Vie chrétienne Nouvelle revue
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B I M E S T R I E L D E L A C O M M U N A U T É V I E C H R É T I E N N E E T D E S E S A M I S – N º 1 7 – M ai 2 0 1 2
Prier avec mon intelligence Diaconia 2013 : au service du frère
« Vivre l’Eglise »
Sommaire
éditorial l'air du temps ~ Discerner avant de voter
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chercher et trouver dieu
« Vivre l’Eglise » NOUVELLE REVUE VIE CHRÉTIENNE Directeur de la publication : Alain Jeunehomme Responsable des éditions : Dominique Hiesse Responsable de la rédaction : Marie-élise Courmont Secrétaire de rédaction : Marie Benêteau Comité de rédaction : Marie Benêteau Marie-élise Courmont Marie Emmanuel Crahay Yves de Gentil-Baichis Dominique Hiesse Paul Legavre sj Barbara Strobel Comité d'orientation : Marie-Agnès Bourdeau Alain Jeunehomme Noëlle Hiesse Michel Le Poulichet Béatrice Mercier Trésorière : Martine Louf Fabrication : SER, 14 rue d’Assas, 75006 Paris www.ser-sa.com Impression : Corlet Imprimeur, Condé-sur-Noireau ISSN : 2104-550X 47 rue de la Roquette 75011 Paris
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Témoignages Paysage de l’Eglise en France, les évolutions depuis 50 ans 12 P. Joël Morlet L’Esprit à l’œuvre, inlassablement 14 Monique du Crest Le sens de l’Eglise selon saint Ignace 16 Jacques Fédry le babillard se former Prier avec mon intelligence Jean-Claude Dhôtel, s.j. Au service de la politique locale Michel Verdier La foi d’Abraham Claude Flipo, s.j. Retrouver la source de la vie en Eglise Geneviève Comeau, xavière Choisir le cadre des réunions Marie-Agnès Bourdeau ensemble faire communauté Diaconia 2013 : au service du frère La CVX, une Communauté apostolique La CVX en régions Burkina Faso : au service des personnes atteintes du sida billet La poussière et la joie Philippe Robert, s.j. prier dans l'instant Cette nuit je ne dors pas Dominique Pollet
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Éditorial
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Le thème que nous avons choisi d’aborder dans le dossier de ce numéro « Vivre l’Eglise » est difficile à traiter. Car nos expériences et nos sensibilités sont diverses, ainsi que nos manières de vivre cette appartenance à l’Eglise. Nous savons les tensions et les divisions qui la traversent, les questions que posent les souffrances et découragements de certains… mais il nous a semblé important de donner à chacun l’occasion de se situer et d’en parler, de regarder la réalité de l’Eglise et ce qui est en train de naître, et enfin de donner des repères sur ce qui la fonde. C’est pourquoi, au-delà du dossier, dans la partie « Se former », vous trouverez des repères ecclésiaux. Le mois de mai est celui de Marie. Aussi je vous propose de vous laisser accompagner par elle, au fil de votre lecture. Elle a quelque chose à apporter quand nous parlons de l’Eglise, elle qui fût présente, aux côtés des disciples au tout début de l’Eglise, elle qui est « le modèle de notre ▲ Marie avec les disciples collaboration à la mission du Christ » (PG 9). Sa confiance, son « oui » en réponse à l’appel qui lui fût adressé, entre en résonance avec l’article sur Abraham, le père des croyants. Sa solidarité avec les pauvres, affirmée dans le Magnificat rejoint la recherche de justice qui s’exprime dans ce numéro à travers la politique municipale, Diaconia 2013 ou le témoignage de Gertrude Diarra au Burkina Faso. A l’intercession de Marie, confions notre Eglise et notre monde !
»
© La Chapelle de Redemptoris Mater, novembre 2000, éditions Fatès
Avec Marie à nos côtés
Marie-Elise Courmont
Pour écrire à la rédaction : redaction@viechretienne.fr
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L'air du temps
Discerner avant de voter Par la Conférence des évêques de France1 Les évêques estiment que « de sa contemplation du Christ, l’Église tire une vision cohérente de la personne » qui peut servir de guide au moment d’un choix électoral. Ils invitent donc les chrétiens à prendre en compte certains points d’attention qui peuvent être utiles aux électeurs qui vont choisir leurs députés. Nous présentons huit de ces sujets essentiels. Vie naissante
enfants pour les introduire en ce monde. (…)
Chaque personne est unique aux yeux de Dieu. L’engagement résolu des chrétiens n’est pas dicté d’abord par une morale mais par l’amour de la vie que ni la maladie ni l’âge ne peut amoindrir. Il est impératif que les autorités publiques refusent l’instrumentalisation de l’embryon. De même, l’avortement ne peut en aucun cas être présenté comme une solution pour les mères en difficulté. Les chrétiens doivent veiller à ce que la société consacre de grands efforts pour l’accueil de la vie. (…)
C
1. Pour préparer les élections présidentielles et législatives de 2012, le conseil permanent de la Conférence des évêques de France a choisi de publier des éléments de discernement à travers un texte « Elections : un vote pour quelle société ? ». Il propose 13 points de discernement : Vie naissante, Famille, Education, Jeunesse, Banlieues et cités, Environnement, Economie et justice, Coopération internationale et immigration, Handicap, Fin de vie, Patrimoine et culture, Europe, Laïcité et vie en société.
Famille En créant l’être humain, « homme et femme », Dieu a suscité une relation de complémentarité à la fois biologique et sociale qui se retrouve dans toute la société. La différence sexuelle de l’homme et de la femme est fondatrice et structurante de tout le devenir humain. De plus, l’union de l’homme et de la femme scellée dans le mariage est le moyen le plus simple et le plus efficace d’accompagner le renouvellement des générations et d’accueillir les
Banlieues et cités
Depuis quelques années, malgré des efforts répétés, certains quartiers et certaines cités deviennent des lieux de violence, de trafics. Plus généralement, certains de leurs habitants s’y trouvent enfermés, ne parvenant pas et parfois ne voulant plus prendre pied dans la société globale. Une politique purement répressive ne saurait suffire ni résoudre les problèmes de fond. Des efforts d’aménagement, notamment de renouvellement de l’habitat et des transports, sont nécessaires. Des initiatives doivent être prises pour aider les habitants à comprendre la société où ils se trouvent et à s’en considérer comme partie prenante.
Environnement La terre est un don d’amour fait par le Créateur pour que l’homme soit le gérant de ce bien donné. En l’invitant à dominer la terre, Dieu ne l’a pas invité à l’épuiser ou à la détruire. C’est pourquoi
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l’Église invite la société à promouvoir des modes de vie respectueux de l’environnement et à intégrer cette préoccupation dans le développement économique et social. Les prouesses techniques dont la société est capable sont à encourager si elles sont respectueuses de l’« écologie humaine » (Benoît XVI).
Economie et justice Le travail demeure une nécessité fondamentale pour la structuration de la personne. C’est pourquoi l’objectif de toute politique économique doit être d’offrir à tous ceux qui se présentent, et en particulier aux jeunes, une perspective de travail et une véritable préparation à l’emploi. Une politique économique qui se résoudrait au maintien dans la dépendance vis-à-vis de l’État serait contraire à cet impératif. Les autorités publiques doivent créer les conditions d’une plus grande justice dans la vie économique en veillant à l’équité des salaires, des prix et des échanges. L’équilibre de la société exige la
correction des écarts disproportionnés de richesse. (…)
Coopération internationale et immigration
Fin de Vie Toute personne, quel que soit son âge, son état de fatigue, son handicap ou sa maladie, n’en garde pas moins sa dignité. Pour cette raison, « l’euthanasie est une fausse solution au drame de la souffrance, une solution indigne de l’homme » (Benoît XVI) car elle vise, sous prétexte de compassion, à abandonner les personnes au moment où elles ont le plus besoin d’aide et d’accompagnement. (...) Le développement des soins palliatifs doit être poursuivi pour que tous ceux qui en ont besoin puissent en bénéficier.
Laïcité et vie en société Dans notre pays, la relation entre l’Église catholique et l’État a été marquée par une histoire difficile et souvent conflictuelle. Cette relation est aujourd’hui largement apaisée et c’est une bonne chose pour l’équilibre de notre société. Nous vivons dans un régime de séparation - depuis la loi de 1905 - et la laïcité est un principe constitutionnel de la République française. À plusieurs reprises et notamment lors du centenaire de la loi de 1905, l’Église a affirmé accepter le cadre dans lequel nous nous situons. Séparation ne signifie pas ignorance réciproque ; nombreux sont les lieux
et les occasions de rencontre, de dialogue, tant au plan local que national. Si l’État ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte (art. 2 de la loi de 1905), il se doit d’assurer la liberté de conscience et de garantir le libre exercice des cultes (art. 1). Récemment le débat sur la laïcité est revenu sur le devant de la scène, en raison de la présence plus nombreuse de citoyens de religion musulmane et des questions posées par certaines pratiques minoritaires. Ces débats ne doivent pas stigmatiser les religions dans notre pays au risque d’aboutir à la laïcité la plus fermée, c’est-à-dire celle du refus de toute expression religieuse publique.
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Retrouvez l’intégralité du document sur www.editionsviechretienne.com
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L’Église reconnaît à tout homme le droit d’émigrer pour améliorer sa situation, même s’il est regrettable que tous ne puissent pas survivre dans leurs pays. Mais dans un monde aussi organisé que le nôtre, une régulation des migrations est nécessaire. Elle ne peut pas se réduire à une fermeture protectrice des frontières. Elle doit permettre d’accueillir au mieux ceux qui se présentent, avec respect et sérieux, et en leur offrant une vraie possibilité d’intégration.
© Herreneck / Fotolia.com
Le bien commun appelle un partage des richesses et le développement des actions de coopération.
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Chercher et trouver et trouver Dieu Dieu
« Vivre l’eglise »
© Guy Fleury / CIRIC
« Pierre, m’aimes-tu ? » demande le Christ ressuscité à celui à qui il confie l’Eglise. Toujours, dans l’Eglise, il s’agit d’une relation vivante de chacun à son Seigneur, et entre tous, de relations fraternelles au service de la vie qui se donne, au service du Royaume qui vient. Pourtant, « vivre l‘Eglise » est parfois douloureux. Revisiter notre attachement à l’Eglise invite à confier au Seigneur « ce que je veux et désire » pour son Corps, en s’ouvrant à l’essentiel, dans la gratitude pour la vie qui s’y engendre. En remettant au Christ ce qui, dans des comportements trop humains, les dysfonctionnements ecclésiaux ou des attitudes de pasteurs, nous blesse et nous éprouve ; en œuvrant courageusement et patiemment pour que l’Eglise vive mieux. Dans une attention émerveillée à tout ce qui naît, ici et ailleurs, quand la Parole est accueillie. Alors la saveur de l’Evangile se communique, pour notre joie et celle de Dieu. Et l’Esprit créateur, l’Esprit de Pentecôte renouvelle la face de la terre, avec nous, disciples et apôtres. Paul Legavre, s.j.
Témoignages Avancer avec confiance. . . . . . . . . . . . 8 Agir dans la société. . . . . . . . . . . . . . . 9 Garder le cap de la prière . . . . . . . . . 10 Se ressourcer pour vivre le quotidien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 Contrechamp Paysage de l’Eglise en France, les évolutions depuis 50 ans . . . . . . . 12
éclairage biblique L’Esprit à l’œuvre, inlassablement . . . 14 Repères ignatiens Le sens de l’Eglise selon saint Ignace. . . . . . . . . . . . . . . 16
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Pour continuer en réunion . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
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Chercher et trouver Dieu
Avancer avec confiance Baptisé depuis peu, Christophe nous livre avec fraîcheur la manière dont il avance dans et avec l’Eglise.
A
Après deux belles années de catéchuménat, j’ai reçu le baptême à Pâques 2008. J’avais 25 ans. C’est en authentique néophyte que j’ai fait mes premiers pas en communauté, à la fois dans ma paroisse mais aussi dans ma communauté locale CVX.
que j’entends d’autres chrétiens juger avec sévérité des couples divorcés à qui l’on refuse parfois la communion, alors même qu’ils devraient se sentir épaulés par la communauté. En bon néophyte, ma foi simple et libérée de toute pression familiale ou historique est centrée sur le message du Christ. Je suis entré en Eglise en 2008. Le Christ m’appelle à accepter l’Eglise telle qu’elle est de nos jours. Il m’appelle aussi à la transformer, à mon modeste niveau.
Chaque dimanche, je reçois les paroles du prêtre à l’issue du Notre Père - « Ne regarde pas nos péchés mais la foi de ton Eglise » - comme un appel à la tolérance et à l’amour. Je crois en la bonne volonté de chacun, même si l’expression de certaines idées me peine. Je suis blessé à chaque fois
Au-delà de la communauté d’hommes, je vis l’Eglise essentiellement dans mon quotidien. J’ai le sentiment de faire Eglise à chaque fois que je laisse le Christ entrer dans mon coeur. A chaque fois qu’à l’issue d’un échange professionnel ou personnel je peux me dire : « Il était avec moi ». A chaque fois que je peux rendre un service avec discrétion et humilité. A chaque fois que j’ai la force de lui dire « Parle, ton serviteur écoute ».
