prêcher dans le royaume. Sa renommée attire des interlocuteurs intéressants et intéressés par ce que cet Occidental peut apporter à la Chine ; c’est un jeune homme qui lui suggère de prendre l’habit des lettrés, c’est un vice-ministre des Rites qui s’intéresse à ses connaissances en astronomie et à la refonte du calendrier qui lui fait partir des problèmes d’établissement du calendrier. Un personnage influent invite Ricci à l’accompagner à Pékin, mais l’invasion de la Corée, tributaire de la Chine, par un shogun japonais, contrecarre le projet, et le religieux italien s’installe en avril 1595 dans une capitale provinciale, Nanchang. Il y fait la connaissance de cercles de lettrés, qui discutent de questions de cosmologie, d’éthique et dont Ricci ne tarde pas de faire partie. Il se présente comme un lettré d’Occident et développe ses points de vue originaux. Trois ans plus tard, il est invité à résider à Nankin, l’une des deux capitales de la dynastie, où il rencontre des fonctionnaires qui coopéreront avec lui dans la traduction d’ouvrages huma-

28 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 10

nistes et scientifiques et se convertiront au christianisme. Après un voyage mouvementé, Ricci arrivera finalement à Pékin où il ne tardera pas à comprendre qu’il ne rencontrera jamais l’Empereur. Il traduira une dizaine d’ouvrages, rencontrera de nombreux visiteurs attirés par sa réputation. Il s’éteindra le 11 mai 1610 et sera enterré dans un lot de terre accordé par l’Empereur à « l’occidental qui était devenu chinois ». Quelques pages de l'Histoire dynastique des Ming lui seront consacrées et certaines de ses œuvres figureront dans l’Encyclopédie impériale des Qing. Avec l’aimable autorisation de www.matteo-ricci.org

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à lire

•  Michel Masson. Matteo Ricci, un jésuite en Chine. Éditions facultés jésuites de Paris. •  Michela Fontana. Matteo Ricci, un jésuite à la cour des Ming. Salvator. •  An Huo. Lettres à Matteo Ricci. Bayard.

à voir

•  L’exposition « Matteo Ricci (1552-1610), pionnier des échanges scientifiques ChineEurope ». •  Du 10 au 26 mars : Chapelle de l’Immaculée à Nantes. •  Du 14 mars au 2 avril : Bibliothèque Univ. Vercors au Mans. •  Du 5 au 19 mai : église Saint Jean-Berchmans à Bruxelles. www.institutricci.org


Propositions de la Communauté de Vie chrétienne RETRAITE FAMILLES

PREMIERS PAS EN COMMUNAUTÉ À LA SUITE DU CHRIST Du 17/07/2011 au 23/07/2011 Lieu : Centre spirituel de Penboc'h (Morbihan)

Droits réservés

6 jours de retraite et détente en famille (parents et enfants ; grands-parents et petits-enfants) : • Pour les adultes : alternance quotidienne de silence et de détente sur le mode de la vie ordinaire, accompagnement personnel, indications pour la prière données en commun. • Pour les enfants (de 0 à 12 ans) : à travers des activités adaptées à leur âge pour les plus de 3 ans, les enfants vivront une expérience spirituelle, guidés par une équipe d’animation. L’accueil des plus petits est possible. Les adultes et les enfants vivent séparément jusqu’à 17 heures. Les fins d’après-midi sont consacrées à un temps de détente communautaire.

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Se former

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Session pour les membres de la CVX

© Philippe Noisette / CIRIC

Expérimenter la Communauté

Du 10/07/2011 au 17/07/2011 Lieu : Centre spirituel de Penboc’h (Morbihan)

6 jours de session et de détente communautaires. Pour des personnes seules ou en couples, avec ou sans enfants. Les enfants de 3 à 12 ans sont pris en charge séparément avec une expérience spirituelle proposée. L’accueil des plus petits est possible. La session propose une expérience communautaire qui permet de vivre les composantes essentielles de la vie d'une communauté locale, tout en ouvrant à plus large qu'elle.

RETRAITES OUVERTES À TOUS

UNE ENTRÉE DANS LE MYSTERE PASCAL Du 15/07/2011 au 24/07/2011

D.R.

