Vie chrétienne Nouvelle revue
C h e r c h e u r s
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B I M E S T R I E L D E L A C O M M U N A U T É D E V I E C H R É T I E N N E E T D E S E S A M I S – N º 8 – novembre 2 0 1 0
La place de l'accompagnateur Vivre l'Avent avec Isaïe En Belgique francophone
Attention, fragiles !
Sommaire
Éditorial
Éditorial
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L'air du temps ~ Jean-Marie Carrière
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Vraiment Dieu, vraiment homme
Chercher et trouver Dieu
Directeur de la publication : Dominique Léonard Rédactrice en chef : Florence Leroy Comité de rédaction : Marie-Élise Courmont Yves de Gentil-Baichis Dominique Hiesse Paul Legavre sj Comité d'orientation : Marie-Denise Cuny Christiane Edel Yves Guéguen Noëlle Hiesse Catherine Mercadier Béatrice Mercier Armelle Moulin Administration : Michel Lepercq Conception graphique : Raphaël Cuvelier Un coin de ciel bleu Photo de couverture : © Philippe Lissac / Godong Impression : Corlet Imprimeur, Condé-sur-Noireau
ISSN : 2104-550X 47 rue de la Roquette 75011 Paris 2 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 8
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Témoignages Contrechamp Dr Alain Braconnier Éclairage biblique France Delescluses Repères ignatiens Bruno Régent
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Le babillard
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Se former Des psaumes difficiles à entendre Lydie Lang Notre accompagnateur parle peu Hélène Castaing Animer une session Le livre d’Isaïe Marie-Amélie Le Bourgeois Servir Jean-Claude Dhôtel
20 22 24 26 29
Ensemble faire communauté 32 Congrès de Nevers Paul Legavre La gouvernance vue des régions Françoise Reynier, Michel Sibille 34 La CVX belge francophone 36 Billet La lumière des saisons Corine Robet
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Prier dans l'instant En écoutant le musicien du train Charles Mercier
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« Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez la route » entendrons-nous bientôt dans la liturgie du début de l’Avent. Ces paroles prononcées par Jean le Baptiste sont tirées du livre d’Isaïe, que nous vous proposons de lire avec nous dès ce numéro (voir p. 26). © Corinne Simon / CIRIC
NOUVELLE REVUE VIE CHRÉTIENNE
Attention, fragiles !
Préparer le chemin du Seigneur, aplanir sa route, c’est ce que nous essayons de faire. Préparer le chemin ou mettre nos pas dans les pas de celui qui est venu parmi nous préparer le chemin vers le Père ? Jésus a pris chair dans le ventre d’une toute jeune fille, qui a bien failli être répudiée par son futur époux. Il est né dans une étable et a failli être massacré par les soldats d’Hérode. Aujourd’hui des adolescentes vivent leur grossesse dans la solitude et l’angoisse. Des femmes et des enfants sont massacrés dans les conflits qui ravagent la planète. Jésus a vécu une vie toute simple et ordinaire, sûrement très heureuse à Nazareth. Aujourd’hui bien des personnes vivent une vie toute simple et heureuse. Plus tard, il connaîtra la Passion et la mort sur une croix. Tant d’hommes souffrent à travers le monde. Dieu s’est fait homme. Il sait tout de nos vies. Tournons les yeux vers lui et entendons cette autre parole d’Isaïe : « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; sur ceux qui habitaient le pays de l'ombre, une lumière a resplendi. » Florence LEROY
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L'air du temps
3 Antenne du Secours Catholique pour les demandeurs d’asile.
4 Centre d’accueil de demandeurs d’asile.
JRS Europe a publié en juin 2006 un rapport original et apprécié sur la «destitution», le rapport DEVAS (voir le site : jrseurope.org/DEVAS/ intro.htm).
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La demande de protection de la part des réfugiés rencontre un écho fort dans notre tradition et dans notre histoire ; du coup, le fait de laisser résonner cet appel à l’accueil et au respect au seuil de notre pays (de nos pays européens) peut nous dégager de la peur de l’étranger que les sirènes politiques entretiennent en nous de manière irresponsable, et les imaginaires de « contrôle des frontières » dont tous les gens sérieux soulignent l’inefficacité. La France tient la première place en Europe quant à l’enregistrement des demandes d’asile. L’accueil de réfugiés irakiens, ou de Somaliens venant de Malte, constitue un geste significatif de la très ancienne tradition d’accueil de réfugiés à laquelle nous sommes sensibles aujourd’hui encore. Certes, les étapes et les contraintes fortes de la procédure rendent très difficile l’accès au statut de réfugié, et main-
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tiennent les personnes réfugiées dans une attente incertaine lourde à vivre1. Quelqu’un examinant le schéma de ce parcours parlait d’une véritable « usine à gaz » !
le réseau welcome
© Sandra Calligaro / Picturetank
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1 On peut consulter un excellent document de la Cimade, « Voyage au cœur de l’asile » (téléchargeable sur le site).
En quoi le choix d’un service en direction des réfugiés estil pertinent dans le cadre d’un « Construire un avenir ensemble, avec les migrants » comme le propose de manière très judicieuse la rencontre des Semaines Sociales ?
Et, de fait, notre pays accorde le statut de réfugié à environ 30 % des demandeurs, avec une tendance à octroyer davantage une protection « subsidiaire », d’un an, plus fragile que le statut de la Convention de Genève. Les demandeurs déboutés deviennent irréguliers, et voient leur situation devenir très précaire2. Dans le concert européen, une autre question, celle du renvoi des demandeurs d’asile vers le pays par où ils sont entrés sur le territoire de l’Europe fait l’objet de discussions fortes entre les États membres, où se joue une solidarité de fait entre eux.
© Pascal Deloche / Godong
Accompagner les réfugiés Aboukar est peul de Guinée-Conakry. En septembre 2009, l’armée réprime très durement une manifestation de syndicats et de mouvements d’opposition, dans laquelle des personnes de sa famille sont violentées et tuées, luimême ayant réussi à s’échapper. La situation l’oblige à quitter le pays, il vient demander l’asile en France en décembre 2009. Il est aidé par le Cèdre3 pour la procédure d’asile, se rend à l’entretien à l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) en juillet dernier, et attend encore la réponse - il lui a été signifié qu’elle tarderait, en raison de l’évolution des élections et des événements en Guinée. Mais, durant ce temps, Aboukar n’a pas été admis en CADA4, il dort dehors ou trouve des abris occasionnels. Devant les nombreuses situations comme celle d’Aboukar, JRS France (Service jésuite des réfugiés) a pris le temps d’un discernement pour trouver une réponse adéquate. Ainsi, est né, en septembre 2009, le réseau Welcome, dans lequel se retrouvent des familles et des communautés qui accueillent des demandeurs d’asile pour une durée limitée. Le projet ne répond
pas seulement à un besoin (de logement), mais manifeste par l’accueil et le suivi par un ami-tuteur le désir d’accompagner pour un temps la personne réfugiée, et de lui permettre des relations plus conviviales et gratuites que celles qu’il a avec les administrations. Après une année, nous voyons se développer une expérience heureuse d’accueil et de relations mutuelles, dont l’écho résonne fortement au-delà du réseau : une paroisse de l’Ouest parisien se met en mouvement, un conseil diocésain de la solidarité dans le sud de la France est intéressé par le projet, ainsi que des jésuites en Suisse... Le souci pour les réfugiés se concrétise en engagements divers dans les pays d’Europe, à travers les JRS : présence dans les centres de rétention des demandeurs
d’asile (Grande-Bretagne, Irlande, Belgique…), prise en charge de la subsistance, du logement, des questions de santé (traumatismes) en Italie. En France, un projet d’accueil des jeunes Afghans du 10e arrondissement est pris en charge par des étudiants de l’Agro en lien avec une association locale ; à Chambéry, des couples accompagnent l’intégration de familles de réfugiées ; à SaintÉtienne, des demandeurs d’asile sont aidés à s’intégrer par le biais de la formation professionnelle.
une relation de réciprocité Dans les JRS, en tant qu’ils mettent en œuvre une mission de la Compagnie, le terme accompagner est central et prend une dimension particulière. Outre l’accueil – sur le seuil – de la personne réfugiée,
l’aide qu’on peut lui apporter est toujours vue comme un élément de quelque chose de plus important : construire une relation de respect et d’estime, de réciprocité joyeuse, avec des personnes dont l’histoire est difficile et lourde5, et qui vivent une expérience où se révèlent des qualités fortes d’humanité. Par exemple, un ami débouté nous parlait du temps de désert qu’il vivait, temps dont il espérait aussi qu’il pourrait être pour lui-même un temps pour grandir.
5 Voir par exemple le témoignage de Khalid, « Personne ne prend cette décision de bon cœur » sur le site de JRS France : www.jrsfrance.org
La demande d’asile est une demande « audible », elle doit être entendue pour elle-même et non point noyée par le moyen d’une législation restrictive dans la question de la gestion des « flux migratoires ». Entendre la demande d’asile et de protection, c’est nous rendre capable de mieux entendre la demande - différenciée – de chacun des migrants.
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Jean-Marie CARRIÈRE
JRS France
JRS France a besoin de bonnes volontés bénévoles : • Un webmestre (une demijournée par semaine) • Des familles d’accueil Welcome • Des tuteurs/tutrices pour Welcome Contact : jrs.france@jesuites.com Site : www.jrsfrance.org Novembre 2010
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Chercher et trouver et trouver Dieu Dieu
ATTENTION, FRAGILES ! Il y a des jours où ma fragilité m’angoisse, me fait désespérer de moi, me handicape ou m’isole des autres ; quand elle fait naître peur de décevoir, de gêner, ou même honte ; quand la culture ambiante incite au culte des corps beaux et forts, à l’excellence à tout prix, même à coût humain. Mais ma fragilité peut faire voir les éclats de lumière que les zones d’ombre mettent en valeur en moi et chez les autres, faire mieux sentir les supports sur lesquels j’ose m’appuyer pour avancer, reconnaître plus facilement les autres (et le tout Autre ?) auprès desquels je retrouve force, élan, courage, confiance en moi. C’est dans des verres en cristal que l’on goûte et met en valeur les meilleurs vins. On les prend avec précaution pour respecter leur fragilité. Ils savent tinter aux échanges de toasts. Ce ne sont pas pour autant des verres cassés, fêlés… ce sont même ceux qu’on sort du placard pour embellir une table et faire jaillir la joie des convives.
©Frederique Cifuentes / CIRIC
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Témoignages Quand le travail fragilise. . . . . . . . . . . 8 Une image de soi épuisante. . . . . . . . . 9 Face à la maladie. . . . . . . . . . . . . . . . 10 Bâtir sur la fragilité . . . . . . . . . . . . . 11 Contrechamp « Protéger son soi » . . . . . . . . . . . . . 12
Dominique HIESSE Éclairage biblique Ruth et Noémi. . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 Repères ignatiens Le chemin d’Ignace . . . . . . . . . . . . 16
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Pour continuer en réunion 19
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Chercher et trouver Dieu
Il est facile quand on est jeune et plein d’enthousiasme de se croire à l’abri des ruptures en tous genres. Jusqu’au jour où ça craque.
énergie. Souvent absent, jamais vraiment disponible, je laissais ma femme gérer seule la maison. Pour me soutenir, elle a beaucoup pris sur elle malgré une intégration sociale pas facile.
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Après mes débuts professionnels dans une grande banque internationale, j’ai choisi de changer d’entreprise pour plus de responsabilités. Ma famille a donc déménagé et j’ai rejoint une petite agence bretonne de conseil en gestion. Mon adaptation professionnelle a été dure : changement de secteur, de taille d’entreprise, et surtout une relation très rude avec un chef exigeant et autocratique, sans compter des horaires à rallonge.
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© Anastasia Pelikh / iStock
Lorsque nous entrevoyons la fin du tunnel, nous mesurons aussi ce qu’il nous en a coûté. À force de persévérance, nous avons oublié de prendre soin de nous. La santé de ma femme s’est dégradée, ainsi que notre complicité amoureuse. Avec mon retour à la maison, pour rechercher un emploi, le réveil a été cruel.
