Vie chrétienne Nouvelle revue
C h e r c h e u r s
d e
D i e u
•
P r é s e n t s
a u
M o n d e
B I M E S T R I E L D E L A C O M M U N A U T É D E V I E C H R É T I E N N E E T D E S E S A M I S – N º 1 1 – mai 2 0 1 1
La méditation Lire les Actes des Apôtres
En mai, fais ce qu'il te plaît !
Sommaire
éditorial l'air du temps ~ Henri Madelin
3 4
chercher et trouver dieu
En mai, fais ce qu'il te plaît !
NOUVELLE REVUE VIE CHRÉTIENNE Directeur de la publication : Dominique Léonard Rédactrice en chef : Florence Leroy Comité de rédaction : Marie-Élise Courmont Marie Emmanuel Crahay Yves de Gentil-Baichis Dominique Hiesse Paul Legavre sj Barbara Strobel Comité d'orientation : Marie-Agnès Bourdeau Marie-Denise Cuny Noëlle Hiesse Catherine Mercadier Béatrice Mercier Armelle Moulin Administration : Martine Louf Conception graphique : Raphaël Cuvelier Un coin de ciel bleu Photo de couverture : © Barbara Strobel Impression : Corlet Imprimeur, Condé-sur-Noireau
Témoignages Libre jusqu’où ? Véronique Margron La Syrophénicienne Antoine de Vial L’appel. Un intrus qui dérange ? Isabelle Parmentier Le babillard se former La méditation Claude Flipo Préparer des jeunes au mariage Hélène et Paul-Marie Chavanne Les Actes des Apôtres. 1 Discerner Odile Flichy L’action sociale Jean-Marie Carrière Une idée pour vivre l’été Hélène Castaing ensemble faire communauté Université d’été de la CVX Exercices complets P. Legavre, M. Le Poulichet On a changé ma région La CVX en Égypte Cuba un an après Billet Carla m’a dit… Philippe Robert prier dans l'instant En m’assayeant pour risquer une parole Dominique Pollet
ISSN : 2104-550X 47 rue de la Roquette 75011 Paris 2 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 11
6
8 12 14 16 19 20 22 24 27 30 32 34 35 36 37 39 40
Les noms et adresses de nos destinataires sont communiqués à nos services internes et aux organismes liés contractuellement à la CVX sauf opposition. Les informations pourront faire l'objet d'un droit d'accès ou de rectification dans le cadre légal.
Éditorial
Discerner Discerner est un mot qui revient très souvent dans nos colonnes. Ce numéro ne fait pas exception. Une lecture un peu rapide pourrait nous faire croire que discerner équivaut à évaluer une situation et à agir en conséquence : il est bon que nous fassions usage de notre intelligence, de nos connaissances et de nos qualités de cœur, mais ce n’est pas tout.
Pierre et Jean au matin de la Résurrection, huile sur toile, 19e siècle, Eugène Burnand, Musée d'Orsay, Paris.
Le verbe discerner a un autre sens que le Petit Larousse formule ainsi : « Reconnaître distinctement par un effort d’attention ». N’est-ce pas ce qu’ont dû faire les amis de Jésus au lendemain de la Résurrection ? Pierre et Jean partis en hâte au tombeau, Marie de Magdala qui pleure car « on a enlevé son Seigneur », les apôtres barricadés au Cénacle, Thomas qui n’en croit pas ses yeux, les disciples découragés après une nuit passée sans rien prendre. Paul aussi, frappé de cécité (voir p. 25), qui d’ennemi devient ami. Tous finissent par reconnaître le Christ. Car il faut apprendre à regarder pour voir, à écouter pour entendre. Il faut s’exercer à sentir et à goûter la Parole, ouvrir la porte à l’Esprit, se laisser regarder par le Christ (voir p. 20). Ne ramenons pas trop vite le discernement à une forme de « management » efficace de notre vie. Discerner c’est d’abord poser nos yeux sur le Seigneur. Alors son regard plein d’amour nous donnera tout le reste et nous guidera dans nos choix. Florence LEROY
Pierre de Vogüe, responsable national de la Communauté de 1972 à 1974, est décédé le 29 mars 2011, à l'âge de 89 ans. Nous lui consacrerons un portrait dans le prochain numéro.
Mai 2011
3
L'air du temps
Soyons présents, avec respect, à l’évolution des musulmans
C
1 Entretien réalisé le 24 mars 2011
Comment réagissez-vous en voyant les évolutions qui se produisent en Tunisie, en Égypte, en Libye et dans certains autres pays du Moyen Orient ? 1
Je me réjouis de voir que le processus de démocratisation est en route dans les pays arabes. C’est la démonstration que la démocratie correspond à une aspiration universelle. Avec des allers et retours inévitables, chaque peuple a sa manière de la vivre. Cette aspiration à la démocratie n’a-t-elle pas été fortement stimulée par internet qui a dynamité les cloisonnements politiques et religieux de ces pays ? Certainement, c'est une exportation d'une évolution née en Occident. Les moyens de communication modernes ont provoqué un formidable court-circuit qui a fait sauter les blocages engendrés par les dictatures et les formes institutionnelles figées. Mais si internet a été l’étincelle de départ, ce média ne peut résoudre tous les problèmes car l’évolution vers la démocratie est un parcours complexe. Il faut pouvoir trouver d’autres relais pour durer et construire.
Mais comment voyez-vous l’évolution politique et culturelle de ces pays, car la révolution initiée par internet a pu donner l’impression que les structures islamiques étaient dépassées ? Or ces populations, marquées et façonnées depuis des siècles par l’Islam, ne vont-elles pas être désorientées et déstructurées ? Si l’on en croit les bons spécialistes de l’Islam, comme Olivier Roy, il n’y a pas eu, dans la période précédant ces mouvements, déstructuration de l’Islam mais au contraire sur-islamisation, comme le montrent les raidissements avec la contrainte du voilement partiel ou intégral et dans la manière de traiter les femmes. Si tout est islamique, plus rien n’est islamique. En Égypte, par exemple, même s’ils sont très dogmatiques, les Frères musulmans ne sont plus vraiment dans le coup pour orienter les choix économiques et sociaux. C'est encore plus patent en Tunisie. Sur les rivages de la Méditerranée et au Proche-Orient, une page de l'histoire du monde musulman est en train de se tourner.
depuis des siècles, ne vont pas tout d’un coup abandonner les traditions religieuses qui les ont structurés.
Ces pays arabes dont la culture, les pratiques familiales et sociales sont façonnées par l’Islam
En fait, deux voies sont possibles, celle de la Turquie et celle de l'Iran. Dans ce dernier pays, la
4 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 11
révolution a mal tourné, car elle a finalement engendré un régime étouffé par des contraintes religieuses que les habitants supportent de plus en plus mal.
© Gilles Lefrancq / CIRIC
Le cas de la Turquie est, lui, très intéressant car il peut servir à réorienter peu à peu la politique de certains pays arabes vers la
l’armée continue à être le garant suprême. Certes, il y a encore beaucoup de femmes voilées et il reste du chemin à faire avant d’arriver à une certaine forme de laïcité. Mais il est intéressant de voir que religion et politique ne sont plus inextricablement mêlées. L’islam reste important comme croyance, comme pratique personnelle, mais il détermine moins les décisions politiques. On peut comparer le parti du premier ministre Erdogan, un parti « démo-musulman », à ce qu’était chez nous le MRP, parti démocrate chrétien. Il défendait les intérêts de la France en s’inspirant des valeurs religieuses chrétiennes mais il n’imposait pas en politique les lois de l’Église catholique. Cette manière de respecter la religion dans la vie personnelle sans qu’elle domine la vie politique pourrait aider un certain nombre de pays musulmans à se construire en adaptant des traditions immuables au mouvement de la modernité. Les Européens perçoivent-ils bien ces nouveaux enjeux ?
démocratie. D'abord, la Turquie connaît une réussite économique capable de faire impression sur les pays musulmans (5 ou 6 points de croissance). Mais surtout ce pays vit, depuis Atatürk une certaine forme de laïcité dont
Non, les Européens, et les Français en particulier, ont des images de l’Islam qui datent de l'attentat du 11 septembre 2001 et ils persistent à se représenter le musulman comme le terroriste qui pose des bombes et va jusqu'à se faire exploser lui-même au milieu de la foule. En raison aussi de la peur d’une immigration massive, on entretient en Europe des réactions très hostiles aux musulmans. Or la peur n'est pas une va-
leur qui construit quelque chose et la violence qu'elle engendre un jour coûte très cher, socialement et financièrement. Serions-nous bloqués par le souvenir des racines chrétiennes de l’Europe ? C’est bien de rappeler les racines chrétiennes, à condition de ne pas les ranger dans une bibliothèque sans se demander ce qu’elles peuvent signifier dans l'aujourd’hui. Notre christianisme ne nous invite certainement pas à entretenir dans les mentalités la peur de nos voisins musulmans, car la peur est destructrice de nos rapports à l’autre. Or l’Autre c’est Dieu mais c’est aussi celui, quelle que soit sa nationalité ou sa couleur de peau dont je me fais proche. Je pense que si nous arrivons en France à aider la marche des pays arabes vers une démocratie, respectueuse des convictions religieuses des personnes, cette évolution retentira sur nos banlieues car les jeunes d’origine musulmane s’y sentiront moins stigmatisés. Mais dans ce domaine, les Français sont en retard d’une guerre et les militants du Front National de deux. Le temps est venu de faire tomber les barrières et les chrétiens, avec d'autres, sont attendus pour créer des ponts. Cela ne veut pas dire qu’il faut se convertir à l’Islam mais, comme l’ont bien montré les moines de Thiberine, être, présents avec respect, à l’évolution des musulmans.
6
Propos de Henri MADELIN Recueilli par Yves de Gentil-Baichis
Mai 2011
5
6 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 11
Chercher et trouver et trouver Dieu Dieu
En mai, fais ce qu’il te plaît C’est vrai, la présence grandissante du soleil, la multiplication des fleurs et des fruits incitent à faire ce « qu’il nous plaît » en ce « joli mois de mai ». Mais le dicton populaire ne nous pousse pas à oser n’importe quoi. Et d’abord, « fais ». Autrement dit, ne te laisse pas mener passivement au gré des courants et des vagues. Non, agis, réagis et tiens la barre de ton existence. Pour aller où ? « Faire ce qu’il te plaît », bien sûr. Mais partir dans cette direction n’est-ce pas dangereux ? D’une certaine manière, non. Tu ne peux passer ta vie à subir ce qui te pèse sinon tu perdras toute envie de vivre. Et Dieu ne le demande absolument pas car il te veut debout et vivant. Alors sois créatif, original et inventif. « Fais. » Mais tu n’es pas seul au monde et tu n’atteindras pas « ce qu’il te plaît » en dehors ou contre les autres. Tu n’y parviendras qu’avec eux, si tu trouves la bonne distance, celle où la proximité nous enrichit les uns les autres sans nous étouffer. C’est là que se situe le vrai plaisir de vivre.
© Sylvie Duverneuil/CIRIC
Témoignages Faire sa vie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8 Arpenter des chemins non balisés. . . . 9 Plus de plaisir à vivre. . . . . . . . . . . . 10 Une autre façon d’exercer sa liberté . . 11 Contrechamp Ce qui nous humanise plaît à Dieu . . 12
Yves de GENTIL-BAICHIS Éclairage biblique La Syrophénicienne . . . . . . . . . . . . . 14 Repères ignatiens L’appel, un intrus qui dérange ? . . . . 16 Pour continuer en réunion . 18
, Mai 2011
7
Chercher et trouver Dieu
Faire sa vie
Quitter ses parents, construire sa propre vie passe par des moments d’euphorie, mais aussi de solitude. Prendre sa liberté, c’est également l’assumer.
J
© iStock
J’allais avoir 17 ans et réussi un concours, passé à l’époque seulement pour m’entraîner au bac. Maman me demanda : « Que décides-tu ? » Je m’en souviens comme hier : j’étais sur la terrasse, les champs et les arbres devant moi. Je me souviens de mes vêtements d’alors et des personnes présentes : une cousine et son mari. Dans le soleil radieux d’après midi, j’ai pris ma décision en un éclair : j’allais partir dans cette école, quitter ma mère, veuve. En février, papa était mort brutalement sur la route, au petit matin
d’un jour de vacances. Je ne supportais plus la maison, ma mère. Tout mon monde s’écroulait. Les desseins de mes parents pour moi – surtout de mon père –, n’avaient plus d’attrait. Papa n’était plus là pour m’en transmettre le goût. J’allais quitter cette maison, je savais que je n’y reviendrais plus qu’en vacances. Dans l’euphorie, je partais faire ma vie, la mienne, indépendamment de ma mère et de celle que mon père avait souhaitée pour moi. La mise en route se fit sans peine. Ma cousine, présente, m’offrit de l’aide pour un séjour exploratoire : chambre d’étudiante en cité universitaire, école, nouveaux lieux, trajets. Grâce à elle, à son accompagnement positif, tout fut organisé rapidement. Je ne l’ai jamais assez remerciée. Ce fut un arrachement, la découverte de la solitude hors de la famille, le dénuement matériel aussi. Bien souvent j’ai pleuré, car c’était très dur, le quotidien pesait – le linge, les courses, le dîner. Je regrettais le confort – même modeste – de la maison, les conversations avec ma grandmère et sa proximité. La distance m’empêchait de retrouver ma famille. La liberté a souvent pesé plus lourd le dimanche. Impossible de tromper cet ennui par le refuge d’un déjeuner en famille. Les liens d’amitié, la découverte
8 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 11
de la vie étudiante, l’aumônerie, les Chrétiens en grande école, la vie associative ont progressivement rempli et enrichi ma vie. Que de moments d’amitié partagés et toujours vivaces. La liberté de choix de mes amis. La liberté de choix d’activités. Avant mon départ, j’existais aux yeux de mes parents, dans leur regard ; ensuite j’ai commencé mon existence pour moi. Ce qui s’est forgé dans ces années, en amitié, en valeurs, est indéracinable. J’eus la chance de faire de bonnes rencontres. Je remercie maman de cette confiance, de n’avoir pas entravé ce désir de partir, cette nécessaire aventure et ouverture, à la découverte de soi. Je n’avais pas de vocation professionnelle particulière, juste de la persévérance. Même si l’école choisie l’a été par défaut, je n’ai jamais regretté d’avoir réalisé ce premier rêve de liberté. Ce que mes parents m’avaient donné : leur confiance inébranlable, l’envie d’aller vers les autres, de cultiver l’amitié. J’étais toujours accueillie chez maman et nous avions toujours plaisir à nous retrouver entre frères et sœurs. J’ai exercé tôt ma liberté, j’ai gardé ce goût et je ne souhaite qu’une chose, le transmettre à mes enfants.