© Barbara Strobel
Je me suis peu à peu aperçu que je vivais l’Eglise avec une sensibilité différente de celle de nombreux autres chrétiens. Je suis parfois surpris de la colère exprimée par des chrétiens envers d’autres chrétiens. Dans l’Eglise que je vis, je ne rejette rien. Il y a bien sûr, ici ou là, des traditions, des dogmes ou encore des actualités qui ne m’encouragent pas à
m’identifier davantage à l’Eglise. Je ne reconnais par exemple pas mon Eglise lorsqu’elle ne parvient pas à faire plus de place aux femmes à un moment même ou les vocations s’essoufflent. Je ne rejette rien ni personne. J’avance avec confiance, dans l’espérance. Je n’oublie pas que mon Eglise est faite d’hommes en quête.
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Après ces quatre premières années avec le Seigneur, j’espère pouvoir grandir, accompagné par l’Eglise. J’espère demeurer assez vigilant pour ne pas vivre l’eucharistie comme une habitude mais comme une rencontre renouvelée. Christophe
Agir dans la société Jacqueline est catholique de rite romain : une minorité, parmi la minorité des chrétiens en Egypte, pays de majorité musulmane.
En Egypte, les chrétiens ne dépassent pas les 10% de la population et sont majoritairement coptes (pour la plupart orthodoxes). Les catholiques représentent seulement 2% de la population : en quelque sorte, je fais partie de la « minorité de la minorité » ! Dans ces circonstances, « vivre l’Eglise » partout et avec tout le monde n’est donc pas sans difficultés. Mais on essaie de vivre au mieux notre foi, dans la vie de tous les jours, au contact des uns et des autres. Par cette attitude, et même sans que cela soit dit, je suis sûre que la vision du Christ peut se propager. Très lentement c’est sûr, mais on vit dans l’espérance. On doit toujours essayer et avoir la volonté. J’ai dû renoncer au rêve que tous les chrétiens deviennent une seule union et un seul corps. J’aurais aimé que toutes les catégories s’unissent. Nous sommes
des chrétiens ! Personnellement, ça me gêne un peu quand on catégorise les chrétiens sous différentes appellations. Pensez-vous que Dieu soit content que catholiques, protestants et orthodoxes se repoussent pour quelque raison que ce soit ?
peuvent faire entendre leur voix, en tant que chrétiens. Jacqueline
Le Christ est venu pour nous unir et pour être un seul corps. Dommage que les tentatives faites jusqu’ici n’ont pas largement réussi, même si nous voyons des lueurs d’unité dans les initiatives d’œcuménisme, ici ou là. Ce que je vois naitre ces jours-ci c’est la prise de conscience des chrétiens. Avant, ils n’agissaient qu’au sein de l’Eglise, essentiellement. Comme s’ils n’étaient pas de vrais citoyens dans leur pays. L’Eglise avait un rôle mineur, vis-à-vis de l’extérieur et n’encourageait pas franchement les chrétiens à participer pleinement dans les activités politiques et sociales. Tous s’isolaient dans leurs petites communautés. Mais pour moi, le rôle du chrétien est aussi d’être citoyen dans son pays. Les choses commencent à bouger. J’aime entendre que la parole circule. Les chrétiens commencent à savoir que c’est leur droit d’agir, qu’ils ont leur place dans la société, comme tout autre. Qu’ils sont de vrais citoyens et qu’ils
▲ Manhari, un village où cohabitent les chrétiens coptes, orthodoxes et catholiques
© Sean Prague / CIRIC.
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Pour moi, « vivre l’Eglise », c’est essayer de vivre partout le christianisme, et tous les jours. Non pas seulement dans l’église, ou avec les amis et les proches. Non pas seulement en assistant à la messe chaque dimanche. Mais de pouvoir l’intégrer comme mode de vie.
▲ Manhari, un village où cohabitent les chrétiens coptes, orthodoxes et catholiques.
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Chercher et trouver Dieu
Garder le cap de la prière Catherine travaille dans l’Eglise depuis plusieurs années, enchaînant différentes missions. Une autre façon de vivre l’Eglise.
Partager une mission entre prêtres et laïcs se vit le plus souvent en bonne entente. Bien sûr, les conflits, les jalousies existent. J’ai perçu, en tant que femme, qu’être entendue, même si la situation était « de mon côté », n’allait pas de soi. Bien souvent l’option « Silence, pas de vague » est prise. Cependant, je remarque que cette situation évolue : la parole se libère. Je m’en réjouis ! Est-ce dû à la présence de femmes qui ont insisté pour que les conflits soient gérés ? J’ai appris à garder dans ces moments là le cap de la prière. Prière personnelle et communautaire sont essentielles pour prendre des décisions parfois radicales (un départ) et salutaires à la fois. Regarder le Christ agir, aller et venir, est devenu un des lieux d’ancrage de ma liberté.
tions, je suis parfois agacée. Bien souvent est oubliée la vocation au mariage. Ma sensibilité de femme, d’épouse, de mère est touchée. La place de la famille est pourtant fondamentale. Je suis perplexe quand je pense aux personnes qui se confient à un(e) laïc, qui n’auront pas l’occasion ou la force de le redire à un prêtre pour recevoir le sacrement de la réconciliation. Quel signe inventer pour signifier l’Amour de Dieu ? Et que d’interrogations encore ! Je dois à l’Eglise de m’avoir formée. Quelle joie de pouvoir approfondir avec d’autres sur la laïcité, des textes bibliques, des sujets plus théologiques, sans oublier la dimension spirituelle !
Quand j’entends parler des voca10 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 17
Je goûte ces formations. Par elles, je relis avec un autre regard les pratiques vécues. Oui, foi et mission sont en interaction dans ma vie. L’annonce, la réception de l’Amour de Dieu dans le monde en sont le cœur. Alors comment exprimer des points fondamentaux en mots simples avec des gestes du quotidien et toucher le cœur des personnes ? Je suis heureuse quand je vois des femmes, ici et ailleurs, au nom de leur foi, s’organiser avec d’autres pour améliorer le quotidien. Et les situations devenir plus justes. J’aime cette Eglise de l’Evangile qui s’incarne au service de l’humanité, au fil des jours. Catherine
LIRE AUSSI… LE témoignage de cécile Mal à l’aise dans sa paroisse, confrontée au divorce de ses enfants, Cécile ressent incompréhensions et souffrances vis-à-vis de l’Eglise. Elle est fatiguée de lutter. Mais la prière avec la Parole la tient en lien avec le Seigneur et elle continue d’aller porter la Bonne Nouvelle… Retrouvez l’intégralité du témoignage de Cécile sur notre site
www.editionsviechretienne.com
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C
Ce qui me plait dans mon travail, c’est la diversité des personnes rencontrées. Certaines sont engagées, d’autres plus distantes, indifférentes, ou encore opposées. Toutes ces visions de l’Eglise m’invitent à réfléchir pour comprendre les opinions de chacun. Il arrive que je sois en désaccord. Même si je garde la distance, je peux être touchée. En écoutant des ados par exemple, je me suis interrogée sur ma façon d’être maman selon l’Evangile.
Se ressourcer pour vivre le quotidien
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A 23 ans, Antoine fait partie des « jeunes cathos », dynamiques et engagés.
« Je crois que Dieu nous a placés dans ce monde pour y être heureux et pour y jouir de la vie. Mais ce n’est ni la richesse, ni le succès, ni la satisfaction égoïste de nos appétits qui créent le bonheur. Nous y arriverons tout d’abord en faisant de nous, dès l’enfance, des êtres sains et forts qui pourront plus tard se rendre utiles et jouir ainsi de la vie lorsqu’ils seront des hommes. » Ces mots, adressés aux scouts par son fondateur résonnent en moi comme un appel : en tant que chef scout mais aussi en tant que citoyen actif et heureux. Mais nous avons tous besoin d’être accompagnés. Alors le matin, le soir, une Bible est toujours posée sur ma table de nuit. Elle s’y repose peut-être un peu trop mais elle est toujours prête lorsque j’en ai besoin. Je peux m’y plonger à toute heure, parcourir un passage des évan-
giles, découvrir un récit de l’Ancien Testament. Elle me raconte des histoires et me pose des questions dans la vie de tous les jours. Je calque des événements sur des faits bibliques. Ces métaphores sont pleines de sens. Mais ces lectures ne peuvent me soustraire à la vie d’une paroisse. C’est à la messe dominicale que je viens prendre un temps pour Dieu et pour moi afin de m’apaiser hors de mon monde trop souvent tourné vers l’action. C’est ça mon Eglise : une communauté toujours prête à m’accueillir lorsque j’en ai besoin et qui me charge d’aller vivre non pas en criant le nom de Jésus sur tous les toits, mais de vivre de manière à ce que l’on me pose des questions sur cet esprit qui m’anime. A travers mes
activités, j’essaie de faire transparaître mes valeurs d’amour, de partage, de tolérance. J’ai manqué certains appels de cette communauté. J’ai beaucoup pensé à l’ordination mais les femmes et la famille ont toujours été plus fortes et je ne pense pas que ce soit ma manière de vivre l’Eglise. Diacre ? Un jour peutêtre. La question se posera dans quelques années j’imagine. Mais peu importe la manière, je n’ai qu’une seule envie, que je formulerais en empruntant de nouveau les mots de Robert Baden-Powel, fondateur du mouvement scout : « Essayer de laisser le monde un peu meilleur qu’il ne l’était quand j’y suis venu. » Antoine
© P. Razzo / CIRIC.
Je suis plusieurs fois engagé chez les Scouts et Guides de France, association d’éducation populaire catholique ET ouverte à tous. Je travaille dans un cabinet de recrutement et de communication pour les avocats. Je suis considéré comme ultra pratiquant par l’INSEE qui place le curseur à une messe par mois. J’ai trois frères, une famille soudée.
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Chercher et trouver Dieu
Paysage de l’Eglise en France
Les évolutions depuis 50 ans Le père Joël Morlet, sociologue de formation et vicaire général du diocèse de Châlons-en-Champagne, nous donne son diagnostic personnel.
L
La manière dont les catholiques pratiquants « vivent l’Eglise » a-t-elle changé depuis 50 ans et le Concile a-t-il eu un effet sur ces évolutions ? La pratique religieuse a diminué et, d’autre part, on observe un vieillissement très sensible de ceux qui participent à l’assemblée dominicale. Vatican II s’est appuyé sur un certain type de chrétiens, ceux qui avaient été façonnés par le catholicisme social et l’Action Catholique. Mais surtout le Concile a eu lieu au moment où la société occidentale était secouée par une forte crise d’identité culturelle qui n’a pas permis d’apprécier tout ce qu’apportait Vatican II. Les évêques réunis à Rome voulaient entrer en dialogue avec le monde moderne or celui-ci est devenu un monde sécularisé qui a entrainé des ruptures de la transmission dans la société toute entière. Aussi la tension avec la modernité a-telle provoqué des divisions entre les catholiques qui voulaient s’ancrer davantage dans l’Eglise et ceux qui s’en éloignaient. En
effet, une partie de ceux qui s’étaient investis dans la relation au monde sont restés fidèles à certaines valeurs du catholicisme social mais la relation à Dieu, qui était le fondement de ces valeurs, s’est estompée. D’autres, au contraire, ont eu le sentiment qu’ils risquaient de s’épuiser à travers les engagements dans la société moderne et ils ont préféré revenir à un approfondissement spirituel plus direct. Je pense en particulier à un certain nombre de femmes qui, dans les années soixante-dix, ont abandonné l’Action Catholique parce qu’elles n’y trouvaient pas le ressourcement spirituel dont elles avaient besoin. Au niveau des différences d’âge, ne sentez-vous pas un décalage entre les générations qui ont apprécié le Concile, son ouverture et son renouveau et les plus jeunes qui n’ont pas bien mesuré l’apport de Vatican II ? Oui les jeunes pratiquants ont souvent une attitude différente de celle de leurs ainés. Un béné-
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dictin, le père Patrick Prétot, fait une observation intéressante. Avec les mouvements d’Action Catholique, explique-t-il, la liturgie reprenait tout ce qui s’était passé de beau et de bien pour le magnifier. Les nouvelles générations, elles, vont aux célébrations liturgiques pour se ressourcer. En venant à la messe, les jeunes cherchent une pratique qui va ancrer les choix qu’ils font dans le domaine moral et spirituel. Pour eux la religion représente quelque chose que l’on reçoit, qui nous fonde et donne des convictions nécessaires pour vivre dans un monde changeant, incertain, en recherche. Les jeunes veulent avoir des repères sûrs pour ancrer leur identité dans la vérité. C’est parfois un point de friction avec la génération plus ancienne qui souhaite garder une certaine autonomie par rapport à l’institution ecclésiale. De fait certains pratiquants plus anciens, se perçoivent plutôt comme des chercheurs de Dieu, qui peuvent mener leur vie en
Comment se présente le paysage de ceux qui vivent activement l’Eglise aujourd’hui ? Il y a d’abord une population qui prie et pratique tout en restant ouverte au monde. C’est cette population qui anime les paroisses. Il y a aussi de jeunes familles très convaincues et plutôt traditionnelles. Elles ne sont pas nombreuses mais la religion est au cœur de leur vie et de l’éducation de leurs enfants. Il y a enfin des gens qui pratiquent de temps à autres et que l’on arrive à intéresser à l’occasion de moments forts (mariages, baptêmes, communions, obsèques). Ces personnes ne participent pas seulement par routine traditionnelle mais parce qu’elles ont le sentiment qu’à l’Eglise on peut exprimer quelque chose qu’il est difficile d’exprimer ailleurs. Elles sont heureuses que la communauté chrétienne sache les accueillir et mette en œuvre des symboles qui les touchent
© Corinne Simon / CIRIC
fonction de ce qu’ils perçoivent des appels du Christ. Souvent sensibles aux enseignements de Jésus en faveur des plus démunis, ils essayent de vivre selon l’Evangile, tout en gardant une certaine distance à l’égard de la manière dont l’Eglise est gouvernée. J’ai un ami enseignant, très impliqué dans le caritatif, qui va à la messe le dimanche et parle souvent de religion avec ses étudiants. Je lui ai demandé un jour « Tu es diacre ? » et il m’a répondu « Surtout pas ! ». Il veut rester à distance de l’institution, tout en participant à la vie de l’Eglise. Cet exemple n’est pas minoritaire. et disent des choses fortes sur l’essentiel de leur existence. Quelles évolutions percevezvous pour les années à venir ? Je pense que la demande de croyance ne baissera pas car nos contemporains se poseront toujours des questions sur le sens de leur vie. Mais ce n’est pas à l’Eglise que toutes les questions seront posées. Certains mouvements évangéliques proposent des religions émotionnelles, basées sur la performance matérielle et la guérison physique et psychique. En insistant sur la réussite psycho-spirituelle, ces groupes ne donnent pas l’espérance de la vie éternelle mais ils peuvent aider les gens à accepter leur finitude et à la gérer au mieux. D’autre part les religions d’Extrême-Orient proposent des sagesses spirituelles promettant la sérénité.