Lieu : Centre spirituel St Hugues de Biviers (Isère)

Pour ceux qui ont déjà vécu les Exercices spirituels avec une expérience de prise de décision. 8 jours en solitude avec accompagnement personnel, afin de prendre du temps pour contempler le Christ dans sa Passion et sa Résurrection. Parcours équivalent à la 3e et 4e semaine des Exercices spirituels de Saint Ignace.

UNE ENTRÉE DANS LES EXERCICES Du 24/07au 30/07 et du 14/08au 20/08/2011 Lieu : Centre spirituel St Hugues de Biviers (Isère)

D.R.

5 jours de retraite, pour prendre du temps, pour prier avec la Parole de Dieu, pour goûter et sentir, à la fois seul et en communauté, en silence avec accompagnement personnel. « Oser se séparer pour recevoir davantage. »

« POUR MIEUX CONNAÎTRE LE CHRIST AFIN DE MIEUX L’AIMER ET LE SUIVRE » Du 13/08/2011 au 21/08/2011

© Corinne Mercier / CIRIC

Lieu : Centre Spirituel du Hautmont (Nord)

Pour ceux qui ont déjà vécu des retraites avec accompagnement personnel. 7 jours de retraite avec accompagnement personnel afin de prendre du temps pour contempler la Christ dans son humanité. Parcours équivalent à la 2e semaine des Exercices spirituels de Saint Ignace.

Pour s'inscrire à ces retraites :

Tract téléchargeable sur www.cvxfrance.com Contact : 01 53 36 02 25 - formation@cvxfrance.com

30 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 10


Centres spirituels ignatiens Qu’ils soient animés par les laïcs de la CVX, les Jésuites, les Sœurs du Cénacle ou de St Joseph, les Religieuses du Sacré-Cœurs, les Sœurs du Christ, vous y trouverez sûrement la proposition qui vous convient : retraites ou sessions, les propositions sont nombreuses et variées. EN FRANCE LE HAUTMONT (Lille) Tél : 03 20 26 09 61 Site : www.hautmont.org SAINT HUGUES DE BIVIERS (Grenoble) Tél : 04 76 90 35 97 Site : www.st-hugues-de-biviers.org LA BAUME (Aix-en-Provence) Tél : 04 42 16 10 30 Site : www.labaumeaix.com LE CHÂTELARD (Lyon) Tél : 04 72 16 22 33 Site : www.chatelard-sj.org LES COTEAUX-PAÏS (Sud-Ouest) Tél : 05 62 71 65 30 Site : coteaux-pais.net MANRÈSE (Clamart) Tél : 01 45 29 98 60 Site : www.manrese.com

• LA LOUVESC (Ardèche) : Tél: 04 75 67 83 01 Un seul site pour ces deux centres : www.ndcenacle.org/soeurs/pages/propositions.htm

EN SUISSE NOTRE DAME DE LA ROUTE (Fribourg) Tél : +41 26 409 75 00 Site : ndroute.ch

EN BELGIQUE LA PAIRELLE (Namur) Tél : +32 81 46 81 11 Site : www.lapairelle.be

pour retrouver toutes ces adresses d’un seul clic :

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www.jesuites.com/actu/retraites/index.html

PENBOC’H (Vannes) Tél : 02 97 44 00 19 Site : penboch.fr CENTRE SOPHIE BARAT (Joigny) Tél : 03 86 92 16 40 Site : centre.barat.free.fr

PRIEURÉ SAINT-THOMAS (Épernon) Tél : 02 37 83 60 01 Site : www.soeursduchrist.fr LES CENTRES NOTRE-DAME DU CÉNACLE • VERSAILLES Tél: 01 39 50 21 56

© Corinne Mercier / CIRIC

MAISON SAINT JOSEPH DE VANOSC (Ardèche) Tél : 04 75 34 62 95 Site : accueilstjoseph-vanosc.cef.fr

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Ensemble faire Communauté

Une formation intégrale

Dans le dernier numéro de la revue, nous présentions quelques exemples des formations proposées par la Communauté. Mais l’Équipe service formation (ESF) a d’autres projets en construction.