6 ANNE
Arpenter des chemins non balisés Philippe n’a pas eu peur de changer de métier ou d’entreprise. Un risque rendu possible par plusieurs facteurs.
Qu’est ce qui m’a permis de modifier mon parcours, d’exercer des métiers si différents avec autant de bonheur et de liberté ? D’abord des rencontres fondatrices au fil de mes déplacements (y compris mentaux) dans les pays du Sud, de René Dumont à l’abbé Pierre. Ensuite, des convictions fortes, fruits de ces rencontres. Par exemple, que la lutte contre le mal développement des pays pau-
© iStock
A
Au fil des ans, j’ai connu beaucoup de changements professionnels. Après des études d’économie et de géographie et une première expérience de coopération au Sahel, je suis parti deux ans au Cameroun former des cadres africains dans un institut parapublic. Puis, en France, j’ai lancé une entreprise d’insertion dans la gestion moderne des déchets, et j’ai créé ensuite un bureau d’études et de conseil dans ces nouveaux métiers de l’environnement. Dix ans plus tard, j’ai quitté ce que j’avais créé et j’ai rejoint une collectivité locale comme chargé de mission pour le développement durable. Et maintenant je développe une société éthique qui mobilise l’épargne citoyenne pour créer des centrales d’énergie renouvelable.
vres, doit d’abord se mener chez nous ; que l’argent est un levier fort à utiliser, mais pas une finalité. Ces convictions me libèrent et me font avancer. Enfin, une capacité à me remettre en cause. Comme je me sens une vocation de créatif plus que de gestionnaire, j'ai quitté l’entreprise que j’ai créée pour la laisser croître. Une maxime que j’aime : « L’innovation, c’est une désobéissance qui a réussi ». L’absence du souci de la carrière, et même un rapport distant à l’argent, que nous partageons avec ma femme, contribuent à cette liberté !
Le plaisir de travailler avec d’autres pour des projets d’avenir ; par exemple, décider des actions au niveau d’une collectivité pour bâtir un Agenda 211 ! J’ai besoin de rester passionné avec des passionnés et d’arpenter des chemins non balisés. Au-delà des inquiétudes face à des changements parfois risqués, je me suis senti soutenu par la confiance de mes proches et je reste porté par la joie de réaliser certains rêves qui me permettent de grandir en humanité et en liberté !
1 L'Agenda 21 est un pland'action local pour le XXIe siècle, principe adopté par 173 chefs d'État lors du sommet de la Terre, à Rio, en 1992 sur l’avenir de la biosphère.
6
PHILIPPE
Mai 2011
9
Chercher et trouver Dieu
Plus de plaisir à vivre
Avec l’âge, on acquiert souvent plus de liberté dans les rapports avec les autres.
U
Un accident de santé il y a deux ans, sans conséquences pour aujourd’hui, m’a obligée à arrêter brutalement toute activité pendant plusieurs mois. Souvent j’entendais : « Comment fais-tu, toi si active ? » et moi je goûtais de pouvoir enfin prendre le temps. Prendre le temps d’être et non de faire. Temps béni : il m’a permis de réajuster mes choix.
petits-enfants et de répondre à un SOS. Plaisir également d’un équilibre trouvé avec mon mari à la retraite. Un exemple : mon besoin d’air pur et mon service d’accompagnement me conduisent plus souvent que lui dans notre maison de Bretagne et, de son côté, il préfère garder ses activités dans notre ville de région parisienne. Ce qui pourrait être facteur de conflits pour certains est pour nous vécu paisiblement, comme une attention à ce dont l’autre a besoin aujourd’hui et ceci nous rapproche. Équilibre à ajuster par la parole.
Aujourd’hui à la retraite, femme, épouse, mère, belle-mère et grand-mère, j’ai beaucoup plus de « plaisir » à vivre : c’est peutêtre cela la maturité spirituelle. Plaisir d’être ce que je suis sans avoir besoin de prouver quoi que ce soit aux autres ; plaisir d’avoir choisi l’engagement qui correspond à mon goût profond et à un appel reçu, sans me culpabiliser de dire des « non ». J’ai quitté la position de « sauveur ». Plaisir aussi de l’amitié ; plaisir de voir mes enfants adultes construire leur vie ; plaisir d’accueillir mes © iStock
Je savais depuis longtemps au fond de moi que j’avais à modifier mon rythme, et mon corps a pris la décision ! Tout un travail personnel, tant psychologique que spirituel, m’avait déjà fait réaliser au long de ma vie tout ce qui peut se cacher derrière le besoin d’être utile, de rendre service, d’être débordée : un grand désir d’aimer et de servir
bien sûr, mais aussi rendre service pour me faire une place, être reconnue, aimée et justifier ma vie sur un fond de culpabilité (le « davantage » peut avoir un côté pervers)…
Il me semble que les conflits entre « moi et les autres », ce qui est mon plaisir et leur attente, s’estompent au fur et à mesure des années : plus je prends du temps pour ce qui est bon et juste pour moi, plus j’acquiers de la liberté intérieure, plus simples et vraies sont les relations avec mes proches, ce qui est loin d’avoir été toujours le cas. Ce combat prend du temps, toute une vie, mais s’il aboutit à la joie d’être plus accordée à soi, à l’Autre, aux autres, qu’ils soient proches ou lointains, dans le Souffle d’Amour, tout le monde y gagne !
6
FRANÇOISE 10 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 11
Une autre façon d’exercer sa liberté
À
L’obéissance n’est pas le contraire de la liberté, nous dit Marie, religieuse.
J’étais attirée par le Christ, je désirais l’écouter avec d’autres et mettre en œuvre l’Évangile. Mon entourage me renvoyait l’image d’une vie toute réglée, de vœux étranges à la société, – « obéissance » provoque allergie, « pauvreté » commisération, « chasteté » sourires entendus ! –, bref un mode de vie voilant la source qui l’inspire. Et la source l’a emporté. Ma joie a été grande d’accueillir Vatican II remettant les pendules à l’heure : « La norme ultime de la vie religieuse, dit-il, est de suivre le Christ selon l’enseignement de l’Évangile.1 » Lire l’Évangile ouvre les oreilles. Jésus entend plus que les mots, il saisit l’enjeu des situations, il devine les désirs souvent mêlés du cœur. Un épisode raconté par Marc me parle de son obéissance : Jésus entend la supplication du lépreux, et touché, il le touche,
© Barbara Strobel
À mon entrée au noviciat il y a bientôt cinquante ans, j’avais (à peu près !) renoncé à l’époux, à la maternité. L’expérience d’une famille nombreuse et unie, éprouvée et dynamique m’avait à la fois comblée et insatisfaite, renvoyée à un ailleurs. La fraternité m’attirait, la vie entre femmes et l’obéissance me faisaient peur. N’allais-je pas enserrer ma liberté, étouffer mon désir de vivre ?
et là il transgresse la loi, puis paradoxalement il lui commande de s’y conformer en allant se montrer aux prêtres. Libre d’elle pour guérir il fait respecter la loi qui réintègre à la société. Les constitutions d’un institut religieux indiquent des directions ; dans la vie courante les questions sont souvent et trop vite réglées selon les habitudes. Heureusement des événements ou des personnes réinterrogent la communauté. Vais-je accepter une proposition qui ouvre une collaboration intéressante ou choisir d’être plus présente
à la communauté ? Allons-nous acheter moins cher ou favoriser le commerce équitable ? Pourquoi n’avons-nous pas accueilli telle jeune femme en difficulté ? Des gestes qui jaillissent du cœur relus avec d’autres font progresser en liberté. Parler en communauté de nos choix les déplace, fait grandir la solidarité. Les soumettre à l’autorité dépouille, provoque tantôt un pincement de cœur, tantôt la joie d’une confirmation. Finalement l’obéissance est un risque, sœur Emmanuelle et d’autres ont montré sa fécondité. MARIE
1 Décret sur la vie religeuse, n°2
6 Mai 2011 11
Chercher et trouver Dieu
Ce qui nous humanise plaît à Dieu Au-delà d’une formule un brin provocatrice, qu’entendons-nous par « ce qui nous plaît » ? Non pas des actions dénuées de sens, mais une fidélité profonde aux choix qui nous ont construits.
E
« En mai fais ce qu’il te plaît ». Un bref passage par Google indique une « foultitude » de références bien hétéroclites : Jardinage, couture… mais aussi cuisine « en mets fais ce qu’il te plaît » - expositions d’art moderne, coutume folklorique en Auxois… et mille autres choses .
Ainsi nos proverbes voguent vers des contrées nouvelles, insolites, et qui en manifestent la créativité. Comme beaucoup d’autres – « L’or véritable ne craint pas le feu » ; « Qui veut aller loin ménage sa monture » ; « Assis sur les genoux d’une mère pauvre, tout enfant est riche »… – ce proverbe sonne juste comme mémoire d’une sagesse populaire. Alors à notre tour essayons-nous à filer la métaphore : « En mai fais ce qu’il te plaît ». Déjà sans oublier ce qui précède et lui est contigu : « En avril ne te découvre pas d’un fil ». Autrement dit, profite du printemps mais avec modération ! ne t’emballe pas trop vite. Le temps reste frais. Invitation à tenir ensemble le désir et la prudence, le risque et la retenue.
L’action pour dire qui nous sommes Attardons-nous d’abord sur l’action : « fais ce… ». Quel sens lui donner ? Faire est l’art de l’humain, sa noblesse, son engagement, sa signature. L’action désigne un sujet qui s’investit, s’implique, manifeste sa responsabilité. Ainsi à travers l’action disons-nous qui nous sommes. Nous refusons de rester à distance du monde, tels des observateurs prétentieux et hautains. Ou tels de simples exécutants qui alors prétendent ne pas habiter leurs décisions, dont la responsabilité reviendrait alors aux chefs, aux décideurs. Tristes mémoires des temps de l’histoire où « la banalité du mal » fit dire à beaucoup qu’ils n’étaient ni coupables ni responsables de leurs crimes. L’action implique l’art de la décision du « trancher sans se retrancher », cher à la pensée de Xavier Thévenot. Par l’agir nous refusons de nous dérober au monde, à la participation à la commune humanité. Quitter la seule intention pour prendre le risque de s’impliquer, de se tromper peut-être.
12 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 11
La vie chrétienne est par excellence une tradition où l’action est au cœur. Celle de Dieu. Depuis la Création. Mais surtout, et définitivement, l’action de Dieu prend le visage de l’incarnation du Christ. Dieu décide de se faire homme. D’entrer dans la limite. De poser des actes qui vont indiquer combien il est pleinement auteur de son existence, y compris quand celle-ci est bafouée au vendredi saint, mise à mort. L’incarnation réhabilite – si cela était nécessaire – l’agir comme signature de notre foi et de notre vie. Car l’illimité de l’amour de Dieu, de son alliance, de son don, vient se confier dans la limite d’un homme, Jésus de Nazareth.
Agir signifie que nous sommes présents D’où l’importance de la suite de notre proverbe de printemps « fais ce qu’il te plaît ». Autrement dit l’intime relation ente le désir et l’acte. Ce dernier sera toujours limité par rapport au désir, il ne pourra l’épuiser. Mais il en est l’incarnation, la vérité, la marque vitale dans
Faut-il préciser que l’acte, le faire, dont il est question ici ne concerne pas les grandes actions de nos existences, celles qui seraient visibles, reconnues par d’autres, qui frapperaient des esprits. Non, il s’agit du minuscule des jours. Aimer, espérer, croire. Trois verbes fondateurs de la foi qui s’incarnent dans la femme qui malgré les bombes, emmène son enfant à l’école, dans ceux qui dans le silence de leur cœur prient, dans la ténacité à accomplir son travail, dans la tendresse des amis, dans la confiance de ceux qui s’aiment…
© Pascal Deloche / Godong
l’histoire réelle. Entre désir et acte se laissent voir l’orientation, la signification, le goût, de nos existences.
