revue vie chretienne 49 - Luther, quel héritage pour nous?

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Vie chrétienne Nouvelle revue

C h e r c h e u r s

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D i e u

P r é s e n t s

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M o n d e

B I M E S T R I E L D E L A C O M M U N A U T É D E V I E C H R É T I E N N E E T D E S E S A M I S – N º 4 9 – S E P T E M B R E / O C TO B R E 2 017

Luther, quel héritage pour nous ? Servir comme Ignace Les enjeux de l'Assemblée mondiale


Sommaire

NOUVELLE REVUE VIE CHRÉTIENNE Directeur de la publication : Jean Fumex Responsable de la rédaction : Marie-Élise Courmont Rédactrice en chef adjointe : Marie-Gaëlle Guillet Comité de rédaction : Marie-Élise Courmont Jean-Luc Fabre s.j. Marie-Gaëlle Guillet Marie-Thérèse Michel Geneviève Roux Véronique Westerloppe Comité d'orientation : Nadine Croizier Marie-Claude Germain Anne Lemant Claire Maillard Étienne Taburet Fabrication : SER – 14, rue d’Assas – 75006 Paris www.ser-sa.com Photo de couverture : Vimvertigo/iStock

Prochain dossier : Vulnérables pour aimer Sortie Novembre 2017 Impression : Corlet Imprimeur, Condé-sur-Noireau

ISSN : 2104-550X 47, rue de la Roquette – 75011 Paris Les noms et adresses de nos destinataires sont communiqués à nos services internes et aux organismes liés contractuellement à la CVX sauf opposition. Les informations pourront faire l’objet d’un droit d’accès ou de rectification dans le cadre légal.

le dossier

l’air du temps Vers le synode 2018 sur « les jeunes, la foi et le discernement des vocations » Nathalie Becquart 4 chercher et trouver dieu

Luther, quel héritage pour nous ?

Témoignages Blessures et liens entre catholiques et luthériens Ken Yamamoto Marcher selon l’Esprit Nicolas Farelly Les fruits du dialogue Bernard Sesboüé s.j. et Michel Leplay se former Contempler une œuvre d’art Le Rétable de Wittenberg, Cranach l’Ancien École de prière : Vivre une prière étendue Annick Nony Expérience de Dieu : À table avec les plus pauvres Jean-Claude Speckens Lire la Bible : Moïse, promesse du Christ serviteur Anne-Claire Bolotte Spiritualité ignatienne : Un grand élan pour servir Paul Legavre s.j. Question de communauté locale : Un cap pour l’année ensemble faire communauté Une parole à méditer Accompagnateurs et responsables : des pivots pour la CL « Partir au service », envoyée par mes compagnons Prier avec ses 5 sens Une Assemblée mondiale pour sortir de soi Redémarrer la CVX Pays-Bas par les pieds En bonne Compagnie ! babillard billet Nature morte Denis Corpet prier dans l’instant Silence et agitation dans ta maison Marie-Claire Le Bever

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Retrouvez-nous sur

La revue n’est pas vendue, elle est envoyée aux membres de la Communauté de Vie Chrétienne et plus largement à ses « amis ».

CHACUN PEUT DEVENIR AMI OU PARRAINER QUELQU’UN. Il suffit pour un an de verser un don minimum de : l 25 € l 35 € si je suis hors de France Métropolitaine l Autre (50 €, 75 €, 100 €…) n Par virement : RIB 30066 10061 00020045801 60 IBAN FR76 3006 6100 6100 0200 4580 160 – BIC CMCIFRPP n Par versement en ligne sur viechretienne. fr/devenirami n Par chèque bancaire ou postal à l’ordre de Vie Chrétienne À envoyer à SER – VIE CHRÉTIENNE – 14, rue d’assas – 75006 Paris – amis@viechretienne.fr

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Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 49


Éditorial

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Servir est une des composantes de la vie chrétienne. Nous le savons bien en cette période de l’année où les activités recommencent, où nous sommes sollicités et où il nous faut faire des choix. La mission est immense. Ce numéro donne à voir quelques expériences de présence au monde, celle de la création d’un restaurant solidaire (p. 22-23), celle d’une volontaire en mission en Côte d’Ivoire (p. 33). Avec la figure de Moïse (p. 24-26), il donne aussi des repères sur ce qu’est un serviteur ; solidaire de son peuple, Moïse annonce déjà le Christ, le Serviteur par excellence. Quant à Ignace (p. 27-29), il nous enseigne aussi sur la manière de vivre le service.

© StokyoSabotanov / iStock

« chercheurs de dieu, présents au monde »1

»

Car ce service pourrait devenir activisme s’il n’est pas d’abord participation à la mission du Christ. C’est pourquoi vous trouverez aussi dans ce numéro une expérience de retraite (p. 36), des moyens concrets et créatifs pour aider à entretenir la relation au Seigneur, à intérioriser Sa Parole (p. 21 et p. 34). L’enjeu ici est de favoriser une connaissance intérieure du Christ. Rester des chercheurs de Dieu, intérioriser la foi ; en cela nous sommes héritiers de la Réforme, thème de notre dossier (p. 6-17). Creuser profond, avancer au large : deux mouvements qui s’alimentent l’un l’autre, deux mouvements à tenir ensemble. Marie-Élise Courmont

redaction@editionsviechretienne.com

1. Sous-titre de la Nouvelle Revue de Vie Chrétienne.

septembre/octobre 2017

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L'air du temps

vers le synode 2018 « les jeunes,

la foi et le discernement des vocations » Un prochain synode de l’Église universelle est annoncé pour 2018. Orienté vers le discernement et l’accompagnement de tout jeune, il les associe dès à présent à la consultation. Une façon de procéder très ignatienne, se réjouit Sr Nathalie Becquart.

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En octobre dernier, le pape François a annoncé que le prochain synode des évêques en octobre 2018 aurait pour thème « les jeunes, la foi et le discernement des vocations » afin de « de s’interroger sur la façon d’accompagner les jeunes à reconnaître et à accueillir l’appel à l’amour et à la vie en plénitude ». À travers cette marche synodale, l’Église vient mettre le focus sur les jeunes et marquer sa sollicitude envers eux. Et cette perspective suscite beaucoup de joie et d’enthousiasme en France, notamment chez les acteurs de

©  Ridofranz / iStock

Nathalie Becquart, directrice du Service national pour l’évangélisation des jeunes et pour les vocations à la Conférence des évêques de France.

la pastorale des jeunes et des vocations. En janvier a été publié par le Secrétariat général pour le synode le document préparatoire, qui a lancé la phase de consultation dans laquelle nous sommes actuellement. Ce document, appelé Lineamenta comprend trois parties. Une première avec une approche sociologique essaie de faire un état des lieux de la culture actuelle des jeunes, du monde dans lequel ils grandissent et qui les façonne, en soulignant quelques grandes caractéristiques de la jeunesse contemporaine.

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Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 49

La deuxième partie, plus spirituelle et théologique, décrit de manière très pédagogique ce qu’est le processus de discernement et d’accompagnement des jeunes sur le chemin de la foi et de la découverte de leur vocation. La troisième partie, plus pastorale, donne des repères et pistes concrètes pour une pastorale des jeunes et des vocations dans le monde d’aujourd’hui. Ce document est vraiment intéressant et stimulant, il peut aider tous les chrétiens, et particulièrement tous ceux qui sont en contact


Comme ignatiens, nous pouvons être particulièrement interpellés par l’accent mis sur le discernement et l’enjeu de déployer des pédagogies du choix pour aider les jeunes à oser un engagement durable. En effet, dans ce monde actuel qui valorise la culture du « provisoire », avec la globalisation et le développement du numérique, les jeunes sont confrontés à une multiplicité de modèles et de choix possibles. Ils vivent la plupart du temps dans des sociétés très plurielles, multiculturelles et multireligieuses. Par internet, ils ont accès à une pluralité de visions et de propositions. Cela facilite le zapping, la mobilité pas seulement géographique, mais aussi mentale et affective. Les sociologues parlent de « la société liquide » dans laquelle les jeunes grandissent. Et le document préparatoire évoque un « contexte de fluidité et d’incertitude jamais atteint auparavant ». Dans cette réalité, s’enraciner, faire des choix, s’engager dans la durée n’est pas simple. Beaucoup de jeunes se demandent « Comment choisir sans me tromper ? Quel cap pour ma vie ? » D’où leur besoin de repères et de guides pour apprendre à discerner et prendre les bonnes décisions. Les deux mots-clés du pape

Le désir du pape : avec et par les jeunes Par ailleurs, comme beaucoup, nous sommes marqués par l’élan missionnaire du pape François et son désir de faire bouger l’Église. Le pape François fait vraiment confiance aux jeunes, compte sur eux, et les invite tous à participer à la préparation de ce synode 2018 : « Aucun jeune ne doit se sentir exclu de la préparation du synode », « Faites entendre votre cri », « L’Église même désire se

mettre à l’écoute de votre voix, de votre sensibilité, de votre foi ; voire de vos doutes et de vos critiques »… Ces paroles fortes du pape François aux jeunes à propos du synode nous disent l’attente forte du Pape et de tous les pasteurs. À travers cette marche ensemble pour écouter l’Esprit-Saint avec et à travers les jeunes, les responsables ecclésiaux souhaitent vraiment écouter et impliquer tous les jeunes. La manière de voir les jeunes, telle que décrite dans le document préparatoire au synode, insiste beaucoup sur l’enjeu du « protagonisme » des jeunes. C’est-à-dire l’enjeu pour l’Église de ne pas les considérer comme des sujets passifs mais de les voir comme des sujets actifs, les premiers acteurs des transformations du monde et de l’évangélisation des jeunes. À travers ce synode, l’Église souhaite vraiment accompagner les jeunes dans leur croissance humaine et spirituelle pour qu’ils s’engagent toujours davantage à rendre le monde meilleur. Et cela concerne tous les jeunes, quels que soient leur religion, leur rapport à la foi.

Pour aller plus loin Lire le document préparatoire au synode et découvrir de nombreux documents complémentaires http://www. jeunes-vocations. catholique.fr/ ressources/ dossiers/dossiersynode-2018.html

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Un synode tourné vers la pédagogie du choix

François pour l’Église aujourd’hui sont le discernement et l’accompagnement. C’était déjà très présent dans les deux synodes sur la famille et l’exhortation apostolique Amoris Laetitia. On voit bien cette ligne qui se dessine pour répondre à la soif spirituelle de nos contemporains, à leur manière de vivre leur foi dans une culture postmoderne numérique qui met de plus en plus l’accent sur l’individu subjectif qui construit son identité par expérimentation plus que par reproduction. C’est en accueillant chacun tel qu’il est, là où il en est, avec bienveillance et sans jugement, pour l’accompagner sur son chemin de vie et de foi à la manière du Christ que l’Église, telle « un hôpital de campagne » peut déployer la joie de l’Évangile. Et aider chacun à discerner sa vocation, c’est-à-dire ce qui va le rendre heureux en rendant les autres heureux ou encore trouver sa place dans la société et dans l’Église en répondant à l’appel singulier du Christ pour lui.

Prier pour le synode 2018 et pour les jeunes avec la prière écrite par le Pape François à découvrir sur http://www. jeunes-vocations. catholique.fr/ actualites/ synode-2018la-priere-du-papefrancois-pour-lesjeunes.html

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avec des jeunes, à s’interroger sur leur vision des jeunes et des vocations, sur leur manière d’accompagner les jeunes et de prendre en compte leur culture.

La démarche de publication par le Secrétariat général du synode d’un questionnaire mondial en ligne (accessible en 5 langues) destiné directement aux jeunes vise à associer un maximum de jeunes à la consultation synodale en répondant sur http://youth.synod2018. va/ d’ici le 30 novembre 2017. Sr Nathalie Becquart, xavière septembre/octobre 2017

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95 thèses


Chercher et trouver Dieu

luther, quel héritage pour nous ? La commémoration du 500ième anniversaire de la Réforme nous invite à déplacer notre regard, notre cœur et notre intelligence. Protestants et catholiques qui vivent ou qui travaillent ensemble en font l’expérience au quotidien, au bénéfice d’une relation infiniment enrichie (p. 8, 10 et 11). Faisons cette expérience en prenant le temps de nous intéresser à la foi du luthérien, de comprendre vraiment ce qui nous sépare et ce qui nous unit, pour mieux nous laisser « transformer par la rencontre de l’autre » (p. 12) et pour ensemble écouter la puissance de la Parole, au souffle de l’Esprit qui fait de nous les fils d’un même Père (p. 14). Ouvrons nos cœurs, soyons prêts, avec les acteurs de l’œcuménisme (p. 16), à bousculer nos points de vue tout faits sur le positionnement et le questionnement de Luther pour découvrir son héritage.

© Playmobil

Véronique Westerloppe

TÉMOIGNAGES L’apprentissage de l’autre. . . . . . . . . . . . . . . 8 En retraite. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 En couple, vivre l’unité et la diversité . . . . 10 Dépasser ses réflexes . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

ÉCLAIRAGE BIBLIQUE Marcher selon l’Esprit . . . . . . . . . . . . . . . . .. .14

CONTRECHAMP Blessures et liens entre catholiques et luthériens. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. .12

POUR ALLER PLUS LOIN . . . . . . . . . . . .19

REPÈRES ECCLÉSIAUX Les fruits du dialogue . . . . . . . . . . . . . . . . .. .16

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septembre/octobre 2017

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Chercher et trouver Dieu

Témoignages

l’apprentissage de l’autre Travaillant dans différentes associations caritatives avec protestants et catholiques, Jean y a appris le dialogue au-delà du « dissensus ». Mais cela demande le temps de la rencontre, au risque de la peur.

