Vie chrétienne Nouvelle revue
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B I M E S T R I E L D E L A C O M M U N A U T É V I E C H R É T I E N N E E T D E S E S A M I S – N º 2 1 – j anvier 2 0 1 3
Diaconia, des rencontres sources de vie Les Lettres de saint Ignace : un modèle de communication
Et mon corps ?
Sommaire éditorial
NOUVELLE REVUE VIE CHRÉTIENNE Directeur de la publication : Jean Fumex Responsable des éditions : Dominique Hiesse Responsable de la rédaction : Marie-élise Courmont Secrétaire de rédaction : Marie Benêteau Comité de rédaction : Marie Benêteau Marie-élise Courmont Marie Emmanuel Crahay Jean-Luc Fabre sj Yves de Gentil-Baichis Dominique Hiesse Barbara Strobel Comité d'orientation : Marie-Agnès Bourdeau Noëlle Hiesse Nicolas Joanne Michel Le Poulichet Béatrice Mercier Trésorière : Martine Louf Fabrication : SER, 14 rue d’Assas, 75006 Paris www.ser-sa.com Photo de couverture : Gilles Rigoulet, ©Ciric Impression : Corlet Imprimeur, Condé-sur-Noireau
ISSN : 2104-550X 47 rue de la Roquette 75011 Paris Les noms et adresses de nos destinataires sont communiqués à nos services internes et aux organismes liés contractuellement à la CVX sauf opposition. Les informations pourront faire l’objet d’un droit d’accès ou de rectification dans le cadre légal.
le dossier
l’air du temps Les évêques au cœur du débat Geneviève Médevielle
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chercher et trouver dieu
Et mon corps ?
7 8 Témoignages L’église se méfie-t-elle du corps ? 12 Olivier de Dinechin, s.j. Le corps, une œuvre divine 14 Pierre Gibert, s.j. De la solitude à la réciprocité 16 Jean-Luc Fabre, s.j le babillard 19 se former La lectio divina 20 Marie-Amélie Le Bourgeois Diaconia, des rencontres sources de vie 22 Marie-Jeanne Castan Les femmes dans la généalogie de Jésus 24 Marie-Amélie Le Bourgeois Les Lettres de saint Ignace : un modèle de communication 27 Jean-Marie Carrière, s.j. À quoi sert la feuille de préparation ? 30 Nadine Croizier ensemble faire communauté Délégués-jeunes, une variété d’expériences Les relais diocésains + Les jeunes et la randonnée Les 450 ans des congrégations laïques ignatiennes Regard extérieur sur la CVX France « Vivre la joie du Seigneur » - CVX Liban Nouvelles de la CVX England&Wales
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billet La grande sœur espérance Cora Doulay
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prier dans l'instant Dans une église de campagne Dominique Pollet
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La revue n’est pas vendue, elle est envoyée aux membres de la Communauté de Vie Chrétienne et plus largement à ses « amis ».
Chacun peut devenir ami ou parrainer quelqu’un. Il suffit pour un an de verser un don minimum de : l 25 € l 35 € si je suis hors de France Métropolitaine l Autre (50 €, 75 €, 100 €…) n Par virement : RIB 30066 10061 00020045801 60 IBAN FR76 3006 6100 6100 0200 4580 160 – BIC CMCIFRPP n Par versement en ligne sur viechretienne.fr/devenirami n Par chèque bancaire ou postal à l’ordre de Vie Chrétienne À envoyer à ser – vie chrétienne – 14, rue d’assas – 75006 Paris – amis@viechretienne.fr 2 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 21
Éditorial
L’ordinaire des jours
«
Avec Noël et le Nouvel An, la période des fêtes illumine nos villes et nos villages, apportant au cœur de l’hiver une touche de chaleur et de rêve. Mais tout a une fin ; les lumières se sont éteintes et nous voici revenus à l’ordinaire des jours.
Droits réservés
Quoi de plus naturel alors que d’évoquer dans le dossier de ce numéro une réalité banale et bien concrète, celle de notre corps. Un corps qui a des capacités mais aussi des limites ; un corps qui évolue avec le temps et fait partie de nous-mêmes. Ordinaires aussi sont les sujets portés à notre réflexion dans la partie « Se former » : la façon de communiquer, à la lumière de l’abondante correspondance de saint Ignace ; la manière de proposer une préparation pour les réunions ; le choix d’une méthode pour aider à prier. Ne nous y trompons pas, tout cela a de l’importance.
»
Car c’est dans la banalité de ce quotidien que le Seigneur nous rejoint. Son incarnation reste un mystère toujours à contempler. Dans « Lire la Bible », sont donnés des repères sur le texte de la généalogie de Jésus, homme parmi les hommes, qui a pris chair et a pris place dans une lignée. Bonne année à tous ! Et que chacun puisse chercher et trouver Dieu dans les plus humbles réalités de la vie quotidienne !
Pour marquer cette nouvelle année, nous avons cherché à harmoniser davantage le graphisme de la revue, en le rendant plus clair, plus léger, plus cohérent. Comme l’ordinaire des jours, il se glisse discret au sein de ce numéro.
Marie-élise Courmont
Pour écrire à la rédaction : redaction@viechretienne.fr
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L'air du temps
Les évêques au cœur du débat
Le mariage des personnes de même sexe Le 28 septembre 2012, le Conseil Famille et Société de la Conférence des évêques de France rendait publique une note sur le mariage des couples homosexuels. Six évêques ont préparé ce texte avec plusieurs laïcs dont un juriste, une mère de famille, un psychanalyste et un professeur de morale, sœur Geneviève Médevielle. Celle-ci a accepté de revenir pour nous sur les axes essentiels de ce texte important.
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© Marie Accomiato / Ciric
En titrant « Élargir le mariage aux personnes de même sexe ? Ouvrons le débat », le texte adopte un ton nouveau qui n’est ni celui de la mise en garde ni celui de la condamnation.
Le ton correspond au type de document souhaité par les évêques du Conseil Famille et Société. Il ne s’agissait pas de faire une déclaration officielle au nom de la Conférence Épiscopale de France. Ce n’est pas la mission de ce Conseil. En revanche, préparer des analyses et des réflexions sur des sujets sociétaux relève de sa compétence. C’est pourquoi, le document s’adresse en priorité aux laïcs en responsabilité dans les diocèses, confrontés sur le terrain aux questions des gens à propos de cette ouverture du mariage aux couples homosexuels. Il s’agit d’une note et d’un argumentaire pour les aider à débattre avec respect quand nos contemporains sont troublés par cette question car ils connaissent des personnes homosexuelles parmi leurs proches et cherchent à comprendre. Autre fait marquant, le texte condamne nettement l’homophobie et ne considère pas que
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les homosexuels sont des malades ou des anormaux comme on l’a longtemps fait. Aussi prend-il au sérieux les arguments en faveur du mariage. Il faut, avant d’exercer son jugement éthique, pouvoir entendre les demandes des couples homosexuels et reconnaître ce nouveau type de conjugalité. Or, cette écoute, qui ne préjuge pas de la réponse éthique à apporter à la question, doit se faire dans le refus de l’homophobie. Déjà en 1976, la Congrégation pour la doctrine de la foi invitait les catholiques à avoir une attitude de respect, d’écoute et d’accueil vis-à-vis de ces personnes. Est-ce la raison pour laquelle le texte n’affirme pas d’abord une vérité religieuse ? Si l’on s’était contenté de réaffirmer la position catholique pour ouvrir le débat en affirmant : « le mariage est un sacrement qui consacre l’union de l’homme et de la femme », une grande partie des
Le respect des plus faibles gens auraient dit : « c’est votre affaire, cela ne nous concerne pas ». Or, en prenant au sérieux la question sociale et en échangeant des arguments sérieux, non passionnels et rationnels, on peut retrouver une anthropologie commune qui vaut pour tous les mariages entre un homme et une femme. Le texte avance trois arguments essentiels pour refuser le projet du gouvernement. Il affirme d’abord que le mariage n’est pas simplement l’officialisation d’une passion amoureuse. C’est un point capital. En rester à l’officialisation d’un amour est une vision très individualiste qui occulte l’épaisseur sociale et juridique du mariage. Celui-ci concerne avant tout la transmission de la vie et la filiation et, en ce sens, il intéresse toute la société qui doit assurer la protection du plus faible, que ce soit la femme ou l’enfant. La note n’accepte pas le mariage homosexuel car il lui semble impossible d’affirmer qu’il n’y a pas de différences entre l’homme et la femme. En réclamant le droit au mariage, on confond l’égalité des sujets devant le droit et le fait que cette égalité ne puisse pas être compatible avec les différences de race, de classe, de sexe et d’âge. Au plan anthropologique, sans tomber dans un biologisme qui ne tiendrait pas compte que l’être humain est un être de liberté, de culture et d’histoire, on ne peut
Dans son homélie du 4 novembre 2012 à Lourdes, en ouvrant l’Assemblée plénière d’automne des évêques de France, le cardinal André Vingt-trois a affirmé : « Quand l’Église fait appel à la conscience humaine, elle ne cherche pas à imposer une conception particulière de l’existence. Elle renvoie à ce que notre civilisation a déchiffré du sens de la vie humaine et des impératifs du respect de la dignité personnelle de chacun. (…) Quand nous défendons le droit des enfants à se construire en référence à celui et à celle qui leur ont donné la vie, nous ne défendons pas une position particulière. Nous reconnaissons ce qu’expriment les pratiques et les sagesses de tous les peuples depuis la nuit des temps et ce que confirment bien des spécialistes modernes.(…) Nous ne prenons pas notre parti de voir un conformisme social abolir les progrès de tant de siècles pour le respect des plus faibles. » pas nier une donnée du monde des vivants qui lie sexualité et fécondité. Pour faire un enfant, il faut encore des gamètes mâles et des gamètes femelles. Je suis choquée par l’incohérence des écologistes qui défendent la nature sans accepter de la défendre au niveau de l’homme. On détournera une route afin de protéger une mare où vit une race de têtards que l’on veut sauver, mais la différence sexuelle ne semble plus un principe naturel. Enfin, comme femme de foi, je ne peux pas remettre en cause la différence sexuelle, sans remettre en cause la bénédiction originelle de Dieu sur sa création et sans voir que l’image même de Dieu en est affectée car l’Écriture dit « homme et femme, il les créa à son image » (Genèse 1, 26-27). En rappelant dans le texte que la lisibilité de la filiation est essentielle pour l’enfant, que vouliez-vous dire exactement ? Si, à l’avenir, le livret de famille supprime les termes d’époux et
d’épouse, de père et de mère, pour les remplacer par parent 1, parent 2, nous ne sommes plus assurés de l’humanisation de l’enfant. Pour un couple de deux hommes, il faudra aussi rajouter parent 3 pour que la mère porteuse ne soit pas oubliée. On change profondément la filiation et la manière de se repérer dans une généalogie. La Convention des Droits de l’ONU dit clairement qu’un enfant a le droit de connaître, si c’est possible, ses parents et d’être élevé par eux. De fait, la connaissance de son histoire et de sa lignée est essentielle pour la construction de son identité. Il semblerait d’ailleurs que cet argument fasse son chemin dans l’esprit de certains socialistes.
Geneviève Médevielle est religieuse auxiliatrice, directeur du cycle des études du doctorat de la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Institut catholique de Paris, vice-présidente de l’ATEM (Association de théologiens pour l’étude de la morale).
Propos recueillis par Yves de Gentil-Baichis Voir quelques pistes d’éclairages proposées par l’équipe service nationale de la CVX sur
www.editionsviechretienne.com
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Chercher et trouver Dieu
Et mon corps ? Pendant longtemps, marqués par de longs siècles de soupçon et de méfiance, nous avons cohabité avec notre corps, comme étrangers l’un à l’autre. Aujourd’hui, total bouleversement culturel, les sciences humaines nous apprennent que nous ne sommes pas enchaînés à un serviteur plus ou moins docile : mon corps c’est moi, totalement moi. D’où ce désir impérieux de l’habiter, d’y être à l’aise et d’utiliser ses merveilleuses richesses pour vivre plus et mieux. Mon corps me parle. Il sait me dire, si j’accepte de l’entendre, ce que ma conscience ne sait pas toujours exprimer quand mes désirs profonds ou mes peurs archaïques se manifestent. Il arrive aussi que j’arrive à dénouer mes raideurs et mes blocages en passant par mon corps. Il sait traduire concrètement la force et l’intensité de la relation amoureuse mais il peut aussi préparer la discrète douceur du dialogue personnel avec Dieu dans une prière que mes paroles ne savent plus dire. Si je nie ses rythmes, ses exigences propres, ses faiblesses, le corps peut se cloîtrer dans le silence ou crier sa douleur. Aussi dois-je être attentif à sa parole sans lui faire violence. Yves de Gentil-Baichis
Témoignages
éclairage biblique
« Après quoi cours-tu ? ». . . . . . . . . . . . 8
Le corps, une œuvre divine . . . . . . . . 14
La tendresse de l’amour. . . . . . . . . . . . 9 Se redécouvrir fragile . . . . . . . . . . . . . 10
Françoise Pierson
Danser la vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
Repères ignatiens De la solitude à la réciprocité . . . . . . 16
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Contrechamp
Pour continuer
L’église se méfie-t-elle du corps ? . . . 13
en réunion . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
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Chercher et trouver Dieu
Témoignages
« Après quoi cours-tu ? » La course effrénée du rythme quotidien peut parfois nous faire oublier notre corps. Jusqu’où ?