Face à ces difficultés, j’ai tenu bon ; mais après un an et demi sans amélioration notable, j’ai décidé de quitter l’entreprise. Cependant, mettre en œuvre cette décision a pris encore du temps, et ma vie de couple était déjà sérieusement impactée sans que j’en aie pris la pleine mesure. Mon impuissance à établir un dialogue constructif avec mon chef, et par là-même à protéger mon équipe, absorbait toute mon
Aujourd’hui, patiemment, nous apprenons à retisser le lien, prenant soin de nous dire nos souffrances et de nous écouter dans le respect mutuel. Désormais, nous veillons à ne pas sous-estimer la difficulté et à ne pas rester seuls sur ce chemin. Préparant des jeunes au mariage et connaissant les conseils de rigueur, nous nous croyions à l’abri de ce type de crise. Je touche du doigt notre fragilité insoupçonnée, mais nous sommes d’autant plus attentifs l’un à l’autre et le lien qui se reconstruit n’en est que plus fort. Il n’y a plus de garantie, juste la joie ténue d’une espérance vacillante et d’une confiance réciproque. La joie du Ressuscité ?
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JÉRÔME
Une image de soi épuisante Nous avons tous envie de plaire aux autres et d’être aimés. Décider soi-même ce qui est aimable n’aboutit pas forcément au résultat escompté.
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Issue d’une famille pétrie par l’importance du devoir, j’ai grandi convaincue que si je ne faisais pas les choses parfaitement, j’étais nulle. J’étais presque toujours première de la classe et si j’étais la deuxième, j’avais honte. J’avais l’impression de n’être plus rien. J’avais toujours le souci de me conformer à ce qu’on attendait de moi et y réussissais bien. L’arrivée dans le monde professionnel fut un grand choc. Soudain, les attentes de mes interlocuteurs étaient différentes voire antagonistes. Si je faisais plaisir à l’un, j’en décevais un autre. Ce fut une source de grande angoisse pour moi.
indispensables pour dénouer la situation. Je découvris à Penboc’h que Jésus m’aimait comme j’étais, avec mes imperfections et mes limites, que je n’avais pas à cultiver mon image pour lui mais à me laisser aimer là où j’en étais, et qu’il cheminait avec moi en toutes circonstances. Je découvris que mon image était tellement importante pour moi que finalement je ne savais pas bien qui j’étais à l’intérieur, et que ce
souci de mon image m’empêchait d’exercer ma liberté et d’être heureuse. Je compris que ce souci de perfection relevait d’une forme de toute puissance et qu’accepter mon humanité passait par l’acceptation de mes erreurs et de mes limites.
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Ce fut le début d’un long chemin pour me recevoir comme enfant de Dieu. MARIE-AGNÈS
© Rafaël Trapet / Picturetank
Quand le travail fragilise
L’impossibilité de faire les choses parfaitement me paralysait. Je relisais plusieurs fois le moindre petit document rédigé, en me demandant ce que l’on allait penser de moi. Ma productivité était donc faible, ce qui augmentait mon angoisse. J’avais l’impression que je n’y arriverais jamais et fus tentée de tout abandonner. Étant malade, j’eus la chance qu’on me propose le sacrement des malades. Recevoir ce sacrement me fut d’un grand réconfort et m’aida à commencer à sentir que le Christ m’aimait même dans ma fragilité. Une session Penboc’h « Jeunes professionnels » et l’aide d’une psychologue me furent Novembre 2010
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Bâtir sur la fragilité
Le handicap a fait irruption dans la vie de Blanche il y a sept ans. La fragilité est devenu alors une donnée essentielle de son quotidien.
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« Que veux-tu ? » J'entends la parole qui m'a saisie au fond et résonne depuis. Cette parole est nourriture, espace donné au silence, consentement doux à ce que je n'aurais pas voulu ou choisi. Le fragile, entré par effraction avec un AVC en 20 septembre 2003, avec grand respect, est venu faire la vérité dans ma vie. Peut-être cette parole a-t-elle enfin trouvé à s'insérer dans mon effondrement droit, dans ce vide de mon inconscience !
Le silence lui, sera source de guidance et sa tonalité me révélera clairement où j'en suis. Véritable caisse de résonance, il me surprendra jusqu'au milieu du tohubohu des trajets en bus vers les thérapies régulières, absorbantes, jamais manquées. Le fragile nécessite la mise en place d'une grande douceur un peu comme un berceau qui contient cette vie précieuse au temps de la noël. Alors voici que le sourire fait son entrée à nouveau, dans ma vie. Le sourire m'a reposée, me repose. J'ai confiance en lui ; il a quelque chose à voir avec le pauvre et le don… Peut-être est-il la force du fragile ?
Une rencontre, en retour de thérapie me reste plantée dans le cœur : regard du Christ en humble place porté par cette femme qui me visitait dans la période gisante. Je la retrouve dans ma paroisse, quelle amitié s'est nouée là ? Un solide-fragile alliage, sans aucune dépendance ! Son sourire m'aide encore aujourd'hui. Je
© Philippe Lissac / Godong
Mais maintenant, je suis responsable de ce fragile, donnée essentielle de mon quotidien, qui chaque jour menace de se briser. Comment apprivoiser cette menace constante, s'en faire une alliée, une amie, un partenaire ? « Vous n'avez pas le droit de tomber ! »
veux le rendre à qui je peux, qui voudra le recevoir.
me dit péremptoire ce médecin pour clôturer tous les interdits entendus. Je me suis surprise à dire à quelqu'un : « l'AVC a fait la vérité dans ma vie… » mais aussi « l'AVC a saccagé ma vie », regrettant aussitôt cette vérité que je devais cependant regarder en face pour marcher désormais limitée, heureuse, cherchant… aussi pour moi, la paix, le juste qui font vivre.
Le sourire fait son entrée à nouveau dans ma vie.
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Le temps n'a plus la même durée, les combats sont déplacés, les mesures changent. Rester debout, oui, mais où ? combien de temps ? comment ? La récupération lente et constante, jumelée au travail thérapeutique, m'oblige à ne faire que cela : garder patience, une si grande patience. Garder le goût de vivre est une vigilance légère et précieuse.
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Seigneur tiens-moi… loin de la fermeture-habitude ! Je confie la suite à mon avenir entre les mains si bonnes de notre Dieu ! BLANCHE
L’artiste passe parfois pour fragile, parce qu’il laisse parler sa sensibilité. Fragile parce qu’il a conscience que ses œuvres sont imparfaites ; fragile parce qu’il s’expose aux regards des autres. En accueillant la fragilité, en la transformant, l’artiste nous permet de ressentir ce qu’autrement nous n’oserions pas ou ne saurions pas exprimer. Peintre, sculpteur ou clown, nous aurons l’occasion de les retrouver. Extraits.
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Pour percevoir les réalités secondes, les sentiments retenus, les espoirs cachés, il faut faire preuve d'une grande sensibilité, d'une hypersensibilité même. Cette richesse de perception est un atout merveilleux que nous confère le Seigneur dans notre rôle de transmetteur ? C'est aussi la cause de ma naturelle fragilité. Mais s'agit-il vraiment d'une fragilité ou de la juste conscience de la difficulté et de la vanité de certains efforts ? N'est-ce pas une simple clairvoyance de la place conférée à l’artiste, intermédiaire parfois privilégié, placé au service
pourrie modèle un visage différemment de ce qui avait été prévu et lui donne une force nouvelle. C’est une démarche d’acceptation du réel, d’accueil de la fragilité qui est en nous ; celle-ci n’est pas à cacher mais à accueillir dans un certain dépouillement, avec simplicité. Fragilité, également, de ce moment où l’artiste décide de ne plus retoucher son œuvre, ce moment où un geste de plus pourrait faire basculer les choses, gâcher définitivement ce qu’il avait voulu réaliser. ROLAND
des autres pour exprimer ce qu'il a ressenti avec le souci de parler vrai, de parler juste et d'exprimer avec simplicité les émotions qu'il a perçues ?
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MICHELINE
Pour certains artistes, le choix même du matériau relève de la fragilité, de l’éphémère, de l’imprévu. Il en est ainsi, par exemple, de bois ramassés dans la nature, travaillés à partir de leur forme propre qui guide la main de l’artiste. Alors, toutes les imperfections sont accueillies, le creux révélé au grattage d’une partie
J Droits réservés
Face à la maladie
J'avance dans l'inconnu de ce qui n'est pas encore et qui va se créer dans la rencontre. J'accepte l'état de déséquilibre qui permet de mettre un pas devant l'autre. J'offre naïvement ma vulnérabilité, mes failles, ma grandeur et ma petitesse, mes rêves fous et ma pauvre réalité, et j'espère être accueillie ainsi. J'ose exprimer ce qui m'habite, avec le moyen artistique qui est le mien. Fragilité du don offert qui ne sait pas s'il sera reçu. Fragilité du cœur ouvert qui ne sait pas s'il sera blessé ou comblé. Fragilité de celui qui aime et a soif d'être aimé. AGNÈS
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Chercher et trouver Dieu
Entretien avec le Dr. Alain Braconnier, psychiatre.
Dans vos consultations recevez-vous beaucoup de gens qui se sentent fragiles ? Il faut faire une différence entre les personnes qui ont des troubles graves, proches de la maladie mentale, et celles qui ne sont pas malades mais qui se sentent fragilisées par les événements de la vie. Le nombre des premières n’a pas varié depuis une trentaine d’années alors que les consultations de personnes qui ressentent des difficultés existentielles ont beaucoup augmenté et concernent les deux tiers de gens que je reçois. À quoi correspondent ces difficultés existentielles ? L’augmentation des situations de solitude, me paraît très préoccupante. Je vois de plus en plus de personnes fragilisées parce qu’elles vivent seules, pas forcément de façon continue et définitive. Mais aujourd’hui beaucoup de gens se séparent ou bien ne rencontrent pas celui ou celle qui peut les rendre heureux. Certains souffrent aussi de voir que les liens dans lesquels, ils sont engagés n’évoluent pas positivement. Et ils sont tiraillés entre l’appréhension de continuer une vie qui ne les satisfait pas et la crainte de se retrouver seuls. Donc la vie des familles joue un rôle essentiel ? Oui et c’est un des facteurs important qui provoque la fragilité de nos contemporains. Le lien familial n’est plus une valeur qu’il faut absolument préserver, même si cela entraîne parfois des contraintes. Aujourd’hui on en arrive à des ruptures trop faciles. Or l’équilibre de la personne s’élabore, dès la petite enfance, par la construction de relations suffisamment apaisées et tranquillisantes et si l’enfant vit dans un contexte anxieux, instable et conflictuel cela risque de peser sur lui dans son existence d’adulte. Un autre élément contribue à rendre les gens fragiles aujourd’hui : depuis une trentaine d’années, nous sommes de plus en plus confrontés à
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l’imprévu dans une vie où les changements sont incessants. Or vivre dans l’incertitude, sans points fixes, déstabilise de nombreuses personnes. Ne pas pouvoir contrôler ce qui vous arrive, être incertain de votre avenir et de la solidité de vos relations affectives fragilise car on ne sait plus que choisir. Prenons le cas du lien amoureux, tout aussi recherché qu’il y a 30 ans mais la manière de le vivre et de le maintenir a changé et la vie des couples est plus compliquée car les gens manquent de modèles et de repères. Quelles en sont les raisons selon vous ? Dans la grande majorité des cas, l’enfant a une place très importante, les parents voulant son bonheur et sa réussite. Mais l’homme et la femme, qui travaillent tous les deux, sont tiraillés entre leur vie professionnelle et le désir de bien s’occuper de l’enfant. Et les couples actuels vivent une période nouvelle où la répartition des tâches n’est pas toujours facile : qui va s’occuper de l’enfant ? Quand et comment ? Qui va le mener à l’école, le rechercher, le faire travailler ? Ces activités simples prennent parfois un poids psychique pesant. Je constate, par exemple, que l’organisation de la vie familiale est relativement facile avec un enfant, plus difficile quand il y en a deux et compliqué quand il y en a trois. Diriez-vous que dans les couples modernes, l’homme et la femme ne savent plus quel est leur rôle ? Oui chacun se cherche. Les femmes ne sont plus comme les féministes des années soixante qui voulaient, presque en tout, être semblables à l’homme. Aujourd’hui, elles réclament à juste titre une égalité qui n’est pas encore acquise dans la vie sociale, juridique et professionnelle mais elles veulent maintenir des différences : elles ont conscience, en effet, qu’être un homme et être une femme ce n’est pas la même chose. Ainsi chez les jeunes parents, je perçois une forte
pas vrai ». Le déni est un piège car la réalité nous rattrape toujours. Autre mauvaise solution, la projection extra-punitive qui rend toujours l’autre responsable de ce qui ne va pas. Également la régression où l’on attend que tout soit résolu par les autres. Deux attitudes nocives car elles nous empêchent d’être acteurs de notre vie.
