Vie chrétienne Nouvelle revue
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B I M E S T R I E L D E L A C O M M U N A U T É D E V I E C H R É T I E N N E E T D E S E S A M I S – N º 5 0 – N O V E M B R E / D É C E M B R E 2 0 17
Vulnérable pour aimer
Imagination et prière Se former en politique
l’air du temps Changer la société, c’est possible Jean-Christophe Sarrot chercher et trouver dieu
NOUVELLE REVUE VIE CHRÉTIENNE Directeur de la publication : Jean Fumex Rédactrice en chef : Véronique Westerloppe Secrétaire générale de rédaction : Eléonore Veillas Comité de rédaction : Jean-Luc Fabre s.j. Marie-Thérèse Michel Geneviève Roux Éléonore Veillas Véronique Westerloppe Comité d'orientation : Nadine Croizier Marie-Claude Germain Anne Lemant Claire Maillard Étienne Taburet Fabrication : SER – 14, rue d’Assas – 75006 Paris www.ser-sa.com Photo de couverture : © Maria Teijeiro/Photodisc
Prochain dossier : Où demeures-tu ? Sortie Janvier 2018 Impression : Corlet Imprimeur, Condé-sur-Noireau
ISSN : 2104-550X 47, rue de la Roquette – 75011 Paris Les noms et adresses de nos destinataires sont communiqués à nos services internes et aux organismes liés contractuellement à la CVX sauf opposition. Les informations pourront faire l’objet d’un droit d’accès ou de rectification dans le cadre légal.
le dossier
Sommaire
Vulnérable pour aimer
Témoignages La vulnérabilité, vertu relationnelle ? Agata Zielinski Homme et Dieu, blessé Geneviève Roux Et Dieu se fit vulnérable… Odile Hardy se former Contempler une œuvre d’art : La guérison de l’hémorroïsse, Robert Fausser École de prière : Tenir son cœur en éveil Claude Flipo s.j. Expérience de Dieu : Accompagner jusqu’au bout les personnes "à la rue" Cécile Rocca Lire la Bible : Et Il a habité parmi nous Pascale Zerlauth Spiritualité ignatienne : L’imagination, ressort d’une prière qui fait vivre Nicolas Steeves s.j. Question de communauté locale : Rencontrer une autre CL Sabine Desmarquest ensemble faire communauté Une parole à méditer Fraternité et justice Des familles qui s’aiment, des serviteurs qui sèment Goûter la diversité des opinions politiques Au rythme d’un centre spirituel Les jeunes au défi de la foi En Italie avec des jeunes migrants babillard billet Et "re" ! Sabine Bommier prier dans l’instant En sortant du cinéma Geneviève Roux Retrouvez-nous sur
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Éditorial
«
Avec ce numéro, une équipe s’en va, une nouvelle arrive. Marie-Elise Courmont et Marie-Gaëlle Guillet quittent la Revue, appelées par d’autres horizons et d’autres missions. Qu’elles soient ici vivement remerciées pour la qualité du travail accompli, au service et en soutien de la formation des membres de la CVX et au-delà de la Communauté, à la diffusion de la spiritualité ignatienne. Avec le Comité de rédaction, nous reprenons le flambeau avec le même désir et beaucoup de goût pour vous proposer de nombreux dossiers, en prise avec les signes des temps et la vie spirituelle, pour Chercher et trouver Dieu en toutes choses, des articles de fond pour Se former et des nouvelles de la CVX France et Monde, pour Ensemble faire communauté et manifester le charisme qui nous fait vivre.
© AlexBrylov / iStock
cheminons ensemble…
Dans ce numéro, nous vous proposons un dossier sur ce qui est notre "fonds commun d’humanité" : la vulnérabilité (p. 12-13). Couramment vécue comme une limite à notre liberté, elle est pourtant un ressort et même un appel, pour qui y consent, à vivre l’altérité authentiquement. Dieu lui-même s’est fait vulnérable en épousant la condition humaine. C’est sous cet aspect d’humilité et de dépouillement que la divinité de Jésus se donne à contempler, de la crèche à la croix (p. 16-17). Pour approfondir ce mystère, et à quelques semaines de la fête de la Nativité, nous vous proposons de méditer le message du Prologue de Jean, "de la Parole faite chair" (p. 24-25). Mais avant "Tenons nos cœurs en éveil" dans la prière (p. 20-21) pour accueillir Celui qui vient.
»
Dans la rubrique Expérience de Dieu, Cécile nous raconte sa pratique d’accompagnement des personnes de la rue jusqu’au bout. Antoine nous relate, quant à lui, son volontariat auprès de jeunes migrants cet été. Deux invitations à être et à vivre à l’image de ce Dieu vulnérable : en relation pour servir nos frères. Véronique Westerloppe
redaction@editionsviechretienne.com
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L'air du temps
ATD Quart Monde
changer la société, c’est possible
Il y a 9 millions de pauvres en France, à peu près autant de personnes en manque d’emploi décent1. Face à ces constats, l’opinion publique navigue entre morosité et fatalisme. Pourtant, des changements d’ampleur sont en cours. ATD Quart Monde est à l’initiative de projets porteurs de ces transformations réelles…
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Jean-Christophe Sarrot Journaliste à ATD Quart Monde, co-auteur du livre En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté, Éditions Quart Monde/ Éditions de l’Atelier 2017.
Depuis des années, nos pays ne parviennent pas à fournir suffisamment d’emplois pour répondre à la demande des 10 % de la population active qui se trouvent au chômage. Cela produit des dégâts invisibles, mais considérables.
Des chercheurs2 ont expliqué que vivre dans la précarité s’apparente à vivre sans sommeil (l’un va d’ailleurs souvent avec l’autre). L’absence de sommeil a raison de tout être vivant, aussi robuste soit-il. La grande précarité aussi.
Ce ne sont pas les personnes qui ont des difficultés, mais notre société qui tolère ces dysfonctionnements et leurs conséquences silencieuses sur des millions de personnes. Il s’agit bien de silence. Une étude réalisée par le Mouvement ATD Quart Monde dans 25 pays3 a montré que, partout, la grande pauvreté enfermait ses victimes entre des murs de silence : le silence de l’impuissance et de la honte. Les "pauvres" et les "chômeurs" ne défilent pas dans les rues. Pauvres et non-pauvres, opinions publiques et dirigeants se résignent presque tous aux prétendues lois de l’économie.
© F Phliponeau ATD QM
Des solutions émanant du terrain
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Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 50
Pourtant, des solutions existent. Elles se nomment Territoires zéro chômeur de longue durée, la mutuelle Accès santé4, Un chezsoi d’abord… Elles ne sont pas conçues en vase clos par des experts, mais par des citoyens engagés dans un projet de société – dont des personnes en
précarité, des professionnels, des experts et d’autres citoyens de tous horizons. Enseignants, habitants de quartiers en difficulté et de zones délaissées, entrepreneurs, chômeurs, soignants, militants associatifs, élus locaux, retraités, etc. : ils sont des milliers sur le terrain à expérimenter patiemment des réponses possibles aux maux de nos sociétés. Cela prend du temps, mais c’est le temps qui permet à des racines et à des branches de grandir de façon solide. Et les transformations sont là. "Je ne m’attendais pas à de tels changements, psychologiquement, dans mon couple, avec les enfants…", explique Nathalie. Après de longues années de chômage, elle a retrouvé un emploi grâce au projet Territoires zéro chômeur de longue durée, initié par ATD Quart Monde, rejoint par le Secours catholique, Emmaüs France, le Pacte Civique et la Fédération des acteurs de la solidarité. Nathalie poursuit : "Retrouver un travail, ça nous redonne une chance d’exister. Avant, on était mis dans un tiroir, et maintenant le tiroir est ouvert. On ne survit plus : on vit… J’ai changé de regard sur moi et les autres aussi… Avant, je n’avais pas d’amis. Maintenant, j’ai créé des liens, j’ai des amis."
De nouveaux tissus de liens La force de ce projet – et sa condition d’existence – est dans la re-création de liens entre tous
Les 60 ans d’ATD Quart Monde ATD Quart Monde fête ses 60 ans en 2017. Créé par Joseph Wresinski et les habitants d’un bidonville de Noisy-le-Grand, son but est d’éradiquer la misère en agissant : – sur le terrain avec les premiers concernés pour obtenir l’application du droit, – auprès des institutions pour faire changer les lois, – auprès de l’opinion publique, afin de faire changer le regard porté sur les plus pauvres. les habitants d’un territoire. "Un des points les plus positifs de cette expérience, confirme un maire prenant part à cette expérimentation, ce sont les réunions qui ont eu lieu entre les chômeurs, les élus et les entreprises locales. Les images qu’on avait les uns des autres ont changé au fil du temps. Aujourd’hui, les contacts sont bien meilleurs. Tous les acteurs de cette expérience y gagnent. Les gens sont transformés." Chacun retrouve une fierté personnelle et une appartenance collective – Nathalie emploie souvent le "nous" et le "on" quand elle parle du projet. Au moment où le politique déçoit et même décourage, ces actions citoyennes lui redonnent un de ses rôles fondamentaux, qui est d’accompagner ces actions et de les soutenir… jusqu’au Parlement si nécessaire. C’est ainsi que la loi d’expérimentation des Territoires zéro chômeur de longue durée a été votée à l’unanimité à l’Assemblée nationale et au Sénat en 2016, et que, dans les conseils municipaux des territoires con-
cernés, des élus font taire leurs dissonances pour coopérer. Ils savent que la force de tels projets citoyens collectifs est qu’ils peuvent se développer au-delà des alternances politiques. Ces changements ne sont possibles qu’avec tous, sans laisser personne de côté. Cela signifie d’abord que tous doivent y être associés, de la personne la plus exclue aux décideurs et aux politiques, en passant par les citoyens de tous âges et de tous milieux. Cela signifie également que moi aussi je suis appelé à y prendre part. Jean-Christophe Sarrot
1. La Banque centrale européenne, dans son Bulletin économique du 10 mai 2017, estime le nombre de personnes en recherche d’emploi à environ 15 % de la population active en moyenne en Europe. 2. S. Mullainathan, E. Shafir, Scarcity. The new science of having less and how it defines our lives, 2014. 3. ATD Quart Monde, La misère est violence. Rompre le silence. Chercher la paix, 2012. 4. www.tzcld.fr www.acces-sante-pour-tous.fr
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Chercher et trouver Dieu
vulnérable pour aimer L’expérience de la vulnérabilité est rarement pacifiante. Face au regard des mourants, Chantal éprouve d’abord son extrême impuissance avant de la porter en prière (p. 8). Accueillant des migrants, Marie expérimente ses limites sociales et juridiques (p. 9). Et la naissance de son dernier-né fait que Claire se découvre "petite" (p. 10). Et si la vulnérabilité était aussi un chemin de vitalité ? La dépossession de Dieu, créant le monde ou donnant son Fils, nous apprend que vulnérabilité et manque sont à l’origine des actes créateurs de nos vies (p. 16 et 17). Accepter cette fragilité rend capable de recevoir et d’accueillir ce grand imprévisible : l’Autre (p. 12). En écho, un vitrail de Bourges donne au Sauveur Samaritain et au sauvé, le même visage (p. 14 et 15). Et le même, aussi, au Créateur tout-puissant et au créé vulnérable…
© Nadezhda1906 / iStock
Jean-François
TÉMOIGNAGES Vie en fin de vie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8 Leur vulnérabilité est la nôtre. . . . . . . . . . . . 9 Relire son histoire pour aimer davantage. . . 10 À l’école de la gratuité . . . . . . . . . . . . . . . . 11
ÉCLAIRAGE BIBLIQUE Homme et Dieu, blessé . . . . . . . . . . . . . . .. .14
CONTRECHAMP La vulnérabilité, vertu relationnelle ? . . . . .. .12
POUR ALLER PLUS LOIN . . . . . . . . . . . .18
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REPÈRES ECCLÉSIAUX Et Dieu se fit vulnérable . . . . . . . . . . . . . . .. .16
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Chercher et trouver Dieu
Témoignages
vie en fin de vie Aumônier dans un service de soins palliatifs, Chantal vit des rencontres fortes avec des personnes très démunies physiquement. Un partage entre souffrance et densité.
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même de passer la porte, j’ai à accueillir ce que je suis moimême à cet instant, reconnaître que je puisse être fatiguée, préoccupée, voire lassée, afin de laisser dehors, autant que possible, ce qui gênera la rencontre et pouvoir être vraie autant avec moi qu’avec l’autre.
