Vie chrétienne Nouvelle revue
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B I M E S T R I E L D E L A C O M M U N A U T É V I E C H R É T I E N N E E T D E S E S A M I S – N º 1 9 – se p tembre 2 0 1 2
Entre la mer et le ciel Jacob « le talonneur »
écouter le frère… jusqu’au bout
Sommaire éditorial l’air du temps
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chercher et trouver dieu
écouter le frère… jusqu’au bout NOUVELLE REVUE VIE CHRÉTIENNE Directeur de la publication : Jean Fumex Responsable des éditions : Dominique Hiesse Responsable de la rédaction : Marie-élise Courmont Secrétaire de rédaction : Marie Benêteau Comité de rédaction : Marie Benêteau Marie-élise Courmont Marie Emmanuel Crahay Jean-Luc Fabre sj Yves de Gentil-Baichis Dominique Hiesse Barbara Strobel Comité d'orientation : Marie-Agnès Bourdeau Jean Fumex Noëlle Hiesse Michel Le Poulichet Béatrice Mercier Trésorière : Martine Louf Fabrication : SER, 14 rue d’Assas, 75006 Paris www.ser-sa.com Photo de couverture : ©Droits réservés Impression : Corlet Imprimeur, Condé-sur-Noireau ISSN : 2104-550X 47 rue de la Roquette 75011 Paris
Témoignages Mille et une formes de précarité Yves de Gentil-Baichis Une rencontre qui ouvre à la lumière Marie-Elise Courmont Saint Ignace et la Maison Sainte Marthe Marie Emmanuel Crahay le babillard se former Choisir son lieu pour prier Claude Flipo, s.j. Entre la mer et le ciel Aline du Poirun Jacob « le talonneur » Claire Le Poulichet Communauté et mission Jacques Fédry, s.j. Passer un week-end ensemble Marie-Agnès Bourdeau
ensemble faire communauté Retours sur l’Assemblée de la Communauté Cinq années fortes et intenses La nouvelle équipe nationale Une parole vive Le regard du mondial CVX Europe, un lien à construire billet « Je chante comme un petit fou » Cora Doulay prier dans l'instant Au milieu des enfants Marie-Claire Berthelin
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Éditorial
Se laisser orienter
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Au mois de septembre, les enfants ont repris le chemin de l’école et chacun de nous, le rythme de sa vie quotidienne. Mais en ce temps de recommencement, n’avonsnous pas à recevoir à nouveau l’orientation de nos vies, de Dieu et des autres ? Comme Jacob qui rencontre Dieu au gué du Yabboq et se reçoit de Lui (voir « Lire la Bible » p. 24-26). Aussi nous a-t-il semblé important de rappeler deux évènements qui peuvent nous guider : Diaconia 2013 et l’Assemblée de la Communauté.
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Diaconia 20131. Le dossier voudrait aider à s’engager dans cette démarche de l’Église de France : prêter attention aux plus fragilisés et servir la fraternité. Beaucoup de pistes ont déjà été données par les organisateurs, et notamment par l’atelier CVX Chrétiens Coresponsables de la Création. Ici nous avons choisi de mettre l’accent sur l’écoute du frère, en lien avec la reconnaissance par l’Assemblée de la Communauté de cette grâce spéciale faite à la CVX. Une invitation à vivre l’« écoute jusqu’au bout » concrètement, dans la rencontre de différentes pauvretés.
»
Quant à l’Assemblée de la Communauté, vous en trouverez un large écho dans les pages France ; c’est un événement important pour l’avenir. Et ses orientations peuvent être des repères pour tous ceux qui cherchent à répondre aux appels du monde d’aujourd’hui.
Marie-élise Courmont 1. Voir http://diaconia2013.fr/
Pour écrire à la rédaction : redaction@viechretienne.fr
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L'air du temps
Allons ensemble à Bergerac ! Libres propos sur la crise financière
Frédéric Baule est responsable des risques de marchés dans une compagnie pétrolière. étudiant en théologie, co-auteur de Vingt propositions pour réformer le capitalisme1, il développe pour nous son point de vue sur les marchés financiers européens.
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Samedi 9 juin. Quelque part en Europe. Des experts des marchés financiers négocient 100 milliards d’euros pour les banques en Espagne. Même jour à Bergerac sur la place de l’église : retour à l’économie des marchés. Derrière une table pliante, un homme avec cèpes, girolles et même des truffes d’été ! Le climat lui a été propice. Nous échangeons des mots ; ses produits ; quelques euros. Monétiser ensemble sa cueillette du matin (don du ciel !) nous ouvre à deux possibles : l’achat d’un bien désiré, le temps fraternel d’un repas partagé. Persistance du réel qui dans notre relation à la sphère marchande, relie vie matérielle, économie des marchés et capitalisme ; et permet de saisir ce qu’il y a eu d’inédit dans ce cycle monétariste et libéral qui n’en finit pas de s’achever sous nos yeux dans le fracas d’effondrements multiples : mur de Berlin, tours de Manhattan, Lehman Brothers, Grèce… et demain ? Aligner les
intérêts des dirigeants sur ceux des actionnaires, traiter les variations de cours des matières premières comme un investissement, considérer la masse salariale comme simple facteur d’ajustement2… Voilà de l’inédit ! Doxa de la création de valeur qui, réduisant les facteurs de production à leur valeur monétaire, passe sous silence ce qu’entreprendre présuppose de collectif ; de corporéité industrieuse et relationnelle ; de vivre ensemble. D’utilité sociale. Braudel3 soulignait qu’en capitalisme existait une stabilité dans le temps du rapport entre biens capitaux détenus et produit d’une année de travail. Mais en capitalisme financier, c’est la dette qui prime : celle d’un État est comparée à son P.I.B4 ; celle d’une entreprise, au flux de cash qu’elle dégage ; celle d’un ménage, à ses revenus. Ne nous souciant plus que de liquidité monétaire – de gagner de l’argent plutôt que notre vie – nous éle-
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vons au rang de patrimoine la capacité d’emprunt, la note reçue d’une simple agence de notation. Que le marché de l’argent virtualise notre participation au marché matériel, et c’est l’humanité de l’échange qui se fragilise, don et contre-don, si nécessaires à notre vivre ensemble ! Car utopie de la satisfaction illimitée de nos désirs consuméristes et représentation financiarisée du monde vont de pair et tiennent le sentiment de richesse induit par l’évolution d’un indice boursier, pour plus important dans la décision d’achat que la bonne nouvelle d’un étal de champignons au bord d’une allée, sur le marché de Bergerac. Pourquoi ne pas avoir écouté Braudel, qui dénonçait l’inconséquence de croire en l’efficacité intrinsèque du laisser-faire économique, au moment où nous avons choisi l’architecture européenne de notre union monétaire ? Las. Laissant à la
Enfin, en établissant un lien de principe entre sophistication croissante et niveau de confiance à accorder aux banques, leurs régulateurs n’ont eu de cesse de favoriser à moindre coût l’expansion de leurs activités de marché. La démesure d’hommes et de femmes en situation de pouvoir a fait le reste : nombre de banques ont voulu se faire aussi grosses que le bœuf étatique. En Islande, en Irlande, en Grèce, en Espagne, à Chypre… les grenouilles explosent à l’unisson. Elles laissent les États sans moyens face à une scène dévastée ; et leurs populations, perplexes, quant aux « pseudo » principes de justice qui font que leur propre Banque Centrale refinance ces banques privées à 1% – pour qu’elles continuent de prêter à leurs États à 7% – sans pouvoir elle-même leur prêter directement à 1 %. L’histoire nous montre que des compagnies de mercenaires écumant les territoires européens ont pu engendrer les Gardes suisses ! Rien donc d’irrémédiable à la situation présente. A condition de nous réapproprier le champ politique ; de donner corps à notre appartenance euro-
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loi des marchés la régulation du financement de nos États, nous avons renoncé à l’exercice démocratique du pouvoir régalien de frapper monnaie. Plus même : en interdisant à notre banque centrale de les financer, nous avons accordé le monopole de cette fonction à des banques garantes des intérêts privés de la sphère financière ! péenne. De mieux la protéger des attaques virales de marchés versatiles et sans contrôle. Reprenons donc à frais nouveaux le débat sur nos complémentarités interplanétaires : demandons à nos partenaires de reconnaître nos choix de solidarité en faisant de nos standards sociaux et écologiques les critères de notre libre échange avec eux. Rejoignons la normalité du concert des nations, en rebattant monnaie à 27. Pour que les champions des marchés de l’argent ne parasitent plus nos États, reconnaissons leur utilité sociale dans l’économie de nos marchés, mais tenons à distance leurs prises de risques insensées. Et donnons à nos entreprises – y compris par la loi5 – les moyens de leur pérennité en tant que communauté de destin en mettant leur patrimoine financier et humain - leurs ‘biens capitaux’ comme dirait Braudel – à l’abri de la prédation financière. Car c’est de cela qu’il s’agit quand les niveaux de rémunération pratiqués au sein d’une même grande entreprise6 font le grand écart ; ou quand des actionnaires exigent un retour sur capital employé de 15 % l’an, sans commune mesure avec la rémunération des possibi-
lités de placement financier sans risque. Samedi 16 juin. Demain les Grecs votent. Et nous aussi. Reviendrons nous, ensemble, au marché de Bergerac ? Frédéric Baule Le 16 juin 2012
1. Vingt propositions pour réformer le capitalisme, sous la direction de Gaël Giraud et Cécile Renouard, Champs essais, Flammarion, nouvelle édition en 2012. 2. Cf. F. Baule - Propositions 5 et 9 dans 20 Propositions pour réformer le capitalisme - sous la direction de G. Giraud et C. Renouard. Champs essais 1031 - Flammarion. 3. Relire F. Braudel - La dynamique du capitalisme – Champs histoire 778 – Flammarion. 4. PIB : Produit Intérieur Brut qui mesure la valeur de la production d’un pays en se limitant aux échanges monétaires. Sur une autre approche de l’économique, voir L’idée de justice d’Amartya Sen, Champs essais 1029 - Flammarion. 5. Cf. D. Hurstel – Proposition 2 dans 20 Propositions pour réformer le capitalisme. 6. Cf. G. Giraud et C. Renouard – Le facteur 12. Pourquoi il faut plafonner les revenus. - Carnets nord – éditions Montparnasse.
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Chercher et trouver et trouver Dieu Dieu
Écouter le frère… jusqu’au bout Frère, sœur, à quel titre : par un Père commun, par une humanité partagée, pétrie de la même glaise originelle mais aux couleurs et grains si différents ; par un Fils qui, en partageant jusqu’à l’extrême notre condition humaine, nous ouvre un chemin de relations inattendues ? Et si la fraternité était encore et toujours à cueillir comme le simple fruit de l’écoute de l’autre, cet autre fragilisé par l’addiction, par l’insécurité au travail, par le manque de ressources ou d’affection, par la précarité des relations familiales... comme nous le montrent les témoignages variés de ce dossier. L’écoute, mais jusqu’au bout ; quand les mots savent faire place aux silences, quand nous acceptons mutuellement d’être touchés et changés, quand nous trouvons là le moyen de nous découvrir frères au-delà de nos préjugés ou de nos peurs. Accompagner le frère, c’est reconnaître soi-même ses propres pauvretés. Et ainsi ouvrir un espace où chacun peut être lui-même, dans la confiance et le respect, permettant de nouveau l’estime de soi. Écouter jusqu’au bout pour que la fraternité ne soit plus l’éternel troisième petit dernier de notre triptyque républicain… mais soit en tête, et dans les cœurs.
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Dominique HIESSE Témoignages La relation fraternelle au-delà des apparences. . . . . . . . . . . . 8 Laisser chacun reprendre sa place. . . . 9 L’isolement par l’alcool . . . . . . . . . . . 10 Au carrefour d’intérêts multiples. . . . 11
éclairage biblique Une rencontre qui ouvre à la lumière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
Contrechamp Mille et une formes de précarité . . . . 13
Pour continuer en réunion . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
Repères ignatiens Saint Ignace et la Maison Sainte Marthe. . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
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La relation fraternelle au-delà des apparences
Manuèle travaille dans des communautés Emmaüs avec des personnes victimes de la très grande exclusion. Fidèles aux intuitions de l’abbé Pierre, les communautés sont d’abord des lieux d’accueil, où chacun peut exercer sa puissance de créativité, d’action, d’intelligence et d’amour.
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Dans les communautés Emmaüs avec lesquelles et pour lesquelles je travaille, nous accueillons des personnes victimes de la très grande exclusion. A leurs rencontres, j’ai d’abord pris conscience que la misère était une spirale dont il est difficile de s’extraire. Isolé, sans toit, sans emploi, on perd assez rapidement l’estime de soi, la confiance. S’installe alors un sentiment d’insécurité permanente, une perte de repères. Il faut du temps, beaucoup de temps pour se reconstruire, et ce chemin est rarement linéaire. Le plus difficile est de croire qu’une autre vie est possible.
rencontre et la relation sont premières ; et les personnes accueillies « compagnons », attentifs à l’accueil de tout nouvel arrivant. Les activités (le ramassage des objets, le tri et le réemploi) génèrent suffisamment d’argent pour permettre aux compagnons de soutenir des actions de solidarités, locales ou internationales. Les exclus d’hier deviennent ainsi des acteurs de solidarité.
