Revue Vie Chretienne n°16

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Vie chrétienne Nouvelle revue

C h e r c h e u r s

d e

D i e u

P r é s e n t s

a u

M o n d e

B I M E S T R I E L D E L A C O M M U N A U T É V I E C H R É T I E N N E E T D E S E S A M I S – N º 1 6 – M ars 2 0 1 2

Et si nous regardions la vie sous un angle nouveau ?...

Le davantage selon saint Ignace J’étais en prison

Conversion


Sommaire

éditorial 3 l'air du temps ~ La démocratie en question 4

chercher et trouver dieu

Conversion

NOUVELLE REVUE VIE CHRÉTIENNE Directeur de la publication : Alain Jeunehomme Responsable des éditions : Dominique Hiesse Responsable de la rédaction : Marie-élise Courmont Secrétaire de rédaction : Marie Benêteau Comité de rédaction : Marie Emmanuel Crahay Yves de Gentil-Baichis Dominique Hiesse Paul Legavre sj Barbara Strobel Comité d'orientation : Marie-Agnès Bourdeau Alain Jeunehomme Noëlle Hiesse Michel Le Poulichet Béatrice Mercier Trésorière : Martine Louf Fabrication : SER, 14 rue d’Assas, 75006 Paris www.ser-sa.com Photo de couverture : © Barbara Strobel couleurstrobel.com Impression : Corlet Imprimeur, Condé-sur-Noireau ISSN : 2104-550X 47 rue de la Roquette 75011 Paris

Témoignages La conversion, un grand souffle d’air frais Isabelle Le Bourgeois Croyez à la Bonne Nouvelle ! Marie-Elise Courmont Parole de Dieu, Parole de vie Marie-Luce Brun

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le babillard 19 se former Prier avec ma mémoire 20 Jean-Claude Dhôtel, s.j. « J’étais en prison » 22 Gaël Barrera Caïn, le premier fils unique 24 Michel Farin, s.j. Le davantage, selon saint Ignace 27 Marie Emmanuel Crahay ème Je ne me sens pas bien dans ma communauté locale (2 Partie) Nadine Crozier 30 ensemble faire communauté L’Assemblée de la Communauté 32 Une enquête encourageante 34 Les Exercices : décider d’y aller 35 France-Liban : « Tout est possible avec Dieu » 36 billet Inventer du neuf Corine Robet prier dans l'instant Avant de bricoler Charles Mercier

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La revue n’est pas vendue, elle est servie aux membres de la Communauté de Vie Chrétienne et plus largement à ses amis. Chacun peut devenir ami ou parrainer quelqu’un : il suffit de verser un don minimum de 25 euros (35 euros pour ceux hors de France Métropolitaine). Versement en ligne sur http ://www.viechretienne.fr/devenirami ; ou bien par chèque libellé à l’ordre de Vie Chrétienne et adressé à SER-Vie Chrétienne 14 rue d’Assas, 75006 PARIS. Virement possible sur RIB 30066 10061 00020045801 60 – IBAN FR76 3006 6100 6100 0200 4580 160 – BIC CMCIFRPP.

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Éditorial

Pour un davantage

«

La mi-carême, c’est : Une petite pause pour souffler pour ceux qui ont commencé leurs efforts dès le mercredi des Cendres… Un rappel pour ceux qui ont du mal à inscrire les temps liturgiques dans leur vie… © aWordTourer / Flickr

Un temps d’évaluation de notre pratique… Deux écueils sont à éviter pour ce temps du Carême : • Celui de vouloir revêtir l’habit du parfait et ainsi risquer d’entrer dans l’esclavage des scrupules. • Celui de mépriser ces petits moyens concrets qui ne peuvent, en eux-mêmes, nous donner ce que nous cherchons… L’article sur le « davantage », thème cher à Ignace, pourra aider chacun à sentir ce qui est juste – qui n’est pas d’en faire toujours plus. Les petits moyens trouvent leur sens s’ils incarnent un désir. Tout est question de cœur ! Et notre cœur peut être touché par la parole des autres.

Alors partageons la parole,

»

c’est une occasion d’avancer les uns par les autres. Le dossier de ce numéro donne des témoignages et des repères sur l’expérience de la conversion. Lisez-les mais prenez aussi la parole à votre tour ! À travers le courrier des lecteurs, le site Internet permet maintenant cet échange plus large. Vous pourrez ainsi enrichir la réflexion. Voilà une autre façon de faire Communauté et de nous préparer ensemble à entrer dans la joie de Pâques.

Marie-Elise Courmont

Pour écrire à la rédaction : redaction@viechretienne.fr

Mars 2012

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L'air du temps

La démocratie en question Bientôt, nous serons appelés à élire le Président de la République et les députés. Mais avant de choisir les hommes, il n’est pas inutile de s’interroger sur le fonctionnement de nos institutions démocratiques. C’est ce qu’a fait avec brio aux Semaines Sociales1 Loïc Blondiaux, professeur en sciences politiques à la Sorbonne. Voici la substance de sa longue intervention2.

S 1. La 86ème session des Semaines Sociales de France a eu lieu du 25 au 27 novembre 2011 et avait pour thème « La démocratie, une idée neuve ». Voir sur www.ssf-fr.org 2. Loïc Blondiaux est professeur des Universités au département de science politique de la Sorbonne (Paris I), chercheur au Centre européen d’études sociologiques et de science politique de la Sorbonne (CESSP) et au Centre de recherches politiques de la Sorbonne (CRPS). L’intitulé de son intervention : « Métamorphose de la démocratie : vers une démocratie réelle ».

Si l’on avait posé il y a quelques années la question « Vivonsnous en démocratie ? », le oui aurait été majoritaire car les gens avaient le sentiment de pouvoir se faire entendre. Aujourd’hui la réponse serait moins affirmative car les citoyens se demandent qui gouverne réellement. Mais avant de faire le point sur l’état de la démocratie, Loïc Blondiaux évoque les préoccupations de ceux qui, à la fin du XVIII° siècle, ont inventé en France et aux États-Unis le régime démocratique. Ils se méfiaient de la démocratie directe. Montesquieu, par exemple, affirmait que les citoyens, n’ayant pas suffisamment de lumières et de compétences pour se gouverner eux-mêmes, devaient se doter de représentants capables de le faire à leur place. Aussi a-t-on inventé un régime, la démocratie représentative, qui se démarque à la fois de l’absolutisme monarchique et de la démocratie directe. Or ce régime, qui a longtemps fonc-

tionné, est aujourd’hui menacé par une crise d’efficacité doublée d’une crise de légitimité, estime Loïc Blondiaux.

Qui gouverne ? Inefficace, la démocratie représentative l’est car elle se trouve de plus en plus démunie pour mener une politique économique face aux pouvoirs des marchés, des entreprises internationales et des agences de notation. Les dirigeants sont impuissants également face à la crise de l’environnement et se montrent incapables de résoudre les problèmes de protection de la planète, les égoïsmes locaux et nationaux paralysant les réformes alors que l’urgence est là. Dans ce domaine, nos démocraties sont myopes et ne voient guère plus loin que la prochaine élection. Ce faisant, elles prennent le risque de brader les intérêts des générations futures.

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Par ailleurs, pour compenser l’impuissance des gouvernements, on voit de plus en plus apparaître des processus de gouvernance où les décisions sont prises par des spécialistes dans un domaine limité, dans le cadre d’un pouvoir fragmenté. Dans ce contexte, il est difficile de savoir qui gouverne. Pour accroître la confusion, se rajoute l’influence grandissante des pouvoirs non élus : les marchés, les agences de notation, les médias, les juges qui, tous à leur manière, exercent des contraintes sur les responsables politiques. Résultat de cette impuissance du pouvoir démocratique : la montée de l’indifférence et l’individualisme civique. Cet affaiblissement structurel du pouvoir ne veut pas dire que l’État se retire de tout. Les gouvernements détournent l’attention de l’opinion en affirmant leur pouvoir sur d’autres scènes que les réalités sociales et économiques. Ils désignent des en-


nemis intérieurs et extérieurs  : les assistés, les sans-papiers, les jeunes délinquants, les immigrés. Même si le pouvoir économique de l’état se restreint de plus en plus, l’État policier ne s’est jamais si bien porté, comme on le voit via l’actualité.

Avec les doutes qui grandissent, un dangereux pas est franchi. Jusqu’à maintenant, on critiquait les gouvernements mais on ne mettait pas en doute la légitimité de la démocratie. Aujourd’hui la tentation grandit de se débarrasser des institutions démocratiques elles-mêmes. Dans un régime où l’on ne sait plus trop qui gouverne, l’extrême droite désigne clairement les ennemis et propose des alternatives aussi simplistes que manichéennes. Les écologistes purs et durs pensent que la démocratie est trop lente pour faire face à l’urgence. Certains acteurs économiques estiment que des techniciens seraient plus efficaces que des hommes politiques élus. Sans compter la déception de la population vis-àvis du régime démocratique jugé trop mou.

© Alain Pinoges / CIRIC

Vers de nouvelles formes de la démocratie

cause, dit-il, le processus de professionnalisation politique. Les élus de tous bords sont des professionnels qui se préoccupent de leurs intérêts autant que de l’intérêt général. D’où la distance entre ces élus, qui se considèrent comme les uniques détenteurs de la légitimité, et les citoyens. Pour Loïc Blondiaux, il faut penser l’activité politique comme un engagement temporaire au service de la cité plutôt que comme une profession.

Mais de nombreux citoyens, même déçus, sont attachés au principe de la démocratie. Alors, dans quelle direction chercher le renouveau  ? Loïc Blondiaux indique trois chantiers.

Le deuxième chantier consiste à ouvrir la démocratie à ce qui vient des citoyens qui ont tous une responsabilité d’interpellation et de vigilance. Les lieux d’échange que sont Internet et les réseaux sociaux peuvent être des endroits où s’élaborent des innovations politiques. Permettre aux citoyens de prendre en charge collectivement des activités, on le voit déjà avec les comités de quartier et certaines formes de solidarité.

Celui de la réforme institutionnelle d’abord. Il faut remettre en

Troisième chantier enfin, Loïc Blondiaux insiste pour que soit

revalorisée la démocratie délibérative, celle où les décisions ne sont pas prises en évacuant le débat. En France, dit-il, nous n’avons pas le respect du débat politique car nous le concevons comme un combat où il faut faire taire l’autre et le disqualifier plutôt que de l’écouter pour chercher avec lui les solutions les plus adaptées. Aujourd’hui l’élection ne suffit pas pour produire la légitimité. Celui qui affirme, au moment de prendre des décisions importantes : « Je suis élu, donc c’est moi qui décide », sans avoir accepté le débat, tente un coup de force qui ne passe plus. Quand ils sont concernés par une décision, les citoyens veulent être entendus et participer aux délibérations. Si les citoyens ne sont pas davantage associés aux décisions, la démocratie ne pourra plus garder sa légitimité très longtemps.

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Propos de Loïc Blondiaux, recueillis par Yves de Gentil-Baichis Mars 2012

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Chercher et trouver et trouver Dieu Dieu

CONVERSION

Témoignages Se laisser surprendre. . . . . . . . . . . . . . 8 Consentir à l’Amour. . . . . . . . . . . . . . . 9 Renaître à soi-même. . . . . . . . . . . . . 10 Renouveler son regard dans la foi. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 Contrechamp La conversion, un grand souffle d’air frais . . . . . . . . 12 ▼

© Arcabas / ADAGP, Paris 2012.

Changement d’opinion ou de religion, de monnaie ou au ski, retournement du cœur ou déplacement du regard le mot conversion peut toucher bien des domaines, il évoque toujours l’idée d’un passage, d’une réorientation, d’une nouveauté. Est-il plus urgent de travailler au changement de la société ou à celui des cœurs ? Question toujours ouverte. La crise fait sauter aux yeux les désordres économiques, financiers voire politiques de nos sociétés, le Carême rappelle le retour au Seigneur, à l’écoute de sa Parole. Sortir de nos rigidités, de nos peurs, de nos clichés n’est pas aisé. Comment oser envisager de transformer la société entière ? Et pourtant ! Il n’est pas de changement dans la société qui n’ait pris naissance dans le cœur d’un homme, d’une femme : pour Gandhi, Martin Luther King ou Lech Walesa tout a commencé par une prise de conscience. Un deuil, une rencontre déstabilisante, une insatisfaction longuement ressentie renvoient au « quoi » ultime de l’existence. L’environnement n’est jamais innocent dans les retournements les plus intimes et des moyens spirituels comme les exercices de saint Ignace portent des fruits pleins d’humanité. Le Seigneur par la voix d’Isaïe annonce un renouveau et s’étonne de nos aveuglements. Nous ne voyons pas ce qui est évident pour Lui ! Alors convertissons-nous et croyons à l’évangile. Marie Emmanuel Crahay éclairage biblique Croyez à la Bonne Nouvelle ! . . . . . . . 14 Repères ignatiens Parole de Dieu, Parole de vie. . . . . . . 16 Pour continuer en réunion . . . . . . . . . . . . . . . . . 18

Sur la route, polyptyque des Pélerins d’Emmäus, Torre de Roveri (Bergame, Italie).