Que peut faire l’Eglise face aux attentes spirituelles de nos contemporains ? Elle doit rester elle-même. Comme vicaire général, je puis avoir la préoccupation institutionnelle de faire fonctionner toutes les paroisses comme avant. Mais je sais qu’avec la diminution du nombre de prêtres, nous n’y arriverons pas. Alors comment assurer l’avenir de l’Eglise ? Je crois qu’il faudra passer d’une couverture territoriale par quadrillage à une présence par pôle où des gens seront reliés entre eux pour vivre l’Evangile en union avec Jésus-Christ, s’accueillir les uns les autres et rester ouverts au monde extérieur. Ces pôles, où seront nommés les prêtres, pourront se constituer dans le cadre de paroisses, de mouvements ou d’associations. Propos du père Joël Morlet,
recueillis par
Yves de Gentil-Baichis Mai 2012 13
Chercher et trouver Dieu
L’Esprit à l’œuvre, inlassablement 01 Les Apôtres et les frères qui étaient en Judée avaient appris que les nations païennes elles aussi avaient
reçu la parole de Dieu. 02 Lorsque Pierre fut de retour à Jérusalem, ceux qui venaient du judaïsme se mirent à discuter avec lui : 03 « Tu es entré chez des hommes qui n’ont pas la circoncision, et tu as mangé avec eux ! » 04 Alors Pierre reprit l’affaire depuis le début et leur exposa tout en détail : 05 « J’étais dans la ville de Jaffa, en train de prier, et voici la vision que j’ai eue dans une extase : c’était un objet qui descendait. On aurait dit une grande toile ; venant du ciel jusqu’à moi, elle se posait par les quatre coins. 06 Fixant les yeux sur elle, je l’examinai et je vis les quadrupèdes de la terre, les bêtes sauvages, les reptiles et les oiseaux du ciel. 07 J’entendis une voix qui me disait : ‘Allons, Pierre, immole ces bêtes et mange-les !’ 08 Je répondis : ‘Certainement pas, Seigneur ! Jamais aucun aliment interdit ou impur n’est entré dans ma bouche.’ 09 Une deuxième fois, du haut du ciel la voix reprit : ‘Ce que Dieu a déclaré pur, toi, ne le déclare pas interdit.’ 10 Cela recommença une troisième fois, puis tout fut remonté au ciel. 11 Et voilà qu’à l’instant même, devant la maison où j’étais, survinrent trois hommes qui m’étaient envoyés de Césarée. 12 L’Esprit me dit d’aller avec eux sans me faire de scrupule. Les six frères qui sont ici m’ont accompagné, et nous sommes entrés chez le centurion Corneille. 13 Il nous raconta comment il avait vu dans sa maison l’ange qui venait lui dire : ‘Envoie quelqu’un à Jaffa pour convoquer Simon surnommé Pierre. 14 Il t’adressera des paroles par lesquelles tu seras sauvé, toi et toute ta maison.’ 15 Au moment où je prenais la parole, l’Esprit Saint s’empara de ceux qui étaient là, comme il l’avait fait au commencement pour nous. 16 Alors je me suis rappelé la parole que le Seigneur avait dite : ‘Jean a baptisé avec de l’eau, mais vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés.’ 17 S’ils ont reçu de Dieu le même don que nous, en croyant au Seigneur Jésus Christ, qui étais-je, moi, pour empêcher l’action de Dieu ? » 18 En entendant ces paroles, ils se calmèrent et ils rendirent gloire à Dieu, en disant : « Voici que les païens eux-mêmes ont reçu de Dieu la conversion qui fait entrer dans la vie.
ACTES 11, 1-18
(Traduction AELF)
Très vite, l’Eglise primitive a été confrontée à des questions importantes, suscitant des débats et provoquant des divisions. Il est bon de relire et de prier les Actes des Apôtres. L’Esprit y est à l’œuvre, malgré les résistances, pour une Eglise ouverte au monde. L’épisode de la rencontre improbable entre Pierre et le centurion Corneille et le tournant décisif que Pierre va faire prendre à la communauté chrétienne de Jérusalem en l’ouvrant au monde païen nous enseigne sur la façon dont 14 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 17
l’Esprit travaille sans relâche au cœur de l’Eglise, inspirant à des croyants des démarches, des paroles, des rencontres inédites d’ouverture. Au début du chapitre 11, Pierre de retour à Jérusalem est sommé par ses frères de justifier
© Ateliers et Presses de Taizé
sa conduite à Césarée. Ils lui reprochent d’avoir transgressé la loi en mangeant avec des non-juifs (v. 3). Pierre relit alors avec eux son aventure et son propre cheminement spirituel qui l’a conduit à baptiser le centurion Corneille.1 Alors qu’il est en prière, Pierre a une vision (v. 5-10) où une voix divine lui enjoint de manger des animaux impurs. Pierre clame les interdits de la loi juive pour s’y refuser. Mais la voix reprend : « Ce que Dieu a déclaré pur, toi, ne le déclare pas interdit ». Pierre ne comprend pas le sens de ces paroles, mais, sous l’action de l’Esprit, il accepte d’accueillir chez lui les envoyés de Corneille, puis de les suivre chez le centurion (v. 11-12). Notons la confiance avec laquelle Pierre s’est lancé dans l’aventure proposée par Dieu, sans se crisper sur ses convictions, et sans savoir exactement où Dieu voulait le conduire. Pierre s’est mis en route pour aller chez Corneille et Corneille sort de sa maison pour l’accueillir. L’Esprit les pousse l’un vers l’autre, mais ils en ignorent encore la raison. C’est en conversant ensemble, sous l’action de l’Esprit, chacun racontant à l’autre sa vision, que Pierre découvre peu à peu le projet universel de Dieu pour son Eglise. L’effusion de l’Esprit sur Corneille et les siens, à la stupéfaction de Pierre, va achever de le convaincre d’ouvrir l’Eglise à ces non-juifs en les baptisant (v. 15-17). « Qui étais-je moi, pour empêcher l’action de Dieu ? » déclare Pierre à ses contradicteurs de Jérusalem jusqu’ici repliés sur leurs attaches judaïques. Et leurs préjugés à leur tour sont balayés par l’Esprit les ouvrant à l’universel, dans une action de grâce émerveillée (v. 18). A l’occasion du cinquantenaire de Vatican II, retrouvons l’élan apostolique d’ouvrir notre Eglise à tous nos contemporains, osons exercer notre charisme ignatien de la conversation spirituelle. Monique du Crest,
▲ Colombe de l’Esprit Saint, Vitrail de Pentecôte, église de la Réconciliation à Taizé.
POUR PRIER… + Me représenter la scène : Pierre vient rendre des comptes à ses frères de Jérusalem dans une Eglise divisée.
+ Demande de grâce : me laisser dépla-
1. Pour mieux comprendre l’aventure de Pierre, relire le chapitre 10 précédent.
cer par l’Esprit pour qu’à mon tour j’annonce la Bonne Nouvelle le plus largement possible.
+ Considérer la confiance en Dieu chez Pierre et le désir de Dieu chez Corneille. Réfléchir en moi-même sur des situations humaines analogues que je suis amené à vivre, et en tirer quelque profit.
+ Considérer l’ingéniosité de l’Esprit qui inspire des comportements inédits. Lui demander d’adopter son regard aimant sur notre monde et sur notre Eglise afin d’oser une parole, un geste prophétique.
+ Terminer en demandant à Marie – Mère de l’Eglise – d’avoir le sens de l’Eglise de notre temps.
Equipe service formation
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Chercher et trouver Dieu
Le sens de l’Eglise selon saint Ignace Saint Ignace a aimé l’Eglise, Epouse du Christ, malgré les « contre-témoignages » de ses responsables en son temps. Comment la tradition ignatienne peut-elle éduquer et nourrir notre sens de l’Eglise ?
L
L‘itinéraire d’Ignace le conduit de Jérusalem à Rome. L’imitation du Christ au plus près va se réaliser dans la mission reçue. Aussi, une fois qu’il a reçu la charge de supérieur général, le principal souci d’Ignace sera-t-il de constituer la Compagnie de Jésus comme un corps apostolique reconnu par le Pape. Il ne s’agit pas de partir à l’aventure, mais bien de recevoir une mission, dans l’Église. D’où plusieurs approbations successives de l’Ordre naissant, ainsi que des Exercices spirituels, données par les papes.
Pourtant, elle n’était pas toujours très belle, l’Église de ce temps, par le témoignage que donnaient bon nombre de ses responsables, pape, évêques, prêtres, religieux, menant souvent une vie peu conforme à leur vocation et à leur mission. Quel qu’ait été le comportement scandaleux de plusieurs papes, cela n’empêche pas Ignace de reconnaître en eux ceux qui tiennent la place de Jésus-Christ notre Seigneur et de recevoir d’eux la mission apostolique. C’est en restant à l’intérieur de l’Église, sainte et pécheresse à la fois, qu’il veut servir et travailler à la « réforme de la chrétienté », et non en en sortant comme Luther.
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Règles pour le sens vrai que nous devons avoir avec l’Église
Ignace en marche vers Jérusalem
On trouve, tout à la fin du livret des Exercices spirituels, dix-huit règles pour « le sens vrai que nous devons avoir avec l’Église militante ». Elles ont été rédi-
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16 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 17
gées plus tardivement que le reste des Exercices, quand Ignace était à Venise et à Rome, au contact avec certaines tendances luthériennes. Voici deux de ces règles. « Dixième règle. Nous devons être tout prêts à approuver et à louer aussi bien les décrets et les ordonnances de ceux qui nous sont supérieurs que leur conduite. Ils peuvent parfois ne pas en être dignes ou ne pas l’avoir été, mais les critiquer, soit dans la prédication publique, soit dans les conversations devant les gens simples, ferait naître plus de murmure et de scandale que de profit. Car le peuple s’indignerait contre ses supérieurs, soit temporels, soit spirituels. Ainsi, si l’on fait du mal en critiquant devant les gens simples les supérieurs absents, il peut être profitable, par contre, de parler de cette conduite mauvaise aux personnes mêmes qui peuvent y porter remède. » (ES 362). Cette règle est toujours d’actualité. En dénonçant le mal, il faut
« Treizième règle. Pour toucher juste en tout, il faut toujours être prêt, devant ce que, moi, je vois blanc, à croire que c’est noir, si l’Eglise hiérarchique le décide ainsi. Car nous croyons qu’entre le Christ notre Seigneur, qui est l’Époux, et l’Église son Épouse, il y a un même Esprit qui nous gouverne et nous dirige pour le bien de nos âmes. C’est ce même Esprit et Seigneur, en effet, lui qui nous a donné les dix commandements, qui dirige et gouverne notre sainte Mère l’Église ». (ES 367). « La première partie de cette règle reprend, pour le contredire, le propos d’Erasme : « le blanc ne serait pas noir si le pontife romain en décidait ainsi » (qui ajoute : « ce que je sais qu’il ne fera jamais), mais en en déplaçant la portée : non plus ce qui est blanc ou noir, mais ce que je vois blanc ou noir. Est ici en question non pas le réel, mais
l’appréhension du réel par un esprit humain, donc faillible. »1 Il ne s’agit donc pas de renoncer à sa raison, ni à sa conscience. Cette règle paradoxale est plutôt à comprendre comme l’invitation à renoncer à son propre raisonnement, à se tenir dans une attitude d’humilité, toujours à la recherche de la vérité. Conscient que je ne suis pas le propriétaire de la vérité, surtout dans le domaine pratique, j’accepte de me laisser conduire par Dieu dans l’obéissance. Quand les juges de Jeanne d’Arc, voulant la faire trébucher, lui demandent si elle croit en Jésus-Christ ou en l’Eglise, elle répond : « De JésusChrist et de l’Église, m’est avis que c’est tout un, et qu’il n’en faut pas faire difficulté. »
L’obéissance dans l’Eglise implique la liberté spirituelle Ce n’est pas l’obéissance d’un esclave. C’est en pleine liberté intérieure que le fils de l’Eglise obéit, sans renoncer en rien à sa lucidité et à son esprit critique, sans se croire non plus dispensé de son devoir d’informer l’autorité supérieure chaque fois que cela peut être utile. Cette obéissance libre dans l’Eglise peut parfois être vécue dans une certaine tension : Ignace a manifesté une très ferme opposition au pape qui souhaitait que l’un des jésuites éminents de l’époque,
© Barbara Strobel
bien regarder auprès de qui on le fait, et de voir quelles vont en être les conséquences. Les crimes comme la pédophilie doivent être signalés à l’évêque et à la justice de notre pays. Mais est-il bon de jeter au public, par exemple dans la presse, certaines histoires qui renforceront des non-chrétiens dans leur position de rejet de l’Église ? Qui dirait du mal de sa mère en public, même s’il connaît ses faiblesses et ses torts ? Par contre, le courage d’aller informer ceux qui sont responsables et peuvent porter remède est une bonne chose.