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Les bénévoles s’appellent les « amis » pour manifester que la
Au fil du temps et des multiples rencontres, je mesure combien mon engagement à Emmaüs modifie mon regard et bouscule mes représentations. A bien des reprises, j’ai pris conscience que je me plaçais dans une position « d’aidant ». C’est une conversion que de mesurer le chemin personnel à accomplir pour vivre réellement une relation fraternelle. Dernièrement, alors que je me trouvais dans une assemblée générale d’association, face à un adhérent agressif, Abdel, compagnon de la communauté prend la parole. Avec gentillesse, il lui demande « Je ne t’ai jamais vu à la communauté, tu ne viens pas travailler avec nous ? ». Le monsieur se calme. En quelques
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mots simples, Abdel avait rappelé que nous étions d’abord là pour conduire un projet commun. Les exemples sont nombreux où les compagnons interviennent avec bon sens, parfois avec humour, nous replaçant au cœur de la relation… A chaque fois, cela me surprend tellement ! Le fossé qui sépare Lazare du riche, nous le creusons, effectivement… et il est profond ! Parfois pourtant, il paraît simple de franchir ce fossé. Ainsi, lors de l’enterrement de l’abbé Pierre, alors que nous attendions dans NotreDame le début de célébration, un compagnon s’est approché de Dominique de Villepin, alors premier ministre. La conversation s’engage entre les deux hommes. De loin, je regarde la scène. Puis, le compagnon salue le ministre. Me voyant l’observer, il me dit « Il était tout seul, il avait l’air de s’ennuyer, alors je suis allé lui parler ». Je garde ce souvenir, comme un bel exemple de ce que les hommes peuvent vivre ensemble… Manuèle
Laisser chacun reprendre sa place Delphine est conseillère conjugale. La détresse et la pauvreté des couples qu’elle rencontre est souvent très profonde, en dépit des apparences. Elle nous raconte un de ses entretiens.
J’étais remuée face à ce riche et grand homme qui se mettait « à nu » devant moi (il m’avait parlé de son métier dans les médias, très lucratif mais source d’un immense stress). Je m’efforçais de rester à bonne distance et de l’aider avec empathie à ce qu’il exprime sa rancœur et sa tristesse. Il termina son long monologue en exprimant tout l’amour qu’il avait pour sa femme. Aurore était restée silencieuse ; ses grands yeux noirs s’étaient mouillés à la fin du partage de son mari. Elle prit la parole et me confia l’énorme blessure qu’elle n’arrivait pas à supporter : il y a six mois elle était enceinte (cela aurait été le premier enfant de leur couple) mais malgré son
grand désir d’être à nouveau mère, elle avait avorté à la demande de son mari. Je ressentais une grande colère, un sentiment de gâchis et un besoin de comprendre les véritables raisons de son choix. Quelle était sa peur, plus forte que le désir de donner la vie ? Je m’efforçais de ne rien laisser paraître et m’appuyais sur ses mots pour rebondir. Aurore parla de son premier mariage et de sa souffrance d’élever seule son fils suite au départ de son premier mari. Elle expliqua aussi que la relation avec son thérapeute était un cri de détresse : elle avait absolument besoin d’être regardée, écoutée et entendue. Nous nous revîmes plusieurs fois. A chaque fois, leurs regards se faisaient plus doux, plus longs. Raphaël demanda souvent pardon à Aurore pour ses négligences et maladresses. Un jour, il lui dit : « Aurore, si tu avais choisi seule de garder notre enfant, je sais que je l’aurais très vite accepté et aimé ». Je suis restée silencieuse, j’avais besoin de laisser le temps à chacun d’entendre l’autre et de reprendre sa place. Aurore comprit
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Nous avions rendez-vous en fin d’après-midi. Raphaël sortait de l’hôpital après un accident de voiture. Il avait volontairement pris le volant après avoir bu seul une bouteille de whisky. Très vite les larmes sont apparues. Il était à bout. En quelques semaines, il avait perdu son fils aîné (né de sa première femme) d’un suicide et découvert que sa femme le trompait depuis plusieurs mois avec son thérapeute.
quel pouvoir elle avait accordé à la parole de son mari… Ce n’étaient que des mots. Elle réalisait qu’elle avait eu le choix. Elle laissa échapper ses larmes de tristesse et peut-être aussi de soulagement. La décision lui appartenait. Pouvait-elle en vouloir toujours autant à son mari ? Peu à peu, son amour pour Raphaël était prêt à renaître et elle put elle aussi lui demander pardon. Mon « silence bienveillant » leur avait permis de se livrer sans se sentir jugés. Chacun avait retrouvé sa place. Ils formaient de nouveau un couple, souffrant mais apaisé. Delphine Septembre 2012
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L’isolement par l’alcool Pauvre, quand l’addiction est maître de nous-mêmes et qu’on vit l’exclusion et le dégoût des autres. Qui peut comprendre cette pauvreté vécue si profondément ? Des lieux de fraternité peuvent parfois, peu à peu, redonner vie et estime de soi.
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Hier la journée avait bien commencé, mais au repas avec des clients j’ai beaucoup trop bu. Après, j’ai quitté le bureau et avec des amis dans un bar, j’ai continué sans pouvoir m’arrêter. Je suis rentré sans savoir à quelle heure de la nuit. Ce matin je me suis levé avec des maux de tête, des tremblements, et une grande envie de vomir. Ma femme sans parole m’a regardé avec mépris. Les enfants ne m’ont pas dit bonjour. L’atmosphère était pesante comme chaque fois que je rentre ivre, et c’est de plus en plus fréquent. Au travail, idem, je n’assume plus, et
les amis sont devenus rares, un grand vide s’est créé autour de moi. J’ai conscience de la situation, et malgré tous mes efforts, ça s’aggrave. Je n’en peux plus, je touche le fond. Je me souviens de quelqu’un qui avait cessé de boire. Et pourquoi pas moi ? C’est décidé, ce soir j’irai à une réunion des AA (Alcooliques Anonymes), comme lui, mais pas dans ma ville, de peur que l’on me reconnaisse.
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Dans la salle, hommes et femmes, une vingtaine, sont assis autour d’une table. L’un d’eux se lève : « Je m’appelle Gigi, je suis un alcoolique, mais je vais bien grâce aux AA », et gentiment, après m’avoir demandé si j’avais un problème d’alcool, me propose de m’asseoir et se met à côté de moi. Les visages sourient en guise de bienvenue ; cela me va droit au cœur. Comme chaque fois qu’il s’agit d’accueillir un nouveau, chacun évoque brièvement la première étape de son parcours AA : « Nous avons reconnu que nous étions impuissants devant l’alcool et que nous avions perdu la maîtrise de notre vie ». Puis vient mon tour ; j’ai tant de choses à dire sur mon mal-être, mais seule
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ma perte de maîtrise devant l’alcool est exprimée. Je me sens écouté, compris, jamais jugé. Gigi m’explique les douze étapes de rétablissement et me suggère de revenir régulièrement en réunion pour les mettre en pratique dans tous les domaines de la vie. En rentrant en voiture je chante à voix haute ma joie, je reconnais mon addiction, et j’ai pu en parler à des gens qui en ont vécu de semblables. J’ai compris que je vais cesser de boire. En 20 ans je n’ai plus bu une seule goutte d’alcool, ni eu soif d’y revenir. Je continue à aller en réunion AA, Gigi est toujours abstinent ; c’est l’écoute et l’aide d’autres alcooliques à parvenir à la sobriété qui me tiennent dans la persévérance. Le Serment de Toronto pris lors du 30e anniversaire des AA m’habite : « Si quelqu’un, quelque part, tend la main en quête d’aide, je veux que celle des AA soit là Et de cela, je suis responsable ». Georges
Alcooliques Anonymes Permanence téléphonique 24/24 : 0820 326 883
Au carrefour d’intérêts multiples Muriel est coach : elle accompagne des managers en entreprise, majoritairement à la demande de leur hiérarchie. Souvent prise en étau entre des avis qui diffèrent, elle est vigilante à poser les conditions d’une écoute en vérité.
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L’écoute est au centre de mon travail, et le cadre d’intervention est essentiel pour respecter une certaine déontologie. En effet, je suis payée par l’entreprise, le sponsor du coaching, pour accompagner un de ses collaborateurs, mon client : je dois donc aider à établir un contrat tripartite clair qui définisse les rôles de chacun et évite une instrumentalisation du coaching par les deux parties : « Je vous l’avais bien dit, c’est mon chef qui doit changer et pas moi » ou « Rendezle nous plus blanc » ou encore « Dites-nous ce qu’il vaut ». Après avoir rencontré le coaché pour vérifier que nous avons envie de travailler ensemble et que je me sens compétente pour l’aider, la réunion tripartite que j’anime permet de creuser un certain nombre de questions : le coaché est-il volontaire pour ce coaching ? Quel problème souhaite-t-il résoudre ? Est-ce le
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Mes missions sont liées parfois à une prise de poste, le plus souvent à la résolution d’un problème ; soit personnel (situation de stress dans un contexte de changement), soit relationnel ou managérial.
même que sa hiérarchie ? Que se passerait-il si les objectifs de la mission n’étaient pas atteints ? L’étape préparatoire est essentielle pour repérer ce qui peut être fait aussi par le hiérarchique pendant la durée du coaching : réunions plus fréquentes, retours sur les point d’évolution constatés ; en aucun cas, je ne remplace la hiérarchie et quand mon intervention permet au contraire de renforcer la relation entre le coaché et son chef, c’est encore mieux ! Parfois aussi certaines situations m’indignent : l’épuisement professionnel, des injonctions contradictoires comme par exemple celle que vit M. à qui on demande de prendre des initiatives tout en lui
reprochant d’en prendre. J’écoute alors mes propres émotions pour les utiliser au service du coaching : est-ce plus utile de rester neutre, de partager mon indignation pour aider mon client à prendre conscience ? Comment l’aider à retrouver des marges de manœuvre, à redevenir acteur dans son contexte parfois difficile ? Cette écoute m’invite à une présence toujours plus juste : présence à ce qui se passe en moi dans ce moment de relation unique et qui me guide dans mon travail, présence à la personne qui est en face de moi, à ce qu’elle dit mais aussi à ce qu’elle ne dit pas ou exprime autrement. Muriel Septembre 2012 11
Chercher et trouver Dieu
Mille et une formes de précarité Le projet de « Diaconia 2013 » est ambitieux. Dire, en effet, que « les personnes en situation de pauvreté et de précarité doivent être davantage au cœur de nos communautés chrétiennes » va très loin. Surtout si, comme nous le faisons dans ce numéro, nous rajoutons l’exigence « d’écouter le frère jusqu’au bout ».
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L’une des conditions pour y parvenir est de reconnaître que nous-mêmes ne sommes pas inoxydables, mais vulnérables et pauvres. Surtout si dynamisme et compétence permettent de cacher notre fragilité sous un vernis d’assurance naturelle. Oser prendre conscience de nos failles aide à établir un pont avec ceux que la précarité éprouve lourdement.
ceux qui galèrent à chaque fin de mois pour arriver à payer les factures d’électricité et nourrir leurs enfants. Des hommes et des femmes qui éprouvent une double peine car, non seulement, ils n’ont pas assez d’argent mais ils sont tourmentés par la lancinante question du lendemain : comment tenir jusqu’à la fin du mois ? Ils vivent une existence où l’inquiétude affaiblit la force de vivre et débouche sur l’exclusion.
La galère des fins de mois À l’égard des pauvres, nous sommes aujourd’hui en plein paradoxe. En effet notre société moderne ne sait qu’inventer pour rendre la vie des gens plus facile et cependant le nombre de ceux qui vivent en situation de précarité ne cesse d’augmenter. Nous ne les voyons pas toujours mais ces personnes sont autour de nous car la pauvreté actuelle n’est pas uniquement celle du manque d’argent. En parlant des pauvres qui vivent en France, on pense d’abord à
Douter de soi Il existe aussi des pauvretés qui ne sont pas matérielles. En particularité la pauvreté culturelle qui touche ceux qui, ayant peu de formation, se sentent perdus dans une société hyper technicisée et juridiquement très complexe. Un monde où de nombreuses démarches de la vie quotidienne deviennent difficiles si l’on n’a pas quelques notions de droit, des lumières sur les mécanismes économiques et un minimum d’initiation à l’informatique. Une partie de la population se sent très mal armée pour effectuer
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les actes nécessaires pour se maintenir à flots. Chez certains grandit ainsi le sentiment d’être incapable, ce qui engendre le doute sur soi, un doute très pénalisant, en particulier dans la recherche d’emploi. Cette précarité culturelle est très handicapante dans une société qui valorise autant les battants et les gagneurs. D’autres pauvretés pendant longtemps n’ont pas été identifiées comme telles : les situations de solitude (temporaires ou définitives). Elles ne cessent d’augmenter à la suite des ruptures familiales et des échecs affectifs qui se produisent à tous âges. Si certains arrivent à assumer tant bien que mal leur isolement, beaucoup perdent pied. Et quand la solitude affective s’ajoute aux difficultés financières, on expérimente la véritable pauvreté qui rend la vie extrêmement difficile. On le voit avec les familles monoparentales quand les mères se retrouvent seules pour élever leurs enfants.
Enfin nous voyons apparaître une précarité très contemporaine, celle des hommes et des femmes qui se sentent désorientés et perdus. Non pas en raison d’un manque d’argent ou de culture mais parce qu’ils ont perdu leurs repères dans une société déconstruite. Autrefois, même si elles pouvaient paraître contraignantes, les traditions familiales et les habitudes sociales donnaient des repères. Aujourd’hui, ceux-ci n’existent pratiquement plus et de nombreuses valeurs sont laminées. Certains ont donc l’impression que la confusion assombrit tout l’horizon. Ils découvrent que notre monde est lancé dans une course aveugle, seulement propulsé par la logique anonyme de la compétition. Aujourd’hui des hommes et des femmes sont perdus dans ce monde opaque et imprévisible qui, à leurs yeux, sait seulement fabriquer du non sens. Aussi les 10 500 suicides (chiffre sous évalué semble-t-il) qui ont lieu chaque année en France (selon l’Observatoire des suicides1) sont préoccupants.