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De là où je parle, je suis pris entre deux voies : la tentation de renforcer la « forteresse assiégée », réflexe des minoritaires qui pensent, par peur de la disparition, qu’ils doivent insister sur leur particularisme ; et celle de la tranquille assurance que les témoins du Christ devraient afficher, rassurés de vivre au milieu du peuple chrétien, et animés d’un seul dessein commun celui de suivre ses pas…

© Kunsthistorisches museum, Vienne. Le Christ et les disciples à Emmaüs, 1621, Merisé

Pourtant, à l’épreuve de la différence, chacun se replie sur soi, par peur et ignorance.

La clé réside, me semble-t-il, dans le temps que nous devons passer ensemble sur des projets communs. En effet, l’apprentissage de l’autre demande du temps pour faire tomber les barrières, et entrer en fraternité ; s’obliger à travailler ensemble, à argumenter, à coucher sur le papier des mots communs. Comme les Écritures qui se révèlent à mesure que l'on y revient, l’autre est un parchemin simple de prime abord, mais infiniment complexe et riche, au fond…

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Les pratiques du travail en commun m’ont enseigné qu’il ne faut pas s’arrêter à la première étape, mais nommer le « dissensus », inviter au dialogue, insister à la fois sur nos différences et sur l’envie de les dépasser… J’ai appris que je pouvais avancer sans que le pire (le refus, l’exclusion) soit au rendez-vous. J’ai compris également que l’on pouvait apprendre, en la matière, davantage de ses succès que de ses échecs, en étant curieux de découvrir les résultats du dialogue, en poussant au progrès que l’on constate au bout du chemin… Effort permanent… Il me semble que nous n’apprenons jamais, sauf peut-être quand la saveur de la relation s’invite et nous rappelle que l’amitié et l’amour ont un goût immense ! Alors pourrai-je me souvenir du Christ, cherchant pendant des heures à nouer le dialogue avec l’autre, le différent ? Pourrai-je espérer toujours que l’autre reconnaîtra ma différence, et me nourrira de la sienne ? En un mot, quand n’aurai-je plus peur ? Jean


en retraite Des protestants en retraite ignatienne ? A quelles difficultés particulières sontils confrontés, qu’est-ce qui les rejoint dans cette manière de faire inventée à la même époque qu’apparaissait le protestantisme ? Arnauld relève les surprises et réconforts qu’il y a vécus.

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Avant de commencer ma première retraite ignatienne, c’était avec le Chemin neuf, j’étais très inquiet. Qu’est-ce qu’on allait vouloir m’imposer ? Le point rassurant était que c’était basé sur la Parole, j’aurai du temps seul avec la Bible, j’allais donc avoir des espaces où je ne serai pas perdu. Puis finalement, même les temps d’enseignement se sont bien passés. Ils étaient plus sur la méthode que sur la théologie. Dans les premiers temps, ce qui m’a gêné était d’être en silence. Je le tournais en dérision pour ne pas voir mon trouble. Mais j’y ai pris goût, j’en ai vu les bénéfices pour se laisser vraiment toucher et je le propose parfois dans les sessions que j’anime.

Le seul point limitant pour moi est la messe. Comment y aller en y étant sans y être, sans participer ? Malgré la bienveillance des organisateurs, je n’y ai pas trouvé ma place. Je n’y allais plus à la fin, préférant rester seul dehors. Ce qui j’ai vécu dans ces retraites, (car j’y suis retourné, ayant même fait plusieurs fois une semaine d’Exercices) ne s’y arrête pas une fois parti. Je vois que cela a un effet direct sur ma façon de prier. La composition de lieu

est un outil que j’utilise lorsque je reprends personnellement les textes que nous prenons dans mon Église baptiste sur le chemin vers Pâques. J’utilise aussi la prière guidée qui s’appuie sur la composition de lieu dans des prières que j’anime et lorsque j’interviens avec l’aumônier en prison. Dans ces deux lieux, cette façon de prier a pu être appréciée. Même si certains sont gênés par l’utilisation de l’imaginaire dans la prière. Arnauld

© OlegEvseev / iStock

J’ai beaucoup apprécié revenir plusieurs fois sur le même texte, pour laisser le Seigneur m’y faire signe malgré mes résistances. L’accompagnement personnel est très intéressant pour descendre en profondeur en moi, pour me laisser interpeller par le Seigneur sur mon rapport aux autres, à moi, à lui… sans se laisser enfermer sur soi, car je repars toujours comme envoyé vers les autres, consacré dans ce que je suis. septembre/octobre 2017

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Chercher et trouver Dieu

Témoignages

en couple, vivre l’unité et la diversité

A lire aussi A lire aussi le témoignage de Jean-Louis, protestant, en responsabilité en CVX, qui relit les étapes de son parcours de foi. editionsvie chretienne.com

Par la pratique de la Bible de son épouse protestante, Jean-Paul a été amené à creuser sa propre foi. Leur différence les conduit à un enrichissement mutuel.

© 153photostudio / iStock

C

Catholique par ma mère et par tradition, mais loin de la pratique, je n’ai jamais vu une Bible dans ma famille. Quand Hélène me confia qu’elle était « protestante », de parents luthériens, je fus surpris mais je lui fis

confiance. La Bible, lecture quotidienne pour elle, l’a conduite à devenir prédicatrice laïque de son Église. Son témoignage, le culte et les études bibliques de l’Église réformée me firent découvrir un autre monde qui, par réaction et sans calcul, me donna le goût de renouer avec la pratique catholique. La foi d’Hélène renforçait la mienne et me poussait à creuser ma propre identité. C’est un phénomène connu par les chrétiens qui pratiquent l’œcuménisme. Nous avons compris que nous pouvions nous tourner vers le Seigneur quels que soient l’institution, les lieux et les rites tout en gardant notre particularité. Il faut simplement avoir une foi honnête et sincère. J’apprécie chez les protestants réformés la simplicité, la culture biblique, l’organisation démocratique. Je suis invité, comme tout chrétien, dans la plénitude de sa liberté, à partager la Cène, le pain et le vin, chez nos frères et sœurs protestants. Je le fais sans réserve comme je vais communier aussi dans ma paroisse

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catholique. C’est très différent dans la forme mais je suis toujours devant le Christ. Par contre, mon épouse, qui parfois m’accompagne lors d’une messe, ne se risquerait pas à demander la communion à mes côtés, car elle n’apprécie pas que l’hospitalité eucharistique lui soit interdite par Rome. N o t re do u b le a p p a r t e n a nc e conjugale est une chance, un enrichissement mutuel et un exemple d’unité possible pour les autres. Des paroisses catholiques nous ont demandé de témoigner en couple devant des jeunes. Nous avons la certitude d’être les enfants de ce Christ dont le message est clair : « Aimez-vous les uns les autres, soyez unis ». Hélène m’a ouvert un chemin que j’avais négligé : celui de la Bible. Ensemble, nous avons progressé dans l’unité au sein de la diversité et j’en rends grâce au Seigneur. Jean-Paul catholique marié à Hélène de l’Église protestante unie de France


dépasser ses réflexes Son mariage avec un chrétien protestant, a permis à Marie de s’interroger sur ce qui lui semblait normal dans sa relation à Dieu. Comment partager et accueillir ce qui est bon dans l’une et l’autre tradition ? En questionnement depuis plus de 15 ans, c’est en couple qu’ils grandissent dans leur foi et découvrent encore aujourd’hui des points à convertir. chaque fois, un chemin d’approfondissement. Qu’est-ce qui est essentiel dans ma foi et que je souhaite transmettre ? Puis-je choisir dans quelle tradition leur faire découvrir le Christ? Et quid de mon attachement à telle ou telle communauté paroissiale ?… Chercher des réponses personnelles à ces questions a fait et fait encore grandir ma foi. Parfois, ce n’est pas facile, et de l’incompréhension demeure : il m’a fallu

ainsi plus de 15 ans pour réaliser que dans le crédo, en affirmant ma foi en l’Église, une, sainte,… et apostolique, l’adjectif catholique était mal reçu. Je le remplace désormais par ‘universelle’ ! Au quotidien, cette différence de sensibilité chrétienne est un petit titillement certes, mais surtout une chance qui m’invite à continuer d’avancer avec le Christ ! Marie

© Leolintang / iStock

M

Mon mari est protestant, je suis catholique, et je vis cette différence avant tout comme une grande richesse. Car c’est bien l’essentiel, la même foi en Christ, qui nous réunit, avec certes une expression et des pratiques propres à chacune de nos deux traditions... mais qui nous font avancer en nous questionnant ! Notre mariage il y a 18 ans, a été une belle occasion de revisiter ma pratique sacramentelle, mes habitudes, mes « réflexes » de catholique née dans une famille croyante et engagée. En quoi l’eucharistie est-elle importante pour moi ? Quel sens donner à la liturgie catholique très riche et étoffée qui contraste avec la liturgie protestante plus spontanée et dépouillée? Et la place du prêtre? Célébrer Dieu en allant au culte plutôt qu’à la messe le dimanche n’est-il pas la même rencontre, le même élan entre les hommes et Dieu ? Finalement, comment partager tout le bon expérimenté dans ma tradition, tout en accueillant tout le bon expérimenté par Guillaume dans la sienne ? L’arrivée de nos quatre enfants et les différentes étapes de la vie chrétienne ont été aussi, à

A lire aussi Guillaume, l’époux de Marie, se confie à son tour sur sa relation à l’Eucharitie, sur ses colères face aux œillères de certains catholiques, sur la place de la prière, sur le sens de la communauté : « Je trouve chez les catholiques un sens de la communauté qui est bienfaisant ». editionsvie chretienne.com

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Chercher et trouver Dieu

Contrechamp

blessures et liens entre catholiques et luthériens Comment être sauvé, s’interrogeait Luther au XVIe siècle, alors qu’Ignace cherchait aussi son chemin vers Dieu. Par la grâce de Dieu ? Par une conversion intérieure ? Après s’être longtemps opposés, protestants et catholiques ont cherché, depuis Vatican II, ce qui les unissait dans le Christ, ce qui allait les renouveler par la rencontre de l’autre.

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sés sur tous les continents. La dernière Assemblée générale de la FLM tenue en mai 2017 a élu comme nouveau président l’archevêque de l’Église luthérienne du Christ au Nigeria, deuxième africain depuis la fondation de la FLM en 1947. La présence des luthériens en France est aujourd’hui marquée par son rapprochement avec les réformés, héritiers de Jean Calvin. En Alsace et Lorraine, ils ont formé en 2006 l’Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine. Dans le reste de la France, ils sont réunis depuis 2012 dans une seule et même Église, qui est l’Église protestante unie de France.

que la vie tout entière des fidèles soit une pénitence. » Telle est la première des 95 thèses contre la pratique des indulgences que Martin Luther a rédigées en 1517 en vue d’une dispute académique. Le professeur de théologie de Wittenberg les aurait affichées la veille de la Toussaint sur la porte de l’église de cette ville. Ce faisant, le moine augustin n’a pas imaginé déclencher un véritable « conflit » qui déchirerait l’Église d’Occident. Cinq cents ans plus tard, 72 millions de luthériens sont disper-

Au cœur de la controverse © Osservatore romano

Ken Yamamoto, Docteur en théologie protestante de l’Université de Strasbourg, il enseigne à l’Institut supérieur d’études œcuméniques et au Centre Sèvres. Chargé de communication au Service national pour l’unité des chrétiens (Conférence des évêques de France), il est en charge du site internet « Unité des chrétiens – documentations et informations œcuméniques » www. unitedeschretiens.fr

Le 31 octobre 2016, le pape François s’est rendu à Lund, en Suède, pour assister avec les responsables de la Fédération luthérienne mondiale (FLM) à une prière commune qui a ouvert le cinquième centenaire de la Réforme protestante. Cette année anniversaire aura donné l’occasion à de nombreux catholiques de se poser des questions. Qu’est-ce qui sépare catholiques et luthériens ? Quel partage est possible entre eux ? « Notre Seigneur et maître JésusChrist, en disant “Faites pénitence, etc.” (Mt 4,17), a voulu

▲ Signature de la déclaration conjointe du pape François et du président de la Fédération luthérienne mondiale, le révérend Mounib Younan, lors de la prière commune dans la cathédrale de Lund, le 31 octobre 2016.

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Pour comprendre ce qui caractérise le luthéranisme, il est avantageux d’aller directement à son fondement, qui provient de l’expérience du réformateur lui-même et en même temps qui est au cœur de la controverse


confessionnelle du XVIe siècle : la justification par la foi. Luther était tourmenté, malgré sa vie irréprochable de moine, par la conscience d’être pécheur devant Dieu : comment puis-je être sauvé ? Par une fréquentation assidue avec la Bible, notamment l’Épître aux Romains, Luther a fini par comprendre que « la justice de Dieu » (Romains 1,17) n’est pas celle par laquelle Dieu punit les injustes : par sa grâce le Dieu de miséricorde rend les pécheurs justes devant lui, moyennant leur foi et indépendamment de leurs œuvres et de leurs mérites. La position catholique exprimée au concile de Trente, débuté deux mois avant la mort de Luther, est davantage soucieuse de l’effet de la grâce chez l’homme. Elle conteste la compréhension luthérienne de la justification en jugeant que le renouvellement intérieur de l’homme est occulté et que l’homme est réduit à la passivité. Les luthériens considèrent cette doctrine de la justification par la foi comme celle avec laquelle l’Église tient ou tombe. Pourquoi ? Parce qu’elle explique qui est le Christ pour nous et ce qu’il a accompli pour nous, par sa vie, sa mort et sa résurrection. La justification par la foi exprime notre relation avec le Christ et avec son Évangile. La première des 95 thèses n’évoque pas autre chose que cette relation qui repose sur notre conversion quotidienne : sortir de notre repli sur nous-mêmes – le péché consiste pour Luther dans cette sépara-

tion d’avec Dieu – pour vivre la confiance en Jésus-Christ. La centralité de la justification par la foi n’est que le reflet de la centralité et de l’exclusivité du Christ dans la tradition luthérienne. Ainsi se comprennent quatre principes luthériens bien connus. Solus Christus explique non seulement la sola gratia et sola fide de la justification mais aussi sola scriptura. Les Écritures dont le Christ est le centre n’ont besoin d’aucune légitimation extérieure, chaque chrétien étant lecteur et interprète de la Bible où il cherche le Christ et est confronté à la Parole de Dieu.