Ainsi ce « faire-là » nous concerne tous, quoi qu’il en soit des capacités physiques, intellectuelles, financières de chacun. Il n’est pas question de « faire des choses » et en faire le plus possible. Mais de signifier que nous sommes vivants, présents. Rien de grandiose. Mais ce qui résiste et fait que le monde porte - ou non - un visage humain. Ce minuscule qui fait que l’humain demeure.
Se risquer à la vie bonne pour soi, pour les autres Ainsi oui « en mai fais ce qu’il te plaît ». Et pas seulement en mai. Le plaisir est le propre de l’humain écrivait déjà Thomas d’Aquin. Car il indique la gratuité de l’agir humain. Ce qui dépasse l’utile, le rentable, seuls. Ce qui plaît n’est
pas ce qui change à tout instant en fonction de nos sensibilités passagères ou de nos sincérités successives. Mais ce qui revèle de ce qui est fidèle à qui nous sommes. Ce qui est gros de la gravité d’être auteur de sa vie, du sein de ce que nous ne choisissons. Ce qui plaît c’est de se risquer à la vie bonne, pour soi, pour d’autres. Au goût du bonheur dans l’humble ordinaire des jours. Alors par pitié ne faisons pas
d’opposition entre en ce qui te plaît et ce qui plairait à Dieu. Ce qui nous construit, nous humanise, est aimé de Dieu. Et lui plaît. Enfin pour qu’il soit véritable de « faire ce qui plaît », encore faut-il avant tout s’asseoir, méditer dans l’intime de soi-même ou Dieu habite et murmure, penser, peser. Bref se recueillir. Là est déjà la première action.
6
Beau mois de mai à chacun !
Véronique MARGRON
1 Véronique Margron est religieuse dominicaine. Elle vient de publier Fragiles existences (Bayard), ouvrage pour lequel elle a reçu le Prix des Écrivains op1 croyants 2011.
Mai 2011 13
Chercher et trouver Dieu
Une femme qui n’a rien à perdre
La Syrophénicienne 24 En partant de là, Jésus se rendit dans la région de Tyr. Il était entré dans une maison, et il voulait que personne ne sache qu'il était là ; mais il ne réussit pas à se cacher. 25 En effet, la mère d'une petite fille possédée par un esprit mauvais avait appris sa présence, et aussitôt elle vint se jeter à ses pieds. 26 Cette femme était païenne, de nationalité syro-phénicienne, et elle lui demandait d'expulser le démon hors de sa fille. 27 Il lui dit : « Laisse d'abord les enfants manger à leur faim, car il n'est pas bien de prendre le pain des enfants pour le donner aux petits chiens. » 28 Mais elle lui répliqua : « C'est vrai, Seigneur, mais les petits chiens, sous la table, mangent les miettes des petits enfants. » Alors il lui dit : 29 « À cause de cette parole, va : le démon est sorti de ta fille. » 30 Elle rentra à la maison, et elle trouva l'enfant étendue sur le lit : le démon était sorti d'elle.
© Christophe Bluntzer / CIRIC
''
MARC 7, 24-30 (Traduction AELF)
La côte de Tyr était loin d’être pour Jésus une villégiature. La mer était pour les juifs d’alors, qui n’étaient pas des marins, un symbole de mort. Le récit de Marc paraît plus « fruité » que son parallèle en Matthieu (15,21-28), mais Jésus aurait-il pu rester insensible, lui le Créateur, à la beauté d’un site qui possède d’abord pour les Synoptiques, une valeur théologique. Marc nous transporte en terre païenne, et ce déplacement n’est pas un détail, mais la trame même de cet émouvant récit. À Tyr, nous sommes bien à l’étranger pour un Galiléen : notre terre n’était-elle pas plus vaste il y a 2000 ans qu’elle ne l’est aujourd’hui ? N’oublions pas que Jésus se proclame d’abord comme « envoyé aux brebis perdues de la
14 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 11
Maison d’Israël » (Matthieu 15,24). Or, fait rarissime, l’évangile nous le montre, à l’étranger et saint Marc précise : « caché dans une maison » ! Toutefois, l’arrivée d’un visiteur précédé d’une telle réputation aura tôt fait de déchirer le voile de l’incognito. Après tout, les « nations » ne doivent-elles pas voir, elles aussi, le salut de Dieu, comme le proclame le psaume 62 ? Avant la résurrection, ce salut élargi à l’univers paraît encore être un signe précurseur comme de belles journées de mars – de l’été à venir. Dans ce dialogue si libre avec la Syrophénicienne, la figure eucharistique est déjà esquissée comme le « pain et le bien des enfants » – entendez les juifs et non les étrangers que l’on qualifierait volontiers (hier comme aujourd’hui) de « chiens ». Mais l’admirable et audacieuse réponse de cette étrangère va surmonter la difficulté. Elle prend la liberté de faire flèche de tout bois en ne demandant au Christ que les miettes qui tombent pour les petits chiens sous la table des enfants ou que ceux-ci leurs donnent. « À cause de cette parole », cette notation est propre à Marc, « le démon est sorti de ta fille » (verset 29). Ainsi la table du Jeudi saint se trouve déjà esquissée dans cet épisode : elle sera bientôt la table de la foi qui se dresse unique et immense dans tous les lieux, dans tous les temps du monde et qui actualise, jour après jour, la Résurrection du Christ. Sommes-nous des enfants aussi libres que cette étrangère, pour formuler nos demandes au « Seigneur des Temps et de l’Histoire », mais qui demeure, hier comme aujourd’hui, le Deus absconditus, le Dieu caché cher à Blaise Pascal ? Antoine de VIAL Prêtre retraité du diocèse de Paris
Pour prier… ✚ Me représenter la scène. Regarder Jésus qui ne veut pas que l’on sache qu’il est là. Regarder cette mère qui brave l’interdiction et vient parler à Jésus. ✚ Demander la grâce de chercher le Seigneur de tout mon être. ✚ Imaginer la détresse de la Syrophénicienne, qui se jette aux pieds de Jésus et entendre la réponse du Christ. Qu’est-ce que cela suscite en moi ? ✚ E ntendre la répartie de la femme. Elle ne cherche pas à justifier sa demande. Elle ne cherche pas à se faire passer pour ce qu’elle n’est pas, mais réclame seulement des miettes. ✚ « À cause de cette parole, va ». Laisser résonner cette parole. Pour qui suis-je prêt à braver les interdits, à réclamer le pain de vie ? Je les confie au Père, qui prend soin de ses enfants. Mai 2011 15
Chercher et trouver Dieu
L’appel,
un intrus qui dérange
1
Quelle image nous faisons-nous de Dieu ? un père qui veut notre bonheur ? ou un despote qui exigerait des sacrifices ? Posons-nous la question honnêtement avec cet extrait du livre d'Isabelle Parmentier : Appelés ? Quand le désir de Dieu rejoint le désir des hommes. N'ayons pas peur de laisser remonter les peurs qui nous habitent pour aller à la rencontre d'un Dieu qui nous veut libres.
L
1 Extrait de Appelés ? Quand le désir de Dieu rejoint le désir de l’homme. Éditions Vie chrétienne. En vente sur le site www.viechretienne.fr.
2 Alain Finkelkraut. L’ingratitude. Conversation sur notre temps. Gallimard.
La société actuelle érige volontiers en valeurs suprêmes la liberté et l’autonomie. « Moi tout seul » affirme bien haut le petit d’homme, n’écoutant que ses envies pour se réaliser pleinement. La raison adolescente imite celle des adultes qui a tué le père. L’individu moderne prétend se faire par lui-même sans rien devoir à personne. C’est ce qu’Alain Finkelkraut dénonce, dans son dernier ouvrage, comme l’état d’ingratitude de notre temps : « L’homme contemporain ne se pense plus comme un héritier. Il se veut délivré du donné. […] À délier ainsi l’être de l’héritage, est-on, comme le croit notre temps, plus lucide, plus ouvert et plus libre ? 2 »
Au moment des grandes décisions, la tension est forte. D’un côté, la légitime ambition d’être acteur et auteur de sa vie, le désir puissant de concevoir, de monter et de réaliser soi-même ses projets ; de l’autre, des services à rendre, des besoins à pourvoir, la vie réelle qui exige à tout instant souplesse
et capacité d’adaptation. D’un côté le désir de réaliser ses rêves, de l’autre ses limites humaines, physiques, intellectuelles et aussi celles du temps, de l’espace. D’un côté l’infini des possibilités, de l’autre nos décisions forcément relatives qui tranchent dans le réel en renonçant à l’idéal. L’homme voudrait être maître de sa vie, mais les autres s’interposent. La question est d’importance : que faire de l’autre, des autres, de tout ce qui survient ? La vie est-elle un obstacle à contourner ? L’autre, un piège à éviter, un ennemi à combattre ? ou bien un partenaire potentiel avec qui négocier et inventer ? Quoi que l’on fasse, le visage des hommes surgit à tout instant et s’impose au regard. Il provoque. Le plus faible interpelle le plus fort, le pauvre réclame justice. Qui est maître ? Une solution serait de se barricader dans un isolement protecteur. À ceux-là, le thème de l’appel paraît insupportable. […] Étonnons-nous… Est-il vraiment possible et raisonnable de parler
16 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 11
encore d’appel de Dieu dans la société actuelle ? Et si c’était une question de langage ? Pour bien des croyants, en effet, les mots religieux, pétris d’habitude et livrés à la répétition sont devenus, par paresse ou par négligence, une énigme. « Dieu appelle » : l’énoncé est de belle apparence, mais que signifie-t-il au juste pour nous ? […] Une agitation nous gagne. Comme précédemment devant l’appel des autres, nous voilà à la fois attirés et apeurés, habités de joie et de paix, confiants à la pensée de recevoir de Dieu notre existence, de la recevoir de son appel qui nous précède, de nous définir devant lui en quelque sorte comme des « appelés », et en même temps, craintes et questions se bousculent avec violence, dans le plus grand désordre : quelle est l’origine de cet appel ? quelle est son autorité ? Restons-nous libres en face des propositions qui nous sont faites ? Le fait que Dieu parle, signifie-t-il que les hom-
Sortons dans la rue, et essayons de poser la question à la ronde, ou à quelques-uns de nos amis. Selon les générations et l’éducation reçue, deux sortes de réactions apparaissent : Les premiers, dont les souvenirs de catéchisme remontent souvent à l’enfance, assimilent facilement l’appel de Dieu au mot « vocation ». Si, par malchance, la volonté de Dieu « tombe » sur quelqu’un, difficile, voire impossible pour le malheureux élu de se dérober, sauf à risquer son malheur. « Quelle est ma vocation ? » se tourmentent certains croyants dans la crainte de rater une vérité extérieure à leur vie, qui surplomberait leur liberté, comme un plan écrit d’avance qu’il leur faudrait deviner pour ensuite, humblement, l’exécuter. La vocation prend alors le visage d’une menace et pèse comme un couvercle, enlevant paradoxalement à celui qu’elle touche toute responsabilité. « Pourvu que je n’aie pas la vocation ! » supplie tel jeune homme terrifié. « Mon Dieu, faites que vous ne m’aimiez pas trop ! » supplie Natacha, huit ans, au début d’une séance de catéchisme. Invitée à s’expli-
© Bridgeman Giraudon
mes ont forcément un destin ? Sont-ils fatalement condamnés à rechercher toute leur vie la volonté de Dieu pour s’y soumettre et y obéir ? Leur bonheur est-il à ce prix ? La liberté alors ne serait qu’une apparence masquant, en réalité, une prédestination. Et si Dieu nous prenait au mot, et se mettait à exiger de nous quelque chose que nous n’ayons pas envie de faire ? Dieu à la fois aimé, désiré, et craint…
L'Annonciation, huile sur toile, XVI e siècle, Lorenzo Lotto, Museo Civico, Recanati, Italie.
quer, la petite fille raconte comment sa maman lui a vanté, la veille, l’exemple de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus « si contente d’avoir été appelée à être sainte au Carmel, en souffrant beaucoup ». Ainsi peut-il arriver que, malencontreusement, nos mots de bonne volonté aient des effets dangereux… Certes, il peut à première vue paraître confortable et reposant de s’appuyer sur un Dieu qui saurait tout à notre place et nous épargnerait bien des doutes. Mais quelle dignité aurait cette
marionnette entre les mains d’un tel monarque ? La Parole de Dieu a-t-elle pour but de ficeler l’homme, ou de le libérer ? Veut-elle sa démission, ou bien le prépare-telle à une mission ? Nos contemporains n’ont pas tous une mémoire religieuse à guérir. Soyons sans illusion, les choses vont vite : aujourd’hui, la majorité des jeunes ignore simplement l’Évangile, tout comme la culture qui en découle. L’autre réaction à la question de l’appel de Dieu sera
,
Mai 2011 17
Chercher et trouver Dieu
! 3 Joseph Moingt. « Gratuité de Dieu » in Recherches de Science religieuse, Tome 83, n° 3, juillet-septembre 1995, p. 333.