Accompagner le frère Il est donc vital que les communautés chrétiennes soient très attentives aux personnes en situation de pauvreté et de précarité. La tâche peut paraître immense
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A l’horizon, la confusion
car il ne s’agit pas seulement de faire des dons « aux pauvres » de la paroisse. Il faut être présent à toutes les formes de précarité que nous repérons autour de nous. Certes, nous ne sommes pas tous compétents pour aider mais nous pouvons tous essayer « d’écouter le frère » en cheminant avec lui le plus longtemps possible. Le christianisme nous invite à aimer les autres, et c’est très positif, mais la formule est devenue trop vague car elle ne s’applique pas de la même manière à toutes les situations. On ne peut aimer un SDF comme on s’efforce d’aimer un collègue agaçant ou comme on chérit son enfant. Aussi accompagner l’autre c’est essentiellement le traiter comme un sujet c’est-à-dire un homme ou une femme qui a une vie personnelle, une sphère intime où il développe des pensées, des désirs, des craintes, des projets. Souvent il a besoin de parler, clairement ou par allusions, de tout ce qui bouillonne en lui. Le
traiter comme un sujet et non comme un objet c’est l’écouter, être attentif à ce qu’il a envie de dire, à ses tâtonnements, à ses préoccupations et ne pas lui faire des réponses toutes faites. Traiter l’autre comme un sujet veut dire aussi le respecter dans ses désirs et ses décisions. Ne pas l’instrumentaliser, penser et agir à sa place. Au contraire, on doit lui donner les outils pour tracer lui-même son chemin. Enfin traiter le frère comme un sujet, c’est l’aider à avoir confiance en lui et à donner le meilleur de lui-même. Cela signifie que l’on évite les paroles qui le bloquent et insinuent le doute dans sa tête. On doit, au contraire avoir une attitude valorisante qui encourage.
1. Voir sur www.observatoiresuicides.fr et sur www.infosuicide.org/ pointdevue/statistique/ index.htm
Si pour moi, le frère est un sujet, je respecte réellement la part de sacré et de mystère qu’il porte en lui. Yves de Gentil-Baichis Septembre 2012 13
Chercher et trouver Dieu
Une rencontre
qui ouvre à la lumière 46 Jésus et les disciples arrivent à Jéricho. Comme Jésus sortait de Jéricho avec ses disciples et une assez grande foule, l’aveugle Bartimée, fils de Timée, était assis au bord du chemin en train de mendier.
47 Apprenant que c’était Jésus de Nazareth, il se mit à crier : « Fils de David, Jésus, aie pitié de moi ! » 48 Beaucoup le rabrouaient pour qu’il se taise, mais lui criait de plus belle : « Fils de David, aie pitié
de
moi ! »
49 Jésus s’arrête et dit : « Appelez-le. » On appelle l’aveugle, on lui dit : « Confiance, lève-toi, il t’appelle. » 50 Rejetant son manteau, il se leva d’un bond et il vint vers Jésus. 51 S’adressant à lui, Jésus dit : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » L’aveugle lui répondit « Rabbouni, que je retrouve la vue ! »
52 Jésus dit : « Va, ta foi t’a sauvé. » Aussitôt il retrouva la vue et il suivait Jésus sur le chemin.
marc 10, 46-52 Jésus, après avoir par trois fois annoncé sa Passion, revient en Judée et marche vers Jérusalem. Il est accompagné par ses disciples et une « assez grande foule ». C’est alors que retentit un cri, celui d’un aveugle assis au bord du chemin. Manifestement Bartimée est un homme marginalisé, réduit à la mendicité du fait de son handicap. Comme pour les autres malades de son temps, cette dépendance économique l’exclut de la société. De plus la maladie étant alors imputée à l’esprit du mal et vue comme une conséquence du péché, il est aussi rejeté du peuple de Dieu. Dans ce contexte, la réaction de la foule, qui veut le faire taire car il dérange, n’est pas étonnante. Elle montre la solitude et l’exclusion de ces infirmes. On cherche à étouffer le cri de Bartimée ; mais lui crie de plus belle ! Jésus entend le cri de détresse. Et contrairement à son entourage, il se laisse toucher et atteindre par la souffrance 14 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 19
de l’aveugle. Car tout ce qui concerne la vie des hommes le concerne et il souffre du sort qui est fait aux exclus et des barrières entre les hommes. Aussi Jésus provoque ceux qui le suivent à un changement d’attitude : « Appelez-le ». Les voilà maintenant qui se tournent vers l’aveugle et qui l’encouragent. Et le résultat ne se fait pas attendre : « Rejetant son manteau, il se leva d’un bond ». Bartimée n’est pas encore guéri mais le voici debout ! En laissant ainsi son vêtement, signe de son identité, il quitte sa condition d’exclu et retrouve sa place dans le peuple. Quitter son manteau c’est aussi laisser tout ce qu’il possède pour aller vers Jésus ! Ces gestes, Jésus les voit. Il voit l’élan qui anime cet homme ; il voit sa foi. Dans l’aveugle au bord du chemin qui l’a appelé, il a entendu son attente ; dans l’insistance de son appel au secours, il a entendu la confiance qu’il lui fait. Car en le nommant « Fils de David », Bartimée
Une rencontre face à face, un vrai dialogue de personne à personne, où l’aveugle est invité à prendre la parole, à dire son désir. « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » La question peut paraître superflue tant la réponse semble évidente. Mais Jésus respecte la liberté de ceux qui l’approchent ; il n’agit qu’en réponse à un désir. En s’adressant à Jésus, non pas avec le terme « Rabbi », mais en disant « Rabbouni » comme Marie-Madeleine au jardin, Bartimée ne dit-il pas aussi son désir d’intimité avec celui qu’il reconnaît comme son maître ? Le miracle a lieu et le don va au-delà de la guérison physique, c’est le salut de l’homme tout entier qui est donné. Bartimée est voyant, un parmi les disciples et témoin à son tour de la bonne nouvelle du salut. Et si les disciples et la foule avaient quelque chose à recevoir de cette rencontre… Recevoir les manières de faire de Jésus ; mais aussi se laisser instruire par Bartimée lui-même. A ce moment où Jésus, annonçant sa Passion, se révèle comme un messie souffrant et triomphant, cette rencontre les invite à croire comme lui et à se laisser ouvrir les yeux. Une invitation pour nous aujourd’hui, dans la dynamique de Diaconia 2013, à rencontrer des personnes en situation de fragilité et à se laisser transformer et éclairer par cette démarche de fraternité. Une invitation aussi à reconnaître nos propres fragilités comme des lieux où Dieu se révèle. Marie-Élise Courmont
© Barbara Strobel
reconnaît Jésus de Nazareth pour ce qu’il est : le Messie attendu par le peuple d’Israël. Rencontre et miracle peuvent alors avoir lieu.
POUR PRIER… + Me représenter la scène : Jéricho, le chemin qui va de Jéricho à Jérusalem, les différents personnages. Et prendre place dans cette scène.
+ Entendre la parole « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » et demander ce que je désire recevoir dans ce temps de prière.
+ De là où je suis, écouter ce qui se passe, ce qui se dit. Qu’est-ce que j’entends ? De là où je suis, regarder les attitudes, les gestes. Qu’est-ce que je vois ?
+ Laisser réfléchir ce que j’ai vu et entendu sur les situations concrètes de ma vie, pour en tirer profit.
+ Adresser au Seigneur ma prière : Vous pouvez retrouver cet évangile et des questions pour aider à un partage en groupe dans le hors série de Prions en Église « Parole de Dieu, service du frère ».
un merci pour une lumière reçue ou un cri vers Celui qui peut me sauver ou encore à nouveau l’expression de ce que je voudrais qu’Il fasse pour moi.
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Chercher et trouver Dieu
Saint Ignace et la maison Sainte Marthe La Maison Sainte Marthe (« Casa Santa Marta ») était une œuvre de charité fondée par Ignace de Loyola en 1543, à Rome, pour accueillir des prostituées, leur offrant un programme de réinsertion sociale. Cette initiative apostolique novatrice, qui rendait la dignité aux personnes prostituées tout en s’attaquant au fléau de la prostitution, montre qu’aux sources mêmes de la spiritualité ignatienne se formulait déjà une option préférentielle pour les pauvres.
Q
1. Charles Chauvin « La maison Sainte Marthe, Ignace et les prostituées de Rome » dans Christus n°149, p.117 à 126. Les autres citations sont tirées de cet article.
Qui aujourd’hui connaît les quatorze « œuvres de piété » que fonda saint Ignace à Rome ? Le souci apostolique d’Ignace ne s’est pas limité aux collèges ou aux missions ad extra. « Il fonda des maisons pour les orphelins, un groupement de nobles en faveur des mendiants ; il se préoccupa des Juifs, des Turcs et des malades. Parmi ces marginaux, il y avait des prostituées »1.
Dix ans d’efforts Dans la Rome du XVIe siècle la prostitution est un fléau social. Aux femmes qui souhaitent en sortir, une seule voie s’ouvre : entrer dans un des couvents de repenties placés sous la protection de sainte Madeleine, la pécheresse repentante. Elles y vivaient recluses dans une vie de pénitence. Ignace est scandalisé de leur situation. Ces repenties n’ont pas forcément une vocation monastique ! En 1542 il imagine et crée pour elles
la Maison Sainte Marthe. Le choix du patronage est significatif, le modèle offert n’est pas polarisé par leur passé mais ouvert à un avenir dynamique : Marthe est la maîtresse de maison accomplie qui accueillit Notre Seigneur. Un des inconvénients des monastères de réhabilitées était aussi que tout le monde ne pouvait y entrer. Les statuts précisaient : « Il faut en exclure les malades, les femmes âgées, laides ou mariées ». Ces couvents n’avaient pas vocation à soigner des femmes usées et vieillies prématurément par leur métier. Aussi celles qui n’avaient plus de succès sur le trottoir traînaient leur misère dans les rues de Rome. Ignace consacrera dix ans d’efforts pour leur venir en aide. Il commence par mobiliser un groupe de bienfaiteurs et, cela n’étonnera pas, frappe à la porte du Pape. Il obtient soutien et encouragement de Paul III qui
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lui accorde en février 1543 une bulle d’érection de la ‘Compagnie de la Grâce’, confrérie chargée de récolter les fonds et d’organiser l’œuvre. Ignace prévoit les statuts de la maison. Elle pourra accueillir les femmes mariées vivant dans le péché de fornication ou d’adultère, séparées de leur mari, et d’autre part les prostituées célibataires qui acceptent de rompre avec leur vie de débauche. « Les unes et les autres feront le choix » est-il spécifié.
L’admission Avant d’être admises, les candidates rencontreront deux présidents laïcs et le confesseur de la maison. Le questionnaire « aidemémoire » à la disposition des présidents est précis : elles seront interrogées sur leur origine, leur famille, leur santé, leur situation matérielle et sur leur intention. Tout cela n’est pas neuf et ressemble à ce qui se pratique déjà
La fondation a un nom et des statuts, reste à trouver l’argent et l’encadrement et aussi… des pensionnaires. Ignace payera de sa personne, arpentera les trottoirs comme le raconte avec humour un de ses biographes : « A l’époque où la maison Sainte Marthe fut fondée à Rome, Ignace eut coutume de les accompagner sur la voie publique… C’était un merveilleux spectacle de voir marcher le saint vieillard devant une jeune et jolie femme des rues… » Grâce à lui et aux bénévoles qui le secondent, la maison se remplit : quatre-vingt personnes y trouveront refuge en 1543. Ignace suit les choses de près et propose aux femmes une formation qui leur permettra un emploi rémunérateur. Des Exer-
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pour l’admission dans les foyers de repenties (comme d’ailleurs dans les noviciats religieux). Ce qui est plus nouveau dans le projet d’Ignace c’est le choix offert aux femmes. Choqué de les voir poussées de force dans une vie conventuelle, il décide qu’elles choisiront elles-mêmes la voie qu’elles souhaitent. Il prête attention à leur motivation : dans le cas où elles voudraient être religieuses, le feraient-elles par désespoir ou par amour authentique ? Polanco, le secrétaire d’Ignace, explicite les trois choix possibles : « Après un temps de probation, elles seraient rendues à leur mari ou bien elles entreraient dans la vie religieuse, ou bien elles seraient mariées honorablement. »
▲ église (désacralisée) et ainsi couvent Sainte Marthe.
cices spirituels sont aussi prévus : Ignace va lui-même donner une retraite. Les résultats suivent : deux ans après, plus de la moitié d’entre elles sont reparties et ont repris une vie honnête. L’entourage d’Ignace a bien essayé de le convaincre de renoncer à la tâche. « Quand même toutes mes peines et mes efforts ne pourraient en amener qu’une seule à s’abstenir du péché, répliquet-il, ne fût-ce qu’une seule nuit, pour l’amour de Notre Seigneur Jésus-Christ, je ne négligerais absolument rien même si j’étais assuré qu’elle retournerait ensuite sur-le-champ à son ancien vice. » En 1546, une crise éclate. Un religieux de Rome voit d’un mauvais œil cet apostolat et intente un procès à Ignace. Il aurait ouvert la Maison Sainte Marthe sans les autorisations requises, voudrait réformer le monde entier et prétendrait débarrasser Rome des femmes adultères.
Heureusement le Pape rejettera l’accusation et il n’y aura pas de procès. D’autres difficultés se succéderont ensuite.