François de Borgia, devienne cardinal. Et le pape n’a pas insisté… Plus tard, accède au pontificat un homme qui s’était opposé à la fondation de la Compagnie, Gian Pietro Carafa, sous le nom de Paul IV. « A cette nouvelle, raconte Gonçalvez, Ignace éprouva une vive commotion et altération du visage et, comme je le sus plus tard, tous ses os furent ébranlés. Il se leva sans dire un mot et entra dans la chapelle pour faire oraison ; et peu après il en sortit, aussi joyeux et content que si l’élection était conforme à son désir » (Mémorial, n° 93).
1. Commentaire de Jean-Claude Guy, dans sa traduction des Exercices spirituels, Points Sagesse, Seuil, 1982, p. 173.
Jacques Fédry, s.j. Extrait du chapitre « Le sens de l’Eglise », du livre Libre pour se décider.
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Chercher et trouver Dieu
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« Le sens vrai que nous devons avoir avec l’Eglise », aujourd’hui
Nous pouvons travailler en communauté locale dans ce même esprit ignatien, en formulant en-
semble un contenu juste pour les règles suivantes : • Participer à la vie paroissiale • Ne pas nous laisser décourager devant les faiblesses des hommes d’Église • Ne pas critiquer publiquement l’Eglise • Savoir travailler en lien avec les évêques et les services diocésains.
Jacques Fédry a passé près de 25 ans au Tchad. Il a ensuite enseigné l’anthropologie linguistique à l’Université Catholique de Yaoundé pendant onze ans. Depuis 2008, il est supérieur de la communauté jésuite de Ouagadougou. Il est l’auteur de L’homme, c’est la parole, Anthropologie de la parole en Afrique, Karthala. Il a été assistant national de la CVX au Cameroun et accompagne encore aujourd’hui une communauté CVX au Burkina Faso (voir p. 36).
Pour continuer en réunion
1. « Pour un rendez-vous » : recueil de canevas de réunion, par thèmes. Document de la CVX France en vente (3€) au secrétariat.
Des pistes pour un partage : • Quand je parle de l’Eglise, de quoi est-ce que je parle ? Contre quels regards réducteurs je dois lutter ? Comment j’essaie d’approfondir la réalité complexe et riche de l’Eglise ? Avec quelles lectures ? Par quelles rencontres ? • Comment je vis mon appartenance à l’Eglise ? Quelles expériences d’Eglise j’ai faites ? Qu’est-ce qui me fait vivre et qu’est-ce qui m’est difficile à vivre ? Qu’est ce que j’ai reçu d’elle ? et qu’est-ce que je lui donne ? • Quand je regarde ce qui se vit en Eglise, qu’est-ce qui me réjouit ? Qu’est-ce qui m’attriste ? A quel rêve j’ai dû renoncer ? Qu’est-ce que je vois naître qui me fait espérer ? Voir dans le document « Pour un rendez-vous »1, la fiche p 22 « En CVX et en Eglise » Des livres pour approfondir : • Michel Rondet, s.j. L’Esprit, espérance d’une Eglise en crise. DDB 2011 • Joseph Moingt, s.j. Croire quand même. 2011 • Bernard Sesbouë, s.j. L’Evangile et la Tradition. DDB 2010
Acheter des livres Maintenant c’est plus facile avec la Boutique en ligne. Juste quelques clics sur www.editionsviechretienne.com 18 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 17
Le Babillard © B. Strobel
« ENSEMBLE POUR L’EUROPE »
Vivre l’Alliance avec Dieu
Rassemblements à Bruxelles et dans plus de 150 villes d’Europe
en son corps qui est l’Eglise
Lundi 27 août (19h) au samedi 01 septembre (9h) • 4 jou rs
Retraite animée par Mgr Gérard Defois Entre avec Vatican II, et des textes de Benoît XVI dans l’âme et la logique d’un e Eglise peuple de Dieu, itinérante dans une société de consommation et de communication.
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Le 12 mai 2012
oliques, protestants, anglicans et Pour la 3e fois, des chrétiens : cath munautés ou mouvements - dont la orthodoxes, appartenant à 250 com mble de leur volonté d’être partie ense CVX, s’unissent pour témoigner rope et de lui apporter leurs valeurs prenante de la construction de l’Eu communes de fraternité et d’unité.
Renseignez-vous sur les rencontres organisées près de chez vous ! urleurope.fr Pour plus d’infos : www.ensemblepo
La politique une bonne nouvelle Du 29 au 26 août 2012 Au Centre spirituel La Baume, Aix-en-Provence (13) • 18-35 ans jeunes chrétiens le Une semaine pour éveiller chez les t de s’y investir. La désir d’agir en politique et le goû nces, forums, ateliers semaine s’articule autour de confére de rencontres avec ps Tem et échanges en petits groupes. temps de relecture es, tiqu poli mes des femmes et des hom et temps de prière.
PENBOC’H
JEUNES PROFESSIONNELS • 25 à 35 ans Session-Retraite : du 16 août (11h30) au 26 août 2012 (9h) Centre Spirituel jésuite au bord du golfe du Morbihan (56)
Avec d’autres, avancer au large à l’écoute de la Parole
Trois jours de session pour : Relire sa vie professionnelle, affective et relationnelle, en société et en Eglise, Puis cinq jours de retraite pour : Apprendre à prier et enraciner sa foi dans l’évangile, Une dernière journée pour : Recueillir les fruits et ouvrir l’avenir. Une démarche avec accompagnement personnel, partagée en équipe et vécue en Eglise. Animée par une équipe de laïcs, prêtres, jésuites et religieuses ignatiennes.
Plus d’infos sur : www.jp-penboch.info Contact : penbochjp2012@gmail.com
Contact : 01 44 39 48 36 politiquebonnenouvelle@gmail.com www.politiquebonnenouvelle.eu
Heureux ceux qui œuvrent pour la justice
Session de 2 jours – Du samedi 2 juin à 10h au dimanche 3 juin à 17h – Coût : 82 e/personne
Une proposition pour ceux qui agissent – à titre professionnel ou bénévole – dans le monde de la justice : un temps pour s’arrêter, écouter, parler, partager, relire, prier, échanger, sous le regard de Dieu, en liberté et en confiance.
Animé par François Euvé, s.j., Charles-Louis Vier, Antoine de Maupeou et Anne Gailly, CVX
Plus d’infos sur : www.st-hugues-de-biviers.org Faire envoyer la Revue à des amis, pourquoi pas vous ? C’est facile.
Juste quelques clics sur www.editionsviechretienne.com Mars 2012 19
Se former
Prier avec mon intelligence
« La prière n’est-elle pas silence de la rencontre ? Ne culmine-t-elle pas dans l’adoration où l’esprit se perd là où il n’y a plus de mots ni discours ? Heureux qui arrive à ce terme, pourvu qu’il sache redescendre et retrouver les hommes et lui-même ». Dans ce deuxième volet, Jean-Claude Dhôtel nous introduit à une manière de prier avec son intelligence, qui « peut et doit s’exercer », dans la double démarche, « celle de l’aller et du retour » et « dans sa double fonction : comprendre et juger ».
P
Passés au crible de l’intelligence humaine, les textes de l’Ecriture se répartissent en deux catégories : ceux qui paraissent trop simples et ceux qui sont obscurs. D’un côté, la majeure partie des Synoptiques ; de l’autre, la majeure partie de saint Jean et de saint Paul. Avec les seconds du moins, on sait qu’il faut chercher à comprendre, même si l’effort n’est pas couronné de succès. Mais que faire avec les premiers, avec ces textes d’Evangile tellement connus, tellement limpides ? On se trouve « tout bête » devant eux. On se met à disséquer le texte, à le presser comme une orange, à se creuser la tête, à se demander : « Qu’est-ce que je vais bien trouver de nouveau pour me donner l’air d’être intelligent ? » L’ennui dans la prière naît souvent de ce qu’on n’y trouve plus rien de nouveau.
Est-ce bien de cette manière que doit s’exercer l’intelligence de celui qui prie ? « Intelliger », si le verbe était français, voudrait dire relier les choses par l’intérieur, relier ce qu’on sait à ce qu’on découvre, et comprendre, c’està-dire prendre ensemble le tout. Le texte isolé ne suffit pas. Une page d’Evangile, prise isolément, risque d’être interprétée dans un sens aberrant, si elle n’est lue et méditée à la lumière de la foi qui est un tout. Une page d’Evangile, c’est un signe qui nous est fait et qui renvoie à autre chose. Eh bien, le travail de l’intelligence dans la prière consiste à relier ce signe à la réalité, une réalité que nous n’avons pas à inventer par l’activité de notre génie créateur, mais qui nous est donnée et que nous avons à recevoir. Dire que l’intelligence doit être humble, ce n’est pas la minimiser. C’est lui permettre au contraire d’avancer.
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C’est l’humilité de l’enfant qui demande « pourquoi ? » Un exemple devrait éclairer cette démarche. Essayons de voir, dans l’évangile de Noël, comment l’intelligence de celui qui prie peut être ainsi conduite, si elle se laisse conduire, à partir du visible, à aimer ce qui est invisible. Regardons ce qui est : « Un nouveau-né enveloppé de langes et couché dans une crèche ». Si le spectacle nous est trop familier, si nous ne voulons pas nous faire un cœur et des yeux d’enfants, alors, il est bien probable que la prière tourne court. Et ce n’est pas intelligent ! Un enfant est plus perspicace. Il regarde, il s’émerveille et puis, il se tourne vers ses parents et demande « Pourquoi ? » Si, à chaque fois que nous prions sur une page d’Evangile, nous avions ce réflexe de nous demander « pourquoi ? », il est sûr que nous irions de clarté
Bien des attitudes crispées et bien des refus douloureux s’expliquent par des erreurs d’interprétation. On isole une page ou deux, une parole du Christ, qui devient une citation, et on la brandit comme une arme ou bien on s’y heurte violemment : « ce qui est demandé là est impossible ! », oubliant que l’Evangile est une Bonne Nouvelle. Pour recevoir ce sens ultime, il faut écouter la parole de Dieu qui nous le révèle. Il faut lire l’évangile de Noël à la lumière d’autres textes qui l’éclairent, en demeurant disponibles pour écouter l’ensemble de la Révélation qui est contenu en lui. Les Béatitudes en premier lieu. Et saint Paul, traduisant ce mystère : « Lui qui était de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’anéantit lui-même prenant la condition d’esclave et devenant semblable aux hommes » (Philippiens 2, 6-9). Révélation qui nous conduit
au mystère de Jésus, Fils du Père, dont la crèche est le signe. Que de fois, dans saint Jean, Jésus ne répète-t-il pas que le Fils ne dit rien, ne fait rien, qu’il n’entend dire ou ne voit faire par le Père. C’est cela, la pauvreté de Noël. Le dénuement n’est qu’un signe qui pourrait être trompeur si nous lui donnions le sens exclusif d’une complaisance dans la misère et, à la limite, d’un orgueil de posséder la pauvreté. Ce que révèle cet évangile, éclairé par tout l’Evangile, c’est en définitive la pauvreté de Dieu. Le Fils n’est rien sans le Père, le Père n’est rien sans le Fils, l’Esprit n’est rien sans le Père et le Fils, puisqu’Il est leur amour commun. Mais leur pauvreté, c’est de donner tout. De se donner, sans rien retenir, l’un à l’autre ; de se donner, sans réserve, à l’humanité. L’intelligence humaine est discursive, son exercice est un cheminement qui va du plus connu et qui rassemble, comprend, à mesure qu’elle progresse, tout ce qu’elle a assimilé. Lorsqu’elle participe à l’activité de celui qui prie, elle ne s’exerce pas d’une autre manière. Simplement, elle se laisse conduire à la lumière de la foi. Et ce qu’elle découvre,
ce n’est pas elle qui l’a construit, elle n’a fait que le recevoir. Et c’est à la fin de son « discours » qu’elle comprend que, dans toute cette démarche, elle saisissait moins qu’elle n’était saisie, elle raisonnait moins qu’elle n’était conduite jusqu’à ce terme lumineux où toute entière prise, elle se tait et adore. Elle peut alors revenir à ellemême et porter un jugement qui n’est plus le sien, mais le jugement de Dieu. Jean-Claude Dhôtel, s.j. † Extrait du chapitre « Prier avec mon intelligence », du livre Voir tout en Dieu, chercher Dieu en tout
Jean-Claude Dhôtel s.j., décédé brusquement fin 1992, fut longtemps directeur de la revue Vie Chrétienne et accompagnateur spirituel de la CVX, avant de diriger le département Spiritualité du Centre Sèvres à Paris.