© P. Bougon
À l’aumônerie de la maison médicale Jeanne Garnier à Paris, je rencontre des personnes fragilisées par ce qu’elles vivent dans leur être même. Aller dans leur chambre pour leur proposer une rencontre demande déjà de me rendre disponible à ce qui sera mis devant mes yeux, à ce qui me sera confié, partagé. Avant
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Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 50
Ainsi quand cette personne, recroquevillée sur son lit, me demande de lui raconter ce que j’ai vécu les jours passés, j’ose lui répondre : "Ces derniers jours, j’étais ici ; il m’est difficile de vous en parler". Sa maladie transforme son corps et son visage en gesticulation désordonnée et la fait pleurer quand elle parle. "Mais je suis heureuse" me dit-elle ; alors je me réjouis avec elle de tout ce qu’elle a préparé pour ses petits-enfants et ris même des histoires drôles de ces derniers. Cette femme qui gesticule péniblement et maladroitement
est pleine de vie et m’ouvre un chemin : celui de partager les petites choses simples du quotidien. Je suis auprès d’une personne en grande détresse. Elle me fixe du regard avec intensité. Peut-être vient-elle chercher en moi ce qu’elle ne trouve plus en elle ? Son regard est dense, voire intrusif. Jusqu’où va-t-elle aller ? Je la regarde aussi, d’un regard qui accueille et je la laisse me regarder aussi profondément qu’elle le désire, au plus creux de moi-même. Comme elle, je suis impuissante face à ce qu’elle vit. Partage sans mot, partage d’une souffrance, partage que je ne peux vivre qu’en y déposant le regard du Christ touché aux entrailles, souffrant silencieusement. Quand vient le moment de quitter ce lieu, la densité de ce qui a été vécu est si forte qu’il me faut du temps pour relire tout ce que j’ai reçu et reconnaître la présence de cet Amour vulnérable qui m’a fait grandir en humanité. Chantal
leur vulnérabilité est la nôtre En aidant des migrants, Marie a été interpellée par leur envie de vivre, de s’en sortir, comme un appel à les aimer, à se surpasser pour eux et découvrir sa propre vulnérabilité.
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Alhassane, Mercy, Varfee… et bien d’autres, tous migrants, souvent mineurs, sont accueillis chaque semaine dans une paroisse lyonnaise, pour un temps de conversation, des remises à niveau ou simplement être écoutés. Leur parcours est époustouflant. Ils ont traversé plusieurs pays inhospitaliers, bravé la violence, la haine, détourné les réglementations de certains États et sont arrivés sans trop savoir comment à Lyon. Et là, heureux d’y être, ils cherchent par tous les moyens à s’adapter et à trouver comment survivre. Certes, ils sont allés de lieux de vulnérabilité en lieux de vulnérabilité mais pour autant sont-ils eux-mêmes vulnérables ?
propre vulnérabilité. Leur courage, leur ténacité et leur désir d’apprendre notre langue m’émerveillent et ce sont eux qui nous donnent la force de continuer alors que nous savons bien que des situations sont sans issue car nombre d’entre eux vont sans doute être déboutés ! Aujourd’hui, nous ne parlons plus de migrants ou de réfugiés. Ils ont un nom, un visage et connaissent le nôtre. Leur obstination et leurs attentes obligent notre persévérance. Nous apprenons pour eux les démarches à entamer et tentons de les conseiller ou de les accompagner dans tel ou tel lieu, CIO (Centre d’information
et d’orientation) ou bourse aux vêtements… Grâce à RESF (Réseau Éducation Sans Frontières) certains ont pu intégrer un collège ou un internat, c’est pour eux et pour nous une victoire. La précarité de nos moyens est évidente, nos compétences sont mises à l’épreuve et pourtant ils reviennent. Durant l’été certains ont pris l’initiative d’un coup de fil pour prendre de nos nouvelles ! Par le lien qui se tisse, j’ai parfois l’impression que ce sont eux qui nous accueillent, qui nous font sortir de notre confort et oublier que nous pouvons être démunis… Marie
C’est ainsi qu’en croisant semaine après semaine Mercy, Mamadou Ahmid…, nous mesurons notre
© Angisreal / iStock
Leur présence est fragile, leur statut précaire et cependant il me semble que leur vulnérabilité est aussi l’expression de la nôtre. Nous ne savons comment faire parfois, démunis devant la complexité des démarches administratives.
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Chercher et trouver Dieu
Témoignages
relire son histoire pour aimer davantage Pour aimer plus et mieux ses enfants mais aussi son mari et Dieu, Claire a choisi de se mettre à nu, écoutant ses émotions et ses automatismes pour les dépasser et déployer plus d’amour.
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À l’approche de la naissance de notre aînée, les questions arrivèrent : "Quels parents seronsnous ? Que voulons-nous transmettre ? Que réussirons-nous à transmettre ?" Après sa naissance, il m’a fallu accepter de ne pas tout comprendre des besoins de notre fille. La fatigue nous fragilisait, les paroles blessantes au sein du couple nécessitaient de redécouvrir le langage du pardon. Notre fille grandissant, nous avons été confrontés à des questions concrètes où nos histoires personnelles nous faisaient réagir différemment. J’ai alors cherché à discerner les valeurs qui comptaient le plus pour moi.
Lors de ma seconde grossesse, j’ai pris conscience d’une réalité : tel un tableau, je me reconnaissais le fruit d’un mélange d’humanités, entrecroisées, reçues, vécues. Je réalisais que j’étais la mère, héritière en partie de mon passé, mais aussi celle que je choisissais d’être aujourd’hui. Il m’apparaissait alors évident que je me devais d’ouvrir le coffre-fort de ce que je trouvais laid en moi, de ce dont j’étais dépendante sans le vouloir (comportements, automatismes, peurs…). Les enfants sont des éponges de nos émotions et de nos attitudes et il était de ma responsabilité de changer en moi ce que je ne voulais pas leur transmettre.
J’ai donc entamé un travail accompagné pour accueillir ce qui me pesait, m’en détacher et avancer sur le chemin du pardon. Ouvrir la porte du passé me demandait de faire tomber les barricades construites au fil des ans. Écouter mon présent signifiait me reconnaître petite devant les liens solides qui m’attachaient à mes automatismes. Partager chaque étape de ce travail avec mon mari supposait une acceptation devant lui de ce dont j’avais honte. L’ego se déshabillait pour laisser place à la confiance en Dieu qui m’appelle au bonheur et à l’Être en plénitude. Je posais alors un acte de foi : la vie abonde lorsque je choisis à nouveau chaque jour qui je veux être. Je rends grâce pour nos enfants et ce qu’ils sont, mais aussi parce qu’ils me poussent à grandir en liberté intérieure en me dévoilant vulnérable. C’est ainsi que je les aimerai plus et mieux, mais aussi, mon mari, les autres, Dieu et moi-même.
© D.R.
Claire
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a l’école de la gratuité Aimer l’autre malgré son indifférence et parfois son hostilité. Nathalène en a fait l’expérience alors qu’enseignante, confrontée à des élèves qui n’attendaient, en apparence, rien d’elle, elle a choisi de se donner avec foi. Je passe mon temps à chuter et à me relever. Je hurle mon désarroi. Je découvre parfois une petite lumière au milieu de la forêt sombre qui me redonne du courage : un beau geste de l’une d’entre elles, un instant de vérité, une complicité. C o m me nt c e s p e t i t e s f i l le s peuvent-elles donner ce qu’elles n’ont pas reçu ? Comment, en l’espace d’une année scolaire, leur donner des bases solides ? À quoi sert toute cette énergie
mise pour essayer de semer du bon grain alors que nul ne sait ce qu’il en restera ? Plein de questions encore non résolues. Une croyance tout de même : tout ce qui est donné n’est pas perdu et se trouve dans les mains de Dieu. Une année difficile, deux ou trois mercis timides au moment de se quitter à la fin de l’année, pas plus. Mais une certitude : avoir fait de mon mieux pour les aimer avec ce que je suis. Nathalène
A LIRE AUSSI… Comment concilier exigence scolaire et miséricorde. Karine, directrice d'école se confie. Retrouvez son témoignage sur editionsvie chretienne.com
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Septembre 2016 : j’arrive dans une nouvelle école en charge des CM2, dans un quartier dit difficile. Je suis rapidement frappée par l’atmosphère délétère de la classe. Parmi les filles, majoritaires, ce ne sont que manifestations récurrentes d’insatisfactions et moqueries les unes à l’égard des autres. Je me sens désarçonnée. De plus, elles me renvoient une image négative de moi-même. De vieilles blessures de rejet réapparaissent, celles de l’enfance que j’avais bien enfouies.
© Designer491 / iStock
L’année va être longue. Il me faut trouver comment faire pour leur donner ce que je peux, tout en me préservant pour ne pas y laisser ma santé. Ce que je veux leur offrir est un cadre propice pour bien travailler dans un climat de bienveillance et de pardon. Quotidiennement, je suis confrontée à mon impatience, mes agacements, mes limites à aimer. Certaines me mettent régulièrement hors de moi. Je me fixe des objectifs que je n’atteins jamais. Je donne et j’attends un retour. Je n’en ai pas, ou si peu. Aimer n’est-il d’ailleurs pas de ne rien attendre en retour ? Ne dois-je pas apprendre à donner gratuitement ? novembre/décembre 2017 11
Chercher et trouver Dieu
Contrechamp
la vulnérabilité, vertu relationnelle ? La vulnérabilité est mal aimée. Elle paraît associée à l’impuissance ou à la possibilité de la souffrance. Pourtant, ne vient-elle pas mettre au jour quelque chose des profondeurs de l’humanité, ce par quoi nous sommes et devenons davantage humains ? N’est-elle pas une vertu qui nous ouvre à l’altérité et à la sollicitude ?
S Agata Zielinski, Philosophe, Xavière
Souvenons-nous du mythe de Prométhée : l’humain apparaît comme le seul être vivant à n’avoir aucune protection ni défense naturelle contre les intempéries ou les prédateurs. L’humain est l’animal nu, c’est-à-dire essentiellement exposé aux dangers et aux agressions de son environnement. Cette fragilité lui est intrinsèque, et ni la technique ni la politique, arts dérobés par Prométhée aux dieux, ne pallient entièrement cette exposition native. La vulnérabilité signifie en effet, étymologiquement, l’exposition à la blessure (du latin vulnus, qui désigne la plaie). Le soldat vulnérable est le soldat sans bouclier, susceptible plus qu’un autre d’être atteint. Le registre du combat n’est sans doute pas anodin pour déployer la signification de la vulnérabilité : constater ma vulnérabilité me met en combat, car je préférerais manifester mon pouvoir ou ma liberté plutôt que mes limites. Combat qui touche à ma place dans le monde, à l’image de soi, à la relation aux autres.
Être vulnérable, c’est fondamentalement être exposé. Mais à quoi ? Nous sommes bien sûr exposés aux accidents de la vie, à ce qui peut nous atteindre selon les circonstances – il s’agit alors de la vulnérabilité contingente, liée à ce qui peut survenir ou ne pas survenir. Nous sommes exposés à l’événement, à l’imprévu, et plus encore à l’imprévisible (ce que l’on ne pouvait même pas imaginer).
Exposés à la finitude et à autrui Mais si nous prenons le point de vue de la vulnérabilité inhérente à l’existence humaine, nous voyons que nous sommes constamment exposés à nos propres limites. Ce sont d’abord les limites de notre corps dans le temps et dans l’espace (je ne peux pas être à la fois ici et ailleurs, je ne peux pas retourner dans le passé ni vivre dans l’avenir, je ne peux pas voler…). Je ne peux pas tout faire. Ce sont
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encore les limites de nos facultés intellectuelles : mémoire, connaissance, imagination. Même l’imagination, réputée illimitée, ne peut pourtant fabriquer ses représentations qu’à partir de ce qui existe déjà ! Au fond, la première des blessures, qui consiste à éprouver que je ne peux pas tout, que je ne sais pas tout, est une blessure narcissique – et c’est sans doute ce qui nous rend la vulnérabilité si déplaisante. Blessure de soi. Pourtant, vue de plus près, la vulnérabilité révèle sa dimension relationnelle. En effet, par toute ma vie, je suis fondamentalement exposé à l’existence d’autrui. C’est là que le philosophe Emmanuel Levinas situe la naissance de l’éthique : je suis exposé au visage d’autrui, à sa souffrance, à son dénuement. Si je me laisse toucher par l’existence d’autrui, si je me laisse dérouter de mes projets par son dénuement, alors ma vie devient réponse à son appel qui devient pour moi une responsabilité.