souvent brutale, teintée d’incrédulité et d’indignation. « Pourquoi réveiller Dieu qui dort… ? » ou : « De quel droit Dieu se permettrait-il de perturber le cours de l’histoire ? » On se rassure, une intervention de sa part n’est ni possible, ni souhaitable. On s’est habitué à vivre sans lui ; le réveiller est risqué. « Notre Père qui êtes aux cieux, restez-y » grondait le poète Jacques Prévert. Qu’arriverait-il d’ailleurs à celui qu’une parole divine viendrait toucher ? « Ça passe ou ça casse » bougonnent les adolescents arc-boutés sur la revendication bruyante de leur autonomie souveraine, que rien, ni personne, fut-ce Dieu, n’a le droit de remettre en question. Sommes-nous si différents d’eux ? Dieu serait-il dangereux pour notre liberté ? Impossible de nous situer comme croyants sans garder présents à l’esprit ces mouvements contradictoires qui secouent le monde contemporain. Ils nous traversent aussi : nous sommes les fils de notre époque. En vérité, personne n’est véritablement en paix
avec Dieu. « Dieu ne sert à rien quand tout va bien et ne fait rien quand tout va mal » se lamentent les plus complaisants, cependant qu’ils avouent tout de même prier Dieu, en espérant secrètement son aide – on ne sait jamais – tout en lui reprochant d’intervenir et en redoutant ses initiatives. On n’est pas à une contradiction près. Face à l’inconnu, la règle est de sauvegarder par-dessus tout la sacro-sainte autonomie. « Que ta Volonté soit faite » est la prière des faibles ; Dieu a fait trop d’esclaves : être libre ou croyant, il faut choisir ! Et voilà comment Dieu se retrouve livré aux livres, aux souvenirs, aux commémorations, aux concerts et aux musées… Paradoxalement, sa figure reste omniprésente, mais elle se conjugue plutôt au passé : on visite la religion comme on apprend une langue morte. Par crainte ou par déception, par routine ou par lassitude, l’homme de la rue, dont nous sommes, n’ose plus guère faire face à un hypothétique appel de Dieu. Dieu, pour beaucoup de gens, n’est plus ni motivant,
ni préoccupant, ni réjouissant, il reste de l’ordre du possible, de l’aléatoire, mais semble avoir perdu son utilité pour aider les gens à vivre. Cela signifie « qu’il n’existe plus pour eux, qu’il ne compte pour rien, puisqu’il n’y a plus à compter ni avec lui, ni sur lui. Un Dieu qui ne s’impose d’aucune façon, qu’on peut oublier et dont on peut se passer sans qu’il en résulte quoi que ce soit dans notre existence ni dans notre destinée, est-ce encore Dieu ? 3 » Rentrons à nouveau en nous-mêmes. « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » (Marc 8, 29). Où en sommes-nous en vérité ? Dieu n’est-il pour nous qu’une belle idée dépassée, ou un Vivant avec qui l’on peut et doit compter ? Sans tricher, pensons-nous véritablement que Dieu est encore maître du jeu, créateur aujourd’hui comme hier, acteur dans l’histoire, partenaire de l’homme et son interlocuteur ? Jusqu’où le croyonsnous, et qu’est-ce que ça change au juste au quotidien ? Isabelle PARMENTIER
6
Pour continuer en réunion… • Piste 1 - Actuellement dans ma vie y a-t-il un appel à changer quelque chose, un désir • •
profond à entendre ? Qu’est-ce qui empêche la réalisation de ce désir ? qu’est-ce qui m’entrave pour aller de l’avant (attaches, passé, habitudes, relations…) ? Même si cela me semble difficile, quel petit pas puis-je oser qui puisse ouvrir un avenir ? Piste 2 - Avec qui et comment je vérifie le bon exercice de ma liberté dans mes choix ? Pour quel type de décision ? quelle place je donne à la prière ? quelle place je donne à la parole des autres ? Ai-je l’expérience d’une décision à la fois prise librement et reçue ? Piste 3 - Avec ce que certains appellent « le printemps arabe », nous voyons des populations jeunes oser leurs vies pour se « libérer » du joug de pouvoirs despotiques. Quel regard je pose sur ces événements ? Qu'est ce que cela suscite en moi ? À quel examen cela m’invite-t-il quant à mes peurs et à ma propre façon d’exercer ma liberté ?
18 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 11
Le babillard
Vivre un temps de bé névolat cet été dans la Communauté ? Pensez-y ! Au Ce nt re spirit uel du Hautmont Être au service du bien-être des re traitants : une expérience qu i nous fait grandir. Contact Isabe danjou.isabelle@lap lle Danjou : oste.net – 06 79 27 18 17
À Saint Hugues de Bi vi er se ssions « Amar y Serv s, ir »
Vivre une semaine de bénévolat dans une démarch e spirituelle. Contact Françoise Dr éno : intendance@st-hugu es-de-biviers.org – 06 89 52 21
ôte Le grand forum de Pentec
Beauté, rencontres et lib
erté
useries Exposition, session, ca
s.org w w w.st-hugues-de-bivier :
Retraite prêché e
97
Pentecôte : retraite couples « Ensemble, menons notre vie selon l'Esprit » Du samedi 11 (12h) au lundi 13 juin (16h) Le Hautmont propose aux couples un temps pour leur vie spirituelle, personnelle et commune, et pour les aider à cheminer dans leurs discernements. Retraite animée par Remi de Maindreville, jésuite, Véronique et Yann Serreau, CVX, Odile et Jérôme Locqueville, END.
w ww.hautmont.org 03 20 26 09 61 : )
de la CVX É T ’É D É IT UNIVERS RE À DISCERNER DE » ND ON « APPRE DIEU DANS LE M le ELS DE mont, Lil t u a H LES APP u d iri t uel 1 Ce nt re sp CVX. août 201
de la u 28 Du 25 a embres ou non ps. ,m des tem ’expériences, rsonnes s e e p n 0 ig 0 s 2 , nde ge d Pour re au mo se sociale, parta tu r e v u O e, analy ls. éologiqu temps spiritue th n o ti a .com Form v xf rance
w w w.c 25 :
Du samedi 11 au
Manrèse (92)
Le Hautmont (59)
02 01 53 36 )
de Bi viers (38) Saint Hugueslun di 13 juin 2011
Du 24 juillet (1 9h) au 2 août (1 0h)
Avec François Eu vé,
) 01 45 29 98 60
En v u
jésuite
: w w w.manre se .c om
2) Manrèse (9
hrétien c e g a i r a anisés e d’un m
nt org k-ends so au mariage : e e w x u t re De nomb unes se préparan je ois avant. 6 pour des e de 3 à m ir r c s in s’ e Prévoir d anre se .com
w w w.m 8 60 : 9 9 2 5 4 01 )
Penboc’h (56 )
Avec d’autre s, avanc à l’écoute de er au large la Parole Se ssion-re trai te jeunes
professionnels Du 16 août (1 25/35 ans 2h) au 26 août (9h) 2011. Tro mon histoire, is jours pour re cinq jours pour lire me mettre à l’ du Christ et un écoute de la P e journée pour arole recueillir les fr nir. Démarche uits et ouvrir l’ personnelle, av aveec accompagn partagée en éq ement individu uipe et vécue el, en Église.
: w w w.jp-penbo ch
.info
Mai 2011 19
Se former
La méditation : Moudre le grain de la Parole La méditation et la contemplation sont deux façons de prier différentes à partir de la Parole de Dieu. Beaucoup d’entre nous utilisent ces mots sans bien savoir ce qu’ils recouvrent. Simple affaire de mots ? Partons avec le P. Claude Flipo à la découverte de deux réalités qui pourront grandement nous aider à mieux prier. Aujourd’hui, la méditation1.
D 1 Jésuite, ancien rédacteur en chef de la revue Christus, Claude Flipo est l’auteur entre autres d’Invitation à la prière 68 pages – 10,00€
En vente sur le site viechretienne.fr.
Devenir des auditeurs de la Parole, capables d’écouter leur Créateur et Seigneur à la manière du prophète : « Chaque matin, il éveille mon cœur pour que j’écoute comme un disciple, le Dieu qui m’ouvre l’oreille » (Isaïe 50,4). Comment la méditation nous ouvre-t-elle à cette Parole au point d’inspirer nos pensées, nos paroles et nos actes ? La liturgie est le premier lieu de cette écoute, la méditation le second, selon le conseil de Jésus : « Quand tu veux prier, entre dans ta chambre… » Nul n’entre ici sans désir, ni sans décision de rupture : choisir le texte, le lieu, le bon moment et la durée, et se mettre d’abord en présence de celui qui nous aime, selon le conseil de saint Ignace : « Considérer, le temps d’un Notre Père, comment Dieu notre Seigneur me regarde. » Et lui demander sa grâce : « Que toutes mes intentions, mes actions et mes opérations soient purement ordonnées
au service et à la louange de sa Divine Majesté. »
sentir et goûter C’est alors que je me remets en mémoire par la lecture l’évangile du jour ou tout autre passage approprié à ma situation spirituelle. J’entre ainsi dans la méditation, allant de point en point, comme l’abeille de fleur en fleur pour faire son miel. Il faut savoir pour cela que, selon la remarque de François de Sales, toute méditation est une pensée, mais que toute pensée n’est pas une méditation : il y a la pensée qui vole, comme les mouches, de façon distraite. Il y a celle qui étudie, comme les hannetons qui dévorent sans produire aucun fruit, et enfin celle qui s’affectionne, pour sentir et goûter les choses intérieurement. « Méditez la Passion du Christ, non pour devenir plus savant, mais pour devenir plus patient, dit le même saint François, et produire en vous de saintes affections et résolutions. »
20 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 11
casser l'écorce des mots Une autre image peut éclairer : la méditation est comparable au cheminement attentif du sourcier qui cherche l’eau sous la terre, jusqu’à ce que sa baguette de coudrier réagisse et lui indique la rivière souterraine. Ainsi celui qui médite : il va de point en point, revient, repasse, jusqu’à ce qu’un mot du texte, une parole, un geste le touche et qu’il en soit affecté. Alors, il s’y arrête pour creuser vers la source. Tel est le travail de la méditation : elle casse l’écorce des mots pour comprendre ce qu’ils signifient en eux-mêmes et pour moi. Et l’Esprit saint se sert de ce travail pour m’éclairer : il est le souffle qui porte les mots de Jésus, il est la voix qui transmet la Parole, l’adapte, la nuance selon les besoins de chacun. Il transforme en motion de la volonté ce que le Verbe dit à l’intelligence. Son langage, c’est la ferveur qu’il communique.
savons qu’il nous aime », comme sainte Thérèse, c’est que notre prière est encore timide ou trop prudente, pas assez portée par une foi qui l’élève jusqu’à Dieu. Ainsi, il nous fait attendre pour que grandisse notre désir. Résumons-nous. La méditation est une Lectio Divina qui élève le cœur de la terre au ciel par les quatre barreaux de cette « Échelle du Paradis » si bien décrits par Guigues le Chartreux : « L’ineffable douceur de la vie bienheu-
reuse, la lecture la recherche, la méditation la trouve, la prière la demande, la contemplation la savoure. C’est la parole même du Seigneur : Cherchez et vous trouverez. Frappez et l’on vous ouvrira. Cherchez en lisant, vous trouverez en méditant. Frappez en priant, vous entrerez en contemplant. » C’est ainsi que la méditation conduit à la contemplation, comme nous l’évoquerons dans le prochain numéro.
6
Claude FLIPO sj
© Stéphane Ouzounoff/CIRIC
Supposons que j’aie choisi pour texte : « Bienheureux les cœurs purs, car ils verront Dieu. » Après avoir appliqué ma méditation aux mots, voici que l’un d’entre eux me rappelle le psaume 23 : « Qui montera sur la montagne du Seigneur ? L’homme au cœur pur… », ou le psaume 50 : « Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu… » Peutêtre pourrai-je pressentir le bonheur qu’éprouve un cœur purifié, la force que donne une intention droite. Et, entrant en moi-même, éprouverai-je la douceur de cette pureté ou l’amertume de n’y point parvenir. Car la Parole de Dieu est à la fois douce et amère, brise légère et lame à deux tranchants, pénétrant jusqu’aux intentions du cœur.
avec l'aide du Saint-Esprit Ainsi la méditation me montre à la fois qu’il est désirable d’avoir le cœur pur et que je ne peux y parvenir par mes propres forces. Elle va me conduire à la prière : « Seigneur, viens à mon aide », donne-moi ce que la méditation me montre, sans pouvoir me le donner. Car ce n’est pas la lecture, ni la méditation qui m’obtient le don du Saint-Esprit. Il faut qu’il me soit donné d’en haut. Non, ce n’est pas l’intelligence, c’est l’amour qui donne la force, l’amour que Dieu répand dans les cœurs par son Esprit saint, quand nous le lui demandons avec foi. Et si ce don tarde à venir, c’est que notre prière, que nous l’appelions « colloque » comme saint Ignace, ou « oraison » comme saint Benoît, ou encore « entretien familier avec celui dont nous Mai 2011 21
Se former
Un Dieu qui accompagne et soutient Animer des sessions-retraites pour couples Au centre spirituel Manrèse de Clamart (92), Paul-Marie et Hélène animent des sessions-retraites pour « Couples » : soit des fiancés désirant se préparer au mariage chrétien, soit des couples mariés souhaitant revivifier leur lien conjugal. Ils coordonnent également l’activité (environ 40 week-ends par an) en recrutant et formant les couples animateurs. Ce temps donné à d’autres couples n’est pas sans effet sur leur propre couple et sur leur relation à Dieu.
