Vie chrétienne Nouvelle revue
C h e r c h e u r s
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D i e u
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P r é s e n t s
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M o n d e
Flashmob au musée du Louvre pour la Chaîne de l’Espoir (association d’aide humanitaire auprés des enfants), novembre 2009.
B I M E S T R I E L D E L A C O M M U N A U T É V I E C H R É T I E N N E E T D E S E S A M I S – N º 1 5 – J anvier 2 0 1 2
Social ou moral : comment voter ? Tobie et son ange
Attentifs
aux signes des temps
Sommaire
éditorial 3 l'air du temps ~ Social ou moral : comment voter ? 4
chercher et trouver dieu
Attentifs aux signes des temps
NOUVELLE REVUE VIE CHRÉTIENNE Directeur de la publication : Alain Jeunehomme Responsable des éditions : Dominique Hiesse Responsable de la rédaction : Marie-élise Courmont Secrétaire de rédaction : Marie Benêteau Comité de rédaction : Marie Emmanuel Crahay Yves de Gentil-Baichis Dominique Hiesse Paul Legavre sj Barbara Strobel Comité d'orientation : Marie-Agnès Bourdeau Alain Jeunehomme Noëlle Hiesse Michel Le Poulichet Armelle Moulin Trésorière : Martine Louf Fabrication : SER, 14 rue d’Assas, 75006 Paris www.ser-sa.com Photo de couverture : © Philippe Lissac/Godong Impression : Corlet Imprimeur, Condé-sur-Noireau ISSN : 2104-550X 47 rue de la Roquette 75011 Paris
Témoignages Discerner les appels de Dieu dans le monde d’aujourd’hui Olivier de Dinechin s.j. Reconnaître les signes des temps Marie-Agnès Bourdeau Contempler le monde, avec Marc Chagall Paul Legavre s.j.
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le babillard 19 se former A l’écoute de mes mouvements intérieurs Noëlle Hiesse 20 Partir aux JMJ avec Magis Emmanuelle Martin 22 Tobie et son ange Claude Flipo s.j. 24 Les xavières au service du Règne Geneviève Roux 27 Je ne me sens pas bien dans ma communauté locale (1ère Partie) Nadine Crozier 30 ensemble faire communauté L’Université d’été, sous un œil extérieur André Ruchot 32 En communauté locale, discerner les signes des temps ? 34 Une nouvelle page pour la formation 35 Paraguay et France : une seule CVX 36 La CVX en mission à travers le monde 38 billet L’ange en question Philippe Robert s.j. 39 prier dans l'instant Quand le réel cède la place à l’imaginaire Dominique Pollet 40 Les noms et adresses de nos destinataires sont communiqués à nos services internes et aux organismes liés contractuellement à la CVX sauf opposition. Les informations pourront faire l’objet d’un droit d’accès ou de rectification dans le cadre légal.
La revue n’est pas vendue, elle est servie aux membres de la Communauté de Vie Chrétienne et plus largement à ses amis. Chacun peut devenir ami : il suffit de verser un don minimum de 25 euros (35 euros pour ceux hors de France Métropolitaine). Versement en ligne sur http ://www.viechretienne.fr/devenirami ; ou bien par chèque libellé à l’ordre de Vie Chrétienne et adressé à SER-Vie Chrétienne 14 rue d’Assas, 75006 PARIS. Virement possible sur RIB 30066 10061 00020045801 60 – IBAN FR76 3006 6100 6100 0200 4580 160 – BIC CMCIFRPP.
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Éditorial
En 2012, continuons l’aventure
«
Avec la nouvelle année, vient le temps des vœux, le temps de souhaiter à chacun ce qu’il y a de meilleur. Alors, à vous, lecteurs, au nom du comité de rédaction, qu’il soit donné de croire en la présence du Seigneur. Que chacun puisse trouver, dans ce qu’il aura à vivre personnellement et collectivement, des signes de la bonté de Dieu !
© iStock
Pour cela, demandons la grâce d’un regard ajusté. Et dans la dynamique du dossier, demandons d’être attentifs, chacun et ensemble, à ce qui est porteur de vie, dans le monde complexe et inachevé qui est le nôtre. Aussi, merci pour votre soutien ! Car vous avez été très nombreux en novembre à répondre à notre enquête. Un succès qui dit votre attachement à la nouvelle revue. Ensemble, nous y reviendrons. Vos remarques orienteront de futurs ajustements. Une question demandait ce qu’est la revue pour vous. Beaucoup ont répondu « une aide spirituelle ». Et de bien des manières. C’est pour nous un bel encouragement à continuer.
»
Alors je fais le vœu que le dossier rejoigne bien les préoccupations d’aujourd’hui. Que les pages « Se former » aient assez de saveur pour inviter à creuser et puiser à la Source ! (Dans ce numéro en particulier, laissons-nous inspirer par l’ange de Tobie…) Et que les pages France et Monde soient une fenêtre ouverte sur des réalités nouvelles et entretiennent le sens communautaire. Bonne année à tous !
Marie-Elise Courmont Responsable de la rédaction
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L'air du temps
Social ou moral :
Comment voter ? La période des élections présidentielles peut mettre le citoyen dans une situation inconfortable. Le choix politique entre des candidats et des programmes paraît cornélien. Entre justice sociale et bioéthique, les catholiques se sentent déchirés plus que jamais. Pierre de Charentenay, jésuite et rédacteur en chef de la revue Etudes, nous éclaire sur la situation.
J
Je voudrais favoriser la justice sociale, protéger les plus pauvres et les plus défavorisés de ce pays, notamment les immigrés et les réfugiés : je suis donc tenté par la gauche. Mais je veux aussi éviter que les législateurs ne s’engagent dans une libéralisation excessive des règles sur la famille et la bioéthique : je voterais plutôt à droite. Que faire ? M’abstenir ? Voilà une solution que certains commencent à prôner avec l’argument selon lequel la société politique française est décidément trop pourrie, trop molle, trop éloignée des valeurs chrétiennes pour accepter d’y participer. On entend aussi cette remarque : « Quand je vois les candidats, aucun ne correspond à ce que je veux dans la société ». Cela justifierait l’abstention, le retrait du jeu politique.
Le moindre mal Deux erreurs d’appréciation se glissent dans cette position. Tout d’abord, n’oublions pas que le jeu politique continue, que j’y participe ou non. Mon retrait laisse les forces en présence inchangées. Celles-ci prendront même peut-être des options nouvelles encore plus éloignées de ce que je peux souhaiter. La deuxième erreur concerne la substance de la politique : la politique est l’art du compromis pour trouver la solution la moins mauvaise qui puisse être acceptée par une majorité. Il n’y a pas de politique chrétienne parfaite, ni de candidat parfait. On choisit toujours quelqu’un un peu par défaut, car le candidat n’a pas toutes les qualités, et ne défend pas parfaitement les points de
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vue que l’on voudrait défendre. L’application d’un programme ne suit pas directement la morale chrétienne et il existera toujours une distance entre ce qui est légal et ce qui est moral, même s’il faut tendre au maximum à réduire cette distance. Si le chrétien attend le candidat chrétien parfait, il ne votera jamais. Mais le monde continuera à être géré, selon des lois qui pourraient bien être antichrétiennes. S’il n’y a pas de démocratie chrétienne qui applique un programme que nous pourrions soutenir, certains partis peuvent néanmoins correspondre à plusieurs de nos aspirations. Il faudra donc suivre le parti qui semble proposer le programme apparemment le plus proche de ce que l’on souhaite, en posant une première affirmation : il existe une hiérarchie des normes
Dans beaucoup de cas, on se trouve devant un dilemme, pris entre deux impératifs. Prenons l’exemple des catholiques américains : ils ont eu une grande difficulté à choisir Obama et à soutenir son plan de généralisation de la couverture sociale alors que par ailleurs, celui-ci n’avait pas promis de lutter contre la législation autorisant l’avortement. Que fallait-il faire ? La vie est sacrée et essentielle, mais une protection sociale pour 40 millions de personnes est aussi très importante. Dans ce débat, il n’y a pas de moindre mal facile. Des choix aussi difficiles doivent prendre en compte la possibilité de réussir et pas seulement suivre la norme absolue de l’acte moral lui-même.
Notre pouvoir politique En choisissant finalement un programme et un parti, il faut appliquer une deuxième affirmation selon laquelle l’action politique ne s’arrête pas au vote. Au contraire, elle commence après l’élection. Il y a bien d’autres moyens que le vote pour agir en
© Dominique Lecourt / CIRIC
et des valeurs. On ne peut pas décider d’une option politique sur la défense d’avantages catégoriels si ceux-ci vont contre le bien commun1. Celui-ci doit être défendu au-delà d’autres intérêts, c’est une norme supérieure aux intérêts particuliers. Une autre norme pourra être l’attention aux citoyens qui sont le plus en difficulté, aux citoyens les plus faibles.
▲ Mobilisation des électeurs entre les deux tours des élections présidentielles en 2002.
politique. Ils peuvent avoir une réelle influence sur celui qui a été élu. En 1981, beaucoup de chrétiens ont voté pour la première fois à gauche, malgré les promesses du candidat Mitterrand de nationaliser l’école privée. Au moment où le gouvernement socialiste a voulu procéder à cette nationalisation, il s’est heurté à la plus grande manifestation qui ait jamais eu lieu pour défendre l’enseignement libre. L’action politique dans la rue avait pris le relai du vote. On peut être d’accord avec l’option générale du candidat, sans être prêt à le suivre dans tous les domaines. C’est là qu’il faut se faire entendre. C’est aussi le principe de la vie démocratique. Le vote n’est jamais un chèque en blanc. Il doit être prolongé d’un suivi permanent qui permettra de corriger ce qui dans son programme ne correspond pas à ce que nous voulions. Ce suivi peut prendre la figure d’une
manifestation, mais aussi d’une action sociale de proximité qui viendrait compenser les aspects négatifs du programme du candidat. L’action sociale et politique ne passe pas forcément par la loi, mais elle peut passer par une transformation de la culture et de la pratique sociale, ce qui est un travail autrement exigeant. Changer la culture est une voie plus longue, mais plus profonde que changer la loi.
1. Retrouvez « Chercher et vouloir le bien commun », Nouvelle Revue Vie Chrétienne n°13 – juillet 2011.
Finalement, il faudra bien choisir. Cela ne peut pas se faire sur un seul point comme s’il existait une norme absolue qui devait commander à tout le reste. Il faut pondérer l’efficacité des moyens d’action pour apporter des compléments aux points problématiques du programme que finalement je vais soutenir.
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Pierre de Charentenay s.j. Rédacteur en chef de la revue Etudes
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“Scruter les signes de Dieu dans le monde pour agir à sa juste et humble place.”
Chercher et trouver et trouver Dieu Dieu
Attentifs aux signes des temps Lire les signes des temps – non pas pour connaître quelle sera la météo des jours à venir, mais pour entendre comment Dieu nous parle et nous fait signe aujourd’hui – demande exercices, vigilance et discernement. Ce dossier s’appuie sur l’expérience vécue par les participants de l’Université d’été de la CVX 1. Ceux-là nous disent la nécessité d’une conversion intérieure pour contempler le monde avec les yeux de Dieu. Pas seul, car on risque de se laisser abuser. Pas en chapelle, même d’Eglise. Mais ensemble avec d’autres, d’origines et de sensibilités diverses. Non pas pour avoir la supériorité de comprendre ce qui n’est pas encore lisible par la plupart, mais pour agir à sa juste et humble place. Et changer le monde. L’aider à naître, renaître et grandir. L’enjeu est donc vital. Dominique Hiesse
© Barbara Strobel
1. L’Université d’été CVX 2011, qui s’est tenue au Centre spirituel d’Hautmont fin août, avait pour thème : « Apprendre à discerner les appels de Dieu dans le monde d’aujourd’hui ». Les Actes de l’Université d’été font l’objet d’un numéro spécial de la revue Projet. On peut le commander à CVX France, 47 rue de la Roquette, 75011 Paris.
Témoignages « Merci pour votre accueil » . . . . . . . . 8 « Va avec la force qui est en toi » . . . . 9 « Un tournant dans la vie de CVX ». . 10 « Nous pouvons chacun apporter notre pierre ». . . . . . . . . . . 11 Contrechamp Discerner les appels de Dieu dans le monde d’aujourd’hui. . . . . . . . . . . . . 12
éclairage biblique Reconnaître les signes des temps. . . . 14 Repères ignatiens Contempler le monde, avec Marc Chagall . . . . . . . . . . . . . . . 16
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Pour continuer en réunion . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
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Chercher et trouver Dieu
« Merci pour votre accueil » Joseph est enseignant-chercheur en école d’ingénieurs d’état. Extérieur à la CVX et engagé dans le service de l’église de Lille, il a décidé de tenter l’aventure de l’Université d’été. L’échange en profondeur avec d’autres l’a touché.