Ne pensez-vous pas que l’évolution actuelle de la vie professionnelle accentue ce sentiment ? Je le pense mais ne stigmatisons pas de façon trop négative la vie professionnelle. Il y a 100 ans, le monde du travail était dur mais aujourd’hui le poids est passé du physique au psychique. Ce n’est pas parce qu'on on ne travaille que 35 heures que l’on échappe aux contraintes mentales, en particulier avec la pression grandissante qui s’exerce pour que les gens obtiennent sans cesse de meilleurs résultats. La perspective du chômage fragilise aussi beaucoup. Que peut faire un psychiatre pour aider les personnes qui, sans être vraiment malades, souffrent d’un malaise existentiel ? Nous sommes des tiers, extérieurs à la vie de nos patients car nous n’avons pas avec eux de liens familiaux ou professionnels. Nous ne portons pas de jugements sur ce qu’ils vivent mais nous ouvrons des portes pour essayer de les aider à découvrir ce qui est à l’origine de leur fragilité. Je viens d’écrire un livre1 dans lequel j’invite le lecteur, non pas à se replier sur luimême mais à s’appuyer sur ses nombreuses ressources intérieures. Lesquelles en particulier ? Il y en a de bonnes et de moins bonnes. Parmi les meilleures, l’humour. On le perd dès que l’on se sent fragile. L’anticipation aussi, qui consiste à prévoir et organiser ce que l’on va faire. Autre ressource précieuse, la sublimation et la capacité à s’intéresser aux œuvres artistiques et culturelles qui vous sortent de vos problèmes. Enfin le recours à autrui évite souvent l’enfermement, même si l’on n’accepte pas facilement de se faire aider.
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À votre avis la démarche religieuse peut-elle aider ?
Je le pense et les études américaines montrent que les personnes en situation de fragilité qui ont une foi ou des repères religieux s’en sortent mieux que les autres. J’aime beaucoup ce chant religieux : « trouver dans ma vie ta présence ». Le mot présence, qui est très fort, engendre l’espoir et l’espérance car une présence humaine, ou divine, peut aider de nombreuses personnes à surmonter leur fragilité.
1 Protéger son soi. Éditions Odile Jacob, 2010
Propos recueillis par Yves de GENTIL-BAICHIS © Fred de Noyelle / Godong
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« Protéger son soi »
attente : les femmes demandent que l’homme donne des repères et assure une fonction de protection, ce dernier souhaitant que sa femme le comprenne et l’aime tel qu’il est. Mais les jeunes ne savent pas toujours comment répondre aux attentes du partenaire et ces hésitations fragilisent.
Et les mauvaises ressources ? Le déni de la réalité par exemple : « non ce n’est
L'équilibre de la personne s'élabore dès la petite enfance..
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Chercher et trouver Dieu
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Ruth et Booz, huile sur toile. Dahesh Museum of Art, New York
1 France Delescluse, après avoir enseigné à la Faculté Catholique de Paris, exerce maintenant dans des centres d’intelligence de la foi.
Ruth et Noémi : une jeune femme et sa bellemère que la vie n’épargne pas. Une famine a contraint à l’exil dans le pays de Moab, Noémi et les siens. Et les siens, son mari et ses deux fils, y meurent. L’un des deux a pris pour épouse Ruth la Moabite ; encore jeune, elle est déjà veuve.
Les deux femmes, fragilisées dans toute leur existence (statut social, vie affective et familiale, éloignement), rejoignent Bethléem, la « maison du pain », en Juda, où elles espèrent trouver subsistance. Pour Noémi, c’est le retour au pays, dans l’amertume et la désolation, « c’est comblée que j’étais partie, et démunie me fait revenir le Seigneur ». Pour Ruth c’est une arrivée en terre étrangère, mais son attachement indéfectible à sa belle-mère nourrit en elle la confiance, et le cri qui sort de son cœur, « où tu iras j’irai », sonne comme un serment. Et, de fait, c’est une histoire d’alliance qui commence là. La suite du récit s’inscrit dans un
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En glanant dans le champ qui appartient à Booz, Ruth sent bien que les épis oubliés, le pas grandchose qui tombe des gerbes des moissonneurs, sont ressources inespérées pour elle et sa bellemère ; elle ne ménage pas sa peine tout au long du jour. Booz, apprenant qui elle est, l’accueille sur son aire et veille à ce que tout se passe bien pour elle. Demande audacieuse d’une femme en difficulté, réponse bienveillante d’un homme loyal ? Beaucoup plus, Ruth ouvre la situation à la grâce d’une rencontre, d’une visitation : en celui qui pourvoit à son besoin, elle reconnaît l’attention gracieuse d’un homme qui la restaure dans toute sa personne : « Tu m’as consolée, tu as parlé au cœur de ta servante, moi qui ne suis qu’une étrangère ». À son tour, le cœur de Booz est touché et une générosité s’éveille en lui, comme en « excès » : il donne la consigne aux moissonneurs de laisser derrière eux de pleines poignées d’épis afin que Ruth les ramasse. Pour Ruth et Noémi dans la précarité, c’est la surabondance. Ruth n’est que reconnaissance, sans retour sur elle-même ; elle ignore combien lui est ici retournée en bénédiction, la bénédiction dont elle a été la source pour sa belle mère. Sa délicatesse suscite en Booz admiration et vulnérabilité : « tout ce que tu diras, je le ferai pour toi ». De leur union naîtra un fils, père de Jessé ; dans sa lignée, Jésus, l’enfant choisi par Dieu pour qu’œuvre sa puissance aimante au cœur de nos fragilités. France DELESCLUSE1
1 Or Noémi avait un parent du côté de son mari, un notable fortuné, de la famille d'Elimélek, qui s'appelait Booz. 2 Ruth la Moabite dit à Noémi : « Je voudrais bien aller aux champs glaner des épis, derrière quelqu'un qui me considérerait avec faveur. » Elle répondit : « Va, ma fille. » 3 Elle alla donc et entra glaner dans un champ derrière les moissonneurs. Sa chance fut de tomber sur une parcelle de terre appartenant à Booz de la famille d'Elimélek. 4 Or voici que Booz arriva de Bethléem. Il dit aux moissonneurs : « Le Seigneur soit avec vous ! » Ils lui dirent : « Le Seigneur te bénisse ! » 5 Alors Booz dit à son chef des moissonneurs : « À qui est cette jeune femme ? » 6 Le chef des moissonneurs répondit en disant : « C'est une jeune femme moabite, celle qui est revenue avec Noémi de la campagne de Moab. 7 Elle a dit : “Je voudrais bien glaner et ramasser entre les javelles derrière les moissonneurs.” Elle est venue et s'est tenue là depuis ce matin jusqu'à présent ; ceci est sa résidence ; la maison l'est peu ! » 8 Alors Booz dit à Ruth : « Tu entends, n'est-ce pas, ma fille ? Ne va pas glaner dans un autre champ ; non, ne t'éloigne pas de celui-ci. Aussi t'attacheras-tu à mes domestiques. 9 Ne quitte pas des yeux le champ qu'ils moissonnent et va derrière eux. J'ai interdit aux jeunes gens de te toucher, n'est-ce pas ? Quand tu auras soif, tu iras aux cruches et tu boiras de ce que les domestiques auront puisé. » 10 Alors elle se jeta face contre terre et se prosterna ; et elle lui dit : « Pourquoi m'as-tu considérée avec faveur jusqu'à me reconnaître, moi une inconnue ? » 11 Booz lui répondit en disant : « On m'a conté et reconté tout ce que tu as fait envers ta belle-mère après la mort de ton mari, comment tu as abandonné ton père et ta mère et ton pays natal pour aller vers un peuple que tu ne connaissais ni d'hier ni d'avant-hier. 12 Que le Seigneur récompense pleinement ce que tu as fait, et que ton salaire soit complet de par le Seigneur, le Dieu d'Israël, sous la protection de qui tu es venue chercher refuge. » 13 Elle dit alors : « Considère-moi avec faveur, maître, puisque tu m'as consolée et puisque tu as parlé au cœur de ta servante ; et pourtant, moi, je ne serai pas comme une de tes servantes ! »
Livre de Ruth 2, 1-13 (Traduction TOB)
Pour prier… ✚ Me tenir en présence du Seigneur. ✚ Demander la grâce de reconnaître le don du Seigneur qui se révèle au cœur de mes fragilités. ● Entendre le « va, ma fille » confiant de Noémi qui laisse partir Ruth en quête de reconnaissance et de sécurité. ● Entendre les paroles de bienvenue et de respect de Booz pour Ruth. Booz ne l’enferme pas dans son statut fragile d’étrangère, il sait la considérer dans son lien fort avec Noémi. ● Entendre le cœur de Ruth qui ose demander : « Considère-moi avec faveur » ✚ M’entretenir avec le Seigneur présent et attentif à ce qui est beau et fragile en nous ; Le louer pour cela en disant le Magnificat.
© Bridgeman Giraudon
© Bridgeman Giraudon
Ruth et Noémi
mouvement d’envoi et de retour : « va, ma fille » – tendresse et détermination dans le ton de Noémi – « je ferai tout ce que tu m’as dit » répond Ruth. Dans sa voix s’entendent sa docilité et son amour. Portées par cet engagement mutuel, l’ingéniosité de Ruth et la sagesse avisée de Noémi conduiront à une heureuse issue : après avoir glané dans le champ d’un parent nommé Booz, Ruth en devient l’épouse et lui donne un enfant. Pour les deux femmes un avenir s’ouvre et avec tous, Noémi peut à nouveau bénir son Seigneur.
Ruth et Noémie, peinture murale. West London Synagogue, Londres
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le chemin d’Ignace
première opération ? Qu’à cela ne tienne, il demande que sa jambe soit recassée pour que les os ne dépassent pas ; pour rester beau et continuer à séduire, il accepte une vraie boucherie en serrant les poings (2-4) ! Mais d’un autre côté, la convalescence est longue, il demande à lire des livres de chevalerie et on ne lui donne qu’une vie du Christ et une vie des saints (5). C’est par ce moyen non désiré qu’Ignace va entrer dans le discernement des esprits et souhaiter se mettre au service du Christ, à la suite des saints.
De certains saints on pourrait presque dire qu’ils sont nés saints. Un tempérament « sage », un désir très tôt orienté vers Dieu… Saint Ignace au contraire était un homme fougueux « à la vie désordonnée ». À un âge avancé pour l’époque, il décide de mettre son ambition au service de Dieu, pour « aider les âmes ». Le fringant chevalier fait alors l’expérience de sa fragilité.
J
Jusqu’à vingt-six ans, Ignace vit sans état d’âme ni hésitation : il veut réussir, séduire, servir un prince bien en vue, épouser une fille de très haute naissance, bref, « gagner de l’honneur » (1)1. Pour arriver à ses fins et profiter de la vie, il n’aura pas beaucoup de scrupules : il confessera même qu’il s’est rendu coupable de bien des péchés sauf celui de tuer.
À Pampelune, ville assiégée par les Français et prête à se rendre, il harangue tous les chevaliers et les convainc de résister… jusqu’au moment où un boulet le blesse grièvement aux jambes ; l’ardeur au combat disparaît et la reddition survient rapidement.
Un homme déterminé Pendant plusieurs mois, Ignace est soigné chez lui, dépendant des médecins et de sa famille. D’un côté, il sait toujours ce qu’il faut faire pour poursuivre son but : les médecins n’ont pas bien réussi la 16 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 8
© Bridgeman Giraudon. Huile sur toile. École française. Château de Versailles
1 Les chiffres entre parenthèses renvoient aux numéros du Récit du pèlerin dont le texte est intégralement repris dans Ignace de Loyola par lui-même (voir bon de commande dans l’encart broché en page 2 de la revue).