À

À la fin de son intervention à l'assemblée mondiale de Fátima en 2008, le Père Adolfo Nicolás, Supérieur général de La Compagnie de Jésus, et Assistant mondial de la Communauté de Vie Chrétienne, rappelait l'Importance prioritaire de la formation pour tous, et notait ceci :

« Nous devons travailler ensemble pour une formation en profondeur. Une formation qui comportera, naturellement : théologie, psychologie, anthropologie… tout ce qui aide les individus à croître comme personnes et comme personnes croyantes, amoureuses. » Ces paroles nous invitent maintenant à trouver une manière d'inciter chacun à cette démarche de formation pour lui-même. Au-delà des formations que propose la Communauté, faire que chacun puisse construire son propre chemin de croissance. En s'ouvrant à toutes les dimensions de sa vie : spirituelle, humaine, sociale, en vue de « rechercher l'unité de leur vie, en réponse à l'appel du Christ » (PG 4) et afin de « devenir des travailleurs plus compétents et des 32 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 10

témoins convaincants » (PG 12b). Certains passages de l'Évangile peuvent être entendus comme une invitation de Jésus lui-même à nous former, comme celui-ci : « Allez apprendre ce que signifie “C'est la miséricorde que je veux, et non le sacrifice” » (Mt 9, 13) en approfondissant l'Écriture. Les formateurs de la Communauté, réunis au mois de novembre, ont eu l'occasion de faire connaissance avec le document mondial Processus de croissance en CVX. Des pistes sont proposées pour ouvrir plus largement la formation, telles par exemple :

• Aider

chacun, s'il le désire, par un point fait de temps en temps sur son chemin dans la CVX, avec un plus ancien dans la Communauté.

• Mieux

utiliser les richesses proposées par les Centres spirituels de la communauté, en développant avec eux une collaboration plus étroite.

• Ouvrir la formation à d'autres

champs que ceux dont il est habituellement question dans la communauté, en explorant les partenaires possibles, en variant les propositions.

Il y a trois dimensions à notre vocation CVX : spirituelle, communautaire, apostolique. Tout en continuant à animer et améliorer les formations que nous proposons dans les deux premières, nous souhaitons que la formation à la dimension apostolique soit aussi bien présente dans le chemin de croissance de tout membre. Jean LACOUR Responsable de la formation pour la CVX France

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Le service comme participation à la vie de Dieu

D

Dès la première heure de sa vie publique, le Christ a voulu que des hommes soient associés à sa mission. Jean nous rapporte que dès son baptême, il a accepté que des hommes le suivent et voient où il demeurait. Il leur a proposé de vivre de la même dynamique que lui. Il n’a eu de cesse de leur faire vivre une sorte de transitivité : la communion qu’il vivait avec le Père dans le mouvement de l’Esprit, il les a invités à la vivre entre eux : « Comme toi, Père tu es en moi, et moi en toi, qu’en nous eux aussi soient un » (Jean 17,21). La Bonne nouvelle est là : nous sommes invités à ne faire qu’un avec le Père et le Fils et à vivre pour le monde ce que le Christ a vécu. Dans l’évangile selon Matthieu, l’envoi en mission des douze a lieu après le Sermon sur la montagne, mais dans l’évangile selon Luc l’envoi a lieu avant la plupart des enseignements de Jésus. Il les envoie alors qu’ils sont manifestement très mal formés. Et

c’est à leur retour qu’il élargit le cercle pour en envoyer soixantedouze (Luc 10, 1-9). Il les envoie deux par deux en avant de lui dans les villes où il va aller. Deux par deux : la dimension relationnelle est posée d’emblée, il ne s’agit pas d’une affaire individuelle. Devant lui : ils sont mis en situation de précurseurs, pour annoncer que « le règne de Dieu est tout proche », pour préparer les personnes à la venue de Jésus. Ils agiront au nom d’un autre, ils mettront en œuvre leurs capacités au nom d’un autre.

Participer à la mission du Christ « À leur retour, les apôtres lui racontèrent tout ce qu’ils avaient fait. Les prenant avec lui, il se retira à l’écart, vers une ville appelée Bethsaïde. Mais les foules ayant compris, partirent à sa suite. » Suivent de nouvelles guérisons et la multiplication des pains au cours de laquelle il associe encore ses disciples : il leur demande de faire asseoir la foule

© Gilles Rigoulet / CIRIC

Les élections pour renouveler les équipes services régionales approchent. Quel est donc le service auquel nous invite le Christ ? Les apôtres ont suivi Jésus, mais ce n'est que peu à peu qu'ils découvriront le sens véritable de la vie en Dieu.