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lot que dans le cadre extra-professionnel. Car quand la santé va, rien ne vous arrête ! J’ai tiré allègrement sur la corde, négligeant le sommeil et les temps de repos, pour aller au bout d’engagements professionnels et associatifs. À 35 ans passés, j’ai commencé à sentir mes limites physiques et surtout à entendre : « Batteries à plat, faites attention ». Mon médecin, jusqu’alors un inconnu pour moi, est devenu un visage familier. Première prise de conscience : la machine peut tousser et s’user. Je dois me mettre à son écoute.
© Barbara Strobel
Dans ma famille, nous sommes des résistants. Entre mon frère et mes sœurs, ce fut longtemps à celui qui tiendrait sans arrêt de travail. Jamais malades, jamais une opération ! Nous sommes des privilégiés : la santé est un héritage qui nous a été transmis et qui nous a rarement trahis. J’ai donc appris à vivre à cent à l’heure, croquant la vie à pleines dents tant au bou-
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Dans ma famille encore, le goût de l’activité sportive n’est pas une marque de fabrique. Mon oncle a tout de même réussi à me transmettre le virus du tennis. J’ai joué à un bon niveau. Mais avec un boulot dont je ne maîtrisais pas les horaires, j’ai arrêté pour m’élancer dans un autre sport : la course quotidienne rythmée par les rendez-vous pro, les repas entre amis qui se terminent tard, les réunions CVX, les week-ends aux quatre coins de France… Jamais le temps de me poser et de faire attention à moi. Jusqu’à ce que je ressente le besoin de refaire de l’exercice. Nouvelle prise de conscience.
Ma communauté locale entendit mon désir. Grâce à elle, j’ai trouvé un club d’entraînement de footing et gagné en bien-être. « Après quoi cours-tu ? », m’a-telle aussi demandé. Trop attachée à vouloir rendre service et à être disponible pour les autres, je refusais inconsciemment de prendre soin de moi. Souvent, les excès cachent une faiblesse. De fait, j’évitais de m’occuper de moi car je ne m’aimais pas. Mon corps et moi, on cohabitait, presque étrangers l’un à l’autre. Étonnamment, les arrêts de travail et la reprise du footing nous ont réconciliés. Par ailleurs, j’étais poursuivie par ce commandement de Jésus : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Mais comment aimer mon prochain en portant un regard négatif sur moi ? Avec le temps, j’ai découvert que Dieu m’aimait telle que j’étais, y compris physiquement. Je décidais alors d’arrêter de me comparer aux autres et d’apprendre à reconnaître mes atouts. J’ai commencé ainsi à m’accepter et à m’aimer. De là j’ai eu envie de plaire. Chemin faisant, j’ai rencontré celui qui m’aime aujourd’hui pour ce que je suis. Et à ses yeux… je deviens belle et aimante ! Véronique
La tendresse de l’amour Quel rôle le corps joue-t-il dans l’amour d’un couple ? Question difficile, tant elle touche à l’intime, et pourtant essentielle.
Les jours de fête, je suis attentif à ta façon de t’habiller, et toi tu aimes bien que je sois élégant. Au quotidien, nos marques de tendresse : s’embrasser, se donner la main, se tenir proches de l’un de l’autre donnent aussi corps à notre amour. Et puis, il y a des moments où l’union est plus forte encore, on « fait l’amour ». Si notre vie sexuelle est très liée à l’harmonie de nos relations, on pourrait dire qu’elle en est comme un « baromètre ». « Calme plat » : nos vies sont « en parallèle », peu de plaisir partagé. « Tempête » : disputes, incompréhensions, aucune disponibilité l’un pour l’autre, même pas la peine d’y penser. « Beau fixe » : après une bonne journée, une soirée amicale, un petit dîner au restaurant… quelle intensité dans notre union physique ! Le baromètre peut varier très vite. La
« paix » retrouvée après une dispute suscite le désir, et le plaisir des corps témoigne de la force de notre amour. Je me souviens aussi comment à la suite du décès d’un proche, au milieu des pleurs, j’ai eu besoin de te retrouver au plus intime. Un corps à corps nécessaire et rassurant, un peu comme une victoire sur la mort. Nous sommes mariés depuis plusieurs dizaines d’années maintenant. Nos enfants, fruits de ces relations, sont devenus parents à leur tour. Notre vie sexuelle a évolué, nous nous connaissons mieux, tu es plus attentif à ma « météo » personnelle et sais trouver les paroles et les gestes qui calmeront la colère, et conduiront à un plaisir partagé. Nous savons que nous unir reste un moyen privilégié et indispensable pour continuer à construire notre amour chaque jour et à en vivre. Nous voudrions, pour terminer, ajouter un autre lieu où la présence physique côte à côte est importante : la messe du dimanche. C’est bien un temps fort où avec toute la communauté chrétienne, nous sommes
© Wikimedia Commons
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« Faire l’amour », quelle expression ambiguë… Bien sûr, il s’agit de la relation sexuelle, mais elle se place dans tout le contexte de notre vie. Posons-nous d’abord la question de base : pourquoi est-ce que je t’aime ? Ta force de caractère, ton intelligence, ta générosité, ton humour, ton corps ?... Les réponses sont nombreuses, toutes sont essentielles et elles se modifient au cours des années.
▲ Le baiser, Rodin, 1890, musée Rodin, Paris.
appelés à « faire corps », à réaliser le corps du Ressuscité. Il nous parait que c’est aussi une autre façon de vivre le sacrement de mariage reçu pour « donner corps » à l’Amour de Dieu. Un couple, membre de CVX Janvier 2013
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Chercher et trouver Dieu
Témoignages
Se redécouvrir fragile Il faut parfois mourir un peu à soi-même et à sa témérité pour redécouvrir son corps et en reconnaître l’inestimable cadeau de vie.
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« Ta chute venait de plus loin, d’avant. Je m’étais dit que t’allais te viander un jour, à force de jouer les acrobates dans les arbres, de prendre des chemins solitaires et risqués en montagne, de rentrer dans une voiture qui avait frôlé une rambarde car tu t’étais assoupi… », m’a-t-on dit.
des souffrances parfois. L’imaginaire voit des clous, des plaques, des coups de marteau-piqueur, là où ce n’est que redons ou tubulures post-opératoires. Écouter son corps, rencontrer le réel, c’est un long apprentissage, une école de vie. Une drôle de mère assiste sa croissance - quand celle-ci est encore possible - là, ce fut l’équipe soignante.
Un accident invite à re-naître et à re-connaître la vie à laquelle il appelle. C’était le soir de Pâques 2011. Deux cervicales ont été brisées et – ce n’était pas encore mon heure – se sont embrassées, accrochées l’une à l’autre, préservant le corps d’une rupture de la moelle épinière. Quelques semaines plus tard, tout ressautait à l’hôpital, la tétraplégie refrappait à la porte. Deux opérations supplémentaires plus tard, la colonne allait tenir, cette fois-ci.
« L’adolescence » arrive avec une autre facette de la mère et du père : les rééducateurs, kinés, orthophonistes, ergothérapeutes, psychologues. Le « petit » avance vers l’autonomie. La « vie adulte » sera le retour à la vie ordinaire, marqué par quelques diminutions ou séquelles auxquelles le patient apprend à consentir.
Ces temps sont des accouchements : un petit naît, alité, materné, dépendant, à travers bien
Quand l’Heure arrivera, la drôle de mère prendra le visage des soins palliatifs, pour la naissance finale.
© Gilles Lefrancq / Ciric
Le corps délivrera tous ses messages au dernier jour : la mort - qui est aussi naissance. Le mystère est grand. Quand j’ai descendu une murette et me suis mal réceptionné au point de faire deux ou trois cabrioles à l’envers, jusqu’à chuter sur la nuque du haut d’une terrasse de trois mètres, était-ce pour assouvir un besoin d’exister et éprouver l’existence, le réel, dont je doutais ? Je n’ai pas la réponse. Une amie me
dit qu’il n’y a pas de hasard. Le Seigneur me le dira… Écouter son corps n’est jamais fini tant qu’il n’a pas entendu ni reconnu Celui qui cherche à y descendre.
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Pourquoi ces passages par la souffrance et la diminution ? Le Seigneur me dira. Cela appelle en tout cas à accueillir la vie donnée : une main qui salue, une jambe qui bouge, un corps qui fait signe et rencontre l’Ami… Ces passages m’ont aussi amené à lâcher les défenses qui m’empêchaient d’entendre cet Ami. Écouter son corps, ça prendra toute la vie, et même un peu plus. Olivier
Danser la vie Comment habiter son corps pour qu’il devienne lui-même prière ?
J’ai appris à aimer mon corps, à m’émerveiller devant les possibilités infinies qu’il m’offre d’être toujours plus vivante : accueillir le souffle jusqu’au bout de mes doigts, savourer la simplicité de se lever, de s’assoir, de marcher… Et dans cette liberté, rencontrer le corps de l’autre dans une qualité de respect, d’attention, de douceur. Des gestes tout simples qui permettent d’être là, ouverte, et de vivre des rencontres habitées : oui, Dieu veut me rencontrer ainsi, il me veut debout et libre ! Plus je suis présente à moi même, plus je deviens présente aux autres et donc à l’Autre. Voilà ce qui a pris corps en moi. Les Récitatifs Bibliques1 m‘ont permis d’incarner davantage encore la Parole de Dieu. Chanter et gestuer Jésus par exemple qui lève les yeux vers son père,
pousse un soupir et dit « Ephata » (Marc 7,34), c’est accueillir physiquement, avec Lui, le regard d’Amour du Père, le souffle puissant de l’Esprit, la Parole qui libère… C’est sentir la Trinité me traverser, tel l’enfant qui habite mes entrailles pendant neuf mois et jaillit le jour de la naissance pour donner Vie. C’est la Parole qui prend corps en moi ! La laisser résonner ensuite dans le silence de la contemplation, c’est cueillir les fruits de ce cœur-à-corps. Vivre dans mon corps la Parole Biblique, c’est me laisser façonner par Dieu Luimême. J’ai eu cette grâce de découvrir que Dieu me parle dans mon corps. Écouter ce que me dit mon corps c’est habiter mes raideurs, reconnaître la vie qui jaillit des tensions qui se dénouent, c’est louer Dieu en « la merveille que je suis ». Quand ma tête dit « tu es nulle », mon corps me rappelle que Dieu est plus grand que les images que j’ai de Lui et de moi. Quand je me sens fatiguée et que je redécouvre par la danse que mon corps est léger, alors il devient la prière que mes mots ne savent plus dire. Et quand j’oublie de prendre soin de moi, j’oublie aussi Dieu : ma prière est cérébrale et je ne laisse pas d’espace à la Rencontre avec Dieu.
© iStock
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Assez jeune, j’ai appris à prier à la manière d’Ignace dans une contemplation silencieuse. De ma prière est née une certitude : cette présence accueillie dans l’oraison devait se manifester dans mon corps. Tout en cheminant à l’école des Exercices, j’ai cherché à danser ma vie et ma prière, auprès de danseurs aux techniques variées : tous avaient en commun cette recherche d’une cohérence, d’une harmonie intérieure que je pouvais moi nommer « présence de Dieu ».
Oui, il est de ces temps de prière d’où naît une danse, et il est des moments de vie qui deviennent prière parce qu’ils sont dansés. Anne
1. Un récitatif biblique est un passage de la Bible qu’on inscrit dans le cœur par le balancement, la mélodie et le geste. Voir le site : www.parole-et-geste.org
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Chercher et trouver Dieu
Contrechamp
L’église se méfie-t-elle du corps ? L’histoire des relations entre le corps et la pensée chrétienne est à la fois riche et mouvementée. Le père Olivier de Dinechin, jésuite et ancien membre du Comité National d’Éthique, nous aide à démêler l’écheveau.
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La culture occidentale a été marquée par une vision négative du corps. Les philosophes grecs, d’abord, se sont méfiés de notre enveloppe corporelle. Platon lui reprochait d’être source d’erreur et de fausser notre perception du monde et Plotin l’accusait d’être la « prison de l’âme ». Par la suite, une partie de la pensée chrétienne a méprisé le corps, source du péché. C’est plus compliqué car à l’époque des pères de l’Église, si Origène se méfiait du corps, saint Irénée, qui n’avait pas la même vision, insistait beaucoup sur la résurrection des corps. Et au Moyen-Âge, il n’y avait aucun mépris du corps chez Saint-Thomas d’Aquin qui reconnaissait que la sensualité fait partie de l’humain. Si l’on remonte en arrière, avant la période gréco-romaine qui a marqué les débuts du christianisme, la Bible n’avait pas une vision négative du corps. Il est intéressant aussi de regarder l’histoire de l’iconographie : si le protestantisme a supprimé les représentations du corps, le catholicisme, en particulier à la période
baroque, exalte les corps qui transitent vers les corps glorieux. Enfin au début du 20e siècle, les mouvements de jeunesse catholiques, les patronages, les sociétés de gymnastique et le scoutisme ont développé une pédagogie très positive de l’attention au corps. Cependant la pensée chrétienne a été longtemps marquée par une méfiance vis-àvis du corps par qui le péché arrive. Il faut reconnaître qu’il y a chez les catholiques une tradition remontant à Saint-Augustin, qui se méfie du plaisir sexuel. Aussi, toute une éducation religieuse a-t-elle insisté sur la nécessité de maîtriser, de contrôler et à la limite de refouler la sexualité. Par la suite, avec le jansénisme, on a confondu la chair au sens paulinien du terme (« l’esprit du monde ») et la chair au sens sexuel. Et les péchés considérés comme les plus importants ont longtemps été les péchés sexuels. Dans la culture moderne, le corps n’est plus seulement un serviteur qui nous serait exté-
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rieur car, pour nos contemporains, le corps c’est vraiment moi. D’où ce désir impérieux de valoriser son corps et de l’habiter en y étant à l’aise. La pensée de l’Église accepte-telle cette perspective ? A partir du moment où l’on explore les énigmes de la condition humaine et ses contradictions, on découvre que la doctrine chrétienne sur le corps est compatible avec la culture d’aujourd’hui. À condition que cette dernière soit un peu rigoureuse et qu’elle évite d’affirmer, par exemple, que la différence entre un homme et une femme n’est qu’une différence imposée par la société. Aujourd’hui, de nombreuses personnes ont pris leurs distances vis-à-vis de l’Église en raison de sa conception de la sexualité. Le fossé est-il infranchissable ? La révolution contraceptive a mis dans la tête de nos contemporains l’idée que la sexualité pouvait être vécue indépendamment de la fécondité. On a donc une vision de la sexualité dans sa visée ludique (pour se faire plaisir), ou relationnelle (pour communiquer in-
tensément avec l’être aimé). Mais c’est une vision incomplète du rôle de la sexualité qui est de transmettre la vie.