Le doute s’installe Guéri, son désir d’aller à Jérusalem le fait partir. Sa force intérieure lui permet de ne pas tenir compte de sa famille qui veut le retenir. Mais sur la route, voilà qu’il chemine avec un Maure qui met en doute la virginité de la Vierge. Le doute le prend : faut-il le tuer pour l’honneur de Marie ou non ? Tant qu’il s’agissait des affaires mondaines, il savait ce qu’il convenait de faire ; mais ici, dans son désir de suivre le Christ, que faire ? Sauver l’honneur bafoué de Notre Dame ou respecter le commandement "tu ne tueras pas" ? Ne sachant se déterminer, il laisse la décision… à sa mule (16) ! À Montserrat, imitant les saints, il échange ses habits avec ceux d’un pauvre, passe une nuit de prière dans une offrande chevaleresque, et part vers Manrèse. Mais on le rattrape : est-il bien vrai qu’il a échangé ses habits avec ceux d’un pauvre ? Pour la première fois, Ignace est saisi d’émotion, car à cause de lui, un autre
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Chercher et trouver Dieu
Après bien des épreuves, Ignace trouvera la paix
a été inquiété, traité de voleur. Nouvel ébranlement : les grandes choses rêvées pour Dieu peuvent ne pas être bonnes et causer du tort à autrui : il se découvre sensible, sujet à des larmes (18). Le séjour à Manrèse, simple étape prévue vers Jérusalem, va en fait durer presque un an. Si Ignace demeure certain de la direction à prendre – suivre le Christ en allant à Jérusalem – il ne sait plus comment il convient de vivre. La stabilité à Manrèse va lui permettre une recherche intérieure tout en passant par des extrêmes : mendicité pour sa subsistance quotidienne, jeûnes, absence de soin pour son corps, pénitences nombreuses, logement avec les miséreux, etc. Si sa détermination intérieure semble intacte à travers le choix de ces moyens, il découvre cependant que son corps ne suit pas : Ignace est traversé de crises de scrupules, de doutes, voire de désespoir avec des tentations de suicides. Il a beau se confesser de toute sa vie passée, les scrupules
reviennent ; des visions intérieures qui lui semblaient un jour agréables se révèlent le lendemain source de tristesses (19-25). Il expérimente que sa manière de rechercher et maîtriser l’excellence spirituelle à la suite du Christ, n’est pas droite.
Apprendre, écouter Un chemin intérieur vers la paix va peu à peu se faire. Ignace note ce qui l’a aidé : des conversations avec quelques personnes spirituelles ; la relation avec son confesseur (au lieu de garder pour lui ses doutes et scrupules, Ignace lui dira tout, en s’en tenant à ses conseils) ; un chemin de prière dans lequel il se met à entendre la voix d’un Autre qui l’enseigne, à la manière d’un maître d’école vis-à-vis d’un enfant. Cette ouverture à l’Autre et aux autres le sort de lui-même : Ignace découvre l’amour trinitaire, Dieu créateur et son projet, le Christ dans son humanité et sa présence eucharistique ; plus généralement, il entre
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Chercher et trouver Dieu
!
dans une intelligence générale de la foi (28-30).
2 Le DVD réalisé par Michel Farin, Le pouvoir et les larmes, (Voir et dire, 1999) approfondit cette pratique d’Ignace d’exercer des responsabilités à travers l’autorité des larmes plutôt que par la force d’un pouvoir.
Bruno Régent, jésuite, a édité Ignace de Loyola par lui-même, sa vie questionnée par le dessin, en collaboration avec Charles Henin. Il est l’auteur du Récit de l’origine (Vie chrétienne, 2006) et L’énigme des talents (Médiasèvres, 2008). 3
ns auguro ge n i s u o N pa z uvelle une no vous trouvere CVX, uelle sur laq nonces de la des an propositions e, des tienn le igna livres l i m a f de la ensions de des rec e DVD, etc. ou d Appel du Responsable de la CVX France, Retraite de l’Avent Dominique Léonard et sur Notre-Dame du Web du Président de l’Association Saint Hugues, Du 28 novembre au 25 décembre 2010 François Potin
Le babillard
Lent et profond retournement d’Ignace : Il ne sait plus ce qu’il faut faire, il devient celui qui demande, et il reçoit. L’écoute d’un Autre dans la prière, l’exercice de l’obéissance en la parole de son confesseur, l’attention fine portée à ce qui lui arrive, lui donnent accès à l’écoute de l’Esprit dans les âmes… qu’il va désormais chercher à aider (26). Ignace quitte donc la voie de l’héroïsme, que ce soit pour Dieu, pour le monde ou pour sa propre gloire pour entrer dans l’écoute et apprendre à consentir à l’Esprit, discerné avec d’autres. Cette écoute, devenant obéissance, devient ainsi la source de son agir et de son existence, tant pour luimême, pour la future Compagnie de Jésus que pour le choix des moyens pour "aider les âmes". Plus tard, sa volonté de rester à Jérusalem s’avèrera irréalisable, sauf
à désobéir au représentant du Pape en Terre Sainte. Il ne lui restera alors qu’un désir dépouillé – suivre le Christ – mais sans moyens qui s’imposent : donc que faire (50) ? Ignace raconte dans son autobiographie comment des réponses successives se construisent selon les rencontres, les événements et un discernement priant.
L’exercice de la responsabilité dans la fragilité Encore plus tard, quand Ignace, élu supérieur général à son corps défendant, gouverne l’Ordre naissant des jésuites, il ne redevient pas l’homme d’un savoir qui en déduirait une stratégie. Il n’a de cesse de demander des nouvelles. Oui, il y a un service du commandement, mais il ne peut s’exercer que dans une écoute régulière de ce que vivent ses compagnons. Cette écoute cherche notamment à percevoir si le compagnon est lui-même un écoutant – un hom-
me d’ascèse – ou s’il est imbu de son jugement propre ; Ignace fera confiance aux avis et analyses du premier, et donnera des conseils fermes au second. Dans le fragment de son Journal spirituel, il note très souvent qu’il lui est donné des larmes2 dans la prière : la découverte toujours nouvelle des relations trinitaires l’émeut au point que son médecin craint pour ses yeux. Être touché de ce que vivent d’autres, telle est sa nourriture quotidienne… au point de ne plus pouvoir supporter des bruits qui le détournent de cette écoute. Ignace ne sait plus ; il est devenu sensible à ce que vivent les autres. Il redécouvre ce que saint Paul avait expérimenté : c’est dans la faiblesse que je suis fort. La pauvreté spirituelle, qui se fait demande, écoute, discernement, donne des audaces et du courage, bien au-delà de tout.
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Bruno RÉGENT sj3
Pour continuer en réunion… • Est-ce que je connais mes points de fragilité ? Comment est-ce que je les ai découverts : au travers des circonstances, ou par les autres, la société… ? M’est-il arrivé de me tromper : prendre pour fragilité ce qui en fait ne l’était pas, ou à l’inverse prendre pour une force ce qui n’était que fragilité ? • Quelle est mon attitude devant cette fragilité ? Comment je réagis, en l’acceptant, en la masquant, en essayant de lutter… ? • Et la fragilité des autres, comment est-ce que je la reçois : énervement, gêne, impatience, protection, douceur… ? • Reconnaître chez moi tel ou tel point de fragilité, me conduit-il à me tourner vers d’autres ? vers Dieu ? Qu’est-ce qui aide à ce que cet aspect de ma vie ne soit pas source de regret, tristesse ou manque de confiance en moi, mais occasion d’une relation plus juste avec moi-même, avec les autres, et avec mon Dieu ?
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LE CENTRE SAINT HUGUES a besoin de renforcer son équipe de permanents bénévoles • Vous êtes retraité depuis peu, seul ou en couple ou • Vous souhaitez prendre un temps de congé sabbatique
Et vous avez le désir de vivre une expérience communautaire dans une des missions de la CVX. Nous serons heureux de vous rencontrer et d’envisager avec vous la possibilité de participer à la mission de Saint Hugues, avec les compétences qui sont les vôtres. La durée sera à définir ensemble.
Merci de prendre contact avec François Potin : f.potin@vicat.fr
LE CENTRE SAINT HUGUES souhaite aussi porter à la connaissance de la communauté nationale
des postes salariés en CDI qui sont à pourvoir, éventuellement dans l’esprit d’une expérience communautaire :
• ½ temps comptable • 80% secrétariat d’accueil Logement possible sur place Contact : Nathalie Arrighi : direction@st-hugues-de-biviers.org
« Voici ton Sauveur qui vient » (Isaïe 62)
Les internautes reçoivent chaque semaine un message avec : • une introduction au thème de la semaine • des indications pour la prière personnelle sur la liturgie du dimanche • des exercices pratiques • un commentaire théologique des lectures du dimanche • une œuvre d'art • de la musique ou un chant • des fonds d'écran Tout au long de la retraite, un forum interactif est accessible par un mot de passe donné aux seuls internautes : les retraitants partagent leurs questions, découvertes, joies, difficulté… Une boîte aux lettres, ouverte uniquement par les animateurs de la retraite, est à la disposition des internautes : ils peuvent y demander des conseils plus personnels ou des questions techniques, etc. Adresse du site : ndweb.orgv
Une retraite dans la vie courante proposée par la CVX à Paris, rue de la Roquette Du dimanche 6 mars 2011 au lundi 4 avril 2011 Bulletin d’inscription téléchargeable sur le site de la revue : www.viechretienne.fr
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Se former
Il est facile de prier avec des psaumes pétris de bons sentiments. En revanche certains autres semblent bien peu évangéliques.
S
Se glisser dans les mots des psaumes, dans la prière qui a porté des générations d’hommes et de femmes, dans la prière même de Jésus, voilà une belle aventure ! Mais beaucoup échouent sur la grève quand il s’agit de prendre la vague des mots de colère, de vengeance, la vague des images guerrières et meurtrières. Et pourtant !
Prier avec les psaumes c’est prier avec la vérité de notre être
1 Lydie Lang est religieuse du Cénacle à Marseille. Formatrice, elle est également animatrice et accompagnatrice de retraites, spécialement dans les centres spirituels des Sœurs du Cénacle.
Dieu ne serait-il pas capable de les entendre ?
Et nous savons, en Jésus-Christ, quelle est la réponse de Dieu…
Faut-il se présenter à Dieu seulement avec de nobles sentiments ?
S’en remettre à la justice de Dieu c’est faire le chemin qui conduit au pardon.
Oser ces mots peut devenir une expérience de libération Comme le psalmiste ose crier vengeance, oser la vérité de nos sentiments de haine, c’est s’offrir à la libération. Ces mots peuvent nous permettre de laisser venir au jour ce qui nous étouffe peut-être, ce qui gît dans un silence de mort.
Les psaumes sont porteurs de tous les sentiments qui nous habitent : joie, paix, douleur, angoisse, colère, désirs de vengeance, de meurtre.
Alors les cris pourront faire place à un silence de Vie.
Qui peut dire que ces désirs n’ont pas envahi son cœur un jour où l’autre ?
Demander à Dieu la mort de nos ennemis, c’est remettre leur sort entre ses mains.
Alors pourquoi ne pas venir à Dieu avec ces cris ?
C’est éviter de faire justice nousmêmes.
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Oser ces mots c’est laisser Dieu conduire nos vies
« Père pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » Luc.23, 34. Long chemin pour nos cœurs qui doit passer par des cris.
Oser ces mots c’est s’ouvrir à la souffrance du monde Si la couleur de nos sentiments n’est pas rouge sang, ces mots peuvent élargir notre prière à la dimension du monde. Combien de cris se heurtent aux murs de silence ? Combien de victimes attendent réparation pour commencer leur deuil ? Combien d’hommes et de femmes sont pris dans l’engrenage de la violence, de la haine, de la folie meurtrière ?
Ils nous mettent au cœur du combat pour la justice.
Oser ces mots c’est accepter de vivre dangereusement
Dieu ne peut nous répondre qu’en nous invitant à trouver notre juste place dans ce combat.
Ces cris sont dangereux…
Oser ces mots c’est oser la vie
Ils nous obligent à faire la vérité.
N’ayons pas peur,
Dieu ne peut nous répondre qu’en nous mettant sur le chemin de la réconciliation.
Ces mots sont entendus par Dieu et sa réponse ouvre des chemins de vie !
Ces cris sont dangereux…
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Lydie LANG1
Quelques citations de psaumes Ps 138, 20 -22 Tes adversaires profanent ton nom : ils le prononcent pour détruire. Comment ne pas haïr tes ennemis, Seigneur, ne pas avoir en dégoût tes assaillants ? Je les hais d'une haine parfaite, je les tiens pour mes propres ennemis.
Joseph Gelineau et Didier Rimaud, tous deux jésuites, ont puisé en grande partie leur inspiration dans les Psaumes. On lira avec intérêt les articles qui leur sont consacrés sur le site jesuites.com, notamment l’article www.jesuites.com/actu/2010/tibhirine.htm, même s’il n’est pas directement lié au contenu de notre article.
© Deloche Lissac / Godong
Des psaumes difficiles à entendre
Avec les psaumes nous pouvons crier avec eux, crier à leur place.