La vulnérabilité est un fait de la condition humaine. La vraie question n’est pas d’être ou de ne pas être vulnérables, mais : que faisons-nous de notre vulnérabilité ? Considérons de quoi notre vulnérabilité nous rend capables !
Je fais l’hypothèse que la reconnaissance de ma propre vulnérabilité peut être une vertu, au sens que les Grecs accordaient à ce terme. Une forme de sagesse, capacité à choisir l’attitude ajustée, le comportement qui permet d’orienter l’action vers le bien, en évitant les extrêmes qui nous déshumanisent. Ainsi, on dira que la vertu du soldat est le courage, qui navigue entre excès (témérité) et défaut (lâcheté). En quoi reconnaître ma propre vulnérabilité peut indiquer une juste mesure, une orientation vers un bien ? Il me semble que cela nous ouvre un chemin d’humble réalisme, qui évite de tomber d’un côté dans le sentiment d’impuissance (je suis incapable, je n’y arriverai jamais), et de l’autre dans la tentation de la toute-puissance. Humble réalisme qui n’empêche pas l’action : reconnaître que l’on ne peut pas tout, et s’efforcer de faire à la mesure de ce que l’on peut. Vulnérable, mais pas incapable ! Invitation à se connaître soi-même pour mieux servir – servir comme le "serviteur quelconque" de l’Évangile, qui se
© Maria Teijeiro / Photodisc
Une vertu de sollicitude
"Je suis exposé au visage d'autrui, à son dénuement".
donne patiemment dans tout ce qu’il a à faire, sans se tenir pour maître du résultat. Plus encore, cette reconnaissance de ma vulnérabilité – comme capacité à être affecté par l’existence de l’autre – peut être une vertu relationnelle, un art de la rencontre. Dans la relation d’aide, d’éducation, dans l’accompagnement, il m’arrive de me confronter à l’inconsolable, l’incompréhensible, la résistance… Le sentiment d’échec ou d’impuissance que je peux alors éprouver n’est pourtant pas le dernier mot de l’histoire. Au contraire, il y a là une invitation à renoncer à mes phrases toutes faites, à mes bons sentiments ou à ma volonté de bien faire, pour me rendre encore plus attentive à la personne. C’est d’elle, et non de mes projets, que je vais recevoir la
juste attitude, la parole ou le silence qui convient. Ma vulnérabilité reconnue me rend capable de recevoir, et pas seulement de donner. Le philosophe Paul Ricœur définit ainsi la sollicitude comme capacité à recréer de la réciprocité dans une situation d’inégalité. Si dans la rencontre, j’accepte ma propre vulnérabilité, si j’accepte de ne pas tout savoir, de ne pas avoir le pouvoir sur la situation (tentation de savoir pour l’autre ce qui est bon pour lui), alors je descends de ma hauteur pour me tenir à la hauteur de l’autre. L’expérience de la vulnérabilité nous permet alors de nous reconnaître comme semblables. Elle est le "fonds commun d’humanité" à partir de quoi nous entrons en relation simplement, humblement, d’humain à humain.
Découvrez la vidéo de l'entretien avec Agata Zielinski sur : editionsvie chrétienne.com
Agata Zielinski novembre/décembre 2017 13
Chercher et trouver Dieu
Éclairage biblique
homme et dieu, blessé Le Bon Samaritain Nous regardons le troisième médaillon de la bande centrale du vitrail qui représente la parabole du Bon Samaritain. Nous voyons un homme, vêtu seulement d’un pagne, appuyé sur le tronc blanc d’un arbre. Ses yeux regardent dans le vide. Sa main gauche soutient sa tête.
Le vitrail de la cathédrale de Bourges nous fait méditer sur la parabole du Bon Samaritain (Luc 10, 5-37)
© Catherine Geoffroy
Au Moyen Âge, ce geste codé signifie le doute, la détresse, la souffrance. Au niveau de sa poitrine, trois taches rouges, cerclées de noir par les plombs du vitrail, figurent le sang qui coule. Blessé, abandonné, il est là, infiniment vulnérable. Regardons de près le visage de cet homme. Il nous est connu : cheveux mi-longs ondulés, courte barbe et moustache, traits réguliers et paisibles. C’est celui que les peintres d’icônes donnent à Jésus. Choisir ce visage pour le voyageur blessé de la parabole, c’est signifier que lui et Jésus ne font qu’un, que le voyageur blessé de la parabole est en réalité Jésus. Interprétation qui n’est pas sans nous étonner. Mais découvrons, ci-dessous, le visage du Bon Samaritain, il a les mêmes traits que l’homme blessé. Ils semblent avoir été tracés avec le même calque. Ne croyons pas que l’artiste ne savait dessiner qu’un visage. Dans ce vitrail, moines, brigands, prêtres… ont des figures bien différentes, le verrier a plus d’un modèle dans son sac. S’il a donné même visage à l’homme blessé et à Jésus c’est avec une intention précise. Jésus est à la fois l’homme blessé et abandonné – celui qui souffre la Passion – et l’homme qui sauve et restaure par son geste de compassion. Oui, Jésus lors de cette parabole est sur le chemin de Jérusalem où l’on en veut à sa vie. Il va devenir un homme qui meurt au bord de la route. Celui qui conçut ce vitrail était bon connaisseur des Écritures, il met la parabole en résonnance avec le chapitre 53 du livre
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d’Isaïe : "C’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé… Le châtiment qui nous donne la paix a pesé sur lui : par ses blessures, nous sommes guéris." (53, 4-5) Mais le créateur de ce vitrail insiste. De chaque côté de la bande image qui raconte la parabole, d’autres médaillons relatent le récit de la Création au livre de la Genèse et évoquent l’histoire de Moïse. Une surprise nous attend lorsque nous zoomons sur le vitrail de la création d’Adam. Le Créateur a, lui aussi, le même visage que l’homme blessé et le Bon Samaritain. Il porte l’auréole crucifère qui est le signe distinctif de Jésus-Christ. Et Adam, dont hélas les yeux sont barrés par une ferrure qui soutient le vitrail, ressemble à son Créateur, comme il est dit en Genèse 1, 26 "Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme." Ultime visage, tout en bas du vitrail à droite, celui du Christ en croix. Il est défiguré mais ce sont toujours les mêmes traits. Essayons de rassembler ces données : l’homme (homme/femme) créé à l’image de Dieu a été blessé, à longueur d’histoire il s’est détourné de son Créateur. Celui-ci ne l’a jamais abandonné, il est venu le chercher au plus bas. L’épitre aux Philippiens au chapitre 2 soutient la composition de tout le vitrail. L’homme qui descend de Jérusalem est bien la figure du Fils qui "ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti (…) devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix." (2, 6-8) Ainsi, il amorce le retour au Père de toute la création. "Lorsque j’aurais été élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi." (Jean 12,32) Au cœur de toutes nos fragilités, dans l’expérience de notre vulnérabilité, nous pouvons nous tourner vers Jésus le Christ. Il a voulu connaître nos souffrances et nos détresses, "par ses blessures nous sommes guéris."
points pour prier + Me mettre sous le regard de Dieu et lui demander la grâce de connaître en mon cœur quelque chose du mystère du Christ, "pour mieux l’aimer et le suivre". + Regarder l'image de l’homme blessé et relire Isaïe 53. Laisser résonner en moi ce verset : "Par ses blessures, nous sommes guéris" (53, 5). Comment cela me touchet-il ? + Contempler les trois autres images, en allant d’un visage à l’autre : le Samaritain, le Verbe créateur, Adam, le Christ en croix. Lire le prologue de Jean 1, 1-4. "C’est par lui que tout est venu à l’existence, et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui" (1, 3). Je rends grâce de la profondeur de l’amour de Dieu en Jésus-Christ. + Dans le colloque, me représenter JésusChrist en croix et lui demander comment il en est venu à se faire homme pour mes péchés. Me demander ce que je fais pour lui (Ex. Sp. 53).
Geneviève Roux, Xavière novembre/décembre 2017 15
Chercher et trouver Dieu
Repères ecclésiaux
et dieu se fit vulnérable… En ce temps où l’on exalte la toute-puissance et que Dieu lui-même n’est plus tellement une question, comment parler d’un Dieu vulnérable ? Odile Hardy nous invite à découvrir que Sa vulnérabilité, c’est Sa pauvreté.
U Odile Hardy, Docteur en théologie et directrice de l’Institut d’études religieuses et pastorales à Toulouse.
1. Maurice Zundel, Ton visage, ma lumière, Mame, p. 37.
Une remarque s’impose d’emblée : il est dit que Dieu se fait vulnérable et non pas qu’il est vulnérable. Cette expression dit un choix de Dieu : Dieu choisit de se laisser atteindre. La Bible ne nous dit pas autre chose lorsqu’elle nous décrit un Dieu qui veut faire alliance avec l’homme : elle parle d’un Dieu qui se fait proche de l’homme et qui ne reste pas indifférent à sa misère. Quand l’homme se détourne de lui, Dieu reste un Dieu "lent à la colère et plein d’amour", un Dieu plein "de tendresse et de pitié". Dieu se laisse toucher par l’homme et veut prendre soin de lui parce qu’il l’aime. Pour autant, Dieu ne s’impose pas à l’homme : il est un Dieu humble qui, dès l’origine du monde, se cache et disparaît en quelque sorte. Dieu, parce qu’il est infiniment respectueux du chemin de l’homme, préfère disparaître pour laisser à l’homme sa liberté. L’Amour créateur est humble : c’est aussi sa pauvreté, autre mot de sa vulnérabilité. Dieu est vulnérable parce qu’il est en relation d’amour ; il est exposé sans défense au refus et au mépris ; il
est désarmé et fragile, parce que l’amour ne s’impose pas. Dieu se fait vulnérable parce qu’il choisit d’être tributaire des limites de notre amour. Comme le dit le théologien et mystique Maurice Zundel : "La Création a son secret, son mystère dans cette pauvreté radicale où Dieu s’exproprie de soi, où Dieu ne cesse de se donner, de se vider pour être la plénitude de l’amour. La pauvreté est le grand secret de Dieu (…), parce que Dieu n’a rien, parce qu’il donne tout, parce que justement sa Divinité n’est pas autre chose que son dépouillement et sa pauvreté1". La vulnérabilité de Dieu, c’est sa pauvreté. Une fois qu’on admet que Dieu, en créant, se dépossède en quelque sorte d’une partie de lui-même, il est logique qu’il aille jusqu’au bout de cette démarche de démission de soi dans l’Incarnation.
Le Christ, visage du Dieu vulnérable Le premier signe que Jésus nous donne de sa divinité n’est pas un miracle, mais la fragilité d’un enfant innocent gisant dans une
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mangeoire. Le Dieu révélé en Jésus-Christ est un Dieu qui entre dans l’histoire humaine comme un Dieu pauvre, fragile, vulnérable. Une telle vision de Dieu semble dire son impuissance. Mais la logique du Dieu de Jésus-Christ est celle de la kénose, ce mot grec qui signifie "anéantissement", "abaissement" ou "effacement" en s’incarnant, "en prenant la condition d’esclave jusqu’à la mort et la mort sur la croix" (Philippiens 2, 7-8). Dieu se cache dans la faiblesse d’un corps livré. Cette révélation est identique à ce qu’elle a toujours été dès l’origine : la puissance d’un amour créateur de vie. C’est sous cet aspect de dépouillement infini et radical que s’affirme la divinité de Jésus. Sur la Croix, le Christ se fait vulnérable car il est capable de se laisser toucher, blesser ; il est un Dieu fragile parce qu’il respecte notre liberté et le faisant, il se livre entre nos mains. Sur la Croix, Jésus meurt pour que nous ayons sa vie : il meurt crucifié pour que l’homme ressuscite. Il s’abaisse pour nous élever, pour nous laisser être, pour que nous
© Fra Angelico, 1436, Musée national de Saint Marc, Florence
▲ "Dieu se cache dans la faiblesse d’un corps livré".
nous accomplissions. Il montre ainsi le prix infini qu’a l’homme à ses yeux : Dieu meurt pour que l’homme naisse. La pauvreté de Dieu, c’est son amour.