Comme un agneau au milieu des loups

et il leur donne les pains pour qu’ils « servent la foule ». Puis Jésus se retire à l’écart avec eux et leur pose la question : « Pour vous, qui suis-je ? », ce à quoi Pierre répond : « Tu es le Christ de Dieu » (Luc 10,20). Il est vraiment le Christ, le Messie, celui que l’on attendait depuis des siècles. Pierre le croit non seulement parce qu’il voit Jésus faire ce qu’il dit, mais il le croit parce qu’il leur donne de participer à sa

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Ensemble faire Communauté

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mission. Le Messie n'est pas un héros solitaire. Il associe ses disciples à sa mission et à son être au monde et au Père. L’épisode de Pierre qui marche sur les eaux est révélateur à cet égard (Matthieu 14,22-33). « Ordonne-moi de venir à toi… » Comment Pierre a-til pu avoir l’audace de demander à Jésus de lui ordonner de venir le rejoindre sur la mer si ce n’est parce qu’il savait que le Christ n’avait qu’un désir : que d’autres partagent sa condition, sa manière d’être au monde, son pouvoir, même lorsqu’il se manifeste de la façon la plus extraordinaire.

Comme un agneau au milieu des loups Aussitôt après la confession de Césarée, il commence à le leur apprendre, en leur annonçant par trois fois sa passion et sa résurrection ; il n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude ; il sera comme un agneau au milieu des loups, et il les envoie comme des agneaux au milieu des loups. Non pour dominer mais pour servir en dominant le mal, non les hommes.

1 Martin Pochon est l'auteur de L'offrande de Dieu (voir encart broché en fin de revue).

Les disciples n’arrivent pas à comprendre cette loi constitutionnelle du Royaume qu’est le service, ils ne comprennent pas ses implications concrètes. Ils ne comprennent pas les annonces de la Passion. Comment, lui qui a un tel pouvoir et une telle parole, pourrait-il être maudit par les hommes ? Luc nous dit qu’à la Cène, ils se disputent encore

pour savoir qui est le plus grand, et Jean tiendra à remplacer la Cène par le lavement des pieds pour délivrer le message central du Royaume : moi, le maître, je suis au milieu de vous comme celui qui sert. C’est à cette occasion que le Christ prescrira le seul vêtement de type liturgique de tout l’Évangile : le tablier de serviteur. Même après la résurrection ils n’auront pas encore compris que rien ne se fera sans eux : à l’Ascension ils demandent : « quand vas-tu rétablir le royaume d’Israël ? Il faudra la Pentecôte pour que, tout à coup, comme sous l’effet d’une violente tempête et d’un feu brûlant, ils deviennent ensemble ce qu’ils étaient appelés à être depuis le commencement, ce qu’ils avaient commencé à être sans pouvoir renoncer à leurs querelles, à leurs ambitions, à leurs fantasmes de domination, briguant les places des « grands de ce monde » (Marc 10, 35-45). Après la Pentecôte, ils découvriront que si certains sont chargés d’être particulièrement attentifs au service des tables, aux veuves de la communauté, ce service ne peut en rien distraire ceux qui en sont chargés, de l’annonce du Royaume, au contraire.

Servir gracieusement Le service ne trouve pas sa fin en lui-même. Le Christ nous met brutalement en garde contre cette dérive possible : « De même vous aussi, quand vous aurez fait tout ce que Dieu vous a commandé, ditesvous : 'Nous sommes des serviteurs quelconques : nous n'avons fait que notre devoir » (Luc 17, 7-10).

34 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 10

Cette sentence peut apparaître comme une disqualification du service et de la « loi constitutionnelle du Royaume ». Elle n’a d’autre but que de nous dissuader de faire du service un moyen de pression sur les autres. Le service de l’autre ne me donne aucun droit sur lui. Nous ne pouvons rien exiger en retour des services rendus. Le Royaume de Dieu n’est pas celui du donnant-donnant, c’est celui de l’amour et de la gratuité, de la grâce, de la reconnaissance libre. Il s’agit de vivre dans l’écoute du désir de l’autre, de se risquer dans une confiance en l’autre et de permettre la confiance de l’autre. Il s’agit de tisser une communauté par des liens de confiance mutuelle. Le Christ ne s’est pas mis au service des personnes qu’il rencontrait pour obtenir d’elles d’être servi en retour. Si, aujourd’hui nous rendons grâce au Christ, c’est en toute liberté, et ce que nous souhaitons lui exprimer, c’est la reconnaissance de notre cœur face à l’amour dont il nous a aimés, un amour qui n’exigeait rien pour luimême et qui nous a devancés. L’obéissance et le service ne peuvent donc être formels, ils sont d’abord une attention à l’autre et à la communion qui unit les personnes et leur permet de vivre du même Esprit, l’Esprit d’amour qui procède du Père et du Fils et qu’ils nous ont envoyé.