Puisque mon corps ne m’est pas extérieur car il est totalement moi, il est normal qu’il puisse dire ce que ma conscience ne sait pas toujours exprimer. Oui nous sommes des corps parlants et nos tendances profondes, notre inconscient, s’expriment par le corps. Les médecins, les éducateurs de jeunes enfants et ceux qui s’occupent des personnes âgées le savent bien. Quand nous échangeons avec quelqu’un, sa voix, qui vient du plus profond de son corps, ses mimiques et ses gestes nous parlent. D’ailleurs, dans l’Évangile, Jésus ne dissocie pas le corps de l’esprit. Quand il guérit des malades, il les fait parler, les écoute et leur dit « Va, ta foi t’a sauvé ». Il guérit l’être dans toutes ses dimensions car l’homme, qui n’est pas une simple machine biologique, ne
© R. Razzo / Ciric
Si, pour diverses raisons, il n’est pas possible d’avoir des enfants à tel ou tel moment de sa vie, la sexualité joue quand même un rôle essentiel pour enrichir la relation des couples. Bien sûr, elle est importante, comme le soulignent les spiritualités conjugales. Et même si un couple ne peut pas suivre à la lettre ce que recommande l’Église, il existe les notions de cheminement et de gradualité pour permettre aux conjoints d’aller progressivement, selon leurs possibilités, vers l’idéal indiqué. ▲ Tapisserie réalisée d’après une petite gouache de Fr. Yves, bénédictin de la Pierre qui vire.
vit pas seulement de pain. C’est l’expérience de la parole qui le fait vivre. Et c’est l’absence de parole ou la parole fausse qui le fait mourir. Le démon, décrit par saint Jean, est menteur et homicide. Aujourd’hui, certains croyants insistent pour que le corps soit associé à la prière pour mieux entrer en relation avec Dieu. Qu’en pensez-vous ? Un jésuite, le Père Jousse, a proposé toute une éducation à la prière gestuée pour mieux intérioriser l’Évangile. En Afrique et dans d’autres continents, les chants et les danses peuvent aider certaines populations à prier. On n’est pas davantage chrétien parce qu’on prie seulement avec sa tête.
Je pense qu’un catholique n’a aujourd’hui aucune raison de croire que l’église le coince dans sa vie corporelle. Selon vous, l’aide spirituelle peut-elle apaiser le corps qui souffre ? Quand on accompagne les malades, surtout en fin de vie, en les écoutant, en essayant de leur permettre d’exprimer les questions qu’ils se posent, et en les aidant à ne pas rester enfermés dans le mensonge ou la rancœur, leur corps se détend et trouve la paix. C’est un constat fréquent. Propos recueillis par Yves de Gentil-Baichis Janvier 2013 13
Chercher et trouver Dieu
éclairage biblique
Le corps, une œuvre divine 21 Le Seigneur Dieu fit tomber dans une torpeur l’homme qui s’endormit ; il prit l’une de ses côtes et referma les
chairs à sa place.
22 Le Seigneur Dieu transforma la côte qu’il avait prise à l’homme en une femme qu’il lui amena.
23 L’homme s’écria : « Voici cette fois l’os de mes os et la chair de ma chair, celle-ci on l’appellera femme car
c’est de l’homme qu’elle a été prise. » 25 Tous deux étaient nus, l’homme et sa femme, sans se faire mutuellement honte.
Genèse 2, 21-23.25 (Traduction œcuménique)
Même si l’on a tout oublié (ou presque) de la Bible, qui ignore ces phrases de son premier livre, la Genèse ? Ainsi est rapportée la création par Dieu d’Adam et d’Eve, le premier homme et la première femme, dans le réalisme de leur corps de chair, dans leur nudité, dans une admiration et une confiance réciproques, sans honte. Ainsi se définit dès sa première page pour la Bible le corps humain, en un récit qui ne sera jamais aboli dans sa signification fondamentale et fondatrice : la dignité du corps comme œuvre divine, l’émotion de la découverte réciproque, la joie paisible du regard et de la parole. Car tout récit placé en origine comme l’« histoire d’Adam et d’Eve » garde précisément une valeur définitive, fondatrice, explicative que rien n’abolira jamais, pas même la faute. Sans doute, au cours de l’histoire du christianisme, n’a-t-il jamais manqué de bons esprits pour dévaloriser le corps, pour en dire la honte selon une obsession de l’impudeur liée à une époque, à une mentalité, à tel ou tel groupe. L’hypocrite « Cachez ce sein que je ne saurais voir » du Tartuffe de Molière est en écho de ce genre de mépris que la foi chrétienne n’a jamais prôné et dont on chercherait en vain dans la Bible la moindre justification. 14 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 21
Justement, qu’en est-il du corps dans cette longue histoire qui nous conduit au Christ et aux origines du christianisme ? À vrai dire, il en est assez peu question. Mais deux moments essentiels méritent d’être retenus. Celui d’abord du Cantique des cantiques. Poème d’origine profane, il célèbre la beauté – physique ! – du corps de la jeune fille en des phrases que tous les jeunes amants du monde peuvent reprendre. Et le christianisme y lira le symbole de l’Église, de grands auteurs, tels saint Bernard ou Richard de Saint-Victor, le commentant dans ce sens. Entre-temps, un autre écho de la célébration du corps nous est donné dans un important passage de l’épître de saint Paul aux Ephésiens, où est repris un verset de l’histoire d’Adam et d’Eve (Cf. : Ephésiens 5, 21-33). Ce texte important ne doit pas être pris à contresens avec l’apparente et trop fameuse injonction : « que les femmes soient soumises à leurs maris ». Car c’est l’amour de l’homme et de la femme jusque dans leurs propres chairs, qui est la clé d’intelligence du propos central de Paul : l’amour du Christ pour l’Église. Il est intéressant de voir là comment Paul
Comment, dans ces perspectives, le chrétien pourrait-il avoir crainte ou mépris du corps ? Il en va de la clé même de notre foi : la Résurrection du Christ. Et il faut en arriver aux récits des apparitions du Christ ressuscité pour réaliser définitivement la place que tient dans notre foi le corps dans sa chair, dans nos gestes, tel celui demandé à Thomas l’incrédule de toucher les plaies du Crucifié. Sur quoi résonne la fin de la 1 épître aux Corinthiens : « Si l’on prêche que le Christ est ressuscité des morts, comment certains parmi vous peuvent-ils dire qu’il n’y a pas de résurrection des morts ? S’il n’y a pas de résurrection des morts, le Christ non plus n’est pas ressuscité. Et si le Christ n’est pas ressuscité, vide alors est notre message, vide aussi votre foi ! » (1 Corinthiens 15,12-14). re
Il ne faut pas s’y tromper : c’est bien le « corps du Christ » qui est ici en jeu, comme réalité physique, comme réalité de foi, comme notre propre réalité d’êtres corporels. Au terme du chemin biblique, la foi en la résurrection scelle définitivement la dignité de notre chair par-delà toutes souffrances, physiques et morales, toutes formes de déchéance. Partie prenante au Corps du Christ entre Église et Eucharistie, nous le sommes aussi à sa Résurrection, par notre corps justement. Pierre Gibert s.j.
© Patrice Thébault / Ciric.
se sert de cette référence au corps et à l’union de l’homme et de la femme dans leur chair pour nous faire comprendre l’amour du Christ pour l’Église. Et justement, nous, chrétiens, sommes non seulement membres de l’Église, mais plus fortement encore membres de son Corps qu’est l’Église. Et Paul de citer ce passage de la Genèse orientant le destin d’Adam et d’Eve, c’est-à-dire de l’homme et de la femme pour la suite des temps : « tous les deux ne feront qu’une seule chair ». Et, ajoute Paul : « ce mystère est de grande portée, je veux dire qu’il s’applique au Christ et à l’Église » (Ephésiens 5, 31-32).
▲ Adam et Eve, détail du vitrail «La Paix» de Marc Chagall, réalisé en 1976 pour la chapelle des Cordeliers de Sarrebourg. Moselle (57)
POUR PRIER… + Me représenter en parallèle la scène d’Adam et Eve s’émerveillant l’un de l’autre et une scène d’apparition du Christ ressuscité, par exemple à Thomas et aux Apôtres (cf. Jean 20, 24-29).
+ Demander la foi en la Résurrection du Christ et l’espérance dans ma propre résurrection.
+ Réfléchir aux implications pour moi du passage de l’épître de saint Paul aux Ephésiens : de l’ordre de la foi en l’Église, Corps du Christ auquel j’appartiens, dans l’amour que je dois à tous dans cette foi. Y réfléchir selon ma situation, notamment dans le rapport homme et femme.
+ Demander la confiance dans le lien entre foi au Christ et espérance dans la vie éternelle. Réfléchir à ce que cela signifie dans ma vie, dans les évolutions et changements dus à l’âge, aux difficultés de santé. Janvier 2013 15
Chercher et trouver Dieu
Repères ignatiens
De la solitude à la réciprocité La faiblesse de notre corps aide bien souvent à notre conversion. Tout au long de son histoire, saint Ignace l’a expérimenté. Aussi, dans les Exercices Spirituels, l’écoute du corps fait pleinement partie du discernement. « De même, en effet, que se promener, marcher et courir sont des exercices corporels » saint Ignace de Loyola, Exercices Spirituels 1, 3
des armes avec un grand et vain désir de gagner de l’honneur ». Métier des armes, mais aussi art de la danse, de la calligraphie, de l’amour… Tout cela ne va pas sans une réelle maîtrise du corps. De la même manière, la capacité d’entraîner d’autres implique une certaine prestance. Mais la faiblesse de son corps le conduira à faire trois pas en son être. Elle infléchira d’abord la courbe de son existence, elle l’amènera ensuite à reconnaître la gratuité du don de vie qui lui est fait, et elle l’introduira enfin au discernement de la bonne vie pour son existence et celle des autres. Ces trois pas successifs seront posés à Pampelune, puis à Loyola et enfin à Manresa.
© Wikimedia Commons / Justass
Ignace, comme chacun de nous, a vécu son corps, depuis le commencement de sa vie où il se déclarait « homme adonné aux vanités du monde et principalement se délectant dans l’exercice
▲ Ignace se délectant dans l’exercice des armes
Pampelune « Une bombarde l’atteignit à une jambe, la brisant toute » Le corps infléchit la trajectoire d’Ignace. L’homme, c’est une masse de capacités, de puissances, de savoirs, de savoirfaire… On est capable de faire sans savoir comment, c’est inscrit dans notre corps ! On le sent. On
16 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 21
est dans une toute-puissance, solitaire, efficace. On en jouit. Mais tout cela, d’une manière ou d’une autre, passe. Que le corps soit atteint, et tout s’écroule de nos potentiels. Et cela peut, comme pour Ignace, faire boule de neige au-delà de nous-mêmes. Ignace est à terre, et les espagnols se rendent aux français. Dans le corps, il y a le réceptacle de tout ce que nous pouvons faire. D’où cette manière de s’en délecter en boucle, d’en jouir, et aussi cette façon volontariste de se comporter avec lui. Ignace acceptera le martyre pour qu’il puisse à nouveau danser et briller, en acceptant que la boule d’os sous le genou soit rabotée. Il y a donc cela dans le corps, la possibilité de déployer notre pôle « ce que je peux », de l’exprimer.
Loyola « Et ainsi il plut à Notre Seigneur qu’à minuit même il commençât de se trouver mieux » Le corps ouvre à la gratuité. À son arrivée à Loyola, après avoir été réopéré, son état ne cesse de
© Justass / Wikimédia Commons
Manresa « Il valait mieux y renoncer et dormir pendant le temps destiné au sommeil. Et il le fit »
▲ « Ignace est à terre, et les espagnols se rendent aux français »
se dégrader. « Le jour de SaintJean étant proche, comme les médecins avaient très peu de confiance en son salut, il lui fut conseillé de se confesser ». Il est sur le point de quitter ce monde, pour un autre. Une autre logique lui est proposée par son entourage, non plus celle de la maîtrise mais celle du sacrement, une expression de la remise intégrale de soi à un autre… Et son état ne cesse de se dégrader jusqu’à ce que « sans raison » il commence à se trouver mieux. C’est la dilection1 de Dieu. Ignace consent à des limites réelles, il reçoit de l’aide. Le corps, mon corps, porte aussi en lui, en son profond, l’action d’autres, d’un Autre.
est le lieu où l’événement me rejoint dans son imprévisibilité, me marque dans son altérité et son irréversibilité. Le corps se révèle ouverture, pour moi, à ma capacité à admettre une gratuité offerte. Il y a donc aussi cela dans mon corps, l’ouverture possible à la reconnaissance gracieuse de « ce qui s’impose à moi ».