, Mars 2012

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Chercher et trouver Dieu

Se laisser surprendre À côtoyer les personnes de la rue, Florence fut vite bousculée dans ses idées préconçues. Une expérience qui transforme son regard sur les autres et sur elle-même.

U

Un jour, Annette, 60 ans, arrive les deux bras qui traînent par terre, lestés de lourds sacs en plastique bourrés. Comme je lui fais la réflexion que tout cela est bien lourd et qu’elle pourrait demander à la bagagerie de les lui prendre, elle lève les yeux au ciel :

sans prendre de gants et sans le moindre égard pour leur interlocuteur. J’ai dû progressivement faire le deuil de mes petites idées sur la façon de « les sortir de la rue » pour, comme le dit la charte de l’association, « consentir à mon impuissance » et accepter l’idée que je ne ferai jamais rien pour eux. La seule façon d’être avec eux est d’être là, présente, fidèle et sans a priori, ayant laissé au vestiaire toute idée ou projet les concernant. Accepter de me reconnaître comme eux, pauvre et démunie, et n’ayant à offrir que ma présence, « les mains nues ». Pour une rencontre, en quête d’amour et de vérité. Car comme le dit parfois leur pancarte, ils ont faim, oui, mais pas seulement de pain.

Comme souvent, je reste stupéfaite de la justesse et de la fulgurance de ses paroles. Depuis 14 ans, je travaille régulièrement à l’association « Aux captifs la libération ». Au départ, avec l’idée de faire quelque chose pour les personnes de la rue. Mais c’était sans compter sur l’effet décapant de leur façon de dire la vérité « brute de décoffrage »,

© Flequi / Flickr

« Mais vous ne comprenez décidément rien ! Ce n’est pas cela l’important, mon fardeau il est intérieur, et les sacs ne font que le symboliser ». Puis elle fond en larmes et dit : « Ma mère ne m’a jamais aimée, je n’ai jamais pu me faire aimer de ma mère, ni d’un homme ; jamais un homme ne m’a aimée pour moi ». Voulant

exprimer son sentiment profond, et après avoir bien cherché, elle ajoute : « C’est comme une boule de fer au creux du ventre, qu’on ne peut ni digérer, ni recracher, la seule option, c’est de la transformer. »

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Par leur pauvreté, leur saleté, leur odeur parfois, ils expriment quelque chose de notre pauvreté, de notre misère. Ils sont comme des témoins. Ils nous mettent d’emblée dans notre vérité, dépouillés de tout artifice et de tout faux-semblant. Ils nous aident ainsi à nous reconnaître tels que nous sommes, des hommes et des femmes semblables à eux, pauvres et démunis, et comme eux, en quête d’amour. Florence


Consentir à l’Amour À la fin de ses études de philosophie, Marie décide de passer une année Erasmus en Irlande. Arrive alors l’inattendu : la rencontre avec le Christ.

Surtout, je compris que la foi était un risque, le risque de la confiance, le risque de croire en l’autre. De la même façon que Dieu ne désespère jamais de nous, mes amis n’avaient pas désespéré de moi. Apprendre à accueillir leur confiance m’a totalement désarmée et a changé mon regard sur la vie. Sans eux, aurais-je été touchée de cette manière par l’amour du Christ ? Depuis, quelques années se sont écoulées et mon cheminement en Dieu n’a cessé de se renouveler. Il y eut conversion, oui, mais ensuite, ce fut à moi de me mettre en route. Peu à peu, en avançant avec Lui, je fus éclairée sur des blessures d’enfance. Un long tra-

vail a alors commencé. Afin de ne pas rester esclave de comportements induits par mon héritage familial, social, culturel mais peu à peu m’en libérer. C’est-à-dire les réorienter pour qu’ils soient des chemins de vie, source de création. Et devenir de plus en plus moi-même, en Dieu. Pour cela, tous les jours, je dois convertir mon regard, pour intérieurement me déplacer sous le regard de l’Esprit et me laisser guider par Lui, plutôt que par le regard des autres. Mais l’ultime conversion, à mes yeux, est la découverte d’être aimée de Dieu et de consentir à son amour. Plus je me laisse aimée par Dieu, plus j’accrois cet es-

pace intérieur en moi qui me permet de devenir libre et de faire émerger ce que je suis vraiment, en profondeur  : à l’image de Dieu. Avec lucidité, j’apprends à me connaître – ce qui n’est pas toujours très réjouissant ! – mais également à m’aimer. À rencontrer mon moi réel. À m’accepter tel que je suis. À accueillir la douceur de cet espace intérieur. À poser mon regard sur moimême, sur les autres et sur le monde avec les yeux de Dieu. À toujours me convaincre de nouveau de l’amour infini du Père. Veiller à notre propre paix intérieure est, je pense, la première source de la paix dans le monde. Marie

© Vitrail de Pâques. Ateliers et Presses de Taizé, 71250 Taizé, France.

M

Mon séjour en Irlande était rythmé de fréquents débats, très véhéments, avec mes camarades étudiants en théologie. Six mois après mon arrivée, j’étais à la bibliothèque en train d’étudier, quand tout à coup, quelque chose s’ouvrit en moi : « Mais en fait, je ne connais rien à l’Amour ! », réalisai-je. Un retournement se fit en moi. À partir de ce jour, je devins plus ouverte à ce qu’essayaient de m’expliquer mes amis depuis des mois. Ce retournement fut cependant difficile à accepter. J’eus besoin de nombreux mois pour peu à peu me réconcilier avec l’Église et accueillir en moi ce Christ dont je faisais la rencontre.

Mars 2012

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Chercher et trouver Dieu

Renaître à soi-même Après un long chemin de souffrance, Nadine a progressivement pris conscience d’un changement nécessaire.

E

Enfant j’ai été longtemps coupée de ma famille, j’ai grandi dans un institut pour malvoyants. J’ai été orientée vers une formation musicale et pendant vingt ans, mon travail a été d’initier à la musique des enfants, des adolescents, des adultes. Ce travail occupait tout mon temps mais je vivais une grande solitude. J’avais l’impression d’être vue par les autres comme la fille de mes parents, ou comme le professeur de musique, ou comme « l’aveugle » du quartier. Je ressentais le désir d’être accueillie pour moi-même. Qui étais-je ?

Un jour le déclic s’est fait, j’ai décidé de tout laisser, de recommencer à neuf. J’ai eu la certitude que j’étais capable d’autre chose. J’ai laissé mon travail, j’ai déménagé dans une ville où je ne connaissais presque personne. J’ai commencé timidement une formation, sans certitude d’aboutir, puis je l’ai poursuivie avec détermination. Il s’agissait d’aide thérapeutique : « Mieux se comprendre soimême, pour mieux vivre ». Très

vite j’ai lié connaissance avec le groupe de travail, puis avec mon entourage. J’ai pu m’insérer dans des activités diverses, yoga, cours d’anglais, chorale. Ma vie en a été transformée. J’ai pris de l’assurance, mes relations se sont fortement améliorées. Je puis désormais exprimer sans crainte ma différence, et mieux comprendre celle de l’autre, me situer avec mes richesses et mes limites. Pour Jung1, dans la première partie de sa vie la personne s’investit pour trouver sa place dans la société, construire sa vie professionnelle et familiale. Alors que le second versant est orienté vers la vie intérieure. Après bien des détours j’ai trouvé cette orientation. Elle me fait vivre avec plus de sérénité et de confiance, en accueillant le don de la vie. Nadine

© iStock

1. Carl Gustav Jung (1875-1961) est un médecin, psychiatre, pionnier de la « psychologie des profondeurs », introduisant la notion de l’âme dans la psychanalyse.

Au cours des leçons de musique, les élèves, même adultes, me faisaient des confidences, me posaient des questions ; j’écoutais sans pouvoir leur répondre. J’étais aussi écoutante dans un service téléphonique qui me proposait des stages de forma-

tion. Mon désir d’évoluer m’a fait entreprendre une thérapie et en même temps je participais à une équipe de partage de vie à la lumière de l’Evangile. Tout cela a contribué grandement à changer mon regard sur moi-même et sur les autres. Progressivement j’en suis venue à la certitude qu’un changement était possible. Je voulais vivre !

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Renouveler son regard dans la foi

M

Ma sœur Florence est morte à l’âge de 25 ans, emportée par une leucémie qui s’était déclarée brutalement peu après son mariage. Cette année de maladie nous a baladés de coups de massue en espoirs trop vite déçus. Grande impuissance, épreuve de la foi quand la prière n’est plus qu’une longue supplication, avec des questions qui restent sans réponse. Pourtant, ce qui s’est passé cette année a été le terreau de ce qui s’est vécu ensuite et encore aujourd’hui.

messe dans une église où je ne connaissais personne. La densité de ce que nous avions vécu m’habitait et m’a empêché d’être attentif. Ce fut une messe laborieuse, pénible… mais une parole m’a saisi pour ne plus me lâcher : « Ceci est mon corps ». Témoin d’un corps marqué par la maladie, témoin du départ de Flo, témoin de son corps mis en terre, j’ai réalisé jusqu’où allait l’amour et l’engagement de Dieu venu habiter notre humanité jusqu’à la mort sur la croix.

D’abord au lendemain de son décès, une lettre de Flo pour nous, retrouvée dans ses affaires : « Passées les premières larmes, soyez heureux et vivez ! » Puis lors de ses obsèques, les mots de mon père pour dire ce que nous éprouvions : « J’aurais aimé rencontrer Dieu dans le feu de la guérison. Mais nous l’avons rencontré dans le vent léger du soutien de beaucoup. Tout ce que nous avons supporté depuis un an, tout ce que nous avons reçu, tout ce que nous avons échangé : tout ceci nous conforte pour continuer et partager notre Espérance. »

Un an plus tard, nous nous sommes retrouvés en famille à l’abbaye de Tamié. Il aurait été facile de vivre ce temps d’anniversaire comme un moyen de se raccrocher au passé, de regarder derrière en oubliant ceux qui nous entourent maintenant et ce qui nous attend devant. La célébration de complies m’a ouvert les yeux. J’ai entendu la lettre de Flo de façon nouvelle. Dans l’obscurité de l’abbatiale, le tabernacle est la seule source de lumière. Comme le Christ, dont on célèbre la mort et la résurrection à chaque eucharistie, Flo n’est pas derrière, mais devant. Avec lui, elle est entrée dans le temps de sa Pâque.

Le dimanche soir suivant les obsèques, je suis allé seul à la

© Vitrail de Pâques. Ateliers et Presses de Taizé, 71250 Taizé, France.

Xavier a été profondément blessé par la mort de sa sœur. Cet événement a néanmoins permis que son rapport à l’existence et à la foi soit changé, en lui ouvrant de nouvelles perspectives.

Ces étapes n’ont pas refermé la blessure. Mais si elle reste ouverte, c’est peut-être qu’elle m’invite à vivre quelque chose aujourd’hui, spécialement comme prêtre. Elle crée l’espace pour l’accueil des blessures, des questions et des espérances de ceux que je rencontre. Elle crée l’espace pour l’attention aujourd’hui à la présence amoureuse du crucifié ressuscité. Xavier Mars 2012 11


Chercher et trouver Dieu

La conversion,

un grand souffle d’air frais

Que se passe-t-il dans la conversion ? Permet-elle la transformation de soi ? Isabelle Le Bourgeois, religieuse auxiliatrice, psychanalyste et ancien aumônier de prison, aujourd hui travaillant auprès du contrôleur général des lieux de privation de liberté, a elle-même vécu une conversion à l’âge de 35 ans. Elle nous explique ici les différentes portées anthropologiques et psychologiques de la conversion, avec réalisme et justesse.