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Martin POCHON sj1

Extrait d'une conférence disponible sur le site de la revue


Paroles de sortants Catherine et Emeric termineront leur mandat en équipe service régionale dans quelques mois..

Des pas…

I

Emeric : Il y a 4 ans, j’ai eu la surprise d’être parmi les « nominés », même si je m’y attendais un peu car certains me disaient avoir pensé à moi. Catherine : Moi aussi, il m'a fallu entendre cet appel, et c’était le premier pas à faire. Emeric : Je sens bien que c’est un service prenant, cela me fatigue d’avance. Sans compter que j’ai déjà donné en étant chef de groupe scout avec ma femme, ce qui n’a pas été facile pour le couple et la famille. Est-ce donc bien rai-

sonnable ? Mais, si je ne me sens pas fait pour l’accompagnement, c’est peut-être dans des aspects plus pratiques que je peux rendre à CVX un peu de ce qu’elle m’a apporté pour ma vie. Catherine : Ma plus forte résistance vient de mes peurs : Je ne me sens pas compétente pour réfléchir sur des enjeux qui me dépassent, prendre des décisions, (si difficile pour moi), et puis… parler en public, redoutable ! Sans parler de cette « spiritualité ignatienne » que je découvre petit à

…pour le service Catherine : Ces années ont beaucoup participé à ma croissance spirituelle. Ne le dites pas, mais avant d’arriver à l’ESR, je n’ai fait qu’une retraite selon les Exercices, et je n’ai pas goûté à l’accompagnement personnel. J’en ressens la nécessité et les bienfaits. Cela porte des fruits dans mon service à l’ESR (je sais mieux m’abandonner et faire confiance à l’Esprit), mais aussi dans ma vie quotidienne. Mon désir profond d’être au service se réalise pleinement en ESR ; c’est bien là que le Seigneur m’attendait. Et je comprends mieux ce titre d’un

« supplément » Vie Chrétienne : « Quand le désir de Dieu rejoint le désir de l’homme »3… Emeric : Ce qui est très agréable, c’est la bienveillance qui existe en ESR. Pas d’enjeu de pouvoir, chacun à sa place, la parole circulant tranquillement ; certains en font plus que d’autres, mais chacun se sent impliqué et soutenu. J’ai à faire des choses que je n’ai pas l’habitude ou n’aime pas faire, comme donner plein de coups de téléphone… pour appeler les gens à un service ; je n’y ai pas pris

petit depuis sept ans en CVX… à peine l’âge de raison. En plus, je suis chargée d’accueil depuis un an, et j’aime cela. En partant pour l’ESR, il me faut donc y renoncer. Surprise : cela se fait sans douleur ; l’indifférence ignatienne1 commencerait-elle à germer ? Enfin, j’ai à faire des choix dans mon agenda pour aller au plus universel2 sans pour autant laisser tomber mes autres engagements, amis et famille. Quand je reprends un travail l’an dernier, j’ai à me réadapter mais cela peut se faire avec le soutien de toute l’équipe.

goût, mais cela me fait grandir. J’ai plaisir à mettre à disposition mes compétences ; je m’enrichis auprès des membres de l’équipe avec leur discernement, leur profondeur, leur enthousiasme ou leur capacité à se décentrer. Tout n’est bien sûr pas parfait ; en plus de la disponibilité demandée, voir CVX de près sous l’angle organisationnel perturbe parfois les raisons profondes qui me font membre de CVX.

1 Indifférence ignatienne : référence au Principe et fondement des Exercices spirituels : « de telle manière que nous ne voulions pas davantage la santé que la maladie, la richesse que la pauvreté, l’honneur que le déshonneur, une vie longue qu’une vie courte et ainsi de suite pour tout le reste » 2 Principes Généraux de CVX 8c

3 Isabelle Parmentier. Appelés ? Quand le désir de Dieu rejoint le désir de l’homme. Éditions Vie chrétienne

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Catherine ERNST Emeric de GAILLARD Région lyonnaise

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Ensemble faire Communauté

Échanges avec la CVX de Taïwan De plus en plus de membres de la CVX France profitent d’un séjour à l’étranger pour rencontrer la CVX locale. Après Hong Kong, voici Taïwan.