Et Dieu se fit vulnérable… pour nous En prenant chair, Dieu partage notre vulnérabilité : il nous invite à l’aimer et à l’assumer comme faisant partie de notre humanité. C’est là le message profond que nous livre le signe apparemment dérisoire de l’Incarnation, de la crèche à la Croix. À notre tour d’être "créateurs" par une dépossession totale qui est le seul chemin de notre grandeur. La pauvreté de Dieu est un appel à la ressemblance dans l’ordre de l’amour : si Dieu est amour et pauvreté, c’est bien en revêtant la pauvreté par amour que l’homme parviendra à réaliser sa pleine humanisation. "Le sacrifice qui
plaît à Dieu, c’est un esprit brisé" (Psaume 50, 19), nous dit le psalmiste. Être vulnérable est un chemin d’humilité travaillé humainement et divinement ; autrement dit, c’est une traversée, un chemin pascal, une mort qui conduit à la vie. Mais c’est aussi un état. En effet, la Bible nous rappelle que la vulnérabilité n’est pas une rupture dans un état de perfection : elle est, dès l’origine, posée comme étant constitutive de l’être, signe de sa perfectibilité. Dans les premiers chapitres de la Genèse, il est dit que l’homme est vulnérable, non pas à cause de son péché, mais d’abord parce qu’il a été créé différent, homme et femme. La différence est signe d’incomplétude, de non-totalité ; avec elle vient la vulnérabilité puisque ne pas être "tout" est un manque. Signe de pauvreté, mais aussi de richesse : elle en appelle à l’autre pour pouvoir vivre et se réjouir ensemble du don de Dieu.
Cette vulnérabilité préserve la vie. S’interdire cet état, c’est vouloir la toute-puissance et être "comme des dieux". Or, non seulement notre Dieu ne se montre pas tel mais, bien p l us, i l y a u ne n é c e s s a i re acceptation d’un non-savoir pour ne pas se saisir des choses et des êtres afin d’entrer dans la rencontre de sujet à sujet. Un accueil serein de la vulnérabilité peut contribuer à un monde de paix, parce que la vulnérabilité est pauvreté, hu m i l i t é e t q u e l ’ hu m i l i t é désarme, elle ne revendique r i e n . L’ h u m i l i t é c o m m e l a vulnérabilité constituent l’être même de Dieu : elles reposent sur un consentement à se laisser toucher par l’autre – c’est à l’image de ce Dieu-là que nous sommes appelés à être. Odile Hardy
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Chercher et trouver Dieu
pour aller plus loin Des pistes pour un partage : • Ai-je déjà fait l’expérience de la vulnérabilité ? En quelles circonstances ? L’ai-je vécu comme une épreuve ou bien comme une occasion d’ouverture aux autres et à Dieu ? En quoi la contemplation du Dieu vulnérable et proche de l’homme peut-elle m’aider à faire de cette expérience quelque chose de fécond ? • A partir de cette expérience, je relis le chemin que j’ai fait. En quoi ai-je grandi dans la relation et l’amour de l’autre ? De quoi puis-je rendre grâce ? Quel visage de Dieu cette expérience m’a-t-elle fait entrevoir ? En quoi ma foi a-t-elle grandi ? • Je fais mémoire d’une expérience de vulnérabilité qui me touche particulièrement et à laquelle je suis confronté dans ma vie quotidienne. Quel pas de plus puis-je faire pour, à partir de celle-ci, aimer davantage ? Quelle Parole de Dieu peut m’aider ? Je regarde les situations de vulnérabilité que vivent mes proches. Par quels gestes et quels mots puis-je les aider à rester dans une attitude d’ouverture à l’autre ?
À lire : • Comme soi-même, aimer son prochain, Denis Delobre s.j., Vie chrétienne, 2016 – Accepter sa faiblesse, une parole qui me blesse nécessite de se connaître mais aussi de s’estimer. La vulnérabilité ouvre à l’accueil de l’altérité : accueillir la différence de l’autre, tout en restant debout dans sa propre valeur. C’est sur ce chemin que nous entraîne l’auteur. • Jésus vulnérable Jean Vanier, Salvator, 2015 – Jean Vanier, fondateur de l’Arche, vit depuis plus de 50 ans avec des personnes ayant un handicap mental. Ces hommes et ces femmes, si vulnérables et parfois si faibles, lui ont fait découvrir et aimer la vulnérabilité et la faiblesse de Jésus. Jésus si humble, si petit, si faible, si respectueux de nos libertés et parfois même silencieux, qui appelle à une véritable transformation de nos cœurs. • La précarité de la vie : sagesse de l’homme vulnérable Éric Delassus, L’Harmattan, 2014 – Les hommes sont dépendants les uns des autres, mais cette dépendance n’est pas un signe de faiblesse. C’est elle qui, lorsqu’elle est bien ordonnée, empêche les hommes de devenir ennemis les uns des autres. Il faut donc à l’homme vulnérable une sagesse pour l’inviter à faire preuve d’autant de sollicitude qu’il est possible envers ses semblables. • La journée nationale de la CVX de Belgique francophone En 2016, elle s’interrogeait sur l’accueil de l’autre. Une façon d’aborder différemment la vulnérabilité. À lire sur viechretienne.fr
À voir : • F ragilités interdites ? – Depuis 2009, la Communauté de l’Arche organise une série de colloques autour de la fragilité. Retrouver les vidéos des intervenants sur : www.fragilites-interdites.fr • Bleu – réalisé par Krzysztof Kieslowski, 1993 – Confrontée à la mort de son mari et de sa fille, à la découverte que son époux avait une liaison et attendait un enfant d’une autre, Julie va réapprendre à vivre avec ses blessures et s’ouvrir de nouveau. 18 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 50
contempler une œuvre d'art
© Robert Fausser D.R.
Un chemin spirituel A l’écoute des tableaux de Robert Fausser, Bruno Régent s.j., Éditions Vie chrétienne, 2017
La guérison de l’hémorroïsse Une femme touche le vêtement de Jésus. Jésus se retourne et lui dit : "Ma fille, ta foi t’a sauvé". Les bras de la femme sont ouverts pour accueillir le don de Dieu. Autour la foule, indifférente. Un homme, à gauche et surplombant Jésus, essaie de comprendre, inquiet. Sans doute Jaïre, dont la fille est mourante. Comprend-il ce qui lui est signifié à travers cette femme rétablie dans sa dignité ? Croit-il que Jésus puisse sauver sa fille de douze ans ?
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Se former
École de prière
tenir son cœur en éveil L’approche de la fête de la Nativité nous invite à l’attente vigilante de Celui qui vient. Voici un exercice spirituel fondé sur trois paraboles de saint Matthieu qui nous proposent de vivre cette attitude, chaque jour, en une prière d’Alliance.
I
Il est venu, il reviendra. Entre ces deux avènements, l’un dans l’humilité, l’autre dans la gloire, le Christ vient caché dans le quotidien de nos jours. Dieu travaille au souffle de son Esprit pour engendrer des fils à son image. "Restez éveillés", dit Jésus (Luc 21,36). Si nous sommes éveillés, chacune de nos démarches est tissée de sa grâce et de notre liberté. De pensée en pensée, d’acte en acte, tel est l’engendrement que nous recevons.
Claude Flipo s.j., Ancien rédacteur en chef de Christus, il a publié aux Éditions Vie chrétienne Invitation à la prière, 10 euros. Disponible sur viechretienne.fr et dans toute librairie.
boles de la vigilance précèdent le jugement dernier. Jésus y sollicite notre réflexion pour considérer comment nous sommes vigilants envers ce travail de l’Esprit saint. Ces paraboles visent trois attitudes, trois manières d’être éveillés au long des jours. Nous pouvons en tirer profit en les prenant l’une après l’autre, durant quelque temps, comme objet de notre prière d’Alliance : merci, pardon, s’il te plaît.
Bienveillance
© Parabole des talents, Andrey Mironov, 2013
Dans l’évangile de Matthieu, aux chapitres 24-25, les trois para-
La parabole du serviteur (Matthieu 24,45-51) met en scène un disciple chargé d’une fonction dans la communauté chrétienne, fonction que nous pouvons appliquer à nos responsabilités sociales. Ce serviteur n’est pas seulement fidèle, mais avisé, c’est-àdire prudent et réfléchi, homme de discernement. Il sait créer un climat de confiance, nourrir les uns et les autres au temps convenable d’une parole encourageante. Appliquons cette parabole au regard que nous portons sur les personnes, non pour les dévisager d’un ▲ "L'important n'est pas le nombre mais la gratitude jugement hâtif, mais avec laquelle on reçoit ses talents".
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pour les envisager avec bienveillance. "La charité est patiente, elle excuse tout, elle endure tout, elle espère tout" (1 Corinthiens 13,7). Le pape François dénonce le terrorisme des commérages de couloir qui détruisent la confiance : "Celui qui colporte des rumeurs est un terroriste. Il jette comme une bombe ses paroles contre telle personne et puis il s’en va tranquillement." L’Église, nos paroisses, nos communautés doivent être des lieux de bienveillance où nous nous encourageons mutuellement. Aujourd’hui, ai-je eu ce regard ? Merci, Seigneur, pardon, s’il te plaît !
vigilAnce La parabole des dix vierges (Matthieu 25,1-13) concerne la vigilance du cœur. Les insensées négligent de préparer la venue de l’Époux. Nous pouvons appliquer cette parabole à la façon dont nous préparons notre oraison quotidienne. On peut vivre trois jours sans manger, disait Gandhi, mais pas sans prier, "car la prière est la clé du matin et le verrou du soir". Chaque jour, j’ajoute une goutte d’huile à ma lampe, un petit acte de patience ou de service, un mot de gratitude ou de pardon, pour me disposer à la rencontre du Seigneur et nourrir ainsi mon
© Stephen Dickson / Phoebe Traquair, Mansfield Traquair Chruch, Edinburg
▲ "Chaque jour, j’ajoute une goutte d’huile à ma lampe".
désir. Prière d’Alliance, prière qui cherche et trouve Dieu qui vient en toutes choses : j’ai reconnu, aujourd’hui, l’amour répandu dans nos cœurs dans telle circonstance. Merci, Seigneur, pardon si j’ai été distrait, aide-moi demain s’il te plaît.
Confiance La parabole des talents (Matthieu 25,14-30) pourrait être nommée la parabole de la confiance. L’important n’est pas le nombre des talents reçus, mais la gratitude avec laquelle on les reçoit. Une gratitude qui se retourne en reconnaissance d’action de grâce, en service gracieux. Mais celui qui se fait une mauvaise image de son maître et le considère comme un juge impitoyable ne pourra
jamais le servir qu’en traînant les pieds. La confiance au contraire chasse la crainte, la miséricorde se moque du jugement. Cette parabole nous invite à chasser toute pensée qui porte à la crainte ou au découragement : Vigipirate ! Celui qui craint n’est pas parfait dans l’amour, dit saint Jean. "Car Dieu est amour, et en ceci l’amour parmi nous est accompli, que nous avons pleine assurance pour le jour du jugement" (1 Jean 4,17). Merci, Seigneur, pour la confiance donnée, pardon pour mes raideurs, s’il te plaît. La prière d’Alliance, ainsi appliquée à un point particulier, est un exercice spirituel : nous nous exerçons au discernement spirituel durant ce moment du
soir assez bref mais intense, à la manière dont Marie "gardait toutes ces choses en son cœur et les méditait en silence" (Luc 2,19). Peu à peu, à force d’exercice, cette attitude nous devient habituelle au long des jours comme une seconde nature. Ce qui n’empêche pas quelques petites faiblesses ou négligences. Comme l’enseigne François de Sales, "Si ton cœur se promène ou s’il souffre, ramène-le avec délicatesse à sa place et mène-le avec douceur dans la présence du Seigneur." Renouveler chaque soir l’Alliance, c’est ré-accorder notre vie au souffle de l’Esprit, comme, à la pause, on accorde son instrument à la musique de l’orchestre. Claude Flipo s.j. novembre/décembre 2017 21
Se former
Expérience de Dieu…
accompagner jusqu’au bout les personnes "à la rue" Interpellée par la mort prématurée des personnes vivant à la rue, Cécile avec d’autres fondent le Collectif Les Morts de la Rue, pour leur offrir des funérailles dignes. Elle témoigne d’une œuvre d’humanisation.
J
2000, d’agir pour les morts de la rue. Suite à cette action à laquelle ont participé personnes sans abri, bénévoles et diverses associations, en 2002, le Collectif Les Morts de la rue a été créé, sous la forme d’une association indépendante, non confessionnelle. Avec ce collectif, nous voulons dénoncer la mort prématurée des personnes "à la rue", leur donner des funérailles dignes et accompagner leurs proches en deuil. Ouvrir les yeux sur cette réalité nous imposait de le faire savoir. Cela m’a aussi donné de l’audace.