Et après ? Il se fondera par la suite des établissements de ce type en Italie et en Espagne dont certains auront une longue durée. Mais en 1548 Ignace se retire et passe la main, d’autres projets l’attendent. Vingt ans après sa mort, la Casa Santa Marta est devenue un couvent de religieuses Aux siècles suivants, le relais sera pris par d’autres. Peut-on voir dans ces nouvelles réalisations une influence ignatienne ? C’est difficile à affirmer. Saint Jean Eudes (qui fit ses études chez les jésuites et souhaita entrer dans la Compagnie) fonde au 17e siècle, avant même les eudistes, l’institut des sœurs de Notre-Dame de Charité dont Septembre 2012 17
Chercher et trouver Dieu
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l’œuvre principale est l’accueil des femmes en difficulté. Au 19e siècle, une des religieuses de cette congrégation fonde « le Bon Pasteur » d’Angers qui se développera mondialement. En 1930, le Père Talvas dans la mouvance de l’encyclique sociale « Rerum novarum » et de l’Action Populaire fondée par les jésuites fonde avec Germaine Campion un mouvement de laïques, « le Nid », dont le but est de lutter contre la prostitution et d’aider les femmes qui en sont victimes. Le Père Talvas avait fait les Exercices et les proposait aux membres du Nid. Même si l’action d’Ignace en ce domaine est peu connue et n’a pas eu de grands lendemains, la rappeler dans le contexte de
la préparation de Diaconia 2013 n’est pas fortuit et peut être utile aux compagnons de CVX. Comment la grâce ignatienne éclaire-t-elle leur manière de participer à cet événement d’église ? Jusqu’où l’échange et la fraternité avec ceux qui sont socialement ou affectivement blessés les mèneront-ils ? Ignace manifeste une confiance en l’autre, dans la demande d’aide aux personnes disponibles, et d’argent à ceux qui peuvent en donner. Confiance aussi aux femmes emprisonnées dans leur vie donnée à tous vents. Il agit avec prudence, ne néglige pas l’information avant de les accueillir, ni la formation qui leur permettra de faire face à l’avenir. Il propose enfin des Exercices
adaptés au point où elles en sont. Le cadre de prière, l’alternative posée et une procédure les mettront dans les conditions de faire « élection ». Chacun n’a pas une logistique permettant une telle mise en œuvre, mais la famille ignatienne a déjà montré qu’en s’articulant les uns aux autres beaucoup de possibles deviennent des réalités. L’Assemblée de la Communauté a souligné « l’écoute jusqu’au bout » comme une des caractéristiques du charisme qui rassemble la CVX. Et si le « jusqu’au bout » était d’ouvrir à l’autre un espace où sa liberté pourra éclore ? Marie Emmanuel Crahay, as
Pour continuer en réunion Des pistes pour un partage :
• F aire mémoire d’une expérience de rencontre avec des personnes fragilisées. Y a-t-il eu véritablement rencontre ? Qu’est-ce qui a aidé ? Qu’est-ce que cela a permis ? Qu’est-ce que j’ai donné et qu’est-ce que j’ai reçu ? • Y a-t-il des pauvretés auxquelles je suis davantage sensible ? lesquelles ? Qu’est-ce que je fais ou pourrais faire pour rencontrer les personnes qui les vivent ? Qu’est-ce que cela m’apporte ? Qu’est-ce qui est difficile ? Comment ma communauté locale pourrait-elle m’aider ? • En prenant appui sur mon expérience de rencontre avec des personnes fragilisées, qu’est-ce que, pour moi, « écouter jusqu’au bout » ? Voir aussi le Hors Série de Prions en église « La diaconie à la lumière de l’évangile » et celui de La Vie, « Service du frère, expérience de foi » : 6 thèmes pour des partages Des livres et revues pour approfondir :
• La fraternité, une contre-culture ? n°329 de la revue Projet, août 2012. A commander à secretariat@ceras-projet.com
• Diaconie et Parole -Cahiers de l’atelier n°530- éditions de l’Atelier. • Pour une église diaconale : des chrétiens au service de la société - Antoine Sondag. DDB. • Un lien si fort, étienne Grieu sj. éditions de l’Atelier, 248 pages. 18 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 19
Le Babillard © B. Strobel
Donne-moi ton regard
Le CD « Diaconia 2013, servons la fraternité » est maintenant disponible. Des chants remplis de fraternité, des musiques pleines de joie de vivre, des paroles qui respiren t « Diaconia » !
Hors-série La Vie : Service du frère, Expérience de foi
Le choix des six thèmes - la fraternité , la paix, la politique, l’égalité, l’étranger, la tran sformation sociale - permet à des groupes variés, paroisses, mouvements et services, des pers onnes de toutes conditions et cultures (y com pris des personnes en situation de grande frag ilité) de partager leur manière de vivre la diac onie en se laissant éclairer par la Parole de Dieu , des textes de Vatican II et du Pape Jean Paul II.
Parole de Dieu, service du frère
En partenariat avec « Prions en Église », trames pour des rencontres en petit s groupes autour de textes d’évangile. 15 « fiches Parole » autour du service du frère annoncé et vécu par le Christ.
http///diaconia2013.fr
Vous avez besoin de faire une pause ? Vous êtes à une étape charnière de votre vie (retraite, etc) ? Nous vous proposons de vivre un mois ou un trimestre (ou plus !) de service bénévole dans une démarche spirituelle ignatienne : mi-temps pour le service, mi-temps pour soi (formations proposées par la maison, prière, accompagnement personnel et découverte de la région). Participation à la vie de la maison (offices, repas). Logement en maison indépendante pour personne seule ou couple. Contact et renseignements : Isabelle Danjou – 03 20 26 09 61 contact@hautmont.org www.hautmont.org
Les éditions
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tienne, rééditent deux livres, spécialistes de la spiritualité igna dans une édition nouvelle et ans, dix indisponibles depuis plus de augmentée : nace de Loyola, • Dieu au quotidien, à la manière d’Ig s.j. de Jean-Claude Dhôtel, s.j. • être accompagné, de Léo Scherer, . 2012 et juill 18 Disponibles depuis le A commander sur : www.editionsviechretienne.com
Temps for ts de compagnonnage WEEK-END EMMAÜS
Le centre met à la disposition des équipes (8 à 10 personnes) un logement indépendant (salon, salle à manger, 3 chambres). Les repas de la collectivité peuvent y être pris en commun. Possibilité d’apporter des à-côtés : réfrigérateur disponible. Horaires, intervenant éventuel et programme peuvent être adaptés à votr e convenance.
WEEK-END SERVICE
Pour une équipe CVX, faire l’expéri ence du service à Saint Hugues, en communauté. Possibilité de combine r avec les week-ends Emmaüs. Pour une durée plus longue, voir aussi les sessions Amar Y Servir.
HALTES SPIRITUELLES EN éQUIP
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Venez et voyez. Laissons-nous regarder par le Christ. Seigneur, apprends-nous à prier. Pour toutes ces propositions, une pers onne vous aide à définir et à organiser votre temps fort. Contact : direction@st-hugues-debiviers.org
A la suite d’Ignace, pèlerin à Jérusalem
• Le projet : proposer à nouveau à 40 jeunes adultes de la Communauté de Vie Chrétienne (CVX) de moins de 40 ans*, et à leurs amis du Mouvement Eucharistique des Jeunes (MEJ) et du Réseau Jeunesse Ignatien (RJI), un pèlerinage en Terre sainte qui croise la démarche « bible sur le terrain » et la dimension ignatienne (*Si vous avez entre 40 et 50 ans et vous ressentez un appel à faire ce pèlerinage : contactez-nous). • Du lundi 11 mars au vendredi 22 mars 2013 (10 jours sur place plus A/R). Animateurs : P. Moïse Mouton, sj, bibliste et guide expérimenté de la Terre Sainte, et P. Paul Legavre, sj. • Prix : 1500 € (tout compris, solidarité et étalement des versements possible). • Contact : contact@cvxfrance.com Septembre 2012 19
Se former
Choisir son lieu pour prier « Quand tu veux prier, entre dans ta chambre la plus retirée, verrouille ta porte, et adresse ta prière à ton Père qui est là dans le secret. Et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra » (Matthieu 6, 6).
L
Le lieu de la prière n’est pas celui où l’on est vu des hommes, cherchant sa récompense dans l’approbation des autres. Nous pensons facilement que ce danger ne nous menace plus aujourd’hui, la valeur de la prière n’étant guère cotée en bourse ! Mais le risque demeure d’aller prier dans le seul souci d’être en règle. Il faut prier ! Il convient de faire une retraite annuelle !… Le besoin d’être quitte vis-à-vis d’une prescription un peu vague et culpabilisante recouvre alors complètement le désir d’exister devant le Père. Il ne s’agit plus d’une rencontre, d’une exposition aventureuse à la présence de celui qui est là dans le secret, mais d’une démarche de sécurisation où nous risquons bien de nous mettre à l’abri de toute rencontre. Ainsi le frère aîné du prodigue, s’appuyant sur l’observation exacte des commandements pour éviter subtilement la présence questionnante de son père.
L’accomplissement du devoir de prier devient alors un alibi. Au lieu de me tenir là, devant le Seigneur, je me tiens ailleurs, tout occupé à observer le précepte.
Vivre sous la loi, c’est, depuis Adam, une manière de se cacher parmi les arbres du jardin. Comment donc trouver le lieu de la rencontre ? Une rencontre n’est vraie que dans la mesure où les deux personnes sont vraies. Si Jésus m’invite à entrer, pour trouver le Père, dans ma chambre la plus retirée, c’est parce que c’est l’endroit où je suis moi-même. Car il y a, en chacun de nous, une multitude de personnages sociaux, de rôles que nous jouons devant les autres, de masques dont nous nous protégeons, « afin de nous faire voir aux hommes ». Peut-être n’en avons-nous plus conscience : derrière ces attitudes conventionnelles réside notre vraie personnalité, celle que nous avons peut- être tant de mal à accepter avec ses limites et ses misères. Que le Seigneur pourtant connaît, accepte et aime. De là vient souvent notre désarroi dans la prière : nous avons perdu la conscience de notre être véritable. Nous voilà distraits, c’està-dire tirés hors de nous-mêmes par les désirs multiples qui nous divisent. Nous sommes
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préoccupés, immergés d’avance dans les soucis du lendemain. Nous sommes coupables, cherchant par quelles actions vertueuses nous pourrions retrouver, à nos propres yeux, la respectabilité. Tout cela, les païens le recherchent, dit l’Évangile. Mais votre Père céleste sait que vous en avez besoin. Notre foi en l’attention de Dieu devrait nous libérer de ces alibis : « Jette ton souci dans le Seigneur et lui te portera. » Mais il y a aussi la vérité de Celui devant qui nous nous tenons. Saint Grégoire de Naziance disait que lorsque nous pensons que l’image de Dieu que nous portons en nous est Dieu lui-même, nous remplaçons le Dieu vivant par une idole. Nous disons que Dieu est Père, ou Seigneur, ou Créateur. Et nous avons, certes, raison. A condition que ces mots soient évangélisés. Autrement nous risquerions, là aussi, de nous tenir devant un être imaginaire qui n’est que la projection de nos besoins, de nos malaises ou de nos remords. « Dieu est plus grand que notre cœur », audelà de nos images. Seul Jésus, dans ses gestes et ses paroles,
Trouver ce lieu spirituel suppose une démarche de foi, de patience et de vérité. La découverte d’un lieu physique approprié est secondaire. « L’heure vient, elle est là, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité » (Jean 4, 23) et n’auront plus besoin de monter à Jérusalem ou sur quelque mont Garizim. Aussi bien, si l’heure est venue, pour moi, de prier dans les grands magasins, à la cuisine, ou dans les embouteillages, je rendrai grâces au Seigneur. Mais il arrivera sans doute que ma tiédeur, ou quelque échec cuisant, m’amène à plus de modestie, à reconnaître que l’heure n’est pas encore venue pour moi : « Ôte tes sandales de tes pieds, car le lieu que tu foules est une terre sainte » (Exode 3, 5). Il nous faut trouver notre petite « terre sainte » : coin de chambre, tapis de prière, chapelle où nous laisserons à la porte les gros sabots de nos apparences et de nos prétentions, et pourrons vivre quotidiennement la rupture nécessaire. « Le matin, bien avant le jour, Jésus se leva, sortit, et s’en alla dans un lieu solitaire. Et là, il priait » (Marc 1, 35).
© Barbara Strobel
peut nous le révéler : « Qui me voit, voit le Père. » Cela fait si longtemps que nous sommes avec lui, et nous n’avons pas compris encore. Le vrai lieu de la prière, c’est de se tenir avec le Christ : « Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, demandez ce que vous voudrez, et vous l’aurez » (Jean 15, 7).
Invitation à la prière Livre Vie Chrétienne n°189 10 e A retrouver sur : www.editionsviechretienne.com La qualité de la vie, c’est la qualité de nos relations. Comment en serait-il autrement pour la vie chrétienne, et pour la relation qui la fonde : la prière ? De même que les conditions de travail, de logement, de transport, au lieu de nous isoler, doivent promouvoir les relations humaines, notre manière de vivre doit nous aider à trouver Dieu. Une vie sans prière devient vite inhumaine. Les chrétiens le savent bien, qui aspirent aujourd’hui à la retrouver comme une dimension essentielle de leur vie. Mais notre désir se heurte à de nombreuses difficultés, et le découragement nous guette. Retrouver les conditions de la prière, découvrir notre démarche propre et notre manière de prier : telle est la visée de ces pages. Elles ne cherchent pas l’originalité, mais la simplicité et la clarté. La maison du Père a beaucoup de demeures et le monde de la prière a plusieurs entrées. Aussi bien peut-on commencer la lecture de ce livret par ici ou par là, indifféremment. Invitation à la prière, invitation au travail – comme le suggère le chapiteau de Vézelay, appelé le « moulin mystique », qui orne la couverture. Car notre cœur est comme un moulin, qui broie ce qu’on y verse : du froment ou de l’ivraie. Seul l’Esprit de Jésus peut nous apprendre à prier. Nous ne pouvons rien sans son inspiration. Mais il ne peut rien sans notre effort. « Il faut vous mettre à l’œuvre, dit Jésus, pour obtenir non pas une nourriture périssable, mais la nourriture qui demeure en vie éternelle. »
Claude Flipo est jésuite. Il a été rédacteur en chef de la revue Christus et aumônier de prison. Il a publié Jésus, maître de vie (Salvator, 2010), ou encore Invitation à la prière, aux éditions Vie Chrétienne.