Q

Que provoque une conversion religieuse dans la psychologie des personnes ? Sont-elles totalement transformées ? Si j’en juge par mon expérience personnelle, la conversion, où l’on fait l’expérience de la présence de Dieu, correspond à une grande ouverture. C’est comme une porte qui s’ouvre largement sur la Vie. Au cœur d’un terrain gris où les possibilités ne sont pas évidentes, on découvre un monde riche de promesses. Comme si, dans une pièce où l’air est confiné, on ouvrait largement une fenêtre pour faire entrer un grand souffle d’air frais, capable de faire rebondir le psychisme vers la Vie. Mais c’est en relisant son existence, au fil des années, que l’on peut voir ce qui s’est réellement passé. La relecture permet peut-être de vérifier qu’il ne s’agissait

pas d’un feu de paille ou d’une illusion. Oui c’est ce que l’on peut vérifier car il est facile, quand on parle de conversion, de s’imaginer au milieu des petits oiseaux et de se dire que tout est merveilleux. Or, la conversion n’est pas un moment unique, magique. C’est un chemin de vérité qui se déroule dans le temps. L’essentiel du mouvement de conversion est de se reconnaître aimé. Et être aimé c’est exister car c’est prendre conscience que l’on compte pour quelqu’un. C’est réaliser qu’il y a peut-être quelque chose de beau ou de bon en nous, qui est aimable au sens de digne d’être aimé. Se convertir c’est prendre conscience du regard aimant de Dieu dans une vie où l’image de soi est bien souvent dépréciée. C’est ce regard qui permet une sorte de restauration de l’être dans sa capacité d’aimer et d’être

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aimé. Un « je » peut se poser face à un autre « je », celui de Dieu qui me révèle qui je suis. Une expérience amoureuse positive ne peut-elle pas produire les mêmes effets et aider l’être aimé à prendre conscience qu’il existe ? Certainement. Bien souvent d’ailleurs, quand j’ai parlé de ma conversion, je disais que j’étais tombée amoureuse. Toutefois, faire l’expérience de l’amour de Dieu n’est pas la même chose que de faire l’expérience de l’amour humain. D’une part, l’amour que Dieu nous porte ne peut être une passion dévorante, mortifère. D’autre part la relation d’amour que l’on a avec Dieu ne se situe pas dans le concret car on ne voit pas Dieu, on ne le touche pas. Notre relation à lui est de l’ordre de la foi, de la confiance et cette immatérialité de Dieu


Mais ce regard aimant de Dieu a quand même des effets sur nous ? Si on le laisse agir, il vient remettre à sa juste place l’image que nous avons de nous-mêmes. Souvent nous nous sous-évaluons : « Je ne vaux rien ; je ne suis rien ; les autres sont beaucoup mieux que moi ; Dieu m’aime mais je suis incapable de quoi que ce soit. » Assez facilement nous entretenons une sorte d’auto-flagellation et nous pouvons nous voir comme un être inférieur perpétuellement coupable. Mais nous pouvons aussi être dans la surévaluation en nous identifiant à une image idéale : « Je fais des choses formidables ; je ne suis pas n’importe qui ; je suis meilleur que les autres. » Si nous laissons vraiment agir Dieu, son regard aimant pourra tout réorganiser en nous. Dans quel sens va-t-il agir ? Il peut nous aider à nous accep-

© iStock

organise autrement la vie psychique. Il m’est révélé que Dieu m’aime, je fais confiance à cette parole mais je n’ai rien de concret sur quoi m’appuyer : ni mots, ni gestes, ni cadeaux matériels. Dans la conversion, je découvre quelqu’un mais en même temps je suis très seule. La rencontre avec Dieu est une expérience qui me renvoie à ma solitude, assez profondément. Un amour de réciprocité m’est offert mais il va falloir que j’apprenne à gérer cette solitude. Avec Dieu, il me faudra apprendre à vivre l’amour que l’on reçoit sans qu’il y ait beaucoup de choses pour l’authentifier.

ter tels que nous sommes. Bernanos a raison quand il dit qu’il est « plus facile qu’on ne le croit de se haïr, la grâce des grâces étant de s’aimer humblement soimême comme n’importe lequel des membres souffrants de JésusChrist ». S’aimer humblement soi-même, que ce soit dans la vie spirituelle ou que ce soit dans l’analyse, c’est le même combat pour s’accepter soi-même, même s’il est mené avec des armes différentes. « Oui je suis cet homme ou cette femme-là, aimé€ de Dieu. C’est bien comme ça. Et c’est avec ça que je construis ma vie ». La réorganisation de notre psychisme que provoque la conversion aura sans doute pour effet d’améliorer notre relation aux autres dans la mesure où nous serons plus ouverts et moins sur la défensive vis à vis d’eux ? Oui et non. En toute logique, l’amour de Dieu que nous recevons doit nous ouvrir à l’amour de nos frères, c’est vrai. Mais si c’était aussi simple, cela se

saurait. On peut, à partir de la conversion, décider de mieux nous organiser pour être plus accueillant aux autres mais cela n’aboutira pas forcément à une meilleure relation avec eux. Pour vivre durablement la conversion, il nous faudra passer d’une sorte de débordement émotionnel à un ancrage dans le réel. Et là, on va vite rentrer dans l’ambiguïté et dans la grisaille de nos cœurs. On réalisera que la conversion nous a changés, c’est vrai, mais pas totalement. L’amour de Dieu est arrivé dans une histoire humaine tissée de qualités et de défauts, mais les zones d’ombres persistent. Dieu vient les visiter avec nous, ces pièces sombres qui sont en nous mais il nous reste à assumer cette vérité de nous-mêmes et c’est parfois difficile. On doit savoir que sans l’aide amoureuse de Dieu, rien ne pourra se réorganiser en nous. Propos d’Isabelle Le Bourgeois, recueillis par Yves de Gentil-Baichis Mars 2012 13


Chercher et trouver Dieu

Croyez

à LA BONNE NOUVELLE ! Ainsi parle le SEIGNEUR, lui qui procura en pleine mer un chemin, un sentier au cœur des eaux déchaînées,

17 lui qui mobilisa chars et chevaux, troupes et corps d’assaut tout ensemble,

sitôt couchés pour ne plus se relever, étouffés comme une mèche et éteints :

18 Ne vous souvenez plus des premiers événements, ne ressassez plus les faits d’autrefois.

19 Voici que moi je vais faire du neuf qui déjà bourgeonne ; ne le reconnaîtrez-vous pas ? Oui, je vais mettre en plein désert un chemin, dans la lande, des sentiers :

20 les bêtes sauvages me rendront gloire, les chacals

et les autruches, car je procure en plein désert de l’eau, des fleuves dans la lande, pour abreuver mon peuple, mon élu,

21 peuple que j’ai formé pour moi et qui redira ma louange.

Isaïe, 43, 16-21 (Traduction TOB)

Ce cri d’espérance retentit alors que le peuple hébreu est en exil à Babylone depuis de longues années. L’expérience de l’exil est une épreuve ; sans terre, sans roi, sans Temple, le peuple a tout perdu ce qui faisait sa vie ; cette catastrophe aurait pu conduire à la ruine de la foi d’Israël. Pourtant, aidés par les prophètes et les prêtres qui relisent les événements, certains sont restés fidèles à leur Dieu ; ils ont inventé une autre manière de vivre leur foi, de prier et de rester à l’écoute de Sa Parole. C’est dans ce contexte qu’un prophète, disciple d’Isaïe, va se faire le porte-parole du Seigneur. « Ainsi parle le Seigneur ». Ce second Isaïe invite son peuple méprisé et humilié à changer de regard. Il ne s’agit plus de ressasser les erreurs d’autrefois et ce qui a conduit à la situation 14 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 16

actuelle. Il s’agit de croire que le Seigneur peut faire du neuf. Le Dieu de l’Exode, celui qui fit une route à travers la mer, est fidèle à lui-même et à son peuple. Il a la puissance de les libérer à nouveau. Oui, des chemins peuvent s’ouvrir dans une situation sans espoir ; des déserts peuvent reverdir, refleurir, se changer en verger… Et Isaïe, regardant les événements de son temps, voit dans la montée en puissance du roi de Perse nommé Cyrus, l’instrument que Dieu a choisi pour libérer son peuple. Le Seigneur va leur faire vivre un nouvel Exode, plus beau que le premier. Le temps de la détresse est fini ; c’est le retour d’exil qui se profile à l’horizon. Une alliance renouvelée entre Dieu et son peuple va pouvoir se vivre ; une alliance plus intérieure car Dieu aura purifié les cœurs. « Je vous donnerai un cœur nouveau et je mettrai en vous un


POUR PRIER… +M e mettre en présence de Dieu,

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créateur et sauveur. Lui demander la grâce de Le voir à l’œuvre et d’entrer dans la louange.

esprit nouveau » (Ezéchiel 36,26). Le temps est à la louange ! Cette alliance renouvelée dont parle Isaïe préfigure la Nouvelle Alliance en Jésus-Christ. Par sa mort et sa résurrection, le Christ libère l’humanité du péché et de la mort. Avec Lui le salut est offert à tout homme et des signes manifestent que la nouvelle création est inaugurée. Au fil de l’Évangile ne voyons-nous pas des hommes et des femmes de tous horizons, restaurés, transformés par leur rencontre avec Jésus ? Et depuis 2000 ans, des chrétiens, saisis par le Christ, rendus capables de témoigner de Son amour et d’agir pour leurs frères ? Pour aujourd’hui, ce texte d’Isaïe invite à se tourner résolument vers le Seigneur, en croyant que rien ne Lui est impossible ; qu’Il peut changer les cœurs. « Voici que je fais toute chose nouvelle ! » (Apocalypse 21,5) ; elle vient la « nouvelle Jérusalem » décrite dans l’Apocalypse. L’Esprit est au travail dans le cœur de chacun. Et par ces hommes et ces femmes recréés dans l’Esprit, c’est l’univers entier qui s’en trouve renouvelé.

• « Lui qui procura en pleine mer un chemin » Me remémorer les moments de mon histoire où le Seigneur est intervenu. Quel chemin a été ouvert pour moi ? autour de moi ? de quelle libération ai-je été témoin ? • « Voici que moi je vais faire du neuf… je procure en plein désert de l’eau… » Entendre cette promesse de nouveauté et de vie. Quels sont mes déserts qui ont besoin d’être irrigués : mon cœur qui reste sec ? des situations qui semblent sans issue ? mes lieux de détresse ou de paralysie ? • « Pour abreuver mon peuple, mon élu » Considérer le désir de Dieu pour son peuple. Voir comment Il nomme son élu et veut le combler. Considérer le désir de Dieu pour moi. Oser Lui dire de quoi j’ai soif.

+M ’entretenir avec le Seigneur ; Lui rendre grâces pour ce qu’il a déjà fait pour moi ; Lui dire ma confiance et mon espérance pour ce qu’Il fera.

Marie-Elise Courmont Mars 2012 15


Chercher et trouver Dieu

Parole de dieu, Parole de vie Sœur Marie-Luce Brun, religieuse auxiliatrice, présente le chemin vigoureux de conversion que propose la tradition ignatienne avec les Exercices1.

Q 1. Les Exercices spirituels intégraux se vivent en quatre semaines, qui déploient chaque semaine une dynamique propre.

Avec les Exercices spirituels, saint Ignace propose un chemin pour accéder à un acte de décision, dans l’éclosion d’une liberté, en échappant aux pressions de toutes sortes qui s’exercent en nous. Alors nous devenons libres pour nous décider en fonction de Dieu, de ce que nous sommes, de notre environnement. Cette marche orientée vers un acte progressivement libre donne une assurance qu’à travers le discernement des esprits, nous serons fidèles à l’Esprit de Dieu. Elle touche la liberté, au cœur de l’être humain, dans un dialogue entre celui qui donne les Exercices et celui qui les reçoit. Une parole est proposée au retraitant pour que son intelligence soit éclairée, son affectivité mise en mouvement, sa volonté en capacité de se déterminer. Les Exercices vont permettre de se laisser toucher, affecter par l’Écriture qui devient alors Parole de Dieu. En retour, le retraitant va répondre et s’engager librement par amour : c’est là que se situe la conversion.

Quand l’Ecriture devient Parole Progressivement, les écritures, à la lecture, deviennent une parole vivante et agissante, sous l’action de l’Esprit saint, l’illuminateur. Celui qui reçoit les Exercices apprend alors à discerner cette parole faite chair. Au cours de la première semaine des Exercices, le retraitant est mis en face du Christ en croix. Devant tout ce qu’il a reçu, la consolation peut lui être donnée sous la forme de la honte et de la confusion  : un amour fonde son existence, il peut exposer sa vie à Dieu dans une confiance qui l’ouvre à la parole. Lors d’une retraite, un grand artiste vient et se dit perdu ; il ne sait plus où il en est. C’est alors que la confrontation à la loi, grâce au texte de Maurice Bellet « Vous commencerez par le respect », lui donne la parole : « je ne peux pas continuer comme cela », et un chemin s’ouvrit. Que ta Parole se fasse en moi, que tout se passe pour moi selon ta parole. L’Écriture se fraie un chemin ; parole vivante

16 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 16

et créatrice en nous, elle provoque de réelles naissances. Nous sommes engendrés par la Parole de Dieu qui devient une bonne nouvelle et suscite un être nouveau. Naître d’en haut, dit Jésus à Nicodème. Une évangélisation de l’être commence : Aujourd’hui je t’ai engendré. La Parole rencontre notre humanité et notre réel. Elle débusque nos conduites idolâtres. Ainsi, une retraitante prie avec la femme courbée que Jésus guérit (Luc 13, 13). Elle se retrouve du côté du chef de synagogue : « Je ne supporte pas ce qui est ambigu, je recherche toujours une forme de perfection ». Elle fond en larmes. « Ce qui est dur en moi fond au contact de Jésus qui parle à ce pharisien ». Elle peut alors s’offrir à Dieu dans la pauvreté de son être ; ses relations changent avec ses proches ; elle accepte « une vie mêlée ». Tel sera son chemin de conversion.