© Les Morts de la rue
J’ai travaillé 20 ans avec les personnes "à la rue" avant de créer avec d’autres le Collectif Les Morts de la Rue en 2002. Quand je travaillais avec elles, c’était surtout pour des moments informels, dans la rue, pour des vacances que nous organisions, ou des ateliers artistiques. Des moments conviviaux. Mais nous faisions face à la réalité des décès de ces personnes que nous connaissions. Ils étaient jeunes, de mort souvent violente. Avec mes collègues, nous étions atteints, bousculés. Patrick Giros, prêtre de Paris, m’a proposé, en
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Prendre soin de l’humain Si quelque chose de mon regard a changé depuis mon travail avec les personnes "à la rue", c’est bien de ne plus chercher le visage de Dieu dans le visage des humains… Aujourd’hui, c’est même une expression qui me choque et me paraît "blasphèmatoire", même si je pouvais l’utiliser il y a longtemps. Il me semble que voir l’humain est essentiel. L’humain seul. Sans chercher une divinité en
lui, ni surtout à travers lui. Voir cette personne et elle seule. Il me semblerait aujourd’hui trahir l’être humain en face de moi en cherchant autre chose que luimême et sans doute trahir Dieu qui l’a créé unique. Vivre à la rue tue. Ce ne sont pas que des mots. Une réalité qui atteint et bouleverse. Des visages et des personnes. Réalité face à laquelle il y a un besoin essentiel d’humanisation. J’ai du mal à parler de visages de Dieu ou de relation à Dieu, c’est ce contact à l’humain qui m’humanise et me fait avancer. C’est en y plongeant que Dieu m’y rejoint. Ce sont des personnes très différentes avec qui je travaille. Dans l’association, nous sommes d’âges, de religions, d’origines, de formations très diverses. Et ça ne me paraît pas si étonnant que les morts de la rue fassent rencontrer des personnes si différentes… il suffit d’être humain et vivant… et nul n’a rien à prouver. Nous travaillons aussi au quotidien avec policiers, fossoyeurs, fonctionnaires d’état-civil, travailleurs sociaux. Mon regard a changé sur eux. J’avais des préjugés et ils sont en partie tombés, comme sans doute eux aussi ont eu des préjugés tombés, sur le travail de l’association. Nous apprenons à nous connaître et à travailler ensemble pour la dignité. Et donc pour l’humanisation. On se réjouit quand par notre investissement commun une personne est identifiée, une famille retrouvée, une dignité affirmée.
Nous faisons aussi connaissance avec les familles endeuillées. Je suis souvent bouleversée par les histoires chaotiques, les essais ratés pour retisser des liens, les failles, mais de l’amour aussi, et quelque chose qui peut se réparer parfois autour de la mort. Notamment en retissant le lien avec ceux qui ont connu leur parent d’une autre manière. Parfois, je suis fatiguée. J’ai l’impression que je n’aurai plus l’énergie à cinq ans de la retraite et que je n’y arriverai jamais. Puis un petit rien réveille le sens, l’énergie intérieure : le sourire d’une jeune femme choisissant des campanules sauvages à déposer sur une tombe, la confiance reprise par une volontaire sur son avenir, la présence au Conseil d’administration d’une personne ayant vécu à la rue, la confiance d’une famille qui parle de son histoire, le fou-rire avec une collègue… Je peux témoigner que plonger au cœur de l'humain, cela permet à Dieu de m'y rejoindre. Mais il n’y a pas besoin de le nommer pour que ce soit vrai.
Créé en 2002, le Collectif Les Morts de la Rue veille à donner des funérailles dignes aux personnes "à la rue" décédées et à soutenir leurs proches en deuil. Il mène également des actions de sensibilisation au niveau national et local pour faire savoir que vivre à la rue conduit à une mort prématurée, et pour dénoncer les causes souvent violentes de ces morts. Chaque année, le Collectif rend publiquement hommage aux morts de la rue, lors d’une cérémonie, annoncée notamment dans le journal La Croix, et publie un rapport pour Dénombrer et Décrire la mortalité des personnes SDF. Ce Collectif compte, aujourd’hui, 150 bénévoles.
www.mortsdelarue.org
Cécile Rocca
Une théologienne relit cette expérience Ne plus chercher le visage de Dieu dans le visage des humains, mais ne cesser de s’étonner de ce que Dieu soit capable d’embrasser notre condition d’homme au point de prendre le visage des plus meurtris : contempler le Christ en croix pour comprendre et goûter quelque chose de l’amour qui nous sauve.
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Se former
Lire la Bible
et il a habité parmi nous Pour parler de la naissance de Jésus, saint Luc et saint Matthieu racontent les faits les uns après les autres, de manière chronologique. Saint Jean a une approche plus symbolique. Dans son Prologue, il choisit de célébrer le mystère de la Parole : Parole qui est, Parole créatrice, Parole devenue chair. Lisons pas à pas Jean 1, 1-18.
L Pascale Zerlauth, Docteur en théologie biblique et membre de la CVX.
Lorsque l’évangéliste Jean, qui s’adresse à une communauté de culture grecque, ajoute le Prologue à son évangile, il entend tout à la fois instruire ses auditeurs sur l’objet de son œuvre et les inviter à ouvrir le livre. Il éveille leur intérêt au travers d’un texte poétique qui les plonge dans un univers spatio-temporel grandiose. C’est dans ce cadre que le récit évangélique va se déployer. Ainsi, l’histoire de la vie de l’homme Jésus qui se déroule en Galilée et en Judée est une histoire à contempler à la lumière de la création.
Avant même la création : le Logos " Au c o m m e nc e m e nt é t a i t l e Logos/la Parole" (1,1). Jean dès les premiers mots de son poème évoque le livre de la Genèse : "Au commencement Dieu créa les cieux et la terre" (Genèse 1,1). Cependant, contrairement à celui-ci, il ne mentionne pas une action mais une présence : "Au commencement était le Logos." En affirmant l’existence du Logos dans un temps précédant la création, Jean le place dans un lieu insaisissable, inaccessible, impénétrable. Le Logos, Parole porteuse de sens, expression d’une pensée, est donc là.
Et l’évangéliste poursuit : "Le Logos était auprès de Dieu et le Logos était Dieu" (1,1). Les deux affirmations semblent s’exclure. Le Logos est différent de Dieu et pourtant identique à Lui. Pour l’évangéliste, le Logos ne peut être pensé sans Dieu, ni Dieu sans le Logos. En fait, Jean essaye de faire saisir à son auditoire que la Parole est l’unique manifestation de Dieu dans le monde mais que Dieu ne se résume pas à cette Parole. En raison de son intimité et de son unité avec Dieu, le Logos est en mesure de le révéler au monde. La première œuvre de cette révélation est la création. "Tout par lui advint" (1,3). Tout, c’est-à-dire l’univers, l’ensemble des choses, toutes les choses créées par Dieu. Par lui, tout "devint existant", et en dehors de lui rien n’aurait pu advenir. Rien n’est venu à l’existence sinon par la présence active du Logos. Le cosmos tout entier porte son empreinte. Mais l’agir du Logos ne se limite pas à l’acte créateur, sa présence dans le monde continue : en lui est la vie et "la vie était la lumière des hommes" (1,4). La vie se trouve dans le Logos. Puisque le contexte est celui de la création, il
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s’agit d’abord de la vie biologique. Cette vie est puisée dans le Logos qui en est le détenteur et qui la dispense. Cependant, Jean, en faisant le lien entre la vie et la lumière, laisse entendre que la vie doit également être considérée comme la vie en plénitude à laquelle aspirent les hommes. La quête de cette vie est facilitée par le Logos/lumière car la lumière, offerte à tous, éclaire le chemin véritable qui mène à la vie (14,6). Malgré la présence du Logos/lumière, le monde est aux prises avec les ténèbres. Dans cette situation, accroître sa visibilité est le don d’amour que le Logos fait à l’humanité.
Le Logos se fait chair Et "la Parole est venue habiter parmi nous" (1,14). Un jour dans l’histoire des hommes, se produit un évènement inattendu : "Et le Logos chair est advenu et il a habité parmi nous, et nous avons contemplé sa gloire, gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité" (1,14). Pour le Logos le changement de perspective est radical. Le verbe "advenir", le même que celui em-
Devenu chair, le Logos "a habité parmi nous". Cette affirmation n’est pas nouvelle pour l’auditoire de Jean. En effet, l’Écriture relate que Dieu habite parmi le peuple d’Israël (Lévitique 26,1112 ; Zacharie 2,14) et pendant l’Exode, Dieu, voulant signifier sa présence, demande à Moïse de lui construire une tente, le tabernacle qui deviendra sa demeure (Exode 33,9-10). Comme Dieu est au milieu de son peuple, le Logos est "parmi nous". Le pronom "nous" renvoie aux témoins oculaires mais également aux lecteurs de l’Évangile. Devenu chair, le Logos est désigné par le terme grec de "monogène" que les traductions rendent par Fils unique. Ce terme permet d’associer deux idées, à savoir que la nature du Fils est la même que celle du Père (Unique-Engendré) et que le Fils est l’unique envoyé du Père. De tous les justes et des rois, nous pouvons dire qu’ils sont "fils de Dieu" ; mais Jésus seul est le Fils unique. En tant que Fils unique, il est "plein de grâce et de vérité" (1, 14). Il est riche de l’amour et de la miséricorde du Père. En lui il est possible de voir
© La Nativité à la Torche, Le Nain, 1635
ployé pour l’acte créateur (1,3), marque la nouveauté et annonce un bouleversement dans la manière d’être du Logos : de "il est" à "il devient". Le Logos qui est Dieu, lumière et vie est entré dans l’humanité, il est maintenant un homme périssable. Le Logos éternel et immuable s’est, comme homme, soumis au devenir.
▲ "En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes".
Dieu dans sa réalité, dans sa tendresse. "Qui me voit, dira Jésus, voit le Père" (14,9). Au dernier verset du Prologue, Jean invite son lecteur à tourner à nouveau son regard vers le ciel : "Dieu, personne ne l’a jamais vu, le Fils unique qui est tourné vers le sein du Père, lui l’a fait connaître" (1,18). Le Logos était auprès de Dieu (1,1), dans un mouvement de descente il s’est fait chair (1,14) mais il reste tourné vers le Père. Le Fils unique peut voir Dieu, face à face, ce qui est impossible aux êtres humains (Exode 33,20). Seul, celui qui est semblable à Dieu et qui partage son intimité peut devenir Parole de Dieu parmi les hommes.
Le don du Fils : manifester la gloire de Dieu Pour faire connaître le Père, le Fils unique dont le nom est JésusChrist (1,17), donne à contem-
pler la gloire qu’il tient de son Père. La gloire est, dans la tradition biblique, une qualité divine qui dit de Dieu qu’il est puissant et distinct de l’être humain. Ainsi, Yahvé est le roi de gloire (Psaume 24,10). Pour le peuple d’Israël, la gloire est une manifestation sensible de Dieu ; elle peut être vue (Exode 16,7), elle apparaît (Exode 24,17 ; Lévitique 9,6). L’évangéliste s’inscrit dans cette tradition. Les miracles qu’il choisit de relater sont parmi les plus impressionnants du Nouveau Testament. Par ces actes, Jésus révèle différentes facettes de son pouvoir et de sa gloire : don d’une Nouvelle Alliance à Cana, victoire sur la maladie lorsqu’il rend la vue à l’aveugle-né, victoire sur la mort lorsqu’il fait sortir Lazare du tombeau, domination de la création en marchant sur l’eau. Le pouvoir est au service de la générosité, de l’amour du Christ. Les miracles contiennent la restauration de la
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Lire la Bible
© Mariage à Cana, Martin de Vos, 1596, Cathédrale de Notre-Dame, Anvers
Parole, qui est depuis toujours, s’est faite présente de manière sensible parmi nous. À partir de ce point se développe un axe horizontal, du Fils unique vers sa communauté. Au moment de quitter ce monde et de retourner vers son Père, le Fils donne à celle-ci sa gloire (17,22), lui confiant ainsi sa mission de salut, à savoir faire connaître le Père aux hommes. Aussi, sommes-nous invités, à la suite du Prologue, à ouvrir l’Évangile afin de contempler l’agir du Fils, de nous laisser enseigner par ses paroles de manière à devenir peu à peu le reflet de la gloire du Père dans le monde d’aujourd’hui. Pascale Zerlauth CVX
A vos Bibles
▲ Le don d’une Nouvelle Alliance à Cana.
santé et de la vie. Ils font partie de l’œuvre de salut du Fils, qui est annoncée en filigrane dans le Prologue, où le Logos est la lumière et la vie et où "il est dit plein de grâce et de vérité" (1,14). La guérison n’est, cependant, pas la visée ultime du Fils. Selon l’évangéliste, rendre perceptible sa gloire par les signes, c’est pour Jésus le moyen d’amener les hommes à croire en lui. Ceci est clairement mentionné dans la conclusion du récit des noces de Cana (2,1-11). Au cours de ce mariage, à la demande de sa mère, Jésus change l’eau en excellent vin. Et Jean conclut par ses mots : "Tel fut le
premier des signes de Jésus. Il l’accomplit à Cana de Galilée et il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui" (2,11). En posant ce geste Jésus fait grandir la foi chez ses disciples. Il leur ouvre le chemin de la vie car, quiconque croit a la vie éternelle. Éveiller les hommes à la connaissance du Père et ainsi leur faire don de la vie éternelle (17,3), tel est le désir profond de la Parole devenue homme.