À Manresa, Ignace a traversé la crise des scrupules, il a abandonné l’idéal héroïque et solitaire de perfection ; il ne s’impose plus, il ne se justifie plus, il ne négocie plus, il reçoit sa vie gracieusement de Dieu telle qu’elle est, il l’habite donc telle qu’elle se révèle à lui dans ses besoins, dans ses attentes. Il s’est éveillé « comme d’un rêve ». Maintenant il pose des actes seulement pour mieux recevoir. Il choisit en fonction d’un bien hiérarchisé, ordonné, il se dispose. Il dialogue avec son corps pour trouver ce qui convient par rapport à ce qu’il se propose pour la relation avec Dieu et ses frères. Dormir pour bien prier, s’alimenter correctement pour respecter son corps… Le pôle « ce que je veux » concilie « ce que je peux » et « ce qui s’impose à moi ». Le triangle de la vie adulte est constitué.
1. L’amour pieux, pur et spirituel.
Le pôle de « ce qui s’impose à moi » se manifeste dans mon existence par mon corps et ses empêchements. Je ne puis que consentir aussi bien à la dégradation qu’au recouvrement de la santé. Le corps vulnérable Janvier 2013 17
Chercher et trouver Dieu
,
Repères ignatiens Trois attitudes Ainsi Ignace a tenu au moins trois attitudes envers son corps, celle de la maîtrise et de sa jouissance jusqu’à Pampelune, celle de la remise et de l’ouverture à partir de Loyola, celle du dialogue et de la disponibilité à partir de Manresa… À chaque fois, le corps lui a répondu et lui a donné des clefs, celle du renoncement à ses rêves [il quitte ainsi Pampelune], celle de la réponse à l’appel à la vraie Vie [il quitte Loyola], celle du service dans le quotidien envers le prochain [il quitte Manresa]. Chacun de nous est enseigné par son propre corps, celui-ci veut la vie, veut notre vie, il ne cesse de proposer de se réorienter pour nous disposer à la vie plus grande… Écoutons-le ! Suivons-le ! Jean-Luc Fabre s.j. Assistant national de la CVX
Pour continuer en réunion Des pistes pour un partage : • Q u’est-ce que mon corps me permet de vivre ? Regarder les quelques journées qui viennent de passer pour en prendre conscience. Qu’est-ce qu’il m’a permis de faire ? Comment m’a-t-il aidé à entrer en relation avec le monde qui m’entoure, avec les autres ? Par quels moyens : gestes, expressions corporelles, tenues vestimentaires… ? Quelle prière monte en moi à son propos ? • Comment est-ce que je prends soin de mon corps ? - Comment je l’écoute quand il me parle ou se rappelle à moi ? Y a-t-il un lien avec mes motions intérieures ? - À quoi dois-je veiller pour en prendre soin : exercices corporels réguliers, nourriture équilibrée, sommeil, vrais temps de détente, prévention médicale… ? • Comment j’habite mon corps affaibli ou meurtri par la maladie, un accident, un handicap, le grand âge… ? Quels mouvements cela suscite-t-il en moi ; quels combats ? À quelle conversion cela me conduit-il ? Comment j’en parle au Seigneur ? Qu’est-ce qui me permet de trouver la paix ?
Des livres et revues pour approfondir : • Le corps – Christus Hors Série 222. • La Philosophie du corps de Michela Marzano – PUF, 2007- et du même auteur : Légère comme un papillon (Grasset, 2012). • Le corps mal entendu de Marie Hélène Boucand – Éditions Vie Chrétienne n°502. • Au fil des jours blessés de Pierre Marie Hoog - Éditions Vie Chrétienne n°540. 18 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 21
Le Babillard © B. Strobel
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Vous avez du goût à vous occuper d’enfants, vous aimeriez pouvoir les éveiller à notre spiritua lité, venez rejoindre les équipes d’animation enfants pour l’une ou l’autre des « retraites familles » :
Penboc’h : 20 au 26 juillet 2013 Biviers : 28 juillet au 3 août 2013
En faisant vivre aux enfants un parcours spirituel adapté à chaque tranche d’âge (3-1 2 ans), ou en gardant les tout petits (0 à 3 ans), c’est la joie de vivre soi-même et en équipe une expérience spir ituelle au service des plus petits.
Contact et renseignements : Monique du Crest Tél. : 02 40 52 18 29 – meta.ducrest@w anadoo.fr
La puis sanc e de la Paro le
d s C VX Pr o c h ai n s w ee k- en formations p. 33) M o n ta g n e (voir plus d’in
e Comté) • 26-27 janvier 2013 (en Franch e de Solesmes) bay l’Ab de our (aut 3 201 l avri • 6-7 s les Alpes) (dan 3 201 • du 4 au 9 ou 8 au 12 Mai e) ergn Auv (en 3 201 juin • une semaine fin s) Alpe les s (dan 3 201 et juill en • une semaine
se compose de : Un week-end CVX Montagne « type » s ou ski de fond)
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luc, un évangile en pastorale
Philippe Bacq et Odile Ribadeau Dumas Ce livre fait suite à Luc un Évangile en pastorale, Commencements. Il voudrait proposer une expérience de la bonne nouvelle du Royaume que Jésus annonce. Il suit pas à pas son itinéraire depuis le début de sa vie publique jusqu’à sa manifestation aux disciples après son éveil d’entre les morts. Des questions sur le récit et un commentaire rigoureux aident à entrer dans une lecture attentive, personnelle ou à plusieurs. Dans la situation ecclésiale actuelle, que dire du rôle des « envoyés » si présents dans cet évangile ? Comment respecter et favoriser la variété des appels et la reconnaissance mutuelle des prêtres, diacres et des laïcs dans leur mission spécifique ?
Philippe Bacq, jésuite est professeur d’Écriture et de pastorale au Centre international Lumen Vitae à Bruxelles. Odile Ribadeau Dumas, religieuse du Sacré-Cœur de Jésus, exerce, depuis de longues années, une mission de formation et d’accompagnement en pastorale.
La Louvesc 2013
Nous nous associons au Réseau Jeunesse Ignatien pour une proposition adressée aux familles avec jeunes enfants du mardi 23 au dimanche 28 juillet 2013 à La Louvesc. Ce sera un rendez-vous de la famille ignatienne.
Vacances européennes en Roumanie Les prochaines vacances européennes auront lieu en Roumanie du 11 au 17 août 2013, au cœur de la Transylvanie. La beauté naturelle de ce lieu invitera tous les participants à une rencontre intime avec Dieu : à travers la prière, des partages en groupes, des temps conviviaux, des randonnées… Plus d’informations vous seront données dès que possible.
Contact et inscription (en anglais) :
Boglarka Balazs Petz : balazspetz@freemail.hu
À noter dans les agendas !
Université d’été 2013 La deuxième édition de l’Université d’été se tiendra au centre spirituel du Haumont du jeudi 22 (14h) au dimanche 25 août 2013. Nous sommes invités à s’exercer à lire les signes des temps en vivant ce temps en petites communautés d’assemblée avec différents apports. Nous serons davantage attentifs à la deuxième partie du Principe Général n°4 : « Nous sommes particulièrement conscients du besoin urgent de travailler pour la justice par une option préférentielle pour les pauvres et un style de vie simple qui exprime notre liberté et notre solidarité avec eux. » Un parcours sera proposé aux enfants.
Janvier 2013 19
Se former
école de prière
la lectio divina Qu’est-ce que la lectio divina ? Comment cette méthode pour s’approprier et prier les textes bibliques peut-elle nourrir notre relation à la Parole de Dieu ? Éclairage à travers les textes de Jean-Paul II, Benoît XVI et avec les conseils du cardinal Martini.
I
Il n’est pas certain que nous ayons mesuré ce que le concile Vatican II nous a apporté dans le domaine de la lecture de la Bible. Si, comme le dit la constitution Dei Verbum, l’Écriture lue en Église est véritablement l’unique source de la révélation et de la vie spirituelle de chacun, comment alors pouvons-nous nous en passer ? Et qui nous montrera comment la lire aujourd’hui ? Ce que l’on appelle traditionnellement la « lectio divina », comme lecture priante des textes bibliques, est une forme de réponse à cette question, ainsi que Jean-Paul II le rappelait : « Il n’y a pas de doute que le primat de la sainteté et de la prière n’est concevable qu’à partir d’une écoute renouvelée de la Parole de Dieu… Il est nécessaire, en particulier, que l’écoute de la Parole devienne une rencontre vitale, selon l’antique et toujours actuelle tradition de la « lectio divina » permettant de puiser dans le texte biblique la parole vivante qui interpelle, qui oriente, qui façonne l’existence » 1.
Plus récemment, Benoît XVI, reprenant mot pour mot le message final du Synode des évêques sur « la Parole de Dieu dans la vie de l’Église » (2008) précisait :
« La lectio divina, (…) est capable d’ouvrir au fidèle le trésor de la Parole de Dieu, et de provoquer ainsi la rencontre avec le Christ, Parole divine vivante. Je voudrais rappeler brièvement ici ses étapes fondamentales : elle s’ouvre par la lecture (lectio) du texte qui provoque une question portant sur la connaissance authentique de son contenu : que dit en soi le texte biblique ? Sans cette étape, le texte risquerait de devenir seulement un prétexte pour ne jamais sortir de nos pensées.
adoptons, comme don de Dieu, le même regard que lui pour juger la réalité, et nous nous demandons : quelle conversion de l’esprit, du cœur et de la vie le Seigneur nous demande-t-il ? » 2
S’en suit la méditation (meditatio) qui pose la question suivante : que nous dit le texte biblique ? Ici, chacun personnellement, mais aussi en tant que réalité communautaire, doit se laisser toucher et remettre en question, car il ne s’agit pas de considérer des paroles prononcées dans le passé mais dans le présent.
Le cardinal Martini, adepte de la lectio divina, dit qu’il n’hésite pas à prendre un crayon, chercher le contexte historique et géographique du passage choisi, souligner les mots qui se répètent, les oppositions, les verbes et leurs temps, les acteurs, à aller voir les références signalées dans les notes, etc.
L’on arrive ainsi à la prière (oratio) qui suppose cette autre question : que disons-nous au Seigneur en réponse à sa Parole ? La prière comme requête, intercession, action de grâce et louange, est la première manière par laquelle la Parole nous transforme. Enfin, la lectio divina se termine par la contemplation (contemplatio), au cours de laquelle nous
20 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 21
Quatre étapes donc, liées par un même mouvement. • La « lectio » : cette première étape consiste en une étude qui met en branle notre tête (mémoire, intelligence…) avec la question : Que dit le texte biblique en soi ?
• La « meditatio » : intériorisation, passage de la tête au cœur du croyant chrétien, avec la question : Comme croyant, et croyant chrétien, que me dit ce texte biblique ? Que disait le texte aux croyants à qui il était d’abord destiné ? Comment nous rejoint-il aujourd’hui dans notre foi pascale ?
C’est l’étape selon laquelle l’Écriture devient pour chacun « Parole de Dieu » aujourd’hui.
• La « contemplatio » : c’est l’étape au cours de laquelle nous exprimons notre désir de regarder notre vie avec le regard de Dieu et de « mettre en pratique » les paroles lues, méditées, priées. C’est le moment de passer des lèvres aux mains, aux pieds et à toute la personne, avec la question : Quelle conversion de l’esprit, du cœur et de la vie le Seigneur me demandet-il ? Autrement dit : Avec quoi je repars ? Cette étape est comme un fruit de toute la démarche. Évidemment ces étapes ne sont pas à systématiser. Ce ne sont que des pistes offertes par la grande tradition spirituelle pour que la Parole de Dieu prenne vraiment corps dans notre humanité. Le cardinal Martini3 pratique cette façon de faire en toute liberté. Ainsi la « contemplatio » est aussi pour lui celle des Exercices spirituels : il s’agit de demeurer avec amour dans le texte, ou plutôt de passer du texte à la contemplation de celui qui parle
© Marie Accomiato / Ciric
• L’ « oratio » : c’est passer du cœur aux lèvres, avec la question : Que disons-nous au Seigneur en réponse à sa parole ? C’est l’étape où la bouche dit au Seigneur (en « tu ») les paroles qui viennent de l’abondance du cœur.
à travers chaque page de la Bible : Jésus, le Fils du Père, qui nous donne l’Esprit. Quant à la vie de prière, il la voit un peu comme un fil rouge qui relie les journées les unes aux autres. Ainsi, sur le même texte de l’Écriture, on pratique un jour davantage la lecture, un autre jour la méditation, etc. Mais ce n’est pas tout ! Le cardinal Martini recommande de ne pas s’arrêter là, mais d’aller encore vers le plus « savoureux », ajoutant quatre étapes à caractère plus ignatien : consolatio (consolation), discretio (discernement), deliberatio (décision), actio (action)… qui conduisent à des décisions humaines habitées par la joie d’aimer et d’être aimé.