À
À travers les retraitants et animateurs rencontrés, notre engagement dans cette aventure nous apporte beaucoup. D’abord pour notre propre couple : c’est la première fois que nous nous mobilisons vraiment en couple ; il ne s’agit pas de dépenser du temps et de l’énergie ensemble, mais de témoigner de notre vie de couple devant d’autres. C’est fort. Ensuite pour chacun de nous. Pour moi, Paul-Marie, en ayant à prendre la parole pour témoigner, j’ai mieux pris conscience de mon histoire avec Hélène, avec réussites et échecs, espoirs et limites. J’ai pu mieux voir la vérité d’Hélène dont je ne percevais plus l’intensité, dissimulée par les tâches du quotidien et la routine. J’ai été rappelé au
souvenir de l’étincelle qui m’a fait tomber amoureux d’Hélène ; je découvre combien elle est encore présente et vivante après 35 ans de mariage ! Notre relation de couple en est rafraîchie, mon estime et mon admiration pour Hélène augmentées. Je réalise ainsi combien Dieu, avec une infinie délicatesse, a accompagné nos deux vies alors que cela n’a pas toujours été facile, loin de là. C’est un Dieu tendre, discret que je découvre ainsi, un Dieu qui accompagne et soutient, qui invite à l’espérance. Pour moi, Hélène, je suis à chaque fois admirative que Paul-Marie puisse être pleinement présent quand nous préparons et vivons ensemble ces week-ends, laissant de côté messagerie élec-
22 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 11
tronique et portable ! C’est du temps précieux ; nous sommes si vite happés par nos vies. Grâce à ce service, nous sommes réunis. C’est comme une remise en forme de notre couple. En fin de session, et longtemps après, je suis redynamisée, heureuse de ce dont j’ai pu être témoin sans rien connaître pour autant de ce qui a pu s’échanger dans les couples. Je revois ces couples qui boivent la Parole quand ils découvrent le dialogue contemplatif, souvent inconnu pour eux, et je pense alors à Jésus discret et présent sur le chemin d’Emmaüs qui se révèle peu à peu dans l’écoute et l’échange. Le samedi soir, ils s’échangent une lettre où ils sont invités à se dire merci et pardon. Je suis
Quelques couples peuvent demander à nous rencontrer quand des questions, des craintes ont besoin d’être entendues. La place
où Dieu nous met quand ils nous font ainsi confiance est lieu de grâce. Ils parlent en toute vérité, nous les écoutons. Mais la plupart n’ont pas besoin de nous pour avancer sur leur chemin. Et je sens alors comment Dieu nous rejoint à la fois dans nos plus grands désirs et dans nos pauvretés, comment il donne fécondité au peu que l’on fait. Joie.
Les sessions couples dans les centres spirituels ignatiens
Je prends alors conscience de la distance entre ce que je dis de la visée offerte par le sacrement du mariage et mon quotidien et j’en suis peinée. Mais, ce service vécu en Église me donne de reconnaître très humainement qu’il est bon d’aimer et d’être aimé ; et cela me tourne aussi vers Dieu !
6
Hélène et Paul-Marie CHAVANNE 2
© Corine Mercier / CIRIC
émerveillée de voir de loin leur application à écrire leurs lettres, ils sont attentifs l’un à l’autre, comme l’est Jésus dans les nombreuses scènes où il relève celui qu’il rencontre et je pense à Dieu qui dit à Moïse « Choisis donc la vie 1 ». Certains sont venus là seulement par amour pour leur conjoint. Ils osent avouer les hésitations de leur foi et je les sens se laisser travailler par la Parole ; celle de leur conjoint ? Celle de Dieu ? Je m’étonne alors de la liberté de Dieu, de sa grandeur pour rejoindre ceux qui s’en croient distants.
Chaque année, des week-ends aux intitulés comme « En vue d’un mariage chrétien » ou « Préparons notre mariage » ou autrement encore, réunissent des centaines de couples ayant pris la décision de se marier à l’Église. Ces week-ends visent à aider chacun à prendre une vraie pause pour se retrouver avec son futur conjoint et devant Dieu, à fortifier sa relation dans une expérience de dialogue en vérité, à approfondir la dimension spirituelle du mariage chrétien, à poser les jalons d’une vie de couple éclairée à la lumière de l’Évangile et de l’enseignement de l’Église. D’autres week-ends sont ouverts à des couples mariés pour faire le point, redynamiser leur relation conjugale, approfondir leur foi. Ces week-ends s’enracinent dans la spiritualité ignatienne. Chacun est accueilli là où il en est. Pas de grands discours. Les participants sont acteurs de leur démarche avec des « exercices » qui s’appuient sur le dialogue conjugal, sur l’écoute de la parole de Dieu et de l’Église. Voir adresses et dates sur www.jesuites.com/actu/retraites/8-mariage
1 Deutéronome 30, 19.
2 Paul-Marie et Hélène Chavanne sont animateurs et responsables de l’activité « Couples » du Centre Manrèse de Clamart (92).
Mai 2011 23
Se former
Les Actes des Apôtres
1. Discerner
« Avec l’aide des uns et des autres, chacun cherchera ce à quoi il est appelé » : rassemblés en assemblée mondiale en 2003 à Nairobi au Kenya, la Communauté de Vie Chrétienne a mis en valeur cette notion de discernement pour ses membres en y adjoignant trois autres dimensions : l’envoi, le soutien et l’évaluation (voir encadré page 26). Nous avons demandé à Odile Flichy, spécialiste de l'œuvre de Luc, enseignante au Centre Sèvres – Facultés Jésuites de Paris, de nous aider à lire les Actes des Apôtres en y repérant ces quatre dimensions. Premier temps : le discernement.
L
Le livre des Actes des Apôtres fait suite au troisième évangile. Son auteur, identifié par la tradition chrétienne à un compagnon de Paul nommé Luc, est le seul évangéliste à avoir ajouté un deuxième volume à son récit de la vie de Jésus pour retracer la naissance et les débuts de l’Église. Il nous livre par là un précieux témoignage sur la vie des premières communautés chrétiennes. Son œuvre est pour nous la première histoire du christianisme. Après l’effusion de l’Esprit au jour de la Pentecôte, Pierre et ses compagnons proclament, à Jérusalem, la Bonne Nouvelle de la venue du Messie Sauveur promis par Dieu à Israël. La croissance de l’Église va de pair avec la montée de la violence à leur égard. Après le martyre d’Étienne, la prédication se fait au-delà de Jérusalem et entraîne une série de conversions : celle de Simon le mage et de l’eunu-
que éthiopien en Samarie, celle de Saul de Tarse sur la route de Damas et celle du centurion romain Corneille. Saul, devenu Paul, commence son ministère à Antioche où l’Église est désormais composée de juifs et de non juifs (les « païens »). Envoyé en mission par l’Esprit Saint, en compagnie de Barnabé, il « ouvre la porte de la foi aux païens » (Actes 14,27). Luc consacre la deuxième moitié de son récit à ses voyages missionnaires qui le mèneront jusqu’en Grèce. Dans une dernière séquence, il retrace le procès qui lui est intenté jusqu’à son transfert à Rome devant la justice impériale. L’issue de cette ultime étape ne nous est pas rapportée. Le livre se termine sur l’image d’un Paul continuant à annoncer « à tous », juifs et non juifs, la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu. Nous est ainsi transmise la tradition vivante de la mémoire de l’apôtre dont Luc et
24 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 11
sa communauté à la fin du premier siècle se reconnaissent les héritiers.
La mission des apôtres (Actes 1,1-26) Depuis le jour de Pâques, Jésus ressuscité est apparu à plusieurs reprises aux onze apôtres et leur a parlé « du Règne de Dieu », non pas pour leur dire, comme ceuxci l’espéraient, à quel moment se produirait son instauration définitive, mais pour les préparer à la mission qui sera la leur. Investis de la puissance de l’Esprit Saint, que Jésus lui-même a reçue lors de son baptême, ils doivent être ses « témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie et jusqu’aux extrémités de la terre » (Actes 1). En reprenant immédiatement le chemin de Jérusalem après avoir vu Jésus s’élever au ciel, les apôtres manifestent leur écoute de la parole du Christ et leur acceptation de la mission qui vient de leur être donnée.
La « vocation » de Saul de Tarse (Actes 9) Au lendemain de la mort d’Étienne, une persécution s’est abattue sur l’Église. En allant chercher auprès du grand prêtre des lettres de recommandation pour les synagogues de Damas, Saul se présente comme déjà pleinement engagé dans un projet de mort à l’encontre des chrétiens. Sur le point d’aboutir, il est brusquement arrêté dans son élan destructeur. La lumière venue du ciel et la voix qui s’adresse à lui sont les clairs indices d’une manifestation divine. La force et l’ampleur du phénomène disent également son origine surnaturelle : la lumière qui enveloppe Saul est éblouissante au point de le faire tomber à terre. Elle réduit à néant sa capacité d’action. Les © Jörg P. Anders / RMN
Comme pour souligner qu’ils ont bien compris que cette mission s’inscrit directement dans le prolongement du ministère de Jésus, Pierre commence par inviter la petite communauté des disciples à élire un douzième apôtre, en remplacement de Judas, pour être, avec eux, « témoin du Ressuscité ». C’est en effet au sein d’Israël, peuple de Dieu, que Jésus est venu annoncer le salut offert à tous les hommes, et c’est à Israël d’abord d’en témoigner. Pour justifier sa proposition, Pierre se réfère à l’Écriture : la mission des disciples du Christ est ainsi d’emblée enracinée dans la Parole de Dieu, à la lumière de laquelle se discernent les décisions à prendre. Signe de l’unanimité du groupe, l’élection de Mathias est également le fruit de la prière que, tous ensemble, ils adressent à Dieu.
La conversion de saint Paul, peinture sur bois, XV e siècle, Veneziano Domenico,Gemäldegalerie, Berlin.
lettres du grand prêtre n’ont, en effet, aucun pouvoir sur celui qui se révèle à lui comme Jésus, vivant, celui qu’il persécute par son acharnement contre les chrétiens. C’est toute l’orientation fondamentale de son existence que remettent en question les paroles du Christ : « Mais relève-toi, entre dans la ville et l’on te dira ce que tu dois faire » (Actes 9,6). Son avenir est ainsi placé sous le signe de ce qui lui sera dit à Damas : c’est grâce à ce que lui transmettra la communauté chrétienne de Damas qu’il pourra le comprendre. Les paroles du Christ concernent donc autant Saul que la communauté ecclésiale qu’il va rejoindre ! La cécité qui le frappe est présentée comme l’effet de la lumière divine qui l’a terrassé. Il a beau avoir les yeux ouverts, il ne voit plus rien. Autrement dit, à un niveau symbolique, il a perdu tous ses repères dans l’anéantissement de son projet meurtrier et il ne voit pas ce que sa rencontre avec le Christ lui a donné à voir. De même, il est réduit à un état de passivité absolue, synonyme de mort : incapable de se diriger, il doit être conduit par la main jusqu’à Damas où il reste sans boire ni manger pendant trois jours. Pour accéder à la nouvelle vie que représente sa rencontre avec le Christ, il doit passer par la mort de son existence précédente.
,
Son retour à la vie se fait grâce à Ananie, un disciple du Christ à Damas. Certes, l’initiative du Christ est toujours première. Pourtant, la réalisation de son
Mai 2011 25
Se former
!
dessein concernant Saul passe désormais par l’action de ses disciples : c’est à la médiation de l’Église que Saul devra d’avoir vu ses yeux s’ouvrir, débarrassés des écailles qui les recouvraient. Ainsi, la « conversion de Saul » ne va-t-elle pas sans la « conversion de l’Église » qui a dû consentir, elle aussi, à se laisser « retourner » par le Christ pour accueillir en son sein son pire ennemi et voir en lui un « frère » ! Sitôt intégré, grâce à Ananie, à la communauté chrétienne de Damas, Saul déploie pour le Christ le même zèle que celui qu’il mettait à persécuter les chrétiens. L’empressement dont il fait preuve pour aller proclamer le nom de Jésus « Fils de Dieu » dans les synagogues en témoigne ainsi que les efforts qu’il déploie pour convaincre ses
Le « chemin de Damas » Luc rapportera plus loin dans son récit la relecture que Paul fait de son « expérience du chemin de Damas », dans le cadre des deux discours de défense qu’il prononce au cours de son procès. Pour se faire comprendre de ses frères juifs de Jérusalem, Paul compare l’appel qu’il a reçu du Christ à la vocation des prophètes de l’Ancien Testament (Actes 22,6-11). Devant le roi Agrippa, en revanche, il fait valoir que c’est le Christ lui-même qui lui a révélé le sens de cette rencontre et a fait de lui le témoin de la venue du salut de Dieu pour tous les hommes (Actes 26,12-19).
auditeurs juifs qu’en Jésus est venu « le Messie » promis par Dieu à Israël. Comme Étienne, en confessant sa foi au Christ, Saul se trouve rapidement en danger de mort. S’il n’a pas, comme lui, payé de sa vie son témoignage, c’est que, conformément à la révélation faite à Ananie (cf. Actes 9,15), le Christ a choisi pour lui un autre chemin, jalonné de souffrances et d’épreuves. L’image de la corbeille descendue le long des murailles de la ville suffit à évoquer combien celui qui incarnait la force et le pouvoir de tuer est devenu fragile, vulnérable et lui-même menacé de mort. À son tour, la communauté chrétienne de Jérusalem doit accepter de surmonter ses réticences à son égard, faites de crainte et de doute : comment croire que son pire ennemi soit véritablement devenu disciple du Christ ? Là encore, la médiation d’un chrétien, Barnabé, est nécessaire pour faire aboutir les efforts de Saul et son désir de se joindre aux disciples. Désormais « avec » les apôtres, Saul fait partie de leur groupe. Grâce à sa rencontre avec le Christ, il est devenu un des leurs, participant pleinement à leur mission de témoins du Ressuscité. Mais, comme à Damas, menacé de mort, il ne doit son salut qu’à l’intervention de ses frères chrétiens qui lui font quitter Jérusalem et revenir à Tarse, sa ville originaire.