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J’ai choisi de participer à ces journées d’Université d’été parce que je me pose la question de savoir si je continue – ou non – dans l’activité professionnelle que j’occupe ou si je change d’orientation pour quelques années de salariat dans une association ou une activité chrétienne. Même avec un salaire trois fois inférieur au salaire actuel. Les trois jours de rencontre sur les lieux où l’Église choisit d’investir – ou devrait s’investir – m’ont aidé à progresser dans mon choix.
© Barbara Strobel
▼ Conçu par Joseph Bouchez
Au-delà des exposés riches et bien faits, j’ai apprécié d’entendre des personnes nommer ce qui les touche – voire les bouleverse – dans une situation, puis se dire ce qui les rejoint dans ce que les autres partagent. Je suis devenu ainsi plus sensible à écouter ce que je ressens : mon envie de m’engager, mes appréhensions à changer de vie, à « partir au large », à rencontrer des étudiants de toutes disciplines…
« Et le Verbe s’est fait chair ! » Merci d’avoir mis en œuvre de tels échanges.
Pendant les temps de célébrations, braver les dispositifs techniques et désolidariser les chaises pour permettre des échanges en petits groupes de six ou huit personnes m’a fait entendre d’autres échos du texte, pas seulement sur des approches, des angles de vue différents, mais par la mention de l’émotion perçue dans le texte. Cette émergence du ressenti, cette création de la parole de chacun au sujet de la Parole entendue, est une création constitutive du mystère de la foi chrétienne :
À la suite de cette Université d’été, j’ai pris contact avec la responsable locale de la CVX pour entrer dans le mouvement. Je continue à avancer et à me former pour acquérir des compétences en accompagnement et en meilleure connaissance de moimême, pour mieux aider d’autres personnes. Je souhaite prendre une décision de nouvelle orientation éventuelle avant la fin d’année pour la mettre en œuvre l’été prochain. Merci de votre accueil aux non-CVX !
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J’ai été ému de voir 240 personnes prier, réfléchir, chercher. Prendre quatre jours de congés, pour avancer, pour s’écouter et pour travailler avec méthode et bienveillance. Exposés, prière, relecture, partages… cette réalité vécue m’aide à avoir plus confiance dans des groupes de chrétiens qui avancent.
Joseph
« Va avec la force qui est en toi »
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Je suis arrivée à l’Université d’été avec le désir de mieux comprendre notre époque et un sentiment d’urgence dans un monde complexe et violent, un monde en danger. Je n’ai bien sûr pas trouvé les réponses aux multiples questions qui me traversent quotidiennement. Et pourtant ces trois jours ont confirmé des convictions, ont attisé le désir d’agir avec d’autres, m’ont renvoyé dans mon quotidien.
donne de l’espérance et donc la force d’œuvrer avec et au sein de cette Eglise chancelante auprès de qui Dieu veille. J’ai découvert que l’espérance cohabite magnifiquement bien avec le réalisme. Il m’appartient d’entretenir l’un et l’autre. Le réalisme est le fruit d’un travail d’analyse. L’espérance s’enracine dans l’écoute de la Parole de Dieu. J’y reconnais notre charisme ignatien : contemplation et action.
Voir ce qui est sauvé : cela m’a fait du bien d’entendre que le chemin commence par cela. Apprendre à contempler le monde avec le regard bienveillant et interpellant de Dieu. Je suis repartie avec une prudence accrue vis à vis des images et des a priori que je peux avoir sur les situations, sur les gens qui m’entourent et ceux qui habitent de l’autre côté de la planète.
Agir avec d’autres pour un monde plus juste est devenu accessible, parce que ce désir d’agir s’appuie sur l’appartenance à l’Eglise et plus particulièrement à la CVX. Il ne s’agit plus d’être une héroïne agissant seule à la force de ses bras mais une simple citoyenne qui se sent concernée, travaillant avec d’autres.
Entendre parler de la fragilité de notre Eglise m’a fait du bien, me libérant du désespoir nostalgique. Reconnaître que l’Esprit agit par cet affaiblissement me
Je suis donc repartie davantage engagée vis-à-vis de ce monde en danger et vis-à-vis de l’Eglise avec qui j’œuvre. L’appel adressé à Abraham raisonne en moi : « Va, quitte ton pays et va vers le pays que je te
© Barbara Strobel
Véronique a trouvé à l’Université d’été l’occasion de réajuster son désir d’agir. Changeant son regard, elle y a trouvé espérance et une plus grande patience.
montrerai ». Vais-je partir ? Suis je déjà en chemin ? Vers où me mène-t-Il ? Voilà les questions qui mûrissent en moi et nourrissent ma présence au quartier, à mon travail, à mes relations. J’entends aussi l’appel adressé à Gédéon : « Va avec la force qui est en toi… C’est moi qui t’envoie ». Véronique Janvier 2012
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Chercher et trouver Dieu
« Un tournant dans la vie de CVX » Michel a apprécié de pouvoir échanger sur la société, dans la CVX. Il y a puisé la force de se mettre en route avec des jeunes en difficulté qu’il connaît.
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et que ces différences touchent à des choses profondes. A Lille, lorsqu’elles étaient dites, ou du moins se laissaient deviner, elles étaient entendues sans que quelques-uns se renfrognent ; c’était même parfois un vrai bonheur. Peut-être qu’Ignace veillait, lui qui aimait tant entendre, et « sauver » comme il disait, la proposition qu’au départ on est enclin à « condamner ». Pendant ces quatre jours, je me suis souvent demandé ce qui pourrait me pousser davantage à agir avec des jeunes que je connais et qui me paraissent partir à la dérive. J’en ai parlé avec ma « communauté » provisoire de Lille. Ce qui est venu à la suite, c’est qu’il fallait d’abord que je prie pour obtenir la grâce de trouver Jésus là où, en apparence, il n’est pas. Depuis Lille, j’ai fait cette prière et en effet j’ai pu, avec ces jeunes, faire des choses et dire des mots que je ne trouvais pas auparavant. © iStock
« Il n’y a d’enjeux spirituels que là où il y a des enjeux humains ».
A Lille, j’ai goûté un vrai bonheur : notre Communauté prend la société au sérieux ! Difficile d’aimer Jésus-Christ si on n’écoute pas son Esprit au travail dans le monde. Dans la CVX ce n’est pas si habituel. Eh bien, c’est commencé. A Lille, il y avait beaucoup d’opinions différentes sur les urgences de la société, mais le petit miracle que nous connaissons chaque fois que nous parlons entre nous de nos vies personnelles s’est produit alors qu’il s’agissait cette fois de notre action dans la société. Il était clair que nos opinions sociales et politiques ainsi que nos pratiques sont différentes,
La lumière pour moi, depuis assez longtemps, c’est qu’il n’y a d’enjeux spirituels que là où il
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y a des enjeux humains, pas ailleurs - c’est le père Claude Viard, qui m’a appris cela. Pour lire où sont de vrais enjeux humains, je ne crois plus que lire le journal suffise ; il faut se convertir et convertir son regard. Le père Olivier de Dinechin a été plus loin ; il a dit que c’est la même chose que pour comprendre pourquoi, chaque jour, meurent des innocents dans un endroit ou un autre du monde. C’est seulement dans la conversion à Jésus que l’on peut trouver la réponse… et ce ne sera pas tout de suite. Les signes des temps, disait Olivier de Dinechin, se lisent dans les réponses que les hommes y font. Je suis rentré de Lille en me disant que ce qu’il s’y était passé allait porter du fruit, peut-être même un tournant dans la vie de la CVX. Qu’est-ce que l’Esprit va maintenant inventer pour que nous soyons plus attentifs à ce qu’il fait et attend dans le monde ? Michel
« Nous pouvons chacun apporter notre pierre »
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Revenus depuis 15 mois du Brésil où nous avions travaillé 3 ans, nous avons dû revoir nos projets professionnels car l’activité de mon mari n’était pas celle prévue au retour. Après l’avoir accompagné dans ce changement difficile et avoir également modifié mon parcours en conséquence, je subissais une « baisse de régime » à mon tour.
tion – aide au chômage en sont des facettes qui, même si l’on dit qu’elles se dégradent, sont bien meilleures que dans les pays émergents). Nous avons tendance à avoir peur, à nous plaindre, à vouloir protéger nos acquis avec le risque de ne plus être créatifs. Quelle attitude avoir ? Et que transmettre à mes enfants qui ont tout à découvrir ?
Prise dans la routine du quotidien très chargé (travail à temps plein – 3 enfants en bas âge – maison, etc.), les questions de ce monde m’effraient. Le devenir de notre planète, la complexité du monde économique, les écarts riches/pauvres qui s’amplifient… tout cela crée en moi un sentiment de « n’y rien comprendre » et « rien n’y pouvoir faire ». Pour avoir vécu à l’étranger, ces questions ne sont pas uniquement françaises ; nous les avons perçues au Brésil également. Les comportements pour y faire face sont différents. En France, nous ne voyons plus comme « nous sommes riches » (santé – éduca-
A l’Université d’été, j’ai été touchée par des gens qui essaient d’avoir une vision globale et sont porteurs de vie et d’espérance (je pense à Jean-Claude Sailly) ; par l’humanité de Guy Aurenche qui, tout en agissant au sein d’associations et vers des organismes décideurs, nous renvoie à la qualité et la vérité de la relation interpersonnelle, ainsi qu’à l’attention aux plus pauvres. Son interpellation, nous demandant d’être intelligents, dans le sens de croire que l’on peut comprendre, m’a également marquée. Depuis, réellement, je retrouve goût à lire et m’informer mal-
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Marie-Antoinette a vécu trois ans au Brésil. A son retour, elle se pose de nombreuses questions sur la complexité du monde. L’Université d’été lui a permis de croire qu’elle peut comprendre et agir.
▲ Favela à Rio de Janeiro
gré un quotidien bien chargé. J’essaie avec d’autres d’analyser, de comprendre. Des actions ou engagements se dessinent par rapport aux pauvretés que je peux voir autour de moi, pas uniquement matérielles. Le monde est complexe, oui, et des enjeux importants se dessinent auxquels nous pouvons chacun apporter notre pierre. C’est là que Jésus m’appelle à vivre avec joie et confiance. Marie-Antoinette Janvier 2012 11
Chercher et trouver Dieu
Discerner les appels de Dieu dans le monde d’aujourd’hui Dans sa conférence à l’Université d’été de la CVX, Olivier de Dinechin, jésuite, a évoqué les « signes des temps ». Pour notre revue, il met en relief les points essentiels de son intervention.
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Vous avez titré votre conférence « Dieu est à l’œuvre en cet âge », ce qui veut dire que Dieu ne s’est pas contenté de créer le monde, d’y placer l’homme et de ne plus se préoccuper de ce qu’il deviendrait.
Je pense que Dieu est présent à la vie de l’homme et que nous pouvons voir son action en lisant les « signes des temps ». Dans les civilisations anciennes, chaque fois que l’homme était confronté à des évènements dramatiques (séismes, épidémies, massacres), il se posait des questions incontournables : pourquoi ? Comment ? A qui la faute ? Et les réponses évoquaient souvent les châtiments des dieux. Dans notre société sécularisée, la référence à Dieu a disparu du langage courant et on cherche plutôt les responsables des catastrophes en invoquant l’imprévoyance des hommes. Mais derrière une appa-
rence de sécularisation, la culpabilité fait remonter la référence à un au-delà qu’on ne sait plus nommer.