Ps 139, 10 -12 Sur la tête de ceux qui m'encerclent, que retombe le poids de leurs injures ! Que des braises pleuvent sur eux ! Qu'ils soient jetés à la fosse et jamais ne se relèvent ! L'insulteur ne tiendra pas sur la terre : le violent, le mauvais, sera traqué à mort. Ps 140, 9-10 Garde-moi du filet qui m'est tendu, des embûches qu'ont dressées les malfaisants. Les impies tomberont dans leur piège ; seul, moi, je passerai. Novembre 2010 21
Se former
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Notre accompagnateur parle peu (1ére partie)
Dans nos rencontres de communautés locales, l’accompagnateur est assez silencieux. Il partage la prière avec nous, puis il intervient assez brièvement soit au moment de l’échange, soit à l’évaluation ; c’est tout. Pourquoi ne dit-il rien de sa propre vie pendant nos réunions ?
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Notre accompagnateur cherche à repérer Dieu dans nos paroles et dans nos silences. Il est occupé à écouter et comment écouter mieux qu’en se taisant ? Le fait de savoir qu’il va se taire le rend plus disponible. Son écoute est moins « réactive » si elle n’est pas encombrée de ce qu’il pourrait dire de sa propre vie.
mieux écouter, mieux sentir Quand on écoute, il est humain de mettre en relation ce qu’on entend avec ce qu’on vit et d’avoir envie de réagir : « moi aussi, j’ai… » ou « moi aussi, je suis… » L’accompagnateur sait qu’il ne dira pas que « lui aussi il… », et ainsi libéré par le silence qui lui est recommandé, il est plus ouvert à ce qui se dit de Dieu et de la communauté. L’accompagnateur de communauté locale est à l’écoute de chacun, mais sa mission étant d’accompagner le groupe, il lui faut entendre aussi ce qui n’est pas dit, sentir le climat, repérer ap22 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 8
pels, résistances, conversions… Or il a besoin, pour cela d’un peu de recul, lequel recul est plus facile s’il ne prend pas part au partage. Par contre, si c’est la volonté du Seigneur, se mettant humblement à son service, et grâce à sa position un peu extérieure au groupe, l’accompagnateur peut repérer plus facilement où Dieu se fait voir dans nos partages et nos échanges.
une place à part Quelque chose nous dépasse dans cette présence silencieuse. Certaines communautés locales sont privées d’accompagnateur pendant un temps et peuvent témoigner combien ce vide est lourd s’il dure. Sans aller jusque-là, nous avons peut-être expérimenté un jour une réunion sans notre accompagnateur. Regardons de près : ce n’est pas les mots qu’il dit qui nous manquent ce jour-là (même si nous les apprécions !), ni sa figure (nous fut-elle sympathique !)… c’est autre chose que nous avons du mal à nommer !
Sa place est un peu spéciale : il ne fait pas partie de la communauté locale (même si sa personnalité la colore…). S’il prenait part au partage de vie, il entrerait de fait dans la communauté locale. En ne partageant pas au premier tour, il peut être ce tiers qui décentre notre communauté d’elle-même et matérialise une dimension qui la dépasse et d’ailleurs, sa propre présence silencieuse le dépasse lui aussi. L’accompagnateur est pour notre équipe une oreille attentive qui se tait près de nous au nom de Dieu. Il est ce compagnon, qui, cherchant humblement à imiter Jésus sur le chemin d’Emmaüs écoute ses amis raconter comment ils ont compris les événements récents de leur vie. Il nous fait la douceur de cheminer avec nous en silence de la part de Dieu. Laissons Dieu prendre soin de nous à travers ce silence…
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Hélène CASTAING
Novembre 2010 23
Se former
Chaque été, des membres de la communauté se mettent au service des autres, en animant session ou retraite. Parmi eux, Nicole Collombier a accompagné des retraites ; Cuc Ngo a animé la session des accompagnateurs de communauté locale et Philippe Brodiez le parcours des enfants durant la retraite pour les familles. Tous trois disent quel profit ils ont tiré de ce service, pour eux-mêmes.
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Nicole : Cet été, j’ai été appelée pour accompagner une retraite selon les Exercices. Ce n’était pas la première retraite que j’accompagnais, mais cet été, j’ai vécu cette rencontre comme une grâce pour moi, accompagnatrice. Oui le Seigneur était à l’œuvre en chacun des retraitants et en chacun différemment. D’une façon toujours nouvelle Il leur parlait au cœur. Cette personne arrivée avec tant de soucis, tant de douleurs, tant de larmes, qui pendant 3 jours fidèlement priait, suppliait, remettait ses inquiétudes et son chagrin au Seigneur et qui au troisième jour, lors de la contemplation de la Visitation, basculait dans la joie donnée par Dieu. Oui « ceux qui sèment dans les larmes moissonnent en chantant ». Et elle chantait vraiment, elle ne pouvait s’empêcher de chanter. J’étais témoin de ce retournement que rien n’expliquait sinon
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la grâce de Dieu. Ce qui arrivait n’était pas le fruit d’une mise en condition, d’une prise en charge psychologique, mais de la tendresse infinie du Seigneur pour son enfant bien aimée. Et moi, avec toutes mes faiblesses et mes imperfections, il m’était donné, avec une joie profonde, de le voir à l’œuvre dans le retraitant et en moi-même. Je ne sortais pas indemne de l’accompagnement, mais, par grâce, le Seigneur me convertissait moi aussi. Cuc : Après la session des accompagnateurs de communauté locale, plusieurs mercis ! D’abord pour le véritable travail d’équipe. Le rythme de travail était assez soutenu mais l’ambiance était détendue, fraternelle, une grande complicité s’est instaurée entre nous. La confiance, les discussions ouvertes et bienveillantes, la relecture en équipe… ont fait de nous des
compagnons, dans le service. Ensuite merci pour la confiance des participants. Le public de la session était composé de 36 personnes au profil et à l’expérience très diversifiés. La présence de presque une dizaine de religieux, et de prêtres diocésains a constitué une des grandes richesses de la session. Ce public est venu avec un cœur large et généreux, il a manifesté une grande disponibilité et bienveillance devant nos propositions de travail. Ce dynamisme nous a beaucoup soutenus et même portés. Accompagnateurs nous-mêmes, nous avions à cœur de leur partager notre expérience. Mais lors de cette session, j’ai eu l’occasion de revisiter les textes fondateurs de la CVX, je les ai savourés. Ma profonde adhésion au projet communautaire s’est trouvée renouvelée, et j’ai éprouvé la grande joie de vivre ces motions en communion avec les participants à la session.
Philippe : Je voulais être avec des enfants ? Mes attentes ont été comblées puisque entre temps spirituels du matin et ateliers de l’après-midi en passant par les repas et les jeux d’extérieur,
nous sommes ensemble de 9h à 17h (heure à laquelle, ils retrouvent leur famille) ! J’ai beaucoup reçu d'eux : leur vitalité, leur capacité d'investissement dans les propositions de toutes natures… Durant cette semaine, je me suis mis à leur « école » de simplicité et de disponibilité au moment présent. Le dynamisme des enfants, la confiance des parents, le lien avec l’équipe qui accompagnait les adultes ont fait que ce nous avons vécu, ce n’est pas une retraite pour les parents avec des temps aménagés pour les enfants, mais deux formes de retraites qui se nourrissent l’une de l’autre. Cette expérience m’a permis d'être témoin de l'importance des liens à l'intérieur des familles ; et
j’ai le sentiment d'avoir un peu contribué, avec les autres membres de l'équipe enfants, à ce que ces liens grandissent, se renouvellent. Pour nous, avec MarieCécile, ce fut aussi une joie de vivre ce service en couple. Sur le moment on se voit peu mais cela constitue une expérience commune riche ; nous vérifions à cette occasion que nous avons du goût pour un service mené conjointement, chacun avec ses talents particuliers. Enfin ce fut pour nous une joie de participer à cette proposition de la CVX qui d'année en année semble s'enrichir et constitue une réponse ajustée aux attentes de nombreuses familles.
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Propos recueillis par Marie-Élise Courmont
© Barbara Castello / Godong
Animer, accompagner
Après la session, j’ai rejoint d’autres compagnons pour randonner en montagne. Ensemble, nous avons cheminé, grimpé vers des sommets, transpiré parfois, contemplé les splendeurs de la nature. Mais déjà dans la plaine du Hautmont, j’avais goûté à la joie du compagnonnage, de l’effort partagé, contemplé l’œuvre de l’Esprit en chacun de nous. J’en suis repartie avec un plus grand amour de la communauté, un désir renouvelé de la servir, convaincue que pour moi, suivre Jésus-Christ passe par cette voie-là.
Les enfants, une école de simplicité et de disponibilité.
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Le livre d’Isaïe
© Henri Gaud / CIRIC
Se former
(1ére partie)
Après Amos et Michée, partons à la découverte d’Isaïe dont les paroles vont être lues dans nos célébrations au long des mois qui viennent.
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S
Le temps de l’Exil à Babylone : de 587 à 539
Sous le nom d’Isaïe (ou Esaïe) se trouve réuni un ensemble de 66 chapitres qui ne sont pas tous de la même période. La pluralité d’auteurs n’empêche pas cependant de parler de l’unité du livre, comme si chaque auteur prenant la plume à son tour, mettait ses pas dans ceux qui le précèdent, pour interpréter l’histoire de la même façon croyante et spirituelle, et reprendre à son compte leurs thèmes privilégiés. L’ouvrage est le recueil de prophéties le plus utilisé par le Nouveau Testament. La durée totale de l’histoire parcourue par l’ensemble de l’œuvre se présente selon trois périodes dont la partie centrale est celle de l’Exil. Isaïe ou ses disciples y font œuvre de prophètes « avant l’Exil », « à la fin de l’Exil » et « au retour de l’Exil ». Selon la plupart des commentateurs, ces trois périodes correspondent en général aux trois parties du livre publié sous le nom d’Isaïe.
Sauf les chapitres 13-14, 34-35 qui appartiendraient à la deuxième période, et 24-27 postérieurs au 5e siècle. 1
• Les chapitres 1 à 391, attribué au prophète Isaïe, datant de la période avant l’Exil (entre 740 et 700). • Les chapitre 40 à 55, appelé le Deu-
26 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 8
téro-Isaïe, ou « livre de la consolation d’Israël », datant de la fin de l’Exil2 (entre 550 et 539). • Les chapitres 56 à 66, appelé le Trito-Isaïe, datant du retour de l’Exil (entre 537 et 520).
Une situation complexe La première partie a pour auteur principal le personnage nommé Isaïe (Esaïe), nom qui signifie « Yhwh sauve », prophète du royaume de Juda, qui prêche depuis l’année de la mort du roi Ozias, sous les rois Jotham (740736), Achaz (736-716) et Ezechias (716-687). Isaïe entre en scène en plein milieu de l’institution. Sa vie a trois centres qui n’en font qu’un à ses yeux : la cité de Jérusalem, le Temple, la dynastie royale. Grand poète, politique averti, mais avant tout prophète, il exerce une grosse influence en son temps. La situation politique est alors complexe. Le royaume de Jérusalem et celui de Samarie sont tous deux prospères, mais la menace vient de l’Assyrie. Vers 734 les rois de Damas et de Samarie veulent
Quelques ouvrages de référence Nous ne mettrons pas toujours les guillemets pour les emprunts faits auprès de différents commentateurs : • Les introductions de la TOB ou de la Bible de Jérusalem. • Cahiers Évangile N° 23 et 142. • Dictionnaire du Nouveau Testament. Xavier Léon-Dufour. Seuil, 1975. • Pour lire l’Ancien Testament, Étienne Charpentier. Cerf, 1980. • Cinquante portraits bibliques. Paul Beauchamp. Seuil, 2000. • Le Livre d’Isaïe ou l’histoire au prisme de la prophétie. AnneMarie Pelletier. Cerf- Médiaspaul, coll. « Lire la Bible », N° 151, 2008.
faire entrer de force Jérusalem dans une coalition contre l’Assyrie. La menace assyrienne se précise ; elle aboutit à la campagne de Sennachérib (701) qui ne prit pas la ville mais qui imposa un tribut au royaume vassalisé. C’est dans cette situation complexe que se situent les principaux oracles du prophète Isaïe.