« Prends, Seigneur et reçois toute ma liberté Ma mémoire, mon intelligence et toute ma volonté Tout ce que j’ai et tout ce que je possède. C’est toi qui m’as tout donné, à toi, Seigneur, je le rends. Tout est à toi, disposes-en selon ton entière volonté. Donne-moi seulement de t’aimer et donne-moi ta grâce, Elle seule me suffit » Marie-Amélie Le Bourgeois
1. Jean-Paul II, Novo millennio ineunte (2001) §39. 2. Verbum Domini (2010) 87. 3. Carlo Maria Martini, La Gioia del Vangelo, 1988.
Rectificatif : Pierre FAURE n’est pas « le seul jésuite diacre de France », comme indiqué dans notre revue n°20. Depuis le 31 mai 2008, il y en a un second, à savoir Claude TUDURI, rattaché à la Communauté jésuite de Vanves.
Janvier 2013 21
Se former
Expérience de Dieu
DiaconIa, des rencontres sources de vie À travers la rencontre avec les plus humiliés, Marie-Jeanne découvre un chemin très concret où se dévoile au sein de la souffrance l’amour inconditionnel de Dieu.
R
Reconnaître le Christ dans la nature, l’art, la beauté d’un visage, les enfants, je savais, j’en avais soif et j’en ai été nourrie. Mais reconnaître sa présence dans les personnes humiliées, déchues, fatiguées, terrassées, c’était un problème. Je n’y arrivais pas.
En arrivant à Paris en 1980, dans le 16e, j’avais peur de m’enfermer dans un monde privilégié après avoir goûté de 1965 à 1969 le monde ouvrier à Bondy dont je voulais me sentir proche. En en parlant avec un prêtre de ma paroisse, celui-ci m’a proposé
d’aller avenue Foch près de mon travail pour rencontrer des personnes qui se prostituent. J’ai rencontré Eva et ça a été le déclic. Elle se prostituait depuis déjà plusieurs années et m’a appris à poser un autre regard sur elle et sur les autres. Nous avons beaucoup partagé sur la foi, elle m’a fait découvrir un Dieu qui se moque des apparences. J’ai appris l’importance de la relation d’alliance avec les gens de la rue, c’est-à-dire la réciprocité dans la relation, et la fidélité : à prendre soin des liens, à revenir à la même heure, à partager leurs combats et leurs joies.
© Corinne Simon / Ciric
Habitant ensuite dans le 10e, je passais à Pigalle tous les jours et là, grâce à l’appui d’Ivar (petit frère de Foucauld), j’apprenais à écouter et à rejoindre ces personnes. Il avait un seul but : leur donner la parole, les aimer et donc apprendre aussi à parler d’eux autrement. Ne pas dire « une prostituée » mais « une personne qui se prostitue » par exemple. ▲ Groupe de discussion lors du rassemblement de 200 délégués diocésains autour du projet Diaconia2013 en janvier 2012 à Paris.
22 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 21
Et je me suis laissée toucher par toutes ces personnes : par Clau-
dine sortie de la drogue et se battant pour ne pas replonger ; par Maguy qui m’a dévoilée combien le visage de Jésus Christ pouvait à la fois être fait d’angoisse, de douleur et de désolation et en même temps de sérénité, de douceur et de liberté. Par Sandra qui m’a demandé de passer une nuit à l’hôpital en attendant le verdict des médecins concernant Gérard qu’elle aimait et qui avait fait un AVC : « Je n’ai pas la foi, mais toi ? Prie ! ». À partir de juillet 1994, Richard mon mari nous a procuré un appartement qui nous a permis d’accueillir un millier de personnes depuis dix-huit ans et d’héberger une soixantaine de personnes. Un rêve qui se réalise pour moi. Un local pour s’écouter, pour parler, pour célébrer… mais avec aussi des combats : des moments de tension, des incompréhensions, et toujours l’importance du pardon. Et puis il y a la démarche Diaconia qui s’est profilée à l’horizon. Diaconia : ce mot qui intrigue et pourtant qui est à la source de beaucoup de bonheurs. Dans le cadre de cette démarche, tous les quinze jours, nous avons pris le temps de nous retrouver avec Yolanda, Monique, Martine, Agnès, Catherine et des animateurs du Secours Catholique pour parler tranquillement de notre foi, de notre vie, de nos espoirs, de nos combats… Ensemble, nous avons animé un chemin de croix à la paroisse du quartier un vendredi de carême. Elles ont
écrit un texte : « Comme un cri » qui a ensuite été mis en chant et qui est un des chants officiels de la démarche. Quelle fierté pour ces femmes ! Cette expérience leur aura permis de dire à leur façon leur foi en ce Dieu qu’elles connaissent peu ou mal. Le chemin que j’ai parcouru en compagnie de toutes ces personnes est un chemin très concret pour comprendre qui est Dieu : celui qui me fait tenir debout dans l’existence. J’ai découvert par ces rencontres son amour inconditionnel. On peut y voir l’œuvre de l’Esprit. C’est aussi une expérience où l’espérance est essentielle pour continuer ; expérience de liens vivants qui est porteuse d’une promesse. Ce sont, je crois, des appels adressés à toute personne. Il n’y a pas des gens qui auraient un charisme spécial pour cela ; cela fait partie de notre condition humaine. Il s’agit moins de choses à faire que d’attitudes, de manière de voir et d’avancer dans l’existence. C’est pourquoi il faut y voir non pas une activité épuisante, mais une expérience, une source de vie. Marie-Jeanne Castan
« Diaconia 2013 Servons la fraternité » Sur le chemin de la fraternité dans lequel s’est engagée toute l’Église de France, par la démarche Diaconia 2013, la Communauté de Vie Chrétienne invite chacun à rejoindre les propositions de sa paroisse : vivons davantage la fraternité là où nous sommes ! Laissons-nous rejoindre par le Christ à partir des plus pauvres ! Signalez-nous tout rassemblement autour du thème « servons la fraternité ». De plus, n’hésitons pas à aller sur le site « diaconia2013.fr » et à partager nos témoignages de ce que la rencontre vécue avec le frère plus pauvre produit en nous. À quel déplacement cela m’invite-t-il ? Lors du grand rassemblement à Lourdes les 9, 10 et 11 mai 2013, qui clôture les trois années de la démarche Diaconia, nous serons sollicités en tant que CVX pour participer à des services de relecture, d’écoute. Une partie de l’équipe service de Communauté nationale y sera présente. Pour signaler votre participation à Lourdes ou à un rassemblement « servons la fraternité », une seule adresse : diaconiacvx@cvxfrance.com
À savoir : Un an après le lancement, la quasi-totalité des diocèses français et plus de 100 mouvements, services d’Église et instituts de vie consacrée sont impliqués dans la démarche. Diaconia avec les jeunes : Cette proposition s’articule en deux grandes étapes : les « 100 000 défis de fraternité », de l’Avent 2012 au Carême 2013, puis « 1000 idées pour l’avenir », du Carême à l’Ascension. Janvier 2013 23
Se former
Lire la Bible
Les femmes dans la généalogie de Jésus L’évangile de Matthieu commence par une étrange généalogie de Jésus, où quatre femmes considérées comme pècheresses sont citées. Qu’est-ce que saint Matthieu, juif parmi les juifs, souhaite-t-il transmettre à ses pairs ?
C
Contempler le mystère de l’Incarnation, c’est contempler l’humanité de Jésus. Nous savons que cette contemplation, développée tout au long des Exercices spirituels dans les différents mystères évangéliques, depuis l’Annonciation jusqu’à l’Ascension, est au cœur de la spiritualité ignatienne. « Demander ce que je veux. Ici demander une connaissance intérieure du Seigneur qui pour moi s’est fait homme, afin de mieux l’aimer et le suivre » : tous ceux et celles qui ont une fois au moins pratiqué les Exercices spirituels ont reconnu dans ces mots le « troisième préambule » de la contemplation de l’Incarnation qu’Ignace propose au retraitant au début de la Seconde Semaine. C’est bien, en effet, la découverte et la connaissance savoureuse de la bonté inouïe du Seigneur « qui pour moi s’est fait homme » qui me conduira au désir croissant de « mieux l’aimer et suivre ». La généalogie de Jésus telle que saint Matthieu la présente (voir en Matthieu 1, 1-16) est comme le « terreau » de cette incarna-
tion. « Se faire homme », c’est naître dans une histoire humaine, dans une lignée, comme tout un chacun. Comme dans la contemplation proposée par Ignace, c’est vers la kénose du Christ que la généalogie dirige notre regard, ainsi que le commentait déjà saint Augustin : « Commençant son évangile par la généalogie du Sauveur, saint Matthieu nous montre qu’il s’est d’abord proposé de raconter la vie du fils de l’homme (...) Nous voyons Jésus descendant pour se charger de nos péchés »1
Jésus, fils de David Nous avons appris que l’évangéliste Matthieu, écrivant parmi les juifs et pour les juifs, s’attache particulièrement à montrer dans la personne de Jésus l’accomplissement des Écritures. En Jésus, la Loi et les prophètes sont « accomplis », c’est-à-dire non seulement réalisés dans leur attente, mais encore menés à leur perfection. Cette généalogie n’échappe pas à ce projet. En la plaçant au début de son Évangile, Matthieu veut nous dire qu’elle fait partie de la Bonne Nouvelle qu’il veut
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annoncer. À nous de décrypter le message qu’elle nous donne. En première lecture, cette généalogie a pour but de montrer que Jésus est bien de la lignée de David. Voyons ce que cette démonstration a d’insolite. Remarquons d’abord que c’est par les hommes que se transmet l’appartenance au peuple Israël. Alors vient la question : « Comment Jésus est-il « fils de David » ? » Pour Matthieu comme pour Luc, pour qui la conception virginale de Jésus semble ne pas faire de doute, la réponse est dans l’adoption de Jésus par Joseph (Matthieu 1,16). C’est Joseph, descendant de David, qui adopte Jésus dans sa lignée. L’adoption est la « bonne nouvelle de l’Évangile ! » 2 Au moins aussi insolite est la volonté de l’évangéliste de nommer ces femmes étrangères dans la généalogie de Jésus. Car pour le peuple, prendre des femmes étrangères comme épouses a toujours été considéré comme une abomination et une infidélité faite à Dieu lui-même. C’est même un thème qui revient à de nombreuses reprises.
Ainsi, au désert, après l’épisode du veau d’or, quand Dieu renouvelle son Alliance : « Ne va pas conclure une alliance avec les habitants du pays quand ils se prostituent avec leurs dieux et sacrifient à leurs dieux, ils t’appelleraient et tu mangerais de leurs sacrifices. Si tu prenais de leurs filles pour tes fils, leurs filles se prostitueraient avec leurs dieux et amèneraient tes fils à se prostituer avec leurs dieux » (Exode 34, 15-16). De même, Moïse, quand il rappelle au peuple les merveilles accomplies par Dieu pour lui et le met en garde au moment où il va entrer en Terre promise : « Lorsque le Seigneur ton Dieu t’aura fait entrer dans le pays dont tu viens prendre possession, et qu’il aura chassé devant toi des nations nombreuses (…) Tu ne contracteras pas de mariage avec elles, tu ne donneras pas ta fille à leur fils, tu ne prendras pas leur fille pour ton fils car cela détournerait ton fils de me suivre et il servirait d’autres dieux ; la colère du Seigneur s’enflammerait contre vous et il t’exterminerait aussitôt » (Deutéronome 7, 1-4). La généalogie de Jésus selon Matthieu pourrait rappeler les généalogies demandées à ceux qui revenaient d’exil, et dont l’objectif était précisément de démontrer que les ancêtres ou eux-mêmes n’avaient pas fait d’alliances avec des femmes étrangères (Voir : le livre d’Esdras 2, 59 ; 9, 2ss ; le livre de Néhémie 7, 61-64).
S’adressant à des juifs, n’était-il pas un peu provocant, en tous cas encore ici insolite, de nommer ces quatre femmes étrangères dans la généalogie de Jésus ? Elles s‘appellent Thamar, Rahab, Ruth et « celle qui avait été femme d’Urie ». Les trois premières sont des femmes d’initiative. Ainsi Thamar (Genèse 38), victime du non-respect de la loi par son beau-père, s’est prostituée avec lui pour obtenir justice. Rahab (Josué 2,1), elle-même prostituée à Jéricho, cacha les espions envoyés par Josué, et proclama sa foi dans le Dieu d’Israël (épître aux Hébreux 11,31). Ruth, la Moabite (le livre de Ruth) fut un modèle de « fidélité dans sa double dimension humaine et religieuse »3. Seule la dernière, ici sans nom, est là pour rappeler le péché du grand roi David qui en avait fait une femme « objet », dont il avait tué l’époux pour la prendre pour son plaisir. Ces femmes ont en commun non pas d’être « pécheresses » comme certains pères de l’Église le voudraient, mais d’être, tout simplement, des « étrangères ». Cela devait choquer les juifs auxquels Mathieu s’adressait.
Jésus, fils d’Abraham Si Matthieu introduit son Évangile par une généalogie si insolite, c’est peut-être qu’il désire provoquer un choc dans la conscience juive. Certains auraient-ils oublié la promesse que Dieu avait faite à Abraham ?
© Hubertl / Wikimédia Commons
Lignée de femmes étrangères
▲ « Arbre de Jessé » ou généalogie de Jésus-Christ, Monographie de la cathédrale de Chartres, Atlas, 1867. (L’arbre de Jessé est un motif fréquent dans l’art chrétien entre le XIIe et le Xve siècle : il représente une schématisation de l’arbre généalogique de Jésus de Nazareth à partir de Jessé, père du roi David).