N

Nous cherchons des interlocuteurs pour les découvrir mieux, et connaître un peu moins superficiellement la vie de leurs habitants. C’est ainsi que nous avons pris contact en 2009 avec des membres de la CVX de Hong Kong. 1 Nouvelle revue Vie chrétienne n° 9.

2 La CVX est interdite en Chine continentale.

Comme Christine Beaude1 vient de vous raconter ses rencontres dans cette ville assez incroyable, nous allons plutôt évoquer notre première rencontre en 2010 avec d’autres compagnons de la CVX, à Taïpei, sur l’île de Taïwan2.

Au départ, des rencontres personnelles Ce premier contact a été très rapide, trop rapide. Nous avions l’adresse de la CVX de Taïwan par le site de la Communauté et nous

Droits réservés

Notre fils travaille en Chine depuis plus de trois ans. Il vit à Shenzhen (zone économique spéciale de la République populaire), à côté de Hong Kong. Son contrat de travail chinois lui laisse peu de congés ! Nous allons donc lui rendre visite trois semaines chaque année et en profitons pour visiter quelques villes et régions différentes chaque fois.

avions dit que nous venions dans l’île, et que nous serions heureux de rencontrer, si c’était possible, des membres de la communauté taïwanaise. Mais c’était début mai 2010, et notre voyage a été raccourci par les nuages de cendres du volcan islandais au nom imprononçable… Ce qui a vraiment facilité les échanges, (à la différence de Hong Kong, peu de nos compagnons taïwanais parlent anglais) c’est qu’une des personnes de la CVX de Taïpei, nommée Rose Marie, a vécu et travaillé longtemps à Bruxelles, et parle donc bien le français (car à la différence de Hong Kong, peu de nos compagnons taïwanais par-

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lent anglais, et le chinois nous reste inaccessible…). Elle travaille maintenant au consulat de France à Taïpei. Elle est responsable de la revue CVX de Taïwan… Nous sommes aussi sollicités pour un article là-bas ! Nous avons visité les bureaux de la CVX qui est très en lien avec les jésuites chinois et européens qui y vivent assez nombreux. Puis quelques membres de la CVX et un père jésuite nous ont invités à dîner ; en Chine, on reçoit au restaurant. La bonne cuisine et les repas sont un lieu de très grande proximité culturelle entre Chinois et Français…


Nous avons demandé si la CVX de Taïwan vit une mission communautaire. Nous avons appris que beaucoup de membres sont concernés par le soutien du mariage, dans une société très ouverte, très différente de celle de la Chine populaire. Nous avons été invités à revenir, à visiter Taïwan plus longuement et comptons bien le faire cette année, car nous retournons en Chine fin mars début avril.

Entre-temps, notre communauté locale a souhaité engager une correspondance avec une communauté locale chinoise, à Hong Kong ou à Taïwan.

semble la moitié des membres de notre communauté locale, en des lieux divers (habitat, intégration des Roms, santé, accueil des demandeurs d’asile…).

Et c’est la communauté « Pan Shi » (« rocher » en français), de Taïpei qui nous a répondu !

Pour nous, le premier déplacement de ces échanges et rencontres, c’est que nous avons trouvé un nom pour notre communauté locale nantaise !

Des échanges entre communautés locales Nous avons donc commencé à nous écrire… En français, grâce à l’aisance de Rose Marie dans notre langue ! Nous venons de nous présenter, photos à l’appui… Nous en avons reçu aussi : et voilà nos compagnons et amis de la CL Pan Shi de Taïpei (photo). Notre deuxième lettre expose nos engagements au service des étrangers, qui ras-

Se présenter à des compagnons chinois en disant « nous sommes la CL 7 ou la CL 9 ou la CL 21 de Nantes… » cela devenait très insatisfaisant. Nous avons choisi de nous appeler désormais la communauté « Chêne de Mambré » en rappel de l’accueil d’Abraham… « Grâce à l’hospitalité, certains, sans le savoir, ont accueilli des anges… » (Hébreux, 13, 1-2).