Le Christ notre Seigneur Dans tous les Exercices, Ignace centre sur le Christ notre Sei-


Trouver sa juste place Progressivement, celui qui contemple découvre des résonances en lui qui lui font découvrir sa vraie place, le choix qu’il doit faire. Telle cette femme à la vie mouvementée : elle se dénigrait elle-même, sans arriver à s’offrir à Dieu, consciente de son indignité. Peu à peu elle trouve sa place : la mangeoire de la crèche ; sa dureté devient le lieu de l’accueil de Jésus et de sa conversion.

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gneur, notre Créateur : le Christ ressuscité vient nous visiter, toutes portes closes, dans la prison de notre péché, de notre enfer. Il est celui qui déverrouille, en venant dans ce qui m’enferme. Il devient réel pour moi, quelqu’un à qui je peux parler. Là naît la conversion. Elle se poursuit au cours de la deuxième semaine, avec l’appel du Règne : je suis mis en face du Christ, il appelle l’univers entier, il suscite un engagement profond de ma liberté pour être avec lui. Cette offrande globale de tout l’être prépare les décisions à venir. Puis, dans la contemplation de l’Incarnation, je regarde Dieu qui voit la terre et les hommes en grande difficulté. Il décide de venir parmi eux, par Marie. Dieu naît et s’enfouit dans la réalité des hommes en Jésus, tout en veillant sur lui comme un Père ; il annonce la naissance aux bergers, tout commence à s’orienter vers Jésus. Il est en humble place, lui le Seigneur de l’Univers, et il va annoncer la bonne nouvelle, transformer et conquérir le monde.

▲ Retraitante à St Hugues-de-Biviers

Se convertir, pour Ignace, c’est trouver sa place devant Dieu, dans le déplacement intérieur dont la nouveauté fait vivre, accule à des renoncements et des modifications. Ainsi, en trouvant peu à peu sa place dans les scènes évangéliques contemplées, le retraitant se prépare à trouver sa place dans la vie. Décentrement de soi : nous nous tournons vers le Christ notre Seigneur, nous désirons le connaître, en nous rendant présents à la scène. Affectés par la Parole, nous voici mis en mouvement, éclairés sur la route à suivre, mais aussi sur ce qui résiste en nous. Doucement tout se simplifie, s’unifie. Nous trouvons le levier qui fait basculer dans la nouveauté du Christ et la concrétise. Le désir grandit de mieux

servir le Seigneur. La Parole de Dieu suscite un mouvement qu’il ne s’agit pas d’absolutiser, de figer. Des mots nous viennent, une manière de faire s’engendre en nous, nous voici conformés au Christ d’une manière qui nous est propre, dans « l’élection », le choix de Dieu. La conversion, c’est donc, dans l’Esprit, trouver sa place, en conformité avec le Christ, pour le Royaume. La troisième semaine tournera vers la passion du Christ, comme une première mise en œuvre du don reçu, de façon très sobre : la cène terminée, après avoir chanté les hymnes, le Christ offre sa vie. Être avec lui passe par ce chemin, onéreux, de renoncement et d’amour. Le choix que j’ai fait n’a

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Mars 2012 17


Chercher et trouver Dieu

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de sens que dans son choix à Lui. Me voilà intégré à la démarche du Christ. La quatrième semaine invite alors à se réjouir de la joie d’un autre, le Ressuscité, dans un dépouillement extraordinaire, en découvrant « les vrais et saints effets » de la Résurrection, et « l’office de consolateur que le Christ vient remplir » auprès des siens. Les Exercices se révèlent ainsi chemin de conversion à parcourir, à la suite du Christ, pour notre joie et pour la croissance du Royaume. Marie-Luce Brun

Pour continuer en réunion Choisir un ou plusieurs récits de conversion : • Dans le Nouveau Testament : les disciples d’Emmaüs qui retournent d’où ils fuient (Luc 24, 13-35), Saul qui change de camp (Actes 9, 1-18), Zachée restauré socialement (Luc 19, 1-10)… • Ou parmi les récits de grands témoins : François d’Assise, Charles de Foucauld, Mère Teresa… Et regarder ce qui a conduit à la conversion : ce que cela a changé pour la personne et pour l’environnement dans lequel elle a vécu. Comment ces récits me rejoignent-ils – ou non ? Qu’est-ce qu’ils provoquent en moi (élan, admiration, découragement…) ? Pourquoi ? Relire ma propre histoire avec le Seigneur : • Y a-t-il eu des moments de rupture ? Des rencontres, évènements, paroles ou appels entendus qui m’ont fait prendre une autre direction ? Puis-je les nommer ? Et si l’évolution a été progressive, y a-t-il eu des « pierres blanches » sur cet itinéraire ? • Comment cela s’est-il traduit concrètement ? Quels changements cela a provoqué dans ma vie ? 18 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 16


Le Babillard © B. Strobel

Accompagner les « migrants forcés »

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Au moment où la question de l’étranger est brûlante dans l’actualité, il semble opportun de communiquer sur un document rédigé à la suite de la 5ème rencontre européenne « CVX-migrations forcées » qui a rassemblé à Luxembourg, du 27 au 30 janvier 2011, 23 personnes de 7 CVX nationales européennes, 2 personnes du JRS-Belgique et Franklin Ibanez, secrétaire exécutif de la CVX mondiale. Il est signé de Bernadette Kuntz-Inial, membre de l’atelier Etranger. Le texte « propose quelques points de repères pour des membres des de la CVX et d’autres groupes ignatiens qui veulent s’engager aux côtés tés en migrants, afin que les droits de la personne migrante soient mieux respec Europe ». Souvenons-nous qu’en 2008, l’Assemblée mondiale de Fatima a en effet souhaité que la CVX s’engage avec détermination au service Aller plus loin dans la des migrants forcés, en particulier dans des actions communes de faire plaidoyer, (ensemble d’actions pour analyser les problèmes et réflexion, ca fait bouger. n, ilisatio sensib de s des recommandations aux décideurs, des action Juste quelques clics sur des prises de position publiques, etc.). w.viechretienne.fr ww

d

t Vous trouverez le texte dans son intégralité sur notre site Interne www.viechretienne.fr.

France. Elle désigne tous ceux qui ont été amenés 1. La notion de « migrants forcés » n’est habituellement pas employée en ques, etc. économi s, pour des motifs divers à quitter leur pays, pour des raisons politique

Vous pensez que CVX est une histoire française ? Il est grand temps de vivre des vacances européennes ! Du 21 au 28 juillet 2012 Près de Ljubljana (Slovénie) Les principaux sujets de relecture et de partage seront : • La famille et les relations entre générations. Comment transmettre la foi ? • Trouver Dieu dans la Beauté et la Création. • Comment être chrétien dans notre travail ? • Solidarités, relation aux étrangers, un style de vie simple… dans ce temps de crise et de chômage ? Frais d’inscriptions de l’ordre de : 260-270 € pour les adultes, environ 210 € à partir de 13 ans, 170 € pour les enfants de 5 à 12 ans et de 30 à 40 € pour les enfants de moins de 5 ans. Le mode d’inscription sera donné dès que possible.

Dober dan : bonjour Hvala : merci Nasvidenje : au revoir Ça peut servir !

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Se former

Prier avec

ma mémoire

« Je voudrais évoquer ce “peu de chose“ qui fait que “la réflexion, le souvenir, la détente ou la concentration deviennent prière“ ; montrer comment ces actes quotidiens peuvent passer en prière ». Dans Voir tout en Dieu, chercher Dieu en tout1, Jean-Claude Dhôtel nous introduit à une méthode pour « que tout devienne prière », en l’appliquant à la mémoire, l’intelligence, la volonté, facultés chères à saint Ignace. Nous avons souhaité revisiter ces textes en une série de trois volets. À commencer aujourd’hui par la mémoire.

I 1. Livre n°382 des Editions Vie Chrétienne, en cours de réédition.

Il y a deux manières de se souvenir. Sur le chemin d’Emmaüs, les deux disciples se souviennent, mais leur souvenir est mortel : « Nous espérions » Souvenir de la chair qui s’arrête à la chair : projets déçus, occasions manquées, souvenirs de mort qui tuent l’espérance. Celui qui les rejoint, à partir des mêmes faits transforme le souvenir ou plutôt, il le fait passer de la chair à l’Esprit, du fait au Sens. Comment cela ? D’abord en leur faisant éprouver la continuité de l’Histoire, celle de l’humanité et la leur, afin d’élargir leur perspective ; alors leur souvenir n’est plus mortel, mais vivant  ; ils comprennent  ! Ensuite, en rapportant cette Histoire à son centre, Jésus-Christ souffrant et glorieux, alors leur souvenir n’est plus seulement vivant, il les fait revivre : leur cœur est « brûlant ». « Commen-

çant par Moïse et parcourant tous les Prophètes, il leur interpréta dans les Écritures ce qui le concernait ». Pourquoi n’apprendrionsnous pas à prier ainsi avec notre mémoire ?

Vie du souvenir Si je ne parviens, quand je plonge dans mon passé, qu’à ne remuer que sable et cendres, et si, quand je prie sur un texte d’Évangile, j’ai peine à le relier à ma vie et à celle du peuple de Dieu, c’est dans les deux cas, parce que mon esprit est incapable de rassembler ces fragments d’histoire, comme dans la prophétie d’Israël sur les ossements desséchés qui recouvrent la plaine (Ezéchiel 37). Il faut que « l’Esprit se joigne à mon esprit » (Romains 8, 16), pour rassembler ces fragments épars et leur donner la vie.

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À cela, nous pouvons coopérer. À propos de tel passage d’Évangile, de telle parole du Christ, au lieu d’en rapporter immédiatement le contenu à notre situation du moment, à nos petits problèmes du jour, il nous est possible, par le jeu de la mémoire, d’élargir notre perspective. Prenons un exemple, en saint Luc (18, 35-48), l’aveugle de Jéricho, qui est assis sur le bord du chemin. Sans doute, je suis cet aveugle, mais comment sauraije ce que je voudrais voir si j’en reste à mon aveuglement. Mais voici que vient à ma mémoire le verset du Cantique de Zacharie : le Christ, « Soleil levant qui vient illuminer ceux qui étaient assis dans les ténèbres et l’ombre de la mort ». Ce n’est plus moi seulement, c’est le monde entier sur le bord du chemin… L’aveugle crie,


On finit ainsi par prier non plus avec des mots étriqués et rabougris, mais avec la parole de Dieu, celle-là même qui nous interpelle dans l’Évangile. Et par là, on découvre ce que veut dire saint Paul quand il décrit la prière parfaite, celle où l’Esprit de Dieu prie en nous. Sans doute, cela demande une certaine connaissance de l’Écriture pour que les mots de Dieu viennent spontanément à la mémoire, et on ne devient pas du jour au lendemain familier de l’Écriture. Acceptons de prendre le temps qu’il faut !

Souvenir de vie Par ce premier « exercice » de la mémoire, celui qui prie sort de luimême et, en comprenant (c’està-dire en « prenant ensemble ») toute l’Écriture, joint son histoire à celle du Peuple de Dieu. Mais

cette histoire elle-même ne saurait se limiter à la sortie d’Égypte. Elle va vers la Terre promise, ou plutôt vers celui qui est le centre de l’Histoire : Jésus-Christ mort et ressuscité. Toute prière, à propos de n’importe quel texte ou de n’importe quel événement, que la mémoire ne conduirait pas à ce centre, n’atteindrait pas son but. La seule prière qui sauve et fait revivre est celle qui conduit à l’Événement central de la foi, pour que nulle gloire ne nous exalte et que nulle souffrance ne nous déprime. Inutile ici de choisir un exemple. Toute page d’Évangile, ouverte au hasard, ouvre un chemin à ce mystère et permet d’accéder à la vraie connaissance de Jésus-Christ, « avec la puissance de sa résurrection et la communion à ses souffrances » et permet de « lui devenir conforme dans la mort pour parvenir, si possible, à ressusciter d’entre les morts » (Philippiens 3,

10-11). Encore est-il nécessaire de faire cela, toutes les fois que nous prions. Mais si nous le faisons, le souvenir devient source de vie, comme il se passe dans l’Eucharistie. Tout événement pénible est porteur d’une puissance de résurrection. Tout événement de joie est le fruit d’une communion aux souffrances du Christ. Et c’est cela qui fait de la prière une action de grâce et qui permet de penser qu’il existe un art de vivre chrétien. Jean-Claude Dhôtel, s.j. † Extrait du chapitre « Prier avec ma mémoire », du livre Voir tout en Dieu, chercher Dieu en tout.

Retrouvez le texte intégral de l’article sur www.viechretienne.fr

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Puis le Seigneur demande : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? Que je voie » répond l’aveugle. Là encore, c’est un psaume qui spécifie le contenu de la prière : « Ouvre mes yeux à tes merveilles  ! » (Psaume 29) : car enfin, qu’est-ce qui importe, sinon de reconnaître Dieu notre Seigneur dans tout ce qu’il a fait ? Alors je peux revenir à ma vie propre et rendre grâce à Dieu, au cœur de ma nuit, de « m’avoir appelé des ténèbres à son admirable lumière ».