Claude FLIPO, sj. Extrait de Invitation à la Prière Septembre 2012 21
Se former
Entre la mer et le ciel
Fin juin 2009. Je ne sais comment remplir mon été, lorsque j’entends parler d’une proposition inattendue : « Vie en Mer ». Le concept m’attire : une semaine sur un voilier, avec une équipe d’une dizaine de jeunes, accompagnés par un jésuite et encadrés par un skipper. Le thème du camp que je choisis ? « Ni grands marins, ni grands prieurs », comme une évidence : je ne suis ni l’un ni l’autre, et pourtant, j’ai le désir de vivre cette double aventure.
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Peut-être certains d’entre vous connaissent-ils cette chanson de Louis Capart ?
D’Hendaye à Loyola, le long des côtes espagnoles, la navigation doit nous permettre de larguer les amarres : celles du voilier sur lequel nous naviguons, mais aussi celles de nos peurs, de tout ce qui nous entrave. Loin de notre famille et de nos amis, les ignatiens nous proposent de vivre une semaine un peu particulière pour nous (re)trouver, faire le point sur notre vie, et pouvoir repartir du bon pied… marin, bien entendu !
Marie-Jeanne-Gabrielle Entre la mer et le ciel Battu par tous les vents au raz de l’océan Ton pays s’est endormi Sur de belles légendes illuminant son histoire Gravées dans la mémoire des femmes qui attendent Les marins d’Île de Sein Apprise cet été là au cours du camp, ses paroles résonnent encore en moi.
A bord du voilier, l’ambiance est fraternelle. Nous vivons dans un espace réduit et partageons tout : couchettes, repas, fatigues et sourires. Ce n’est pas toujours facile mais des amitiés se créent pourtant, assez naturellement. Nous méditons chaque jour sur ce qui constitue nos vies, à travers des métaphores marines très justes : Comment est-ce que je tiens le cap dans les moments difficiles ? Quelles personnes ont été des phares sur ma route ? Comment puis-je me laisser toucher par le Christ pour avancer en eaux profondes, à sa suite ? Échanger sur ces thèmes tisse des liens très forts entre nous.
Marie-Jeanne-Gabrielle
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Entre la mer et le ciel Nous étions un équipage composé exclusivement de jeunes femmes, moins le skipper et le jésuite qui nous accompagnait. Marie, Jeanne, Gabrielle. Chacune unique mais reliées par cette expérience commune de l’immersion en mer, avec le Christ.
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Nous naviguons plusieurs heures par jour et les paysages, magnifiques, nous poussent spontanément à la prière. Dans la ligne bleue de l’horizon sans cesse renouvelé, mes yeux recherchent à étancher leur soif. Je suis venue
Battu par tous les vents au raz de l’océan Cela n’est pas facile. Sur mon visage, les larmes se mélangent parfois aux embruns. Je suis intimidée de renouer avec la prière, qui tient une place importante dans nos journées. L’oraison personnelle, l’Eucharistie quotidienne et l’accompagnement spirituel me structurent pourtant peu à peu, et je me surprends à guetter ces moments. Le Christ me parle jusque dans les tempêtes de ma vie.
la chaleur du soir d’été, une baignade improvisée dans un port, une course-poursuite sur la plage… Nos visages rayonnent d’une joie véritable. Sur de belles légendes illuminant son histoire Rien n’a changé, et pourtant tout est différent. Ma rencontre avec Dieu, et ceux que je considère aujourd’hui comme ma famille (jésuites et jeunes vivant de la spiritualité ignatienne) illumine chaque jour mon histoire. Des amitiés nouées pendant le camp existent encore, et d’autres sont venues s’ajouter à celles-ci. La simplicité des rencontres et la vérité des échanges les caractérisent. Avec ces personnes, je n’ai pas besoin de porter un masque. J’ai également renoué avec l’Église, et ses sacrements. Une vie de prière régulière a peu à peu transformé mon regard sur le monde. La bienveillance des prêtres, religieux et religieuses croisés m’a également aidée à grandir en liberté et en responsabilité. Gravées dans la mémoire…
Ton pays s’est endormi Une « journée désert » est le point culminant du camp. Nous la vivons seuls, en silence, dans un petit village de pêcheurs. Ce tête à tête avec Jésus nous permet de faire le point sur nos vies, et nos attentes pour le futur. Mon pays de souffrance s’est enfin endormi. Les rires et les chants retentissent fort lors des veillées. Une glace partagée dans
L’été 2009 restera gravé dans ma mémoire. Pour moi, ce fut l’été d’une renaissance. L’été d’une conversion, d’un appel entendu : Dieu m’invite à vivre de la Vie véritable, cette Vie que je ne connaissais pas et qui m’a été révélée. ...des femmes qui attendent / les marins d’Ile de Sein
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ici avec beaucoup de questions, une sourde révolte, aussi, qui s’apaise progressivement dans la contemplation. Que la Création est belle ! Un lever de soleil sur l’océan, accompagné de « Je vous salue Marie » chantés, remplit mon cœur d’actions de grâces. Loin de mon confort urbain et de mes petites habitudes, je m’ouvre plus facilement : à la vie, aux autres, et à Dieu. Entre la mer et le ciel, progressivement, je prends la barre du bateau et les rênes de ma vie.
Je suis depuis comme ces femmes de la chanson, et comme le peuple des chrétiens : dans l’attente du retour du Bien-Aimé ! Qu’il soit béni à jamais ! Aline du Poirun
« Vie en Mer » est une proposition ignatienne qui s’adresse principalement (mais pas exclusivement !) aux jeunes adultes désireux de vivre un temps de ressourcement personnel et spirituel. Animés par des catholiques ignatiens et des laïcs (skippers, notamment), les camps itinérants sous forme de croisières allient découverte de la voile et retraite spirituelle, le tout articulé autour d’une vie communautaire. Partage en équipe, eucharistie régulière et navigation quotidienne rythment l’aventure qui permet de rentrer véritablement dans la prière. D’une durée moyenne d’une semaine, les sessions « Vie en Mer » sont ouvertes à tous (aucune expérience marine ou spirituelle n’est requise pour participer) et organisées plusieurs fois par an. www.vieenmer.org www.rji.fr
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Se former
Jacob le « talonneur » À partir de la figure de Jacob dans l’Ancien Testament, Claire Le Poulichet nous invite à voir comment Dieu rejoint toujours l’homme pour lui faire connaître son dessein. Nous avons à recevoir de Dieu la manière dont Il nous appelle à construire ce Royaume avec Lui.
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Jacob est le second fils d’Isaac et de Rébecca… Dès sa naissance, il apparaît comme celui qui cherche à supplanter son frère jumeau Esaü. Son nom peut être traduit par le « talonneur » : dès le sein maternel il aurait retenu le talon de son frère pour essayer de sortir le premier.
L’usurpateur Plus tard, il va trouver les moyens de s’accaparer le droit d’aînesse de son frère ! Mais cela ne lui suffit pas. Jacob veut être l’élu, celui qui va recevoir la bénédiction paternelle, cette bénédiction qui ne peut être donnée qu’une seule fois. Et Jacob le veut tellement fort, qu’il va, avec la complicité de sa mère Rébecca, tromper Isaac son père pour arriver à ses fins. Et voilà qu’il devient l’héritier de la promesse après avoir usurpé d’abord la place, puis la bénédiction qu’aurait dû recevoir son frère. D’où la rage d’Esaü : « Estce parce qu’il s’appelle Jacob le talonneur, qu’il m’a supplanté et cela par deux fois. Mon droit
d’aînesse, il l’a pris, et maintenant il prend ma bénédiction » (Genèse 27,36). Voilà donc l’histoire d’une rivalité fraternelle, particulièrement dramatique qui oblige Jacob à fuir dans un pays voisin. Là il va se mettre pendant vingt ans au service de Laban, son oncle (Genèse 29-31), dont il va épouser successivement les deux filles. Ce qui le fait devenir le père d’une famille nombreuse, avec Joseph et Benjamin, les deux fils qu’il a eu de sa femme bien-aimée Rachel. Pendant tout ce temps, Jacob fait preuve de métier et d’astuce et ses bêtes et ses troupeaux se multiplient. Pourtant vient le jour où ses relations se compliquent sérieusement avec son beau-père Laban. Alors, Jacob décide de rentrer en Canaan et part sans prévenir. Laban le poursuit, et ils finissent par conclure un pacte de nonagression entre leurs terres et leurs biens respectifs. La Bible précise le lieu où se signe ce pacte : à la frontière (Genèse 31).
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A la frontière Et c’est en ce lieu à la frontière qu’il se passe quelque chose d’inattendu : « Les messagers de Dieu survinrent » nous précise le texte de la Genèse au chapitre 32,2. Mais avant d’aller plus loin, réalisons bien qu’à deux reprises, Jacob a dû partir. Mais, qu’à la différence de celui d’Abraham, ces départs n’ont pas été motivés par un appel, mais par la fuite. Des fuites devant la peur des représailles… Car, nous l’avons vu, dès le début, l’itinéraire de Jacob est tortueux voire tordu et certains commentaires qualifient Jacob d’homme trompeur. Il a floué son frère et trompé son vieux père. Plus tard, à son tour, il a été abusé par son oncle et beau-père, ce qui ne l’empêchera pas de s’enrichir sur le dos de celui-ci. Et lorsqu’il est rattrapé, il arrive encore à négocier un départ à l’amiable. Mais le voilà à la frontière, de retour au pays qui l’a vu naître. Et il sait bien que ce retour ne peut se faire en évitant la rencontre avec son frère Esaü qu’il a fui 20 ans plus tôt.
Son frère qui s’avance accompagné de 400 hommes et dont on peut penser, qu’il est animé de ressentiment et d’hostilité. Alors la peur et l’angoisse saisissent Jacob. Et comme d’habitude, il calcule. Il cherche comment renouer les liens de la fraternité qu’il a malmenée. Il commence par envoyer des émissaires chargés de présents et de messages bienveillants destinés à amadouer son frère. Ensuite, il choisit de faire traverser le torrent à toute sa famille et à tous ses troupeaux. Comme des pare-chocs pour retarder l’échéance du vis-à-vis ! Mais c’est là, étant resté seul, qu’un autre face-à-face lui est imposé. Au début de la nuit, dans l’obscurité, Dieu se présente à lui sous la forme d’un adversaire… qu’il ne peut pas fuir. Je reviens au lieu où se déroule l’affrontement : le « Yabboq ». Le Yabboq est un affluent du Jourdain, à l’est de Canaan. C’est le passage obligé, la frontière pour pénétrer en terre promise. Traverser le « Yabboq », c’est donc se rapprocher de Dieu, de sa promesse. Ce lieu est également appelé peny’el : ce qui littéralement veut dire « Tourne-toi vers Dieu ».
La confrontation Alors Jacob, cet homme divisé, qui a passé sa vie à chercher à s’en sortir par ses propres moyens, à prendre plutôt qu’à recevoir, n’a plus d’échappatoire… Il lui faut saisir et se laisser saisir, à bras le corps, quitte à rouler dans la
▲ La lutte de Jacob et de l’ange, Rembrandt, 1659. Staatliche Museen, Gemäldegalerie, Berlin.
poussière avec cet adversaire… dans une étreinte sans concessions. Pour la première fois au lieu de tricher et de fuir, il est contraint d’affronter la face obscure, souterraine de sa vie. D’affronter cette identité d’emprunt qu’il s’est fabriqué en croyant qu’il pouvait vivre d’une bénédiction volée. Et Jacob se bat à découvert contre tout ce qui en lui résiste à ce dévoilement. Il consent, au cœur de ses résistances, à retrouver la source de ses angoisses, sa prétention à l’autosuffisance, cette entrave à sa liberté. A reconnaître comment il a bel et bien trompé autrui… Et c’est si difficile que ce combat dure toute la nuit. Ce qui reste troublant dans ce combat, tel qu’il nous est décrit, c’est qu’il est difficile d’établir qui des deux adversaires réussit à avoir le dessus. Au début, en effet, Jacob semble être le plus fort, et l’adversaire, dit la Bible « ne le maîtrisait pas » (v 26) ; et pourtant, voilà que Jacob finit par recevoir un
coup qui lui démet la hanche et qui le laissera boiteux. Mais quand Jacob est sur le point de succomber, c’est l’autre qui, au petit matin, semble demander grâce : « Laisse-moi partir » Jacob refuse en imposant ses conditions : « Je ne te lâcherai pas, que tu ne m’aies béni » (v. 27). Alors, après cette nuit d’empoignade où il affronté sa part de ténèbres et où il s’est laissé rejoindre au plus profond, par un Dieu qui veut la vérité mais qui ne condamne pas, par un Dieu qui sauve et qui pardonne, Jacob sait qu’il peut recevoir la bénédiction, sans plus avoir à la voler.
Condition de la rencontre en vérité Et c’est là qu’un nouveau nom lui est donné : « Israël » (Genèse 32, 28-3) Un nom difficile à traduire mais la dernière version de la TOB nous propose : « Dieu se montre fort ». Ce nom nouveau manifeste
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donc la nouvelle identité de Jacob, sa nouvelle naissance pourraiton dire, qui va lui permettre, réunifié, de rencontrer son frère d’abord puis de s’engager ensuite, à recevoir de Dieu la mission de conduire le peuple. Voilà donc Jacob qui s’avance, à découvert, ayant quitté tous ses masques. Quand Esaü et lui se retrouvent, ils tombent dans les bras l’un de l’autre et Jacob évoque ce qu’il vient de vivre (Genèse 33, 10) en disant « j’ai affronté ta présence comme on affronte celle de Dieu ».