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« Je ferai de toi une grande nation et je te bénirai. Je rendrai grand ton nom. Sois en bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront,
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Lire la Bible je réprouverai ceux qui te maudiront. Par toi se béniront toutes les nations de la terre. » (Genèse 12, 1-4) Est-ce bien vrai que Dieu aime « toutes les nations de la terre » ?
Comme faisant écho à ce message du début de son Évangile, un autre message est donné, cette fois tout à la fin et à l’adresse des disciples de tous les temps (et donc aussi pour nous) : « Venant à eux (en Galilée), Jésus leur dit ces paroles : ‘tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc, de toutes les nations faites des disciples’ ». Tout est dit ; voilà le désir de Dieu.
© Alain Pinoges / Ciric
En mentionnant les noms des quatre femmes étrangères dans la généalogie de Jésus, Mathieu donne donc une leçon d’universalisme qui introduit tout son Évangile. Leçon qu’il reprendra plusieurs fois : il y aura la visite des mages (Matthieu 2) ; la rencontre d’un centurion dont Jésus dira qu’il « n’a trouvé une telle foi chez personne en Israël » (8,10) ; la foi aussi de la Cananéenne, cette femme qui, par son insistance, semble même lui faire découvrir davantage toute la portée de sa propre mission universelle (15, 21 ss) ; un avertissement aux autorités juives qui refusent sa parole : « Le Royaume de Dieu vous sera enlevé, et il sera donné à un peuple qui en produira les fruits » (21,43).
▲ Jour de l’épiphanie : fête des nations. Cette fête est souvent l’occasion de rassembler les communautés chrétiennes originaires de divers continents.
Un évangile pour toutes les nations
Ce que nous découvrons au début et à la fin du texte de Matthieu nous donne, semble-t-il, un des fils rouges de l’ensemble de son Évangile : Jésus le Christ, est
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venu pour « toutes les nations ». C’est son testament. C’était l’espérance d’Abraham et de Dieu lui-même, un Dieu qui transcende le temps, l’espace, les généalogies, les langues et les cultures, toutes les particularités et les murs que se construisent les humains… Aux femmes et aux hommes autrefois païens et dont il nous parle dans son Évangile, Matthieu dirait bien, en les invitant à se réjouir et à rendre grâces : « Rappelez-vous donc qu’autrefois, vous les païens, (…) rappelez-vous qu’en ce temps-là vous étiez sans Christ, exclus de la cité d’Israël, étrangers aux alliances de la Promesse, n’ayant ni espérance ni Dieu en ce monde ! Or voici qu’à présent, dans le Christ Jésus, vous qui jadis étiez loin, vous êtes devenus proches, grâce au sang du Christ.(…) Ainsi donc, vous n’êtes plus des étrangers ni des hôtes ; vous êtes de la maison de Dieu » ( Ephésiens 2, 12). Paroles qui sont aussi pour l’Église et pour nous… Marie-Amélie Le Bourgeois
1. De consensu evangelistarum, II 1. 2. C’est le titre d’un article de Michel Serres (cf. : La Croix 11 octobre 2012) ! qui écrit : « La Sainte famille est une famille qui rompt complètement avec toutes les généalogies antiques, en ce qu’elle est fondée sur l’adoption, c’est-à-dire sur le choix par amour ». 3. Cf. : article du père Édouard Cothenet dans le revue Vie Chrétienne n°20 p. 24 à 26.
Spiritualité ignatienne Les Lettres de saint Ignace : un modèle de communication Comment Ignace communique-t-il avec ses compagnons dans ses Lettres ? À quelle vigilance celles-ci nous invitent-elles aujourd’hui, pour échanger entre nous, maintenir les liens, nous soutenir dans les missions apostoliques, prendre des décisions communautaires ? Les manières de communiquer influencent l’efficacité des décisions, mais aussi la qualité des relations.
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L’amour consiste en une communication réciproque ; c’est-à-dire que celui qui aime donne et communique à celui qu’il aime ce qu’il a, ou une partie de ce qu’il a ou de ce qu’il peut » (Exercices Spirituels 231)
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Parmi les écrits de saint Ignace, les Lettres forment un corpus très important, à côté des Exercices Spirituels, des Constitutions de la Compagnie et du Récit du Pèlerin. Dans l’ensemble, elles accompagnent le « gouvernement » de saint Ignace pour la Compagnie naissante. Autant dire qu’elles sont comme l’incarnation de la spiritualité ignatienne dans le champ du social de son époque : politique et ecclésial.
Importance apostolique Point n’est besoin de souligner l’importance de la correspondance dans le gouvernement de saint Ignace, qu’on la mesure au nombre de courriers échangés, à la diversité des genres employés ou au rôle que ces échanges ont joué dans l’activité apostolique de la Compagnie naissante. Importance dont témoigne la longue instruction de juillet 1547
envoyée à toute la Compagnie, et qui régule de manière très précise cette correspondance. Formellement, un certain nombre de lettres sont écrites sous la forme d’une énumération en points numérotés. Et beaucoup de lettres, sans cette forme extérieure, obéissent à cette manière d’écrire. Écrire une lettre tient ainsi de la mise en ordre des choses dont on traite et avec lesquelles on traite, à la fois pour une raison pragmatique, mais aussi pour disposer les choses selon un principe qui soutienne le discernement et oriente l’action. Pour cela, le courrier revêt deux aspects : • il contient une partie visible, montrable à d’autres, les nouvelles grâce auxquelles on pourra « édifier » en mettant en évidence le travail de Dieu dans les activités qu’on entreprend (et non sa propre gloire !) -> Nos
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lettres d’information, revues, etc. correspondent sans doute à cela. • et une partie « interne » qui permet de parler de « ce qu’il pense de toute la manière dont son œuvre se réalise », afin d’aider et conseiller le correspondant. -> Pensons-nous à le faire ?
Affiner la relation La qualité de la relation entretenue par les Lettres se repère dans le style et le soin d’Ignace, et ce quelque soit le domaine que touche la lettre : que ce soit la relation de direction spirituelle, ou bien les choix à faire pour la mise en place d’un collège. Dans ces entretiens épistolaires où Ignace excelle, une constante apparaît, et c’est le fait qu’Ignace a grande confiance dans la capacité et le pouvoir de discerner et d’agir en celui ou celle à qui il s’adresse ou qu’il conseille.
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Spiritualité ignatienne Témoin la manière dont il confie la décision à François de Borgia, menacé de recevoir le chapeau de cardinal, ce à quoi Ignace était plus que résistant : « Il serait opportun, je pense, que sur cette question vous répondiez à la lettre que vous a écrite de ma part Maître Polanco. Vous y déclareriez l’intention et la volonté que Dieu notre Seigneur vous a données ou vous donnera… Nous
guez en témoignent. « Je vous aime beaucoup en notre Seigneur et toute nouvelle qui m’apprend que vous allez bien m’est en ce même Seigneur une grande consolation… Pour moi, j’ai toujours été et je suis encore disposé à oublier très facilement le passé, tout spécialement avec quelqu’un que j’ai toujours beaucoup aimé, pour la gloire de Dieu. Je pense aller beaucoup plus loin et ne pas seulement me borner à rester en deçà de ce que vous m’écrivez… » (A Simon Rodriguez, octobre 1555).
laisserons tout à Dieu notre Seigneur, pour qu’en toutes nos affaires s’accomplisse sa très sainte volonté. » (À François de Borgia, juin 1552)1. Et puis Ignace est toujours très enclin à cultiver l’amitié avec ceux avec qui il traite, amitié dont le caractère de gratuité est souvent mis en avant, et dans lequel il trouve un grand avantage. Ses relations avec Simon Rodri-
© © Wikimedia Commons / Thomas Gun
Ignace manifeste souvent aussi beaucoup de gratitude envers ses correspondants. Pour lui, c’est une manière d’engager la relation et de la poursuivre, et c’est une qualité à laquelle il est très attentif chez ses compagnons (voir le début de la lettre du 18 mars 1542 au même Simon Rodriguez)
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La mise en forme des lettres et le choix de la disposition et de la formulation montrent aussi la finesse mise en œuvre dans la manière de traiter avec autrui, le tact et le respect guidant l’écriture, tout autant que la mise en ordre des affaires, sans jamais qu’une hâte à résoudre l’une de celles-ci prenne le pas sur la qualité de la relation. De ce fait, écrire prend du temps ! « On n’attendra pas le jour même ou la veille de l’envoi du courrier pour écrire en toute hâte, autant que possible. Bien plutôt, on fera en sorte qu’on s’occupe de ce qu’on doit écrire le samedi et qu’on l’écrive entre le dimanche précédent et le mercredi soir, laissant le moins qu’on pourra pour la réponse aux lettres reçues jusqu’à
ce jour : en effet, on pourra le jeudi, le vendredi et le samedi se consacrer à répondre à ce qui surviendrait et qu’il faudrait faire alors. » (Instruction sur la façon de traiter ou de régler une affaire avec un supérieur, mai 1555)
Le développement de la correspondance entre les compagnons et avec les autres personnes avec qui l’on doit traiter indique que les lettres relèvent plutôt du réseau – avec ce souci premier d’entretenir des relations. En passant à la considération de la vision de la société que ces lettres indiquent, on peut voir comment la mise en place des collèges – des institutions – a provoqué un approfondissement du discernement en jeu dans les lettres. D’où ce point de réflexion : que pouvons-nous dire de la manière dont nous écrivons nos courriers ? Comment jouons-nous la triple dimension de nos lettres : transmettre des nouvelles, régler ou faire avancer une affaire, entretenir une relation ? En fait, les Lettres nous indiquent que le discernement proprement ignatien ne joue pas seulement au niveau spirituel, mais aussi au niveau social. Nous engager au service de notre société, dans ses deux grands défis que nous voulons affronter, les jeunes et les étrangers, peut passer par un réseau, ou bien s’inscrire dans une institution ; le point d’attention doit être, me semble-t-il, le type de communication que nous jouons de cette manière et ou de l’autre ; et dont les critères
© Vincent / Sanctuaire Lourdes / Ciric
Agir et créer
sont, nous apprennent les Lettres d’Ignace, tant la qualité des relations qu’elle rend possible, que la juste perception du social.
luation – le jeu entre projets et relations – qui paraît important, outre une juste perception du social à la manière d’Ignace.
L’important, plus que le mode d’organisation, c’est que la manière d’être relié et d’agir ensemble permette cette articulation bien ignatienne entre les projets et les relations. Ainsi, outre ses qualités, une institution peut avoir une certaine lourdeur ou manifester des signes d’ankylose relationnelle, et cela pèse sur l’inventivité des personnes. La rapidité d’interaction du réseau, et la quantité des échanges, pourraient parfois nuire à l’exigence d’entretenir les relations, de les soigner. C’est ce critère d’éva-
Le discernement de nos choix d’action au cœur de l’écheveau des relations nous ouvre à quelque chose de l’ordre du faire corps, tous ensemble. Jean-Marie Carrière s.j. Extraits de son intervention au rassemblement de l’apostolat social ignatien à saint Chamond le 2 mai 2010.
Jean-Marie Carrière est jésuite, directeur de JRS France (Jesuit Refugee Service) et a enseigné l’exégèse biblique au Centre Sèvres à Paris.
1. Relire cette lettre commentée par JeanLuc Fabre s.j. dans le n°19 de novembre de la Nouvelle Revue Vie Chrétienne pp 16-18.
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Question de communauté locale
À quoi sert la feuille de préparation ? Quand je suis chargé d’envoyer la feuille de préparation pour la réunion suivante, je ne sais pas toujours comment l’aborder. En tant que membre, quand je la reçois, je lui prête parfois une attention distraite. Quels sont les enjeux de ce courrier ? À quoi sert-il vraiment ?
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Passer du désir de suivre le Christ à l’acceptation de le laisser nous conduire est un long chemin. Comme les disciples, nous le faisons avec d’autres compagnons. Ce chemin, expérience de la tendresse de Dieu pour sa créature, passe par un lent apprentissage, personnel et communautaire.
Travail de relecture La feuille de préparation est pour chacun une aide pour relire sa vie : passer des faits aux fruits qu’ils suscitent, et préparer le partage de ces fruits en communauté locale. Les questions posées visent une progression : qu’ai-je vécu ? Quels mouvements cela a-t-il provoqué en moi ? Avec le Seigneur, à quoi cela m’invite-t-il ? Je me laisse interroger pour accueillir cette progression, dans la confiance qu’elle sera don de Dieu. Les questions peuvent pointer un aspect spécifique de nos vies, nous aider à nous laisser interroger par une question d’actualité ; mais elles peuvent aussi tout simplement nous aider à relire le mois écoulé et à en partager un fruit en communauté.
faire croître la communauté En relisant les échanges des réunions précédentes, responsable et accompagnateur cherchent à repérer où en est la communauté dans cet apprentissage. Ils pointent ce qui semble aider ou au contraire, gêner. Ils s’interrogent sur les points qui ne sont jamais évoqués, car c’est bien toute notre vie qui est impliquée dans ce chemin de conversion. Ils se laissent interpeller par les évènements du monde, comme par les temps liturgiques, car c’est dans le monde et avec l’Église que nous sommes appelés à recevoir et à porter l’Espérance. Ce travail ne peut pas être ponctuel : même si les membres interviennent à tour de rôle dans la préparation des courriers d’invitation, il est nécessaire que responsable et accompagnateur s’attachent à suivre l’évolution de la communauté dans la durée pour la soutenir en la stimulant. Ainsi se dégage un angle de relecture de vie qui semble utile pour la prochaine rencontre. En rédigeant le courrier, on prépare aussi la forme de la réunion suivante : proposer du neuf, re-
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nouveler des manières de faire afin d’aller plus loin, de tirer profit des étapes en cours, aide à se décentrer de soi et à accueillir le don de Dieu1.