Statue du prophète. Église de Donzy
La vocation d’Isaïe Le récit de la vocation d’Isaïe (chapitre 6) donne la clef de son message. Venant au Temple, il fait l’expérience de sa situation de pécheur et de la présence purifiante de Dieu. Dieu sera pour lui le Saint, et il sera le Saint d’Israël son peuple. Cette sainteté de Dieu est « jalouse », elle ne tolère pas que l’Alliance soit partagée avec les idoles, pas plus sur le plan religieux que sur le plan politique. Dieu, le Seigneur est le Saint (Isaïe
5,19-6,3), le grand Roi (Isaïe. 6,5), l’Unique (Isaïe 2,12-17), le Juste (Isaïe 7,19 et 3,12), Bienveillant (Isaïe 8, 18). Et il n’est pas étonnant d’entendre le prophète rappeler au peuple à tant de reprises la grandeur de Dieu face à sa petitesse de créature (Isaïe 6,5) car il est chargé par Dieu de porter la parole divine au peuple endurci. Comme tous les prophètes, il sait que Dieu s’intéresse aux affaires humaines. Il dénonce ainsi les abus sociaux des riches
de sa communauté, la corruption des juges, le luxe et l’oisiveté de la noblesse (Isaïe 5,8 ; 3,16 ; 5,11-23 ; 10,1 ; 3,12). On a pu avec raison résumer le message de cet Isaïe par ces mots qu’il adressait au roi Achaz alors que celui-ci était pris de panique en apprenant que les troupes de Damas et d’Israël étaient aux portes de son Royaume. Après avoir exhorté le roi à la sérénité et au calme, et lui avoir annoncé que « ces deux bouts de tisons fumants » seraient écrasés, le prophète conclut de la part de son Dieu : « Mais si vous ne tenez à moi, vous ne tiendrez pas » (Isaïe 7, 9b)3. Tout est dit. Ainsi que l’a écrit Paul Beauchamp, le personnage nommé Isaïe est habité d’une grande « puissance créatrice » qui « rejaillit à travers d’autres que lui pendant plusieurs siècles. On mêla leurs écrits aux siens. On voulut joindre à ses oracles ceux qui concernaient le retour d’exil comme si Dieu lui avait non seulement montré l’avènement du roi perse Cyrus, mais dévoilé même son nom, en s’y prenant deux siècles à l’avance »4.
Le serviteur de Dieu L’auteur principal du deuxième ensemble (40-55) ou « livre de la consolation d’Israël » n’a pas de nom. Disciple d’Isaïe, il est seulement « la Voix qui crie ». Prophète à la fin du temps de l’Exil son message clame à ceux qui ont tout perdu que Dieu peut encore, comme au temps de l’Exode, les libérer.
On peut remarquer que pour autant, le prophète n’invite jamais ses auditeurs à la passivité. Il n’aurait pas désavoué la « Règle d’or » paradoxale parfois attribuée à st Ignace : «Mets ta confiance en Dieu comme si tout dépendait de toi et non de lui, et livre-toi à l'action comme si tout dépendait de lui et non de toi ». 3
4 Cinquante portraits bibliques. Paul Beauchamp. Seuil, 2000, p. 181-182.
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© Pascal Deloche / Godong
! On trouve les références de ces correspondances in Étienne Charpentier op.cit. p 77.
de l’étranger, l’idolâtrie menace, l’espérance est atteinte… À tous le prophète essaie de communiquer son enthousiasme. Le livre actuel se présente comme une parabole où les textes se correspondent deux à deux autour d’un centre, le chapitre 615 : rempli de l’Esprit de Dieu, le messie réconforte et libère ceux qui sont opprimés. Il nous reste à relire ce chapitre du prophète Isaïe et à entendre Jésus le proclamer (Luc 4, 16-21) et à le contempler tandis qu’il l’accomplit dans sa vie.
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Le prophète proclame que ceux qui ont tout perdu seront libérés
Au cours de son message, l’auteur emploie vingt et une fois le mot « serviteur », et ce mot ne désigne pas toujours la même chose. Une seule fois il est au pluriel (54,17), une fois au sens péjoratif d’esclave (49,7) et dix-neuf au sens avantageux de serviteur de Dieu. Qui est donc ce serviteur ? C’est parfois Israël dans son ensemble (chapitres 41 à 48), ce peuple qui a été libéré de la servitude des Égyptiens et est entré dans la dépendance et l’intimité du Seigneur. Le mot désigne aussi parfois Israël en son élite, ceux qui écoutent la Parole de Dieu, le « reste » (49,3 ; 46,3). Ce même mot peut désigner encore le prophète lui-même, ce disciple sans nom d’Isaïe auteur de cette seconde partie. Enfin le serviteur Cyrus : le roi perse est bien lui aussi un serviteur de Dieu, celui qui fait réussir le projet du Seigneur. Quatre pièces lyriques sont enclavées dans le livre, les « chants du Serviteur de Yhwh ». 28 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 8
Reconstruire une communauté Le troisième ensemble (56-66) appartient à une époque plus tardive encore, post-exilique. L’auteur est aussi le rédacteur final et l’architecte qui créa la grande synthèse intégrant la méditation des auteurs précédents. Les exilés sont rentrés au pays. On se réinstalle pauvrement. On a posé les fondations du Temple mais en raison des difficultés intérieures et extérieures, on a interrompu les travaux ; il a fallu se contenter de rétablir l’autel, pour y reprendre un culte sommaire. La tâche de reconstituer une communauté est difficile car les gens sont désunis. Comment construire une communauté avec des gens si différents : juifs restés au pays, juifs revenus d’exil, étrangers installés entre-temps, juifs de la diaspora qui attendent de revenir… ? La division ou la haine s’infiltre et le mépris
À suivre… Marie-Amélie LE BOURGEOIS
Pour goûter le prophète Isaïe au temps de l’Avent Le temps de l’Avent peut être une occasion pour le chrétien de relire ces oracles, de les resituer, à l’aide des notes de sa Bible, dans leur contexte historique ; de considérer ensuite leur postérité dans le Nouveau Testament ; enfin de les goûter dans la Liturgie de ce temps ou dans une œuvre musicale comme « Le Messie » de Haendel… À travers les oracles du prophète Esaïe adressés au temps des rois Achaz et Ezechias, les premières communautés ont vu comme la description du Messie à venir. • Le signe de l’Emmanuel (chapitre 7, verset 14). • L’aube d’un règne de paix (chapitre 9, versets 1-2 et 5-6). • Un nouveau David (chapitre 11, versets 1-5).
Servir
Dieu s’est fait homme. Cette réalité a beaucoup compté dans la vie de saint Ignace, à tel point qu’il y consacre plusieurs contemplations dans les Exercices spirituels. En s’incarnant, Dieu en Jésus-Christ se fait serviteur. En acceptant l’annonce de l’Ange, Marie se fait servante. Dans l’ouvrage essentiel qu’il écrivait en 1990 et qui vient d’être réédité, le P. Jean-Claude Dhôtel proposait à la réflexion des lecteurs cette attitude évangélique fondamentale. Nous vous en livrons ici quelques « bonnes feuilles ».
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Celui qui sert est serviteur. C’est l’évidence, et pourtant, quel écart entre les mots ! Ceux de service et servir sonnent bien à nos oreilles. En revanche, serviteur et servante ne rendent pas le même son parce qu’ils évoquent de sujétion humiliante. D’autant que, si chacun est prêt à reconnaître que le serviteur n’est pas plus grand que son maître, Jésus va plus loin : « Si quelqu’un veut être grand parmi vous, qu’il soit votre serviteur. Et si quelqu’un veut être le premier parmi vous, qu’il soit l’esclave de tous. Car le fils de l’Homme n’est pas venu pour être servi mais pour servir. » (Marc 10, 44-45). Le serviteur disciple du Christ se met au-dessous de tous. Pourquoi donc mesurons-nous un tel écart ? C’est que l’esprit mondain se glisse facilement dans le désir de servir. Le service de l’État et celui de l’Église sont aussi des moyens de faire carrière. Plus subtilement, si la vie professionnelle est souvent dévalorisante, il arrive que des chrétiens trouvent dans le service bénévole un lieu compensatoire pour exercer leur
domination sur les autres et pour déployer leur volonté de puissance brimée ailleurs. Par transition souvent inconsciente, on passe du désir du servir à la volonté de se servir…
Dans la condition du serviteur C’est pourquoi, au long des Exercices, Ignace nous reconduit à la figure du serviteur, incarnée en Jésus Christ, que saint Paul a transcrite en termes inoubliables : « Lui qui est de condition divine ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu ; mais il s’est anéanti, prenant la condition du serviteur… Il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix » (Philippiens 2,6-8). Les amoureux du Christ, dans la tradition spirituelle, n’ont voulu retenir que cette image du Serviteur souffrant, pauvre et humilié. Et les contemplations évangéliques proposées par Ignace sont scandées par cette étonnante prière qui exprime le désir de devenir conforme à ce Christlà, jusqu’au choix délibéré « de
la pauvreté avec le Christ pauvre plutôt que de la richesse, des opprobres avec le Christ couvert d’opprobres plutôt que des honneurs » et au désir d’« être tenu pour insensé et fou pour le Christ qui, le premier, a été tenu pour tel, plutôt que sage et prudent dans le monde » (ES 167).
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est le modèle de l’offrande généreuse et réfléchie pour le service du dessein de Dieu : « Je suis la servante du Seigneur. Que tout se passe pour moi comme tu l’as dit » (Luc 1,38). Dans le même esprit, les compagnons de Paris choisiront la fête du 15 août pour se rendre à Montmartre et y prononcer le vœu qui les unit dans le désir de suivre le Christ et d’annoncer l’Évangile en toute pauvreté. C’est bien vers la Vierge de l’Annonciation que se porte la dévotion ignatienne, dans la perspective du service : Marie « comblée de grâce » parce qu’elle est dépossédée d’elle-même en toute pauvreté, totalement disponible à ce qui adviendra parce qu’elle se veut humblement servante du Seigneur.
Consciemment et joyeusement disponibles.
Il est évident qu’une pareille détermination n’est pas imposée par une loi extérieure. Elle est le fruit d’un regard patient et amoureux. La question n’est pas « d’y arriver », comme on dit, mais de se laisser saisir. Extraits de La spiritualité ignatienne 100 pages – 12 € Voir bon de commande dans l'encart broché en page 2.
De la même façon, la pauvreté ignatienne n’a rien d’ostentatoire. Par rapport aux biens matériels, on désire être libre de toute convoitise et fascination des richesses, on choisit un style de vie simple et sobre, on apprend à donner et à recevoir avec une égale allégresse. Par rapport aux biens de l’esprit, on agit avec compétence et efficacité, mais en excluant les manœuvres de ceux qui « se poussent » en écrasant
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les autres. Quant au désir des humiliations, s’il procédait d’une tendance morbide, il n’aurait rien d’évangélique. Elles ne sont pas désirées pour elles-mêmes, mais parce que le Christ les a assumées comme le vrai pauvre, celui qui, dans la Bible comme dans notre société, est tenu pour rien. Joyeusement acceptées, elles conduisent au vrai désintéressement et à la véritable humilité de celui qui est heureux d’être à sa place sous le regard de Dieu.