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poursuit le texte. Là, je me souviens du psaume 33 : « Un pauvre a crié, Dieu écoute. » Et je pense aux Béatitudes, à la bienheureuse pauvreté de ceux qui tendent leurs mains vers le Seigneur  : non, je ne suis pas seul.

Mars 2012 21


Se former

« J’étais en prison »

Une fois par mois, Gaël se rend à la maison d’arrêt Fleury-Mérogis, avec le groupe les « Passeurs d’humanité » pour y célébrer l’eucharistie avec les détenus.

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Dimanche matin, 8h30. Nous avons rendez-vous sur le parking de Fleury Mérogis, en Essonne. Maison d’arrêt en forme d’étoile, avec ses hauts murs gris conçus par Guillaume Gillet. Quelques jours plus tôt, nous nous sommes retrouvés chez l’un ou l’autre, pour lire les textes et préparer les chants. Moment de convivialité, nous formons un groupe qui par son engagement tout au long de l’année, assure auprès des détenus une fidélité qui crée la confiance et qui permet l’échange. La ponctualité est de mise et nous entamons autour du père Yves le rite de passage… Vérification de nos identités, scanner, barrière de sécurité, l’administration pénitentiaire s’assure que nous avons bien les « mains nues ». Une première porte, une barrière, une autre porte et nous nous retrouvons dans l’enceinte de la prison, dans la cour au milieu des différents bâtiments. Dans cet espace désert ou presque, des voix résonnent à travers les barreaux. Au bout de longs rubans blancs, tel des yoyos qui se balancent aux

fenêtres, les détenus échangent de tout. C’est le système D des bâtiments D… qui profitent à quelques chats, trieurs et écumeurs de cette… « manne » ! Nous montons au 4ème étage où la salle polyvalente accueille notre célébration. Nous assistons le sacristain, un habitué des lieux. Cierge, icône et croix, un autel comme il se doit. Assemblée cosmopolite, les détenus arrivent au compte-gouttes. Nous les accueillons, souriants, avec nos feuilles de chants et les textes du jour en français, en espagnol, en anglais, en polonais. Nous nous asseyons au milieu d’eux, la célébration commence. Un seul corps, une seule église. Le prêtre nous présente à l’assemblée et nous appelle un par un, nous invitant à nous lever et à les saluer, sous leurs applaudissements. C’est une messe différente qui débute. Parce qu’ici, certains mots, certains passages prennent un sens plus profond, nous sentons à quel point la parole les rejoint, les touche, nous en sommes témoins.

22 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 16

« Notre Père… Pardonne-nous nos offenses… ne nous laisse pas succomber… délivre de tout mal ». L’alléluia est une grâce, une fête collective. Célébré par la communauté africaine, il est chanté au son du djembé. Le rythme se propage, la gaîté rejoint les autres communautés, tous sourient et tapent dans les mains. La paix du Christ est un moment fort à vivre, un moment qui prend son temps. Accolades et poignées de main viriles où tous échangent un sourire, un mot, du réconfort. La prière universelle et les intentions de chacun nous plongent dans leur intimité et nous prions avec eux. Ici pour la mère ou l’enfant, là pour une décision, un jugement. Nous chantons ensemble, nous prions ensemble, nous communions et nous nous signons de la croix, tous aimés par le Christ, notre Seigneur. À la fin de la célébration, quelques minutes nous sont laissées, moment de convivialité et d’échanges entre les détenus, avec le prêtre et avec nous.


À la fois faibles et fragiles, forts et courageux, ils nous parlent d’une partie de nous-mêmes, ils nous humanisent… C’est un chemin de croix qu’ils incarnent à l’extrême et je pense à Simon de Cyrène qui a aidé le Christ, je me sens proche d’eux en cela.

Par notre présence, nous créons ce lien entre l’église du « dehors » et celle du « dedans ». Et je sens, se poser sur nous, le sourire bienveillant du Christ, ce Christ de bois si aimant, visible à Javier. Nous les visitons et nous nous rappelons des paroles du Christ : « J’étais enfermé et vous m’avez visité » et parce qu’ici, plus qu’ailleurs, l’homme ne survit pas que de pain. Gaël Barrera

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Aujourd’hui, je vis cette démarche comme une prière qui se vit en marchant, en allant à leur rencontre comme une intention de prière universelle. Porteurs de sacré, nous partageons la même foi.

En croisant leur route, je suis comme une main tendue, une main nue comme celle qu’a tendue Simon. Un geste simple qui dit : « je suis là, tu sais, je peux t’aider à te relever ». Un petit maillon de solidarité, de fraternité. Aujourd’hui, c’est moi qui t’aide, demain, c’est toi qui aideras… ton codétenu, un parent, un inconnu, ou moi – qui sait.

Le « Christ souriant », dans la chapelle du SaintChrist, basilique saint François-Xavier, château de Javier. Taillé dans du bois de noyer, XIIIe siècle.

Rencontre vraie où la parole est libre et se vit au présent… qu’au présent. Au présent de notre relation, dans le respect de cet instant, loin, loin des raisons de leur incarcération. Nous parlons de tout et parfois de rien, nous parlons de Dieu, aussi avec des questions qui résonnent encore : « Moi, j’ai pris 18 ans, alors Dieu, de quoi me sauve-t-il ? ».

Parmi les équipes st Ignace (église Saint Ignace, rue de Sèvres à Paris) qui célèbrent une fois par mois l’eucharistie à la maison d’arrêt de Fleury Mérogis, un groupe s’est constitué, les « Passeurs d’humanité ». Né de l’élan des religieuses du Sacré Cœur de Jésus installées à Villejuif, le groupe accompagne, depuis plus de 5 ans, le père Yves Masquelier, en préparant les chants et l’animation. Les dates sont posées à l’année et chacun engage sa fidélité tant vis-à-vis du groupe que des détenus que nous rencontrons. Ces rendez-vous réguliers sont riches et permettent au groupe d’avancer en confiance. Les repas que nous organisons à tour de rôle sont des moments de partage et de convivialité. Le repas terminé, nous entamons la préparation de notre animation. Nous lisons ensemble les textes et nous choisissons les chants collectivement. Quinze jours plus tard, nous nous retrouvons à Fleury Mérogis… Mars 2012 23


Se former

Caïn,

le premier fils unique Dans la Bible, les premiers chapitres du livre de la Genèse nous rapportent ce qui peut être considéré comme la préhistoire de l’humanité, déposée dans les profondeurs inconscientes de notre histoire. Dans ce récit, la figure de Caïn représente le premier fils de l’homme.

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Fils d’Adam et d’Eve, Caïn est, un temps, leur seul fils, le premier fils unique. « L’homme connut Eve, sa femme ; elle conçut et enfanta Caïn et elle dit : « J’ai acquis un homme de par Yahvé. » (Genèse 4, 1). La trace de ce premier temps archaïque est la source inconsciente, en chacun de nous, de ce que nous appelons l’amour propre, c’est-à-dire ce désir inconscient de demeurer seul avec sa mère, fils unique de l’humanité. Cet amour propre va confondre le fait d’être unique avec celui d’être seul. C’est pourquoi il est aussitôt mis à l’épreuve dés que surgit un autre, un frère.

Frères et uniques en Dieu Survient, en effet, Abel. Comment Caïn va-t-il pouvoir supporter cette nouvelle naissance ? Cette présence d’Abel fait qu’il n’est plus seul et donc, peut-il penser, qu’il n’est plus unique. Ce qui caractérise le récit biblique, par rapport à d’autres mythes

d’origine, c’est l’initiative de Dieu au cœur du conflit qui va surgir entre ces deux premiers frères. Il nous est dit en effet : « Le temps passa et il advint que Caïn présenta des produits du sol en offrande à Yahvé, et qu’Abel, de son coté, offrit des premiersnés de son troupeau, et même de leur graisse. Or Yahvé agréa Abel et son offrande. Mais il n’agréa pas Caïn et son offrande, et Caïn en fut très irrité et eut le visage abattu. » (Genèse 4, 3-5). Pour l’auteur de ce récit, Dieu lui-même semble provoquer la jalousie de Caïn à l’égard d’Abel. Comme un père qui donnerait à l’un de ses enfants une part de gâteau plus grande qu’à l’autre, déclenchant aussitôt ce sentiment d’injustice à la fois profond et enfantin. Qui de nous n’a pas connu, en effet, le surgissement en lui de cette colère meurtrière de Caïn. Saint Augustin lui-même rapporte comment, un jour, il fut stupéfait de constater la rage saisissant un enfant de six mois au moment où sa mère s’occupait de son frère.

24 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 16

Ce récit de Caïn et Abel nous renvoie donc à l’enfance de l’humanité. Il nous touche avec la profondeur du souvenir de l’enfant aux prises avec la confusion entre le désir de demeurer l’unique et la volonté de rester seul. Mais nous sommes appelés à lire ce récit avec attention, au-delà de nos projections immédiates. Ce récit, en effet, ne s’arrête pas là. Dès la différence qu’Il a introduite dans la réception des offrandes des deux frères, Dieu intervient en s’adressant à Caïn. « Pourquoi es-tu irrité et pourquoi ton visage est-il abattu ? Si tu es bien disposé, ne relèverastu pas la tête ? Mais si tu n’es pas bien disposé, le péché n’est-il pas à la porte, une bête tapie qui te convoite, pourras-tu la dominer ? » (Genèse 4, 6-7). Si Dieu agrée l’offrande d’Abel et non celle de Caïn, apparemment sans raison, c’est pour parler à Caïn. Ce n’est pas moindre qu’agréer une offrande. A chaque fois que Dieu s’adresse à l’homme, selon l’Ecriture, il en fait son


© Pascal Deloche / Godong

▲ Abel et Caïn. Chapelle du Centre du Christ rédempteur, Lome, Togo.

interlocuteur unique. En appelant Caïn à redresser la tête sous peine d’être dévoré par la jalousie tapie à sa porte, Dieu en personne lui donne sa parole, et de ce fait, lui signifie qu’il est son fils unique. Il lui donne en même temps la parole : il doit redresser la tête pour parler à son tour, en son propre nom. Par une distinction qui, de prime abord, peut paraître injuste, Dieu, en fait, crée la situation qui doit permettre à Caïn de sortir de la confusion initiale de l’enfant. Confusion où se mêlent le désir de demeurer fils unique pour sa mère, le seul et l’unique, et celui d’être fils Unique de Dieu. Mais

pour devenir fils Unique de Dieu, Caïn est appelé à reconnaître que son frère l’est tout autant que lui et accepter de partager avec lui l’agrément de Dieu. En lui demandant de redresser la tête, geste de la naissance, Dieu l’appelle à naître à la Parole, en laissant mourir en lui son amour propre, et, quittant ainsi son père et sa mère, à parler à son frère d’Unique à Unique. Dieu propose ainsi à Caïn de sortir du monde fantasmé de la toute puissance infantile, pour entrer dans le monde réel de la fraternité. Ce monde, où seule l’humanité à l’image de Dieu peut vivre.

La toutepuissance et la violence de l’idolâtrie Seulement voilà, Caïn est le fils d’Adam et Eve, et il a été conçu hors du Paradis, c’est-à-dire hors de la confiance au Dieu Créateur. Ses parents ont perdu cette confiance immédiate, en se laissant manipuler par l’esprit du serpent jaloux de Dieu. En doutant de la parole de leur Créateur, ils ont eu peur de demeurer ses interlocuteurs. S’excluant ainsi du Paradis de la confiance, ils sont tombés dans le monde imaginaire de la toute-puissance infantile.

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Se former

Adam et Eve ont cru le mensonge du serpent leur murmurant que Dieu ne veut pas qu’ils soient comme Lui. Alors ils ont été pris par le doute que Dieu soit vraiment Père et leur donne Sa vie en les créant. Dieu pourtant ne retire pas son don. Eve peut dire, à la naissance de Caïn : « J’ai acquis un homme de par Yahvé. » (Genèse 4, 1) Mais cette naissance ayant lieu hors du Paradis, le doute qu’à travers la génération humaine, Dieu ne se donne pas entièrement luimême, demeure présent. Le Christ sauvant Adam et Eve de leur tombe. Une icône pascale de John Reves. ▼

propre vie, en se rendant esclave d’un dieu qu’il imagine à sa mesure. Si la foi au Père est mise en doute, la tentation est forte de s’enfermer dans une image familiale adorée. Caïn, comme chacun de nous quels qu’aient été nos parents, a été marqué par l’adoration inconsciente de ses parents pour un fils. En retour, lui-même voue, inconsciemment, une adoration à celle qu’il prend pour l’origine de sa vie. Mais cette projection totalitaire réciproque qui tente de s’approprier le don de Dieu, ne peut conduire qu’à la violence de la jalousie. Un adoré ne peut supporter un autre adoré.