Une invitation à la rencontre Le courrier est une invitation à la rencontre tout d’abord seul avec le Seigneur. On prépare en plusieurs temps : pour soi, puis pour choisir un point que l’on partagera en communauté. Cela suppose bien sûr que le courrier parvienne à chacun longtemps avant la réunion. Cette invitation cherche à donner du goût à préparer. Certains soignent particulièrement son esthétique, sa lisibilité, l’illustrent d’un dessin… Et enfin, même si je suis dérouté par son contenu, sa forme, etc., je la recevrai aussi comme une invitation à la Rencontre, dans un a priori favorable. Nadine Croizier 1. Le fascicule « Pour un rendez-vous » peut aider à formuler une invitation.
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Ensemble faire Communauté
En France
Délégués-Jeunes, une variété d’expériences Une vingtaine de délégués-jeunes (DJ) de la CVX se sont retrouvés les 13 et 14 octobre 2012 à Paris pour une rencontre en marge de la Fête des activités du Réseau Jeunesse Ignatien.
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Le week-end « délégués-jeunes » où un tiers des communautés régionales étaient représentées, nous a d’abord permis de nous connaître. Ce fut également l’occasion de partager avec les jeunes du réseau jeunesse ignatien et de célébrer l’eucharistie ensemble.
Le rôle du DJ (délégué-jeune) est de prendre soin de trois catégories de personnes qui ont des besoins assez distincts. • Les 18-25 ans d’abord, qui découvrent l’importance de faire des choix. Les mouvements de jeunesse aident les jeunes à découvrir toute leur potentialité (« ce que je peux »), la CVX insiste plus sur l’accompagnement dans les événements de la vie (« ce qui s’impose à moi »), les 18-25 ans ont surtout besoin d’être encouragés dans leur choix (« ce que je veux »). L’enjeu des équipes Magis crées il y a moins de deux ans est d’être cette école de la volonté. • Il y a aussi les jeunes professionnels, souvent de passage dans une région, qui arrivent sans connaître personne. Ils peinent parfois à trouver leur place. Nos communautés s’inscrivent dans un temps long et nos parcours d’intégration manquent de souplesse et de réactivité. Il y a là quelque chose à inventer. Le DJ peut organiser des moments spécifiques pour que les plus
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Mais l’essentiel du week-end a été consacré à la réflexion sur le rôle du délégué-jeune et au partage des expériences. Très diverses, les initiatives sont le miroir des profils plus ou moins urbains ou ruraux de nos communautés régionales : haltes spirituelles pour les familles en Bourgogne, weekend commun « Viens et Vois » en Alsace et Lorraine, soirée « Syrie » organisée par une communauté locale arabophone de Paris Sud-Ouest, équipes Magis dans le Nord… Certaines communautés ont exprimé leurs difficultés à
trouver un délégué-jeune et les ressources pour faire ce « pas en avant » exprimé au congrès de Nevers.
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jeunes puissent se retrouver, découvrir ou approfondir la spiritualité ignatienne. • Enfin, les jeunes familles avec enfants. Le premier enjeu est de veiller à l’accueil des enfants lors des rencontres de la communauté régionale. Le MEJ est fréquemment mobilisé pour cela. À son tour, la CVX participe aux camps d’été. Ce soutien mutuel est bon et doit se développer. Un autre enjeu est de prendre soin de la vie spirituelle des familles afin que parents et enfants se retrouvent ensemble dans la prière. Des haltes spirituelles ou weekends en famille sont ainsi organisés dans de nombreuses régions. Répondre aux besoins des plus jeunes d’entre nous est l’occasion de se renouveler en trouvant de nouvelles formes pour transmettre et cultiver nos trésors que sont la foi en Jésus Christ et cette manière si particulière d’être à son écoute que sont les Exercices. Edgar Cadima et Xavier Badiche Retrouvez sur
www.editionsviechretienne.com
les témoignages des délégués-jeunes
relais diocesains
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« Le Relais Diocésain est la personne qui, dans un diocèse, sera en relation avec l’Église et les acteurs pastoraux ». Au sein de notre diocèse d’Aix-enProvence, notre archevêque Mgr Dufour a salué notre initiative : « Vous avez un charisme que vous portez en équipe, exercez-le sur ce diocèse, croissez et multipliez ! » Nous avons rencontré des prêtres pour leur proposer d’animer avec les paroissiens une « Messe qui prend son Temps ». Plus d’une trentaine de compagnons sont venus animer les groupes de partage. Nous aimerions lancer une réunion mensuelle de « Lecture priante de la Parole de Dieu » :
une belle façon de mettre notre charisme au service de la Nouvelle évangélisation1. « Le Relais Diocésain est aussi celui qui dans l’ESCR2 peut aider la Communauté à réaliser où Dieu est à l’œuvre et comment il fait signe ». Pour cela, nous avons invité les compagnons à « contempler » le monde qui les entoure, pour y déceler des signes de la présence et de l’action de Dieu. De magnifiques témoignages ont germé : « ‘‘Jésus prit un petit enfant et le mit au milieu d’eux’’ … lors d’une messe animée par Foi et Lumière, un petit garçon trisomique de
8 ans s’est mis à côté de moi qui dirigeais le chant et m’a imitée, répétant les mêmes gestes. On a vu tous les visages s’illuminer de sourires, et le chant redoubler de ferveur : ce petit enfant trisomique qui guidait l’assemblée, c’était Dieu qui nous faisait signe… » L’équipe de Relais diocésain d’Aix-en-Provence
1. Voir Proposition n°11 du Synode des évêques sur la nouvelle évangélisation, qui a eu lieu du 7 au 28 octobre 2012. 2. L’Équipe Service de la Communauté Régionale.
Les jeunes et la randonnée « Cheminer à plusieurs »
« S’écouter les uns les autres en vérité » « Atmosphère authentique et chaleureuse »
Les week-ends « CVX Montagne » s’adressent aux jeunes (CVX ou non) qui aiment la randonnée : « nous tentons, dans l’esprit de saint Ignace ; de ‘’chercher et trouver Dieu en toute chose’’, notamment à travers la beauté de la nature, la rencontre de l’autre, l’effort physique, le dépassement de soi… » Ce sont des temps d’exigence physique et spirituels (5 à 6h de randonnée par jour, 800 m de dénivelé possible) mais également de fraternité et de convivialité.
Contact : cvxmontagne@gmail.com ou sur www.cvxfrance.com Rubrique « Les jeunes ». Retrouvez sur www.editionsviechretienne.com les témoignages de Bruno, Anthony, Raphaëlle…
« Une rencontre avec Dame Nature »
« Un grand bol d’air »
« Une aventure sportive »
« échanger en toute confiance »
« Des temps de prière et de partage » Janvier 2013 33
Ensemble faire Communauté
En France
Les 450 ans des congrégations laïques ignatiennes Une étape en France est prévue les 20 et 21 avril 2013, dans le cadre du pèlerinage européen est organisé en avril 2013, à l’occasion du Jubilé célébré par la CVX mondiale du 25 mars 2013 jusqu’au 25 mars 2014 pour les 450 ans des communautés laïques ignatiennes.
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Un jésuite belge, Jean Leunis, professeur de latin au Collège romain de 1560 à 1564, avait pris l’habitude de rassembler un groupe de ses étudiants pour les engager à une vie spirituelle plus profonde : prière personnelle, dévotion à la Vierge Marie, vie sacramentelle régulière. Il souhaitait les inciter à des « œuvres de charité » dans la ville de Rome. Le groupe se réunissait régulièrement : le soutien et l’aide mutuelle étaient importants. L’ini-tiative était révolutionnaire : il était rare d’offrir à des non-clercs la possibilité d’approfondir leur foi. Ces groupes furent officiellement fondés en 1563 sous le nom de la « Prima Primaria » dans le Collège romain, modèle auquel d’autres groupes devaient s’affilier. Les « congrégations mariales » se développèrent alors un peu partout en Europe.
té de Vie Chrétienne (CVX), qui poursuit ainsi sa transmission ininterrompue du charisme ignatien parmi les laïcs.
Reconnaissons cette opportunité pour réfléchir sur le rôle des Communautés laïques ignatiennes dans le monde et l’Église.
Le Jubilé est une opportunité importante pour toute la famille ignatienne. Il permet de célébrer 450 ans de collaboration avec la Compagnie de Jésus et les fruits multiples que cette relation a produit.
Notre assemblée mondiale prochaine qui se déroulera du 30 juillet au 8 août 2013 au Liban va saisir l’occasion de ce jubilé comme un corps apostolique laïc pour confronter les défis actuels tout en se basant sur nos racines.
Ces communautés laïques furent importantes pour la transmission et la préservation du charisme ignatien dans tous les temps de la suppression de la Compagnie de Jésus. Elles eurent un fort impact tant dans la vie sociale que morale pendant de nombreuses années. En 1968, les « Congrégations mariales » devinrent la Communau34 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 21
Le pèlerinage Pour marquer cette occasion, un pèlerinage est organisé du 25 mars au 28 avril 2013 en Europe s’étalant sur plusieurs weekends entre l’Italie, la Belgique, l’Allemagne, la Suisse et la France. Une flamme sera transmise d’un pays à l’autre, symbolisant le lien entre les différentes Communautés nationales. Qui connaissonsnous personnellement de la CVX Italie, Belge ou Suisse ? Qu’avonsnous à partager avec eux ? Les rencontres interpersonnelles sont essentielles pour que prenne corps une CVX européenne et mondiale. Pour permettre le passage de la flamme CVX à Saint-Hugues de Biviers les 20 et 21 avril 2013, nous sommes particulièrement invités à rencontrer la CVX suisse et italienne. Nous sommes également invités à nous associer aux étapes belges, suisses et italiennes. Cinq dates sont à retenir : • démarrage avec la Journée Mondiale CVX le 25 mars en Italie par une grande messe solennelle • 6-7 avril 2013 en Belgique • 13 -14 avril 2013 en Suisse • 20-21 avril 2013 en France à Saint-Hugues de Biviers • 27-28 avril 2013 en Italie : clôture avec une messe solennelle. Pour en savoir plus : sofia@cvx-clc.net
Regard extérieur sur la CVX France Mariëlle, membre CVX de La Haye aux Pays-Bas, a suivi l’été dernier la session « Accompagner une communauté locale » au centre spirituel du Hautmont à Lille. Elle nous partage son expérience et le regard qu’elle porte sur la CVX France.
Mais des questions ont alors surgi. Comment accompagner une équipe ? Quels en sont les enjeux, le déroulement d’une soirée, sur quoi s’appuyer pour permettre au groupe d’avancer dans la liberté et l’unité ? Est-ce qu’il existe une dynamique spirituelle de groupe ? S’est alors formulée la possibilité de participer à la session pour les accompagnateurs, organisée au centre spirituel du Hautmont à Lille. J’y ai beaucoup reçu. Toutes nos questions autour de l’organisation et du déroulement d’un groupe de Vie Chrétienne étaient abordées. Mais surtout, j’ai retenu comme fil rouge de la session « l’écoute jusqu’au bout » : une écoute qui se passe au-delà des paroles exprimées et qui touche à un dialogue ‘souterrain’, plus difficile à entendre car plus dis-
cret. Je perçois que cette disposition d’écoute, telle que je l’ai expérimentée à Lille, donne aux groupes CVX cette dimension communautaire profonde. Le fait par exemple qu’un choix/une mission d’un membre peut devenir mission de groupe par un partage en liberté et en vérité grâce à une écoute profonde des autres. La participation des autres à cette mission se trouve déjà dans cette force de partage. À Lille, j’ai également pu écouter ce qui se vivait en France et j’ai été impressionnée par le cadre solide, sécurisant et accueillant de la CVX. J’ai pu remarquer que les années d’expérience de CVX s’ac-
compagnent aussi de souffrances. Signe que tout cela se vit dans la réalité. Les problèmes de communication, les déceptions à propos des départs des membres… A La Haye, nous venons de commencer : tout est encore tout beau, tout parfait ! Cela m’a fait du bien de sortir un peu de ces nuages et de me rendre compte qu’avec la croissance de CVX La Haye, il y aura des souffrances à vivre ; mais aussi que la CVX contient une spiritualité et un cadre qui aident à surmonter ces souffrances et à continuer dans l’espérance.
L’année dernière constituait pour la CVX des Pays-Bas le commencement d’un nouvel élan. En plus de trois groupes qui sont restés fidèles à la spiritualité ignatienne de CVX pendant des années, d’autres groupes ont été crées en 2012, dont un à la Haye.
Mariëlle Matthee CVX La Haye (Pays-Bas)
© Droits réservés
I
Il y a un an, avec une quinzaine de personnes de la paroisse francophone à La Haye aux Pays-Bas, nous avons eu le désir de découvrir la CVX. Pendant une année, nous avons pu cheminer avec le programme du parcours d’accueil et le soutien de la CVX France. En fin de parcours, nous sentions le désir de continuer en créant des groupes de Vie Chrétienne.
▲ Dans la chapelle du centre spirituel du Hautmont
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Ensemble faire Communauté
En France
Vivre la joie du Seigneur CVX Liban
En juillet 2012, pendant quinze jours, des membres de la CVX Liban et de la CVX France ont cheminé ensemble pour « vivre la joie du Seigneur ». Une aventure internationale avec plusieurs étapes, soutenue par beaucoup de membres de la CVX France qui ont ouvert leur porte ou proposé chaleureusement leur aide pour organiser cet accueil.