Comment les chrétiens peuvent-ils discerner les signes des temps ? Le mot « temps » est ambivalent car il y a le temps qu’il fait, celui de la météo, et le temps qui s’écoule, la durée. Les textes bibliques nous situent dans une durée qui a un sens, à savoir que nous sommes dans une histoire qui a un commencement et une fin. Et cette histoire, dont la Bible nous donne les récits, est celle des alliances avec Dieu, une histoire tumultueuse faite de refus et de retrouvailles. L’Eglise ne se situe pas hors du temps, ni dans une durée qui serait circulaire comme l’ont cru des religions anciennes selon lesquelles, tout se passait toujours comme avant. Non, l’Eglise
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regarde les évènements qui surviennent aujourd’hui dans l’actualité et nous devons essayer de discerner comment notre vie personnelle et celle du monde s’intègrent dans l’histoire du salut. Le texte conciliaire Gaudium et Spes exprime bien cette démarche quand il dit : « L’Eglise a le devoir, à tout moment, de scruter les signes des temps et de les interpréter à la lumière de l’Evangile, de telle sorte qu’elle puisse répondre, d’une manière adaptée à chaque génération, aux questions éternelles des hommes sur le sens de la vie présente et future et sur leurs relations réciproques ». (Gaudium et Spes 14)
Dans quels domaines l’Eglise a-t-elle fait des efforts pour lire les signes des temps ? Dans sa Doctrine sociale, par exemple, qui n’est pas à comprendre comme un catéchisme
Pensez-vous qu’aujourd’hui la préoccupation écologique puisse être comprise comme un signe des temps ? L’essentiel c’est de prendre conscience collectivement que nous devons protéger notre planète pour qu’elle soit vivable. Le côté positif des signes des temps c’est, qu’à partir d’une prise de conscience, les gens se mettent en route et s’efforcent de trouver des remèdes pour respecter la planète. Ou pour faire diminuer le nombre des pauvres dans le monde. Lire les signes des temps ce n’est pas déplorer la pauvreté mais s’engager pour la faire reculer.
Mais comment fait-on pour discerner les signes du dessein de Dieu ? Cela suppose, comme on le voit dans l’Evangile, que l’on soit sur un chemin de foi et que l’on se
© P. Razzo / CIRIC
qui dirait ce qui est toujours et partout mais comme une lecture des signes à partir de l’actualité. En 1891, l’encyclique Rerum novarum s’interroge sur la condition des ouvriers dans l’industrie capitaliste. En 1931, Quadragesimo anno évoque la dictature économique et les idéologies socialistes et communistes. En 1961, Mater et magistra souligne les changements : innovations scientifiques, techniques (le nucléaire), et elle encourage le désarmement et le respect des Droits de l’homme.
▲ Tourisme solidaire. Un groupe écoute les femmes du Collectif National des Pêcheurs artisanaux du Sénégal leur expliquer leur lutte pour défendre et développer la pêche traditionnelle contre la pêche industrielle.
convertisse. Pour comprendre ce que les événements veulent dire, un mouvement de retournement du cœur est nécessaire car c‘est le même Esprit de Dieu qui agit dans l’histoire et dans le cœur des hommes.
Discerner les signes des temps, n’est-ce pas réservé à une élite intellectuelle et spirituelle ? Les petits et les humbles, ceux dont le Christ a reconnu qu’ils voyaient ce qui a été caché aux sages et aux savants, pressentent où est le Royaume de Dieu. A chaque époque, certaines « grandes voix » qui s’adressent à tous se font aussi entendre. Peuvent aussi lire les signes, les communautés qui se rassemblent au nom de l’Evangile et qui s’entraident à plus de foi, d’espérance et de charité. De leur côté, les évêques et les pasteurs lisent eux aussi les signes. La Doctrine sociale de l’Eglise s’est élaborée grâce à ce qui était perçu au départ par des minorités chrétiennes, puis approfondi par des chercheurs et des théologiens avant d’être repris par les papes qui renvoyaient les synthèses à tous.
J’ai été frappé par votre conclusion quand vous dites que le signe de la Résurrection du Christ ne sera pas qu’Il apparaisse spectaculairement dans les nuées mais, quand, à son appel, les hommes engageront leur vie dans l’amour de Dieu et des frères. J’ai été inspiré par la réponse que fait Jésus aux Pharisiens quand ils lui demandent de faire un signe miraculeux (Matthieu 12, 40). Il répond qu’ils n’en auront pas d’autre que le signe de Jonas. Ce signe, ce n’est pas seulement que le prophète soit sorti vivant du ventre du grand poisson mais que les habitants de Ninive se soient convertis à la prédication de Jonas et qu’ils aient retourné leur cœur et changé de vie. De même, en attendant le retour du Christ dans la gloire, qu’Il a annoncé, nous en reconnaissons les signes avant coureurs dès aujourd’hui chaque fois que des hommes se convertissent à l’amour de Dieu et de leurs frères. Propos recueillis par Yves de Gentil-Baichis Janvier 2012 13
Chercher et trouver Dieu
Reconnaître
les signes des temps
01 Les Pharisiens et les Sadducéens s’approchèrent. Pour mettre Jésus à l’épreuve, ils lui demandèrent de leur faire voir un signe venant du ciel. 02 Il leur répondit : « Quand vient le soir, vous dites : ‘Voici le beau temps, car le ciel est rouge.’ 03 Et le matin, vous dites : ‘Aujourd’hui, il fera mauvais, car le ciel est d’un rouge menaçant.’ Ainsi l’aspect du ciel, vous savez l’interpréter ; mais pour les signes des temps, vous n’en êtes pas capables. 04 Cette génération mauvaise et adultère réclame un signe, mais en fait de signe, il ne lui sera donné que celui de Jonas. » Alors il les abandonna et partit.
MATHIEU 16, 1-4 (Traduction de l’AELF)
© La Chapelle de Redemptoris Mater, novembre 2000, éditions Fatès.
▼ Jonas sort de l’eau.
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Des Pharisiens et des Sadducéens viennent ensemble trouver Jésus. Les Sadducéens1 sont les tenants du conservatisme doctrinal et du statu quo politique, tandis que les Pharisiens2 sont attentifs à l’observance de la Loi. Ce sont des frères ennemis : « Une dispute éclata entre Pharisiens et Sadducéens, et l’assemblée se divisa. En effet, les Sadducéens prétendent qu’il n’y a ni résurrection, ni ange, ni esprit, tandis que les Pharisiens y croient » (Actes 23, 7-8). Des frères ennemis s’unissent pour agir s’ils ont un même bouc émissaire à abattre. Une fois abattu, leur « union » s’effondre. Ces hommes demandent un signe à Jésus ; mais Jésus vient de nourrir quatre mille hommes, « sans compter les femmes et les enfants » (Matthieu 15, 32-39) ! Pourquoi ces hommes, témoins du signe qui vient de leur être donné, ne croient-ils pas en Jésus, et demandent-ils un signe qui vient du ciel ? Ce signe que Jésus vient de donner ne leur paraît pas suffisant ; pourtant Jésus « annonce la bonne nouvelle aux pauvres, proclame aux captifs la libération, donne aux aveugles le retour à la vue, renvoie les opprimés en liberté » (Luc 4, 18), réalisant ainsi la prophétie d’Isaïe (Isaïe 61, 1). Ces signes constituent les « signes des temps », c’est-à-dire, les signes qui manifestent la venue du Messie.
Mais ces hommes viennent rencontrer Jésus sans avoir foi en lui ; ce manque de foi leur ferme les yeux. Pour que les signes prennent sens, il est besoin de la confiance en la personne qui les donne. Pour aider ces hommes à ouvrir leurs yeux, à avoir « les yeux de la foi »�, Jésus les ouvre à une réalité toute simple et très importante : il les invite à regarder en eux-mêmes l’attention qu’ils portent au signe qui leur est donné par le lever et le coucher du soleil. Au temps de Jésus, pour certains métiers, cette observation du temps est indispensable pour décider du travail du lendemain. Jésus voyait que les hommes y étaient attentifs ; c’est pourquoi il cherche à toucher leur intelligence et leur cœur en les invitant à la même attention pour les signes qui manifestent l’œuvre de Dieu dans le monde. Pour les aider à avancer, Jésus rappelle à ces hommes aveugles qu’ils doivent se rendre attentifs au « signe de Jonas ». Les Pharisiens et les Sadducéens savent que « Jonas est resté dans le ventre du monstre marin trois jours et trois nuits » et qu’il s’est converti. Jésus l’a déjà expliqué : « De même, le Fils de l’homme restera au cœur de la terre trois jours et trois nuits » (Matthieu 12, 40). La mer, comme le centre de la terre, symbolisent la mort. Par ce signe, connu des Juifs venus l’interroger, Dieu avait manifesté au monde que son appel s’adresse à tous, au prophète juif tombé au fond de l’abîme comme aux païens de Ninive. Comme Jonas, Jésus appelle un peuple à la conversion. Contrairement à Jonas, le peuple n’entend pas. Ce fut une grande souffrance pour Jésus qui a pleuré en arrivant sur Jérusalem (Matthieu 23, 37). Et aujourd’hui, savons-nous reconnaitre les signes des temps ? Marie-Agnès Bourdeau, CVX
POUR PRIER... + I maginer Jésus parlant avec des autorités religieuses.
+D emander la grâce que le Christ m’aide à discerner les signes des temps aujourd’hui. • Des Pharisiens et des Sadducéens s’unissent pour demander un signe. Voir leur union et leur hypocrisie. Contempler Jésus, animé du désir de les aider à ouvrir les yeux. Et moi, de quel signe suis-je en attente ? • Jésus pointe leur capacité à interpréter certains signes et pas d’autres. Je prends le temps de regarder attentivement « ma météo » : ce qui me réjouit et qui m’éclaire, ce qui me rend triste… Cela m’aide-t-il à voir les signes de Dieu ? • Le signe de Jonas : Jonas est resté trois jours et trois nuits dans le ventre du poisson et s’est tourné vers Dieu. Je fais mémoire de ce qui est difficile à vivre, de ce qui est mortifère en moi, les épreuves à affronter et je demande à Dieu de faire grandir en moi la foi en la résurrection.
+P arler au Seigneur comme un ami parle à un ami.
1. Leur nom vient du fait qu’ils se disaient « partisans du prêtre Sadoq » (2 Samuel 15, 24-29). 2. Leur nom veut dire « séparé ». C’est un courant spirituel qui s’est formé, en se séparant, à l’époque des Macchabées.
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Chercher et trouver Dieu
Contempler le monde,
avec Marc Chagall Par sa peinture, Marc Chagall nous invite à contempler le monde, face aux drames de notre temps. Afin de comprendre comment Dieu travaille pour que tous soient sauvés, en Christ.
Q
Quand Chagall peint la Crucifixion blanche en 1938, il vit encore en Europe, au sud de la France. Né en 1887, il a depuis longtemps quitté la Russie de son enfance. Cette Russie reste néanmoins très présente dans ses peintures. Ce n’est qu’en mai 1941 qu’il pourra fuir le vieux continent et la traque des Juifs, pour gagner les Etats-Unis. Chagall met en scène les drames inouïs de son temps et qui restent un creuset pour notre époque. Les totalitarismes soviétique et nazi traversent le tableau, dans la présentation de la souffrance juive. Le monde est à feu et à sang. Et voilà que dans un rai de lumière, la Croix du Christ se présente. Crucifixion blanche. Un Christ juif éclaire le monde, ou au plutôt se tient dans le monde, en venant d’en haut. Comment Dieu regarde-t-il le monde ? Comment son désir de sauver le monde naît-il de cette contemplation ? Et comment
nous fait-il entrer dans ce regard et ce désir de servir la mission du Christ dans le monde ? C’est avec ces questions que nous pouvons nous plonger dans la contemplation de ce tableau. Une manière de se rendre fidèle à la façon dont Ignace nous apprend à regarder le monde dans « la contemplation de l’incarnation », l’un des porches des Exercices spirituels. Dans le préambule de ses Principes Généraux, la CVX considère également cette démarche comme une pierre d’attente de sa vocation apostolique.
Le monde, à feu et à sang Scènes de violence et de désarroi. Drames des années trente, tandis que la guerre et la Shoah s’approchent. Les commentateurs soulignent le dialogue entre le Guernica de Picasso et la Crucifixion blanche de Chagall. Dans la partie gauche de la toile,
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un village juif brûle. La guerre ? Un pogrom ? Une troupe de révolutionnaires, de partisans brandit le drapeau rouge. Sont-ils à l’origine de la destruction du village ? Viennentils au secours des habitants, trop tard ? Scène de dévastation, de désolation. Un chien près d’une chaise. Un commentateur s’est interrogé : est-ce le cadavre de son propriétaire qui est étendu, tout proche ? La vie est comme réfugiée sur un bateau et des fuyards crient leur détresse, ils appellent à l’aide. Boat people d’un autre temps. A droite, dans le tableau, une synagogue brûle, elle aussi. Les flammes se détachent sur un ciel d’ouragan noir. Les objets cultuels sont saccagés. Etoile de David et lions, à terre. Humiliation, sacrilège. Un Nazi commet ce sacrilège, la croix gammée sur son brassard. Au premier plan, les personnes incarnent la fuite et le destin du judaïsme : la protection désespé-
© Adagp, Paris 2011
▲ Marc CHAGALL, La Crucifixion blanche,1938
rée du Livre, l’impuissance marquée par les mains écartées, les larmes de l’homme. Et une femme endeuillée à l’enfant. En bas, à droite, et en vert, le Juif errant parcourt le globe, il marche sur un rouleau de la Torah en feu. Tel est le monde, angoissant,
dans lequel vit et se débat Chagall. Tel est le temps dans lequel il vit, temps de grand danger, où les menaces s’accumulent sur le peuple juif. Pas seulement les pogroms, qui ont toujours été la marque de la
persécution des Juifs d’Europe centrale et orientale, mais désormais la menace nazie, terrible. Elle ne cesse de grandir, depuis la prise de pouvoir de Hitler cinq ans auparavant. Ces menaces pèsent aussi sur la France, la patrie d’adoption de Chagall. Ce
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Chercher et trouver Dieu
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sera bientôt l’invasion de la Pologne et la guerre. Evénements dramatiques de son temps. Où, comment Dieu fait-il signe à travers eux ?