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BERNADETTE et HERVÉ

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Pendant le repas – un succulent canard laqué, nous n’y avions pas encore goûté ! – Rose Marie a sorti… la liste des formations de la CVX France, et il y a eu un échange nourri à ce sujet en quatre langues : chinois, anglais, allemand et français ! Les week-ends « Un pas de plus », « Pour y voir clair » ne devraient plus avoir de secrets pour nos hôtes…

Mars 2011 37


Ensemble faire Communauté

Ensemble malgré tout

Lorsque l’Équipe Service Nationale a invité l’équipe mondiale (ExCo1) à tenir sa réunion annuelle au Hautmont en février 2011, tout semblait facile. En effet, quoi de plus naturel qu’une invitation ?

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Effectivement, si je suis membre de la CVX France, et que je suis invitée pour une rencontre CVX internationale au Liban, au Kenya ou en République Démocratique du Congo, pas de problème, une demande de visa à l’ambassade, sur simple présentation de mon passeport et de mon billet d’avion et le tour est joué.

Là où les choses se compliquent, c’est en sens inverse : si j’habite au Congo, au Kenya ou au Liban et que je suis invitée à venir en France, ce qui est le cas de trois membres de l’équipe mondiale, alors, le parcours du combattant commence : il faut un invitant qui montre « patte blanche » ; une première fois, il se présente en mairie pour connaître les formalités à suivre ; bien sûr, une simple attestation du Hautmont certifiant que les personnes y seront

hébergées ne suffit pas ; il faut un invitant personne physique, en lien avec le Hautmont. Une deuxième fois, il revient avec ses trois derniers bulletins de salaires, sa pièce d’identité, le descriptif de son logement avec le nombre de m2, une quittance d’électricité, sa feuille d’impôt et une lettre expliquant la raison de son invitation ; tout content il croit que c’est bon ! et bien non ! Surtout ne pas s’énerver : même si la loi française précise que le numéro de passeport de l’invité suffit, il se peut bien que la mairie fasse du zèle et demande la photocopie du passeport, et nous voilà repartis en quête des documents auprès de nos invités… Une fois les photocopies récupérées, ça y est le dossier est complet, et bienheureux êtes-vous, si en sortant de la mairie, vous croisez par ha-

sard une amie adjointe au maire à qui vous recommandez vivement d’appuyer la demande d’hébergement déposée si précieusement. Égalité des droits de l’homme ? Comme disait Coluche : « il y a des gens qui sont plus égaux que d’autres… » C’est ce parcours que j’ai dû faire pour que l’ExCo mondiale puisse se réunir au Hautmont en février, en priant le ciel qu’un nouveau problème ne surgisse pas dans le pays de chaque invité ! En me heurtant concrètement aux murs qui nous séparent et nous isolent dans nos sécurités, cela m’a ouvert les yeux sur une réalité que je ne connaissais qu’en théorie et dont je ne soupçonnais pas l’ampleur. Céline VERLEY

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Présidente du Centre spirituel du Hautmont (Nord)

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1 Executive Council ou Conseil Exécutif. Il est composé d’un Australien, d’une Libanaise, d’une Kenyane, d’un Congolais, d’un Maltais, d’une Allemande, d’une Américaine et d’un Mexicain. En font également partie le vice-assistant mondial, de nationalité indienne, et le secrétaire exécutif, de nationalité péruvienne.

De gauche à droite : Jean-Paul Biruru, Franklin Ibañez, Chris Micallef, Luke Rodriguez, Mauricio Lopez, Edel Churu, Sofia Montañez (secrétariat mondial), Daniela Franck, Rita El Ramy, Alberto Brito (ancien vice-assistant mondial), Lois Campbell et Christopher Hogan.

38 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 10


Billet

© Vincent / Sanctuaires Lourdes / CIRIC

Les métaphores de la parole

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Aux êtres baignés dans la parole que nous sommes, il manque paradoxalement les mots pour expliquer la parole même, ce qu’elle fait en nous et la manière dont elle chemine. Nous n’avons que les métaphores, ces images qui incarnent l’imaginaire, ces transferts dans le concret et le sensible de l’indicible.