Passer de la contestation à des affirmations communes Le dialogue qui a commencé dès le lendemain du concile Vatican II entre l’Église catholique et la FLM a abouti en 1999 à un accord significatif : la Déclaration commune sur la justification par la foi. Les deux Églises formulent des affirmations communes sur cette doctrine. Les différences qui demeurent sur cette question entre les partenaires ne sont plus considérées comme objet de condamnation mutuelle. Le dialogue n’est pas encore arrivé à son terme. La divergence fondamentale réside dans la place de l’Église et de ses ministres dans le dessein salvifique de Dieu. De quelle manière l’Église est-elle l’instrument du salut ? Pour les catholiques, l’Église sanctifiée par Dieu est elle-même l’acteur sancti-

fiant envers ses fidèles, alors que, pour les luthériens – et plus largement les chrétiens issus de la Réforme – c’est Dieu seul qui agit à travers l’Église. S’y ajoutent encore les débats en matière d’éthique (début et fin de vie, homosexualité,…) qui deviennent un enjeu de plus en plus important pour tout le mouvement œcuménique.

Saisir la chance de cette année commémorative Mais la poursuite du dialogue théologique serait vaine, si les fidèles catholiques et luthériens eux-mêmes ne cherchaient pas à se rencontrer et à se connaître. C’est pourquoi la Commission internationale luthéro-catholique a publié un document intitulé Du conflit à la communion pour qu’ils vivent ensemble cette année marquante. Elle a soigneusement évité le terme de « célébration » car les chrétiens responsables ne peuvent pas célébrer leur division. Cependant, puisque catholiques et luthériens appartiennent par leur baptême à l’unique corps du Christ, ils peuvent « commémorer » les événements de la Réforme, avec repentance mais aussi avec action de grâce. Ils sont invités à saisir, cette année 2017 et au-delà, cette formidable chance de « se laisser transformer par la rencontre de l’autre » et d’« ensemble redécouvrir la puissance de l’Évangile de Jésus-Christ pour notre époque »1 qui a tant besoin d’ouvriers de la réconciliation.

Dans la ville d'Augsbourg, catholiques et protestants vivent et célèbrent ensemble. Témoignage de Gerlinda de la CVX Allemagne sur : editionsvie chretienne.com

1. Du conflit à la communion. Commémoration luthérocatholique commune de la Réforme en 2017, Éd. Olivétan, 2014, p. 100.

Ken Yamamoto septembre/octobre 2017 13


Chercher et trouver Dieu

Éclairage biblique

marcher selon l’esprit 1 Il n’y a donc, maintenant, plus aucune

condamnation pour ceux qui sont en Jésus Christ. 2 Car la loi de l’Esprit qui donne la vie en Jésus

Christ m’a libéré de la loi du péché et de la mort. 3 Ce qui était impossible à la loi, car la chair

la vouait à l’impuissance, Dieu l’a fait : à cause du péché, en envoyant son propre Fils dans la condition de notre chair de péché, il a condamné le péché dans la chair, 4 afin que la justice exigée par la loi soit accomplie

en nous, qui ne marchons pas sous l’empire de la chair, mais de l’Esprit. 5 En effet, sous l’empire de la chair, on tend à ce qui

est charnel, mais sous l’empire de l’Esprit, on tend à ce qui est spirituel : © Squarespace.com / BrianLeport

6 la chair tend à la mort, mais l’Esprit tend à la vie

et à la paix. 7 Car le mouvement de la chair est révolte contre

Dieu ; elle ne se soumet pas à la loi de Dieu ; elle ne le peut même pas. 8 Sous l’empire de la chair on ne peut plaire à Dieu. 9 Or vous, vous n’êtes pas sous l’empire de la chair,

mais de l’Esprit, puisque l’Esprit de Dieu habite en vous. Si quelqu’un n’a pas l’Esprit du Christ, il ne lui appartient pas. 10 Si Christ est en vous, votre corps, il est vrai, est voué à la mort à cause du péché, mais l’Esprit est votre

vie à cause de la justice. 11 Et si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus

Christ d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels, par son Esprit qui habite en vous. 12 Ainsi donc, frères, nous avons une dette, mais non envers la chair pour devoir vivre de façon charnelle. 13 Car si vous vivez de façon charnelle, vous mourrez ; mais si, par l’Esprit, vous faites mourir votre

comportement charnel, vous vivrez. 14 En effet, ceux-là sont fils de Dieu qui sont conduits par l’Esprit de Dieu : 15 vous n’avez pas reçu un esprit qui vous rende esclaves et vous ramène à la peur, mais un Esprit qui fait

de vous des fils adoptifs et par lequel nous crions : Abba, Père. 16 Cet Esprit lui-même atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. 17 Enfants, et donc héritiers : héritiers de Dieu, cohéritiers du Christ, puisque, ayant part à ses souffrances,

nous aurons part aussi à sa gloire.

romains 8,1-17 Traduction TOB

14 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 49


A

Au début du chapitre 8 de l’épître aux Romains, Paul rebondit sur son développement précédent, qui annonçait que les chrétiens sont dégagés de la Loi de Moïse (7,6), en déclarant : « Il n’y a donc, maintenant, plus aucune condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ ». Nous trouvons là l’annonce centrale quant au contenu de l’évangile, selon Paul. À la croix, un verdict a été rendu pour ceux qui placent leur foi en Jésus-Christ : non coupable ! Les chrétiens n’ont plus à craindre la mort et le jugement qui vient. Mais Paul, dans la suite du chapitre 8, ne s’arrête pas là. Sans remettre en question cette merveilleuse nouvelle, il rappelle que le salut offert par Dieu en Jésus-Christ est aussi une invitation à un nouveau « style de vie » : la marche selon l’Esprit (8,4). Si Dieu a voulu être réconcilié avec son peuple, c’est pour que celui-ci devienne une nouvelle humanité qui désirera – et pourra – pratiquer ce qui plaît à Dieu (8.8). Or, si cette vie nouvelle est possible, explique Paul, ce n’est pas parce que les chrétiens font des efforts ou parce qu’ils méritent quoique ce soit, mais parce que l’Esprit du Christ ressuscité habite en eux (8.5). Alors que, sous le régime de la Loi, ils ne pouvaient plaire à Dieu, les humains peuvent à présent vivre pleinement leur nouvelle humanité, réconciliés avec Dieu et animés de l’Esprit de Christ. L’Esprit de Jésus-Christ est force de transformation pour l’être humain. Sinon, le salut offert serait ce que Dietrich Bonhoeffer – un théologien protestant allemand – a appelé une « grâce à bon marché », une grâce qui n’engage pas et ne porte pas de fruit en l’humain. Paul ne pouvait se satisfaire d’une proclamation de pardon sans énoncer conjointement que les intentions de Dieu pour les humains étaient plus grandes encore. Si Dieu sauve et pardonne, ce n’est pas pour que les chrétiens continuent d’être et de faire ce qu’ils étaient et pratiquaient auparavant. « Car si vous vivez de façon charnelle, vous mourrez ; mais si, par l’Esprit, vous faites mourir votre comportement charnel, vous vivrez. En effet, ceuxlà sont fils de Dieu qui sont conduits par l’Esprit de Dieu », rappelle-t-il en Romains 8,13-14. En d’autres termes, la transformation opérée par l’Esprit n’est

pas une option dans la vie chrétienne. Il est, selon Paul, de la plus haute importance d’accueillir et de laisser l’Esprit de Christ devenir la force première de la vie chrétienne. L’enjeu n’est pour lui ni plus ni moins que le salut. Mais attention : si la marche par l’Esprit est certes nécessaire, l’apôtre ne dit pas cela pour que ses destinataires ressentent une quelconque crainte malsaine d’un Dieu lointain, irritable et arbitraire (8,15). L’Esprit qui repose sur les chrétiens est un Esprit d’adoption filiale, qui pointe vers l’amour, le soin et les promesses du Père (8,16-17). Il ne peut y avoir de marche par l’Esprit, d’obéissance à la « Loi de l’Esprit de la vie » (8,2 ; Galates 6,2 ; Jacques 2,8) sans cette reconnaissance de l’amour inépuisable d’un Père pour son peuple. Nicolas Farelly pasteur

points pour prier + Me mettre en présence du Seigneur, me demander : suis-je disposé(e) à entendre ce qu’il veut me dire, quel qu’en soit le contenu ? Est-ce que quelque chose bloque mon écoute ? + Se remémorer les paroles de Paul. Comment est-ce que je reçois cette annonce : « Il n’y a donc, maintenant, plus aucune condamnation pour ceux qui sont en Jésus Christ » ? Est-ce que je la crois ? Vraiment ? + Me laisser interpeller  : est-ce que je marche selon l’Esprit ? Quand je relis mon histoire, puis-je discerner une transformation par l’Esprit, dans mon comportement et ma vie ? Ou au contraire, est-ce que j’ai stagné ? Quels sont les aspects de ma vie qui ont encore besoin d’être transformés ? + Dans le colloque, parler au Seigneur de ce que je ressens face à sa grâce et aux exigences qu’il révèle dans son amour pour moi. Je termine en lui exprimant ma confiance : il est mon Dieu, il a un projet de bonheur pour moi. septembre/octobre 2017 15


Chercher et trouver Dieu

Repères ecclésiaux

les fruits du dialogue Si l’apport de Luther a, à la fois appauvri et enrichi l’Église, aujourd’hui c’est dans un dialogue que protestants et catholiques se retrouvent et s’enrichissent. Deux acteurs majeurs de ce dialogue œcuménique témoignent de ce qu’ils ont reçu personnellement.

Michel Leplay, pasteur protestant, membre de l’Église réformée de France. Il a longtemps présidé le Comité mixte de dialogue catholique/ luthéro-réformé aux côtés de Mgr Joseph Duval et de Mgr Jean Vilnet. Membre du groupe des Dombes de 1965 aux années 2000, il s’engage également dans l’association Amitié judéo-chrétienne de France. Le dialogue judéo-chrétien demeure en effet à ses yeux « l’exigence centrale du mouvement œcuménique ».

"La foi que j’aime le mieux", édition Salvator, 2009.

Michel Leplay : La Réforme, luthérienne au départ et au cœur du protestantisme, a enrichi et appauvri l’Église ! Elle l’a enrichie par le rappel impératif de la grâce de Dieu, du salut gratuit, sans aucun mérite de notre part, l’Évangile comme vraie richesse au centre de la foi sans les œuvres, car tout est grâce, le don gratuit de Dieu en Jésus-Christ. Du coup l’Église romaine est appauvrie, non seulement des bénéfices acquis par la vente des indulgences, mais symboliquement par le pouvoir mis en question de la hiérarchie et de son pape subliminal. Ainsi les « controverses » d’hier sur la justification par la foi ont-elles enrichi la foi ecclésiale et appauvri l’institution ecclésiastique.

l’influence du christianisme sur l’évolution des mœurs. Comment donc dans cette situation nouvelle dépasser nos anciennes controverses et rester des témoins et des acteurs de l’amour de Dieu ?

Mais ces controverses ont moins de pertinence aujourd’hui qu’au XVI e siècle dans la mesure où l’évolution sociétale d’hier a favorisé la laïcité, minimisé le pouvoir des Églises, marginalisé parfois

16 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 49

Bernard Sesboüé : Luther est un homme des Temps modernes et il a répandu une figure moderne de la foi. Au-delà de la misérable affaire des indulgences, qui ne fut qu’un détona-

© Stockbyte

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Revue Vie chrétienne : Comment les controverses d’hier ont-elles enrichi la foi ?


teur, le véritable tort de l’Église catholique fut de n’avoir pas vu ce trait nouveau. Comment le définir ? La foi s’est intériorisée : elle est passée de l’obéissance institutionnelle paisible du croyant dans sa paroisse à l’inquiétude existentielle du croyant sur son propre salut. C’est la justification par la grâce moyennant la foi devenue charte de vie. Si tout dépend de ma foi, je dois me poser la question : quelle est ma foi ? La réponse consiste en une grande intériorisation de la foi dans ma conscience, alors qu’auparavant il s’agissait d’un agir communautaire, vécu dans la fidélité à l’institution. Cette figure nouvelle de la foi entendait constituer un retour à l’Évangile, un retour au don gratuit et gracieux de Dieu, qui dépasse toutes nos possibilités. Le succès de Luther vient de ce que cette attitude spirituelle était en consonance profonde avec la mentalité de ce siècle et qu’il a su la communiquer. Saint Ignace de Loyola est le témoin par excellence de cette figure nouvelle de la foi, vécue, lui aussi dans la protestation, mais, pour sa part, dans une obéissance totale à l’Église. L’angoisse de Luther quant à son salut fut aussi celle d’Ignace devant la prise de conscience de ses péchés. L’entreprise de ses Exercices Spirituels consistait à aider le retraitant à une conversion profonde dans la foi, à travers une méditation constante

de l’Écriture et des Évangiles, et une prière qui demande à Dieu sa lumière sur un projet de vie, discerné selon Sa Volonté. Il veut alors réformer l’Église de l’intérieur. En fondant la Compagnie de Jésus, il cherche à donner à l’Église un corps de prêtres instruits et réformés.

humains et psychologiques. De nouveaux progrès seraient théoriquement possibles, mais ne le sont pas en raison d’une insuffisante mobilisation du peuple des Églises. Il nous manque encore de nous aimer suffisamment les uns les autres, pour entretenir le désir de la communion et de l’unité.