Le Roi des Juifs Voici la présentation de la Croix, sur les douleurs du monde. Le Christ, non comme le Sauveur du monde, mais comme le Roi des Juifs. Dans le tableau, la pancarte apposée par Pilate sur la Croix n’est plus en latin, en grec et en hébreu. Sa seule écriture est hébraïque. Pour Chagall, Jésus est le Roi des Juifs parce qu’il porte la
douleur juive, il l’incarne à travers l’histoire. N’a-t-il pas un bandeau au front et les reins ceints du vêtement de prière ? Permanence de la souffrance juive. Et pourtant, une sérénité naît de ce rai de lumière. Quelque chose advient dans l’histoire des hommes, celle du peuple élu. Une sérénité partagée. Jésus roi des Juifs, et encore bien davantage, puisque les chrétiens se reconnaissent aussi en lui. Jésus, comme un pont de paix dans l’épreuve, au sein de l’humanité, un pont ou une échelle entre le ciel et la terre.
Tout en haut, les patriarches et Rachel, inconsolable, s’entretiennent : ils contemplent le monde en feu. Enfin, tout en bas, le chandelier, la Ménorah, au pied de la Croix, éclaire cette dernière. Lumière qui monte vers le ciel, tandis que la Croix descend du ciel. Et nous, comment regardonsnous notre monde ? A quels drames sommes-nous le plus sensibles ? Surtout, que descellonsnous de l’action de Dieu, un Dieu inlassablement au travail pour que l’homme vive, malgré tout ? Paul Legavre s.j.
Pour continuer...
Voir p.34 « En communauté locale, discerner les signes des temps » et p.38 « La CVX en mission à travers le monde ».
Et moi, et nous, comment regardons-nous notre monde ? Choisir un moyen qui va aider à contempler le monde : • Lire un texte publié par les Evêques de France, qui régulièrement attirent l’attention sur des questions de société nouvelles et complexes. • Lire un texte écrit par telle ou telle association essayant de répondre à un des défis de notre temps. • Faire venir une personne de notre entourage investie avec d’autres dans telle ou telle action et écouter ce qu’elle vit. • Lire le journal ou regarder les infos et noter les événements que j’estime importants du fait des enjeux dont ils sont porteurs. Puis partager et échanger à partir de ce que nous avons lu ou entendu : • A quoi je suis davantage sensible ? Qu’est-ce qui me semble mortifère ? Où puis-je voir l’action de Dieu malgré tout ? • Qu’est-ce que cela suscite en moi ? quel désir ? De quelle aide ai-je ou avons-nous besoin pour agir ?
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Vous trouverez des liens pour consulter des textes d’Evêques et professions de foi d’associations sur notre site www.viechretienne.fr 18 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 15
Le Babillard © B. Strobel
Pour les 18-25 ans Écouter la Parole
Apprendre à goûter la Parole de Dieu, se laisser surprendre. Se former à la lecture de l’Évangile, à l’intelligence et au contenu de la foi. Mieux connaitre le Christ.
Comprendre le monde
Mieux comprendre ce qui est à l’œuvre dans notre époque pour entendre les questions qu’elle nous pose. Trouver sa place de chrétien en vue d’un monde plus juste et fraternel. Faire Église.
Se mettre au service
A l’image du Christ, faire l’expérience de l’écoute des plus pauvres. Vivre des bonheurs plus simples, aimer d’avantage. Mettre en place des projets solidaires sur l’année ou pendant l’été.
Rendez-vous prière et détente
Camps, retraites, temps forts de prière et de solidarité pour les 18 – 35 ans avec les Religieuses du Sacré-Cœur de Jésus.
AU CŒUR DE L’HIVER :
Du 25 février au 3 mars à La Kimpina, (près de Briançon). Une semaine de vacances et de ressourcement. Contact : Sophie Maille, rscj, sophie.maille@rscj.com 01 46 77 92 87
VOLONTARIAT INTERNATIONAL SACRÉ-CŒUR : Partir à l’étranger dans une communauté du Sacré-Cœur. Séjour long : Déborah Halem et Claude Deschamps, rscj, volontariatsacrecoeur.long@rscj.com, (32) 02 511 00 61 Séjour court : Roselyne Sernési, rscj, volontariatsacrecoeur.court@rscj.com, 03 20 31 89 77 PRIER AVEC LES RELIGIEUSES DU SACRÉ-CŒUR DE JÉSUS à Bruxelles, Joigny, Lille, Lyon, Mons, Paris, Villejuif : tous les rendez-vous sur http://jeunes.rscj.com
Accueillir notre héritage
Choisir sa vie
Discerner ce qui nous fait grandir et avancer. Repérer ce qui nous bloque et nous rend malheureux. Voir où Dieu travaille en nous.
Mail : contact@ equipesmagis.fr 01 40 71 70 11 www.equipesmagis.fr
Une proposition :
vient de paraître
L
es problèmes d’héritage sont aussi vieux que le monde, et la Bible ne fait pas exception. Ce numéro met en regard situations bibliques et situations contemporaines. « La sagesse est bonne comme un héritage ; elle profite à ceux qui voient le soleil. » (Qohélet) Ainsi, pour que nous recevions une expression de la foi comme un « bon » héritage, il faut que nous puissions la rendre à nouveau vivante.
Revue trimestrielle de spiritualité publiée par des jésuites
11 - étr. 12 Pour recevoir ce numéro : envoyez vos nom, adresse et règlement à Christus 14, rue d’Assas - 75006 Paris – Tél. : 01 44 39 48 04 EN VENTE DANS TOUTES LES LIBRAIRIES et sur le SITE (paiement sécurisé)
www.revue-christus.com
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Se former
A l’écoute de mes mouvements intérieurs
Chaque jour, je vis des événements qui m’amènent à me positionner. Mais comment je vis les choses intérieurement ? Suis-je à l’écoute des différents mouvements qui m’animent ? Comment les interpréter ?
B
Beaucoup d’entre nous sont familiers de ce que l’on appelle la prière d’Alliance, que nous faisons le soir, pour nous poser devant le Seigneur. Lui « rendre
grâces des bienfaits reçus », c’està-dire le remercier, lui demander son pardon pour nos manques à répondre à son amour, avec le « propos de s’amender » avec son
aide. On reconnaîtra là les trois temps souvent évoqués pour cette prière d’Alliance : Merci, Pardon, S’il te plaît.
Claude Viard « Sois le portier de ton cœur» Relire sa vie pour y lire Dieu, éditions Vie Chrétienne. « L’accompagnement spirituel au service de la relecture »
« Sois le portier de ton coeur et ne laisse aucune pensée entrer sans l’interroger ; interroge-les une à une, dis à chacune : Es-tu de notre parti ou du parti des adversaires ? (Josué, 5, 13). Et si elle est de la maison, elle te comblera de paix ; si elle est de l’adversaire, elle t’agitera de colère ou te troublera de désir. Il faut donc scruter à tout instant l’état de ton âme. » (Evagre le Pontique, un auteur spirituel du IVème siècle) « Sois le portier de ton coeur », voilà une image éloquente. La démarche de la lecture commence par l’attention, la vigilance et se poursuit par l’interprétation, l’identification à partir de ce qui a été éprouvé. Cette pensée qui me vient, cette envie qui m’habite, qu’est-ce que j’en fais, que vient-elle me dire ? La prise de conscience permet un jugement : « Es-tu de notre parti ou du parti des adversaires ? » Autrement dit, viens-tu travailler dans le sens de la croissance de ma liberté ou viens-tu semer le trouble qui l’entraînera ailleurs ? Le tri, qui est interprétation, se fait à partir du retentissement intérieur alors éprouvé : « Si elle est de la maison, elle te comblera de paix », « Si elle est de l’adversaire, elle t’agitera de colère ou te troublera de désir ». L’interprétation, qui permet la lecture ou relecture, suppose des repères.
d
cheter des livres Vie chrétienne , maintenant, c’est plus facile avec la Boutique A en ligne. Juste quelques clics sur www.viechretienne.fr 20 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 15
Il est une autre manière de relire ses journées avec l’aide du Seigneur.
Ensuite, je laisse remonter librement ce qui me revient, non pas les événements, mais ce qui a bougé en moi à propos de tel ou tel moment : une ouverture en moi quand je me suis laissé approcher par un inconnu, une colère à propos d’une remarque qui m’a été faite, une tristesse après une discussion, un malaise qui persiste et dont je n’arrive pas à identifier l’origine… Comme « ce n’est pas d’en savoir beaucoup qui rassasie l’âme », je vais commencer par laisser un seul aspect exposé à la lumière du Seigneur. Peu à peu éclairé, je vais alors comprendre ce qu’il m’est arrivé, démêler les fils de ce qu’il se passe en moi, faire la vérité. Ce qui pourra avoir comme effet de me libérer, et de m’inviter à un changement, ou à poser un acte tout simple car… « la vérité vous rendra libres » (Jean 8,32). Par exemple, ce soir, je sens une joie après une réunion qui s’est bien passée : est-ce émerveillement devant le travail de l’Esprit, ou y a-t-il contentement de moi qui ai parlé à bon escient ? Je reste un moment avec cela à la lumière du Seigneur pour faire la vérité ; alors je pourrai le remercier ou lui demander plus d’humilité.
© Claire Benêteau
Comme il s’agit également d’une prière, je vais donc commencer par prendre le temps de me mettre en présence du Seigneur, et de lui demander sa lumière sur ma journée.
Se retirer au désert et se laisser éclairer…
Un malaise, un goût amer reste en moi, mais je n’arrive pas à identifier vraiment pourquoi. En restant avec ce malaise devant le Seigneur, je prends conscience que je me suis laissé embarquer dans un week-end avec un ami sans vraiment le choisir. Je décide de lui en reparler et de faire la vérité. Peut-être faudra-t-il reporter le week-end, ou simplement y acquiescer et accueillir ce projet en liberté. Je suis en colère contre une amie qui a eu des mots durs envers l’Eglise, et je me suis rebellée, mais nous sommes restés chacune sur notre position. Ce soir, je laisse ma colère devant Dieu, et je m’aperçois que je n’ai pas supporté certaines vérités. J’ai pris pour moi les critiques de mon amie. Seigneur, aide-moi à
accueillir ces faiblesses de mon Eglise. Sans doute en souffresTu aussi, comme moi. Peut-être pourrai-je décider d’avoir une parole avec l’amie contre qui j’étais en colère, en disant simplement ma souffrance pour et avec l’Eglise. Inutile de prolonger longuement la prière pour revoir toute ma journée. Un ou deux aspects suffiront, mais je prendrai le temps de m’y attarder. Je finirai en remerciant le Seigneur de la lumière qu’il m’a donnée. Et je lui demanderai son aide pour vivre avec lui la journée du lendemain, en pensant à l’avance à tel ou tel moment qui me semble plus délicat, ou appelant de ma part plus d’attention. Noëlle Hiesse Janvier 2012 21
Se former
Partir aux JMJ avec Magis Plus d’un million et demi de jeunes catholiques étaient à Madrid l’été dernier. Diverses propositions étaient faites pour vivre ces JMJ, parmi elles le programme ignatien Magis. Emmanuelle nous partage son expérience, riche d’enseignements.
A
« Avec le Christ au cœur du monde » : tel était le thème de Magis 2011. Plongée au cœur d’un monde multiple et divers à Loyola et à Madrid, je me suis laissée
porter par les chants, danses, prières à quelques milliers ou millions. Quel élan pour ma foi de nous voir si nombreux rassemblés au nom du Christ, dans cette
fraternité qui dépasse nos différences ! Au cœur d’un monde plus intime à San Sebastian, j’ai fait là-bas l’expérience de la relation vraie à l’autre. Nous qui croyions venir pour aider à l’intégration de personnes en situation d’exclusion, nous avons découvert la beauté d’ « être avec », dans une horizontalité de la relation : il nous a fallu apprendre à partager plutôt qu’à donner, tant dans les moments de complicité lors des repas, promenades ou jeux sur la plage, que lors des tâches du quotidien. La joie profonde qui régnait témoignait de l’intensité de cette aventure humaine.