26 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 11
6
Odile FLICHY
Prochain article : « Envoyer, être envoyé ».
DESE ou petit cours de grammaire CVX Après la période de formation, la vie en CVX devient de plus en plus un lieu d’aide au discernement : cela se décline autour des quatre orientations que la Communauté mondiale a définies au Congrès de Nairobi (lettre mondiale Projets, n° 125). Discerner : chaque membre aime à partager en communauté les mouvements intérieurs qu’il relit dans le service quotidien qu’il vit. Avec l’aide des uns et des autres, chacun cherchera ce à quoi il est appelé. Envoyer, être envoyé : la communauté locale est un lieu où chacun devient envoyé là où le Christ le précède (Marc 16,7) et où il pourra le servir davantage. Le plus souvent, la communauté va envoyer dans « les réalités les plus humbles de la vie quotidienne » qui prennent alors une dimension apostolique. Plus on est envoyé par ses compagnons, plus on devient capable de les envoyer aussi et de les porter dans leur mission en en devenant solidaires. Soutenir, être soutenu : la communauté locale, spécialement après le temps de partage, va trouver comment soutenir chacun dans sa mission : temps de parole régulier, besoin de formation, retraite ignatienne, aide au discernement pour telle ou telle décision, appel à prendre d’autres responsabilités professionnelles, d’accompagnement ou de service d’Église… Chacun peut compter sur des frères et sœurs. Évaluer : à intervalles réguliers, la communauté locale prend le temps d’évaluer ce que chacun est devenu dans sa mission, pour rendre grâce, voir les manques, réorienter ce qui blesse ou ne fait pas grandir. Le chemin de la CVX Document de la Communauté de Vie Chrétienne France
L’ a ction sociale dans l’écheveau de nos relations
1
Prenons un quartier où les enfants sont massivement en échec scolaire. Que vaut-il mieux faire : travailler sur le terrain directement auprès des enfants en proposant du soutien scolaire ? engager des discussions avec l’Éducation nationale pour réduire les effectifs dans les classes ? Cette question de l’efficacité de nos actions apparaît dans la correspondance de saint Ignace 2.
D
conditions se retrouvent dans les lettres de saint Ignace, sous l’aspect du « regard vers le bas », en premier, et selon la question du pouvoir ensuite.
Regarder d’abord vers le bas Très souvent le regard d’Ignace © P. Razzo / CIRIC
Dans nos engagements et dans les défis que nous voulons affronter, nous avons un grand désir de faire avancer les choses. De là découle le choix de nos actions, qui doivent s’inscrire dans le réel du champ social, et que nous cherchons à rendre les plus efficaces possible. Ces mêmes
Françoise, bénévole du Secours catholique, aide des enfants Roms à faire leurs devoirs dans le Village d'insertion ADOMA de Fort de l'Est à Saint-Denis (93).
se porte en premier lieu vers le bas comme en témoigne la lettre à Cazador 3 : commencer par le bas est le garant du mouvement qui pourra porter vers de grandes – hautes – choses, c’est la manière de lancer un mouvement, une action. N’est-ce point ce que nous pensons lorsque nous disons : « croire aux petites initiatives » ? Qu’il y ait un bas où le regard se porte en premier suppose qu’il y ait un haut, comme dans toute réalité sociale. Le bas : l’étranger irrégulier, le haut : le Préfet. Le bas, le gamin en échec scolaire, le haut : l’Éducation nationale. Dans la lettre à Isabelle Roser 4, de tonalité toute spirituelle, et pas vraiment sociale, nous entendons l’invitation à mépriser les grandeurs, le haut, pour consentir à ce qui est en bas, d’ailleurs dans une indifférence entre le haut et le bas qui rappelle le texte du Fondement. Mais notons bien : rejeter les choses hautes (en termes de vie spirituelle, comme en termes de vie sociale), c’est surtout pour
1 Extraits de l’intervention de J.-M. Carrière au rassemblement de l’apostolat social ignatien - Saint Chamond, 2 mai 2010. 2 Écrits, traduits et présentés sous la direction de Maurice Giuliani, Collection Christus n° 76, Descléee de Brouwer – Bellarmin. 3 « Je commencerai [à répondre par les questions] les moins élevées qui ne sauraient étancher la soif de nos âmes, ce qui nous permettra de ne pas rester sur le goût et la saveur de choses qui ont moins d’importance pour notre salut éternel. », février 1536.
4 « Accepter indifféremment élévation et abaissement, honneur et déshonneur, richesse ou pauvreté, amour ou haine, accueil ou refus. », novembre 1532.
,
Mai 2011 27
Se former
© P. Razzo / CIRIC
! Geneviève Anthonioz de Gaulle, alors présidente d'ATD Quart Monde, entre Bernard Kouchner et Simone Veil.
laisser la place à des choses plus grandes encore, et qui relèvent de Dieu lui-même. Par exemple, nous pourrions consentir à faire moins qu’on ne pensait, ou moins grand qu’on ne rêvait, mais justement pour laisser davantage de place au travail de l’Esprit ou à la venue du Royaume. Se tenir indifférent au haut comme au bas, cela peut être aussi le choix de fréquenter ceux du bas, en fait ceux avec qui on commence… ou recommence. Même lorsque l’expérience de l’institution des collèges commence à se développer, et que des appels arrivent de différents lieux, Ignace veut toujours commencer par le bas, et non par les grands professeurs ou les grands orateurs qui flatteraient la réputation de la ville qui demande un collège. Dans les lettres d’Ignace, commencer par le bas, humblement, sans tapage, c’est en fait se donner la chance de réaliser mieux, et plus solidement, ce que l’on prétend faire
avec beaucoup d’autres : une œuvre solide, fondée, humainement comme spirituellement.
Pas de service efficace et solide du « bas » sans le « haut » Regard vers le bas, indifférence au haut et au bas… Cependant, la conviction est claire dans les lettres de saint Ignace : il n’y a pas de service efficace et solide du « bas » sans le « haut » – en termes de position sociale. Pour la raison simple et réaliste que ceux qui sont en haut pourraient avoir la capacité d’ouvrir de manière efficace l’espace du service de ceux du bas. « Pourraient » : ce qui implique d’entretenir avec eux une relation qui les aide à jouer ce rôle de faciliter et d’aider un service de ceux qui sont en bas ; par exemple, quand quelqu’un dit : « convaincre les employeurs que les jeunes ne sont pas tous mauvais ». Il y a là une prise de conscience pro-
28 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 11
gressive du politique dans les lettres de saint Ignace, et peutêtre pour nous une interrogation sur la manière dont nous considérons le « haut ». Il faut certes maintenir la capacité critique envers les décisions ou les positions tenues par « haut », et ne pas s’en priver ; tout en tenant, aussi, la possibilité de relations qui ne soient pas strictement ou toujours d’opposition frontale. Ceci étant, – la mise en place des collèges le montrera – cela implique une plus grande complexité des relations, et aussi de l’audace sans doute. Quelles relations permettent de faire jouer les capacités « vertueuses » du « haut » ?
Une dynamique qui part du bas La qualité, la fécondité, la réussite d’un engagement ou d’une entreprise ne se mesure pas en termes de grandes choses, et reste assez indifférent à la grandeur ou à la petitesse de ce que nous entreprenons, mesurées en termes de réalité sociale. C’est en fait la dynamique qui habite notre engagement qui compte, une dynamique qui part du bas, là où les choses commencent et se fondent, une grande dynamique, un grand désir qui ne peut être effectif que si nous le laissons être celui de Dieu même, de son Royaume ou de sa gloire. Alors, la place des uns et des autres dans le champ social est évaluée pertinemment, chacun alors étant considéré en la position qui convient, que ce soit en bas comme en haut.
© Philippe Lissac / Godong
Des relations qui révèlent et soutiennent des potentialités Le choix de nos actions s’inscrit dans l’écheveau des relations que nous entretenons. En toute relation, pour Ignace et pour les compagnons, il y a un pouvoir, une énergie, des capacités, des virtualités sociales qui sont mises en œuvre dans le jeu (éventuellement conflictuel) de ces relations. Il y a manière et manière d’ordonner les relations, pour déployer ces énergies au mieux. Non selon une hiérarchie qui fonctionne selon le schème de l’honneur, et où l’important est d’être devant et de précéder ! Mais plutôt selon un type de relation qui permet de susciter en quelqu’un le pouvoir (agir) dont il est capable, de rendre effective ses potentialités. Instituer une capacité, la confirmer, l’étendre ou la limiter, l’attribuer : la relation d’obéissance – car c’est de cela qu’il s’agit – ne s’intéresse pas à défendre un pouvoir central d’où tout partirait, mais bien au contraire à soutenir le pouvoir des sujets, là où il est souvent caché, non visible, en lui donnant les moyens d’un exercice effectif, de mieux assumer des responsabilités, et la possibilité de devenir plus universel, plus large, un meilleur service. C’est ce qu’Ignace appelle « reconduire » dans sa lettre aux compagnons du Portugal 5, quelque chose d’intéressant pour nos engagements, et pour les relations qu’ils impliquent : avoir le goût
Faire corps avec ceux et celles que nous voulons servir, avec la conviction que nos destins sont liés.
et chercher, à travers ces relations qui ne sont pas d’obéissance au sens propre, à dégager le pouvoir et les capacités de ceux avec qui nous travaillons ou de ceux au service de qui nous nous mettons. C’est une manière de faire d’Ignace que de chercher le pouvoir au plus bas, en faisant fond sur ce désir de grandes choses qui nous habite – on est proche de la Méditation du Règne dans les Exercices.6
Avec quels moyens pour se déployer et atteindre le but ? Dans ses lettres, Ignace s’efforce constamment de considérer les moyens (financiers, humains, démarches…) comme des grâces. À son époque, ce sont souvent des « faveurs » faites par des personnes. Faveur implique aussi parfois obligation. Mais pour Ignace, on retire aux moyens la plus grande part de leur efficaci-
té si l’on néglige ou oublie qu’ils ne sont jamais que les moyens d’une relation. C’est la raison pour laquelle il est toujours désireux que ces relations conservent leur caractère de gratuité et de liberté inventive réciproque, bref qu’on agisse et qu’on s’accorde sur la base de l’amitié.
5 Lettre de mars 1553.
Faire corps Y aurait-il aujourd’hui pour nous des manières originales d’intégrer dans les relations qui structurent nos engagements ce souci très ignatien de jouer les cartes de l’inventivité et de la gratuité ? Comme on le voit dans les lettres de saint Ignace, le discernement proprement ignatien ne se joue pas seulement au niveau spirituel, mais aussi au niveau social. Ne sommes-nous pas invités à faire corps ensemble, avec ceux et celles que nous voulons servir, avec la conviction que nos destins sont liés ?
6 «L’appel du Règne (Exercices spirituels 91) : voir article de Paul Legavre in Nouvelle Revue Vie Chrétienne n° 7 p. 29-30.
Jean-Marie Carrière, jésuite, enseigne l’exégèse biblique au Centre Sèvres à Paris. Il coordonne en France les activités du Service jésuite des réfugiés (JRS).
6
Jean-Marie CARRIÈRE sj
Mai 2011 29
Se former
Vivre la coupure de l’été « Après tout ce que nous avons vécu en équipe pendant l’année, deux mois de coupure, c’est trop long. Cette période sans réunion presque imposée par les vacances scolaires m’est pénible. Même si la communauté trouve des moyens concrets pour garder notre lien de compagnonnage en juilletaoût, l’été créé en moi un manque évident. Comment y remédier ? »
E
En période estivale, beaucoup font des projets qui rompent avec le rythme de l’année scolaire. Difficile, dans ces conditions, de trouver une date où la communauté est au complet. Certaines équipes se réunissent en comité restreint, c’est une piste… Il y a aussi la piste « communauté brassée ».