Et aujourd’hui : "Parmi nous" Le Prologue dessine un axe vertical, du ciel vers la terre. La
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Lire Jean 1,1-18, la venue de la Parole : - Repérer les dons du Logos et voir comment je les accueille. - Me laisser toucher par ces mots : "Devenir enfant de Dieu", "les siens", "nous",… Enfin lire Jean 17,20-26, les derniers mots de Jésus avant la Passion : - Repérer les expressions qui font écho au Prologue. - Quel est le désir du Christ ? À quoi est-ce que je me sens appelé ?
Spiritualité ignatienne
l’imagination, ressort d’une prière qui fait vivre Éclairée par le Christ et nourrie de l’Évangile, l’imagination peut aider à prier et à accueillir Dieu qui se communique à l’homme. Une expérience déjà vécue par Ignace que commente Nicolas Steeves s.j. dans le premier volet d’une série de deux articles.
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Vit-on mieux en priant avec l’imagination ? Si on la laisse intervenir pendant qu’on écoute Dieu et qu’on parle avec lui, voire même, si on s’en sert activement pendant qu’on prie, prendra-t-on la route d’une vie mieux orientée vers ce qui est vrai, bon et beau ?
bien vivant chez nos frères et sœurs chrétiens orthodoxes 2 et dans une certaine tradition carmélitaine. Alors, l’imagination aide-t-elle, oui ou non, à bien prier et à mieux vivre ?
La réponse à ces questions dépend beaucoup de la tradition spirituelle dans laquelle on s’inscrit. Il est clair que l’imagination joue un grand rôle dans notre spiritualité ignatienne. On le sait, par exemple, lorsqu’il s’agit de méditer sur l’Évangile ou d’en contempler telle ou telle scène. Ignace de Loyola est en cela héritier de Bernard de Clairvaux et des Franciscains qui ont privilégié l’accès à Dieu en s’imaginant le Christ dans son humanité. Cependant, dans d’autres traditions importantes de la mystique chrétienne, bien des maîtres spirituels ont rejeté l’imagination, au nom du Décalogue ou en raison de tendances (néo)platoniciennes. Ainsi, le premier millénaire chrétien a honni l’usage des images mentales dans la quête d’une vie spirituelle parfaite1. Ce rejet des images mentales dans la prière est toujours
Mais d’abord, qu’est-ce que l’imagination ? Tout simplement, ce qui en nous reçoit et forme des images des choses et des personnes. Si on laisse l’Évangile l’éclairer, sa tâche devient alors celle d’imaginer ce qui est réel. C’est le rôle que Jésus lui donne implicitement dans les Béatitudes : bienheureux
L’Évangile forme l’imagination
ceux qui savent voir au-delà des apparences, bienheureux ceux qui, grâce à l’imagination, savent découvrir et interpréter les lieux de vrai bonheur que Dieu dessine pour eux. L’imagination n’est donc pas l’apanage d’une élite romantique éclairée, de quelques artistes d’avantgarde. Notre Créateur nous dote tous d’une certaine imagination – qu’il nous faut ensuite former par l’Évangile. Livrée à elle-même, l’imagination peut en effet vite dérailler, sortir du réel et nous mener à la mort. En revanche, lorsqu’on laisse le Christ la for-
Nicolas Steeves s.j., Docteur en théologie, enseignant à l’Université pontificale grégorienne, à Rome. Il a publié Grâce à l’imagination : intégrer l’imagination en théologie fondamentale, Cerf, 2016.
© Pixabay
1. Voir A. Blasucci, Images & Contemplation, Dictionnaire de spiritualité, Beauchesne, Paris, 1970. 2. Pour le dire trop brièvement, leur rapport à l’image se joue surtout dans le culte des icônes et dans les métaphores poétiques des hymnes liturgiques ou de l’Écriture.
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Spiritualité ignatienne mer patiemment, l’imagination nous mène à vivre plus, à découvrir la réalité et à nous y engager. L’imagination nous aide à chercher et trouver Dieu en toutes choses. En particulier, elle nous y aide dans la prière, là où Dieu se communique à nous pour susciter en nous une fidélité confiante à travers un dialogue entre amis (voir Exercices spirituels 54). Pour comprendre pourquoi et comment l’imagination peut nous aider à vivre l’Évangile, regardons aujourd’hui ce qui, dans la vie concrète d’Ignace, l’a amené à évaluer, puis à valoriser ou rejeter, selon les cas.
© Albert Chevallier-Tayler, Chapelle de St Ignace en l’église du Sacré Cœur à Wimbledon
3. Ignace de Loyola par lui-même, Éditions Vie chrétienne, 14 euros. En vente sur www.viechretienne.fr
Comment Ignace a-t-il connu l’imagination et pourquoi l’a-t-il promue ? On l’apprend d’abord en lisant le Récit du pèlerin. En effet, cette autobiographie reconnaît à l’imagination un rôle essentiel, et ce, avant même toute technique volontaire des Exercices pour utiliser l’imagination dans la prière. C’est un point important, surtout pour ceux qui ont déjà pratiqué les Exercices : il faut se rappeler que Dieu peut parler à notre i m ag i n a t i o n m ê me lo rs q u e nous ne faisons rien pour cela ! Il suffit d’être disposé et à l’écoute…
▲ "Une vision de la Vierge à l’Enfant vient guérir à jamais Ignace de ses fantasmes impurs".
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Comment Dieu procède avec Ignace Voyons le Récit3. Ignace se révèle à nous comme un homme sensible à la beauté, réceptif aux images mentales et aux visions. Ce n’est donc pas d’abord par ses propres efforts qu’il jouit d’une prière imaginative, mais en laissant Dieu libre de se donner à lui par le jeu des images mentales. Dès sa convalescence à Loyola, en effet, il laisse les images jouer en lui et il apprend à discerner entre elles : faut-il, comme il se l’imagine, servir une belle dame noble ou plutôt imiter les grands saints ? Il observe attentivement : qu’est-ce que ces jeux d’images mentales produisent en lui comme motions intérieures, comme sentiments, comme décisions ? Sur sa route de pèlerin, ensuite, jusqu’aux visions de Manrèse et à l’illumination du Cardoner, Ignace apprend de Dieu à discerner les images qui s’offrent à lui. Lui qui s’adonne parfois à des fantasmes de vaine gloire n’est pas naïf : il sait bien qu’imaginer, ce n’est pas toujours prier. L’imagination est plutôt un vrai champ de bataille spirituel. Observons bien ce qui se passe dans l’imagination d’Ignace sous la conduite de Dieu, qui se fait pour lui "maître intérieur". Là où le zen, par exemple, procède en vidant l’esprit de toute image, le Dieu de Jésus-Christ instruit Ignace autrement, en corrigeant et en améliorant les images qu’il porte. Ainsi, une vision de la
Comme Ignace, nous aussi avons donc à discerner nos images intérieures, à relire nos expériences, à en consulter d’autres s’il le faut, pour que le dialogue, dans l’acc o m p ag ne me nt s p i r i t u e l , nous révèle comment Dieu fait vivre de plus en plus en nous l’image du Christ. Il nous faut aussi apprendre à patienter et à accueillir ce qui se présente à notre imagination. À Manrèse, en effet, c’est Dieu qui choisit de se révéler à Ignace, avec ou sans détails, mais toujours avec force. Par un rayonnement intérieur répété, la consolation spirituelle se met en images pour rendre toujours plus réel ce qu’Ignace croit : l’amour de la Trinité, la beauté de la Création, l’humanité du Christ, sa présence dans l’Eucharistie… La foi d’Ignace grandit à mesure qu’il imagine, sous la conduite de Dieu. À Manrèse, peut-on dire, Dieu convertit l’imagination d’Ignace pour de bon, lui donnant de déjouer les tours du démon et de vivre la grande liberté des fils de Dieu. En effet, au début de son séjour à Manrèse, Ignace est tenté par
© Carlos Saenz de Tejada, Jesuit Institute, London
Vierge à l’Enfant vient guérir à jamais Ignace de ses fantasmes impurs. Voilà le principe : aux images mauvaises qu’Ignace produit lui-même ou reçoit du mauvais esprit, le Seigneur substitue d’autres images. Leur douceur évangélique n’empêche pas, au contraire, qu’elles l’appellent avec force à la conversion.
▲ La Vision d’Ignace à la rivière du Cardoner.
une "chose à l’air séduisante", qui le détourne d’une foi en Dieu toute simple, pleinement confiante en sa miséricorde. Or, la lumière intérieure qu’Ignace reçoit bientôt au bord du Cardoner l’aide à reconnaître cette chose pour ce qu’elle est : une vanité démoniaque imaginaire qui ne lui fait aucun bien. Au pied d’une croix, muni désormais d’une imagination convertie à la grâce, Ignace s’agenouille ; il trouve la force et la paix intérieure pour repousser vivement cette tentation sans fondement. Son imagination est désormais au service de sa liberté. Bien sûr, la conversion n’est jamais finie : plus tard, en soignant des malades de la peste, Ignace aura à repousser une nouvelle tentation imaginaire hypocondriaque. Il le fera en allant au-delà de l’imaginaire malade, en s’imagi-
nant le pire. Ainsi, il peut librement aimer et servir Dieu et son prochain. E n l i s a nt le R é c i t de l a v i e d’Ignace, on distingue mieux la tâche qui nous échoit : accepter ce que Dieu nous fait imaginer de lui, dans la prière, ou en dehors d’elle. Quelle joie il y a à recevoir ces dons de Dieu, ces images intérieures qui détruisent les idoles et consolident notre foi ! Cette expérience requiert que nous soyons disponibles pour collaborer avec la grâce. Dans un deuxième volet de cet article, nous découvrirons comment Ignace nous transmet jusqu’au bout son expérience radicale d’une imagination conduite par la grâce de Dieu. Nicolas Steeves s.j. novembre/décembre 2017 29
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Question de communauté locale
rencontrer une autre cl Être en communauté locale (CL) nous aide à cheminer à la suite du Christ, mais comment s’ouvrir à une dimension communautaire plus large ? Quels fruits peut-on attendre d’une rencontre avec une autre CL ?
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Lors de notre réunion de début d’année, nous faisons toujours mémoire de notre bilan de juin et de ce qui semble important à vivre pour progresser. Cela peut être : des temps forts en dehors de nos réunions pour nous rencontrer autrement, un temps spirituel dans un lieu propice ou encore un temps au service de la Communauté. Une année, nous avons eu le désir d’aller à la rencontre d’une autre CL, de vivre avec elle un moment de vie communautaire dont le contenu, la durée, le lieu seraient définis avec elle. L’appel est lancé. Une CL répond positivement… Ce sera un dimanche aprèsmidi avec comme objectif : une rencontre conviviale, un partage fraternel, un échange sur ce qui nous relie et la découverte d’une CL différente… Vivre comme une Visitation. La décision commune est de nous mettre sous le regard du Seigneur par un long temps de prière à partir d’un texte, ensuite de poursuivre par une présentation libre de ce qui fait la vie de chacun, puis de vivre ensemble "la marche en aveugle" (l’un a les yeux bandés, l’autre le guide). Cette expérience nous a fait vivre la confiance en l’autre,
une connaissance intuitive de ce qu’il est et une forme brève du "prendre soin". C’est un peu comme une parabole du compagnonnage. Par cette expérience de communauté élargie, nous avons pu goûter une profonde joie fraternelle.