Or, ce doute conduit à ce que la Bible appelle l’idolâtrie. Dans l’idolâtrie, l’homme va tenter de s’assurer par lui-même de sa

Les relations familiales ne demeurent libres que dans la foi où, parents comme enfants, chacun est reconnu comme étant d’abord créé à l’image de Dieu, à l’image du Père, avant de l’être à l’image de son père et de sa mère.

© jimforest / Flickr

La Parole, source de vie Caïn est donc né dans ce monde où la jalousie est entrée. Il en est marqué de telle sorte qu’il ne peut croire immédiatement à la parole que Dieu lui adresse. Cette Parole est bien celle du Père qui l’appelle à naître à la véritable vie humaine en sortant de l’enfermement familial pour découvrir un frère et non un rival. Mais Caïn, à son tour, va en douter, en cédant au murmure de la bête tapie à sa porte qui va lui redire ce que ses parents ont cru : Dieu n’est pas Père. S’il croit, lui aussi, ce mensonge, il va à son tour sortir du Paradis.

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« Cependant, Caïn dit à son frère Abel  : « Allons dehors  ! », et, comme ils étaient en pleine campagne, Caïn se jeta sur son frère Abel et le tua. » (Genèse 4, 8). Pour tuer son frère, il faut aller dehors, sortir de l’intimité avec Dieu, être hors de soi, hors du Paradis. C’est alors l’errance qui fait parcourir la terre sans trouver le repos. La génération humaine est livrée à l’escalade de la violence. Ainsi, Lamek, l’un des descendants de Caïn, dira à ses femmes : « J’ai tué un homme pour une blessure, un enfant pour une meurtrissure. C’est que Caïn est vengé sept fois mais Lamek soixante-dix-sept fois. » (Genèse 4, 23-24). Mais le meurtre du frère se révèle impuissant à faire échec au désir de Dieu pour l’humanité. Une autre descendance est donnée à Eve. « Adam connut sa femme, elle enfanta un fils et lui donna le nom de Seth, car dit-elle : « Dieu m’a accordé une autre descendance, à la place d’Abel, puisque Caïn l’a tué. » (Genèse 4,25). La violence de l’homme jaloux ne peut empêcher l’Origine de donner la vie, de redonner la vie, de par-donner la vie à travers la mort même. Abel et Seth, l’autre Abel, préfigurent ensemble le Christ, Jésus tué et l’autre Jésus ressuscité. Et c’est ainsi que le meurtrier lui-même, s’il reconnaît qu’il est débordé par la vie, sera sauvé. Michel Farin, s.j.


Le davantage, selon saint Ignace « Magis » : ce terme en latin a été choisi pour désigner le réseau ignatien international des JMJ. Retenu aussi pour la proposition commune aux 18-25 ans du MEJ, de la CVX et du RJI (Réseau Jeunesse Ignatien). Màs en espagnol, davantage en français, le mot puise ses racines chez saint Ignace. Mais quel sens le fondateur de la Compagnie de Jésus lui donne-t-il ?

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Relisez quelques lettres d’Ignace, vous serez frappés de la récurrence du terme davantage. Pourtant il ne figure pas dans les index : ni celui des Lettres, ni celui des Exercices ou des Constitutions. Douze mentions répertoriées à la fin du Récit permettent cependant de repérer les moments où la mémoire d’Ignace fait appel au désir du davantage et le sens qu’il lui donne. Nous le trouverons ensuite à l’orée des Exercices et plus tard dans les Constitutions et le choix des missions.

Dans la vie d’Ignace La première mention advient en cours de route. À Loyola, couché et immobile, il rêvait de faire comme saint Dominique ou saint François. Maintenant qu’il marche vers Montserrat, « n’ayant plus en vue que d’être agréable à Dieu et de lui plaire, lorsqu’il se souvenait de faire quelque pénitence que les saints avaient faite, il se proposait de la faire et même da-

vantage. » (Récit 14) Ignace avance, il est en mouvement sur le chemin de Dieu. Imiter les saints ne suffit plus, il veut faire plus qu’eux. Son davantage est généreux et quantitatif. Le mot ne se manifeste pas durant la période de Manresa mais réapparaît au moment du départ pour Jérusalem. Avant d’embarquer, il cherche à se procurer le biscuit nécessaire quand de grands scrupules le traversent. Emporter ce biscuit, n’est-ce pas manquer de confiance en Dieu ? Ne trouvant pas de solution il en parle à son confesseur et lui dit « combien il désire ce qui serait davantage la gloire de Dieu. » (Récit 36) Le pèlerin ne cherche plus à en faire davantage que les saints, le trouble qui le prend ne provient pas du souci de son image, il se présente comme une tentation sous l’apparence du bien. Attendre de Dieu ce biscuit ne lui procurerait-il pas plus de gloire ? Son désir de faire de grandes choses agit toujours en lui, mais est maintenant réorienté vers

Dieu. Aussi il accueille sans résistance la parole du confesseur qui lui rend la paix. De retour à Venise suite à l’impossibilité de rester en terre sainte, Ignace en vient à se demander : « Que faire maintenant ? » Le discernement se résume à quelques mots dans le récit, il a pu prendre quelques jours. « À la fin il incline davantage à étudier quelque temps pour pouvoir aider les âmes et décide d’aller à Barcelone. » (Récit 50) Quand il exprime ce qui l’attire davantage, Ignace “incline“, pour le vérifier il “décide“ le moyen à prendre. Nous trouvons ici l’image de la balance dont l’aiguille s’incline du côté où le poids l’emporte. Le davantage devient plus subtil. Il procède d’une indication donnée soit par une motion intérieure soit comme ici par une raison de plus de poids. Ignace se sent pencher vers l’étude, moyen incontournable pour pouvoir aider les âmes.

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Se former

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Un sens qui évolue

Dans le récit, il apparaît que le terme davantage surgit quand Ignace est en route et non pendant les séjours de Loyola ou de Manresa. Comme si la marche fournissait au pèlerin des mots et du cœur pour avancer vers Dieu, pour réduire la distance qui le sépare de lui.

La méditation fondamentale Le terme apparaît deux fois dans le texte du fondement, d’abord négativement puis sous une forme positive. « que nous ne voulions pas davantage la santé que la maladie, la richesse que la pauvreté, l’honneur que le déshonneur mais que nous désirions et choisissions uniquement ce qui nous conduit davantage à la fin pour laquelle nous sommes créés. » Ignace ne craint pas de contrecarrer les aspirations les plus légitimes.

Le davantage continuera d’agir en lui comme un ressort, mais un ressort orienté vers Dieu et le bien des autres. Et c’est bien l’enjeu des Exercices d’être une

Que veut dire « pas davantage maladie que santé, richesse que pauvreté, honneur que déshonneur » ? L’aiguille de la balance ne doit pencher ni à droite, ni à gauche ? Peut-elle rester statique ? Non-choix impossible et même s’il nous arrivait d’être mentalement indifférents, le naturel reviendrait au galop  ! Nous tenir à égale distance de biens terrestres ne peut être que fruit de la grâce – c’est d’ailleurs pourquoi les Exercices nous sont utiles. Le silence imposé aux appétits terrestres par la prise de distance met sur une voie de liberté.

Au moment de partir vers Jérusalem il cherche ce qui serait davantage la gloire de Dieu. Ayant longtemps cherché sa gloire per-

pédagogie de mise en route, de réorientation du désir.

sonnelle, le retournement n’est pas mince. Sa première conversion n’était qu’un changement de moyens : des exploits d’ascétisme remplaçaient les exploits chevaleresques mais c’était encore lui-même qu’il cherchait. Quand il s’interroge sur ce qui procurera davantage de gloire à Dieu il se décentre pour choisir en fonction de l’Autre. Et c’est d’ailleurs un autre qui lui donne la solution de son dilemme.

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Ignace de Loyola

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Le chemin déblayé, il devient possible de désirer et de choisir ce qui conduit à la fin. En coupant la route aux ersatz qui sollicitent la créature, Ignace libère son désir qui peut désormais grandir en choisissant. Il nous situe sur un chemin de légèreté


et de croissance à l’opposé du « toujours plus » des sociétés qui alourdit et entrave.

Après avoir fait les Exercices, les compagnons sont disponibles et désireux de servir la cause de leur Seigneur. Où allaientils diriger leurs pas ? « À cette époque tous avaient décidé de ce qu’ils devaient faire, à savoir : aller à Venise et à Jérusalem et y dépenser leur vie pour être utiles aux âmes ; et, si la permission ne leur était pas donnée de rester à Jérusalem, retourner à Rome et se présenter au Vicaire du Christ pour qu’il les emploie là où il jugerait que ce serait davantage à la gloire de Dieu et plus utile pour les âmes. » (Récit 85) L’alternative posée ne porte pas sur le but qui leur était clair mais sur le lieu où ils iraient. Les Constitutions montrent que les missions sont objet de choix, non la mission elle-même, unique par la fin qu’elle poursuit, mais ses conditions peuvent beaucoup varier. « Le supérieur doit beaucoup réfléchir lorsqu’il envoie en mission, afin que le choix du lieu, du résultat, des personnes, des modalités, de la durée assure toujours un plus grand service divin et un bien plus universel » (Constitutions 618). Un choix apostolique est à la croisée du désir de la personne qui le pose et des aléas d’une situation à transformer. Ignace accorde une grande attention aux moyens, il les précise, il ne reste pas dans l’à peu près quand

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Les missions

il s’agit de l’envoi de compagnons à travers le monde. Sa recherche d’une plus grande gloire de Dieu, d’un service plus adapté et plus fructueux du prochain en déterminera les conditions. Paradoxalement lui-même le met en œuvre en écrivant les Constitutions et des milliers de lettres de son bureau à Rome.

Et pour nous ? Faut-il enfiler nos chaussures de marche pour comprendre le davantage d’Ignace ? Les évangiles aussi présentent Jésus continuellement en déplacement. La marche inscrit dans notre corps un mouvement lent et régulier qui demande effort, soutenu par le désir du but à atteindre. Ignace s’arrête avant de choisir son chemin. Il nous apprend à nous tenir à égale distance de deux solutions, à maintenir immobile l’aiguille de la balance avant de choisir une direction, avant de réagir à une parole ou d’entreprendre une action, comme Jésus a pris de la distance pour ne pas se laisser submerger par les gens

ou ses propres réactions devant tout ce qui arrive (Marc 3, 9). Il nous apprend à oser écouter notre désir, moteur de nos existences, pour le sortir de ses étroitesses, l’ouvrir à la proximité de Dieu, l’entraîner sur d’autres chemins dans un désir grandissant d’aller à Dieu et aux hommes. Comme Jésus disant « allons ailleurs » (Marc 1, 38) ou « prenant résolument le chemin de Jérusalem » (Luc 9, 51). « Le bien étant d’autant plus divin qu’il est plus universel » (Constitutions 622), la formule achève et couronne si l’on peut dire le cheminement de sens du davantage. Au départ de grandes ambitions personnelles, à l’arrivée une vision spirituelle universelle. Entre les deux la vie ordinaire, des conversions, des déplacements, des choix où agit le davantage. À la fin Ignace n’est plus seul, des centaines de compagnons l’ont rejoint. Nous en sommes aujourd’hui. Marie Emmanuel Crahay, Auxiliaire du sacerdoce.

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Se former

Je ne me sens pas bien dans ma communauté locale (2ème partie) J’ai réussi à discerner la cause pour laquelle je ne me sens pas bien dans ma communauté locale. Mais je redoute la réaction des autres, je n’ose pas en parler, je ne sais pas comment agir. Que dois-je faire ?

L

Le temps d’évaluation en fin de réunion n’est pas accessoire, ni une synthèse de ce que nous avons échangé, ni un temps de louange béate. C’est un temps fort de constitution de la Communauté où chacun est amené dans le silence à vérifier ce qui l’a aidé dans la réunion et ce qui l’a gêné, notamment pour écouter et pour parler librement en vérité. Après ce partage, d’une part chacun pourra veiller la prochaine fois à ce que son attitude aide les autres. D’autre part, ceux qui prépareront la rencontre suivante, et plus particulièrement le responsable et l’accompagnateur, veilleront à prendre en compte ces éléments pour les réunions suivantes. Sortir d’une quête d’une communauté locale idéale : ce qui fonde la Communauté, c’est d’abord la relation personnelle de chacun au Christ et pas des affinités ou ressemblances entre personnes. Il est bon de nous le redire ensemble en réunion et de nous donner les moyens de cette relation personnelle au Christ entre les réunions. Alors, nous pouvons devenir frères et compagnons nous soutenant chacun sur nos routes personnelles, en

vivant de la même source : l’expérience spirituelle de saint Ignace. Nous sommes invités à écouter Dieu dans le réel de nos vies et non dans une vie rêvée. Écouter l’autre va jusqu’à noter et relever ce que je ne comprends pas ou me heurte pour lui demander dans le deuxième tour de s’expliquer davantage pour mieux le comprendre, dans une attitude profonde de respect et d’a priori favorable. Accueillir le malaise d’un membre : un enjeu de fraternité. Ce n’est pas une parole contre moi, c’est une parole d’un autre qui me demande de faire attention à lui, à ses désirs, à ce qui l’aide pour avancer et à ce qui le gêne. C’est une demande que nous sommes invités à recevoir comme de vrais amis : en donnant à l’autre les conditions les plus favorables pour lui pour écouter le Seigneur. Je veillerai donc à adapter mes attitudes et manières de faire pour tenir compte de ce qui l’aide et je ne prendrai pas mal le fait qu’il parte hors de la CVX ou qu’il sollicite une autre communauté locale. « Par la charité, mettez-vous au service les uns des autres » (Galates 5, 13).