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d
A une condition cependant : que nous ne fabriquions pas la réponse nous-mêmes, qu’elle nous soit donnée. Autrement, il y a toute chance que nous nous engagions sur des fausses pistes. En effet, nous venons à la prière avec ce que nous sommes, notre tempérament, nos préjugés. Et nous aurions tôt fait d’y appliquer notre intelligence et, par suite, d’interpréter l’Evangile à notre manière.
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en clarté et que les textes les plus connus et les plus limpides nous découvriraient des tas de choses nouvelles.
Mai 2012 21
Se former
Au service de la vie politique locale Unifier sa vie, essayer de vivre en cohérence avec sa foi, mettre dans les faits son désir de louer, respecter et servir Dieu… est depuis longtemps un chemin sur lequel Michel s’est engagé. Mais comment et où traduire concrètement cette aspiration ? Le désir de servir, il l’a d’abord vécu dans la vie associative, sous différentes formes, mais avec une relative insatisfaction. C’est ensuite dans l’engagement dans la vie politique locale comme élu municipal, que ce service a pris toute son ampleur.
J
J’eus durant une première période en responsabilité la gestion d’un établissement municipal mis en cogestion associative, situé dans un quartier dit pudiquement « sensible » - en un autre terme, notre banlieue à nous. Ce fut la rencontre avec de multiples associations, un mélange de personnes originaires de nombreux pays, la découverte de toute une vie de quartier avec ses richesses mais aussi ses problèmes liés aux conditions de vie difficiles pour beaucoup. Sans parler d’un contexte politique tendu, tension liée entre autre à la fermeture par décision municipale d’une maison des jeunes. Même si cette décision pouvait se justifier, je ne m’associais pas à la façon brutale dont elle fut prise, sans aucune concertation préalable. La mission de travailler à de nouveaux projets pour les jeunes et pour la vie culturelle me fut alors confiée. Commença une longue période d’un travail difficile. Combien de fois ai-je repris
ces paroles : « Seigneur apprendsmoi tes volontés, montre-moi tes chemins… » (Psaume 25). Aller à la rencontre des autres, accueillir, écouter, accepter la différence, donner à chacun sa place, aborder les rencontres en apprenant au groupe l’écoute et le respect mutuel, être l’interface entre les habitants et la municipalité… Cette période fût pour moi une grande leçon d’humilité ; l’occasion d’apprendre à recevoir l’autre et d’apprendre à recevoir de l’autre. Ces paroles de l’Ecriture m’ont nourri et me nourrissent encore : « Je t’ai appelé par ton nom, Je suis Yahvé ton Dieu, tu comptes beaucoup à mes yeux, tu as du prix et Je t’aime » (Isaïe 43). Non pas tant parce que je savais que cet amour m’était offert mais je réalisais concrètement qu’il était offert à tous celles et ceux que je rencontrais. Difficile aussi a été de vivre ma position d’élu avec ce qu’elle pouvait avoir d’officielle et mon souci d’une relation vraie avec chacun. Temps
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de désolation mais aussi temps de consolation lorsqu’après des mois de travail avec les associations et les habitants, les projets présentés furent votés à l’unanimité par le conseil municipal. Oui Dieu était à l’œuvre et je sentis que sans sa présence je n’aurais jamais eu le courage d’assumer jusqu’au bout cette mission. Puis me fut confiée la responsabilité de co-gérer avec l’Etat la politique de la Ville, c’est-à-dire l’ensemble des aides financières apportées aux villes qui ont des quartiers difficiles. Je fus alors confronté à d’autres situations, d’autres interrogations : dans un budget contraint, sur quelles thématiques et avec quels critères établir les priorités de financement ? Et comment les défendre auprès des services de l’Etat ? Dur apprentissage du discernement : non pas de choisir entre un bien et un moins bien mais souvent entre deux biens. Deux convictions se forgèrent
Dix-sept années de vie municipale m’ont beaucoup appris. Elles m’ont fait connaître très concrètement notre société, les nombreuses difficultés que vivent beaucoup de nos concitoyens : vies de souffrance, de chômage, d’isolement, de manque affectif, de grande précarité, de peur du lendemain. Il y a un fossé considérable entre connaître les choses de l’extérieur, au travers
d’informations et les connaître en pouvant mettre un visage et un nom sur toutes ces vies de galère. La relecture de ces années me montre que le Seigneur est là à l’œuvre même si j’ai souvent bien du mal à le voir. Je rends grâce pour toutes les rencontres que j’ai vécues, qui m’ont aidé et m’aident encore à vivre davantage ce « voir tout en Dieu et chercher Dieu en tout » (JC Dhôtel, s.j.). Marcher à la suite du Christ est suivre un chemin difficile, semé d’embûches, mais confiant je veux dire « Je mets mon espoir dans le Seigneur, je suis sûr de sa parole » (Psaume 130). Michel Verdier, Membre CVX
Rencontre dans une maison de quartier
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Actuellement en charge de l’action sociale sur notre ville, je garde les mêmes objectifs : lutter contre les conséquences de la précarité que je constate de façon criante, en essayant de mettre en application dans mes choix le PG 4 « Travailler pour la justice par une option préfé-
rentielle pour les pauvres ». Cela n’est jamais facile. Il me faut parfois beaucoup d’opiniâtreté pour faire accepter mes choix à une équipe municipale aux sensibilités multiples et dans laquelle l’action sociale n’est pas la priorité pour tous…
© Corinne Simon / Ciric
alors en moi : le fait d’orienter mes décisions sur le choix des dispositifs touchant le plus grand nombre (« Le bien est d’autant plus divin qu’il est plus universel » – Constitutions 622) et sur le choix des aides apportées aux personnes en grande précarité leur permettant de se reconstruire, et de retrouver le courage de reprendre une vie sociale.
Mai 2012 23
Se former
La foi d’Abraham « Le juste vivra de la foi. » On pourrait traduire : la confiance est la vie de l’âme, car elle nous « ajuste » à l’amour que Dieu a pour nous. C’est en elle que nous trouvons le fondement et le but de notre existence. Foi, confiance, fidélité, fiançailles, et encore finance, fiable : ces mots qui sentent bon la promesse et la fermeté d’une parole donnée sont bâtis sur la racine « fi » qui dans la langue de la Bible désigne la solidité : « Tu es mon roc, ma citadelle, mon Dieu dont je suis sûr ! »
La foi qui appelle Un jour, un homme se mit en route, quittant son horizon familier, en s’appuyant sur cette parole venue du plus profond de son être : « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père pour le pays que je t’indiquerai. Je ferai de toi un grand peuple, je te bénirai… et par toi se béniront toutes les nations de la terre » (Genèse 12,1). Ainsi commence l’histoire d’Abraham, le père de notre foi. Au sein d’un peuple idolâtre, il adorait déjà le Dieu du Ciel, prenant ses distances à l’égard des aberrations du polythéisme. Le Créateur du ciel et de la terre lui avait donné d’autres yeux, un autre cœur, l’espérance d’un monde réconcilié. Mais voici qu’il se révélait à lui comme une personne vivante, comme un ami qui parle à son ami, et lui ouvrait un immense horizon.
C’est sur la foi en cette promesse qu’il partit, abandonnant ses assurances et ses raisonnements, sans savoir où il allait, s’appuyant sur la seule parole du Seigneur, son Dieu : « C’est parce qu’il ne savait pas où il allait qu’Abraham savait être dans la bonne voie, dira Grégoire de Nysse, car il était sûr ainsi de ne pas se conduire par les seules lumières de sa propre intelligence, mais d’être conduit par la volonté de Dieu. » Et Abraham partit, de campement en campement, vivant sous la tente comme un étranger et un voyageur sur la terre. Plein d’espérance, il crut « sans avoir reçu l’objet des promesses, mais pour l’avoir vu et salué de loin » (Hébreux 11,12). Car c’était bien plus qu’une récompense terrestre qu’il attendait, pressentant les réalités invisibles, une patrie meilleure. Il partit donc, avec Sara sa femme stérile et son neveu Lot devenu orphelin, animé d’une liberté qui révèle chez cet homme de 75 ans une étonnante jeunesse d’esprit, « comme un jeune homme plein de sève et libre de ses mouvements » (Jean Chrysostome), laissant derrière lui les idoles et les villes de Mésopotamie avec leur confort et leur corruption. « Je ferai de toi un grand
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peuple ! » L’appel de Dieu n’a rien d’un projet individualiste, fut-il de perfection religieuse. D’emblée, Abraham sait qu’il est choisi comme instrument du salut de tous et que, si sa race est bénie, c’est pour que toutes les familles de la terre soient bénies en elle. N’est-ce pas cette bénédiction que Marie, fille d’Israël, reprit à son compte et au nôtre : « Toutes les générations me diront bienheureuse, car sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur tous ceux qui le craignent » ? Oui, c’était aussi nous tous que cette voix appelait : « Déjà nous sommes sortis de cette manière de vivre païenne qui était la nôtre, dira saint Justin. Avec Abraham, nous hériterons de la terre sainte, nous recevrons l’héritage pour l’éternité, parce que nous avons la même foi. »
La foi qui justifie Après être descendu en Egypte pour fuir la famine, Abraham remonta au Négeb, là où il avait d’abord dressé sa tente. Lot, qui l’accompagnait, avait aussi gros et petit bétail, et le pays ne suffisait pas pour deux, au point qu’une dispute s’éleva entre les pâtres d’Abraham et ceux de Lot. Abraham lui dit : « tout le pays n’estil pas devant toi ? Sépare-toi de
© Claire Benêteau et Brice Abbad
moi. Si tu prends la gauche, j’irai à droite, si tu prends la droite, j’irai à gauche. » Lot choisit les riches pâturages de la vallée du Jourdain, Et Abraham s’établit à Hébron, au chêne de Mambré, où il érigea de nouveau un autel au Seigneur. Il resta fidèle à sa vie solitaire et frugale, parce qu’il préférait la paix aux avantages matériels. Et Dieu le bénit : « Je rendrai ta postérité aussi nombreuse que la poussière de la terre » (Genèse 13,14). C’est alors qu’intervient ce dialogue émouvant : « Mon Seigneur Dieu, que me donnerais-tu ? Je
m’en vais sans enfant. Voici que tu ne m’as pas donné de descendance et qu’un des gens de ma maison héritera de moi. » Le Seigneur lui répondit : « Celui-là ne sera pas ton héritier, mais bien quelqu’un issu de ton sang. » Il le conduisit dehors et lui dit : « Lève les yeux au ciel et dénombre les étoiles si tu peux. Telle sera ta postérité. » Abraham crut dans le Seigneur, qui le lui compta comme justice. Et le Seigneur scella sa promesse dans le sang de l’alliance en passant, comme un brandon de feu, entre les animaux partagés du sacrifice. Saint
Paul reprendra l’expression dans l’épître aux Romains : « Le juste vivra de la foi : Abraham crut en Dieu, et ce lui fut compté comme justice. A qui fournit un travail, le salaire n’est pas compté comme une grâce, mais c’est un dû. Mais lorsque, sans faire aucun travail, on croit simplement en celui qui justifie l’impie, c’est la foi qui vous est alors comptée comme justice » (Romains 4,2-4). La nouvelle et éternelle Alliance, fondée sur le sang même de Jésus, sera l’accomplissement définitif des promesses faites au patriarche.
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seul juste s’offrant lui-même pour la multitude.
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© LawrenceOP / Flickr
L’épreuve de la foi
Claude Flipo est jésuite. Il a été rédacteur en chef de la revue Christus et aumônier de prison. Il a publié Jésus, maître de vie (Salvator, 2010), ou encore Invitation à la prière, aux éditions Vie Chrétienne.