Comment le dialogue œcuménique se vit-il aujourd’hui ? Bernard Sesboüé : Le dialogue doctrinal entre protestants et catholiques est essentiel pour avancer vers l’unité, mais il n’est pas suffisant. Depuis le concile en particulier, des progrès considérables ont été acquis. Les divergences existent incontestablement mais on fait depuis les débuts du mouvement œcuménique l’heureuse découverte que l’unité de la foi est compatible avec des différences bien légitimes. Le récent document d’accord sur la justification par la foi, officiellement signé par les Églises luthériennes et l’Église catholique sous le signe d’un consensus différencié est un pas considérable en avant. Mais ce serait une erreur de penser que le dialogue doctrinal est suffisant. D’abord celui-ci n’est pas suffisamment connu, reçu, vécu par l’ensemble des peuples des différentes Églises. Ce qui manque encore au mouvement œcuménique, c’est un investissement réel et populaire qui doit permettre de résoudre progressivement tout un tas de problèmes

Michel Leplay : Nous avons vocation à dépasser le dialogue o c c i de nt a l e nt re c a tholiques romains et protestants. Ce duel, devenu d i a lo g u e, no us c o n vo q u e à u ne c o m mu n i o n re t ro u v é e, après les excommunications entretenues. Le XXe siècle aura été celui de l’accélération du dialogue audelà de la rivalité protestants catholiques ; le monde aura vu se constituer et progresser un Conseil œcuménique des Églises : lieu de ralliement des Églises orthodoxes, anglicane et protestantes. Un immense travail théologique, un universel élan pastoral, un souci pressant de « présence au monde moderne » pour promouvoir la justice et la paix, pour combattre le racisme et la pauvreté. Il n’y a pas d’unité spirituelle sans engagement temporel conséquent. Le dialogue se vit à une vitesse supérieure entre les religions, et pas seulement à l’intérieur de chacune d’elles.

Bernard Sesboüé s.j., enseignant en dogmatique, a fait partie de la Commission théologique internationale. Spécialiste de l’œcuménisme, il participe de 1967 à 2005, au groupe des Dombes dont il a été coprésident. Il a été consulteur au secrétariat pour l’unité des chrétiens.

Découvrez le texte complet de ces experts sur : editionsvie chretienne.com

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Chercher et trouver Dieu

Repères ecclésiaux Qu’est-ce que ces recherches vous ont apporté ?

Pour aller plus loin

Michel Leplay : Ce que j’ai découvert, c’est la richesse des autres Églises et des divers courants du christianisme. Ainsi l’autorité dans l’Église catholique romaine, qui se veut maternelle, même si elle apparaît parfois comme un autoritarisme masculin ! Ou la divine liturgie orthodoxe, tellement intemporelle qu’elle est au final totalement actuelle, ou mieux encore la liberté des protestantismes qui ne cesse de rappeler qu’il y a « plusieurs demeures dans la maison du Père ».

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Découvrez la vidéo de l’entretien exclusif de Bernard Sesboüé pour les Éditions Vie Chrétienne sur : editionsvie chretienne.com

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Suivez l’actualité du groupe des Dombes sur : groupe desdombes.org

Enfin sur la lancée du travail théologique du christianisme social, « le commandement absolu de nous engager dans le relatif. » Le Seigneur Jésus-Christ est aussi et toujours le bon Sauveur des petits et des pauvres. Bernard Sesboüé : Ce dialogue, dans le cadre du Groupe des Dombes et de toutes les Commissions auxquelles j’ai pu participer, nationales ou internationales, fut une grâce dans ma vie et m’a permis de nouer de profondes amitiés. J’y ai découvert de vrais chrétiens. Comme le pasteur Daniel Atger qui a travaillé au maquis du Vercors en voisinage du P. de Montcheuil. En

© Lutherhaus Wittenberg

Ensuite, une leçon d’humilité devant la bonne foi de nos partenaires d’une autre Église ou d’une autre religion. Son laboratoire principal fut pour moi pen-

dant une quarantaine d’années le travail théologique entre catholiques et protestants du Groupe des Dombes.

▲ Bible traduite en allemand par Luther et illustré par Cranach, 1534.

18 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 49

soignant les blessés, l’un et l’autre ne se demandaient pas toujours à quelle confession chacun appartenait. Ils vivaient l’œcuménisme sur le champ de bataille. Le mouvement œcuménique m’a permis de vivre la communion des saints de manière plus vaste. Ce dialogue m’a permis de convertir pour une part mon vocabulaire théologique : il y a des expressions que je n’emploie plus, même si elles étaient prononcées en toute innocence, parce qu’elles ne sont pas justes. Au plan spirituel, j’ai réalisé que l’on a besoin d’être tous ensemble pour prétendre à être fidèles à la vérité toute entière. Je me suis aussi posé la question du dessein de Dieu à travers ces ruptures, qui ont fait certainement un grand tort à l’Église, mais dont Dieu s’est paradoxalement servi pour faire avancer et rénover la foi. J’ai découvert aussi que dans le dialogue, ce que l’on prétend dire sur ses partenaires est trop souvent inopérant, parce qu’il est insuffisamment converti. Mais ce que l’on a le courage de dire sur soi-même, en reconnaissant ses torts, est extrêmement fécond et conduit à une sorte d’émulation œcuménique. La bienveillance de l’amour apaise et diminue les divergences doctrinales, tandis que l’agressivité ne fait que les grossir.


pour aller plus loin Des pistes pour un partage : • Suis-je en lien avec d’autres chrétiens de confession différente ? Si oui, qu’est-ce qui nous réunit, qu’est-ce qui nous sépare ? Qu’est-ce que ce lien m’apporte ? Si non, comment j’accueille la recherche œcuménique ? • Luther, Ignace, deux contemporains (voir p. 16). Au-delà des différences de positionnement, tous deux ont senti le besoin de « réforme » de l’Église. En quoi sommes-nous héritiers de ce mouvement de réforme ? À quels points de vigilance cela me renvoie-t-il ? • La commission internationale luthéro-canonique a publié un document « Du conflit à la communion » (voir p. 13). L’histoire montre des progrès vers l’unité des chrétiens. De quoi puis-je rendre grâces ? Qu’est-ce qui manque encore ? Quel appel pour moi personnellement ? Quel appel en communauté ?.

À lire : • Martin Luther : le moine et l’évangile, la pertinence de son message aujourd’hui Claude Martinaud, Vida, 2017 – 15,95 euros. Écoutons le croyant qui, lassé des carcans, découvre la libération de l’esprit et la grâce dans l’Évangile qui sauve. Une parole le bouleverse et illumine sa vie : « Le juste vivra par la foi. » • Commentaire sur le Magnificat Martin Luther, préface de frère Roger de Taizé, Salvator, 2014 – 15,90 euros. Pour ceux qui pensent que Luther s’était éloigné de Marie, ce commentaire éclairera le regard que portait Luther sur la « vierge bienheureuse ». • Histoire des Protestants en France : une minorité du XVIe au XXIe siècle Jean Baubérot et Marianne Carbonnier-Burkard. Pour un large public, les auteurs proposent une synthèse de la recherche historique et sociologique. Au travers de l’histoire de cette « minorité active » au long de cinq siècles, c’est l’histoire de France qui est revisitée. • L uther Yves Krumenacker, 2017 – 24,50 euros. Imposante biographie historique de Luther, le resituant dans le contexte de l’Allemagne des prémices de la Renaissance, qui tente à la fois de retrouver le Luther du XVIe siècle aussi bien que les « Luther » imaginés ou rejetés, de notre époque, dans le cinéma comme dans la littérature. • Réforme : l’hebdomadaire protestant d’actualité – https://reforme.net

À écouter : • Ein Feste Burg ist unser Gott Luther and the music of the reformation – 33 euros. Un coffret de deux disques consacré au répertoire liturgique luthérien de Martin Luther à Heinrich Schütz.

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© Église de Sainte-Marie de Wittenberg – Bridgeman Art Library

contempler une œuvre d'art

Le Retable de Wittenberg (1547) Lucas Cranach dit l’Ancien (1472-1553). Proche ami de Luther, il mit à partir de 1517 son talent artistique au service de la foi évangélique (fondée sur les seuls évangiles). Actualité des scènes évangéliques à travers les âges… Chacun peut se rendre présent à la scène, y prendre place… Comme Luther participant au repas de la Cène avec ses compagnons et recevant la coupe. 20 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 49


Se former

École de prière

vivre une méditation étendue

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Dans notre Communauté régionale, nous avons plusieurs fois fait l’expérience de la « méditation étendue » que nous avons trouvée sur le site « enracinement » (axe compagnon ; dimension « vocation personnelle » ; contempler)1. Nous en avons été si heureux que nous désirons partager cette expérience. Une telle prière peut se vivre en réunion à l’occasion d’une halte spirituelle. La durée dépend du nombre de participants : pour un groupe de 8 personnes il faut bien 1h30 à 2h… Cela se vit dans le même esprit que le dialogue contemplatif, où l’objectif est de contempler/méditer la Parole de Dieu avec d’autres et de bénéficier pour enrichir sa prière de ce que l’Esprit inspire aux compagnons présents. Mais ici, il y a un « plus ». Il s’agit de prier à partir de la Parole de Dieu, mais dans cet exercice, chacun est muni d’une grande feuille de papier sur laquelle il écrit comment la Parole le touche (ce n’est pas une réflexion intellectuelle !), et ce que cela suscite en lui comme prière. Puis il passe la feuille à son voisin de droite, tout en recevant celle de son voisin de gauche. Chacun écrit à son tour comment la

prière du frère facilite en lui une autre prière, puis il passe encore la feuille au suivant qui se nourrit de la prière des précédents… et ainsi de suite jusqu’à ce que le tour complet soit fait. À la fin, chacun reçoit, peut lire à haute voix et conserver, ce que sa prière initiale a inspiré aux compagnons. S’appuyant sur les témoignages des personnes qui l’ont vécue, nous pouvons constater combien le sentiment communautaire est reconnu plus fort : « Le Seigneur était vraiment au milieu de nous, c’était presque palpable ! » ; « J’ai mieux compris/ressenti combien le Seigneur peut me parler à travers les frères » ; « Pour moi qui ne m’émeut pas facilement, là j’étais très émue et me suis davantage laissée toucher par la Parole » ; « Cela a vraiment resserré des liens entre nous ». Le fait de prendre le temps de lire la prière des frères, et de s’en inspirer pour poursuivre aide à se décentrer davantage que dans le dialogue contemplatif où l’on peut être plus distrait et centré sur ce que l’on va dire… Difficultés ou points d’attention : - Il faut vraiment prendre son temps, sinon, on perd une grande

© iStock

Le dialogue contemplatif n’est pas la seule prière communautaire que l’on peut prendre pour faire « corps ». La méditation étendue, qui prend son temps et passe par l’écrit peut aussi être un outil pour tout groupe.

part du bénéfice. Il faut prendre le temps de l’entrée en prière, (chant, demande de grâce), et le temps d’intériorisation de la Parole écoutée, et de celle reçue à chaque changement de feuille. Donc, non, on ne fait pas cela quand on est pressé ou si quelqu’un arrive en retard ! - L'animateur remettra à chacun une feuille avec le texte à contempler et quelques lignes résumant le déroulement. Il veillera à ce que la disposition des lieux favorise la prière et la communion, mais aussi un certain confort pour pouvoir écrire. (Le mieux : une table ronde !) - Il serait dommage qu’une telle expérience soit réservée aux équipes d’« enracinement ». Toute communauté locale, voire toute cellule d’Église a besoin de grandir dans le sentiment de faire « corps », communion. Cela est tellement désirable, tellement incontournable pour vivre en Christ, et en même temps tellement difficile à réaliser qu’il est bon d’accueillir un moyen proposé comme pouvant aider sur ce chemin. Annick Nony

1. cvxe.fr

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Se former

Expérience de Dieu…

a table avec les plus pauvres Répondant à une interpellation inattendue, Jean-Claude rejoint une équipe pour créer un restaurant solidaire. En presque trois ans, « l’Assiette » n’a pas désempli… et Jean-Claude constate que le repas a toujours été pour lui un lieu de rencontre et de service, ajusté à sa mission de diacre.

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lement, petit à petit, le resto devient un lieu de rendez-vous, chacun y amène des amis. Je rends grâce à Dieu… et le remercie d’être aux fourneaux. Car je crois bien qu’il a fait sa part ! En effet, au début de notre aventure, rien n’était gagné : c’est la rencontre fortuite d’un ancien chef cuistot en retraite, lors

© Emmaus, Augustin Lhermitte, 1892.