1 Équipe service diocésaine
À Tours, se sont réunis en 2009 et 2010 des amis dans le Seigneur de communautés locales différentes. L’ESD 1 s’est laissée interpeller par la demande d’un membre et a pris en charge l’organisation d’une rencontre d’été. Elle réunissait ceux qui le souhaitaient sur la base de relectures de vie à thèmes pour faciliter la mise en relation (les thèmes du repos, puis du regard ont marqué les participants : chacun s’y est révélé. « On était centrés sur Jésus-Christ » !). Les réunions se sont déroulées selon les étapes que nous connaissons bien ! Dans le propos des participants, on lit qu’il y a « de la joie dans
l’aventure de la diversité » : « Cela m’a permis de rencontrer avec bonheur, d’autres qui partagent le goût de suivre Jésus-Christ. » L’équipe brassée, c’est le souci de soutenir certains compagnons « dans leur solitude de l’été », et c’est aussi « expérimenter que je fais partie d’un corps entier ». « Cela a renforcé pour moi le sens de la communauté. » La « méthode CVX »… Presque tous en parlent ! « On est modelés par cette méthode » « qui nous contraint et nous libère tout à la fois ». Elle permet dans cette situation « une entrée en matière immédiate, comme à Nevers, à Biviers ou en weekend régional. » « Notre désir commun nous a fait entrer en confiance rapidement ». « J’ai retrouvé le goût habituel, la nourriture dont j’ai besoin. » « Partager son expérience de Dieu, entendre les autres partager la leur dans cette méthode commune » induit un « esprit de retrouvailles avec des personnes
30 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 11
que l’on connaît peu ou pas ! » Un étonnant esprit de détente, de disponibilité de spontanéité régnait sur ces réunions… Ambiance d’été ? Nouveauté de la situation ? Ton donné par untel ?… La question reste. En communauté locale habituelle, notre histoire commune nous donne une confiance mutuelle sur laquelle repose en partie la croissance de la communauté. Évidemment, le deuxième tour y est d’autant plus épais qu’une communauté locale est avancée dans son chemin commun, mais quand elle ne peut se réunir au complet pendant deux mois, une réunion brassée peut être une douceur à se faire les uns aux autres ! « Pour moi, ça a été une respiration importante… On devrait même en faire deux par été ! » Et vous, risquerez-vous de prendre contact avec la CVX de votre région de vacances pour participer ou organiser une rencontre de communauté brassée ?
6
Hélène CASTAING
Mai 2011 31
Š Philippe Noisette / CIRIC
Ensemble faire Communauté
Université d'été : Discerner les appels de Dieu dans notre monde Au Hautmont du 25 au 28 août 2011
Une université d’été de la communauté : une bonne nouvelle pour tous ceux qui, parmi nous, ont le désir que nos partages en communautés locales et plus largement notre vie chrétienne nous conduisent à nous ouvrir davantage au monde.
L
Les mutations du monde (économiques, sociales, politiques, techniques, écologiques) s’accélèrent. Comment percevoir, à travers ces changements complexes et profonds, le travail de création toujours à l’œuvre ? Quel est l’enjeu, pour chacun de nous et pour la communauté, de repérer les signes d’espérance et les forces d’aliénation de l’homme issues de l’adoration de veaux d’or modernes ? Comment dans ce travail éviter les écueils d’une lucidité désespérée (« plus je m’informe plus ça m’écrase »), du repli sur soi (« à quoi bon, tout ceci nous échappe »), de l’action désordonnée (« répondre à la première sollicitation militante ou caritative au risque d’aller de déconvenue en déconvenue et, finalement, de céder au découragement ou à l’épuisement ») ? L’intuition de la Communauté est que l’application de nos manières de faire habituelles (le discerne-
ment, le partage d’expérience, la formation) à un champ plus élargi que celui de nos vies et de nos missions personnelles peut porter du fruit ; qu’ainsi il est bon et souhaitable que nous nous exercions ensemble à repérer les appels de Dieu dans le monde d’aujourd’hui. L’ambition n’est pas de devenir des experts en analyse sociale ou économique, en théologie, ou de préparer directement une action collective ou une prise de parole publique ; elle est de nourrir une contemplation du monde par des éléments d’analyse, de formation théologique, de relecture de nos actions avec la visée d’éclairer nos discernements futurs, tant pour nos décisions individuelles que pour les décisions à venir de la Communauté : mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons pour mieux l’aimer et, ensuite, le servir en actes à notre portée. Le terme d’université d’été a semblé approprié car il met en avant
32 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 11
la dimension de formation pour toute la Communauté. Un tel rassemblement aura aussi une visée apostolique. La formation dans la Communauté est en effet aujourd’hui essentiellement centrée sur la vie communautaire et les Exercices. Depuis plusieurs années, des interrogations ont vu le jour, notamment au sein de l’Équipe service formation, sur la façon d’ouvrir nos formations à d’autres dimensions, théologique et apostolique, en particulier grâce aux centres spirituels, « le troisième pôle de la formation ». Parallèlement, plusieurs ateliers (les ateliers regroupent des membres de CVX désireux de partager plus spécifiquement sur leur champ professionnel – santé, éducation, justice – ou sur « un chantier du monde » -chrétiens co-responsables de la Création, art, étrangers, Église, monde du travail, ressources humaines) ont fait le constat concordant
© Corinne Mercier /CIRIC
que les questions auxquelles nous sommes confrontés dans le monde d’aujourd’hui dépassent les seules capacités de réponses individuelles ; de véritables structures de péché (d’aliénation, de déshumanisation) sont ainsi mises en évidence. Ainsi s’agira-t-il d’un premier pas pour entrer dans une nouvelle expérience en portant communautairement notre attention à repérer les signes des temps : « en nous rendant attentifs aux signes des temps et aux motions de l'Esprit, nous serons plus aptes à rencontrer le Christ en tout homme et en toute situation » (PG 6) 1. Dans son histoire récente, la CVX France a beaucoup progressé dans la pratique du DESE (un discernement individuel suivi d’un envoi au sein de sa communauté locale, un soutien fraternel et une évaluation) et la pratique des Exercices spirituels. Sans oublier de poursuivre et
d’approfondir ce chemin, nous voulons considérer que Dieu se donne aussi à voir à travers des mouvements de l’Histoire ; la prière de contemplation du monde (PG 1) doit nous aider à repérer les signes d’espérance, à entendre les cris de l’humanité en vue d’orienter chacun de nous pour ses décisions individuelles, mais plus largement la Communauté tout entière pour discerner ses orientations apostoliques. Il ne s’agira pas à l’occasion de ce temps fort d’opérer directement des discernements sur les missions de la Communauté : ce sera l’une des tâches de la première Assemblée de la Communauté à l’Ascension 2012 ; mais l’un des fruits espérés de l’Université est de proposer des éléments sur lesquels l’Assemblée pourrait appliquer son discernement. Fidèles à notre façon de croître ensemble, nous nous appliquerons à mettre en œuvre nos manières
de faire habituelles (partager, nous exercer) en les nourrissant d’un quadruple apport : la prière, l’analyse sociale (avec Françoise Terrel-Salmon, du CERAS), la formation théologique (avec Olivier de Dinechin, jésuite), le recueil de nos expériences. La Communauté a voulu associer plus spécialement à la préparation les ateliers, l’équipe service formation, l’équipe service jeunes. Le nombre de participants est limité à 200 (des personnes du diocèse de Lille seront en outre invitées à se joindre à l’université). Ne tardez donc pas à vous inscrire, avec le bulletin diffusé par courrier électronique, également disponible sur le site de la Communauté et auprès de vos équipes service.
1 PG : Principes généraux
6
Dans la joie de vous retrouver pour cette aventure. Jean ROBICHON avec l’équipe de préparation de l’Université d’été
Mai 2011 33
Ensemble faire Communauté
france Été 2012: oser
l’aventure des Exercices Vivre les Exercices spirituels est au cœur de notre vocation et ils sont nombreux, celles et ceux qui témoignent dans la Communauté de la conversion et de la joie si grandes reçues de Dieu, quand, à l’école de saint Ignace, ils se sont mis à l’écoute de la Parole de Dieu ! L’été dernier, dans le souffle du congrès de Nevers, Saint-Hugues de Biviers n’a pas désempli : il était beau de voir tant de personnes vivre l’aventure des Exercices, sous diverses formes, y compris les 30 jours avec le Père Bernard Mendiboure.
L
L’été 2011, des retraites sont bien sûr proposées dans les centres de la Communauté, à Biviers et au Hautmont. L’été 2012, un mois d’Exercices sous toutes ses formes sera de nouveau offert à la Communauté : 30 jours, 10 jours et aussi 5 jours d’entrée dans les Exercices, à Biviers et au Hautmont.
Se former à la vie du Christ Proposer les Exercices dans leur intégralité, c’est donner un signal fort à tous, pour les encourager à aller de l’avant dans l’écoute de la Parole et l’accueil de la mission du Christ dans le monde, notamment lors de passages importants dans leur existence. Les Exercices dans leur forme intégrale pourront être vécus par beaucoup dans la vie avec un accompagnement très régulier :
l’aventure dure alors entre un an et dix-huit mois. Pour d’autres, partir à l’écart trente jours, à Biviers ou ailleurs, permettra de vivre l’expérience de la Parole, comme une source désaltérante dans le désert. Pour d’autres enfin, la démarche de s’arrêter trois fois dix jours correspondra davantage à ce qu’ils peuvent donner par amour du Christ.
bles pour débuter, une proposition nouvelle sera faite l’été 2012, à Biviers et au Hautmont : une retraite de 10 jours « Avance en eau profonde » pour, dans une durée plus grande, aller plus loin.
Pourquoi parler dès à présent des propositions pour 2011/2012 ? Parce que pour construire une tour, il est bon de s’asseoir et de considérer si nous avons de quoi aller jusqu’au bout (Luc 14, 28-30). Cela demande de s’y prendre longtemps à l’avance ! Et d’abord pour discerner avec son accompagnateur et en lien avec l’Équipe service formation ce qui convient le mieux. Quel est mon désir de me mettre à l’écoute du Christ et de sa Parole ? Comment répondre à son appel et participer à sa mission dans le monde, à la manière de la CVX ?
Paul LEGAVRE et Michel LE POULICHET
Avance en eau profonde À côté des retraites « une entrée dans les Exercices », irremplaça-
Et vous, et toi ? Quel pas feras-tu dès cet été, ou l’été 2012, pour suivre de plus près le Christ vivant, qui se donne dans sa Parole et nous invite à la joie ?
Vivre les Exercices ● Propositions été 2011 : voir revue précédente. ● Pour 2011/2012, la Communauté vous encourage à vivre les trois formes d’exercices : dans la vie, ou bien les 30 jours à Biviers en juillet 2012, ou encore communautairement les 3x10 jours avec le centre jésuite des Coteaux Païs. ● La démarche nécessite un discernement réciproque. Pour tout renseignement contacter : exercices@cvxfrance.com.
34 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 11
Vie Xtienne N°11.indd 34
20/04/11 18:11:42
On nous a changé nos régions ! De 25 régions à 45 communautés régionales : La différence est de taille ! En ce temps d’élections, l’une des dimensions essentielles de la réforme de la gouvernance apparaît en pleine lumière.
D
Dans plusieurs régions, le traditionnel week-end de mars a pris la forme inédite de journées « au revoir » et de journées « bonjour » : au revoir entre compagnons de l’actuelle région, et bonjour entre celles et ceux qui appartiendront à la nouvelle communauté régionale. Ainsi, les compagnons de Tarbes et Pau ont rencontré ceux de Bayonne et Dax ; certains appartenaient au même diocèse mais étaient membres de deux régions différentes (Aquitaine et Midi-Pyrénées) : désormais une nouvelle communauté régionale les réunira.
Une vie communautaire élargie 45 plutôt que 25 : on perçoit d’emblée l’enjeu ; il s’agit de renforcer la vie communautaire avec des communautés régionales plus petites et des Équipes service régionales en plus grande proximité avec les communautés locales. Le changement d’appellation dit la visée ; de région à communauté régionale, c’est une émergence communautaire qui est recherchée et elle sera grandement favorisée par le changement d’échelle. Par exemple, il
n’y aura plus à courir de Limoges à Bayonne pour faire communauté au sein de la région Aquitaine. Naissent quatre communautés régionales autour de Bordeaux, de Périgueux et Angoulême, de Pau et Bayonne, de Limoges et Poitiers, tandis que Brive et Agen seront soutenus par les régions voisines. Ce qui est partout visé, c’est une vie communautaire élargie et plus simple, en Église, au service de la mission du Christ dans le monde. Du coup, la mission des Équipes service régionales va changer : elles veilleront à être moins dans le faire que dans l’appel, l’animation, le soutien. Chacun, et chaque communauté locale sont appelés à se sentir partie prenante de la vie de la région et de sa gouvernance. Il en va de la vitalité de la Communauté et de son service dans le monde. Souvent les gens opposent service interne et mission dans le monde, appels personnels et missions communautaires ; il s’agit en fait des deux faces de la même pièce, dans l’appel à devenir davantage une communauté apostolique, un corps apostolique, pour que l’annonce du Christ soit plus effective, et
vécue en s’appuyant mieux les uns sur les autres. Ce que nous gagnons en proximité devient un appel à œuvrer avec les autres : les nouvelles communautés régionales auront besoin d’être en relation, pour échanger, mutualiser, construire ensemble des formations communes, mettre en place des ateliers spécifiques pour approfondir notre manière d’agir dans nos lieux de mission… C’est au développement de cette communion et de cette entraide multirégionale que vont œuvrer les équipes service grandes régions, en apportant soutien et appui de tous ordres pour aider chaque équipe service régionale à choisir le chemin à prendre… Une communauté en mouvement : voilà ce qui nous est donné de vivre en ce printemps, au bénéfice du jaillissement d’une vie insoupçonnée ! « Déjà les champs sont blancs pour la moisson : ne le voyez-vous pas ? » (Jean 4,35). Paul LEGAVRE (assistant national) avec Xavier CADOU (assistant de Bretagne) et Chantal SAVY-VINCEY (assistante d’Aquitaine)
6 Mai 2011 35
Ensemble faire Communauté
Nouvelles d’Égypte Les contacts noués entre délégués à l’Assemblée mondiale de Fátima, en 2008 s’intensifient. Les membres de la CVX France se soucient de plus en plus des autres CVX nationales touchées par les différents événements mondiaux, notamment au Japon et en Égypte. Un échange de courriers électroniques avec l’Égypte, initié par la déléguée de la Belgique flamande, nous apporte un témoignage personnel.