Le sacrifice d’Isaac
Puis c’est la visite au chêne de Mambré des trois hommes auxquels Abraham offre spontanément l’hospitalité comme une grâce qui lui est faite ; c’est l’annonce de la naissance d’Isaac et le rire de Sara, visite qui inspira à Roublev la fameuse icône de la Trinité ; c’est enfin l’intercession d’Abraham en faveur des habitants de Sodome et Gomorrhe, l’une des plus surprenantes conversations de l’histoire du salut. Abraham, fort de la promesse que par lui se béniront toutes les nations de la terre, se conduit comme un père au cœur immense qui se sent responsable de ces païens. Dans son marchandage, il n’osa pas aller au-delà de dix justes. Comment s’en étonner ? Cela était réservé au Fils unique,
L’enfant grandit et fit la joie de ses parents, lui dont le nom signifie « que Dieu sourit ». Mais le Seigneur éprouva la foi d’Abraham d’une façon stupéfiante : « Prends ton fils, ton unique, celui que tu chéris, Isaac, et va-ten au pays de Moriyya (le lieu du futur Temple de Jérusalem), et là tu l’offriras en holocauste sur une montagne que je t’indiquerai » (Genèse 22). Il faut relire et méditer ce récit, ciselé comme l’un des joyaux de la littérature biblique, où toutes les expressions touchent le lecteur au plus intime de ses entrailles, et sont la figure la plus émouvante de la passion du Christ, le véritable agneau : « Devant la promesse de Dieu, l’incrédulité ne fit pas hésiter Abraham, dans la persuasion que, ce qu’il a promis, Dieu est assez puissant pour l’accomplir. » C’est pourquoi, Abraham est notre père « devant Celui auquel il a cru, le Dieu qui donne la vie aux morts et appelle le néant à l’existence » (Romains 4,17).
gneur voulait connaître le fond de son cœur « Je sais maintenant que tu crains Dieu. Tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique. » Expression que reprendra saint Paul : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? Lui qui n’a pas épargné son propre fils mais l’a livré pour nous tous, comment avec lui ne nous accordera-t-il pas toute faveur ? » (Romains 8,32).
Jusqu’ici, les promesses de Dieu étaient toujours l’expression d’un don purement gratuit. Cette fois, le Seigneur les exprime comme une réponse à la générosité de son serviteur : « Parce que tu as fait cela, je te comblerai de bénédictions et par ta postérité se béniront toutes les nations de la terre, en retour de ton obéissance. » Et pourtant, le mérite d’Abraham est lui-même un don de Dieu. Saint Jean Chrysostome exprimera de belle manière cet échange de dons : « Comme Dieu devait donner aux hommes une grande grâce, il ne veut pas la leur donner comme un pur bienfait, mais comme une dette. Il fait en sorte qu’un homme offre d’abord son fils pour plaire à Dieu ; de cette manière, lui-même ne paraîtrait plus faire quelque Pourquoi une telle épreuve ? chose d’extraordinaire en donLa première réponse, c’est que nant son propre fils, puisqu’un l’Ecriture veut dénoncer les sacri- homme l’a déjà fait pour lui ; il fices d’enfants alors largement ne paraîtra pas le faire seulement répandus dans les cultes païens : comme une grâce, mais comme « N’étends pas la main contre une dette. » l’enfant ! Ne lui fais aucun mal ! » Mais il faut aller plus loin. Le SeiClaude Flipo, s.j.
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Geneviève Comeau est xavière, enseignante au Centre Sèvre à Paris et membre du Conseil des évêques de France pour les relations interreligieuses et les nouveaux courants religieux. A publié notamment Le dialogue interreligieux, Ed. Fidélité, 2008, collection « Que penser de ?… ».
Retrouver la source de la vie en Eglise
La façon de vivre l’Eglise est diverse, liée à chaque expérience personnelle. La façon d’en parler aussi. Mais quels sont les fondements de cette réalité complexe ? Geneviève Comeau, xavière et enseignante en théologie, nous donne quelques repères.
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La vie en Eglise parfois nous déçoit. Dans une société où les chrétiens deviennent minoritaires et où le christianisme vit une forme d’« exculturation » selon Danièle Hervieu-Léger1, les différences de sensibilité ecclésiale qui se manifestent de manière croissante à l’intérieur de l’Eglise catholique peuvent nous interroger et nous faire souffrir. Les manières de vivre et de célébrer la foi semblent se diversifier considérablement. Ainsi, la « nouvelle évangélisation » estelle une manière innovante de témoigner de Jésus Christ dans un monde sécularisé, ou bien sertelle de prétexte à des groupes de pression qui voient le monde de manière négative ? On ne peut se satisfaire de réponses simplistes, la réalité ecclésiale est complexe.
L’Eglise comme sacrement Sans prétendre dirimer ces débats, je voudrais proposer quelques pistes pour retrouver la source de la vie en Eglise.
Vatican II a parlé plusieurs fois de l’Eglise comme Sacrement : elle est « sacrement de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain », en Lumen Gentium n°1 ; elle est « sacrement universel du salut, manifestant et actualisant tout à la fois le mystère de l’amour de Dieu pour l’homme », selon Gaudium et Spes n°45. L’horizon de ces expressions n’est pas le septénaire sacramentel, mais une vision eschatologique : celle de l’espérance du rassemblement de toute l’humanité auprès du Père à la fin des temps. C’est par rapport à cette espérance que l’Eglise est sacrement (de l’unité du genre humain, ou du salut) ; là est sa mission.
humanité, le sacrement de Dieu. Toute réalité sacramentaire présente une double caractéristique. D’une part, étant le signe d’autre chose, il faut qu’elle soit traversée, et non pas à moitié, mais totalement. On ne s’arrête point au signe (…) Mais aussi, d’autre part, cette réalité sacramentaire n’est pas un signe quelconque, provisoire ou changeable à merci (…) Son second caractère, indissociable du premier, sera donc de ne pouvoir jamais être rejeté comme ayant cessé d’être utile. Ce milieu diaphane, qu’on doit traverser toujours et traverser totalement, on n’a cependant jamais fini de le traverser. C’est toujours avec lui qu’on atteint ce dont il est le signe.2 »
De telles expressions ne sont pas des inventions du Concile ; bien avant Vatican II, le théologien jésuite Henri de Lubac avait présenté l’Eglise comme le Sacrement de Jésus Christ : « L’Eglise est un mystère, c’est-à-dire, aussi bien, un sacrement (…) elle est ici-bas le sacrement de Jésus Christ, comme Jésus Christ luimême est pour nous, dans son
Ce texte nous dit à la fois l’humilité de l’Eglise, qui renvoie à Autre qu’elle-même, et l’importance de l’Eglise, qu’on ne peut mettre de côté à la manière d’un échafaudage qu’on enlèverait une fois la maison construite. L’Eglise n’a pas sa fin en ellemême, son but est de conduire chacun à rencontrer personnellement le Christ, mais cette ren-
1. L’exculturation est la perte d’influence, non plus seulement des institutions ecclésiales, mais aussi de la tradition culturelle chrétienne qui avait marqué pendant des siècles la société française.
2. Méditation sur l’Eglise (Aubier, 1953), p. 175-176
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3. Paul VI, encyclique Ecclesiam Suam, 1964, n° 67.72.74
contre est appelée à se déployer dans le « milieu » qu’est l’Eglise.
Au service de la rencontre avec le Christ
4. Vatican II, Dei Verbum n° 2
La mission de l’Eglise est donc d’être au service de la relation d’amour de Dieu avec le monde, au service du « dialogue de salut » que Dieu a engagé avec toute l’humanité comme le disait Paul
logue, sans attendre d’y être appelés3. » Cette mission de l’Eglise est tout à fait en cohérence avec la manière dont Dieu se révèle à l’humanité : en conversant avec les hommes et en leur proposant son amitié4.
VI : « L’Eglise doit entrer en dialogue avec le monde dans lequel elle vit. L’Eglise se fait parole ; l’Eglise se fait message ; l’Eglise se fait conversation. (…) L’histoire du salut raconte ce dialogue long et divers qui part de Dieu et noue avec l’homme une conversation variée et étonnante. (…) Le dialogue du salut fut inauguré spontanément par l’initiative divine ; il nous appartiendra de prendre à notre tour l’initiative pour étendre aux hommes ce dia-
© Barbara Strobel
5. Cf. Etienne Grieu, « Réinventer la “grande Eglise” », Etudes, novembre 2008
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Au service de la relation de Dieu avec le monde, l’Eglise porte l’espérance du rassemblement ultime de tous auprès du Père. Cette espérance est appelée à s’incarner concrètement par les divers engagements des chrétiens. La panoplie de ces engagements est très grande, qu’il s’agisse du service de la sacristie et de la décoration de l’Eglise, ou de la présence auprès des exclus de notre société. Si je suis attentive, dans ma paroisse, je rencontre des gens très différents : certains font de l’alphabétisation auprès de personnes immigrées, d’autres accompagnent les couples qui demandent le baptême de leur enfant, certains se réunissent pour lire la Bible, d’autres encore sont investis dans une association qui se préoccupe du logement des plus démunis, ou organisent des pèlerinages à Assise et à Lourdes, ou font partie d’un groupe de personnes âgées qui se retrouvent pour des jeux de société, etc. Le propre d’une paroisse est d’accueillir tout le monde et de faire coexister en son sein des sensibilités éloignées les unes des autres, les invitant à ne jamais se replier sur elles-mêmes5. Cela peut agacer, mais n’est-ce pas un signe du Royaume de Dieu, ce Royaume souvent figuré dans l’Evangile par l’image d’un grand
Tous appelés Même engagés localement, nous avons à porter le souci de l’universel : comment faire entendre quelque chose de la foi chrétienne aux différents réseaux de la société ? Tous ces gens que nous côtoyons, avec qui nous vivons et travaillons, plus ou moins indifférents aux questions religieuses, nous avons à vivre avec eux aussi des relations de fraternité et de solidarité – eux aussi sont attendus au festin du Royaume. Vivre en Eglise suppose de ne pas se désintéresser des questions de société, mais d’être comme des veilleurs sur la brèche, attentifs à tout ce qui déshumanise. Cette vigilance au cœur de notre monde – comme y invite par exemple Mgr VingtTrois dans son livre Quelle société voulons-nous ? – nous permet de ne pas nous laisser obnubiler par les problèmes internes à l’institution ecclésiale. La démarche Diaconia 2013 est sans doute une chance, en ce qu’elle propose de « servir la fraternité dans l’Eglise et dans la société ». Mettre la solidarité avec les plus démunis au cœur de la vie chrétienne, c’est retrouver la source de la vie en Eglise : être au service de la relation de Dieu avec l’humanité, témoigner de l’espérance d’une fraternité uni-
verselle où chacun ait sa place autour de la table du Père. Cette table est préfigurée aujourd’hui par l’Eucharistie, qui engage à un certain style de vie ceux qui y prennent part. La fraternité est à vivre également dans les relations d’Eglise : se respecter, se parler sans se juger, pouvoir mener ensemble des projets même si on n’est pas de la même sensibilité, ne pas vivre l’exercice de l’autorité comme une domination sur l’autre… Il s’agit au fond d’être cohérent entre le dire et le faire, entre ce que nous souhaitons que la société vive, et ce que nous vivons nous-mêmes en Eglise. A ce niveau-là, nous éprouvons parfois déceptions et frustrations. Nous avons du mal à comprendre certaines décisions de l’Eglise « institution ». Rappelons-nous alors que ni les apôtres ni le magistère ne sont un groupe intermédiaire entre le Christ et le reste de l’Eglise. Nous sommes tous appelés à vivre une rencontre personnelle avec le Christ et à être au service de la relation d’amour du Dieu Trinité avec le monde. C’est là la véritable fin de l’Eglise. A l’image du festin du Royaume vers lequel elle est en route, l’Eglise a vocation à réunir les saints et les pécheurs, les bien-portants et les malades, les impatients et les timorés, etc. Elle n’est pas à l’abri d’erreurs de discernement, à quelque niveau que ce soit. Quand certaines décisions, ou au contraire le refus de prendre certaines décisions6,
© Jean-Pierre Pouteau / CIRIC
festin où les pauvres et les boiteux, ceux qui viennent du levant et du couchant, peuvent prendre place ensemble avec Abraham, Isaac et Jacob ?
nous font souffrir, il nous revient de tenir debout, dans la liberté intérieure et la responsabilité, en continuant à faire avancer la réflexion et à maintenir ouverte la porte du dialogue7. Comme le rappelait un jésuite d’Amérique Latine, Rutilio Grande, martyr de San Salvador : « C’est l’amour de la fraternité partagée, qui brise et jette à terre toutes les formes de barrières et de préjugés et qui doit surmonter même la haine8. » Telle est l’espérance de l’Eglise.
6. Comme dans le cas de la pastorale des divorcés remariés 7. Comme nous y invite Paul VI et l’encyclique Ecclesiam Suam précédemment citée 8. R. Grande, cité par J. Sobrino, Jésus en Amérique Latine, Cerf, 1986, p. 162
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Choisir le cadre des réunions Choisir l’horaire et le lieu de nos rencontres peut paraître anodin. Pourtant ces questions ont de réelles conséquences sur la vie de notre communauté locale. Ne devions-nous pas y consacrer plus de temps ?