Ainsi Jacob nous apprend que la bénédiction reçue, est toujours le fruit d’une rencontre personnelle et intime avec Dieu. Mais qu’elle ne peut s’épanouir pleinement que dans le partage et la fraternité restaurée avec l’autre alors même qu’il est considéré comme un ennemi. Dans l’histoire de Jacob, c’est bien Dieu qui est à l‘initiative de la rencontre. Rencontre en vérité qui bouscule et renouvelle son identité. C’est à partir de là seulement, qu’il sera prêt à accueillir la Parole
© Claire Benêteau & Brice Abbad
On peut entendre que la rencontre avec Dieu a été une « préparation », un passage néces-
saire, indispensable pour que celle avec le frère puisse avoir lieu en vérité.
de Dieu qui l‘envoie en mission vers ses frères. Ainsi en est-il de chacun de nous. Nous sommes tous invités à faire cette expérience de Dieu, d’un Dieu qui nous appelle personnellement et nous rejoint au plus profond de notre existence. Et c’est parce que nous pouvons nous appuyer sur cette assurance d’être aimés de manière unique et sauvés par Lui que nous pourrons répondre à son appel à nous engager au service de nos frères. Non plus, comme un devoir, une obligation morale à accomplir, mais comme un fruit. Un fruit né d’un désir débordant de partager l’amour et la miséricorde qui nous ont relevés et qui ont fait de nous des hommes et des femmes plus intensément humains et vivants. Puissions-nous, à partir de là, entendre différemment l’invitation qui nous est faite d’« oser dire Oui aux appels du monde »… Claire Le Poulichet Extrait de son intervention lors de la Journée régionale CVX Lyon Sud le 25 Mars 2012.
Éditions la spiritualité ignatienne pour TOUS. Une revue tous les deux mois + 70 titres de livres Plus d’infos sur www.editionsviechretienne.com 26 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 19
Communauté et mission Toute vie ecclésiale est marquée par le double mouvement du rassemblement et de l’envoi. Comme communauté d’église, la Communauté de Vie Chrétienne vit de cette dynamique en pratiquant le D.E.S.E (Discerner, Envoyer, Soutenir, évaluer). Jacques Fédry nous en dessine les contours. - « pour être avec lui » : temps de la convivialité transformante avec le Christ - « pour les envoyer prêcher » : temps de la mission Si nous ne prenons pas le temps d’être avec Jésus, conformé(e)s à Lui dans la communauté des apôtres, qui allons-nous annoncer ? Nous-mêmes ?
La communauté des Douze avec Jésus
L’envoi en mission deux par deux (Marc 6, 6-13) « Il fait venir les Douze. Et il commença les envoyer deux par deux, en leur donnant autorité sur les esprits impurs… Ils partirent et ils proclamèrent qu’il fallait se convertir. Ils chassèrent beaucoup de démons, ils faisaient des onctions d’huile à beaucoup de malade et ils les guérissaient ». Les apôtres sont envoyés deux par deux, pour qu’ils puissent se soutenir mutuellement. Ils sont démunis de tout, mais sont remplis de la force de Dieu pour accomplir la mission confiée.
L’institution des Douze (Marc 3, 13-15) « Il monte sur la montagne et il appelle ceux qu’il voulait. Ils vinrent à lui, et il en établit douze pour être avec lui et pour les envoyer prêcher avec le pouvoir de chasser les démons ».
Le retour de mission (Marc 6, 30-34) « Les apôtres se réunissent auprès de Jésus et lui rapportèrent tout ce qu’ils avaient enseigné. Il leur dit : « Vous autres, venez à l’écart dans un lieu désert et reposez-vous un peu ».
© La chapelle Redemptoris Mater, novembre 2000, éditions Fatès
A
À chaque instant, l’infatigable pompe de notre cœur reçoit le sang et le renvoie : double mouvement du cœur qui se dilate (diastole) pour se remplir du sang et se contracte (systole) pour le propulser dans l’organisme. Cette merveille toujours à l’œuvre sans que nous y pensions, la vie en nous sans nous… (Merci, Père, pour la merveille que je suis !) La vie en Christ est rythmée par ce double mouvement de va-et-vient de la communauté à la mission, de la mission à la communauté : non pas deux forces en opposition, mais une synergie, qui se déploie en deux « temps » : La communauté est pour la mission, elle propulse à l’extérieur, la mission prend sa source dans la communauté, elle y revient sans cesse.
C’est Jésus qui prend soin de ses disciples, de leur repos, de leur nourriture. Importance dans notre vie d’apôtres de ces moments de repos, de détente, de partage, pour refaire nos forces, pour être ensemble. N.B. En Luc, envoi et retour des soixante-douze disciples (Luc 10, 1-22) « Le Seigneur désigna soixante-douze autres disciples et les envoya deux par deux… Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups… Les soixante-douze disciples revinrent dans la joie, disant : « Seigneur, même les démons nous sont soumis en ton nom »…
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A l’instant même, il exulta sous l’action de l’Esprit Saint et dit : « Je te loue, Père, d’avoir caché cela aux sages et aux savants et de l’avoir révélé aux tout petits… » Joie des disciples à leur retour de mission, qui suscite la joie et la louange du Christ, brusquement saisi par l’Esprit Saint comme Marie dans son Magnificat, devant le travail du Père en ces « petits » que sont les apôtres.
Paul et Barnabé Envoi de Paul et de Barnabé depuis Antioche (Actes 13, 1-3) La grande aventure missionnaire de Paul prend son départ à Antioche. Ce n’est pas Paul qui a décidé de partir. C’est la communauté, sous l’action de l’Esprit Saint, qui l’a envoyé avec Barnabé. Comment l’Esprit a-t-il parlé ? Une voix venue du ciel ? Non, simplement l’un des membres de la communauté a dit ce qu’il a ressenti au cours d’une journée de jeûne et de prière. Les autres y ont reconnu le signe de Dieu, en demandant au Seigneur de leur confirmer sa volonté. Retour de mission de Paul et de Barnabé, d’abord à Antioche (Actes 14, 21), puis à Jérusalem (concile de Jérusalem : Actes 5, 5-12) Barnabé et Paul viennent rendre compte de tout ce que le Seigneur a fait par eux chez les païens au cours de leur mission d’abord à Antioche « leur point de départ où ils avaient été remis à la grâce de Dieu pour l’œuvre
qu’ils venaient d’accomplir », ensuite à Jérusalem, qui est alors le centre de la communauté chrétienne. Leur témoignage, entre le discours de Pierre et celui de Jacques, va permettre de trancher, avec l’aide de l’Esprit, la question de savoir si les païens convertis au Christ doivent être soumis à la circoncision ou non. Une question capitale pour l’avenir de l’église. Aujourd’hui au sein de la Communauté de Vie Chrétienne : Nos communautés d’aujourd’hui, comme celle des apôtres ou celles des premiers chrétiens, sont rythmées par le même double mouvement de va-et-vient continuel : envoi en mission, retour de mission. La check-list DESE de la Communauté de Vie chrétienne rappelle les quatre verbes essentiels articulant la communauté à la mission :
Communauté dESE DISCERNER ENVOYER
éVALUER SOUTENIR
Mission
Les quatre verbes impliquent une action menée à la fois par la communauté et par chaque membre, qui accepte que sa
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mission soit l’objet de discernement, envoi, soutien et évaluation par les autres, tout comme lui-même, réciproquement, s’impliquera dans ce discernement et cet envoi pour les autres. La mission de chacun est discernée en communauté, comme l’envoi de Barnabé et Paul est le fruit de la prière des chrétiens d’Antioche. Chaque membre de la communauté a, dès lors, conscience d’être envoyé en mission par la communauté, et non de s’être donné à lui-même sa mission, d’être soutenu par elle, heureux de soumettre à l’évaluation du groupe ce qu’il fait comme une tâche reçue, dont il n’est pas le maître ni le propriétaire. A l’image du Christ qui ne cesse de répéter, dans l’évangile de Jean, qu’il ne dit et ne fait rien de lui-même, mais seulement ce que le Père lui a dit de faire (Jean 5, 30). Un exemple éclairant de ce désir d’être « envoyé » : pendant l’hiver 1944-45, au camp de concentration de Dachau, en Allemagne, le typhus s’était déclaré et avait commencé à faire des ravages dans le camp ; un groupe de chrétiens, des médecins et des prêtres principalement, a décidé de faire quelque chose pour les malades. Certains se sont portés volontaires pour aller auprès d’eux les soutenir. Un geste héroïque, mais qu’ils n’ont justement pas voulu faire en « héros ». Ils ont voulu le faire en le recevant de Dieu comme une mission. Ils ont donc demandé à un vieux
© Barbara Strobel
chanoine (prêtre revêtu d’une certaine dignité dans l’église), prisonnier comme eux, mais représentant l’autorité de l’Église, de choisir sur la liste des volontaires ceux qui seraient retenus pour être envoyés auprès des malades. C’est bien le ressort profond de l’envoi en mission que ces hommes ont retrouvé dans cette manière d’agir (Jacques Sommet, L’honneur de la liberté, Le Centurion, 1987, p. 104-106). Jacques Fédry, s.j. ▲ Les fruits du Jubilé ignatien à Lourdes en 2006, tel un envoi en mission.
Questions pour révision personnelle et communautaire D Mes responsabilités sociales et professionnelles font-elles l’objet d’un dialogue entre les membres de la communauté et moi (pour faire le point, chercher à voir plus clair) ? D’ Est-ce que je m’implique dans le discernement de la communauté réfléchissant sur une mission commune, ou sur celle de l’un de ses membres ? E Ai-je conscience d’être envoyé en mission ? Ou bien ai-je tendance à me faire le propriétaire et le maître de la tâche confiée ? Est-ce que je rends compte volontiers à ma communauté de ce que je fais ? E’ Est-ce que je m’intéresse au témoignage rendu par les autres membres de la communauté dans leurs activités professionnelles, sociales ou familiales, en les « confiant à la grâce de Dieu », comme les chrétiens d’Antioche l’ont fait avec Paul et Barnabé ? S Est-ce que j’accepte d’être soutenu par les autres dans la mission confiée ? S’ Est-ce que je soutiens les membres de ma communauté dans leur mission ? Suis-je peiné de leurs échecs, heureux et dans l’action de grâce pour leur réussite (comme le Christ au retour des soixante-douze disciples, Luc 10, 17) ? E Est-ce que j’accepte que mon action soit évaluée par la communauté ? E’ Est-ce que je participe à l’évaluation des apostolats des autres membres de la communauté ? Est-ce que je rends grâce avec eux comme le Christ au retour des soixante-douze disciples, de la réussite de leur mission ? Questions que chaque membre de la communauté peut se poser personnellement. La communauté peut aussi se poser les mêmes questions, (en changeant le « je » des questions en « nous ») pour vérifier si elle est en train de passer d’un corps d’apôtres (juxtaposés) à un corps apostolique (portant l’apostolat de chacun de façon organique). Ces questions sont d’ailleurs aussi pertinentes pour une communauté religieuse, jésuite par exemple, que pour une communauté CVX.
Jacques Fédry, a passé près de 25 ans au Tchad. Il a ensuite enseigné l’anthropologie linguistique à l’Université Catholique de Yaoundé pendant onze ans. Depuis 2008, il est supérieur de la communauté jésuite de Ouagadougou. Il est l’auteur de L’homme, c’est la parole, Anthropologie de la parole en Afrique, Karthala. Il a été assistant national de la CVX au Cameroun et accompagne encore aujourd’hui une communauté CVX au Burkina.
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Passer un week-end ensemble Certains membres de communauté locale éprouvent le besoin de se retrouver pour un week-end ou une journée, d’autres non. Y a-t-il un intérêt communautaire et spirituel à vivre ce temps ensemble ?
E Saint-Hugues de Biviers propose aux communautés locales différents types de temps fort et met à disposition un appartement. Pour plus d’informations, voir le Babillard p.19.
Évoquer le fait de passer le weekend ensemble, en plus de nos réunions qui ont lieu environ une fois toutes les trois semaines, manifeste le désir de se connaître autrement, de se donner et de se recevoir davantage les uns des autres. C’est un signe de ce qui se vit dans la communauté, de ce que chacun vient chercher en venant à CVX. C’est aussi une occasion de faire grandir la confiance entre les membres. La communauté locale est le premier lieu où nous « formons communauté ». C’est en faisant grandir cette petite communauté que nous faisons grandir la Communauté. Vivre ensemble un week-end permet de recevoir ensemble le corps du Christ qui se donne à nous et qui fonde le Corps que nous sommes appelés à devenir. C’est une décision communautaire qui manifeste l’attachement que l’on porte à ses compagnons. Ce qui fait obstacle peut être un manque de désir de certains membres de la communauté de se « donner » davantage aux compagnons qu’ils ont reçus ; mais ce peut être aussi des difficultés matérielles ou financières que l’on
a du mal à confier aux autres. Il est important d’être attentif aux difficultés des uns et des autres et de veiller à donner un espace et des conditions permettant à chacun de se sentir suffisamment à l’aise pour dire ce qui le gêne. Chacun a aussi à apprendre à être attentif à tout ce qu’il a du mal à dire à ses compagnons, car c’est souvent là que le malin nous travaille. Ce que nous expérimentons dans notre communauté locale est à l’image de ce que nous vivons dans notre vie quotidienne. Apprendre à risquer une parole est le propre de CVX. Prendre tous ensemble la décision de vivre un week-end de communauté locale est également un bel apprentissage de ce qu’est un discernement communautaire : il faut d’abord choisir de vivre ou non un week-end ensemble, puis il faut choisir un lieu, faire attention aux conditions financières des uns et des autres, parfois se poser la question du conjoint que l’on laisse lorsqu’il n’est pas dans la Communauté, des enfants ou des parents âgés…
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Le choix du mode n’est pas neutre : serait-ce un temps de retraite (en silence ou non), de partage, de service, de formation, etc. ? Faire ce choix, c’est aussi chercher ensemble ce qui est bon pour la communauté au point où elle en est. Le choix du lieu est également important : le week-end n’aura pas la même coloration si l’on va dans un centre spirituel de la Communauté, un centre ignatien ou dans une abbaye, si l’on a une salle chaleureuse pour se retrouver, prendre un repas ensemble, et rester le soir à partager autour d’une tisane en se sentant « chez soi ». Vivre un week-end communautaire permet de mieux se connaître, d’expérimenter la Communauté, de se laisser regarder ensemble par le Christ. Les communautés locales qui vivent leur premier week-end disent souvent qu’il y a eu « un avant » et « un après ». Le week-end unifie la communauté. Avoir goûté à ce temps donné les uns aux autres, c’est avoir goûté à quelque chose de bon. Marie-Agnès Bourdeau équipe Service Formation
Š Barbara Strobel
Ensemble faire Communauté
Retours sur l’Assemblée de la Communauté Du 17 au 20 mai 2012, avait lieu pour la première fois l’Assemblée de la Communauté : 120 délégués élus par chacune des régions se sont réunis pour l’assemblée générale de l’association, pour l’élection de la nouvelle équipe nationale et pour réfléchir aux orientations de la CVX, un an avant l’Assemblée mondiale. Les textes des diverses interventions, des orientations communautaires et les photos sont sur le site de la CVX France, www.cvxfrance.com. Voici quelques échos des participants.