« Au moins ici, je mange pas toute seule avec ma télé ! », m’a un jour confié l’une des clientes de l’Assiette. Comme elle, beaucoup de personnes poussent la porte pour rompre une solitude pesante, quotidienne. Moi je m’étonne, je m’émerveille de ce lieu, censé remplir les estomacs et qui comble les cœurs ! Fina-

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d’une réunion Habitat et Humanisme, à laquelle on m’avait convié, qui a amorcé le projet. Je me suis laissé convaincre ; en tant que diacre, le service de la table, c’est un peu mon domaine ! Il a fallu trouver un local, des fonds, des bénévoles… Même au sein de cette « équipe première » les motivations sont variées : nous ne sommes pas tous animés par la foi, loin s'en faut ! Mais, comme au resto, Dieu a trouvé son chemin entre les tables ! J'en aperçois parfois certains à la messe, où ils viennent partager un autre repas ! Cette aventure de l’Assiette me rappelle une autre grande étape de ma vie : Noël 1987, un repas de fête partagé avec des réfugiés. Nous l’avions organisé à la cité de Chardelièvre, avec les familles arrivées du Cambodge, du Laos, du Portugal, d’Angola… Leurs enfants venaient au caté et depuis quelques années, un dîner nous réunissait à Noël. D’abord chez nous, avec ma femme et mes filles. Puis très vite, il avait fallu pousser les


murs et c’est finalement le foyer social (à l’époque « AFTAM ») qui nous avait prêté des locaux. Cet hiver de 1987, nous avions convié l’évêque. Il est venu. Quelle joie, quelle fierté pour les familles et les bénévoles, que cette visite ! Tous à la même table, nous avons reçu les uns des autres. Aidé par le Secours Catholique, ce repas festif a perduré. La municipalité a pris le relais. C’est aujourd’hui un rendez-vous incontournable de la fin de l’année. Cette graine semée a germé. Je me réjouis de voir que le lien se perpétue, grâce à d’autres. C’est grâce aux familles de cette cité qu’est né mon engagement avec la Croix d’Or. Lors d’une visite de préparation de baptême pour une enfant du caté, je découvre son père, affalé au bout de la table. Ivre. Une relation se tissera au fil des visites, fondée sur notre appartenance commune au monde ouvrier. Je suis chaudronnier. Mais la pente glissante sur laquelle il se trouve se termine inéluctablement dans la rue, à la dérive. Un jour, je lui parle d’être aidé par une association d’aide aux alcooliques, La Croix d’Or. Et sans y avoir vraiment réfléchi, simplement pour « être avec », je lui propose de ne plus boire du tout, moi non plus. Pour marcher à son rythme et le soutenir. Il va s’en sortir, accompagné par cette association dans laquelle je m’implique aussi. Aidé par ma femme, je n’ai plus bu une goutte d’alcool

À la fortune du pot ! Assiette est un restaurant solidaire créé par une équipe de bénévoles, parmi lesquels un ancien chef. Au-delà du repas, le vrai projet se trouve dans le mélange des publics, la rencontre des personnes : deux tarifs différents sont appliqués, 4 ou 8 euros selon que l’on peut ou non participer à la caisse solidaire. Chaque jour, 45 couverts sont servis (entrée, plat, fromage et dessert !).

L’

(Il faut dire que j’avais lancé ce défi, sans le vouloir, le jour de notre anniversaire de mariage !). Depuis, il a eu tant de dîners, de pique-niques festifs, de repas partagés… sans un seul verre de vin. Parce que partager la même table, c’est prendre soin de chacun. C’est prêter attention à ce qui lui fait plaisir, lui fait du bien. Sans alcool donc. Un copain, c’est celui avec qui on partage le pain. Pas besoin d’alcool pour cela ! Pour l’anecdote, je dois dire que c’est aussi lors d’un déjeuner au séminaire d’Orléans, avec ma femme, que je rencontre un diacre avec qui j’ai un long échange. Et je comprends que ce que vit cet homme rejoint ce que je vis. Le service. Nous pourrons, je pourrai, ainsi répondre « oui » à l’appel de monseigneur Plateau en 1984 au diaconat permanent « au service des plus défavorisés ». Les relectures donnent toujours le vertige ! J’ai été ordonné diacre, « au service de la table » littéralement. Depuis 30 ans, je peux dire que je vais « de repas

en repas ». Le Premier qui m’y convie, c’est le Christ, lorsqu’il dit : « Faites ceci en mémoire de moi ». Et chaque jour, lorsque je me rends à « l’Assiette » (je suis en charge des poubelles, c’est donc un absolu quotidien !), je me sens à ma place, j’ai l’impression d’accueillir « comme à la maison ». Mais pas tout seul. Jean-Claude Speckens Propos recueillis par Laetitia Forgeot d’Arc

Une théologienne relit cette expérience « Manger au restaurant : sortir de chez soi, se risquer dans l’espace public, s’offrir un temps loin de ses préoccupations, oser être servi, et puis repartir vers son quotidien. Depuis Emmaüs, l’Église se crée à l’auberge au milieu des inconnus, comme elle se crée sur la plage où Dieu nous attend avec le pain et le poisson grillé (Jean 21) ou dans l’intimité de la maison où il vient visiter les disciples (Luc 24, 36-49). » septembre/octobre 2017 23


Se former

Lire la Bible

moïse, promesse du christ serviteur Guide, intercesseur, serviteur du Peuple… La figure de Moïse est complexe et variée. À travers lui, se dessine une image d’un Dieu qui pardonne, qui recrée, qui est présent au milieu des épreuves de son Peuple. Une étape avant que le Christ accomplisse et achève le Salut pour tous, souligne Anne-Claire Bolotte.

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Anne-Claire Bolotte, professeur d’histoire, bibliste, enseignante au collège des Bernardins.

Lorsque Jésus rencontre les disciples sur la route d’Emmaüs, il leur explique « ce qui le concerne dans les Écritures », c’est-à-dire dans ce que les chrétiens appellent l’Ancien, ou le Premier Testament. Il est très probable que Jésus a parlé de Moïse aux deux marcheurs ! Nous choisissons d’approfondir un aspect de sa riche personnalité, Dieu lui-même l’appelle : “Mon serviteur qui est fidèle" » (Nombres 12, 7). Les chapitres 32-34 du livre de l’Exode nous permettent de comprendre pourquoi.

Une jeunesse tumultueuse Il est très intéressant de constater que Moïse n’a pas toujours été un saint homme ! Il a eu des débuts difficiles : fils d’Hébreux (Exode 1) il a été sauvé de la mort et élevé par une fille de Pharaon, il porte un nom certes hébraïsé mais à consonance égyptienne. Alors, à quel peuple appartientil ? Plus âgé, Moïse intervient dans des bagarres. Il tue un Égyptien qui s’attaquait à un Hébreu. Puis, il essaie de séparer deux Hébreux qui n’acceptent pas son

intervention. Quelle est sa légitimité à se conduire en chef? Jeune, la violence le poursuit. Il décide par lui-même, à plus ou moins bon escient.

Une existence transformée par l’appel de Dieu Dieu va l’extirper de cette ambiguïté : il se manifeste à lui dans le buisson (Exode 3 1-6 ; 12), l’appelle par son nom et lui donne aussi le sien : « JE SUIS avec toi » et cela suffit. Dieu met l’audace et la pugnacité de Moïse au service d’un peuple maltraité. Et Moïse, sur l’ordre de Dieu, affronte Pharaon et obtient la possibilité de quitter la terre de servitude, l’Égypte. Au désert, Dieu fait alliance avec son peuple: « Je serai votre Dieu, vous serez mon peuple ». Encore faut-il que le peuple soit fidèle ! Or les chapitres 32-34 de l’Exode nous relatent une crise redoutable : elle va révéler la personnalité profonde de Moïse.

Une solidarité sans faille Moïse est sur la montagne pour y recueillir les paroles de Dieu,

24 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 49

puis les transmettre au peuple. Mais il tarde à redescendre. Le peuple se sent abandonné, presque trahi et, avec la bénédiction d’Aaron, « se » construit un substitut : le veau d’or ! Dieu, qui voit ce qui se passe, est furieux de voir son Peuple sombrer dans l'idolâtrie pour son malheur : il lui a tant donné, la manne, l’eau, le salut d’Égypte. L’idée de Dieu est de redémarrer à zéro, avec Moïse, un autre peuple. Moïse déploie alors une argumentation serrée : « Que vont penser les païens si Israël est abandonné dans le désert par son dieu ? » Moïse fait aussi appel à la fidélité de Dieu. Dieu accorde la vie sauve au peuple. Mais il ne veut plus y demeurer « en personne ». À nouveau Moïse intercède et Dieu accepte de revenir « avec nous » (Exode 33,16-17) : « Cette chose que tu as dite, je la ferai encore, car tu as trouvé grâce à mes yeux ». Moïse a refusé tout traitement particulier: il n’ira pas sans le peuple, car telle est sa mission, le guider et le garder. Il ne veut aucun privilège même en raison de sa justice. Notons que sa


© Moise se déchausse devant le buisson ardent, mosaïque, monastère sainte Catherine, Mont Sinai

réaction est juste l’inverse de celle d’Aaron qui dit « n’y être pour rien » et se désolidarise d’un peuple qui lui était confié. La solidarité de Moïse avec le peuple pécheur annonce celle du Christ avec toute l’humanité. Le Fils de Dieu, Vivant et Saint, prend la condition humaine c’est-à-dire mortelle. Bien plus, nous dit Paul dans l’épître aux Philippiens (2, 6-11), la kénose, l’anéantissement jusqu’à la mort sur une croix a été acceptée par le Christ, Fils de Dieu, dans une obéissance réelle et libre. Un salut définitif est alors donné accomplissant, achevant ce que l’humilité de Moïse avait déjà obtenu pour le peuple choisi.

« Père, pardonneleur ! » Luc, 23,34 Reprenons le récit du livre de l’Exode et remarquons que Moïse n’a pas encore obtenu le pardon pour le peuple. Il continue d’intercéder : « Pardonne nos fautes et fais de nous ton héritage ! » (Exode 34,8). L’auteur, très volontairement, maintient une tension. Le récit, dans la durée qu’il suggère, oblige son lecteur à un certain jeûne, pour accueillir le pardon de Dieu comme une pure grâce, non comme un dû. Le pardon de Dieu n’a pas grand-chose à voir avec un oubli bienveillant. Il est une re-création, comme une naissance nouvelle. Dieu va « pardonner » : le signe est la nouvelle écriture des tables que Moïse avait détruites face au péché du peuple (Exode 34, 28). L’alliance

est renouvelée par l’intercession de Moïse et la grâce de Dieu. Les demandes pressantes de Moïse n’annoncent-elles pas celle du Christ en Croix ? « Père, pardonne-leur… » Le serviteur que décrit Isaïe (Is 52, 13-53,10) lui aussi intercédait pour que les multitudes deviennent justes. Moïse et les prophètes portent la même espérance.

« Dieu, nul ne l’a jamais vu ! » Jean, 1, 18

Le texte de l’Exode nous surprend encore. En plein milieu de la discussion avec Dieu, Moïse fait une demande inouïe : « Fais-moi voir ta gloire », ce qui revient à dire, faistoi connaître « en toi-même ». Is-

raël sait pourtant que la vue de la sainteté de Dieu serait tellement insupportable pour un pécheur qu’il en mourrait tout net ! Dieu ne se fait pas « voir » à Moïse ; mais il va « faire passer » devant lui « tous ses bienfaits » et « poser sa main sur lui » (Exode 34,5-7). Dieu est là, mais sans que Moïse puisse le saisir. « Dieu, nul ne l’a jamais vu », pas même Moïse. Plus tard, le visage de Dieu se fera bien connaître : ce sera celui d’un crucifié qui, comme l’annonçait Isaïe « n’a plus figure humaine ». Dans sa vulnérabilité, il ne fera plus peur à personne : « Qui regarde vers lui, n’aura plus de honte au visage ; Dieu le sauve » (Psaume 33/ 34, 6-7).

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Lire la Bible Serviteurs, à la suite du Serviteur

© Moise et les tables de la loi, Rembrandt, 1659, Staatlische museen, Berlin

Il faut évoquer un autre élément de ces chapitres 32-34 de l’Exode : lorsque Moïse descend pour communiquer au peuple la volonté de Dieu, il apparaît nimbé de lumière et le peuple n’ose pas l’approcher (Exode 34, 29-30). Cela fait penser à la Transfiguration de Jésus. Mais pas seulement. Saint Paul a l’audace de reprendre cela au compte des disciples du Christ : ils participent déjà de la gloire du Ressuscité. « Nous tous, qui le visage découvert réfléchissons comme en un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en cette même image, allant

Pour aller plus loin La relecture de « toutes les Écritures » à la lumière de leur accomplissement en Jésus-Christ, permet de mieux comprendre son mystère. Déjà, l’Ancien Testament, comme le Nouveau, porte les traces d’une reprise des évènements anciens pour éclairer le présent. Laissons venir à notre mémoire d’autres épisodes de la vie de Moïse : le salut, le passage de la mer, le don de l’eau ou de la manne, celui de la loi comme chemin de vie, pour y reconnaître l’annonce du don de Dieu par le Christ et en rendre grâce. Les traditions juives et chrétiennes font encore aujourd’hui ce travail de recherche et d’actualisation. Il repose sur un acte de foi : depuis le commencement, la volonté de Dieu de sauver, de faire vivre et d’aimer est constante. Tout au long des aléas de l’histoire, Dieu confie sa volonté à des hommes qu’il a choisis. Comme à Moïse, il nous est proposé de faire partie de ces hommes et de ces femmes qui mettent leurs capacités et leur liberté au service de Dieu et des hommes.

de gloire en gloire, comme de par le Seigneur qui est Esprit. » (2 Corinthiens 3,18). Moïse annonce aussi quelque chose de la condition du disciple, uni à Jésus-Christ par le baptême C’est bien difficile à entendre ! C o m me nt l a g lo i re de D i e u peut-elle se manifester, dans des existences encore marquées « par la fragilité d’un vase » (2 Corinthiens 4,7) ? Moïse et l’épître aux Philippiens nous mettent sur la voie. L’hymne du chapitre 2 que nous avons déjà cité est au centre d’une exhortation à « avoir les mêmes sentiments que le Christ ». C’est-à-dire, vivre avec humilité dans l’amour mutuel, afin de porter la « parole de vie dans le monde » (Philippiens 2, 16). La participation à la Gloire du Ressuscité s’exprime dans le service et l’intercession. Moïse n’a pas gardé pour lui ce qu’il a entr'aperçu de la Gloire

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divine : il a mis sa proximité avec Dieu au service du peuple dans les épreuves du désert. De même, le Fils de l’homme, dit Jésus n’est « pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie pour tous les hommes » (Marc 10, 45). Les disciples, à la suite de leur maître, sont appelés à faire de même. Anne-Claire Bolotte

A vos Bibles Prenez 20 minutes pour relire les chapitres 32 à 34 de l’Exode. Lisez aussi Nombres 12, où Moïse est en butte à la jalousie et où Dieu le défend. Enfin méditer le chapitre 2 de l’épître aux Philippiens.