L
1 Sameh Tanios CVX, habite le Caire; il dirige une entreprise de fabrication de papier.
Le 11 février, Sameh Tanios 1, délégué de la CVX Égypte, écrit : « Après être allé dans les rues près de la place du palais présidentiel, ce que j’ai vu m’a amené à ces réflexions :
© Sean Sprague / CIRIC
- Je ne possède rien, pas même ma vie, elle est un don de Dieu.
liberté et obtenir des fonds de la part des Occidentaux. J’ai découvert que le ministère de l’intérieur et Moubarak lui-même avaient monté différents plans contre les chrétiens pour créer des problèmes entre chrétiens et musulmans.
- Pendant trente ans, Moubarak a réussi à laver le cerveau des Égyptiens et du monde arabe, de l’Europe et des États-Unis ; il a fait croire qu’il protégeait l’Égypte des musulmans et des Frères musulmans ; cela lui donnait tous les droits pour voler notre
- Pendant la crise, j’ai découvert beaucoup de musulmans modérés autour de nous ; ceux-ci pensaient qu’ils avaient le devoir de protéger les chrétiens au nom de Dieu. - Nous avons découvert que la politique de Moubarak a fait régresser notre pays vers la pauvreté à travers le vol organisé et délibéré. - Le prix de la liberté, certains l’ont payé de leur sang ou de leur vie, d’autres le paieront de leur avenir, d’autres encore de leur travail ou de leur argent, mais au bout du compte nous serons libres.
Cathédrale Notre-Dame Marie Reine du Monde, partagée entre coptes orthodoxes, catholiques d'Orient et protestants, Port Saïd.
36 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 11
J’espère que vous pourrez prier pour la génération montante et notre beau pays d’Égypte qui es-
pérait recevoir la prochaine Assemblée mondiale de CVX. J’espère aussi que l’Europe sera notre partenaire pour nous aider avec son savoir-faire à organiser de bonnes élections, et aussi pour nous conduire sur le chemin de la liberté où nous ne sommes encore que des bébés ! Le 19 mars, Sameh nous envoie un nouveau message : « Nous vivons maintenant dans des conditions de sécurité meilleure, malgré quelques heurts entre musulmans et chrétiens à 60 kilomètres du Caire. Ces incidents se sont terminés sans mort, mais une église a été détruite. La tension reste forte dans les quartiers défavorisés à cause de la pauvreté intellectuelle et matérielle importante qu’a laissé prospérer l’ancien régime
en consacrant beaucoup de temps et d’argent pour que les gens ne pensent qu’à la religion. Mon activité professionnelle est lourdement affectée par la chute du tourisme et la montée forte du cours des devises étrangères contre la livre égyptienne. Mon activité dans l’atelier de fabrication de papier a chuté de 70 % ; c’est actuellement un gros problème ; j’espère que les choses vont bientôt repartir, je ne peux assurer le versement des salaires que pendant quelques mois. J’espère que tous ces moments se termineront bien, que les musulmans modérés gouverneront le pays, comme en Turquie ; ainsi l’Égypte, qui est le pays arabe le plus peuplé et aussi un des leaders sera un modèle pour tout le monde arabe. »
6
L’Égypte. Près de 85 millions d’habitants concentrés dans la vallée et le delta du Nil. Les chrétiens, environ 8 à 10 millions, représentent 10 % de la population. Les étrangers vivant en Égypte ne sont pas moins de 3 à 5 millions. La CVX Égypte compte environ 200 membres, répartis en groupes de 10 personnes maximum, issus principalement du MEJ. La CVX est surtout présente autour des collèges jésuites, à Alexandrie, au Caire et en Haute Égypte et collabore avec les pères jésuites. Les groupes se réunissent toutes les 2 ou 3 semaines. « Nous sommes uniques, dit Sameh, parce que, dans un même groupe CVX, on peut trouver un mélange de membres venant d’origine diverse : catholique, orthodoxe et protestante. » Plus d’infos et de photos sur www.cvxegypt.com
CVX – Cuba … Un an après À l’occasion de la fête mondiale de la CVX, les Cubains écrivent la lettre suivante à ceux qui sont venus les voir depuis la France 2 :
Q
Quand, après de nombreux essais infructueux 3, Marie-Françoise et moi avons enfin pu entrer en contact, ce fut un grand encouragement d’apprendre son désir : que nos deux Communautés CVX, France et Cuba, puissent célébrer la fête mondiale CVX du 25 mars, jour de l’Incarnation du Seigneur grâce au oui inconditionnel de
Marie, en communion fraternelle, d’une seule voix et comme un seul corps que nous sommes. C’est pourquoi, au nom de notre communauté nationale, je fais pour vous mémoire en rendant grâces pour tant de bien reçu. Même si chaque année, dans chaque coin du monde où la
CVX est présente, nous vivons l’expérience fondamentale d’être « Amis dans le Seigneur », c’est sans aucun doute très différent quand, malgré la distance, malgré la petitesse de notre île caraïbe, nous vivons cette communion en ayant en mémoire, avec les yeux du cœur, les visages des CVX français que le Seigneur
2 Voir la Nouvelle Revue Vie Chrétienne n°6, p. 36. 3 Les liaisons Internet sont très difficiles avec Cuba.
,
Mai 2011 37
Ensemble faire Communauté
!
4 Voir CVX Info n° 62 – juin 2009, p. 18.
Lorsque Claire et Olivier 4 sont apparus un jour, comme les pionniers de cette singulière aventure de fraternité, ouvrant les sentiers d’une union entre la CVX de France et de Cuba, en parcourant l’île d’est en ouest, de La Havane à Santiago de Cuba, en passant par Cienfuegos et Camaguey, nous n’avions pas idée qu’ils étaient en train de créer des ponts et d’ouvrir des portes. Ils emportèrent avec eux ces mots : « Il n’y a qu’à se laisser aimer ». Ensuite apparurent Catherine et Alain, encore marqués par l’expérience de s’être fait voler par deux vandales sans scrupule. Mais nous avions confiance que notre affection fraternelle servirait de baume à leur blessure. Et bien que le temps soit court, nous avons pu faire un saut avec eux jusqu’à la ville coloniale de Trinidad, où ils ont vu des danses cubaines. Un soir, ils ont pu profiter d’un concert de piano par Elena, et finalement goûter à la cuisine du Chef Moya et ses langoustes, en un partage intime et familier. Quelque temps après, nous sont arrivés Marie-Françoise et Pierre, que nous avons pu inviter chez nous pour partager un modeste repas, parler de diverses questions, marqués par la simplicité et la modestie de Pierre, génial physicien. De son côté, MarieFrançoise a goûté le contact de la création au Jardin botanique de Cienfuegos. Elle a pris des photos exceptionnelles, notamment
© iStock
nous a permis de rencontrer ici, à Cienfuegos, la seule ville fondée par des colons d’origine française en avril 1819.
celle d’un colibri dans son nid. Mais, selon moi, le plus important, au-delà des souvenirs qu’ils ont pu emporter avec eux, est le fait qu’ils nous ont emportés dans leur cœur, de la même manière qu’ils restent dans le nôtre. C’est ainsi que l’on constate, à travers des expériences comme cellesci, la portée du corps universel de la CVX. Quand cette communauté apostolique que nous sommes est formée, comme dans un patchwork, de multiples visages, sourires, regards et mains tendues pour serrer les nôtres, elle devient ainsi une réalité concrète où nous sommes « amis dans le Seigneur », parce qu’au milieu de nous se tient Jésus de Nazareth. Nous ne pouvons omettre de mentionner, dans cette commu-
38 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 11
nion, le Père Paul Legavre, assistant de la CVX France, avec qui Vivian, actuelle présidente de la CVX Cuba, a pu partager durant l’Assemblée mondiale de Fátima en 2008. En ce 25 mars, par le miracle de l’amour, les membres de la CVX France et de la CVX Cuba, nous unissons dans cette étreinte qui ne peut se vivre pleinement et avec une totale intensité que si les liens de fraternité en Christ en sont renforcés.
6
Soyez sûrs que vous serez particulièrement présents dans notre Eucharistie d’action de grâces. « Amis dans le Seigneur »
Tony RODRIGUEZ CVX Cuba
Billet
''
Carla m’a dit © Patrice Thebault / CIRIC
Vraiment, les gens ont de ces questions… On me demande parfois quel est mon bibliste préféré. Depuis mon séjour en Ardèche cet été, je réponds sans hésiter : « Carla ». Non, c'en est une autre, qu'allez-vous imaginer, voyons. C'est Carla du Pressing à côté de la mairie de L***. (Mais c'est vrai que ses clients disent volontiers : « aller chez Sarko ». Elle assume ; sur la vitrine, on lit : Nettoyage au Karcher sur demande). Carla, la bibliste donc. C'était début août, au presbytère, lors du partage biblique que s'offre une poignée de paroissiens, chaque vendredi de la période estivale. Nous lisions dans Luc, le récit de la Transfiguration (Luc 9, 28b-36) : « Pendant qu'il priait, son visage apparut tout autre, ses vêtements devinrent d'une blancheur éclatante. » « Tu vois, nous dit Carla – à qui s’adressait-elle en particulier ? C’était très doux, chacun pouvait se croire dans la confidence – quand on passe son temps à manipuler des fringues, comme moi, un détail sur les vêtements de Jésus, on apprécie. » Raymond lança – ce n'est pas mon bibliste préféré : « Logique, non, que l’éclat de Jésus traverse le tissu qu’il porte ? Si c’est déjà comme la lumière de la Résurrection, ce n’est pas du lin, même doublé laine, qui va l’arrêter… » On le sentait pas mécontent du doublé laine. « Attention, lis bien. On ne te dit pas seulement que la lumière passe à travers. » Clairement, là, c’était uniquement à Raymond qu’elle parlait. Et personne pour en être vaguement jaloux, à cause du regard que Carla lança en continuant : « On lit que c’est le vêtement lui-même qui est devenu lumineux. Tu te rends compte ? Lui aussi est transfiguré. Par toutes ses fibres. Ça veut dire que, dans un coin de Palestine, il y a un vague tailleur qui, sans le savoir, un jour, a cousu une tunique comme on en porte au Paradis… Enfin, c’est une manière de parler… » Nous avions bien compris. Et Carla a repris : « Ça ne te fait pas penser au fruit de la vigne et du travail de l’homme qui deviendra le vin du Royaume éternel ? » Vous comprenez pourquoi Carla est devenue ma bibliste préférée. D’un petit brin d’Écriture, elle fait jaillir un faisceau de fils d’or qui relie vie du Christ, vie quotidienne, vie d’Église… « C’est vraiment l’Évangile, ce vêtement de tous les jours qui, tout à coup, vaut, je ne sais pas, toutes les broderies de Versailles… » « … ou de l’Élysée. Ah, Ah. » Il est lourd, Raymond. Dommage, parfois, ce vieux fond d’éducation judéo-chrétienne qui proscrit le Karcher. Dis-nous encore, Carla…
La Transfiguration (détail), mosaïque de Marko Ivan Rupnick, Notre-Dame du Rosaire, Lourdes.
Philippe ROBERT sj Mai 2011 39
Prier dans l'instant © Corinne Mercier / CIRIC
En m’asseyant pour risquer une parole Aujourd’hui il me faut m’adresser à un proche, pour briser un engrenage malheureux de reproches ressentis, pas vraiment exprimés, imaginés peut-être, qui m’enferment et bloquent en moi le courant de la vie. Briser l’engrenage du discours intérieur qui tourne en circuit fermé. Mais c’est prendre un risque. Si l’autre ne m’entend pas, ma situation ne sera-t-elle pas pire qu’avant ? Il me faut faire le pari de la confiance. Dans notre relation d’abord, et notre désir qu’elle demeure vivante, et dans le pouvoir d’une parole qui trouve la place juste, qui touche au cœur parce qu’elle part du cœur. Confiance surtout dans la présence de notre Seigneur, en chacun de nous, entre nous, sa parole nous recréant au cœur de la nôtre. Cette présence m’invite à la simplicité, à essayer de dire simplement des ombres qui me paraissent compliquées. Sans fard, sans accusation, pour faire la lumière. Je parle, et ces choses compliquées changent de visage, se révélant finalement plus simples que je ne le croyais. Et l’autre peut les entendre parce que je ne lui demande pas de se justifier, juste de visiter ce qui se passe en moi. Le courant de la relation se rétablit, un repos s’installe. Seigneur je reconnais que c’est toi qui rends simple ce qui est compliqué, clair ce qui est obscur, fluide ce qui était obstrué, visible ce qui voulait rester caché. Merci pour cette veille à nos côtés, qui nous invite à désirer cette clarté, et à risquer une parole, ta parole de vie présente au cœur de nos pauvres mots. Dominique POLLET
Nouvelle revue Vie Chrétienne – Mai 2011