T
Tout a commencé en 2007 avec une proposition du Centre St-Hugues de Biviers : « Cheminer en Chartreuse ». L’accompagnateur libanais a donné au groupe l’envie de découvrir les montagnes libanaises… Ce vœu a été exaucé : le « Cheminer au Liban » s’est déroulé dans le Mont Liban en 2010. Cette année, la suite a eu un effet « boule de neige » et a mobilisé des chrétiens à Paris, à St-Hugues de Biviers, à Tamié, à Lyon !
À Tamié Parmi les points forts de la rencontre, la retraite dans le gîte de l’abbaye de Tamié, en Savoie. Avec un accompagnement mixte franco-libanais, une trentaine de personnes ont prié pendant une semaine autour du thème de « la joie ». Comme le dit Marlene, participante libanaise : « Je rends grâce au Seigneur d’avoir redécouvert l’appel à la joie ! Cette joie à laquelle Jésus invite
chacun et chacune. Cette joie qui, dans le quotidien de la vie, est ternie de temps en temps par les difficultés, les épreuves, les blessures… Mais l’écoute, les partages authentiques, l’ouverture à l’autre, la dimension internationale du groupe de la CVX, reflétant la diversité et l’union par la prière, par le soutien mutuel des uns des autres ont permis cette joie. Pour tout cela je rends grâce au Seigneur ».
Vie Chrétienne de partout dans le monde et pour les chrétiens et musulmans au Moyen-Orient.
« Le Seigneur m’a donné la grâce d’être plongée dans une grande joie… J’étais loin de tout ce qui me pèse, m’inquiète ou me tourmente. J’ai expérimenté une immense paix et une joie indescriptible. J’étais abritée sous les ailes du Seigneur, et j’ai jubilé de joie. » Janet, participante libanaise
À Tamié, le groupe vit au rythme de marches, prières, offices et services. « Quelle joie de partir du gîte le premier jour, en silence. Trente personnes qui marchent en silence. Je les vois passer – des visages déjà détendus, rayonnants. »
L’amitié dans le Seigneur
La communauté cistercienne de Tamié a invité trois représentants du groupe à venir parler de leur projet au chapître de la communauté. Cet échange était suivi des complies où les moines ont prié pour les communautés
Tant de façons de goûter la joie du Seigneur ! En contemplant la beauté des paysages du massif des Bauges : le calcaire qui nous invite à la sérénité ; les cours d’eau et la vie qui jaillit ; les fleurs, signe d’abondance. Une joie qui se
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Le Liban accueille du 30 juillet au 8 août 2013 l’Assemblée mondiale de la CVX, qui se déroulera pour la première fois dans un pays du Moyen Orient.
transmet par la Parole : « Demeurez dans mon amour afin que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite » (Jean 15, 9-11), le thème de notre retraite. Une joie qui finalement peut se vivre au quotidien, dans l’ordinaire de nos vies, si nous savons la cueillir ! Une joie, source de vie. Des partages authentiques et simples, permettent d’expérimenter une communauté d’amis dans le Seigneur, sans frontières. La communauté libanaise en a besoin, surtout en ce moment. Au mois d’août, une chaîne de prière pour la paix dans le monde s’est spontanément mise en place après les nouveaux enlèvements au Liban. Mais la communauté française en a également besoin : pour son inspiration et pour être rappelée à sa mission.
” ‘Les Trois Personnes Divines regardent la Terre … et décident que la deuxième Personne se fasse homme pour sauver le genre humain’. Et Jésus est venu sur notre terre, dans ce coin d’Orient, nous donner espérance. Joie du Salut! Les hommes continuent à s’entretuer… la Trinité regarde toujours le monde… et Jean-Paul II est venu dans ce coin du monde, apportant une Espérance nouvelle pour le Liban, pays message pour l’Orient et l’Occident. Les hommes s’entretuent de plus belle… la Trinité regarde… et voici Benoît XVI qui vient dans notre monde, pèlerin de paix, ami de Dieu, ami des hommes, avec l’Exhortation post-synodale pour les chrétiens du Moyen-Orient. Le Moyen-Orient, berceau du christianisme, souffre de conflits. Les chrétiens y sont une minorité, un petit troupeau appelé à surmonter la peur, à fortifier la communion entre tous, quelles que soient leur communauté ou leur religion, à témoigner de l’amour de Dieu et de l’universalité du salut. (…) Dans son message, Benoît XVI encourage les chrétiens du Moyen-Orient à contribuer à l’édification d’une société libre, juste et réconciliée, malgré les différences, ce qui fera de cette région du monde un nouveau berceau de civilisation, de culture et de paix. Il encourage les jeunes à ne pas émigrer, à demeurer attachés à leur terre, malgré leurs craintes pour leur avenir, leur appréhension du chômage, leur refus de la corruption, leur peur du fondamentalisme montant. (…) Un autre regard vers ce coin du monde : celui de la CVX qui tiendra sa prochaine Assemblée mondiale au Liban, du 30 juillet au 8 août 2013. Ceci est un grand signe de solidarité, une grâce pour tous nos membres de pouvoir expérimenter la dimension mondiale de leur appartenance à la Communauté de Vie Chrétienne. L’Église du Liban, la CVX au Liban attendent cet événement. ‘N’ayez pas peur !’ nous dit Jésus. ‘Allons et mourons avec Lui !’ disaient les disciples. (…) Puissions-nous demeurer dans l’amour, la paix et la joie du Seigneur ! “ La CVX Liban
Retrouvez sur
www.editionsviechretienne.com les témoignages de la CVX Liban
La joie du Seigneur se transmet finalement par tout ce que nous vivons. Elle nous permet d’être co-créateur. Comme le dit JeanJacques, participant français : « Je te rends grâce, Seigneur, parce que cette joie qui m’habite en évoquant notre rencontre dit sûrement quelque chose du Royaume que tu nous invites à construire avec toi. » Florence Fossadier
▲ Les membres de la CVX Liban et de la CVX France ont cheminé ensemble
c h e m i n e r f r a n c o - l i b a n a i s 2 012
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r eto u r s u r l e p r o g r a m m e
- Accueil de la CVX Liban à Paris : visite du Paris ignatien, soirées de partage et de témoignages avec des membres de la CVX d’Ile-de-France.
- Gîte de l’Abbaye de Tamié : retraite ignatienne, 7 jours de marche et de prières dans le massif des Bauges.
- Saint-Hugues de Biviers : découverte d’Arcabas, soirée festive et de partage, témoignages sur le fonctionnement de St-Hugues.
- Lyon : visite de Lyon : Fourvière, Croix-Rousse, entreprise de réinsertion (Inserly), rencontre de Christian Delorme, ou encore shopping pour ceux qui préféraient !
- Massif de la Chartreuse et son monastère.
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Ensemble faire Communauté
Dans le monde
Nouvelles de la CVX England & Wales
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Diversité des membres
Au niveau régional et national
Au-delà des frontières
La CVX England & Wales est vraiment une communauté diverse, avec 300 membres de 20 à 80 ans (un quart a entre 20 et 30 ans, la majorité au-delà de 60 ans et les autres entre les deux). Quelques membres en sont au début de leur cheminement en CVX, d’autres sont des vétérans de la vie spirituelle ignatienne. Cette diversité est un défi, mais c’est aussi une chance.
Dans les quatre régions d’England & Wales, nous encourageons nos groupes locaux à se regrouper plusieurs fois par an pour des journées de prière, des rencontres conviviales, des retraites, des journées de réflexion… Il y a aussi des sessions pour attirer de nouveaux membres, et de nombreux petits services qui soutiennent la communauté jour après jour.
Cette rencontre est un week-end de prière et de renouvellement personnel ; c’est aussi un signe de notre engagement mutuel et vis-à-vis de la communauté plus large. Les années précédentes, des représentants de la CVX Irlande et de la CVX Lettonie se sont joints à nous, nous rappelant la dimension internationale de notre famille ; cette année, c’était le père Luke Rodrigues, vice-assistant ecclésiastique de la CVX mondiale. Celui-ci nous a fortement encouragés à utiliser tous les moyens possibles, comme les sites internet, les e-mails et les visites, pour connaître et rencontrer des membres CVX d’autres parties du monde. L’année dernière, nous avons pu envoyer de l’argent au Kenya pour l’école CVX Saint Aloys qui s’occupe des orphelins atteints du SIDA, soutenir la campagne CVX mondiale de solidarité pour l’éducation en République dominicaine, et contribuer au projet d’appartement à Rome. Nous espérons que ce sont là des signes d’une compréhension croissante de notre appartenance à une communauté mondiale.
Au niveau local Notre appartenance à CVX s’expérimente d’abord au niveau local. Souvent les groupes sont formés de personnes qui sont à peu près à la même étape de leur vie. C’est ce groupe local, se réunissant régulièrement pour prier et partager, qui nous soutient à travers les hauts et les bas de la vie quotidienne. Cependant, c’est lorsque nous allons au-delà de ces groupes locaux pour expérimenter la CVX au niveau plus large que nous commençons à comprendre la nature de l’appel à former une communauté.
Au niveau national, nous avons de nombreux groupes de travail, par exemple pour organiser des retraites ou des formations sur la spiritualité ignatienne. C’est lors de notre Assemblée nationale que le sentiment de communauté dans sa diversité est le plus évident. C’est une grande famille qui se rassemble, avec tous les bienfaits dus à la diversité des personnes. Nous redécouvrons que nous sommes tous capables d’apporter notre contribution à la communauté, chacun à sa façon, en donnant du temps, avec nos talents ou par notre contribution financière.
Una Buckley Président de la CVX England&Wales 38 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 21
Billet
Illustration : Sabine de Ligny
La grande sœur espérance Luce a fêté son passage « à la borne quatre-vingt », comme elle dit. Par là, elle se place résolument et joyeusement sur un chemin… Et elle n’a pas peur qu’il passe par la mort. Luce a osé rendre grâce pour la période de deuil, de doutes, d’absence et de larmes qui a suivi le décès d’Yves, son mari. Elle dit au Seigneur : « Tu étais là et je t’ignorais. » « C’était une période de germination », conclut-elle. Luce a apprivoisé pour nous le tombeau vide ; l’explorant dans les larmes, le doute, le vertige. En mesurant la hauteur, la profondeur, la largeur, la noirceur… fouillant les linges restés là sondant le vide et ses abîmes… Longue période d’âpre désert sans doute, sur laquelle elle reste pudique : « On n’étale pas sa souffrance ». Elle en a rapporté ce regard bleu lavé par les rugissants, et qui sait goûter pleinement la paix ; et qui sait regarder avec tendresse et malice ; et qui sait déceler les profondeurs d’une souffrance cachée ; et qui sait me rejoindre juste là où le mystère pascal creuse en moi son sillon secret, pour que germe le Royaume, que je veille ou que je dorme. Elle a les mots justes : des mots qui viennent du cœur, qui pointent avec délicatesse, précision et force, le reçu et le donné, l’acquis de l’expérience vécue et ce qu’il en reste une fois passée au tamis : la consolation. Son regard lumineux, planté dans un visage buriné comme celui des grands marins et adouci encore par la grâce féminine ; sa voix ferme, faite pour proclamer ; sa stature droite et dynamique ; son corps et ses mots témoignent qu’on en sort vivant, du grand lessivage de la vie, plus vivant quand le cœur est branché, greffé, habité par son Dieu « père et mère ». D’autres veuves, après elle, osent la traversée, osent la vie à nouveaux frais, osent la quête de la « petite sœur espérance ». Et elles sont belles. Luce, tu as pour moi donné corps à l’espérance. Cora Doulay
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Prier dans l’instant
© Jean-Michel Mazerolle / Ciric
Dans une petite église de campagne Dimanche matin. Une petite église perdue au fin fond du Tarn, entourée d’une poignée de fermes. Nous sommes de passage. Comme une ou deux fois par an, la communauté paroissiale des alentours honore un « quartier » et ses habitants, à l’occasion d’une fête. Nous arrivons juste à l’heure mais à l’intérieur on chante déjà. Avant d’entrer nous voyons un homme, jeune encore, accompagné de son fils, tarder un peu pour fumer hâtivement une cigarette. Puis nous nous trouvons assis auprès de lui, au premier rang car arrivés les derniers ; même la minuscule tribune est comble. Son fils est sur ses genoux car le banc est étroit. Il se pousse pour vérifier que j’ai de la place. Une légère oscillation de sa tête m’indique qu’il est malade. Cela me touche, me rend attentive. Dès le début j’éprouve un sentiment de paix, de fraternité. Moment de communion sans parole, qui se manifestera au moment du geste de paix. Il n’a pas l’air très habitué, ne chante pas, mais récite le Credo. Signe d’une mémoire, d’une enfance encore présente. Son fils le récite aussi. Je suis heureuse de cette profession ensemble. L’assemblée chante, de manière à la fois vive et traînante. Vivante malgré la petitesse de l’église. Il y a même une chorale. Beaucoup d’hommes sont présents. Au moment de la communion, tout le monde se déplace. Le prêtre nous invite à prier pour tous les prêtres qui ont servi ici, et tous ceux qui nous ont précédés. Ce lien au passé, au lieu de me remplir de nostalgie, me donne un sentiment de force, de continuité, de vie toujours renouvelée. Les gens d’ici ont une vie dure, mais je sens que cette célébration les unit. Elle m’unit à eux, même si c’est pour un instant. Le même Seigneur est notre force et nous rassemble ici.
Dominique Pollet
Nouvelle revue Vie Chrétienne – Janvier 2013