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Quand des personnes rejoignent une communauté, ceux qui les accueillent ont parfois du mal à changer leurs habitudes. “Si cela a toujours bien fonctionné comme ça, pourquoi changer !”, peuton entendre. Pourtant, ce qui est évident pour les uns l’est moins pour les autres. Certains peuvent avoir des enfants à coucher, d’autres sortent tard du travail, d’autres encore doivent se coucher tôt… Et les lieux sont parfois difficiles à trouver : on veut éviter de faire trop de kilomètres ou de perdre trop de temps en transport… Chacun a ses contraintes. Néanmoins, ces questions sont souvent peu débattues. Si on n’ose pas en parler, c’est souvent par peur de déranger les autres : comme les autres ne disent rien, c’est que cela leur convient ; alors, on ne va pas les ennuyer avec nos soucis, on va faire avec. Le danger est qu’à un moment je ne sache plus faire avec et que cela me conduise à ne plus voir d’autre issue que de quitter la communauté. Je penserai partir par respect pour ses membres, parce que je crois que je ne peux pas leur demander de
toucher à ce qui semble important pour eux ; mais leur désir est-il vraiment que je parte ? Si on n’ose pas en parler, c’est parce qu’on estime qu’il y a des sujets plus importants à aborder que de savoir si on va commencer les réunions à 20h, 20h15 ou 20h30. Et pourtant, c’est savoir se décider sur de petites choses qui permet de se décider sur de plus grandes : ce qui est vrai à titre personnel, l’est aussi pour une communauté locale. Et pourtant, c’est important pour moi, puisque le lieu ou les horaires me dérangent à chaque rencontre, donc je ne peux pas ne pas y penser à chaque fois. Si je suis personnellement gêné(e), c’est mon attitude, à la longue qui finira par ne plus être juste et au final c’est toute la communauté qui en pâtira. Pourquoi ne pas avoir foi qu’une solution respectant chacun est possible pour tous ? Si Dieu veut notre bonheur, une solution n’est-elle pas possible ? Ne serait-il pas profitable de passer du temps à définir le cadre de nos rencontres ? Ne serait-il pas
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nécessaire d’oser en parler afin que chacun se sente plus à l’aise et plus partie prenante de notre communauté locale ? Si j’ose en parler, ce peut être avec le responsable, au cours de l’évaluation d’une réunion ou au bilan de fin d’année si cela peut attendre. Peut-être qu’alors un beau temps de discernement communautaire pourra se vivre. La communauté prendra du temps pour entendre les impératifs de chacun, tant au niveau des lieux que des horaires. Elle prendra du temps pour écouter les souhaits de chacun, ce qui lui faciliterait la vie. Chacun pourra alors peser, mettre dans la balance tout ce qu’il a entendu. Et alors, surgira une solution qui conviendra, en n’oubliant pas qu’une solution bonne pour cette année sera peut-être à revoir l’an prochain. Et chacun se sentira plus responsable de la communauté. Décider ensemble, même sur des choses apparemment anodines, c’est choisir de faire communauté. Marie-Agnès Bourdeau, Equipe Service Formation
Š Barbara Strobel
Ensemble faire Communauté
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Au service du frère
Savez-vous que certains de nos frères pensent qu’ils n’ont pas leur place dans nos assemblées paroissiales ? Trop pauvres, trop différents, ils n’osent plus rentrer dans les églises, participer à l’eucharistie ou le font mais sur la pointe des pieds, en restant au fond… Ce sont les témoignages que l’on peut entendre dans les groupes issus de la démarche de « Diaconia 2013 ; servons la fraternité ». Alors, parce que Jésus nous a demandé de nous mettre à sa suite au service de nos frères lors du lavement des pieds (Jean 13, 1-15), parce que les Principes Généraux de la CVX nous invitent à être des chrétiens engagés, parce que la Communauté a renouvelé son intention de vivre davantage en lien avec l’Eglise de France, la Communauté de Vie Chrétienne ne peut pas rester à l’écart de « Diaconia 2013 ». Mais Diaconia, qu’est-ce donc ? L’objectif de cette démarche est que « les personnes en situation de pauvreté et de précarité soient davantage au cœur de nos communautés chrétiennes »
(Mgr Housset, président du Conseil national de la solidarité de la Conférence des Evêques de France).
démarche et pouvoir ainsi vivre la rencontre avec des personnes en situation de pauvreté ou de précarité près de chez lui.
Il est proposé aux diocèses, mouvements, communautés de se mettre en route avec en point culminant un rassemblement à Lourdes à l’Ascension 2013, une étape qui voudrait marquer durablement l’Eglise en France. Car il s’agit bien d’un appel à la conversion, apprendre à regarder et servir le monde, sa Création, ses peuples… Un chemin doit s’ouvrir au delà de 2013.
Chaque communauté locale, chaque atelier peut aussi utiliser le Hors Série de Prions en Eglise « Parole de Dieu, service du frère » dont chacun des responsables régionaux et d’atelier auront reçu un exemplaire. Ce livret est aussi disponible aussi dans les diocèses, paroisses ou directement à Bayard.
La CVX a été appelée à participer avec d’autres à la construction des outils et plus particulièrement pour la réflexion sur le respect de la Création engagée et mise en œuvre lors des derniers congrès. Ce thème du respect de la Création est une des priorités de Diaconia (avec la place des pauvres et celle des jeunes). De chez vous, que pouvez-vous faire ? Chaque membre est invité à se renseigner auprès du délégué diocésain de la solidarité de son diocèse pour s’engager dans la
Nous pourrons ainsi contribuer à remplir le « Livre des merveilles » et le « Livre des fragilités » (voir sur diaconia2013.fr) pour mettre en valeur ce qui se vit déjà dans le service du frère. Nous pourrons surtout témoigner du souci de toute la Communauté de s’engager à la suite du Christ serviteur, « aptes à Le rencontrer en tout homme et toute situation » (PG6). Véronique ANGEVAIN, membre de l’ESN
Marie POLINE, déléguée CVX pour Diaconia
Editions la spiritualité ignatienne pour TOUS. Une revue tous les deux mois + 70 titres de livres Plus d’infos sur www.editionsviechretienne.com
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La CVX, une Communauté apostolique « Comment passer d’une Communauté d’apôtres à une Communauté apostolique ? » C’est le thème de l’Assemblée de la Communauté, qui aura lieu du 17 au 20 mai 2012. Paul Legavre, assistant national de la CVX, en présente l’esprit. Une dynamique et un chemin évangéliques jamais achevés.
Disciples, mais également apôtres : car le Seigneur appelle à lui, et très vite commence à envoyer (Marc 6), donnant autorité sur les esprits impurs, les démons qui ne cessent de défigurer la création de Dieu. Il envoie là
où la vie nous a placés mais aussi dans de vrais déplacements. Nos communautés locales sont le lieu de cet apprentissage, et ces passages les nôtres, ceux des autres ne cessent de nous émerveiller. Elles sont aussi le lieu du repos, où nous partageons ce qu’accomplit l’Esprit du Christ dans le monde, en nous et par nous. Jésus fait les douze, et beaucoup d’autres. L’Esprit ne cesse de susciter les baptisés, souvent deux par deux, pour qu’ils portent la bonne nouvelle auprès de leurs proches, dans leur milieu de vie, au travail, dans leur quartier. Dans les Exercices, Ignace fait considérer le discours que le Christ adresse à tous ses serviteurs et amis qu’il appelle à cette expédition, leur demandant de vouloir aider tous les hommes. La CVX est une Communauté apostolique : d’abord dans la reconnaissance et le soutien de la mission de chacun, faite nôtre, lieu d’une joie et d’un souci partagés. Mais aussi quand des membres œuvrent à plusieurs : soupe pour les gens de la rue, retraite dans la vie, catéchèse… Un nouveau pas est franchi quand la Communauté, à tous les niveaux, entend ce qui
travaille notre société : soifs spirituelles de nos contemporains, faims de sens des jeunes, besoins des étudiants étrangers. Et qu’il lui est donné de les reconnaître comme des appels pour la Communauté comme telle, à prendre en compte par chacun, d’une manière ou d’une autre : c’est alors le temps joyeux de la nomination d’orientations et de missions communautaires. L’Assemblée de la Communauté va les recueillir. D’elle-même la terre porte du fruit : d’abord herbe, puis épi, puis plein de blé dans l’épi. Quand le fruit se livre, aussitôt l’homme envoie la faucille, parce que la moisson est là (Marc 4,28-29) Paul Legavre, s.j. Assistant national de la CVX
Lors de l’Assemblée mondiale de Fatima en 2008, où la notion de « Communauté apostolique » a fortement émergé
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Suis-moi ! Toujours, c’est ce suismoi prononcé par Jésus qui transforme une femme ou un homme en disciple de Jésus. Parfois dans la fulgurance du cœur, toujours dans le lent travail du temps. C’est ainsi que Jésus parle à Levi, le collecteur d’impôts, assis à sa table de collecteur. Au cœur de son existence d’homme, dans la figure et la consistance qu’elle a prise. Avec son côté installé, et sans doute un peu honteux de collecteur d’impôts. Jésus sort et le remarque, lui dit : « Suismoi ! ». Il quitte tout, se lève, et il le suivait (Luc 5, 27-32). Comment ce récit retentit-il à nos oreilles ? Quand et comment avons-nous entendu ce Suismoi ? Que nous a-t-il fait quitter ? Toute notre vie, nous demeurons disciples à l’école de ce maître doux et humble de cœur, qui ne cesse de nous donner son repos, en nous révélant les réalités du Royaume (Matthieu 11).
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Ensemble faire Communauté
La CVX en régions Comment vivez-vous votre nouvelle Communauté régionale ? Que percevezvous ? Quels sont d’après vous, les enjeux ? Que voyez-vous naître ? Qu’espérezvous ? Voici les questions qui ont été posées à des membres CVX en régions. Afin de mieux se connaître les uns les autres. Joie et simplicité ▼
L’équipe service : Anne Vincent, Christiane de Lamarlière, Thierry Ailleret, Catherine Galichon
Ce qui saute aux yeux dans nos rencontres régionales comme dans nos réunions d’équipe service de la communauté régionale, c’est la joie et la simplicité ! Joie de se recevoir comme compagnons de route, simplicité à partager et à se mettre au service des autres. Les initiatives pour développer les liens entre nous abondent : à la Toussaint et à Noël, un membre a proposé une méditation pour tous ; cinq communautés locales ont visité ensemble une église décorée par un artiste contemporain ; deux membres ont animé le parcours enfants de la journée régionale CVX Cambrai-Lille (solidarité Grande Région). Et plein de projets : rencontres croisées d’équipes pour un dialogue contemplatif, animation de messes en paroisses, et temps de convivialité (balades, ciné forum… et bières, on n’oublie pas qu’on est Nordistes !) Une communauté en pleine croissance ! Thierry Ailleret Responsable de la Communauté régionale Arras-Lille
« Faire autrement » et « vivre davantage »
▼ Lors de la journée régionale de la région Lyon Nord en
Lors de notre journée de rentrée régionale et dans la mars 2012 dynamique du renouveau communautaire, nous avons perçu un souffle nouveau, la parole qui circulait, la volonté de mieux nous connaître. Lors des élections de 2011, nous étions trois à avoir répondu à l’appel. La vie de la Communauté régionale ne pouvait pas dépendre que de nous seuls. Nous avons décidé de ne pas coopter mais d’appeler d’autres personnes pour des tâches spécifiques. Ainsi nous avons mis en place des équipes au service de la logistique, du chant, de la famille, des jeunes, etc. Vivre davantage en Communauté régionale est un beau programme et devient l’affaire de chacun et de tous. Un beau programme à vivre et à faire vivre ensemble. Jo Bois, Marie-Claude Gomas, Jean-Pierre Levif et Loïc Michaud L’équipe service de la Communauté régionale de Lyon Nord
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Lors de la journée régionale Gironde le 25 mars 2012
A l’écoute du renouveau L’équipe élue depuis le 18 septembre 2011 a pris corps, peu à peu, pour se mettre au service. Pour moi, l’Esprit est bien à l’œuvre et la pâte commence à lever. Ensemble, nous tentons de cerner ce qu’est le corps, le corps apostolique en particulier. Les réflexions déclenchent hésitations, attentes, intuitions, propositions. On demande du concret. A Noël, une équipe s’est jointe à une soirée du Secours Catholique. D’autres initiatives viendront. N’est-ce pas essentiel de « vivre le bonheur d’être ensemble » ? Ce qui me touche le plus c’est l’accueil des nouveaux venus. Quelle joie d’accueillir Hilaire, venant du Congo, au sein d’une équipe ouverte au renouvellement de chacun ! Bonne nouvelle, quand un couple, engagé en paroisse, veut rejoindre la CVX-Gironde et cherche à vivre le parcours d’accueil. Ce qui naît, c’est vraiment une communauté qui fait corps, qui désire annoncer. Le fait de s’enraciner et de s’ouvrir davantage bourgeonne en nous. Philippe Dalle Responsable de la Communauté régionale Gironde