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ai été très étonnée d’avoir pu faire des discernements communautaires à un si grand nombre. L’élection des responsables nationaux m’a également beaucoup touchée. L’intervention de l’évêque de Créteil m’a fait prendre conscience que nous avions reçu une grâce particulière dans l’Église : celle de « l’écoute » et qu’il était de notre devoir de la mettre au service de nos frères. Le texte d’orientation colle à ce que je ressens de l’urgence à servir la fraternité là où je suis. Ce texte écrit avec mes amis dans le Seigneur m’a relancée vers plus d’engagement dans l’Église, dans mon quartier, dans la CVX. En résumé ce week-end m’a redonné beaucoup de goût, de désir, à un tournant de ma vie. Marie-Thérèse Garcia-Jouchet Région IDF Hauts de Seine sud
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▲ Une partie de l’équipe d’organisation.
our écrire ces orientations communautaires, le premier carrefour a démarré vivement et les différences de chacun se sont juxtaposées intensément, dans un travail plutôt cérébral, non ajusté à cet instant. La confrontation en plus grands groupes a donné du temps et permis d’aller dans le chemin du cœur, avec un lâcher prise du vouloir initial peut-être trop personnel… Les ébauches successives du texte présentées à tous régulièrement, les temps offerts au recueillement et au silence, quelques exposés, témoignages d’ici ou d’ailleurs ou indications ont procuré confiance et encouragement dans cette expérimentation individuelle et collective. Chacun reconnaissait dans ces lignes la parcelle de ce à quoi il est appelé et qu’il désire pour un plus grand nombre. J’écoute, je partage, j’interpelle, je suis interpellé, j’écoute, je prie, à 10, à 30, à 120 personnes… Quelque chose de l’ordre du charisme de chacun s’est dit, a été entendu et noté. Comme si le consentement intime de chacun à suivre particulièrement le Christ et agir avec Lui forgeait la visée collective espérée. J’ai eu et aurais plaisir à restituer en région ce qui s’y est vécu. Yves de Tailly Région Champagne Ard’Aisne
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Vous avez vous aussi des témoignages à partager ? Envoyez-nous un mail sur redaction@viechretienne.fr 32 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 19
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▲ L’Assemblée.
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e connaissais peu de monde, mais du peu, j’ai tenté de multiplier les relations, pas à pas. La messe qui prend son temps, les temps de prière et les interventions de l’accompagnateur de l’Assemblée ont été riches. La diversité des régions était bien représentée. Daniela Frank (CVX Mondiale) nous a rappelé que la vie quotidienne avec les autres est notre premier lieu de mission. Nous avons reçu d’autres exposés complémentaires par Mgr Santier, Paul Legavre s.j., assistant national, Charlotte Thiollier pour Diaconia 2013, Jean-Yves Grenet, provincial de la Compagnie de Jésus. Avec le recul, tous sont féconds pour nos relectures. Ce fut une première expérience forte de « délibération communautaire », notamment via l’élaboration d’un texte d’orientation. Les différents temps, en plénières, en assemblées partielles et en communautés d’Assemblée, ont permis d’approfondir « en largeur, en longueur, en épaisseur » (Saint Paul) les orientations et travaux. Un trésor, à condition de transformer l’essai… Ce texte est une balise, qui met en mouvement, pas un point sur lequel nous nous arrêtons. Cette « Ascension » va servir celles à venir. Je retiens de nos orientations la nécessité d’inscrire les domaines importants de la vie quotidienne : le travail professionnel, les formes de vie en couple ou célibataire, les migrations, les diverses tranches d’âge de la jeunesse, la santé, le respect de la Création, etc. Je retiens également les indications précieuses de l’accompagnateur (B. Lapize, s.j.) de l’Assemblée. Cela m’a touché quand il a noté qu’« une intervention a déploré que notre fonctionnement ne permettait pas aux pauvres d’entrer en CVX (...) Nous avons à tenir compte de ces appels ». La CVX doit tendre à s’ouvrir aux couches sociales ouvrières et employées. Sinon, le PG4 « option pour les pauvres », restera un vœu pieux, et la Communauté sera privée de la représentation en son sein de cette culture sociale. Que l’Esprit souffle où il veut… (St Jean). Daniel Gautheret Région Lyon Nord
LIRE AUSSI
personnes appelées des 4 coins de la France à rédiger « ensemble » 2 pages pour « orienter » la CVX ...c’était un risque que les membres de l’équipe service nationale « sortante » n’a pas hésité à nous faire prendre… Mais la vie d’une Communauté, la vie à la suite du Christ, la vie tout court n’est-elle pas un risque ? Alors oui, au risque de quelques sensations de « compliqué », de manque de légèreté, que j’ai éprouvées sur place ; au risque de l’invitation de Paul Legavre à « écouter jusqu’au bout », au risque de l’élargissement de nos frontières proposé par Daniela Frank, nous avons ensemble, avec nos ombres et nos limites humaines, risqué un texte qui, même imparfait, même incomplet, mais avec la grâce de Dieu, emmène et entraîne notre communauté à risquer le « davantage » initié par saint Ignace. La nouvelle équipe service nationale qui elle aussi a risqué son oui, pour nous et avec nous, aura, je le sais, à cœur de poursuivre le chemin tracé lors de cette Assemblée. Que le Seigneur en soit béni et qu’Il bénisse notre communauté.
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Céline Verley Région Cambrai Lille
Le prier dans l’instant de Dominique Pollet etrouvez l’Assemblée de la R Communauté en vidéo sur www.editionsviechretienne.com
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Dominique Pollet faisait partie des trois rédactrices qui chaque jour, synthétisaient les remontées des différents petits groupes, pour aboutir finalement, après plusieurs versions, au texte final des orientations. Elle raconte.
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A retrouver sur www.editionsviechretienne.com Septembre 2012 33
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Cinq années fortes et intenses Après cinq ans d’équipe service nationale, Anne de Lamotte, Véronique Angevain, Alain Jeunehomme et Paul Legavre s.j. relisent ce qu’ils y ont vécu.
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Tenter de se constituer en communauté de service alors que l’on ne s’est pas choisi. Quel défi ! Apprendre à donner pleinement et librement. Se laisser émonder par la Parole, la parole des compagnons, le service. Une fraternité mise à l’épreuve des tensions, à l’aune des histoires de nos humanités. Le Christ a œuvré avec ce que nous étions, nos talents et nos fragilités. Chaque année, pendant l’été, nous avons pris le temps de plusieurs jours à l’écart pour relire, prier, mettre en perspective l’année, prendre soin de l’équipe, vivre des moments de convivialité simple. Nous avons découvert la Communauté dans toutes ses dimensions… Faire connaissance avec elle, l’écouter, construire ensemble, chercher comment permettre la croissance humaine et spirituelle de chacun et de la Commu-
nauté… S’ouvrir et rencontrer à plusieurs occasions des membres de l’Équipe mondiale et des autres communautés nationales… un mandat fort et intense ! Grâce aussi à ce que nous avons reçu, de nos prédécesseurs, notamment le chantier de la réforme de la gouvernance. Partir de constats partagés, regarder ce qui se vit ailleurs dans d’autres communautés ou mouvements, prendre conseil, chercher, proposer, reprendre le travail, persévérer, discerner dans différentes instances. Entendre le souffle de l’Esprit dans le silence si habité, juste après la proclamation des résultats du vote sur les Normes particulières. Et recueillir les premiers fruits. Ce fût la grâce reçue pendant cette année supplémentaire de mandat pour permettre la transition. Les joies sont nombreuses et ont leur source en bien des lieux.
▼ Lors de l’Assemblée de la Communauté (de gauche à droite : Paul Legavre s.j., Alain Jeunehomme, Anne de Lamotte et Véronique Angevain).
A Anne, Véronique, Alain et Paul… un immense MERCI ! Depuis cinq ans vous êtes au service de la Communauté nationale en vous donnant sans compter ! Sans oublier Dominique et Isabelle qui vous ont accompagnés jusqu’au congrès de Nevers et qui ont pris leur part dans tout ce travail. Vous avez porté à bout de bras, et dans la foi, la réforme de notre gouvernance : faire l’expérience de la Parole, vivre la démarche vers l’engagement, agir comme corps apostolique, grandir dans notre présence au monde, aller vers les plus jeunes… Ces « cinq pas », vous les avez vécus en nous invitant sans cesse à être davantage un corps de laïcs envoyé en mission. Vous avez semé sur tous les terrains et par tous les temps, à l’écoute de Dieu, à l’écoute du monde et de la Communauté mondiale. Que Dieu vous bénisse et qu’il vous donne de continuer d’expérimenter sa douceur et sa fidélité dans vos communautés locales. Qu’elles sachent prendre soin de vous comme vous avez pris soin de nous ! Que sa paix vous accompagne, vous, vos familles, vos amis, pour que vous puissiez continuer de le suivre en savourant longtemps les fruits de cette aventure en ESN ! Bonne route, compagnons ! Jean Fumex, Anne Fauquignon, Nicolas Joanne, Jean-Luc Fabre s.j. et Marie-Antoinette Jamin, nouvelle équipe nationale.
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L’Assemblée de la Communauté était aussi un temps d’élection de la nouvelle équipe de service national. Un long processus de discernement pour les élus. Ils nous partagent un peu ce qu’ils sont.
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Tous les laïcs de la bande sont mariés (cumulent 18 enfants) et avec une histoire d’une vingtaine d’années dans la Communauté de Vie Chrétienne. Inutile de vous préciser que nous aimons cette Communauté, avec ses trésors et ses fragilités… Nous avons chacun pris part à plusieurs régions de France : Aquitaine, Ardenne, Alsace, Auvergne, Île de France, Isère, Franche-Comté et Picardie… Et vous avez pu nous repérer, lors du dernier congrès de Nevers : chacun y avait un petit rôle !
Avant l’élection, il y a eu pour chacun d’entre nous comme une période de gestation pour se mettre en disponibilité, dans sa tête et dans son cœur, à ce nouveau service. Le temps de l’élection a été un processus assez chargé émotionnellement. C’était aussi une première pour la Communauté. Aujourd’hui, nous avons le désir de faire davantage connaissance, d’entrer dans l’histoire sainte de chacun. Cette nouvelle équipe nationale, pour l’instant nous la vivons dans la prière, pour apprendre à « faire communauté », avant d’agir. Nous voulons prendre le temps d’accueillir les orientations, comme chaque membre de la Communauté et
Marie-Antoinette Jamin
chercher comment les vivre davantage. Nous avons été très touchés aussi par le fait de « nous recevoir du mondial ». Très vite nous serons invités à nous inscrire dans cette dynamique mondiale avec l’Assemblée mondiale en juillet 2013, puis via nos différents rassemblements : le pèlerinage en Europe à l’occasion des 450 ans des Congrégations Mariales (devenues ensuite « communautés de Vie Chrétienne »), l’Assemblée de la Communauté de 2014 et le Congrès en 2015… Nous sentons une attention particulière à la lecture des signes des temps, ainsi qu’au « prendre soin » - comme cela a été souligné lors de l’Assemblée - des personnes en service dans la Communauté mais aussi de celles engagées dans le monde, de les soutenir. Que chacun puisse grandir dans la Communauté, à partir de là où il en est. Le week-end du 16 et 17 juin 2012, nous nous sommes retrouvés à Paris avec l’équipe nationale sortante pour un temps d’évaluation de ce beau moment de l’Assemblée de la Communauté, puis pour un échange autour des divers chantiers, avec plus spécifiquement : le rapport au mondial, la communication, les
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La nouvelle équipe nationale
▲ De gauche à droite : Nicolas Joanne, Jean Fumex, Anne Fauquignon et Jean-Luc Fabre s.j.
jeunes. « Nous n’étions pas deux équipes mais une seule, dans une confiance réciproque pour l’avenir. » Anne, Jean, Jean-Luc,
A noter : la prise de fonction Marie-Antoinette et Nicolas depuis juillet 2012 de Pascale Robichon, la nouvelle directrice de saint-Hugues de Biviers. Retrouvez son interview sur www.editionsviechretienne.com Nous accueillons également l’arrivée d’un médiateur au sein de la Communauté : Olivier Giraud, membre CVX de Marseille.