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J’ai déjà tout essayé et le malaise persiste, je ne trouve pas dans ma communauté locale les conditions qui me permettent d’entrer dans une attitude de discernement. Dans ce cas, je peux en parler avec mon accompagnateur personnel, ou avec l’accompagnateur de l’équipe, et partager ce sentiment de malaise avec l’équipe service. Une demande de changement de communauté locale pourra être exprimée aussi lors de la réunion de relecture d’année, ou si cela n’est vraiment pas possible, de l’adresser directement à l’équipe service. Il est toujours possible de demander à changer de communauté locale. Un changement de communauté locale néanmoins prend du temps. Une demande fera l’obejt d’une écoute attentive, un dialogue dans la communauté locale et/ou avec l’équipe service, mais pas forcément une réponse favorable automatique ni rapide. Chaque changement de membre, même d’un seul et même s’il est ancien dans la CVX, nécessite une refondation des communautés locales concernées. Cela prend donc toujours du temps, des dialogues et des discernements. Nadine Croizier


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“Ayez du sel en vous-mêmes, et soyez en paix entre vous“ (Marc 9, 45-50)


Ensemble faire Communauté

L’assemblée de la communauté à vin nouveau, outres neuves

Une première, pour la Communauté de Vie Chrétienne : en mai 2012 a lieu l’ « Assemblée de la Communauté ». À quoi sert-elle ? Comment fonctionne-t-elle ? Concerne-t-elle tous les membres sans exception ? Alain Jeunehomme, responsable national, répond à nos questions.

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Qu’est-ce que l’Assemblée de la Communauté ? L’Assemblée de la Communauté élit l’équipe service nationale (ESN) (voir encadré ci-contre) et fixe les orientations communautaires. Elle prend en compte non seulement les recommandations et appels venant du mondial mais aussi ce qui se vit en France, parmi ses membres, dans les communautés locales et régionales.

Mais surtout, auparavant, il n’y avait qu’une assemblée générale d’association, où l’on déclinait un rapport moral, financier, etc. On travaillait également sur des dossiers mais il n’y avait pas de réelle réflexion sur le devenir de la Communauté. Or, nous sommes une association ecclésiale avant d’être une association civile. Plus précisément, nous sommes une Communauté, en mission dans l’Église, à la suite de Jésus-Christ, avant d’être une association. Nous en avons pris vraiment conscience avec la rédaction des Normes particulières.

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▼ Lors du Congrès de Nevers en 2010.

Qu’est-ce qui change par rapport à l’ancienne gouvernance ? Jusqu’à maintenant, une commission diffusait les orientations du mondial aux membres

et aux régions. Là, l’Assemblée de la Communauté se saisira de ces recommandations et définira pour les cinq ans à venir des priorités, des orientations, qui seront ensuite mis en œuvre par tous les organes de la Communauté.

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Pour que la parole circule et pour avoir le temps de travailler, de discerner, et enfin d’envoyer un message à l’ensemble de la Communauté, il a été décidé que ces Assemblées de

la Communauté se tiendront sur un temps plus long. Elles auront lieu deux fois sur un mandat de cinq ans (et non pas tous les ans). Et à la fin de l’Assemblée il y aura un texte qui sera donné à chacun : l’Assemblée parlera à la Communauté. Comment va se dérouler cette première Assemblée en mai ? Elle se déroulera sur quatre journées : un premier volet sera consacré à l’élection de la nouvelle équipe service nationale. Deuxièmement, on aura un volet association loi 1901 (rapport moral et financier). Enfin, il y aura un travail de réflexion partant des recommandations de l’Assemblée mondiale de Fatima sur le fait de « passer d’une communauté d’apôtres à une communauté apostolique » : nous recueillerons ce que nous avons reçu pour ensuite nommer nos missions, nos orientations communautaires. Comment chacun peut-il se sentir concerné par cette Assemblée ? On a cherché à ce que l’Assemblée soit représentative de la Communauté. Les communautés régionales, mais aussi les œuvres


(voir encadré ci-contre), les ateliers, la formation, les jeunes, les finances, etc. : toutes ces entités vont envoyer des délégués pour que la diversité de la Communauté soit représentée. Chaque communauté locale a également été invitée à proposer des noms pour une élection organisée par chaque équipe service de grande région. Par ailleurs, une lettre, qui essaie de dire l’importance de cette Assemblée, fut envoyée à chaque membre. Elle incite chaque communauté locale à prier pour l’Assemblée, à partager sur le thème de la « mission » (personnelle et communautaire) et à envoyer ce qui aura été échangé pour enrichir le travail de cette Assemblée de la Communauté. Ce système d’appel et d’élection n’est pas toujours compris par les membres de la Communauté et peut parfois être jugé trop institutionnel. En quoi aide-t-il à servir la mission de la CVX ? Dans l’Église nous sommes appelés. Si on regarde la Bible, les prophètes ne s’autoproclament pas, ils sont appelés par Dieu. Cet appel de mon compagnon peut s’avérer relayer l’appel de Dieu lui-même. Je peux l’entendre comme une invitation à prendre

d

Retrouvez la vidéo de l’interview d’Alain Jeunehomme sur notre site Internet ! Juste quelques clics sur www.viechretienne.fr

une direction. Bien sûr on peut aussi avoir ses propres désirs et les nommer. Ce n’est pas contradictoire. Si l’appel et mon désir vont dans le même sens, c’est parfait. Chaque personne appelée discerne sa réponse et se soumet ensuite à l’élection. Qu’espérez-vous de cette prochaine Assemblée ? Personnellement j’attends beaucoup de l’Assemblée de la Communauté. Il est important qu’une Communauté ait des directions, discerne et regarde ce qu’elle a reçu. Surtout, je crois beaucoup aux rencontres informelles entre les membres durant ces journées. Qu’ils échangent, se parlent, se connaissent, c’est aussi ce qui forme la Communauté et la construit. Et pour la suite de la Communauté ? Je dirais que ce qui a été lancé avec la réforme de la gouvernance n’est pas d’abord un changement d’organisation, mais un changement pour que la Communauté vive un renouveau communautaire pour la mission. Pour qu’on vive davantage notre charisme, dans la proximité, qu’on se soutienne les uns les autres. Et dans une société plutôt individualiste, je crois que c’est un peu prophétique. C’est-à-dire qu’on n’est pas seul – dans l’Église déjà on n’est pas seul – mais là, dans la Communauté on l’est encore moins. Et ça, je crois que c’est important. Propos recueillis par Marie Benêteau

Quelques repères • L’Assemblée mondiale a lieu tous les cinq ans. La dernière, à Fatima au Portugal, a eu lieu en 2008. La prochaine sera à l’été 2013. • La première Assemblée de la Communauté aura donc lieu du 17 au 20 mai 2012. Ensuite en 2014, puis en 2017. • L’Équipe de service nationale (ESN) décide des modalités de mise en œuvre des orientations de l’Assemblée de la Communauté. Elle est l’instance ordinaire de décision et d’animation de la Communauté. Elle est composée de trois membres élus pour cinq ans et de l’assistant national. Ils peuvent coopter jusqu’à deux personnes. • Les œuvres sont les engagements de la Communauté dans des apostolats divers : les Éditions Vie Chrétienne et leur site Internet ; les centres spirituels de Saint-Hugues de Biviers et du Hautmont ; le CISED, CPU et CPEG, associations au service des étudiants à Saint-Denis, Lyon et Grenoble. Pour aller plus loin, voir les Normes particulières de la Communauté de Vie Chrétienne (disponible au secrétariat de la CVX si vous ne l’avez pas), p.12-13 sur l’Assemblée de la Communauté.

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Ensemble faire Communauté

Une enquête encourageante Un grand merci à vous lecteurs d’avoir répondu si nombreux à l’enquête que nous vous avons envoyée fin octobre 2011. Dominique Hiesse, responsable des Editions Vie Chrétienne, fait le point sur les grandes lignes qui s’en dégagent.

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1. Au 10 janvier 2012. 2. N’hésitez pas à nous envoyer vos adresses email sur amis@viechretienne.fr 3. Ce type d’enquête ne reçoit habituellement que 1% à 2% de réponses.

4. Pour devenir « ami » de la revue, rendez-vous sur www.viechretienne.fr/ devenirami ou par email : amis@viechretienne.fr

Dès le mail reçu avec une dizaine de questions sur votre perception de la nouvelle formule, plus de 300 personnes d’entre vous ont répondu le jour même, près de 800 personnes dans les quinze jours qui ont suivi, soit 888 personnes au total1. Parmi elles, 96% membres de la CVX (les « amis » n’ont malheureusement pu bénéficier du e-mailing2). Soit un taux de réponse exceptionnel de près de 14,5%3 !

Qui ont répondu ? Le meilleur taux de réponse revient aux femmes (16,5%), aux membres entrés dans la CVX il y a plus de 10 ans (16,1%) et aux 60-70 ans (22,6%). Avec une génération des 25-35 ans qui semble entrer rapidement dans cette dynamique (20,9%).

Qu’appréciez-vous le plus ? 75% d’entre vous « aimez beaucoup » la revue, sur la forme comme sur le fond. Plus particulièrement, dans vos cinq premiers choix cités à plus de 70%, trois se référent au Dossier : « Repères ignatiens » (79%), les « Témoignages » (74%) et « Eclairage biblique » (70%). Vous appréciez également en priorité « Spiritualité ignatienne » (76%) et le « Prier dans l’instant » (74%). Ces choix reflètent bien votre ancrage ignatien, votre souci du concret et d’une spiritualité incarnée. Vous êtes cependant moins unanimes sur le choix des photos (64%), notamment pour la couverture (58%).

déjà 60% à l’utiliser en réunion de communauté locale et 35% à vous servir de « Pour continuer » de la page 18 (plutôt quelquefois que souvent néanmoins), sans différence sensible selon votre ancienneté dans la CVX. Vous êtes majoritaire (51%) à la passer à éventuellement à d’autres personnes (8% de façon régulière)… avant peut-être d’en faire des « amis » qui la reçoivent directement4 ! Et après ? 45% d’entre vous (c’est énorme) ont pris le temps d’apporter des suggestions, des critiques aussi. Impossible de les résumer ici. Pour la rédaction, c’est encourageant et stimulant. Déjà, nous avons enrichi nos pages Internet (www.viechretienne.fr) et nous allons continuer peu à peu par une newsletter et de nouveaux livres.

Pour quel usage ? A usage personnel, bien sûr, mais vous êtes

Comité de rédaction. (De gauche à droite : Marie Benêteau, Dominique Hiesse, Marie-Elise Courmont, Marie Emmanuel Crahay, Barbara Strobel, Yves de Gentil-Baichis, Paul Legavre, s.j.)

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Dominique Hiesse

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Retrouvez sur www.viechretienne.fr les résultats détaillés de l’enquête : taux de réponse par question + l’ensemble des commentaires des 397 personnes.


Les Exercices : décider d’y aller D’un côté mille et une bonnes raisons de dire non et de l’autre une toute petite plante que je remarque à peine : mon désir… Et un jour, ça y est, je me dis : c’est maintenant ! je n’ai rien à perdre ou tout à trouver, on verra bien, une retraite, un peu de

repos, je n’en mourrai pas. Mais qu’est-ce qui me prend ? Pourquoi, dans le train, je me sens si libre, j’ai le cœur qui bat ? Et ça y est, j’y suis ! Je suis attendue et dans le silence je vais Le trouver Celui qui m’attend depuis si longtemps. Comment aurais-je pu ne pas venir là ! Bien accompagnée,

Pour tous, pour commencer :

• Au Haumont : du 12 au 18 août 2012

6 jours de retraite et détente en famille

Faire l’expérience approfondie de l’écoute de la Parole de Dieu dans la prière, avec un accompagnement personnel.

• A Penboc’h : du 21 au 27 juillet 2012 • A St Hugues de Biviers : du 19 au 25 août 2012

Ces retraites proposent de goûter à la démarche des Exercices comme lieu privilégié de la rencontre du Christ.

En silence pour les adultes de 9h à 17h avec un accompagnement quotidien. Les enfants jusqu’à 12 ans sont pris en charge séparément. De 3 à 12 ans, il leur est proposé une expérience spirituelle. Les plus petits sont accueillis à part. En fin d’après-midi, temps de détente communautaire avec les enfants.