Spiritualité ignatienne

« un grand élan pour servir » Le service est au cœur de la démarche dans laquelle saint Ignace nous entraîne. Quelle conception Ignace avait-il du service ? Quelle place le service tient-il dans les Exercices spirituels ? Parcourir avec Paul Legavre s.j. quelques textes ignatiens permet de percevoir la mystique de service dont a vécu Ignace et qu’il ne cesse de nous transmettre.

C’est que, lorsqu’Ignace se convertit, dans la Casa familiale de Loyola, deux mondes s’affrontent en lui : il est pris par « les exploits mondains » qu’il veut faire tout comme par « les exploits pour Dieu qui s’offrent à son imagination » (Récit 7). Le service de Dieu l’emporte, et alors, note-t-il, « la plus grande consolation qu’il recevait était de regarder le ciel et les étoiles, ce qu’il faisait souvent et pendant un bon espace de temps, parce qu’il en ressentait en lui un grand élan pour servir notre Seigneur » (Récit 11).

« Quand il servait à la Cour » Or c’est à la Cour qu’Ignace a appris le service. Son père l’avait envoyé à Arevalo, en Castille, auprès du Trésorier du Royaume, Velasquez de Cuellar. Les onze années de son séjour sont le lieu d’une éducation ; Ignace, « quand il servait à la cour du roi catholique » (Récit 53), intègre les codes mon-

dains et chevaleresques. À sa conversion, le service de Dieu va prendre la figure du pèlerinage à Jérusalem, mais, sur la route, il faudra un long temps de crises, au pied de l’abbaye catalane de Monserrat, à Manresa, pour que son imaginaire du service soit purifié de tout ce qu’il a de mondain, et qu’il apprenne à servir selon Dieu. Ce grand changement passera par bien des excès, dans sa façon de s’habiller, de se nourrir, de vivre – jusqu’à naître à une liberté neuve pour Dieu, qui le fait passer de l’extérieur vers l’intérieur.

ou à cause de la ferme volonté que Dieu même lui avait donné de le servir » (Récit 27). Il en va de même pour nous : nous voulons servir, bien sûr, mais sans toujours réaliser à quel point notre conception du service a été forgée culturellement par notre éducation, nos études, notre profession, notre caractère aussi. Nous traversons bien des malentendus, des désillusions, et même des

Paul Legavre s.j., directeur de Manrèse, le centre spirituel jésuite d’Ile-de-France.

« La ferme volonté de le servir » « En ce temps-là Dieu se comportait avec lui de la même manière qu’un maître d’école se comporte avec un enfant : il l’enseignait. Que cela fût à cause de sa rudesse et de son esprit grossier, ou parce qu’il n’avait personne pour l’enseigner,

© Anonyme de l’école française du XVIe siècle

I

« Il imaginait ce qu’il devait faire au service d’une dame ». Tel est la première apparition du mot « service » dans le Récit qu’Ignace fait de sa vie !

▲ Ignace, chevalier en armure, servait à la cour du roi.

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Spiritualité ignatienne crises, pour que « le pur service » de Dieu (Ex. S. 135) puisse l’emporter.

« Je veux que tu nous serves » Ignace comprend progressivement que pour lui, servir, ce sera « aider les âmes » et, bien des années plus tard, lorsqu’il entre à Rome, avec les premiers compagnons, il reçoit une vision décisive, dans la petite chapelle de la Storta. Ignace l’écrit de façon tout à la

fois sobre et dense : « le Père le mettait avec son Fils » (Récit 96). Le P. Lainez, un témoin (il lui succédera à la tête de la Compagnie) nous raconte ce qu’Ignace lui avait partagé : « Il lui semblait voir le Christ avec la croix sur l’épaule, et le Père auprès de lui, qui disait : « Je veux que tu prennes celui-ci pour ton serviteur ». Et alors Jésus le prenait et disait : « Je veux que tu nous serves ». » On a pu écrire que cette vision qui s’imprime en

Ignace représente pour lui un moment analogue à celui qu’a vécu saint François d’Assise, lorsqu’il reçoit les stigmates à l’Alverne : c’est une expérience d’union radicale à Dieu, de prise de possession par Dieu de tout son être. Qu’elle ait la marque et la couleur du service en dit la place absolument centrale dans la mystique d’Ignace. Il ne s’agit pas de faire « des choses » pour autrui, c’est bien plutôt de l’union à Dieu que naît le service.

© Mosaique, église Saint-Ignace, New York

« Servir le Seigneur seul et l’Église »

▲ « Servir le Seigneur seul et l’Église son Épouse sous le Pontife romain ». Ignace présentant les documents de la fondation de la Compagnie de Jésus.

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La vision de la Storta s’accompagne d’une autre parole : « À Rome, je vous serai propice ». C’est à Rome que le Pèlerin a été conduit, au terme d’un périple entrepris quinze ans auparavant, quand il avait quitté Loyola pour Jérusalem. Désormais, il ne s’éloignera guère de la Ville sainte. Le désir de Jérusalem se mue en service de l’Église à partir de Rome. Dans les documents de fondation de la Compagnie, les Formules de l’Institut jouent un rôle particulier : approuvées et confirmées par les papes Paul II en 1540 et Jules III en 1550, elles expriment le cœur de la vocation jésuite. Le service y tient une place éminente, dès les premiers mots : « Celui qui veut, dans notre Compagnie que désirons voir désignée du nom de Jésus, combattre pour Dieu sous l’étendard de la croix et servir le Seigneur seul et l’Église son Épouse sous le Pontife romain, Vicaire du Christ


« En tout, aimer et servir » Les Exercices spirituels constituent la matrice de notre spiritualité, ils éclairent la place décisive du service, ils commencent et finissent par le service. Dans le « Principe et Fondement », qui en est le porche d’entrée, Ignace donne la direction : « L’homme est créé pour louer, révérer et servir Dieu notre Seigneur et par là sauver son âme » (Ex. S. 23). Telle est la fin de l’être humain, le but de toute existence ; il s’agit que nous « désirions et choi-

sissions uniquement ce qui nous conduit davantage à la fin pour laquelle nous sommes créés ». C’est ce fondement que la démarche des Exercices va inscrire profondément dans le cœur et la vie du retraitant, en sorte qu’à l’issue du chemin, dans la Contemplation pour parvenir à l’Amour, il puisse demander la grâce de pouvoir « en tout aimer et servir » (Ex. S. 233). En todo amar y servir. Notons un point éclairant. Très souvent, dans l’écriture d’Ignace, servir est accompagné d’autres termes. Ici, « louer, révérer et servir », et « aimer et servir ». Une louange qui ne s’incarne pas dans le service risque bien d’être désincarnée : la Contemplation pour parvenir à l’amour ne dit-elle pas que « l’amour doit se mettre dans les actes plus que dans les paroles » (Ex. S. 230) ? Le P. Claude Viard, dans son article remarqué « Créés pour louer », insistait : pour Ignace, c’est le service de Dieu qui est la fin. La louange, pour ne pas se payer de mots, doit être mise à l’épreuve du service, un service concret, incarné. Et réciproquement, le service, à l’épreuve de la louange et de la gloire, trouve sa justesse et sa gratuité dans l’ouverture au vouloir de Dieu. C’est d’ailleurs dans les passages des Exercices qui préparent l’accueil de la douce volonté de Dieu, dans l’élection, que les termes de service et servir reviennent le plus souvent.

© Vision de saint Ignace à la Storta, Jeronimo Jacinto de Espinosa, 1631, Valencia

sur terre (...)». Comment comprendre la radicalité du « servir le Seigneur seul » et le lien, la conjonction immédiate qui est établie avec « l’Église son Épouse », sinon par la compréhension que celle-ci est le Corps du Christ ? En tout cas, et en toute chose, c’est le Seigneur seul qu’il s’agit de servir. D’ailleurs, dans les écrits d’Ignace, servir est presque toujours servir le Seigneur : servir Dieu notre Seigneur, servir le Créateur, servir le Créateur et Seigneur, servir sa divine Majesté, servir le Christ notre Seigneur. Comme en écho de l’alliance à Sichem, quand les fils d’Israël ont franchi sous la conduite de Josué le Jourdain et sont entrés dans la Terre promise, avec l’arche de l’Alliance : « C’est le Seigneur notre Dieu que nous voulons servir, c’est à sa voix que nous voulons obéir » (Josué 22, 24). Et nous, qui voulons-nous servir ?

▲ Ignace expérimente à La Storta que le service naît de l’union à Dieu.

RÉFÉRENCES On comprend mieux que lors du colloque pour les 50 ans de la Revue Christus, en 1984, le P. Claude Flipo, son directeur, ait insisté sur la mystique de service qu’est la démarche spirituelle de saint Ignace, « une mystique de service par amour » (P. Joseph de Guibert). Nous voici invités à entrer dans un travail sur nous-mêmes, à recevoir une purification dans nos représentations, pour apprendre, avec Ignace, à servir de façon plus juste. Disciples, compagnons, serviteurs : la vérité du service se reçoit dans la suite du Christ et les uns par les autres. Paul Legavre s.j.

José Antionio Garcia, Servicio/Servir, Diccionario de Espiritualidad Ignatiana, Ediciones Mansajero/ Sal Terrae, 2007 pages 1637-1646. Claude Viard, Créés pour louer, Christus 102, 1979, pages 213-223 Le Récit : Ignace par lui-même, Éditions Vie Chrétienne

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Se former

Question de communauté locale

un cap pour l’année Les relectures de fin d’année permettent d’inscrire dans la mémoire des communautés locales (CL) les temps forts vécus ensemble et de rendre grâces pour le chemin parcouru. Elles permettent aussi d’exprimer attentes et désirs. Comment à partir de là trouver un chemin de croissance pour la suite ?

C

Chaque histoire de CL est unique ; voici cependant quelques exemples de réponse.

1. cvxe.fr

« En s’inspirant de ce qui est proposé dans « l’enracinement »1, répond une assistante. Contempler la vie de la CL au fil de l’année permet de repérer les avancées et les freins dans la suite du Christ. On peut alors s’appuyer sur la première page du site « enracinement » pour se demander ce qui est à rechercher pour avancer durant les mois qui viennent. Quel axe privilégier pour grandir, comme disciple, compagnon ou serviteur ? Puis décider ensemble. Le binôme responsable/ accompagnateur pourra alors utiliser ou non les propositions du « jardin », les adaptant de toute façon à ce que vit la CL. Dans une CL en quatrième année de la période d’enracinement, à partir du bilan de fin d’année, le binôme a fait un récit. Témoin du cheminement des membres, il s’émerveille alors que ce qui était impensable il y a quelques mois s’impose maintenant comme une évidence. À partir de cette relecture partagée, c’est la CL toute

entière qui a décidé de vivre ensemble le week-end proposé dans la période « enracinement ». « Une décision qui s’appuie sur la confiance dans ce que propose la CVX comme « expériment » et qui arrive comme un fruit mûr », relit l’accompagnatrice. À une CL ayant plusieurs années d’ancienneté, la Communauté régionale avait demandé de rédiger un « récit ». Autrement dit, un historique de son parcours, depuis quelques années. Ce travail incluait, de fait, un bilan de l’automne et de l’hiver. Si bien qu’à la dernière réunion de juin, le récapitulatif habituel était en partie effectué. Il a donc été préféré de relire l’année sous deux angles connexes : les engagements respectifs dans et hors CVX et les « lieux de mission ». Ce discernement a permis de définir des objectifs pour les mois à venir, particulièrement axés sur ces missions. « L’avantage est que l’expression d’un soutien et d’un envoi adressés par chacun et à chaque membre lors du second tour était manifeste et mise en relief plus qu’à l’ordinaire. Ce soutien et cet envoi sont des

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éléments essentiels de ce « vivre avec » constitutifs d’une CL. Disciples et (modestes) serviteurs déclarés, ils renforcent la dimension de compagnons », commente un membre de cette CL. Voilà trois expériences diverses qui invitent à la créativité pour se servir des moyens que met la Communauté à notre disposition. L’important est d’entrer dans la visée proposée par la CVX : non pas simplement se réunir pour partager prière et vie mais pour chercher ensemble un chemin de croissance. Ensuite prendre le temps d’entendre les mouvements qui traversent la CL, de mettre des mots sur ce qu’elle vit et de repérer le point où elle en est sur le chemin. Et en fonction de cela, décider du pas de plus et des moyens adaptés à mettre œuvre. Cette dynamique est de la responsabilité particulière du binôme responsable/ accompagnateur mais elle est aussi l’affaire de tous. Propos de trois CL recueillis par Marie-Elise Courmont


Ensemble Lefaire Babillard Communauté

© Weerapatkiatdumrong

Une parole à méditer

« La CVX met en œuvre une dynamique de croissance spécifique, pour que chaque membre grandisse dans son identité d’apôtre et qu’en même temps, la Communauté de Vie chrétienne grandisse dans sa vocation propre de corps apostolique laïc. » Dynamique de croissance : vers une vie de discernement apostolique, N°3

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Ensemble faire Communauté

En France accompagnateurs et responsables :

des pivots pour la CL

La première rencontre nationale des responsables et accompagnateurs de communautés locales s’est tenue à Beauvais en juillet dernier. 700 compagnons, ont répondu à l’appel à se former pour que chaque membre trouve son chemin de croissance personnelle, spirituelle et communautaire.