Une expérience renouvelée Quelques années plus tard, avec de nouveaux compagnons dans notre CL, nous avons décidé de vivre à nouveau cette expérience sur le temps d’un week-end. Là aussi, nous avons trouvé un écho favorable chez une autre CL. Que souhaitions-nous vivre ensemble ? Dans chaque CL, la question est posée et chacun exprime ses désirs, ses réticences. Nous décidons de partir à l’écart dans un lieu propice à l’intériorité, comme une abbaye, pour entrer dans le rythme de la prière des moines. La préparation se fera en binôme (un membre de chaque CL). La trame proposée est composée de temps de prière, de partage et d’une veillée festive. Lors de ce week-end, nous avons pris le temps de goûter les di-
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mensions communautaires de la prière, du partage, de l’écoute du Christ à travers les compagnons et ainsi de faire nôtre cette phrase de saint Matthieu (18, 20) : "Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux". Entre ces deux rencontres, il y a des points communs : connaître d’autres membres de la CVX, s’ouvrir à plus large sous le regard du Seigneur, expérimenter la convivialité, accueillir l’inattendu de la rencontre et les mouvements qui nous habitent, enfin se recevoir les uns des autres. La différence, c’est le cadre adopté : le temps déterminé, le lieu choisi et la forme donnée à ce que l’on a voulu vivre. Le fruit de ces deux expériences est une plus grande cohésion et vitalité de notre CL, une fraternité renforcée et plus profonde entre nous, un désir d’être davantage présents à la vie communautaire, et lors des temps régionaux, une reconnaissance particulière des compagnons rencontrés. Sabine Desmarquest
Ensemble Lefaire Babillard Communauté
© Monkeybusinessimages / iStock
Une parole à méditer
"Cette dynamique est portée par le désir de la Communauté d’accompagner quatre passages spirituels (…). Le premier passage concerne la visée : passer d’un état de baptisé à la décision de suivre le Christ de l’Évangile. La "suite du Christ" ne se réduit pas à un engagement personnel à vivre comme le Maître ; il s’agit de vivre avec Lui, en Lui et par Lui dans tout ce qui fait l’ordinaire de la vie, c’est-à-dire dans toutes les relations aux êtres et aux choses dont l’existence humaine est constituée. C’est embrasser le projet du Christ de " fraternité universelle". Dynamique de croissance : Vers une vie de discernement apostolique, N°6-a
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Ensemble faire Communauté
En France
fraternité et justice "Suis-je le gardien de mon frère ? Prendre soin de mon frère comme de moi-même" était le thème de la session nationale de l’atelier CVX Justice à laquelle ont participé, cet été, une vingtaine de personnes à Saint-Hugues de Biviers. Une session ouverte à tous pour tracer de nouveaux chemins.
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Pour cette session 2017, 20 ans après la naissance de l’atelier Justice CVX, il était proposé aux participants, professionnels ou bénévoles travaillant en lien avec le monde carcéral ou de l’institution judiciaire, de vivre ces trois jours au rythme de la prière d’Alliance.
Le 1er jour pour dire Merci. "Nous avons rendu grâce pour ce beau cadeau qu’est cet atelier dont les intuitions sont toujours d’actualité : désir d’unifier sa vie personnelle et d’engagement et, de relire cet engagement à la lumière des Exercices spirituels", explique Paula Dubois, membre de l’équipe de préparation. L’occasion aussi de remercier individuellement pour les fruits reçus au niveau local, comme en témoigne Armelle, magistrat dans un atelier à Marseille depuis quatre ans : "Je peux
La deuxième journée axée sur le Pardon, qui a eu pour point d’orgue une démarche pénitentielle, a été marquée par une conférence de Guy Aurenche, ancien président du CCFD. "Il a commencé son intervention en nous disant que le pardon n’est pas une histoire de péché, mais d’amour. Cela m’a interpellée, témoigne Thérèse, aumônier à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, je n’avais jamais perçu le pardon sous cet angle-là." Après avoir évoqué les causes de rupture de fraternité, Guy Aurenche a proposé aux participants des pistes
© D.R.
Retrouvez sur : editions viechretienne.fr les témoignages de participants à cette session
me sentir parfois si seule et isolée dans mon travail. Partager mes vulnérabilités et être bousculée dans ma perception du monde par les expériences des autres, c’est très précieux ! »
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"pour épanouir nos capacités de fraternité", comme accepter que chaque matin le monde puisse changer, développer notre intelligence des situations d’injustice, prendre le risque de porter ces questions sur le terrain politique. "Le S’il te plaît vécu au cours de la troisième journée nous a ouvert sur d’autres possibles", poursuit Paula Dubois. Le P. Simon, aumônier à la prison de Saint-QuentinFallavier et Geneviève SeguinJourdan, avocate, ont témoigné sur la "justice restaurative" : "Elle concerne à la fois le pénitentiaire, mais aussi le social. C’est une opportunité et une œuvre de justice d’offrir un espace de parole sécurisé entre des victimes et des auteurs de délits." Pour Chantal, greffier, ces trois jours de session ont été sources d’ouverture et de liens nouveaux : "Trois jours pour faire ressortir le meilleur en chacun, parler sans crainte de nos métiers et du Christ tout en même temps. Les chants, les prières, les conférences ont participé à nous apporter apaisement, recueillement et réflexions constructives". Une belle façon d’aborder la rentrée plus sereinement !
des familles qui s’aiment, des serviteurs qui sèment… Deux sessions Vivre en famille à la manière de la CVX se sont déroulées en juillet dans le magnifique cadre de Penboc’h. Les familles rassemblées, dans leur diversité, ont pu vivre un moment de ressourcement et de convivialité.
L’après-midi était consacrée à un temps libre en famille avec une proposition pour expérimenter le thème du jour de façon ludique ou créative, et pour ceux qui le désiraient un temps d’échange avec un prêtre. Enfin une courte veillée et un temps de relecture venaient clôturer la journée. La session, ouverte aux personnes croyantes comme non-croyantes, proposait aussi la participation libre à des temps de prière entre familles et avec la communauté de Penboc’h. Pour les "serviteurs" de tous âges en charge de la session, l’essentiel n’était pas de transmettre
© L’équipe des serviteurs d’une session familles à Penboc’h
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Le matin, chacun était invité pour un temps sur le thème de la journée. Pour les enfants et les adolescents, répartis par tranche d’âge, il s’agissait de développer l’écoute, de relire ses relations familiales, ou de réfléchir à des questions spécifiques à travers le jeu et l’imagination. Pour les parents, les temps de topo, de témoignages et de partages proposaient de prendre du recul sur des expériences joyeuses ou parfois difficiles vécues en famille, et de formuler des pistes pour cheminer.
aux familles un contenu précis ou des recettes miracles pour "réussir" sa vie familiale, mais plutôt d’accueillir chacune des familles là où elle en était, et de lui permettre de se retrouver (dans la famille) et de se rencontrer (entre familles) dans la bienveillance. Aider les familles, les personnes à se sentir acceptées dans leur singularité, être capables d’être et d’agir ensemble, y compris dans les choses les plus simples, quand bien même les relations au sein de la famille sont parfois bloquées. Au fond, il s’est surtout agi de prendre soin des familles, et d’inviter les familles à prendre soin les unes des autres. Belle expérience communautaire !
Penboc’h a été l’occasion pour beaucoup de redécouvrir les trésors de leur vie familiale, et de découvrir ou d’approfondir les trésors de la CVX, en particulier l’écoute jusqu’au bout, le DESE1, ou la relecture de vie. Les jeunes comme les parents sont repartis avec un désir : celui de vivre mieux et davantage leur vie familiale. Comme si un nouveau souffle, individuel et collectif, habitait les esprits et leur donnait le goût d’une forme d’exigence en famille : exigence d’écoute, exigence de pardon, exigence de discernement et de décision concertée. Des fruits qui mûriront encore dans les mois à venir… Agnès Dequidt et Véronique Gresset Coordinatrices de la session
"Nous avons aimé la joie toute simple d’être comme en famille avec les autres familles" Amandine et François
1. DESE : Discerner, Envoyer, Soutenir, Évaluer.
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Ensemble faire Communauté
En France
goûter la diversité des opinions politiques L’association La Politique, une Bonne Nouvelle, dont est partenaire la CVX, organise, chaque été, pour les jeunes, une session pour échanger, débattre et se former dans l’accueil des différences de sensibilités politiques.
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La session d’été de La Politique, une Bonne Nouvelle (PBN) a réuni cette année au centre culturel de la Baume-lès-Aix une quarantaine de jeunes. Créée en 1996, par Olivier de Fontmagne s.j. et Christian Mellon s.j., la PBN est une démarche d’Église portée par de nombreux mouvements tels que la CVX, les Scouts et Guides de France, l’action catholique au travers de la JOC, du MRJC, du MCC, le réseau Magis, le Ceras¹… Cette diversité assure le caractère authentiquement pluraliste et politique à la session.
1. JOC : Jeunesse ouvrière chrétienne, MRJC : Mouvement rural de jeunesse chrétienne, MCC : Mouvement chrétien des cadres et dirigeants, Ceras : Centre de recherches et d’actions sociales.
Le Centre spirituel du Hautmont accueillera la session 2018 de la PBN. Pour rejoindre, dès maintenant, l’équipe de préparation : contact @cvxfrance.fr
© Affiche La Politique, une Bonne Nouvelle été 2017
2. ESCN : l’Équipe Service de la Communauté Nationale.
Destinée aux étudiants et aux jeunes professionnels, cette session d’une semaine alterne temps de formation, témoignages, échanges et réflexion personnelle sur les défis du monde et l’engagement militant en tant que chrétien dans les affaires publiques et politiques. Elle permet à chacun de préciser ses convictions, d’apprendre à é c h a nge r d a ns u n c l i m a t bienveillant et de se mettre à l’écoute de ses mouvements intérieurs pour mieux discerner là où il est appelé. Chaque journée se conclut par un groupe de relecture accompagnée pour mieux recevoir ce qui a été entendu et faire le point sur son propre cheminement.
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Après une année électorale intense, dans un environnement mondial et européen très incertain, prendre le temps d’une relecture apaisée était bienvenu pour les participants. Tous préoccupés par le fait de répondre à l’appel de s’engager, tous attachés à faire vivre le dialogue et la démocratie
pour chercher et élaborer des solutions. Et en même temps, tous interrogatifs sur la "bonne manière" de le faire : réfléchir et penser le monde pour mieux discerner, militer dans un parti, agir dans une association, être élu… C’est pour répondre à ces questions et "goûter" la diversité des opinions qu’alternaient les enseignements, les témoignages d’élus et de journalistes, et les temps de partage et de relecture entre les participants. Envoyé depuis le 1 er septembre par l’ESCN 2 pour représenter la CVX au Comité d’orientation de la PBN, j’y vois une occasion nouvelle, après le travail fait pour les élections présidentielles, au travers des newsletters Voter en conscience, de poursuivre en Communauté une réflexion sur des démarches collectives que nous pourrions proposer aux membres de la CVX pour mieux comprendre les changements sociaux et sociétaux et faire circuler la parole. Eric Weisman-Morel, Nanterre Grande Arche (NGA)
au rythme d’un centre spirituel
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En ce début juillet, la maison du Hautmont et son parc se coulent progressivement dans le silence. Comme chaque année en cette période, le centre se dispose à accueillir les retraitants de l’été. Il se prépare aussi à recevoir les bénévoles au service de l’accueil et tous les accompagnateurs spirituels et prédicateurs des retraites à venir. Le rythme de la maison s’étire, scandé par les laudes, la messe quotidienne et les temps d’adoration eucharistique. Les sons feutrés ont pour vocation l’accueil. Membres de la Communauté venus vivre plusieurs jours du charisme des Exercices côtoient des chercheurs de Dieu ayant soif de la Bonne Nouvelle et découvrant la spiritualité ignatienne. Chaque retraitant, qu’il franchisse la porte du Hautmont pour la première fois ou y retrouve un cadre connu, reçoit des mots de bienvenue, qui ouvrent l’espace du silence et invitent à s’y risquer, laissant ses résistances.