© Droits réservés
▼ « La simplicité du « vivre ensemble » de San Sebastian »
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Et petit à petit, grâce au cercle Magis (voir encadré ci-contre) – belle occasion de se nourrir de la parole de l’autre – et à la relecture du soir, j’ai pris conscience de la présence du Christ dans tous ces instants : dans un geste tendre, une parole, un sourire ou un regard bienveillant… Cette humanité du Christ, je l’ai sen-
tie aussi lors des messes et des prières, dans cette communion dans le silence de Cuatro Vientos après l’orage, ou dans ce chemin de croix vécu avec quelquesuns. Après la lecture des textes, les scènes, racontées de façon théâtrale par un novice jésuite, étaient suivies d’un temps d’intentions libres permettant de faire le lien avec nos vies. Ainsi s’est créée une proximité avec le Christ et au fil des jours, j’ai appris à L’inviter dans mon quotidien, comme un ami avec qui l’on veut tout partager. Cette amitié avec le Christ se prolonge aujourd’hui. J’ai pris l’habitude d’avoir rendez-vous avec Lui au réveil et le soir, même si c’est parfois fort bref, et de prêter attention à l’action de Dieu en chacun, source d’une dimension supplémentaire dans mes relations aux autres. Je pense entre autres à tous les moments passés avec cette famille à la porte toujours ouverte pour m’accueillir ou à tout ce que je vis au MEJ. Comment entrer à mon tour dans cette dynamique d’être avec le Christ au cœur du monde ? Nombreuses ont été les interpellations face à cette interrogation : temps de silence où des questions éludées sur mon avenir reviennent, conférence « croire et changer le monde » avec des témoignages d’étudiants et de Guy Aurenche sur le sens de leurs engagements, discussion avec nos accompagnateurs, rencontres avec des personnes au service avant que ce soit mon tour, catéchèses, homélies, joie rayonnante de certains… ou encore cet extrait
de la prière Magis : « Seigneur Jésus, donne-nous de tourner notre regard vers toi, pour apprendre, avec toi, à répondre à l’appel qui résonne en chaque être humain ». En réponse s’est installée en moi au fur et à mesure une confiance, grâce à la prière sans doute, et peut-être parce que je suis passée d’une vision utilitaire à la simplicité du « vivre ensemble » de San Sebastian. Une façon d’être témoin du Christ au cœur du monde à l’image de cette phrase de l’Évangile de Jean : « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que l’on vous reconnaîtra ». Ces JMJ auront finalement changé ma façon de marcher avec le Christ : un peu comme les pèlerins d’Emmaüs, il aura d’abord fallu que je me rende compte qu’Il faisait route « avec moi » avant de choisir à mon tour de faire route « avec Lui ». Depuis, je continue cette route, avec le désir de faire grandir ce lien avec le Christ en me tournant vers le cœur du monde. Par la prière, mais aussi à travers certains choix comme celui de mon futur métier de professeur. Par des engagements, par exemple au MEJ pour faire découvrir à d’autres ce Christ au cœur du monde. Et tout simplement dans mes rencontres du quotidien. Et lorsque parfois, j’ai du mal à avancer, je me retourne vers ces JMJ pour respirer un élan d’espérance, et je fais un pas de plus avec le Christ.
Magis 2011 était le nom donné à la proposition ignatienne internationale des JMJ pour 3 000 jeunes de 18-30 ans, accompagnés de jésuites, religieuses et novices de la famille ignatienne. En latin, magis signifie « davantage », au sens qualitatif, et ce « plus de vie » a été un peu le leitmotiv de ces 17 jours. Après trois jours de fête à Loyola, nous avons été envoyés pour une semaine par groupe de 25 de trois nationalités en divers endroits de l’Espagne et du Portugal dans différents « experiments » (pèlerinage, activité sociale, dialogue interreligieux, création artistique…). Les journées étaient rythmées par la prière du matin, l’eucharistie, le cercle Magis – temps de partage sur notre expérience – et la relecture. Nous nous sommes ensuite retrouvés à Madrid avec tous les autres JMJistes.
Emmanuelle Martin Janvier 2012 23
Se former
Tobie
et son ange
Découvrir un personnage de la Bible. Se laisser guider. Prendre goût à son histoire et voir comme il nous parle aujourd’hui. Aujourd’hui, la figure de Tobie, du livre (du même nom) de l’Ancien Testament.
T
Tout le monde connaît plus ou moins l’histoire. Peu cependant l’ont lu dans le texte de la Bible. Il y faut, certes, ce regard d’enfant qui ne s’arrête pas aux questions de cohérence historique ou géographique, ni aux problèmes d’une exégèse savante. Car, sous l’écorce, il y a un fruit savoureux à goûter, et quelques leçons d’édification qui ne sont pas périmées. Ses treize épisodes et leurs rebondissements se parcourent avec enchantement comme un roman familial. Laissons-nous charmer par le talent du narrateur. Le récit, rédigé sans doute vers 200 avant J.-C., situe l’histoire en Assyrie (Mésopotamie) lors de la première déportation d’Israël. Plus de temple, ni de culte, ni de roi, mais la Providence à l’œuvre au cœur de l’exil, envers deux familles restées profondément fidèles à l’Alliance et à sa Loi. Tobit, le père, isolé au milieu d’un peuple païen, résiste au rouleau compresseur de l’idolâtrie ambiante. Il persiste à louer son Seigneur, pratique l’aumône
et enterre la nuit les cadavres de ses compatriotes jetés par-dessus les murailles de Ninive. Les exilés étaient, en effet, livrés au pillage et au mépris sous le règne de Sennachérib, mais Tobit, avec un petit reste, demeurait ferme dans la foi et éduquait son fils Tobie dans la fidélité à la tradition d’Israël. Devenu aveugle pour avoir attrapé dans les yeux de la fiente de moineau alors qu’il se reposait dans la cour, il subit les sarcasmes de sa femme Anna et la risée de ses voisins : « Où sont donc tes aumônes et tes bonnes œuvres ? Tout le monde sait ce que cela t’a rapporté ! » Après quatre années d’épreuves, Tobit en était venu à désirer la mort. Dans le même temps, là-bas vers la Perse, à Ectabane de Médie, son parent Ragouël désespère de sa fille Sarra, qui a vu mourir sept fiancés, tués l’un après l’autre au soir des noces par le démon Asmodée, avant qu’ils se soient unis comme de bons époux. « Oui, c’est toi qui tues tes maris », disait la servante. Sarra sanglota et monta dans la chambre de son père avec
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le dessein de se pendre. Mais à la réflexion, elle se disait : « Et si l’on blâmait mon père ? » Et elle priait le Seigneur de lui donner du courage : « S’il te déplaît de me faire mourir, regarde-moi avec pitié. Je ne veux plus m’entendre outrager. »
Le compagnon Leur prière, à l’un et à l’autre, fut agréée du Seigneur. Et Raphaël, « l’un des sept anges qui se tiennent devant la Gloire de Dieu », fut envoyé pour les guérir tous les deux. Il devait rendre la vue à Tobit et donner Sarra pour époux au fils Tobie après l’avoir délivrée d’Asmodée, le pire des démons. « A ce momentlà, Tobit rentrait de la cour de sa maison, et Sarra descendait de la chambre », sans rien savoir ni l’un ni l’autre du dessein du TrèsHaut. Ce même jour, Tobit pensa à la somme d’argent qu’il avait déposé chez Gabaël, à Rhagès de Médie. Il se disait qu’il ferait bien de parler de cette somme à son fils Tobie avant de mourir, et de
l’envoyer chercher. Il lui fallait seulement trouver un compagnon sûr qui connaisse les chemins de ce pays montagneux. C’est alors que Raphaël entre en scène sous le nom d’un certain Azarias, parent lointain venu chercher du travail dans la région.
On ne racontera pas ici cette histoire de compagnonnage, pour laisser le lecteur sous le charme du suspens au fil des épisodes du poisson, de la rencontre de Ragouël, des fiançailles et de la noce, de la guérison du papa au terme du retour : « Le chien qui
© Guy Fleury / CIRIC
Ce compagnon de route trouvé par hasard par la famille Tobit, c’est l’ange Raphaël. Le lecteur le sait. Mais Tobie ne le sait pas. Il se laisse gagner par la confiance et le suit, accueillant de bon cœur ses conseils et ses avis au long d’une aventure dont nous connaissons le secret. Procédé littéraire qui donne au récit sa dimension spirituelle, grâce à la double lecture que l’auteur nous propose. Celle, d’une part, du voyage de deux compagnons, apparemment tout profane, pleine d’aléas et de circonstances « providentielles » ; et celle du dessein de Dieu qui envoie son Ange conduire les événements au point de faire tourner toutes choses au bien de ses fidèles. Au passage, les allusions aux épreuves de Job, aux récits patriarcaux de la Genèse, les mariages d’Isaac et Rébecca, de Jacob et Rachel, sont autant de clins d’œil du narrateur qui souligne ainsi la fidélité de Dieu à ceux qui mettent en lui leur confiance jusqu’en terre d’exil. ▲ S aint Raphaël (en hébreu «Dieu guérit»). Dans le livre de Tobie, il conduit le jeune Tobie dans sa mission et guérit son père aveugle.
les accompagnait les devançait. Anna était assise, à surveiller la route par où viendrait son fils… le chien courait devant eux et,
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survenant comme un messager, montrait sa joie en agitant la queue. » C’est alors que Raphaël se fit reconnaître.
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Se former
Devant leur effroi, il ajouta : « Ne craignez pas. La paix soit avec vous. Ce n’est pas à moi que vous deviez ma présence, mais à la volonté de Dieu. Vous avez cru me voir manger, mais ce n’était qu’une apparence. Maintenant, je vais remonter à Celui qui m’a envoyé. Bénissons-le. » Il s’éleva, et, quand ils se redressèrent, il n’était plus visible. Comment ne pas reconnaître ici les mots mêmes des évangiles de la Résurrection ? Avec pourtant cette différence essentielle : Jésus n’est pas venu « en apparence », mais dans notre chair. Non pas à la manière d’un ange, mais comme Fils unique, frère aîné d’une multitude de frères qu’il devait libérer du Prince des démons et conduire à la Gloire.
Le secret du roi
© iStock
« Là où il n’y a qu’une seule trace, ce sont les moments où je t’ai porté. » ▼
Raphaël les prit tous les deux à l’écart, Tobit et son fils, et il leur dit : « Il convient de garder le secret du roi, tandis qu’il convient de révéler et de publier les œuvres de Dieu. Remerciez-le dignement. Faites ce qui est bien et le malheur ne vous atteindra pas… Maintenant, je vais vous dire la vérité. Sachez donc que, lorsque vous étiez en prière, toi et Sarra, que tu faisais l’aumône, que tu enterrais les morts, c’est moi qui présentais vos suppliques devant la Gloire du Seigneur. Et Dieu m’a envoyé pour te guérir, ainsi que ta belle-fille Sarra. Je suis Raphaël, l’un des sept anges qui se tiennent toujours prêts à pénétrer auprès de la Gloire du Seigneur. »
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Il est venu, il vient sans cesse, comme le professera Marthe, la sœur de Marie : « Je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, celui qui vient dans le monde » (Jean 11,27). Avant que les temps soient accomplis, il venait par ses anges s’acclimater à nos mœurs. A Noël ; il s’est fait chair et demeure désormais parmi nous. Par son Esprit répandu, il prend corps et grandit dans l’humanité. Et comme nous sommes souvent trop distraits pour reconnaître ses visites, il se manifeste par des signes qui éveillent nos esprits et nos cœurs. Mais c’est en secret ! « L’Esprit seul nous découvre son passage » (Hymne des Laudes). Son chemin reste caché et ne se dévoile qu’à ceux qui lui ressemblent, aux humbles de cœur, comme à ces bergers à qui fut annoncé sa naissance par
un humble signe : « Vous verrez un nouveau-né emmailloté dans une crèche. » Signe discret comme la brise légère d’un amour vulnérable, livré aux mains des hommes. Nous devinons sa présence dans les conseils et les avis de tant d’amis dans le Seigneur, qui cheminent avec nous dans la foi et nous aident à trouver le chemin. Un jour, nous le verrons et nous serons pleins d’une joyeuse reconnaissance : « C’était lui, le fidèle compagnon, et je ne le savais pas ! » Mais, en relisant notre vie, nous pourrons, et nous pouvons déjà distinguer deux traces sur la plage de nos vies. On connaît la belle prière du poète brésilien, Borros : A la fin de mes jours, je voyais toute ma vie comme deux traces au bord de la mer. La mienne, et celle du Seigneur. Mais parfois, il n’y avait qu’une seule trace, et c’était les moments les plus difficiles, les plus éprouvants de ma vie. Un peu plus, et mon pied glissait ! Alors, je dis au Seigneur : « Tu m’avais pourtant promis d’être avec nous tous les jours jusqu’à la fin. Pourquoi m’as-tu alors abandonné ? » Et il me répondit : « Eh ! bien, vois-tu, là où il n’y a qu’une seule trace, ce sont les moments où je t’ai porté. » Tel est le Secret du Roi, que le bon ange révèle en touchant l’âme avec douceur, « comme une goutte d’eau qui entre dans une éponge ». Claude Flipo s.j.