A Retrouvez vidéos, photos et ateliers sur : cvxfrance.com 60 % des communautés locales françaises étaient représentées.

CVX

1. Discerner, Envoyer, Soutenir, Évaluer.

Alain, responsable d’une communauté d’Ile-de-France attendait beaucoup de cette rencontre : « Je voulais vivre quelque chose de fort comme au congrès de Cergy en 2015 et aujourd’hui je demande la grâce d’une plus grande unité pour ma CL avec un objectif missionnaire commun. » L’ambiance était à la fois festive, contemplative et studieuse. Il s’agissait tant de rendre grâce pour le service accompli par le binôme responsable/ accompagnateur que de renouveler le regard de celui-ci sur sa propre communauté locale et approfondir la connaissance des moyens qu’offre la CVX pour la croissance spirituelle de chacun. 72 communautés de week-end ont pu découvrir et s’approprier avec beaucoup de joie, d’écoute mutuelle et de riches partages, le nouveau texte « Dynamique

de croissance » finalisé et reçu en mai 2017. La formation est un point d’attention de la Communauté mondiale et ce texte dense, fruit d’un travail en France de plusieurs années, met les mots sur les étapes du chemin spirituel que vit un compagnon, de la période de découverte à la période d’enracinement « vers une vie de discernement apostolique au quotidien », visée de la vie en CVX. Ce texte a permis à chacun, lors de ce week-end, de se situer sur son propre chemin spirituel et celui de sa communauté locale en repérant que la vie spirituelle n’est pas linéaire mais que sans cesse les passages spirituels « se font et se refont… » (paragraphe 6) L’occasion a été donnée à tous de creuser en compagnonnage élargi le mouvement caractéristique de la spiritualité ignatienne : contempler, discerner, agir qui lui-même s’appuie sur les trois attitudes fondatrices de l’être chrétien : disciple, compagnon, serviteur. Daniel, accompagnateur depuis de nombreuses années, a pointé comme fondamental et sans cesse à revivre cet axe de croissance proposé à cha-

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cun : « passer d’une vie généreuse où le membre reste maître de ses décisions à une vie spirituelle où il reçoit sa vie de Dieu… ». « Si un membre grandit dans sa condition de disciple, cela rejaillit sur toute la Communauté, car Dieu parle à chacun à travers le compagnonnage, témoigne-t-il. Et la communauté est au service de l’Église. » Pendant le week-end, les responsables et les accompagnateurs étaient invités à repérer les freins et les mouvements de croissance de leur CL à la lumière de ce texte. Quel pas de plus pouvonsnous faire ? Enfin, après la messe du dimanche, des ateliers sur les différents axes de formation ont permis à chacun de repartir en ayant approfondi le DESE1, l’entretien fraternel ou encore la réunion CVX comme un exercice spirituel… pour grandir personnellement et en communauté. « Je me suis reconnectée au cœur de ce qu’est la CVX ! » a exprimé Annick, responsable de l’équipe de Bergerac depuis un an et demi. Véronique Westerloppe


« partir au service », envoyée par mes compagnons

D

Début mars 2017, j’ai décollé pour Abidjan, Côte d’Ivoire : envoyée en volontariat de solidarité internationale par INIGO (Service de volontariat international jésuite) et la Délégation Catholique pour la Coopération (DCC) au Centre de Recherche et d’Action pour la Paix, un institut universitaire et social jésuite créé en 1962. Mais cette aventure a commencé bien plus tôt… L’envie de « partir au service » m’anime depuis plusieurs années. En 2016, une situation professionnelle compliquée m’a poussée à démissionner. S’est alors posé le choix de réaliser mon rêve de volontariat. Le discernement, plus personnel au début, s’est vécu comme un chemin. Au fil des semaines et des mois, il s’est nourri des échanges avec d’anciens volontaires, de la rencontre avec INIGO et des moments passés avec mes compagnons pendant et en dehors de nos réunions en communauté locale. Si j’ai postulé auprès d’INIGO sans ‘concerter’ mon équipe, en novembre, mes compagnons ont accueilli ma demande de leur partager mon projet.

Pour préparer la rencontre, j’ai relu l’année passée en CL : je voulais remercier mes compagnons pour toutes les paroles partagées, nommer les belles et bonnes choses goûtées qui m’ont permis de grandir et avancer. J’ai ensuite partagé les différentes étapes de mon discernement et de mon choix de départ. Pour finir, j’ai posé 3 questions à mes compagnons : 1. Qu’entendez-vous de mon projet ? 2. Pouvez-vous m’envoyer en mission ? 3. Quelle suite imaginer pour notre compagnonnage une fois que je serai partie ? L’échange qui a suivi a été très riche. J’ai entendu chacun de mes compagnons et ai noté quelques points à creuser. Les paroles posées m’ont permis de confirmer mon choix. En fin de rencontre, mes compagnons m’ont « envoyée ». Un geste simple, les mains posées sur moi, a marqué cet envoi. Mon projet et ma mission n’étaient plus personnels mais partagés et portés par ma communauté locale. Je partais seule mais accompagnée et très entourée. Depuis mon arrivée, les échanges n’ont pas cessé. Tant pour partager les premières impressions, les moments difficiles que les joies

CVX

Partie vivre un an de coopération, Agnès s’est appuyée sur sa communauté locale pour confirmer son choix et se sentir envoyée par elle. Malgré la distance, les échanges et le compagnonnage se poursuivent. De nouveaux compagnons l’accompagnent également, ceux de CVX Côte d’Ivoire.

vécues, les mails sont fréquents. Lors de ma dernière réunion, mes compagnons m’avaient remis une enveloppe pleine de petits mots, paroles, prières : des phrases pour nourrir et accompagner mes journées en Afrique. Au quotidien, je sais leur présence et leur soutien dans la prière. Malgré la distance le compagnonnage continue : ils m’accompagnent et me portent dans cette belle aventure qu’il m’est donné de vivre. Avant mon départ, j’avais pris contact avec la CVX Côte d’Ivoire. Dès mon arrivée à Abidjan, j’ai été accueillie par cette communauté qui a 100 membres et fête cette année ses 28 ans. J’ai rejoint la communauté locale Siloé qui compte 13 membres – des hommes et des femmes de divers parcours, âges et situations familiales. Avec eux, le compagnonnage continue !

Pour plus d’informations : inigo-volontariat. com ladcc.org cerap-inades.org

Agnès septembre/octobre 2017 33


Ensemble faire Communauté

En France

prier avec ses 5 sens en compagnonnage Prier, créer et méditer, c’est ce que la communauté régionale Hauts-de-Seine Sud a proposé de vivre lors d’un week-end. Une autre façon de se laisser rencontrer par le Christ, en tant que compagnons.

P

Pour notre deuxième année au service de la communauté régionale, nous avons eu l’intuition que nous pouvions proposer à chacun d’expérimenter différentes formes de prière en compagnonnage. Une première étape avant de proposer les Exercices Spirituels selon Ignace au printemps 2018.

© CVX HSS

Nous avons lancé un appel pour préparer ce week-end, une quinzaine de personnes a répondu… la moisson était déjà belle ! Chacun des organisateurs a suggéré un atelier, une forme de prière peu familière mettant en jeu un de nos cinq sens. C’est ainsi que nous avons proposé à la centaine de participants de s’approcher du Seigneur par le biais de l’écri-

ture, du yoga du rire, du modelage, de la gravure, de la création d’un chant, de la broderie, de la fabrication du pain, de la parole gestuée, de la contemplation de la ville… Avec le modelage, nous avons laissé nos doigts être en union avec notre prière intérieure. Avec la gravure, nous avons révélé par le toucher ce qui nous habite. En brodant un signet, nous méditions l’un des dix commandements. Avec le yoga du rire, nous sommes passés du défoulement à la méditation. En fabriquant du pain, nous avons mieux saisi en quoi le levain est signe de continuité, de croissance, de fragilité Avec l’atelier écriture, nous avons mis en mots ce que la Parole de Dieu nous dit tout bas…

« Mon Sauveur, j’en ai assez de raisonner et de discuter à ton sujet. J’ai assez lu, assez écouté, assez parlé; je voudrais m’approcher de toi tout simplement. (…) Laissemoi m’absorber, m’abimer en ta présence ». Frère Luc de Tibbhirine composée et mise en musique la veille par l’atelier Création musicale. Le week-end s’est achevé par une Eucharistie joyeuse qui a permis de rendre compte les différents temps vécus : nous avons communié par le pain fabriqué la veille, gestué la Parole, offert nos créations…

Ce temps de création en méditation engageait totalement le corps, le cœur et l'esprit. La prière était soutenue par le « faire ». En fin d’atelier, les compagnons se sont offert leur création dans un partage mutuel.

Nous sommes repartis dans nos vies avec le sentiment que nous nous étions remis en route pour la suite de l’aventure CVX, comme les compagnons sur le chemin d’Emmaüs, l’évangile de ce dimanche-là. N’hésitez pas à nous contacter pour en savoir plus !

Le dimanche matin, nous avons chanté d’une seule voix la prière

L’équipe Service Hauts de Seine Sud

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une assemblée mondiale pour sortir de soi La prochaine Assemblée mondiale de la CVX oriente vers le don de soi au monde et à l’Église. Elle s’inscrit dans un chemin renouvelé depuis 50 ans, rappelle Jean-Luc Fabre s.j.

T

Il y a eu le passage d’une fédération à une Communauté mondiale (Providence, 1982), la découverte de la manière caractéristique du DESE 1 (Nairobi 2003), la déclaration d’être en chemin vers un Corps apostolique laïc (Fatima 2008)… À la dernière Assemblée (Liban 2013), la notion de « pyramide de Franklin » 2 a rendu compte de l’intégralité de l’action apostolique de chaque membre de la Communauté, souvent invisible car non portée par une institution. Aujourd’hui, le processus de préparation de l’Assemblée Mondiale (Buenos Aires, Argentine, fin juillet 2018) est lancé. Mauricio Lopez, le président mondial, vient de nous adresser le courrier de sa convocation.

Son propos se centre sur un thème : « La CVX, un don pour l’Église et le monde », un passage de l’Écriture : « Combien de pains avez-vous ?… Allez voir » (Marc 6, 38) et une demande de

© Pixabay

Tous les cinq ans une Assemblée mondiale donne à la Communauté de Vie Chrétienne de faire un pas vers sa vocation, de mieux recevoir son identité.

▲ Place de Mai à Buenos Aires.

grâce au Seigneur : « Nous désirons vivre notre charisme CVX de manière plus profonde et intégrée dans le monde aujourd’hui ». Nous sommes invités à prendre conscience des divers dons reçus au cours des cinquante ans d’existence, pour voir comment tous ces dons forment aujourd’hui un bouquet qui rend la Communauté de Vie Chrétienne, malgré sa fragilité, capable de s’offrir au monde et à l’Église, en apportant le meilleur d’elle-même pour les aider à cheminer… Vaste programme. Comment ne pas évoquer déjà pour la CVX en France le congrès de Cergy de 2015 « Allez au puits de la rencontre », les propositions de cheminement spirituel sans cesse plus nombreuses, plus ouvertes, portées par les Communautés

régionales, la créativité présente des œuvres : le Hautmont, Saint-Hugues, les Éditions Vie Chrétienne, la Fondation Amar y Servir, mais aussi les Universités d’été qui se démultiplient, l’offre naissante des Matières à Exercices… Un goût de proposer, d’aller vers les autres pour chercher avec eux, les aider dans leur cheminement en les accompagnant, anime toute la Communauté. À quel davantage sommes-nous appelés pour être encore plus fidèles à notre charisme ? L’Assemblée mondiale nous aidera à recevoir tous ces fruits, à en percevoir le sens et à en entendre l’appel. Et notre Assemblée de Communauté en France de 2019 en fera le cœur de sa rencontre.

1. Discerner, Envoyer, Soutenir, Évaluer. 2. cvx-clc.net

Retrouvez la lettre du président de la Communauté mondiale présentant le thème de l’Assemblée mondiale sur  le site mondial de la CVX : www.cvx-clc.net

Jean-Luc Fabre s.j. Assistant CVX en France septembre/octobre 2017 35


Ensemble faire Communauté

Dans le monde

redémarrer la cvx au pays-bas par les pieds Sans équipe nationale depuis une quinzaine d’années, la CVX Pays-Bas vient de renaître et d’organiser début juillet 2017 sa première retraite. Une manière de redécouvrir l’esprit CVX dans la prière et le partage.