La proclamation du Royaume : Jésus soigne un malade (Mystère Lumineux), Mosaïque de Marko Ivan Rupnik, Lourdes

On parlera de paroles qui ont du poids, de paroles légères, de paroles douces et apaisantes, ou menaçantes. C'est-à-dire que l’on donne à la parole, par le jeu de l’adjectif, le sentiment de celui qui les prononce ou les reçoit. Ce sont des images, car en tant que tels les mots prononcés n’ont de poids, de légèreté, de douceur ou de menace, que pris dans une situation de communication donnée. Ainsi Homère dans l’Odyssée parle-t-il souvent de « paroles ailées », par exemple au chant V, quand Calypso répond à Hermès. Dans notre univers, comment traduire cette impression de paroles qui sortent de la bouche comme un oiseau ? Comment dire la grâce, l’envol, la légèreté que peuvent procurer sur nous certains discours ? Combien de mots prononcés dans une journée ? Dans une année ? Dans une vie ? Combien en reste-t-il si l’on fait le compte de ce qui justement compte ? « Verba volent, scripta manent » dit le proverbe latin (les paroles s’envolent, les écrits restent) et pourtant certaines paroles demeurent inscrites en moi. Les mots que je t’ai dits et ceux que tu as prononcés le jour de notre mariage. Paroles qui ont du sens, qui nous ancrent, elles sont au mitan de notre relation. Comme l’ancre posée au fond de l’eau et qui permet au voilier de tenir au mouillage, nous tournons autour suivant le sens du vent, mais nous demeurons dans la fidélité à la parole donnée. Paroles blessantes et dont je ne peux me défaire, alors que justement je voudrais les oublier. Si je les laisse galoper dans mon imaginaire, elles font le bruit d’un troupeau de petits chevaux sur une terre gelée. Si je cherche à les enfouir dans l’oubli, elles font des galeries dans la terre de mes jours. Alors il faut plutôt les apprivoiser, parler de ces mots, de ce qu’ils ont fait en moi, oser dire à mon tour et non les enfermer dans des jugements ou des reproches. Ils cessent alors de piétiner et de piaffer de mon cœur. La métaphore, au sens propre est un transport, du grec μεταφορά. Par l’image qu’elle nous propose elle nous embarque dans un champ lexical différent, nous permet de tâtonner et d’élargir notre perception de la communication. La métaphore nous rend attentif à nos émotions et quand elle est vivante elle nous permet d’inventer notre propre rapport à la langue. Toute chose que le Christ nous invite à faire dans le dialogue qu’il tisse avec nous. Corine ROBET Mars 2011 39


Prier dans l'instant … En regardant un flash mob C’est un samedi de novembre dans un centre commercial américain. Au cœur de celui-ci, un fast-food bien rempli. Des clients y boivent un soda ou mangent un sandwich dans un restaurant avec, en bruit de fond, la musique de Jingle Bell jouée au piano par un homme déguisé en père Noël. Soudainement, une jeune femme, occupée à consommer une glace, se lève et entonne le Hallelujah d’Haendel. Elle est bientôt suivie par un, deux puis une trentaine de choristes qui se dressent les uns après les autres. Leurs visages sont souriants, détendus, comme s’ils faisaient la chose la plus naturelle du monde. Les clients d’abord surpris se mettent à sourire et à sortir leurs appareils photos. À la fin du morceau, ils applaudissent à tout rompre. La foule anonyme des consommateurs s’est transformée en une communauté, réunie dans une même émotion. 1 Aller dans YouTube et taper : “Christmas Food Court Flash Mob, Hallelujah Chorus”

Ce flash mob, réalisé par une chorale chrétienne, visionnable sur internet1, n’avait pas pour but de porter une revendication ou de faire connaître une cause, fût-ce-t-elle chrétienne. Il cherchait à offrir gratuitement du beau. Seigneur, je n’ai pas eu la chance jusqu’à présent d’assister à ce genre d’événements en faisant mes courses. Mais je te rends grâce pour ces chrétiens, qui font advenir quelque chose de ton royaume dans les lieux de la vie la plus quotidienne, que ta présence, à travers eux, transfigure. Je crois que lors de ta venue, tu viendras donner un sens nouveau à toutes nos activités et constructions humaines. Je te rends également grâce car tu es comme un souffle imprévisible. Tu te manifestes au moment et à l’endroit où nous ne t’attendons pas. Charles MERCIER

Nouvelle revue Vie Chrétienne – Mars 2011


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