Les xavières au service du règne
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Les xavières sont des religieuses apostoliques ignatiennes. Qu’est-ce que cela veut dire au juste ?
En 1906, dans l’église Saint Philippe au centre de Marseille, un jésuite prêche le carême. Il se nomme Antonin Eymieu. En bon jésuite, il suit pour ces conférences le chemin des Exercices spirituels de saint Ignace. Le jour vient où il prêche sur la méditation dite « du Règne »1. Avec éloquence, la voix vibrante, le père déploie les harmoniques de cette méditation qui situe chacun devant le Christ et devant son appel à le suivre « de plus près ».
Une expérience décisive Dans l’assemblée, sur le bas-côté – car ces conférences s’adressent d’abord aux hommes – une jeune fille, Claire Monestès, écoute. Elle est « touchée en plein vol » par ces paroles vigoureuses qui viennent réveiller en elle un désir profond d’absolu, un appel entendu le jour de sa première communion chez les dames du Sacré-Cœur. Moment capital. Sa décision est prise dès cet instant : « De ta suite, ô mon Roi, j’en suis ! » Et voici qu’au bout d’un long chemin, cette Claire,
va devenir la fondatrice des xavières. Et lorsque des jeunes femmes viendront la rejoindre, bien des années après, elle leur affirmera : « Nous sommes filles du Règne. » Cinquante ans plus tard, au cours d’une retraite pour un petit groupe de jeunes femmes qu’une xavière – Marie-Henriette Callet – avait rassemblées, j’ai été moi-même saisie par cette même méditation. Comme un chemin de vie qui s’ouvre soudain devant soi. Une route sur laquelle on peut avancer en sachant où l’on va. Une joie qui envahit tout avec la certitude d’être aimée. Il me semble que si nous sommes ignatiennes, nous les xavières, c’est parce que, d’une manière ou d’une autre, nous avons chacune fait une expérience analogue dans laquelle la rencontre avec le Christ est absolument déterminante. On peut objecter que cette expérience est au cœur de toute vie chrétienne personnelle et cela est vrai. Suivre le Christ de plus près n’est pas réservé aux seuls ignatiens ni aux religieuses. C’est la vocation de chaque chrétien.
Une école de vie spirituelle Mais, ce qui marque les xavières – comme tous les membres d’instituts religieux se référant à saint Ignace – c’est que les « Exercices » sont pour nous l’école de vie spirituelle et de vie tout court que nous choisissons de suivre. Ils ne constituent pas un passage de quelques jours, mais ils deviennent en quelque sorte la matrice de notre vie spirituelle. Les Exercices offrent une manière particulière, très incarnée, de lire les textes bibliques. A travers les compositions de lieu, l’application des sens, les répétitions, la Parole prend chair en chacun. Il s’agit de « passer de la tête au cœur », de faire advenir le Christ en soi.
1. La « méditation du Règne » est le porche d’entrée dans la deuxième semaine des Exercices spirituels d’Ignace de Loyola, où l’on va contempler le Christ et sa façon d’appeler tout être humain à son service.
En même temps, ces Exercices ouvrent un chemin pour nous immerger avec tous nos sens dans l’histoire de Dieu avec les hommes pour mieux reconnaître comment cette même histoire se poursuit aujourd’hui dans le contexte culturel, social, économique qui est le nôtre. En somme, une invi-
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tation à garder les yeux ouverts sur le monde tel qu’il est, sur Dieu tel qu’il agit, et trouver par là comment avancer librement en baptisé dans ce monde. Cette dynamique des Exercices spirituels nous façonne et nous aide à nous tenir enracinées en Dieu, pleinement insérées dans le monde.
Puis, ce chemin de vie, nous avons à le poursuivre après. Aussi, chaque année, reprenons-nous le parcours des Exercices pour une semaine ou plus, confiantes que la grâce ne nous sera pas mesurée.
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Le noviciat, qui nous fait interrompre tout travail professionnel pendant deux ans, est une sorte d’entrée au désert, un lieu pour éprouver notre attachement au Christ et à son Eglise bien
Christ. Prendre les goûts de celuici, lutter contre « le charnel et le mondain » pour que l’être tout entier soit transformé par cette rencontre. Tous ceux qui ont eu la chance de faire ce long parcours connaissent bien ces lumières très personnelles qui surgissent souvent à l’improviste, pour nous inviter à la conversion du cœur dans notre vie bien concrète.
concrète qu’est la communauté. Il nous fait éprouver quelque chose de la disponibilité au service du Règne du Christ qui doit être celle de tout ouvrier de l’Evangile. Les Exercices de trente jours sont une étape centrale dans cette expérience de désert. Leur force est de renvoyer celle qui les fait à Dieu, son Créateur et Seigneur et de l’attacher à la personne de Jésus. Avec cette mystérieuse alchimie d’un travail intérieur très profond qui s’opère par la contemplation de la vie du
Le conseil élu par le dernier Chapitre en juillet. « Ne leur demandez pas ce qu’elles font mais ce qu’elles sont » disait Claire Monestès.
Un rapport au monde
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Dans la spiritualité ignatienne, il n’y a pas d’un côté le sacré et de l’autre le profane. Tout peut nous conduire à Dieu. Tout dépend du cœur avec lequel je vais dans ce monde, du regard que je porte sur lui. Contemplatifs dans l’action : ces deux maîtres-mots ignatiens, nous les faisons nôtres, comme Claire, notre fondatrice, l’a fait.
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Avec elle, nous voulons être « missionnaires de toutes les missions ». La recherche d’une proximité, d’un compagnonnage avec les voisins et les collègues de travail, l’intérêt porté à ce qu’ils vivent, le désir de construire ensemble des espaces où la vie peut se développer nous dynamisent. Nous y cherchons l’Esprit de Dieu à l’œuvre. Claire écrivait bien avant le texte de Vatican II sur l’Eglise dans le
Que nous soyons secrétaires, animatrices de jeunes, accompagnatrices spirituelles, médecins, ingénieurs, bibliothécaires, théologiennes, enseignantes, responsables d’aumônerie d’étudiants ou de malades, responsables des services d’Eglise, psychologues, infirmières, puéricultrices, gestionnaires. Que nous travaillions en entreprise, accueillions des migrants, fassions du soutien scolaire, nous désirons être animées d’un même esprit, être associées à la mission du Christ aujourd’hui pour communiquer sa vie… « Ne leur demandez pas ce qu’elles font mais ce qu’elles sont » disait Claire. Il s’agit en tout engagement d’être « christophores » : porteuses du Christ parce qu’unies à lui. Entendre Dieu « dans la rumeur du monde », tel est notre désir. Cela façonne en nous une manière d’être dans le monde d’aujourd’hui sans craindre d’y perdre notre âme mais en étant lucides sur toutes ses dérives. « Soyez ferventes du monde présent, non de celui d’hier, adaptez vous perpétuellement », tel était son mot d’ordre. Pas de xavière sans un intérêt profond pour le monde de ce temps, une curiosité, une passion peut-être pour ce qui germe et évolue.
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monde : « Il nous faut vivre la vie de ceux que nous voulons sauver, comprendre leur langage, leurs besoins… être accessible, compréhensive à tout mouvement de grâce. Savoir attendre en stimulant, en éclairant, en aimant. Tout accueillir pour tout épanouir. »
▲M aison d’accueil de la Pourraque en Provence. Cadeau précieux légué par Claire Monestès. Une communauté y vit depuis 1975.
Ignatiennes et rien d’autre ? « Par le baptême, s’établit entre Dieu et l’homme un lien définitif : l’Esprit Saint devient fondateur d’une histoire qu’on peut appeler divine mais qui est aussi une histoire humaine, long cheminement d’une liberté à travers des oui et des non. Chacun construit donc sa propre spiritualité qui n’est rien d’autre que la vie de l’Esprit en lui. » M. Giuliani. s.j. Bien sûr que Claire n’est pas qu’ignatienne ou plutôt qu’elle l’est avec la note propre de la vie de l’Esprit en elle. Musicienne, elle a pris à Saint Benoît l’amour de la prière liturgique et du chant, elle vibrait à l’amour de François d’Assise pour tout être vivant et cherchait la joie de Dieu. Son époque qui fût plus qu’une autre peut-être inventive, dynamique
et violente – la Belle Epoque, la guerre de 14-18, la montée du nazisme… – a marqué toute sa vie. Les recherches bibliques et théologiques ont ouvert son esprit. Un quelque chose de sensible, de chaleureux et de joyeux malgré les épreuves a adouci la rigueur d’Ignace. Son rapport au monde n’est pas de crainte et de protection, il est fait d’intérêt et de bienveillance critique. Derrière elle, à la suite du Christ, le chemin de chaque xavière est unique, façonné par les Exercices, alerte à la manière de Claire, inventif dans l’écoute de ce que l’Esprit lui inspire là où elle est.
Geneviève Roux a travaillé dans la catéchèse, l’audiovisuel et la communication. En février 2011, elle publie Petite vie de Claire Monestès (Ed. Desclée de Brouwer).
Oui ! La spiritualité ignatienne conduit à une forte personnalisation de la relation de chacun avec Dieu. Geneviève Roux, xavière.
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Je ne me sens pas bien dans ma communauté locale (1ère partie) Voilà maintenant un moment que je ne me sens pas bien dans ma communauté locale. Je ne sais pas bien à quoi cela est dû. Je ne sais pas non plus comment en parler et à qui. Que me faut-il faire ? Ce premier article évoquera quelques situations, et dans le prochain numéro, des repères sur ce qu’il est possible de faire et à qui en parler.
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Quand un malaise se fait ressentir, prendre cela suffisamment au sérieux pour se poser entre deux rencontres, devant Dieu, en cherchant à identifier les causes. Comment le malaise se traduit-il, à propos de quoi ? • Je ressens une tension persistante vis-à-vis d’une personne. En cours de réunion, notre apprentissage de l’écoute nous permet de ne pas réagir à chaud mais de prendre le temps d’accueillir en soi ce qui est touché par la parole de l’autre. Qu’on se le dise : la communauté idéale n’existe pas ! Les autres membres de la communauté locale me sont donnés : qu’y a-t-il de neuf pour moi dans leurs différences ? Être frères, compagnons, ne va pas sans frottements. Nous rencontrons Dieu dans le réel de nos vies. Un mot peut renvoyer à des expériences très différentes d’une personne à l’autre. Si une parole me heurte, vais-je le dire avec simplicité ? « Amour et vérité se rencontrent », Psaume 85 (84). Et si j’agace quelqu’un, quel soin vais-je prendre ?
• Je m’ennuie, je n’ai plus de goût à écouter, j’ai l’impression de toujours entendre la même chose, je prépare de moins en moins. Et si mon ennui était lié à mon manque d’implication ? Prière régulière et relecture de vie dans la prière, retraite selon les Exercices, accompagnement personnel… Vivre les temps forts communautaires comme le week-end régional ou des weekends de formation me rendent-ils heureux ? Ou bien mon désir de suivre le Seigneur m’entraîne-t-il vers d’autres lieux d’Eglise que la CVX ? Et si je parlais de mes difficultés à ma communauté locale ? • Je ne me sens pas libre de parler : je ressens une gêne à m’exprimer devant les autres membres de la communauté locale, une impression de ne pas être compris. Est-ce parce que j’ai des relations sociales ou amicales fortes avec d’autres membres de la communauté locale qui rend plus difficile la confidentialité ? Ou parce que je ressens le désir d’avancer plus avant dans le style de vie de
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la CVX et que ce désir ne semble pas compris dans la communauté ? Ou encore, parce que je me sens isolé dans ma situation sociale et crains de ne pas toujours être bien écouté et compris sur ce qui est partagé (le seul couple, le seul homme, la seule femme au foyer de l’équipe, etc.) ? Ai-je peur d’être jugé ou est-ce moi qui me juge en me taisant ? Et si, en osant parler en vérité, j’aidais les autres à en faire autant ? Parler en vérité pour chercher avec les compagnons où Dieu se manifeste dans ma vie nécessite : d’une part, de bien préparer la réunion pour être vrai en profondeur, et d’autre part, d’être confiant dans l’écoute bienveillante des autres. Cette confiance s’acquiert peu à peu et suppose une prise de risque mutuelle, et il est aussi possible de demander à Dieu et à ses compagnons de communauté locale de nous aider pour avancer sur ce chemin. Nadine Croizier
© Claire Benêteau
“Avancer ensemble en communauté locale est un équilibre toujours à réinventer, pour que chacun trouve sa juste place.”