Pêle-mêle Assez jeune dans la CVX, j’ai juste eu le temps d’entrevoir l’équipe service de l’époque et de me familiariser avec quelques visages et voilà que cette équipe est remplacée, et les contours de notre région se modifient « Paris Sud Ouest » ? A cette évocation, quelques idées me viennent, pêle-mêle, à l’esprit : une nouvelle équipe service dynamique et enthousiaste, une certaine uniformité (apparente du moins) de milieu social et d’âge mais aussi un désir d’ouverture aux autres - notamment aux jeunes - une richesse à travers l’accueil d’une communauté arabophone, un « noyau » qui se connaît bien et en même temps une possibilité pour qui veut de s’investir… Bref, je retiendrai, au-delà de ce qui a pu me surprendre, un formidable élan, une communauté régionale en mouvement, qui donne l’envie et l’espoir de construire ensemble ! Elisabeth Madre Membre CVX dans la Communauté régionale Paris sud-ouest
« Un ciment tourné vers l’avenir »
Responsable de communauté locale à Châteauroux
Célébration de l’Engagement lors de la dernière rencontre régionale du Berry Nivernais à Nevers ▼
J’ai vu « naître » la nouvelle région Berry-Nivernais. Avec, tout d’abord, des personnes qui s’étaient déjà croisées dans des formations, dans le diocèse, etc. Ces liens personnels tissés dans une histoire commune, ce sont des noms, des visages, une mémoire commune, aussi, de membres qui sont décédés récemment et qui nous laissent leur énergie au service de la communauté. Travailler ensemble pour une halte spirituelle des équipes d’accueil, a aussi été un ciment tourné vers l’avenir. Personnellement, j’ai ressenti une vraie écoute des responsables régionaux qui ont fait de nombreux déplacements à Châteauroux. Ils connaissent les membres et le mode de fonctionnement de nos équipes, dont ils valorisent les initiatives locales (expo photos inter-équipes). Au week-end régional à Nevers est née une Communauté qui a vécu un temps fort autour de l’Engagement de quatre d’entre nous. Jeanne-Marie Charon
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Ensemble faire Communauté
Burkina Faso :
Au service des personnes atteintes du sida En écoutant les témoignages de femmes de son groupe CVX à Ouagadougou et impressionné par ce qu’elles confiaient, Jacques Fédry, s.j., eut envie de les interviewer. Voici le témoignage de Gertrude Diarra, engagée dans le monde de la santé, décédée un mois après avoir donné ce témoignage, d’un brusque arrêt cardiaque. Lancement de l’Association Avant le lancement de l’Association Solidarité Vie et Santé, j’ai collaboré au service d’une association au quartier Paspanga, pour les veuves, dans la paroisse de Kolognaaba. Nous faisions du tissage traditionnel de cotonnades,
▲ Gertrude Diarra et Maimouna
de la teinture de tissu bogolan, de la cuisine… J’avais fait auparavant une tentative au postulat des Petites Sœurs du Père de Foucauld, tentative restée sans suite. J’ai ensuite eu la chance de participer à des sessions de formation sur le VIH. Cela m’a beaucoup plu. J’en ai parlé à la sœur Françoise Dauger et à mon accompagnateur spirituel, le père Jean-Luc Masson, jésuite, accompagnateur de la CVX à Ouaga. C’était en 2001. Nous avons alors commencé à rencontrer des jeunes atteints du VIH. Pour une plus grande efficacité, nous avons décidé de créer une association, et nous avons reçu le récépissé officiel en 2002. Au début, c’était difficile, parce que nous n’avions pas de siège, ni de local. Notre travail, c’était beaucoup de visites à domicile. Ce n’était pas facile : les patients se cachaient, ils étaient mis à l’écart par leur famille et leur entourage, parfois chassés par
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leur famille pour mourir seuls. Aujourd’hui, il n’y a plus cette discrimination. Mais ils sont torturés autrement. Ainsi, je vais rendre visite à Maimouna. Son grand frère l’appelle : « Ton infirmier est là ». L’entourage me dit qu’il faut bien la conseiller, c’est une maladie comme une autre… Or, en réalité, quand je ne suis plus là, ils lui disent : « Tu sais toi-même que tu vas mourir ». Nous avons vu un cas de discrimination lors de l’inondation du 1er septembre : cinq femmes de notre association avaient vu leur maison en banco s’écrouler en quelques heures. Avec des milliers d’autres, elles sont allées dans une école où on les prenait en charge. Quand les autres occupants de la salle de classe où elles étaient ont remarqué qu’elles prenaient des médicaments à heures régulières et ont soupçonné qu’elles étaient atteintes du VIH : toute la classe s’est vidée brusquement, et on
les a laissées seules. Humiliation insupportable : elles ont dû partir. Heureusement, d’autres membres de l’Association ont pu les recevoir chez elles, avant que l’Association ne les aide à retrouver un logement. Cependant, il faut noter que dans certaines familles, ces personnes sont bien reçues.
Ma formation d’infirmière J’ai maintenant obtenu mon diplôme d’infirmière d’Etat, après trois ans de travail acharné. La manière dont les sœurs rencontraient les pauvres m’avait beaucoup touchée. Mais j’ai réalisé qu’il était nécessaire d’avoir une formation médicale assez approfondie. J’ai étudié pendant deux ans. D’abord pendant deux ans de suite, puis une interruption à cause de la maladie. Des amis français de l’association Burkina Solidarité ont contribué au financement de mes études. J’ai pu reprendre l’an dernier, et ai réussi avec une moyenne de 14,10/20, 7e sur une classe de 37. Je ne désire pas aller plus loin dans les études, pour devenir « attachée de santé », car je veux rester au contact des malades de toutes les catégories.
Le soutien des malades dans l’Association Ce que les patients attendent d’abord, c’est qu’on les écoute.
▲ Gertrude Diarra le jour de la remise de son diplôme d’infirmière, juste un mois avant sa mort
Un soutien proche, immédiat, « du tac au tac ». Derrière l’aide d’urgence, ce qu’ils attendent, c’est d’être écoutés. C’est là que l’adhésion à la CVX me soutient. Si quelqu’un vient me parler d’un problème familial, une relation père fils, ce n’est pas l’argent, ni les conseils dont il a besoin, mais qu’il prenne conscience de la manière de prendre contact. Ou les couples en difficulté, je leur dis, en citant le proverbe de chez nous : « La pluie est en train de vous battre, et vous encore, vous vous battez » (pour leur faire comprendre qu’il y a assez de difficultés extérieures pour ne pas en rajouter encore). Tout en donnant les soins, j’es-
saie d’écouter les patients ; je suis très heureuse de ce contact direct. Nous ne voulons pas réfléchir à leur place, mais les encourageons à se prendre eux-mêmes en charge : ainsi, nous les encourageons à faire du tissu teint bogolan.
La relation avec le monde associatif Elle m’a souvent découragée. Beaucoup de personnes dans ce milieu ne cherchent que leur intérêt personnel. Et la relation avec l’administration n’est pas facile, car elle n’est pas vraiment fonctionnelle.
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Ensemble faire Communauté
, ▲ La communauté CVX à Ouagadougou. Une seule communauté qui marche, une petite flamme encore vivante…
Qu’est-ce que la CVX m’a apporté Au début, je ne me sentais pas très à l’aise dans la CVX, je trouvais cela très intellectuel. J’avais le niveau de 3e, au milieu d’autres plus avancés. La CVX m’a aidée à
m’exprimer. J’étais très limitée : devant cinq personnes, je n’osais plus parler. Puis j’ai senti le désir de communiquer. Je me suis proposée dans ma paroisse comme animatrice du mouvement Cœurs Vaillants/Ames vaillantes, pour la formation des enfants. J’ai aussi appris à la CVX à prier. La CVX m’a donné une ouverture. Elle m’a poussée à prendre un engagement dans la catéchèse, depuis deux ans. De 7h à 8h30, chaque dimanche, je donne cette catéchèse. C’est une grande chance de formation pour moimême. Je reçois là une grande joie. Quand j’ai été malade, les enfants priaient pour moi. Cela m’a donné une grande joie. On n’est pas CVX pour soi, mais pour ses frères et sœurs.
N.B. Moins d’un mois après avoir donné ce témoignage, Gertrude Diarra est morte brusquement d’un arrêt cardiaque le dimanche 6 novembre 2011, vers 15 heures. Les fidèles étaient venus nombreux, et les prêtres de la paroisse ont dit combien ils ont été touchés par la vie de Gertrude, « une petite fourmi efficace », et son service auprès des enfants et pour la catéchèse. J’ai perdu « une vicaire », a dit le curé. Propos recueillis par
Jacques Fédry, s.j.
▲ Une fin de réunion CVX.
LIRE AUSSI… LE témoignage de Lucie Compaoré Attachée de santé en Ophtalmologie dans un hôpital public à Ouagadougou Cela fait maintenant 14 années que je travaille à l’hôpital de Yalgado, le principal hôpital de Ouagadougou, centre hospitalier universitaire de référence pour tout le Burkina Faso, dans le service Ophtalmologie. C’est là que j’ai besoin plus que jamais du secours de mon Seigneur : il a répondu par cet enfant dont je ne vois plus le handicap mais l’appel de Dieu pour aider ceux qui souffrent d’une infection ophtalmologique. Je cherche la joie des malades : leur joie, c’est ma joie, elle me donne la force de continuer dans ce métier.
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Retrouvez l’intégralité du témoignage de Lucie sur notre site :
Acheter des livres Maintenant c’est plus facile avec la Boutique en ligne. Juste quelques clics sur www.editionsviechretienne.com 38 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 17
Billet
© Claire Benêteau et Brice Abbad
La poussière et la joie C’est surtout au printemps que St-S*** déploie toute la féerie du Baroque. Ses ombres sont alors de purs Fragonard. La lumière y module mieux que rameau, laissant au silence le soin de rappeler que Dieu est là, tout proche. Y confesser en matinée, c’est sentir jaillir tout naturellement de son cœur les mots de la miséricorde, de la sagesse fraternelle. Et le mardi, pour un plus grand bonheur, Lucienne est de service. Les bouquets rafraîchis, les dorures ravivées, les boiseries maintenues chaleureuses, le dallage miroitant, c’est Lucienne. Tant d’efficacité, tant de délicatesse dans l’art d’entretenir une église, et si peu de souci pour l’apparence, c’est Lucienne encore : des bottes au bonnet, elle mobilise les couleurs les plus disparates, les rayures les plus implacables. Gersende, une autre bénévole de la paroisse - mais pas pour le ménage - estime que Lucienne, toujours en Jean-Paul Gaultier, c’est pathétique. Il faudra bien un jour que quelqu’un se soucie du pathétique de Gersende. Mardi dernier, justement, une femme a rejoint la chapelle des confessions. Je l’avais vue longuement converser avec Lucienne. (Cette femme, Gersende : plutôt Tati ?) - alors là, votre Lucienne, chapeau ! Au début, on causait tricot (j’aime bien son écharpe point mousse alterné) et puis, comme de rien, on en est venu au Bon Dieu… Bref, elle m’a convaincue de venir vous voir. … En partant vers midi, Lucienne m’a livré son secret. -… Elle me disait qu’à confesse, on répète toujours la même chose : à quoi bon ? Là-dessus, je lui réponds que la poussière aussi revient toujours, et que ce n’est pas une raison pour ne pas bien faire son ménage… - Tout de même, le pardon de Dieu, Lucienne, ce n’est pas un coup de balai brosse… - Bien sûr que non ! Mais ce que je voulais lui montrer, c’est que dans la vie, plein de choses reviennent. Où est le drame ? C’est même cadeau. Tenez, au tricot, toujours le même jeu d’aiguille. Par exemple, pour le… Là, j’ai senti qu’on allait au point mousse alterné. Alors, très vite : - Il y aurait de la joie à se répéter ? Lucienne a eu son bon sourire. Compassion peut-être, amitié sûrement. - Vous, vous ne devez pas être souvent de ménage… La joie, chaque mardi, de revoir briller mes carrelages ! Et ma chaire, de nouveau bien lustrée… Quand c’est avec Dieu, pas de routine, on repart à neuf. Et, pensez, si c’est vrai pour le balai et tout le saint-frusquin, la joie de recevoir le pardon, faut pas se priver d’y revenir ! Revenez donc à St-S*** un mardi matin. Philippe Robert, s.j. Mai 2012 39
Prier dans l’instant
© Doits réservés
Cette nuit je ne dors pas ▲ Lors du week-end régional de la Communauté Berry-Nivernais à Nevers
Je rentre d’une première rencontre de notre Communauté régionale mise en œuvre par l’équipe service toute neuve dont je fais partie. Me reviennent en boucle tous les petits coincements que nous avons repérés depuis les coulisses. Peu à peu cela s’apaise, et je sens émerger le sentiment profond que me donne ce moment intense de vie entre compagnons. Nous avions choisi de faire confiance, vraiment, à la proposition de la Communauté : animer, mettre en route nos compagnons. Faire en sorte que la parole circule, et que chacun prenne sa part. Faire le moins possible nous-mêmes. Pourtant cela ne s’est pas fait sans travail de notre part, pour l’organisation, ni sans aléas de communication, mais quelle joie d’entendre ces témoignages, ces partages d’évangile, ces prières guidées animées par nos compagnons. Nous, équipe service, nous étions en position de recevoir ces paroles données, jusque dans la musique, les fleurs, l’accueil, les jeux, les danses, les chants avec les enfants. Les mots que les enfants nous ont donnés le soir, les yeux brillants, petit papier adressé à chacun d’entre nous. Vraiment cette intuition de la Communauté de vivre de la participation de chacun nous conduit vers plus de vie. Seigneur j’ai touché du doigt aujourd’hui qu’ensemble nous sommes tiens. Avec toutes nos faiblesses, mais avec toute ta force. Tu étais là au milieu de nous, et avec toi beaucoup de choses sont possibles. Dominique POLLET
Nouvelle revue Vie Chrétienne – Mai 2012