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Ensemble faire Communauté
Une parole vive
J 1. Pour plus d’informations sur la fonction d’assistant national de la CVX, regarder les Normes Particulières p.19. 2. Son intervention est à retrouver sur le site de la CVX France : www.cvxfrance.com
Paul Legavre s.j., après avoir été pendant cinq ans assistant1 de la Communauté de Vie Chrétienne, laisse sa place à Jean-Luc Fabre s.j. et part pour Toulouse rejoindre la communauté des Coteaux-Païs. La CVX a beaucoup reçu de lui. Voici un court extrait de son intervention lors de l’Assemblée2.
Je voudrais partager ce que je perçois de la vocation de la Communauté, dans l’Église, et sa mission. Ce que j’ai reçu en la contemplant durant ces quelques années… Vie Chrétienne, ce sont des femmes et des hommes qui prennent au sérieux l’aventure évangélique et que le Seigneur a réunis en petites fraternités, pour se soutenir dans le désir du Royaume et une façon de vivre de la Parole pour l’annoncer, à la manière d’Ignace. « Je ne vous appelle plus serviteurs mais amis. Car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître. Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande. Personne n’a plus grand amour que celui qui donne sa vie pour ses amis », Jean 15. Quelle forme revêt pour la Communauté ce plus grand amour ? A quelle radicalité la Communauté est-elle appelée ? Quel don le Seigneur lui a-t-il fait, dès les commencements, et indique de quelle façon il s’agit de se donner ?
Écouter l’autre de telle manière que notre écoute bienveillante, une écoute vécue en Dieu, suscite l’autre en sa parole vive, et suscite aussi en moi une parole vive que je vais livrer et qui va permettre
Le don qui est fait à la Communauté, dans l’Église, n’estce pas cela : une manière d’écouter, et d’écouter jusqu’au bout ? 36 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 19
à l’autre d’aller plus loin dans ce qu’il a partagé, dans ce qu’il cherche et ne sait encore que confusément. Chacune, chacun a besoin de ses frères et sœurs pour aller au bout de sa parole.
Originaire de l’Aveyron, mais ayant vécu avec ses parents en région parisienne, le père Jean-Luc Fabre a été au lycée Louis-le-Grand avant d’entrer en classes préparatoires scientifiques à Henri IV. Il réussira le concours de Normale Sup puis fera une thèse de chimie. Dans ses recherches, il s’est intéressé aux phéromones secrétées par certains insectes femelles pour attirer les mâles… Apparemment pas le chemin le plus direct pour entrer chez les Jésuites. Très croyant et généreux, animé par un réel désir de perfection, il reconnaît avoir eu quand il était étudiant une attitude plutôt volontariste, celle du scientifique. C’est lors d’un séjour en Terre Sainte qu’il vit une expérience forte de lâcher prise en faisant confiance à Dieu. Il s’en trouve apaisé et ce sera déterminant pour la suite. A 27 ans, il entre au noviciat. La Compagnie ne tarde pas à utiliser ses compétences. A Toulouse, il consacre la moitié de son temps à ses études de théologie et l’autre à la direction du laboratoire de physiologie végétale de Purpan. Ordonné prêtre en 1991, il sera directeur général des études à l’ICAM à Nantes. Il trouvera même du temps pour accompagner une équipe CVX. Très attaché à la richesse de la spiritualité ignatienne, Jean-Luc Fabre, aujourdh’ui jésuite depuis trente ans, estime que, pour profiter pleinement des Exercices, il est bon de se familiariser avec la vie et la personnalité d’Ignace. En se mettant en route avec lui, on peut vivre la foi en Jésus-Christ tout en étant à l’écoute du monde et de ses attentes. Une perspective qui ne devrait pas déconcerter la Communauté de Vie chrétienne. Au contraire. Yves de Gentil-Baichis
Le regard du mondial Daniela Frank, présidente de la CVX mondiale, a participé aux trois jours de l’Assemblée de la Communauté. Elle nous partage ses impressions.
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Le processus de préparation de l’Assemblée (en impliquant les communautés locales, etc.) et celui des élections ont été une superbe expression de communion et d’action en tant que corps national. J’espère que le document final sera une pareille source d’inspiration pour les communautés locales. J’ai été impressionnée par les interventions diverses de la part des représentants de l’Église locale que vous avez invités. En tant que Communauté clairement enracinée dans l’Église, notre appartenance et notre service de l’Église sont un souci constant, en étant également conscients des trésors que nous avons à offrir aux autres. « Diaconia 2013 » est réellement une grande chance de collaboration avec l’Église locale, complètement dans la ligne des Principes Généraux 4 (option préférentielle pour les pauvres).
J’ai aussi été touchée que l’Assemblée mette l’accent, comme « cœur » ou comme « grâce spéciale reçue par la CVX », sur la manière radicale d’écouter « jusqu’au bout ». Cela implique à la fois d’écouter mon compagnon proche, mon « prochain », mais aussi de m’ouvrir largement au monde et aux signes des temps, pour discerner l’appel reçu en
tant que CVX. Et c’est une manière magnifique de formuler une dimension essentielle de notre manière de vivre ! Je sens que le document final porte beaucoup d’attention aux besoins internes à la Communauté. Il ne cache pas les tensions, mais embrasse l’appel à devenir et à être ensemble un « corps ». Avec mon « background » allemand (où nous avons des prêtres qui ont fait leur engagement permanent, et même un évêque qui est membre de la CVX), c’était un peu « particulier » de découvrir davantage votre conception et votre compréhension « étroite » de la laïcité (le fait d’utiliser le terme de « laïcs » pour parler de CVX comme association de fidèles). Puissent les tensions auxquelles vous êtes confrontés – notamment à propos des membres CVX qui sont devenus diacres permanents – porter du fruit pour approfondir notre compréhension commune de notre vocation laïque dans CVX ! Avec la riche expérience de CVX France et votre fort engagement comme Communauté nationale, vous avez beaucoup à offrir à la CVX mondiale. Une prochaine étape « bilatérale » sera de mettre en contact un groupe de travail en
▲ Daniela Frank lors de son intervention à l’Assemblée de la Communauté.
France et la commission « mission et service » de la CVX Allemagne pour allier les forces concernant les questions écologiques. Cette Assemblée de la CVX France fut l’occasion pour moi d’établir des liens directs avec la nouvelle ESN et avec beaucoup d’autres de la Communauté. J’étais très touchée du nombre de personnes qui (re)découvraient leur anglais et même leur allemand pour parler directement avec moi ! Continuons à marcher ensemble comme membres d’un SEUL corps ! Avec mon amitié et mes prières, Daniela Frank Présidente de la CVX Mondiale Septembre 2012 37
Ensemble faire Communauté
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CVX Europe
Un lien à construire Quelques repères : • Eurolink = personne nommée pour être le « lien européen » Les eurolinks se rencontrent deux fois en cinq ans, pour échanger des pratiques, se soutenir… (dernière rencontre : Budapest, Toussaint 2010 ; prochaine rencontre : Toussaint 2012 en Autriche). • L’Assemblée européenne réunit les eurolinks, les responsables et assistants nationaux ; elle a lieu tous les cinq ans, à la Pentecôte qui suit l’Assemblée mondiale. Elle reprend à son compte les orientations mondiales avec la spécificité européenne. Dernière rencontre : Alicante (Espagne) 2009. • L’euroteam est l’équipe européenne qui coordonne les eurolinks, organise les rencontres, édite une newsletter deux fois par an, met en ligne des informations sur le site européen (www.clc-europe.org). Responsable actuelle : Évelyne Maloret, CLC England & Wales. • Des vacances européennes ont lieu régulièrement à l’initiative d’un pays européen ; précédentes éditions : juillet 2012 en Slovénie, été 2010 en Allemagne.
Retrouvez dans la revue n°9 (janvier 2011) p.38, la relecture de la rencontre 2010 des eurolinks à Budapest.
l’engagement » jusqu’à la célébration d’une parole publique. Je leur ai donc envoyé le matériel correspondant… mais il leur fallait trouver quelqu’un pour le traduire du français vers le hongrois. Il nous faut régulièrement nous relancer mutuellement pour nous donner des nouvelles…
- pour des communautés régionales frontalières, inviter des CVX limitrophes, comme cela s’est déjà fait, pour la journée mondiale du 25 mars. A noter dans les événements à venir : à l’occasion des 450 ans en 2013 des Congrégations Mariales, dont la CVX est héritière, un pèlerinage sur les pas du jésuite Jean Leunis, depuis Liège, en Belgique, jusqu’à Rome. NB : pour l’histoire des Congrégations Mariales et de Jean Leunis, voir le supplément de Progressio « C’est ainsi que Dieu travaille ». Noëlle Hiesse Pour nous informer de vos voyages CVX européens : redaction@viechretienne.fr
Pour que la CVX soit vécue comme une réalité européenne, un seul membre pour faire le lien paraît peu suffisant. Voici quelques suggestions pour faire vivre la CVX au niveau européen : - profiter de ses déplacements, que ce soit pour des vacances ou pour son travail, pour tisser des liens personnels, - participer à des vacances européennes qui ont lieu plus ou moins tous les deux ans, et sont
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Après la rencontre des eurolinks à Budapest en 2010, nous avions rêvé, Joseanne de Malte, et moimême, de monter ensemble une session « Un pas de plus en compagnonnage ». L’idée était qu’un membre maltais participe à une session en France, ou qu’un français ayant déjà animé cette session aille à Malte pour l’adapter avec eux à leur réalité. Mais nous avons buté sur les impératifs concernant leur propre calendrier CVX, et la lourdeur, tant financière qu’humaine, pour mettre cela en œuvre. Pour ne pas laisser l’idée sans aucune suite, je lui ai tout de même envoyé les grandes lignes de la session après les avoir traduites en anglais. De même, la CVX Hongrie était intéressée par notre cheminement vers l’engagement, depuis le week-end « Y voir clair sur
organisées à l’initiative de l’un ou l’autre pays,
Billet
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« Je chante comme un p’tit fou » La maison de retraite est triste aujourd’hui : nos cœurs sont alourdis par la plainte et la détresse rencontrées lors de nos deux premières visites. Ni nos sourires, ni nos pauvres tentatives de diversion vers le beau temps qui revient ou les belles histoires que nous apportons dans nos valises bourrées de livres, n’ont su les soulager. Arpentant les couloirs en « rouméguant » de conserve, nous toquons chez Mme Josette C. Elle nous ouvre, printanière : jupe plissée à cachemires colorés et chemisier blanc ajouré à motifs naïfs brodés. Tout en nous introduisant, elle chantonne ; ça fait : « Je chante comme un p’tit fou ! ». Ca jaillit, ça claque, ça réveille l’oreille et le cœur. Je glisse un regard interloqué à ma collègue et dis : « Quelle jolie chanson ! ». Mme C. reprend alors toute la chanson, couplets et refrain à l’avenant, frais, légers et joyeux comme les trilles d’une alouette, dont la chanteuse a un peu l’allure. Un sourire illumine son visage pendant le concert : elle goûte ce qu’elle offre ; nous aussi. Nous passons à l’objet de notre visite : le choix de quelques livres pour le mois à venir. Comme souvent, elle s’amuse à nous faire croire qu’elle a perdu, voire vendu ceux du mois dernier… nous entrons dans le jeu, docilement. Elle désire un récit de vie, mais « pas mièvre », avec « du contenu ». De la nourriture solide, comme dit l’épître aux Hébreux, pas de la bouillie pour les enfants ! Avec elle, pas besoin de s’apitoyer, de s’adapter, de la ménager parce qu’elle est âgée. C’est bien une femme, une adulte qui se tient devant nous, droit dans ses bottes. Sa chambrette est peuplée d’objets et d’œuvres dont la beauté simple nourrit sans doute sa fantaisie, son espérance, son âme qui affleure. Là, c’est le portrait d’Yvonne, esquissé au crayon : « une amie que je n’ai pas vue depuis longtemps », dit-elle sans s’appesantir… « Oui, ça lui ressemble, c’est sûr », ajoute-t-elle sans fausse modestie devant son œuvre. Sur les meubles, ce sont des objets sobres mais beaux, traces d’une histoire, de relations encore présentes à son cœur. Surtout, j’aime chaque fois arrêter mon regard sur cet autoportrait, des années auparavant : coloré, lumineux et vibrant, il est un reflet vivant de l’âme chaleureuse, lumineuse et accueillante qui habite notre hôtesse, et qui éclairera notre journée… Ce soir, je laisse remonter à mon cœur, savoure le petit concert et le portrait – vivant ! de la dame… Elle me rappelle quelqu’un, mais qui ? Vous vous rappelez, vous, qui a dit : « Ce n’est pas d’en savoir beaucoup qui rassasie et satisfait l’âme, mais de sentir et de goûter les choses intérieurement » ? Cora Doulay Septembre 2012 39
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Prier dans l’instant
Au milieu des enfants Ils remuent, crient, se taisent, autour de moi… Ils s’émerveillent ou me fatiguent. Qu’ils sont vivants ! Toi, le Vivant, en eux tu fais ta demeure. En moi aussi ! En moi qui laisse remonter dans ma mémoire les paroles de ton Fils : « Le Royaume de Dieu… l’habitation de Dieu chez les humains ? Vous ne pouvez pas entrer là, si vous ne redevenez pas semblables à ces enfants ». Ce qui est faible ? Oui, écrit Paul aux habitants de Corinthe, « ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi ». Les enfants ont des défauts, comme les adultes. Mais, contrairement à ceux-ci, ils sont des « petits ». Même s’ils jouent aux grands, ils ne se trompent pas sur leur petitesse. Là est leur justesse. Heureuse faiblesse Dans mon âge d’adulte, mes responsabilités d’adulte, que j’entende ton appel : - à refuser la toute-puissance affective, intellectuelle, imaginative. C’est si tentant - à consentir (sentir avec toi) à ma fragilité, que Toi seul et moi connaissons bien. Il faut « naître à nouveau » ? Je veux bien. Et je les regarde autrement, ces enfants qui sont mes enseignants.
Marie-Claire Berthelin
Nouvelle revue Vie Chrétienne – Septembre 2012