Ensemble faire Communauté
L’Université d’été, sous un œil extérieur « Apprendre à repérer les appels de Dieu dans le monde d’aujourd’hui » : quelques places de l’Université d’été étaient ouvertes à des « diocésains », extérieurs à la CVX. Témoignage d’ambiance par l’un d’entre eux, André Ruchot.
© Barbara Strobel
festation d’envergure à organiser a été insufflée par l’Esprit depuis quelque temps au cours des rencontres des différentes instances responsables de la CVX. Extérieur à la Communauté, je ne pouvais qu’être confiant dans le déroulement de ces trois jours et sur son aboutissement.
Je me suis inscrit car la thématique de réflexion m’a immédiatement intéressé dans la mesure où je suis souvent interrogatif, parfois sceptique, pour ne pas dire pessimiste sur le monde en général et notamment la société que nous avons bâtie ces dernières décennies. Ce qui m’a frappé dès le départ, c’est d’apprendre que cette mani-
Alors, qu’y ai-je vécu ? Tout d’abord, je me suis senti très à l’aise dans une ambiance sympathique et conviviale qui a favorisé la rencontre et l’échange avec les membres de la CVX. J’ai rencontré des personnes engagées dans leur histoire personnelle avec le Seigneur, comme disciples du Christ et engagés dans l’histoire des hommes de notre temps pour vivre et construire un monde sous le souffle de l’Esprit Saint. J’ai découvert des personnes très préoccupées par le « brouillage » des repères de l’époque traversée par le monde d’aujourd’hui.
l’Evangile dans leurs engagements selon l’Esprit de Dieu. Mais il semblerait que c’est la pédagogie qui diffère. Pour la CVX, ce serait le discernement des appels de Dieu par l’Esprit qui guiderait la manière de vivre sa vie personnelle et engagée dans le monde. Alors que pour le CMR, ce serait les actes posés – ou non – qui permettrait d’y voir comment Dieu nous précède dans notre histoire personnelle et collective dans le monde présent et y voir combien Dieu aime ce monde. Par exemple, en CVX, vous commencez les réunions par un temps de prière en vous mettant à l’écoute de l’Esprit Saint pour ensuite parler de votre vie et discerner les appels de Dieu pour vivre votre vocation spécifique au cœur du monde.
CVX et CMR Je crois que la CVX et le CMR sont très proches dans leurs préoccupations et la volonté de vivre
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Diocésain, je le suis en tant que laïc engagé dans la vie diocésaine à plusieurs niveaux de rencontres : d’abord comme membre du CMR (Chrétiens dans le Monde Rural), puis comme accompagnateur d’équipes, enfin comme animateur d’un groupe biblique à Lille.
Une foi incarnée J’ai apprécié le grand savoirfaire dans l’animation de ces trois journées. L’alternance des modes d’animation différents : en plénière, sur place avec son puis ses voisins, puis en groupes restreints avec des participants non choisis. Cela pour faire communauté durant trois autres rencontres sur les deux jours, permettant ainsi une expérience de discernement personnel et ecclésiale. C’est avec une curiosité toute intéressée que j’ai découvert l’existence des ateliers de la CVX, qui travaillent des thématiques spécifiques, pour approfondir ensemble certaines questions actuelles. Ils reflètent la volonté des membres de la CVX de participer à la vie sociale et politique. J’y vois là une manière toute naturelle de vivre une foi incarnée dans la société à l’appel du Christ. Je me suis senti très concerné et très proche de ces réflexions.
L’Université d’été CVX 2011, c’était : 240 personnes rassemblées, 3 jours au Centre spirituel d’Haumont fin août 2011 pour : • Prier ensemble, d’abord en contemplant le monde avec la Crucifixion Blanche de Chagall et les Exercices d’Ignace ; puis au cours des eucharisties.
J’ai beaucoup apprécié que cette séquence ait commencé par un temps de recueillement et de tête à tête avec le Seigneur. Ce temps m’a permis de repartir à la source et de me mettre à l’écoute de l’Esprit Saint.
• Regarder le monde avec Jean-Claude Sailly « Quel est ce monde que nous avons à aimer et servir ? ». Puis Olivier de Dinechin « Dieu est à l’œuvre en cet âge, ces temps sont les derniers : Qu’est-ce à lire ? ». Ensuite, avec les témoignages des responsables des Centres spirituels et des Centres d’aide aux étudiants étrangers. Et enfin avec des jeunes.
Trois jours fructueux donc, dans la mesure où j’ai repris confiance en ce monde. Cela m’a transformé. J’ai entendu des appels concrets à croire et à aimer le monde dans lequel je vis, ainsi que des appels à continuer de m’investir et d’aimer les jeunes qui me sont envoyés. André Ruchot
• Apprendre à analyser avant d’agir, avec le Ceras1. • Découvrir le travail des ateliers. • Se laisser interpeller par Guy Aurenche, président de CCFD-Terre solidaire.
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En CMR, nous partons de notre implication comme acteur dans la vie des hommes et du monde à partir d’un fait de vie à toute l’équipe. Et ensemble, nous sommes invités à discerner si nos choix témoignent de convictions, choix qui sont ensuite confrontés à la Parole de Dieu pour y reconnaître Dieu agissant dans notre vie et dans notre histoire.
Enfin, j’ai trouvé très pertinent pour moi et aussi pour l’ensemble des universitaires, d’être invités à recueillir les fruits de cette session, donnés par l’Esprit Saint chez chacun de nous. Cela a mis en cohérence le thème de l’Université d’été et son expérimentation puisqu’il s’agissait d’apprendre à repérer les appels de Dieu dans le monde d’aujourd’hui.
• Partager en communauté d’université (groupe de 8 à 9) quatre fois au cours de la session. 1. Centre de Recherche et d’Action Sociales.
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Ensemble faire Communauté
En communauté locale, discerner les signes des temps ? La communauté locale est-elle le lieu pour lire les signes des temps ? Comment s’y prendre ?
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▼ Groupe de partage pendant l’Université d’été 2011 à Lille.
Prenons un exemple : dans la communauté, ces derniers mois, à plusieurs reprises, certains ont été amenés à partager des souffrances au travail – la pression, l’injustice au quotidien, la difficulté à trouver sa place. Ou bien reviennent souvent l’impuissance face à la transmission de la foi aux enfants. Nous pressentons qu’il ne s’agit pas seulement de chemins personnels ; et qu’il faudrait quitter le domaine de l’intime, du privé, pour resituer de façon plus large ce qui est en jeu. Alertés, le responsable et l’accompagnateur proposent un nouveau chemin : de quoi ces questions qui reviennent sont-elles le signe ? Bien plus, comment Dieu fait-il signe dans le monde, à travers les questions portées par les uns ou les autres ? Pendant une ou plusieurs rencontres, la communauté va essayer de mieux percevoir en quoi ce qui se joue là est un signe des temps, qui appelle conversion, information et action, en le resituant dans le contexte de la société, de ses avancées et de ses reculs.
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Le chemin proposé repose sur une préparation personnelle, comme pour toute réunion, puis une écoute attentive des autres et une interpellation. Il va s’agir d’abord d’écouter, de voir, de contempler le monde à partir des situations repérées, puis, en ayant le souci de trouver des moyens qui aident à comprendre, à interpréter, à la lumière de la Parole de Dieu. Ce sera alors le temps du jugement. Qu’est-ce qui, « dans les événements, les exigences et les requêtes » (Vatican II, Gaudium et Spes 11), manifeste une foi élémentaire en la vie, une charité en actes, une espérance, de la part de ceux qui y sont impliqués ? Vient enfin la préparation de l’action. Quel est le pas de plus à vivre, à la suite du Christ ? Marie-Agnès Bourdeau (Equipe Service Formation)
& Paul Legavre, s.j.
(Assistant national)
Retrouvez une manière de faire plus détaillée sur le site de la revue www.viechretienne.fr ou sur cvxfrance.com > documents > formations.
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d’été offre une autre manière de s’y prendre en réunion.
Lors de l’université d’été, il ne s’est pas seulement agi d’écouter des enseignements ou des témoignages, mais aussi d’entrer personnellement dans l’intelligence des signes des temps à partir de sa propre existence, des enseignements et des témoignages écoutés. Ce qui a alors été expérimenté par 240 personnes peut-il devenir un bien commun de toute la Communauté, afin que tous deviennent « plus aptes à rencontrer le Christ en tout homme et en toute situation » (Principe Général 6) ? Ceci est un défi qui nous est posé (qui s’impose à nous ?) ; l’enjeu en est la dimension apostolique de la Communauté. Nous avons déjà l’habitude des relectures de vie et des aides au discernement. Ce qui a été expérimenté à l’Université
Une nouvelle page pour la formation
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Pendant mes deux ans de service, j’ai beaucoup apprécié la force du travail en équipe. Deux choses m’ont particulièrement tenu à cœur : le succès des propositions de retraites pour les familles avec enfants et la réussite de la formation Emmaüs1 qui s’étoffe et s’étend à deux endroits (Paris et Lyon). Par ailleurs, nous avons essayé d’inciter tous les membres de la CVX à davantage se former, en mettant plus particulièrement l’accent sur les Exercices spirituels. Il nous a semblé important par exemple, d’intégrer une première expérience des Exercices dès l’année d’accueil. Comment accompagner les personnes qui sortent de l’accueil ? C’est pour nous une véritable réflexion, qui nous ouvre à la question de la visée de la Communauté et à celle de l’engagement. La CVX est plus qu’un simple lieu de ressourcement. C’est une manière
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Retrouvez sur www.viechretienne.fr l’interview de Béatrice Piganeau
de vivre son baptême selon les quatre attitudes : discerner, envoyer, soutenir, évaluer. Chacun est appelé à s’envoyer mutuellement en mission. Où devonsnous, personnellement et en tant que Communauté, agir dans le monde ? Aujourd’hui, il va s’agir d’inventer la formation dans la nouvelle gouvernance, d’être particulièrement attentif à la question des jeunes dans la Communauté, afin
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Après plus de deux ans de service à la responsabilité de l’Equipe Service Formation, Jean Lacour laisse la place à Béatrice Piganeau. Bilan de cette aventure aussi riche qu’exigeante.
▲ De gauche à droite, Béatrice Mercier (secrétaire de la formation), Jean Lacour (responsable formation sortant), Béatrice Piganeau (responsable formation entrant). L’Equipe Service Formation (ESF) se divise en deux pôles : le pôle Vie Communautaire et le pôle Exercices spirituels (dont le responsable est Michel Le Poulichet) + le parcours de formation CVX-Emmaüs (responsable : Bernadette Inial).
que la formation permette à chacun de grandir et à tous de véritablement faire corps. Propos recueillis par Marie Benêteau
Merci à Jean Avant même ton retour d’Algérie où tu étais parti avec Odile pour deux ans de coopération, la Communauté avait pensé à toi pour entrer dans l’Equipe Service Formation. Tu as dit « Oui » pour ce service et « Oui » également pour une prolongation comme responsable de l’ensemble de la formation et animateur du pôle Vie communautaire. Pendant ces six années, tu as suivi avec attention de nombreux dossiers et choisi d’investir plus personnellement deux d’entre eux : celui du partenariat avec le MEJ afin que les savoir-faire de la CVX et du MEJ se croisent et que, chaque été, plusieurs propositions de retraites soient vécues ensemble. Et celui de la création d’Emmaüs Lyon à laquelle tu as œuvré avec ténacité en vue de doubler la formation Sèvres-CVX qui devient Emmaüs Paris. Merci pour ta foi et ta tranquille persévérance qui ont permis ces fruits pour notre Communauté et tant d’autres qui sont invisibles. Je rajoute un merci tout personnel pour avoir accepté de « tuiler » un trimestre avec moi. Bon vent vers de nouvelles missions ! Béatrice P.