L'exemple de Marie Ici se présente, dans la spiritualité ignatienne, la figure privilégiée de Marie, « servante du Seigneur ». La place qu’elle a tenue dans la
vie d’Ignace se retrouve dans les Exercices : une dévotion discrète, mais efficace. Au début de sa conversion, l’image de Notre-Dame s’est substituée à celle d’une dame de sang royal dont il rêvait d’être le chevalier servant : sa dévotion s’inscrivait alors dans le contexte culturel et religieux du Moyen Âge. Plus tard, lorsqu’il fait sa veillée d’armes devant la Vierge noire de l’abbaye de Montserrat, il associe, Marie, mère du Christ, à l’offrande proposée dans les Exercices : « Éternel Seigneur de toutes choses, je fais mon offrande, avec ta faveur et ton aide, en présence de ta bonté infinie et en présence de ta Mère glorieuse et tous les saints et saintes de la cour céleste » (ES 98). Marie
Dans la contemplation de l’Incarnation, nous sommes invités à regarder ce que fait Notre-Dame : « Elle s’humilie (littéralement : « elle fait une génuflexion ») et elle rend grâce à la divine Majesté » (ES 108). C’est-à-dire : elle attend tout de Dieu dans la disponibilité de la servante et elle rapporte à Dieu ce qui lui arrive en chantant son Magnificat.
n’est pas propriétaire du service qu’il rend. C’est aussi demeurer à sa place, ni plus haut, ni plus bas, là où on a été institué, en toute humilité. C’est enfin rester libre par rapport à toute convoitise d’avoir et de pouvoir, afin d’être à tout instant prêt à être envoyé. S’adressant à des compagnons jésuites, leur supérieur générale, le P. Arrupe écrivait ces lignes dont tous les ignatiens peuvent tirer profit : « Comment savoir sans équivoque si nous sommes réellement des hommes ayant atteint leur maturité et unité intérieure, pour qui toute expérience de Dieu se traduit en action envers leur prochain et chez qui toute action en faveur du prochain leur révèle le Père et les attache à lui avec plus d’amour et plus d’intensité dans leur engagement ? Il existe un moyen de le reconnaître, auquel saint Ignace nous renvoie souvent : nous demander
si nous demeurons consciemment et joyeusement disponibles c’està-dire des hommes qui veulent être envoyés… Des périodes de véritable révolution culturelle, comme celle de saint Ignace et la nôtre, ont besoin de communautés disponibles et d’hommes dont l’intégration personnelle soit sans porte-àfaux et ne tolère pas la moindre fissure d’égoïsme. » Jean-Claude Dhôtel sj
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Lectures suggérées Isaïe 52,13 – 53, 12 : Le serviteur souffrant. Philippiens 2,6-11 : « Prenant la condition du serviteur… » Luc 1,26-56 : La servante du Seigneur. Luc 12,35-48 : « Heureux le serviteur… » Droits réservés
© P. Razzo / CIRIC
!
Libres et disponibles En définitive, c’est la disponibilité qui caractérise l’esprit du service et du serviteur. Être disponible, c’est se tenir prêt à recevoir sa mission d’un autre, comme à être « démissionné » pour aller ailleurs, sans rancœur et sans s’accrocher, dans la plus grande pauvreté d’esprit. Car le serviteur
Le lavement des pieds. Mosaïque. Marko Ivan Rupnik sj. Chapelle Redemptoris Mater, Rome
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Ensemble faire Communauté
Nevers : quels fruits pour la Communauté ?
gences apostoliques auxquelles toute l’Église est confrontée, et pas seulement les membres de la CVX ! Unicité de la mission de l’Église envoyée dans le monde dans une pauvreté joyeuse, porteuse d’une parole de paix pour tous. Mission à laquelle la Communauté participe, selon son charisme, sa spécificité, ses forces.
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Chacun a été marqué par la qualité évangélique de l’accueil des Neversois et de leur Église, la transformation d’un simple hangar en lieu de beauté et de fraternité, le style de vie simple vécu de bout en bout. Déplacements provoqués par les forums, force des temps de prière. Envols des ballons, hymne du congrès avec son « amen, oui, amen, alléluia, levons-nous à l’appel du Seigneur », présence des enfants. Je garde aussi au cœur la douceur de la messe de Pentecôte ainsi que la longue prière finale de bénédiction et d’envoi mutuels. Je n’oublierai pas non plus comment tous les membres de Nevers ont servi avec une générosité formidable, y compris ceux qui étaient récemment entrés dans la CVX. J’avais été interrogé par le travail colossal que représentait la préparation, afin de mettre en mouvement la Communauté tout entière, travail effectué par des femmes et des hommes de bonne volonté et à qui il était demandé beaucoup : comment appeler et avancer de façon plus juste, pour
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éviter que le service n’écrase à certaines heures ? La fragilité de la Communauté se perçoit dans ces moments, même si, à l’arrivée, les fruits sont grands. Je ne reviens pas sur ces fruits magnifiques, déjà partagés dans les communautés locales et la revue.
Des mutations profondes Je propose plutôt de déplacer notre regard : et si les fruits du congrès étaient aussi à chercher dans la parole que le congrès de Nevers constitue pour la Communauté, dans ce qu’il dit du point où en est la Communauté ? Le congrès est en effet un révélateur des mutations profondes que traverse la CVX. C’est sur ce point que je voudrais revenir : que nous révèle le Congrès sur la Communauté ? sur ses avancées, ses hésitations, les passages qu’elle est en train d’accomplir ? que dit-il de nous, de ce que nous devenons ? Comme assistant national, je voudrais notamment revenir sur le temps de parole et d’envoi du lundi matin. Certains se sont
réjoui qu’une équipe service nationale donne des orientations, d’autres s’en sont étonnés. C’est le reflet d’une évolution de fond qui émerge progressivement. Ces orientations, à vrai dire, ne sont pas ceux de l’équipe nationale comme telle : elle les a reçues des équipes précédentes, creusant en solidarité avec elles un peu plus profondément le sillon entrepris. C’est que les responsables successifs se tiennent dans la contemplation de la Communauté et de ses besoins, dans l’écoute des appels que le Seigneur de la vie lui fait entendre. Comment alors faire partager à tous ces appels à vivre davantage, recueillis dans la prière et la réflexion ? À partir des questions que nous renvoyaient celles et ceux qui préparaient le congrès, une parole nous est progressivement venue, parole une et plurielle, parole de Pentecôte, à six voix. Chacun disait dans ses mots à lui ce que les autres portaient ! Nous avions partagé longuement quelques jours plus tôt, à l’Ascension, pour que ce soit bien notre parole.
© Corinne Simon / CIRIC
Avec quelques mois de recul, quel regard portons-nous sur le congrès et le grand souffle de Nevers ?
Christ semeur, peinture murale, cathédrale orthodoxe de Sibiù, Roumanie.
Avancer avec audace Depuis plusieurs mois, nous pressentions qu’il fallait inviter les membres de la Communauté à faire des pas de plus vers un corps apostolique, tel que l’assemblée mondiale de Fátima l’avait esquissé : expérience de la Parole qui circule au sein des communautés locales et sur le chemin des Exercices ; nouveauté de toutes les démarches d’engagement en cours ; sens de la réforme de la gouvernance qui a absorbé tant d’énergies ces trois dernières années, en vue d’une CVX plus communautaire, plus apostolique, mieux insérée ecclésialement ; avancées dans l’ouverture au monde ; joie d’une attention plus grande aux jeunes ; sensibilité neuve à la communauté mondiale et à ses appels. Tous
ces pas esquissés sont comme une parole révélatrice sur la Communauté. Allons-nous ensemble, dans les temps qui viennent, les poser fermement, pour continuer à avancer vers un corps apostolique de laïcs ? Les forums auront souvent été une belle parabole en actes de ce que nous cherchons : nous laisser déplacer, en œuvrant avec d’autres dans l’Église et la société, souvent en appui sur nos ateliers, pour mieux comprendre les appels de l’Esprit. Ce que nous avons pressenti d’une autre manière de vivre l’Église s’est ainsi incarné et vérifié, dans la communion à l’évêque de Nevers et à tant de chrétiens de la Nièvre. Non seulement ils nous ont donné l’hospitalité (bien audelà des paroisses), mais ils ont aussi débattu avec nous des ur-
Le semeur est sorti pour semer… Nous n’avons pas fini de contempler ensemble ce que Dieu a réalisé à Nevers, pour notre joie et la venue du Royaume. Afin d’œuvrer avec davantage de détermination et d’audace.
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Paul Legavre sj Assistant national • « Le semeur sort semer. Or, tandis qu’il sème, il en tombe sur le chemin… Et d’autre tombe sur la pierraille, les épines… D’autres tombent dans la belle terre et donnent du fruit. » • Lire tranquillement Marc 4. • Demander l’Esprit. • Considérer le congrès, me remémorer les personnes rencontrées, les paroles entendues, les gestes posés. • Quelle parole a été semée au cours du congrès ? • À Nevers, qu’est-ce que j’ai perçu de ce que Dieu réalise dans et par la Communauté ? • Qu’est-ce qui m’a surpris, réjoui, gêné, déplacé ? • Le confier à Dieu. • Lui confier la Communauté de Vie Chrétienne et son devenir.
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Ensemble faire Communauté
La réforme de la gouvernance vue des régions
communication n’atteint jamais l’ensemble de la communauté). • En demandant le soutien par la prière de cette Commission gouvernance dans les moments où la situation était plus confuse. • En annonçant les bonnes nouvelles : par exemple, naissance puis vote du très beau texte qui a fait avancer le processus.
La mise œuvre de la réforme de la gouvernance, qui jusqu’à présent n’existait que sur le papier, a commencé dans les régions. Une responsable d’une région actuelle et un responsable d’une grande région naissante témoignent de ce qui se vit sur le terrain. L’actuelle région Anjou-Maine, qui regroupe les départements de la Sarthe, de la Mayenne et du Maine-et-Loire, appartient désormais à la grande région du NordOuest. Un niveau de plus diront certains. Comment expliquer les enjeux de la réforme aux communautés locales ?
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Réforme résonne comme un mot de la sphère politique, gouvernance comme celui de l’entreprise. Comment faire adhérer à ce projet ? En ESR, nous avons fait le choix de la pédagogie des petits pas, avec bon sens et réalisme en partant du diagnostic établi par la Commission gouvernance. Comment ? • D’abord en expliquant les en34 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 8
© Corinne Mercier / CIRIC
Des grandes régions non pour découper un peu plus la Communauté, mais pour relier davantage les membres.
jeux, les motivations de la réforme, l’intérêt pour la communauté, le « davantage » à en attendre. Cela par petites touches, avec nos petits moyens : quelques minutes pendant la journée de rentrée, le week-end régional, un article dans
le CVX Info régional en mettant en évidence nos points forts : des noms et des visages puisque deux membres de la Commission gouvernance appartiennent à notre région. Cela donne chair au projet ! (en étant conscient que notre
configuration : deux petites communautés régionales à la place de la région actuelle.
• En mutualisant déjà nos moyens : par exemple, week-end « Y voir clair » ouvert à la Grande Région Nord-Ouest.
Aujourd’hui, nous manquons de marqueurs pour faire la part du scepticisme et de la confiance mais les Normes particulières sont là pour permettre le « petit pas » possible demain.
• En proposant assez vite des exemples de ce que pourrait être, pour notre région, la nouvelle
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Françoise REYNIER
En Rhône-Alpes, une aventure qui prend son temps
En Anjou-Maine, la pédagogie des petits pas
Parmi les chantiers de l’Équipe Service Régionale, la réforme de la gouvernance est un défi : il s’agit de faire en sorte que chaque membre de la communauté se sente concerné. En effet, comment parler de gouvernance aux membres des communautés locales, alors que les mots qu’ils désirent entendre dans la CVX sont écoute, exercices, prière, relecture, compagnonnage ?
• En informant sur le regroupement en grande région avec les noms de notre binôme.
Michel Sibille est responsable d’une des nouvelles « grandes régions » : la région du Grand-Sud-Est. Voici ce qu’il écrivait le 15 septembre dernier, avant la réunion qui a réuni les responsables et accompagnateurs des grandes régions et l’ESN.
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Les récentes décisions autour de la gouvernance sont pour moi réjouissantes (je n’ai pas écrit parfaites). Il y avait un vrai besoin face à la progression numérique, à la croissance « communautaire » et aux engagements de notre « corps apostolique » - par ex. St Hugues de Biviers, 17 ans d’incarnation apostolique avec… des centaines de CVX au service, ensemble. Ainsi à l’appel de l’Équipe Service Nationale (ESN) à contribuer à ces nouveautés, j’ai eu plaisir à dire oui. Ce qui pour moi fait sens c’est de « contribuer à la communion ». J’espère - et c’est notre travail que ces nouvelles grandes régions permettront de développer entre les différents secteurs une entraide et un soutien. J’espère aussi que les nouvelles ESGR (Équipes Services Grandes Régions), par leur actions discrètes et adaptées, contribueront à soutenir les Équipes Service Régionales (ESR) dans
l’action comme dans la peine. Je vois aussi un besoin de subsidiarité adaptée à une communauté de plus de 6 000 membres. Il est prévu dans les textes de commencer par une révision des régions actuelles pour un meilleur « regroupement » de communautés locales, c’est-à-dire 80 à 250 membres, moins d’1 h 30 de trajet – critères assez basiques, mais aussi en tenant compte du découpage des diocèses ? Il y a également d’autres critères qui me viennent à l’esprit : « désir » d’un tel regroupement, « forces vives » pour maintenir la dynamique, « capacités » à former une ESR vivante… Les cinq binômes se retrouvent dans quinze jours pour aller plus loin ensemble sur ces questions. Enfin, en plus du renouvellement des structures, ne sommes-nous pas aussi appelés à « oser » plus de vie communautaire au sein des Équipes Services – temps d’exercices spirituels en-
semble, pratique du discernement communautaire… alors cela rejaillira sur tous.