P

Pendant une quinzaine d’années la CVX Pays Bas n’avait plus d’Équipe Nationale. Les groupes locaux ont progressivement perdu le lien avec la CVX Mondiale et plusieurs équipes se sont arrêtées. En 2011, de nouvelles personnes ont demandé à rentrer en CVX : deux équipes francophones à La Haye et une autre à Amsterdam ont commencé. Plusieurs années plus tard, quand ces groupes commençaient à être plus mûrs, nous avons senti la nécessité de rétablir une Équipe Nationale et de chercher de nouveau le lien avec la CVX Mondiale. Pendant l’année 2015-2016, qui servait de discernement sur le désir et la nécessité d’une équipe nationale, l’idée d’une retraite « prier et marcher »

est née. Ce serait un chemin pour mieux se connaître, découvrir davantage l’esprit CVX, et ouvrir notre petite communauté à la dimension mondiale en invitant largement. La participation d’une quinzaine de personnes de quatre nationalités (Français, Belge, Libanais, Hollandais), partageant trois langues, et un soutien de plusieurs membres CVX en Europe pour préparer, nous a donné un goût de cette fraternité. Pendant la relecture de cette retraite, qui nous a construits comme équipe nationale, nous avons exprimé la surprise de voir nos efforts humains couronnés par une grâce inattendue : de l’amour entre nous tous. Deux participants venus ensemble, Marie-Hélène et Claude, témoignent de leur expérience : - Pour Marie Hélène, « Entrer dans la Joie de Dieu » (le thème de la retraite), quel beau programme ! J’ai pu ressentir mes forces de vie, de Joie, source et racines ouvertes. J’ai pu percevoir : ma mission de cultiver ma Vie intérieure en faisant confiance au Seigneur et renforcer, par nos

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actes, notre témoignage auprès de nos enfants et petits-enfants. Nous sommes revenus avec la phrase le ‘moins est plus‘ ». - Pour Claude, en marge de l’Église et de ses formes d’expression, « j’étais venu marcher pour chercher « le » chemin, « mon » chemin. Invité à vivre les cinq sens, j’ai découvert celui de l’orientation et la nécessité de sortir quelquefois une boussole pour « être » guidé. Il n’y a pas de réponse définitive, complète à mes interrogations, mais mes questions se sont transformées : savoir ce qui est bon pour moi, être en conscience, et discerner pour accompagner le passage du « pourquoi je vais » au « comment je vais ». La dimension collective de cette retraite, m’a aussi permis de sentir et éprouver la nécessaire confiance à avoir en l’autre, sa façon d’accueillir ce que je suis et m’exprimer en sérénité. En confiance, alors, il ne reste plus qu’à laisser agir. Serait-ce ce que vous appelez « la grâce ? » Marielle Matthee De l’équipe service nationale Pays-Bas


« en bonne compagnie ! » Du 29 au 31 juillet, à l’occasion de la naissance de la nouvelle Province jésuite d’Europe Occidentale Francophone, près de 700 personnes, jésuites, famille ignatienne et amis, se sont retrouvées. Un grand événement préparé par une petite équipe à laquelle un couple a participé. De quoi se laisser surprendre !

Nous, laïcs, avons été intégrés à la petite équipe de 5 personnes préparant cet évènement. C’est une fête à vivre à plusieurs voix : que transmet la Compagnie de Jésus au monde qui l’entoure ? Que veulent dire aux jésuites ceux et celles qui vivent de la spiritualité ignatienne ? C’est animés par ces interrogations que nous avons travaillé ensemble pour fêter et rendre grâce de ce que saint Ignace nous a laissé comme trésor spirituel, trésor largement répandu à travers l’Europe par saint Pierre Favre, patron de cette Province Europe Occidentale Francophone. Dès le début, le ton fut donné par la Compagnie de Jésus. Eh oui, un tel évènement ne se vit pas qu’entre jésuites. Ils voulaient se faire entendre, partager cette naissance très largement autour

d’eux. Les communautés religieuses de spiritualité ignatienne et tous les amis des jésuites sont concernés par cette naissance : c’est une nouveauté ! Ce désir d’ouverture a été constant pendant toute la durée de préparation de ce congrès. Le rassemblement se doit d’être ouvert aux familles et d’accueillir sans compter. Les jésuites tout comme leurs invités prendront la parole au cours de ce congrès. C’est réellement dans ce sens que nous avons défini le programme. Résultat ? Joie d’entendre des paroles d’action de grâce de laïcs, de voir les jeunes du MEJ se produire en spectacle, de partager en équipes de congrès, de prier ensemble… Joie également d’accueillir le préposé général, le père Arturo Sosa Abascal, originaire de la Province du Venezuela et quatre évêques, français et belges, tous heureux de partager cet évènement. À Namur, tout nous prouve la vitalité de la Compagnie ! S’ouvrir au monde, créer des liens forts avec les communautés religieuses et les laïcs, partager ce trésor spiri-

D.R.

E

En septembre 2015, j’ai été contacté avec Laure, mon épouse, par la Compagnie de Jésus pour préparer une fête. Le 31 juillet 2017, en la saint Ignace, une nouvelle Province jésuite allait voir le jour : la Province d’Europe Occidentale Francophone, réunissant les provinces de France, Belgique, Luxembourg, Grèce et de l’Île de la Réunion.

▲ L'équipe de préparation.

tuel. C’est déjà ce que nous avons voulu en travaillant ensemble à ce rassemblement et ce que nous proposons en cette fin juillet. Ce qui m’a touché ? La volonté de la Compagnie de partager cette étape importante de sa vie et ma joie d’être témoin d’une Compagnie bien vivante à la suite du Christ. J’aime à redire ce qu’un moine m’avait dit : « Une communauté qui n’a pas de projet est une communauté qui meurt ». Vincent Ailleret Paris Sainte Geneviève septembre/octobre 2017 37


A LIRE Va-ten Satan ! Éditions Vie chrétienne, septembre 2017 – 11 € Le nouveau libre de Michel Farin part des mots prononcés face à son assassin par le P. Jacques Hamel, égorgé alors qu’il célébrait l’Eucharistie le 26 juillet 2016 pour mener réflexion sur le mystère du mal à l’œuvre dans l’homme. À la lumière de l’Écriture et des Exercices spirituels, l’auteur analyse le fonctionnement et l’emprise du « Père du mensonge », Satan, et démythifie le « péché originel ». Non, le mal n’est pas inhérent à l’homme, mais Adam a sans cesse à lutter contre lui, en premier lieu en se reconnaissant pécheur devant Dieu, et en gardant une confiance sans faille en Son amour créateur et illimité pour lui. En vente sur : viechretienne.fr

A VIVRE Retraite selon les Exercices Spirituels Le centre spirituel du Hautmont propose pendant les vacances de Toussaint cinq jours de retraite. Du 29 octobre (19h) au 3 novembre (17h) 2017. Info et inscription : www.hautmont.org

Initiation aux Exercices spirituels pour tous Le centre spirituel Saint-Hugues de Biviers propose trois jours de retraite pour découvrir les Exercices spirituels. Du 20 octobre (18h30) au 23 oct. (17h) 2017. Info et inscription : www.saint-hugues.fr

A DÉCOUVRIR Formation des libraires relais Dans chaque communauté régionale (ou presque) une personne est en charge de faire découvrir les livres des Éditions Vie Chrétienne. Mais leur mission est plus riche encore ! Aussi une journée de formation leur est proposée le 7 octobre 2017 à Paris pour découvrir les nombreux outils à leur disposition. Inscription : contact@viechretienne.fr

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A SUIVRE Quelle Europe voulons-nous ? La 92e session des Semaines sociales de France se tiendra les 18 et 19 novembre 2017 à Paris. Deux jours de débats autour d’hommes et de femmes politiques français et étrangers, d’universitaires, d’experts et aussi de praticiens de toutes origines pour approcher l’Europe au quotidien. Participez dès maintenant au sondage « L’Europe et vous » et comparez vos réponses aux résultats du baromètre européen de 2016.

A FAIRE Pèlerinage en Terre Sainte 2018

Animé par Paul Legavre sj, Moïse Mouton sj, Sophie Beauchamp xavière, Anne Da xavière. Du samedi 14 au mercredi 25 avril 2018 Coût approximatif : 1895 e Pré-inscription : souhaitée avant le 15 octobre 2017 Public : en priorité jeunes adultes (ouvert à tous selon les places disponibles) Contact : coteaux-pais.net

A VIVRE Atelier art Réservé aux pratiquants artistiques, CVX ou non, un week-end autour de la vie spirituelle exprimée par son art est organisé par l’atelier Art au Cénacle de Versailles du 10 au 12 novembre (15h). Chacun apporte une œuvre personnelle récente, la présente en quelques phrases. Il peut parler de sa technique, de son objectif, de ce qu’il a vécu le temps de la création de son œuvre… et accepte la parole du groupe, chacun pouvant exprimer ce qu'il ressent ou poser une question. Inscription : frsepierson@gmail.com

Atelier « Étrangers » Réunissant des bénévoles ou des personnes travaillant auprès d’étrangers, de migrants, qu’elles soient CVX ou non, la prochaine rencontre de l’Atelier « étrangers » aura lieu le samedi 11 novembre 2017 à Paris. Pour participer : atelieretrangers@cvxfrance.com


Billet

Au retour des vacances, ça sent bizarre chez moi, faute d’aération. Je pose les valises et file ouvrir les fenêtres. Et là, catastrophe ! Toutes mes plantes sont mortes. Mes poinsettias ont perdu toutes leurs feuilles, et tendent leurs petits bras tordus et suppliants vers le ciel. Et la menthe n’est plus qu’un hérisson de brindilles marron, raides et cassantes. Il faut agir, et vite ! Je rouvre le compteur d’eau, et je commence à arroser en espérant. J’espère que la vie est encore là. Vie cachée, prête à repartir. J’arrose tous les jours : c’est sûrement trop, mais je me fais du souci. J’attends la première petite feuille verte, minuscule, qui m’annoncera que la vie est toujours là ! Mais c’est pas gagné, et j’ai souvent jeté des plantes mortes.

© Marbury / iStock

nature morte

Et au bout de dix jours, oui, je vois poindre au bout des rameaux des poinsettias de minuscules piques vertes, qui jour après jour se déplissent en petites feuilles toutes neuves : j’en ai le cœur tout réjoui. Pour la menthe c’est trop tard, le petit fagot ne se réveillera pas. Je déplace son pot dégoulinant d’eau sous une fenêtre moins en vue, pour l’oublier. Un mois plus tard, une amie admire mes poinsettias ressuscités et m’explique que pour qu’ils rougissent il faut rallonger leurs nuits en les privant de lumière : les priver du bon soleil de septembre ? Oui, pour qu’ils fleurissent à Noël en d’éclatants soleils, d’un rouge profond. Faut y croire ! Et puis, dans la semaine, la menthe oubliée dans son coin redémarre, et du sol sortent de nouvelles tiges odorantes. Génial ! On va pouvoir refaire du taboulé ! Cette nature étonnante me dit Dieu. Les poinsettias, que les longues nuits font refleurir, me rappellent que la vie spirituelle a besoin de silence, et de patience. Et ces plantes qui ressuscitent me parlent de l’espérance envers et contre tout. Elles me disent avec délicatesse que, même quand tout semble perdu, Dieu donne la vie. Il suffit d’espérer. Denis Corpet

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Prier dans l’instant

silence et agitation dans ta maison À mon arrivée dans cette église de village, elle est quasi vide. Je vais dire bonjour aux quelques personnes que je connais. J’arrive dans Ta maison, Seigneur, et je dis bonjour à ceux qui y sont déjà. Merci, Seigneur, pour toutes ces personnes au service pour préparer l’entrée en Eucharistie de neuf enfants. Je profite du calme momentané pour méditer sur les paroles des chants : « Mets ta joie dans le Seigneur, Compte sur Lui et tu verras Il agira et t’accordera Plus que les désirs de ton cœur. » Seigneur, je te demande la grâce que ces paroles atteignent mon cœur et celui de ceux qui les chanteront ou les entendront.

© Armel G.

Les premières familles arrivent peu à peu ; dans l’agitation, chacun cherche la meilleure place. Dans Ton Royaume, Seigneur, c’est à chacun que Tu réserves la meilleure place. Merci ! Dans l’évangile, cette parole : « Nous ne savons même pas où Tu vas, comment pourrions-nous en connaître le chemin ? » (Jean 14,5) Ton chemin passe aussi par un accueil, une bienveillance, un amour envers tous ces inconnus qui m’entourent de manière bruyante. Un jeune enfant pousse des cris de joie. Et moi, est-ce que j’ose pousser des cris – même silencieux – de la joie de Ton Amour ? À l’extérieur, une fanfare : décidément !… Je ne sais ce qui est ainsi fêté. Mais je sais que Tu es présent là où les hommes se rassemblent dans la joie. Devant moi, un jeune adulte handicapé ; lors de la quête, il reconnaît quelqu’un et crie « Bonjour ! » Il est tellement souriant ! Donne-moi, Seigneur, de toujours offrir joyeusement un sourire à ceux que je croise. À la fin de la célébration, les enfants sont rassemblés dans le chœur et les familles se précipitent pour prendre photos et films. Je me plais à penser que Tu te réjouis de cette fête bon enfant, même si elle a parfois manqué d’un peu de calme, de silence, de recueillement. En ce jour de première eucharistie pour certains, Tu t’es donné entièrement à chacun. Merci, Seigneur, ainsi que pour toutes les joies humaines célébrées. Après tout, c’est parce que Tu étais présent à la fête du mariage à Cana que Tu as accompli là le premier miracle de Ta vie publique. (Jean 2, 1-23) Marie-Claire Le Bever

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