1. La formation Emmaüs est une formation qui donne à tous les acteurs de l’accompagnement de la croissance spirituelle des autres, des repères théologiques, bibliques et anthropologiques sur deux ans.
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Ensemble faire Communauté
Paraguay et France
une seule et même CVX Jose et Capucine Caravias, de la CVX France à Saint-Denis, se sont rendus au Paraguay l’été dernier, accueillis chez Victoria Rivelli et Sergio Oddone. Ces derniers nous partagent ce qu’ils vivent en CVX dans leur pays.
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La CVX Paraguay a commencé dans les années 1990 : un groupe de personnes enthousiastes se réunissait autour de jésuites accompagnateurs dans les deux collèges d’Asunción : Cristo Rey et Técnico Javier. L’approbation officielle est obtenue à Hong Kong en 1994 et depuis lors, la vie communautaire nationale s’est reliée à la communauté mondiale.
Histoire d’un appel Dieu avait touché les cœurs de ces compagnons d’origine et ils répondirent par un OUI qui nous maintient réunis en Son nom et par Son amour jusqu’à maintenant. Nous grandissons dans la
connaissance interpersonnelle, l’acceptation de nos fragilités et le développement de nos facultés pour les mettre au service. Par le partage de nos vies, nous croissons en amour, en soutien mutuel et en capacité d’accueil. Actuellement au Paraguay, il y a 8 communautés, 3 communautés d’accueil, et la nouvelle CVX Jeune (lycéens du collège Cristo Rey), toutes situées à Asunción. Il y a aussi une communauté à San Ignacio et deux à Encarnación. Comme notre argile est fragile et comme l’amour du Père est grand, Lui qui nous invite à nous donner Sa force et à partager Sa lumière ! Argile douce, malléable et féconde, vie partagée entre frères, Evangile qui se diffuse.
Chaque étape nous conduit à trouver Dieu dans le monde Tout au long de notre courte vie partagée comme CVX Paraguay, nous nous sommes rendus plus sensibles aux appels du Seigneur et plus diligents pour lui répondre. Pour regarder la réalité que nous avons à vivre. Pour s’encourager dans les tâches pastorales auxquelles chacun se sent particulièrement appelé. Nos collaborations avec la Compagnie de Jésus nous font grandir en respect et affection, les deux piliers qui nous embarquent dans l’annonce commune de l’Evangile. Nous voyons de nombreux défis à
Des Français au Paraguay Jose et Capucine Caravias se sont rencontrés en 1999 dans le quartier marginal du Bañado (zone inondable) d’Asunción par l’intérmédiaire du père et oncle Jose Luis Caravias s.j. Jose faisait son service national comme médecin et Capucine sa thèse d’anthropologie. Retourner au Paraguay avec leurs trois enfants était une manière de rendre grâce pour leurs dix ans de mariage. Capucine s’est sentie très soutenue par la communauté Ñemity pour les conférences qu’elle devait donner à l’université dans le cadre de la bourse européenne permettant ce voyage. Ils ont été émus par la profondeur de l’accueil familial Oddone, par le calme de Sergio, président de la CVX Paraguay et par la passion de Victoria, dermatologue, poète et écrivaine. 36 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 15
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La famille Caravias devant les chutes d’Iguazu.
l’horizon : notre réflexion communautaire porte en ce moment sur l’incidence socio-politique, à partir de notre formation ignatienne. Huit personnes d’Asunción sont inscrites pour le cours de formation latino-américaine.
de fils colorés. C’est l’histoire de l’Evangile qui nous pousse aux frontières de ce monde.
Nous avons aussi reçu avec joie l’impulsion d’accueillir les jeunes lycéens dans le chemin de la CVX. Proposition qui implique de nouveaux défis, espérances et dons de soi. Les jeunes revitalisent nos tissus avec la passion qui nous unit autour de Jésus. Ceci nous conduit à faire tomber nos murs, à sortir de nos refuges. Il ne nous reste plus qu’à nous lancer à l’aventure. Dieu nous a comblés de biens, nous voulons répondre à son amour de manière plus concrète : en nous donnant nous-mêmes. C’est l’histoire d’une croissance à partir de la diversité de nos êtres : telle le Ñanduti, broderie tissée à partir
En tant que couple et famille, nous sommes à la CVX depuis 1997. Avec trois autres familles dont les enfants ont des âges proches, nous formons la communauté Ñemity, qui signifie « semailles » en guarani. En cette année 2011 nous avons reçu la grâce de voir le passage de l’Esprit dans le monde, de nous voir unis dans un commun effort pour faire advenir le Royaume. Il nous a été proposé de recevoir à la maison une famille de la CVX France, de Saint-Denis, José et Capucine avec leurs trois enfants.
La joie de la rencontre
Il est émouvant de se remémorer l’acceptation mutuelle des deux
familles à l’idée de vivre un mois ensemble, sur la seule base de notre commune appartenance à CVX. On ne se connaissait pas ! Ce fut une expérience gratifiante que de partager une vie simple, remplie par le travail et les six enfants. Notre église familiale était pleine de vie ! Nous avons partagé les repas, les promenades, les amis, les prières, les rêves, les peurs, les jeux, les embrassades, les glaces, le maté, les réussites… Tous ensemble nous avons célébré joyeusement la vie pendant un mois. Se donner simplement et petitement, comme la rustique fleur de coco qui embaume nos crèches. Seigneur, Toi qui nous convies par toutes les latitudes, accueille notre gratitude de nous sentir Tes aimés à travers nos amis. Victoria Rivelli et Sergio Oddone Janvier 2012 37
Ensemble faire Communauté
La CVX en mission à travers le monde Une vidéo, qui présente les différentes actions de la CVX à travers le monde, nous donne l’occasion d’ouvrir la réflexion sur les « missions communautaires ».
Mission commune Une personne partage dans sa communauté locale un appel intérieur. Les autres l’aident à discerner la juste attitude à avoir et à recevoir cet appel comme une mission. Par la grâce de la parole qui a circulé entre tous, l’appel personnel devient alors une mission commune. Le soutien et l’évaluation manifesteront que cet appel est devenu l’affaire de tous.
Mission communautaire Quand la CVX France a été appelée à reprendre le centre de Saint Hugues de Biviers il y a 17 ans, ce sont toutes les communautés locales qui ont participé au discernement de ce qui est sans doute en train de devenir une mission communautaire : nous rendre attentifs à la soif spirituelle de nos contemporains et tenter d’y répondre en partageant le trésor des Exercices spirituels.
leurs migrants et leurs familles ? Ou qu’à Hong Kong, ce sont deux écoles que la CVX a prises en charge ? Ou encore, qu’en Uruguay, « Le Coin pour tous » aide les isolés et sans famille à reprendre espoir ? Aussi, n’hésitez pas à aller voir le document, personnellement et en communauté locale. Cela élargira l’espace de votre tente. Paul Legavre s.j. Assistant national
Se pose alors une question : comment à la fois vivre sa propre mission personnelle et être solidaire des missions communautaires que la CVX se donne ? La CVX a en effet à se positionner au sein du monde, en tant que Communauté. Un montage audiovisuel, proposé par la Communauté mondiale, nous aide de façon suggestive à prendre la mesure des différentes missions communautaires vécues à travers le monde, en réponse aux signes des temps. Ainsi, savez-vous qu’en Corée du Sud, la CVX a courageusement ouvert un centre pour les travail-
38 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 15
www.cvx-clc.net/l-fr/ reportsApostolic.php
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Les dernières assemblées mondiales de Nairobi en 2003 puis de Fatima en 2008 ont permis de mieux distinguer missions communes (quand l’appel personnel d’un membre de communauté locale devient mission commune une fois partagé) et missions communautaires (le choix de s’engager en communauté dans une mission particulière). La réflexion et les débats sont allés bon train, sous les grands arbres de Fatima. Nous, délégués français, avons été frappés par la façon dont les plus jeunes communautés nationales se donnaient volontiers une mission communautaire.
Billet
Je ne sais pas vous, mais moi, l’ange-gardien de notre voisine me rend plutôt perplexe. Surtout depuis octobre, depuis qu’elle l’appelle l’Angélou. A la grecque, forcément. Vous allez comprendre. Auparavant, rien de bien extraordinaire : Fabienne fait tout simplement partie de ces croyants en quête (souvent fiévreuse) de signes d’un Dieu providentiel. Et qui délègue à un ange le soin de les dorloter au quotidien. Une place pour la Clio, pile devant chez le pédicure ? Les clés retrouvées sous le divan ? L’intuition du clafoutis-poire, pour une amie dont c’est justement le dessert préféré ? Merci, l’Ange ! Ma première gêne vient de là. Ce n’est jamais : « Merci, Seigneur ». Comme si l’ange n’était messager que dans un sens : le courrier afflue – cartes postales ensoleillées, paquets cadeaux – et l’on se contente d’un pourboire au facteur. Fin octobre, sur le chemin de Mycènes, vous vous en souvenez peut-être, un car de touristes français est tombé dans un ravin, faisant cinq morts. Fabienne devait être du voyage, mais au dernier moment, quelque chose en elle l’a dissuadée de prendre part à l’excursion. L’Angélou veillait… A peine rapatriée par l’ambassade, elle est accourue à la communauté, suave et frémissante. Raconter cela à un jésuite, ça vous a des allures de Sainte Bernadette chez son curé. Je ne sais pas ce qui m’a pris, (si, je sais. Quel roman familial n’a pas son chapitre « excursion tragique » ?) j’ai éclaté : - Et les anges-gardiens des cinq touristes dans le ravin, ils étaient où ? En RTT ? Sérieusement, Fabienne, vous iriez parler d’Angélou aux veufs et aux orphelins ? Un long silence. Elle restait là, le front baissé. Je commençais à douter que mes paroles aient été pure sainte colère. Tout balbutiant, j’ai repris : - Vous comprenez, Fabienne, ce pressentiment, c’est votre histoire avec Dieu. C’est intime… ça ne regarde pas forcément les autres… Dans la Bible, on dirait : garder le secret du roi… Fabienne rentra chez elle. Trois jours après, elle sonnait. Rayonnante, Bible en main. - « Il est bon de tenir caché le secret du roi, mais les œuvres de Dieu, il faut les célébrer et les révéler. » Soubirous-Peyramale, balle au centre. Moi, naïvement : Et vous êtes tombée sur ce verset par hasard ? Elle, finement : Une amie de bon conseil, ça vous va comme réponse ? Sûrement celle du clafoutis-poire. La référence ? Livre de Tobie 12, 7. C’est l’ange Raphaël qui parle. Philippe ROBERT s.j.
© Patrice Thébault / CIRIC
L’ange en question ▲ Détail de la cathédrale Notre-Dame de Reims.
Janvier 2012 39
Prier dans l'instant
Hier soir en réunion de communauté locale, j’ai relu les semaines passées comme coupées en deux périodes : Une période de grande énergie et de persévérance, en prise directe avec un réel complexe, aux registres multiples, un réel qui souvent résistait mais auquel je pouvais faire face avec confiance. Puis une période où le réel était apparemment le même mais j’étais débordée, fatiguée, très vite découragée. J’ai pu repérer qu’à un moment donné, une parole, un souci, peut-être dans un moment de fatigue, sont venus introduire un doute, qui peu à peu s’est transformé en inquiétude diffuse, se posant sur tout et n’importe quoi : comment cela va-t-il se passer, telle démarche va-t-elle être appréciée, vais-je répondre à ce que l’on attend de moi, telle personne ne va-t-elle pas penser que… ? Tout le contraire d’un combat précis, pour lequel on rassemble ses forces. Etonnamment je n’avais pas reconnu tout de suite ce travail de sape insidieux ; mais la parole de Dieu et celle des frères m’ont montré que le réel avait cédé la place à l’imaginaire. Nous avons prié en communauté l’évangile du jour où Jésus disait, en s’adressant à Jérusalem : « Si toi aussi, tu avais reconnu en ce jour ce qui peut te donner la paix ! » Luc 19, 42. Ce soir-là, plusieurs frères ont partagé leurs pauvretés dans une grande simplicité, et cela m’a remise dans le réel. Seigneur je te rends grâce pour ce temps de partage qui m’a permis de relire, d’entendre, de tourner mon regard vers ce qui peut me donner la paix : la simplicité et la pauvreté devant toi et devant mes frères. « Je suis un serviteur ordinaire » (Luc 17, 10.), et avec cela, ta grâce me suffit. Dominique Pollet
Nouvelle revue Vie Chrétienne – janvier 2012
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Quand le réel cède la place à l’imaginaire