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Deux ans pour labourer des champs nouveaux : une belle aventure ! Michel SIBILLE
Cinq binômes au service de la communion Nord-Ouest
Responsable : Jean-Claude Soudée Assistant : Xavier Cadou
Île de France
Responsable : Jean Fumex Assistante : France Delescluse
Nord-Est
Responsable : Valérie Pitiot Assistante : Ghislaine de Charette
Sud-Ouest
Responsable : Daniel Dejean Assistant : Bruno Marchand
Sud-Est
Responsable : Michel Sibille Assistant : Clément Lemaignan Novembre 2010 35
Ensemble faire Communauté
Droits réservés
Petits Belges deviendront grands La Belgique est le berceau du surréalisme. Ne soyez donc pas étonnés de ce que vous lirez. Les mots reflètent une réalité étrange qui s’inscrit néanmoins dans une perspective cohérente.
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Les Belges sont des gens modestes animés d’un véritable souci pour les enjeux mondiaux, hésitant sans cesse entre l’humilité des petits et les rêves des grands.
C’est l’histoire de laïcs touchés très tôt, en âge scolaire pour la plupart, qui sont restés fidèles à leurs expériences fondatrices de prière et de partage fraternel.
Des gens habitués à la dispute et par conséquent experts en compromis.
C’est l’histoire de jésuites humbles et visionnaires qui ont voulu que la communauté gagne en maturité au rythme de ses membres.
Des gens qui se plaignent tout en étant parfaitement conscients de leur situation privilégiée. Des gens qui exigent le respect de leur langue maternelle, tandis qu’ils basculent vers la langue de l’autre à la première occasion.
La CVX a reconnu deux communautés nationales sur le territoire belge : l’une francophone et l’autre néerlandophone. 1
La province méridionale a été rebaptisée en BML et englobe la Belgique méridionale (francophone) et le Grand Duché du Luxembourg. 2
Des membres CVX totalement impliqués… sans engagement formel, contestant l’autorité par réflexe mais tellement désireux d’être séduits. Vous connaissez l’œuvre que René Magritte a sous-titrée « Ceci n’est pas une pipe »… Faites confiance aux Belges quand ils vous disent : « Ceci n’est pas une CVX ».
Tout commence à l’école C’est l’histoire d’une spiritualité partagée : des jésuites passionnés et souvent charismatiques ont transmis le message de l’Évangile grâce aux outils hérités d’Ignace.
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C’est l’histoire d’une émancipation heureuse des laïcs, qui a permis l’éclosion d’une vraie communauté et l’avènement d’un partenariat adulte avec les jésuites et les religieuses ignatiennes. Tout se tient car l’histoire de la CVX belge francophone1 est celle d’une génération. Durant les années 1960, les jésuites de la province belge méridionale2 sont très présents dans l’enseignement. Ils y constituent de nombreuses Congrégations Mariales. Au lendemain de l’adoption des Principes Généraux, les jésuites favorisent la mutation vers les Communautés de Vie Chrétienne. En 1968, un premier « rallye des jeunes » rassemble pour un weekend tous les membres CVX issus des collèges jésuites. À la même
époque, des religieuses organisent un « rallye » pour les jeunes filles de leurs écoles. Dès 1973, le « rallye » annuel devient mixte. Ces rassemblements comptent jusqu’à 700 jeunes au début des années 1980. En 1976, lors de l’Assemblée Mondiale de Manille, deux visions s’affrontent : un groupe défend une option « light », tandis qu’une autre tendance promeut la spécificité ignatienne. Ceci a un impact sur la vie de la communauté, qui se divise. L’adoption de la ligne plus expressément ignatienne provoque le départ de certains jésuites et membres. À cette époque, chaque équipe est marquée par le charisme propre de son assistant jésuite. La cohabitation est pacifique, mais les collaborations rares.
L’ouverture à la communauté mondiale En 1981 et 1982, deux sessions d’été rassemblent des jésuites, des religieuses ignatiennes et des laïcs autour de Josée Gsell, secrétaire mondiale de la CVX. Pétrie par la spiritualité ignatienne, Josée nous apportera un souffle incroyable : l’ouverture à la
Envoi en mission de l'ESN belge par les assistants et toute la communauté belge francophone rassemblée.
dimension mondiale et le début d’une prise de conscience de la responsabilité des laïcs. Les premières générations entament des études supérieures, puis s’engagent dans la vie familiale et professionnelle. À titre indicatif, au milieu des années 1980, la communauté nationale ne compte qu’un tiers de membres adultes, pour deux tiers d’étudiants.
L’âge adulte Le premier rassemblement d’adultes a lieu en 1985. C’est à cette occasion que naît le désir d’un véritable lien au niveau national. Un Conseil Général Provisoire se met en place la même année. Il est composé d’un président laïc, d’un assistant jésuite, de la pré-
sidente de la commission-jeunes et de quelques laïcs. Ce groupe n’est pas élu. Il n’a donc pas de légitimité, mais son objectif est précisément de créer un cadre pour une prise en charge de la communauté par les laïcs. En 1988, la communauté approuve son acte constitutif et le conseil provisoire cède sa place à un conseil exécutif (Conex) élu. Au moment où la communauté mondiale quitte déjà sa structure fédérative, la communauté de Belgique francophone l’adopte à peine. Pour nous, il s’agit d’une étape indispensable, formule de compromis entre l’autonomie totale des assistants jésuites et une communauté de laïcs en devenir. Progressivement, les jésuites passent de la position de « leaders »
à celles d’assistants ecclésiastiques ou d’accompagnateurs. En 1990, la communauté nationale met en place la commission formation, foyer de collaboration intense. Ce véritable lieu d’amitié a incontestablement permis de fonder une relation décomplexée entre les jésuites et les laïcs attachés à la CVX. De cette époque date l'harmonisation de la « manière de procéder » des différentes communautés locales : un de nos assistants systématise le partage de vie dans la formule dite des « trois tours ». La communauté mondiale bénéficiera de cet apport. Ceci mériterait tout un chapitre dont nous pourrions vous entretenir une autre fois.
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Ensemble faire Communauté
La communauté nationale peut lentement se décentrer du souci de sa propre pérennité. En réponse à l’appel du Père Kolvenbach, Supérieur général de la Compa-
Quelques repères objectifs • 43 communautés locales. 345 membres. • Un centre de gravité à 45 ans. Une mixité réelle (55% de femmes pour 45% d’hommes). • Une grande concentration à Bruxelles (17 équipes) et une répartition assez homogène sur le territoire wallon. • Des communautés stables, avec un turn over de 10% par an. • Les accompagnateurs : 17 jésuites, 9 religieuses ignatiennes et 8 laïcs. • Une commission formation mixte dont l’un des objectifs prioritaires est de former de nouveaux accompagnateurs laïcs. • Une structure modeste, de la taille d’une région française moyenne… avec les missions et les ambitions d’une communauté nationale. 38 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 8
gnie de Jésus, le Conex décide de fonder des « maisons CVX » destinées aux étudiants universitaires. Une commission « migrants forcés » voit le jour. Un groupe fait l’expérience du partage de la spiritualité ignatienne avec des personnes issues de milieux moins favorisés. Depuis quelques années, la communauté régionale de Bruxelles prend un accent multiculturel. En effet, de nombreux membres originaires des CVX européennes rejoignent, pour un temps, une communauté locale belge. Cela ouvre nos horizons, tandis que ceux et celles qui nous rejoignent découvrent la déclinaison belge de la pédagogie CVX. Depuis deux ans, plusieurs communautés locales ont été créées pour permettre aux membres de partager dans leur langue maternelle. La communauté mûrit, au figuré et… au propre. Nous avons perdu nos relais dans les écoles et depuis quinze ans, la communauté ne compte quasi plus que des adultes. Depuis lors, nous tentons d’articuler harmonieusement ces deux objectifs vitaux : devenir une communauté adulte et accueillir la génération suivante dont la responsabilité sera grande par rapport à la transmission de la spiritualité ignatienne. En 2005, l’adoption de nouveaux statuts ponctue symboliquement une évolution heureuse. Vingt ans après l’assemblée mondiale de Loyola, nous sommes devenus une vraie communauté. Nous demandons un nouveau bail de vingt ans pour répondre
au prochain défi que la communauté mondiale nous invite à relever : devenir une communauté apostolique.
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Amitiés de Belgique. Denis DOBBELSTEIN et les membres de l’ESN belge francophone
Les priorités apostoliques Depuis 20 ans, la CVX a pris des initiatives concrètes pour se rapprocher du monde populaire, pour être solidaire des migrants forcés, pour se mettre au service des étudiants qui cherchent des outils de discernement pour la vie qui s’ouvre à eux. Ces expériences ont été bonnes. Elles n’ont pas pour autant mobilisé toute la communauté. Les membres de la CVX sont présents partout dans la société et dans l’Église. Il est naturel d’envoyer chacun vers ses lieux d’engagement, plutôt que de rêver d’une réalité uniforme. Mais, nous sommes aussi appelés à vivre pleinement la dynamique à laquelle nous invite la communauté mondiale : discerner, envoyer, soutenir et évaluer ensemble. Osons le dire. La CVX belge est belle… et fragile à la fois. Nous manquons probablement d'un peu d’audace pour proposer une mission commune, par crainte de solliciter la communauté au-delà de ses forces. Mais nous sommes en marche : nos lieux de vie sont divers, mais notre souci pour le monde et l’Église est partagé.
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La lumière des saisons
Corine
Marcher vers Noël et la fête de l’Épiphanie me renvoie, mi-décembre, un dicton qui perce la nuit. L’hiver est là, les jours raccourcissent, la lumière se fait rare. « À la sainte Luce, les jours croissent du saut d’une puce ». Cela peut sembler dérisoire, fragile, inexistant, le ROBET saut d’une puce. C’est le 13 décembre, la sainte Luce, ou sainte Lucie. Ce dicton est également faux, voire absurde, puisqu’il n’y a pas allongement des journées, mais décalage : à cette période le soleil se lève de plus en plus tard, il se couche également plus tard. Les journées semblent donc grandir car les soirées s’allongent. Mais l’esprit s’accroche à ce saut de puce, comme si de la lumière dépendaient aussi notre moral et notre énergie, comme si sortir de l’hiver et voir la nature revivre nous permettait d’éprouver une sorte de renouveau. Les saisons nous offrent leurs variations de la lumière, dans un temps cyclique. Peut-être nous renvoient-elles aussi à une expérience mystique. Traversées de la nuit et illuminations données dans la prière, temps où le Christ est à nos côtés et temps où l’on ne sait plus, on l’est fragile et vulnérable. Mais les saisons nous renvoient aussi, dans un mouvement linéaire, aux époques de notre vie. À tout moment, dans le plus ordinaire, il y ces jeux d’ombres et de lumières auxquels nous arrêter. Et ce n’est pas parce qu’il fait nuit que la lumière est absente. Elle est en attente. Elle fait des sauts de puce et nous la suivons des yeux, le cœur en émoi. Corine ROBET
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© Corinne Simon / CIRIC
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Une communauté multiculturelle
Billet
Fête de la sainte Lucie à la paroisse suédoise de Paris
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Prier dans l'instant
© Damir Cudic / iStock
En écoutant le musicien du train C’est un train qui prend son temps… Un bon vieux Corail qui relie Lyon-Part-Dieu à Strasbourg en traversant les champs et forêts baignés d’une belle lumière de fin du mois d’août. Installé entre deux wagons, un jeune homme en jeans, tee-shirt et tongs fait monter des airs de musique qui se répandent mélodieusement dans le compartiment malgré les portes vitrées. Les contrôleurs et les passagers qui circulent le félicitent et l’encouragent mais ma voisine, calée dans son fauteuil à rayures grises et vertes, a mal à la tête et me demande quand cela va s’arrêter. Je suis bien incapable de lui répondre. Moi-même, après avoir été contrarié par ces sons subis, je m’ouvre à la beauté de la musique et du geste, et me laisse toucher par cette extériorisation d’une joie d’exister. Accueille Seigneur ce chant de vie ! Par ces notes qui te rendent grâce, aide-moi à m’émerveiller devant la vie et la joie que tu donnes à la famille humaine. Donne-moi de te reconnaître là où je ne t’attends pas. Bénis ce frère musicien ! Charles MERCIER
Nouvelle revue Vie Chrétienne – Novembre 2010