Retraite de 5 jours « Une entrée dans les Exercices» • A St Hugues de Biviers : du 22 au 28 juillet 2012

Pour tous, pour aller plus loin : Retraite de 10 jours « Avance en eau profonde » • A St Hugues de Biviers : du 15 au 26 juillet 2012 • Au Haumont : du 29 juillet au 9 août 2012 En solitude, avec accompagnement personnel pour celles et ceux ayant déjà vécu des retraites selon les Exercices de 5 ou 8 jours. 10 jours pour se laisser davantage conduire par Dieu et

je vais m’exercer encore et encore en me laissant faire… et naître à nouveau, libre comme un oiseau. Ouf ! Merci, mon Dieu, de m’avoir menée là… Je continuerai le chemin avec Toi. Claire Sebastien, équipe Service Formation

ordonner sa vie en profondeur ou pour discerner une décision à la lumière et à la suite du Christ. Contact : Béatrice Mercier formation@cvxfrance.com

Retraite des Exercices spirituels dans leur intégralité

pour avancer dans la suite du Christ et le service de sa mission dans le monde. 3 formules proposées : • 30 jours d’affilée à Biviers dans une démarche personnelle et communautaire • 3 fois 10 jours dans plusieurs centres spirituels • Exercices dans la vie A St Hugues de Biviers : les 30 jours du 7 juillet au 7 août 2012 Pour toute information sur les 30 jours : contacter Paul Legavre, s.j. ou Jeanne Thouvard, auxiliatrice  : exercices@cvxfrance.com Mars 2012 35


Ensemble faire Communauté

France-Liban :

échange inter-communautaire

« Tout est possible avec Dieu »

Le Congrès de Nevers en 2010 invitait chacun à s’ouvrir à la dimension mondiale de la Communauté. Quelques semaines après, un groupe de chrétiens français et libanais, majoritairement membres de la CVX, partait en retraite dans le Mont Liban. Florence et Agnès, deux Françaises, et Paméla, Libanaise, nous partagent ce qu’elles ont vécu : une semaine où chrétiens français et libanais ont cherché ensemble le Seigneur dans un rythme de prière, de marche, d’échanges et de découverte d’un pays riche en histoire et tradition.

V

Vues de France ou du Liban, la laïcité et la cohabitation entre religions (entre christianisme et islam par exemple) ne suscitent pas les mêmes réactions. L’expérience rend chacun sans doute plus sensible à la situation géopolitique de cette partie du monde. Comment se réjouir sereinement des mouvements de libération du printemps en Tunisie et en Égypte sans s’inquiéter des déséquilibres que cela engendre… pour les chrétiens sur place, pour un pays comme le Liban ? La paix est fragile. En France ou au Liban, sur nos lieux de vie, comment chacun de nous peut-il être « ouvrier de paix » ? Nous avons été particulièrement touchées par la simplicité des

partages en français ou en arabe. Chacun de nous, Français et Libanais, a pu vivre réellement le compagnonnage auquel nous invite le Christ. Les Libanais nous ont fait un accueil sans limite, toujours à l’écoute de nos attentes ou inquiétudes. Ce fut dix jours où nous avons été comblés d’attentions inattendues et inespérées. Un « grand échantillon » de l’Amour infini de Dieu ! Une invitation à être aussi à notre tour « accueil » pour d’autres ! Les Libanais savent vivre l’instant présent. Leur attachement au Christ nous remet face à l’essentiel. La plupart des Libanais n’ont que deux semaines de congés par an et pourtant, ils n’hésitent pas à prendre une semaine de retraite par an, même en équipe d’accueil.

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L’abandon à la Providence est remarquable. Nous ne pouvons pas oublier ce prêtre rencontré au détour d’une visite touristique. Il nous a raconté comment il a reçu l’aide matérielle nécessaire à la création d’un lieu de pélerinage sur la montagne et comment un des ouvriers musulmans s’est converti au cours du chantier. Comme concluait un de nos amis libanais à la fin de la retraite « Tout est possible avec Dieu »… à condition de s’en remettre à Lui. Par ailleurs, on retrouve entre la CVX France et Liban les mêmes préoccupations. Par exemple, la place des jeunes, comment continuer à les attirer, etc. La CVX du Liban a le souci d’être ouverte à tous sans limite d’argent et ac-


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▲ Groupe de 2010 au Liban.

cueille beaucoup d’étudiants. Elle a le souci des chrétiens des pays limitrophes, notamment de Syrie et d’Égypte. Touchés par l’accueil que nous avons reçu, nous avons éprouvé le désir d’accueillir les membres de la CVX Liban en France et cela nous a mis en route. Nous cheminons ensemble depuis plus d’un an pour affiner le programme… et nous nous réjouissons déjà de leur arrivée prévue le 12 juillet 2012. Florence et Agnès CVX France

En tant que libanaise, j’ai toujours aimé la France depuis mon plus jeune âge. Mais j’ai toujours cru que les chrétiens d’Orient (et donc du Liban) étaient plus engagés que les chrétiens d’Occident (de France). Le fait d’entendre qu’il y a la laïcisation, les lois et les médias d’un côté, la société, la

famille et l’éducation de l’autre, nous incite à penser cela. Mais aujourd’hui, après avoir vécu ce cheminement, expérimenté cet échange et partagé cette vie de communauté franco-libanaise, le bonheur me comble. L’engagement chrétien que je croyais en décadence voire même inexistant en France, s’est dévoilé à mes yeux dans ses plus fortes expressions. La différence, c’est que les chrétiens en France peuvent vivre leur foi en toute liberté. Les chrétiens au Liban, qui sont une partie importante des chrétiens d’Orient, constituent une minorité dans le monde arabe. Par conséquent, notre vie quotidienne est sans cesse animée d’une certaine peur, quant à notre avenir, voire même à notre existence. Nous sommes sans cesse perturbés dans notre tranquillité. Mais être chrétien en France ou être chrétien au Li-

ban, c’est être chrétien tout simplement. C’est vivre la joie de la résurrection du Seigneur. Notre unique appartenance n’est qu’à Jésus Christ, Fils de Dieu, notre Créateur. Cheminer au Liban ensemble, en été 2010, était je crois l’œuvre de notre Seigneur. Ce fut un moment fort de ma vie où l’échange était riche. Nos différences et nos ressemblances se sont moulées pour se transformer en une solidarité sans équivoque. J’ai vécu des moments intenses de pur amour et de joie. Les attentions qu’on se donnait les uns aux autres pour le bien-être de chacun, la présence de mes frères et sœurs dans mes pensées, dans mon cœur, dans mes prières, dans tout ce que je faisais, me demandant sans cesse « ce qu’ils aimeraient », « comment »… Le marathon dans la cuisine, les trois repas de la journée, les couleurs des desserts, les

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Ensemble faire Communauté

Et voilà que l’été 2012 arrive. Je l’attendais depuis l’été 2010. Je savais que l’un ne peut être complété que par l’autre. Ce sera une

Août 2010, St Hugues de Biviers en lien avec la CVX Liban, propose de « Cheminer au Liban » Au programme : soirée de partage avec des membres de la Communauté libanaise à Beyrouth ; six jours de retraite dans la Vallée de la Qadisha « Marcher sur les pas du Christ et devenir ses compagnons » ; quatre jours de découverte de la Vallée de la Bekaa et du bord de mer.

En juillet 2012 L’accueil de la CVX Liban en France est programmé : 2 semaines avec visites, marches, rencontres communautaires (Paris, St Hugues, Chartreuse, Lyon) et une retraite ignatienne de 5 jours à côté du monastère de Tamié, en Savoie. 38 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 16

nouvelle rencontre du Seigneur. Lui, qui se révèle à ses bien-aimés de mille et une façons. N’estIl pas venu une fois en marchant sur l’eau ! En attendant, je vais prier. Et je vais remercier le Seigneur pour avoir choisi la CVX pour moi, comme porte, comme chemin vers Lui. Après qu’Il se soit révélé pour moi maintes fois dans la CVX, je déclare aujourd’hui que je suis « cvxienne » à vie. Seigneur Jésus, tu es le seul chemin pour l’éternité.

© Droits réservés

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chansons et la musique, les rires des imitations, la distribution des cadeaux, le refus de dormir car voulant faire aujourd’hui le travail du lendemain… c’était la folie de vivre ! Bref, entre marmites et casseroles d’un côté, vallée et rochers d’un autre, j’étais comme une pâte entre les mains du Seigneur. Mon cœur s’est ouvert et s’est élargi intensément comme s’il pouvait contenir le monde entier.

Paméla CVX Liban

▲ Monastère de saint Antoine Qozhaya, dans la vallée de la Qadisha au Liban.

Rencontrer la CVX Liban en France L’occasion d’ouvrir sa porte à la dimension internationale de la Communauté. A Paris, le 13 juillet 2012 : visite du Paris ignatien et soirée d’échange « Etre Chrétien et membre de la CVX en France ou au Liban » A Biviers, le 14 juillet 2012, soirée festive pour tous les membres de la Communauté le 15 juillet 2012 : Partage « La dimension mondiale de la CVX » et messe A Lyon, le 23 juillet 2012, visite du Vieux-Lyon Sur Paris, nous avons fait le choix d’un accueil chez l’habitant. Si vous souhaitez héberger des membres de la CVX Liban (12 et 13 juillet), n’hésitez pas à nous contacter ! Paris, Grenoble ou Lyon, quelle que soit votre disponibilité, vous pouvez nous donner un coup de main pour accueillir des Libanais en juillet prochain. N’hésitez pas à nous contacter pour avoir plus de détails. Il y en a pour tous les goûts ! Pour plus d’informations : www.st-hugues-de-biviers.org ou cheminerenmontagne@yahoo.com


Billet

© Corinne Mercier / CIRIC

Inventer du neuf Alors que je suis entourée d’adolescents, récemment nous évoquions avec une amie, nostalgiques, la douceur de la petite enfance. Que c’était facile de faire plaisir avec peu, pour les anniversaires et les fêtes ! Désormais tout est plus compliqué, nous ne savons pas toujours quoi offrir à nos ados. Nous avons du mal à les cerner, à les comprendre. Sans cesse, ils nous renvoient à leurs transformations : ils ne jouent plus de piano ou de harpe, ne veulent plus manger de viande ou s’habiller de telle façon… Ils nous disent qu’ils ont « changé » et qu’il est « urgent » pour eux de « sortir du schéma de pensée de leurs parents ». Quitte pour l’instant à s’inscrire dans des séries de refus ou d’oppositions… Changer ? N’est-ce pas pourtant une aspiration qui palpite en nous ? Non pas comme la publicité nous y invite trop souvent, par des substitutions matérielles, mais changer en profondeur. Peut-on changer des choses tout en restant fidèle à ses engagements et à sa ligne de vie ? Et si l’on change, ne va-t-on pas bouleverser tout le bel équilibre de qui nous côtoie ? Cette question semble au cœur de nombre de fictions, livres ou films. Il semble que la réponse apportée soit souvent celle de la rupture. Quelle autre voie s’ouvre à nous ? Je songe au dialogue de Jésus avec la Samaritaine chez Jean. « Va, lui dit Jésus, appelle ton mari, et viens ici ». La femme répondit : « Je n’ai point de mari ». Jésus lui dit : « Tu as eu raison de dire : Je n’ai point de mari. Car tu as eu cinq maris, et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari. En cela tu as dit vrai. » Cette femme, au bord du puits, se décentre. Elle se laisse approcher par le Christ. Et la voilà qui approche de son désir. Changer, non pas en cassant tout, mais en se déplaçant vers, en acceptant qu’il faut inventer du neuf. Et c’est celle qui reprend des études à 40 ans, ceux qui vendent leur grand appartement pour financer les études de leurs enfants et font le deuil d’une illusoire maison de famille, ceux qui à Noël cette année n’ont pas fait comme toujours pour mieux accueillir une nouvelle belle-fille, celle qui entreprend un régime et passe à un autre rapport à la nourriture, ceux qui changent de communauté de base parce que le temps de s’ouvrir est venu, ceux qui travaillent sur eux, etc. et chacun de poursuivre cet inventaire à la Prévert ! Changer pour approcher ce qui est vie et désir en nous et faire foin des alibis qui nous les masquent. Avoir l’audace du risque. Corine Robet

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Prier dans l’instant

© Pascal Bachelet / CIRIC

Avant de bricoler Seigneur, aujourd’hui je vais poser le parquet flottant d’une pièce de notre maison. Je vais nettoyer, préparer, mesurer, couper, clipser, marteler… Toi qui as appris avec ton père le travail du bois, aide-moi à ne pas chercher la seule efficacité, mais à accepter de « perdre mon temps » quand mes jeunes enfants voudront « m’aider ». Toi, le fils du charpentier, aide-moi à goûter ce moment de labeur, à lui donner du sens. On dit que Thérèse de Lisieux faisait de ses balayages, de ses nettoyages de carreaux et de ses lavages de légumes, des prières. Je t’offre à Toi ainsi qu’à ma famille ces instants de bricolage. Si modestes soient-ils, qu’ils servent à Ta plus grande gloire. Charles Mercier

Nouvelle revue Vie Chrétienne – Mars 2012


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