De nouvelles retraites sont venues enrichir cette année l’éventail des propositions estivales. Le programme accueille bien sûr plusieurs semaines spirituelles selon les Exercices spirituels. À la suite de saint François de Sales, plus de trente retraitants ont déjà répondu à l’invitation de "vivre l’humilité et la douceur". D’autres se sont inscrits pour vivre une expérience de présence silencieuse à Dieu, par la prière du Nom de Jésus. Certains ont choisi l’art du clown pour tourner leur corps et leur cœur vers Dieu. Au-delà des mots, les visages, liés par l’échange bienveillant des regards, forment peu à peu comme une communauté inédite. Une complicité s’établit, qui prend corps dans les petits gestes du quotidien, disant l’attention et le soin de l’autre, dans une forme de dépouillement centré sur l’essentiel. Jour après jour, la relation passe et se déploie dans une présence silencieuse les uns aux
© Centre spirituel du Hautmont
L’été d’un centre spirituel est un temps hors du temps pour les retraitants comme pour les accompagnateurs, les bénévoles ou les salariés. De nouvelles retraites ou des semaines d’Exercices spirituels ont semé la Parole pour l’année à venir. autres, retraitants, bénévoles, salariés. Sur cette trame où se tisse la disponibilité des cœurs, la Parole de Dieu se détache avec une densité nouvelle. Soutenue par l’écoute et les mots pesés des accompagnateurs et des prédicateurs, cette Parole créatrice est invitation à entrer en amitié avec Dieu puis à "avancer en eau profonde". La respiration de l’été, où l’on peut laisser se planter en soi des graines qui grandiront au fil du temps, nous aura aussi donné de goûter le silence comme "terre d’union". Dans les prochains mois, dans le silence du cœur, nourri par les mots de l’échange fraternel, le thème du "visage" cimentera notre quête de liens toujours plus profonds et féconds. Conférences, ateliers artistiques et retraites sont ouverts à tous les profils, quelle que soit leur physionomie ! Aude Kempf Directrice du Centre spirituel du Hautmont
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Ensemble faire Communauté
Dans le monde
les jeunes au défi de la foi Une trentaine de jeunes adultes, issus de 13 communautés nationales d’Europe et du Moyen-Orient, se sont retrouvés en août à Malte pour apprendre à vivre davantage de la spiritualité ignatienne dans un monde sécularisé. Claudine Drochon de l’Euroteam raconte…
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Pourquoi avez-vous organisé cette formation ?
© Tinunanek/Pixabay
Nikolaas Sintobin s.j., jésuite flamand, a accompagné cette session. Ses nombreuses propositions de prière pour un public jeune sont en ligne : www.seeing more.org Voir aussi son article : Revue Vie chrétienne N°41, p. 20.
Claudine Drochon : L’une des missions confiées à l’Euroteam, l’Équipe service européenne de la CVX, en juin 2014 était de nous inscrire au cœur de l’orientation de l’Assemblée mondiale du Liban en 2013 : "De nos racines aux frontières", mais aussi et plus particulièrement d’accompagner les jeunes de la Communauté. C’est pourquoi, pour eux, nous avons voulu mettre sur pied cette formation : "Aux frontières, vivre les défis du quotidien avec la spiritualité ignatienne". Les jeunes ont besoin d’écoute et nous avons le désir de leur transmettre le trésor de la CVX pour qu’ils puissent dire et vivre leur foi dans nos sociétés séculari-
sées. L’objectif de cette session était de leur permettre de vivre une expérience internationale de rencontres et d’échanges ainsi qu’une démarche spirituelle personnelle avec un appel à vivre le magis, ce "davantage" qui est une proposition à croître humainement et spirituellement. Temps d’enseignements, de partages, de témoignages, de prières se sont succédé…
relationnelle et leur vie intérieure… Les jeunes participants sont entrés pleinement dans la formation.
Que retenez-vous des fruits de cette session ?
C.D. : La question des jeunes dans nos sociétés traverse toutes les communautés d’Europe et la spiritualité ignatienne est vraiment un don à leur offrir ! Alors pourquoi ne pas leur proposer cette formation tous les deux ans ? L’Euroteam pourrait en confier l’organisation à une petite équipe internationale ou à une communauté nationale… Une demande de formation au discernement pour les 35-45 ans a également émergé, plus particulièrement pour les célibataires. Fort de cette première expérience, et lors de notre prochaine rencontre européenne à Lille, en mars 2018, nous voulons poursuivre cette réflexion, dans la perspective de l’Assemblée mondiale de juillet 2018 en Argentine.
C.D. : J’ai été touchée par cette "manière de faire CVX" qui a permis aux participants d’entrer immédiatement dans une écoute et des partages en profondeur. La diversité de langues, de cultures et de situations familiales a contribué à déplacer les jeunes en les provoquant à une plus grande attention à l'autre. Comme organisateurs, nous avons été témoins d'une grande créativité autour de la présentation du magis. Il y a eu aussi des moments de fête comme savent en organiser les jeunes, notamment lors de la soirée internationale. Profondeur, sincérité, joie et ancrage dans leurs réalités de travail, leur vie
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L’accueil, la disponibilité et la qualité des témoignages de la CVX de Malte nous ont beaucoup touchés et interpellés. Quelles perspectives d’avenir ont-elles émergé ?
en italie avec des jeunes migrants Antoine a vécu, cet été, une expérience de volontariat auprès de jeunes demandeurs d’asile, un projet organisé par la CVX Jeunes d’Italie. Il s’agissait de prendre du temps avec des migrants mineurs isolés, recueillis quelques mois auparavant au large de la Libye.
Les migrants étaient de très jeunes hommes, principalement originaires d’Afrique subsaharienne, sous protection des autorités italiennes jusqu’à leur majorité. Migrants économiques en quête d’un avenir meilleur. La plupart des membres de notre équipe ayant moins de trente ans, le premier contact avec ces jeunes migrants fut très facile. Et, très vite, le rythme fut pris. Nous arrivions le matin et enchaînions, avec leur participation active, jeux, danses, chants, sorties à la plage et autres activités. Et nous repartions à regret en fin d’après-midi. Au fil des jours, des liens se sont tissés, des paroles plus intimes se sont échangées en tête-à-tête. Ainsi, deux jours durant, à la demande d’un jeune Sénégalais, j’ai pris, sous sa dictée, le récit détaillé de son périple de sept mois depuis Dakar.
Il fallut bien partir. "Vous allez nous manquer", nous ont dit quelques jeunes. Quelques larmes de volontaires. Échanges de contacts Facebook et WhatsApp. Selfies et photos de groupe. J’ai été touché par ces jeunes. Ils ne possèdent rien, mais sont habités par l’espérance et débordants d’énergie. Adultes par leurs expériences et adolescents par leurs rêves. Souvent joyeux, parfois graves. Prêts à s’investir à fond dans un processus d’intégration, tout en étant conscients que, dans certains endroits "On n’aime pas les Noirs". Où serontils l’an prochain ? Des pays de l’Union européenne auront-ils voulu d’eux ? Après notre journée avec les jeunes, nous rentrions à notre logement, distant d’une dizaine de kilomètres et reprenions notre vie de communauté. Joyeuse et harmonieuse. Nous avons pratiqué à plusieurs reprises et, pour autant que j’aie pu en juger, avec profit, les deux premiers des "trois tours" des réunions CVX. Des émotions et des découvertes furent partagées et résonnèrent au "deuxième
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Nous étions onze volontaires, parmi lesquels trois membres de la CVX : une Espagnole, un Portugais et moi-même. Ce fut pour moi une triple expérience de vie : vie avec les migrants, vie en communauté et vie avec une communauté.
tour". Lors de l’évaluation finale, il y eut des témoignages forts de cheminements personnels. Tout au long de notre séjour, nous avons été soutenus par la communauté locale de Reggio de Calabre, qui assurait l’animation spirituelle, l’intendance et les transports. Cela nous donna de nombreuses occasions d’échanges, spontanément fraternels, sur leurs divers engagements d’équipe auprès des migrants et des prisonniers et contre la mafia. Aux frontières. Antoine Masson Paris Sainte Geneviève novembre/décembre 2017 37
À LIRE L’énigme des invités aux noces Éditions Vie chrétienne, septembre 2017 – 12 € La parabole des invités aux noces, au chapitre 22 de l’évangile selon saint Matthieu, est bien mystérieuse. Bruno Régent s.j. nous éclaire sur cette énigme, en identifiant dans le contexte de la parabole et dans le texte lui-même des indices d’interprétation. Bien au-delà de la lecture allégorique classique (qui assimile le premier groupe d’invités au peuple juif et le second à l’Église) dont il remet en question la pertinence, il entraîne le lecteur sur des chemins inattendus : ce roi est-il vraiment violent ? Quel appel faut-il entendre ? Notre réponse est-elle libre ? Comment se montrer digne du roi ? Où se situe la joie de la fête dans ces noces ? En vente sur : viechretienne.fr et dans toute librairie.
À VIVRE Se préparer à Noël Le centre spirituel Saint-Hugues de Biviers propose de vivre la dernière semaine de l’Avent en silence avec un accompagnement spirituel. Mais aussi pour ceux qui le désirent : des ateliers et des temps de partage. Du 17 décembre (18h30) au 23 décembre 2017 (9h). Info et inscription : www.saint-hugues.fr
Noël : Dieu intime Le centre spirituel du Hautmont propose une initiation à la méditation chrétienne selon l’enseignement de John Main, osb, comme démarche visant à se rendre disponible à Dieu. Du 26 décembre (12h) au 30 décembre 2017 (14h). Info et inscription : www.hautmont.org
38 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 50
À SUIVRE Heureux les sobres ! Vivre l’espérance de Laudato si ’ La session annuelle de formation du Ceras qui aura lieu du 29 janvier au 1er février 2018 au Centre Sèvres, à Paris, réinterrogera l’héritage de l’encyclique du pape François sur l’écologie intégrale, deux ans et demi après sa publication. Au programme : conférences, visites et un forum des initiatives le 30 janvier. Les porteurs d’une initiative (professionnelle, associative, politique, spirituelle…) à portée à la fois sociale et environnementale, peuvent soumettre leur projet par mail à forum. session18@ceras-projet.com. S'il est retenu, il sera présenté lors du forum. À la suite de votes du public et d’un jury, trois initiatives seront sélectionnées pour recevoir les "prix Laudato si ". www.ceras-projet.org
À DÉCOUVRIR La nouvelle traduction du Notre Père Vers Dimanche +, la revue mensuelle éditée par la famille ignatienne, propose pendant un an une série de textes de quatre pages sur les différentes demandes du Notre Père, à l’occasion de l’entrée en vigueur le 1er dimanche de l’Avent de la nouvelle traduction de l’une d’entre elles : "Ne nous laisse pas entrer en tentation". Une occasion de redécouvrir cette prière que Jésus a enseignée à ses disciples. Pour s’abonner à la revue : www.versdimanche.com
À DÉCOUVRIR Nouveauté : La libraire numérique ignatienne À retrouver dans cette librairie en ligne, la vingtaine d’ebooks des Éditions Vie chrétienne ainsi qu’un large choix d’ouvrages de spiritualité ignatienne. Ces ebooks sont adaptés à toutes les liseuses et la librairie est accessible via une application pour smartphone. www.librairie-jesuite.com
Billet
Cet été, mon mari et moi avions le désir de découvrir des paysages inconnus, de fouler une terre nouvelle, bref de faire un peu de "neuf". L’appel de la terre inconnue ne nous emporte pas toujours au bout du monde : habitant Clermont Ferrand, nous nous sommes retrouvés… en Haute Loire ! Joie de découvrir l’existence de ces paysages de sucs, à peine ternie par tant d’ignorance de notre part. Bienheureux les cœurs simples ! Tandis que les enfants sont invités à inaugurer, découvrir, visiter, vivre toute la magie des "premières fois", les adultes sont invités à Re-découvrir, Re-visiter, Re-vivre. Pour ce faire, il faut parfois s’appliquer et garder bien vivant ce désir d’être Re-créé, Redynamisé, Re-vivifié. Il nous faut oser partir sur les chemins du Mézenc en Haute-Loire quitte à bouder les Alpes du Sud que nous chérissons tant. Quelle audace ! Mais nous pouvons aussi Re-prendre le chemin des Alpes du Sud avec la ferme résolution de Re-fouler ces sentiers alpins dans l’attitude de celui qui découvre : prêt à se laisser émouvoir, déplacer, questionner, surprendre. Avec l’automne, c’est encore une année scolaire qui a Re-démarré. Les enfants l’ont inaugurée par la Re-prise de la R-entrée scolaire. Pléthore d’émissions de TV nous invitent à Re-visiter les recettes de cuisine, les hommes politiques s’appliquent à Ré-former la société, l’Église nous invite à la Ré-conciliation et chacun de nous tente de Ré-enchanter l’ordinaire de sa vie en Re-considérant ses engagements pour se les Ré-approprier ou les quitter. S’il est des "Re" qui évoquent la routine, Comme d’habitude chantait Claude François, il est des "Re" qui évoquent l’approfondissement, l’accomplissement, la Révélation. La pédagogie ignatienne n’est pas en reste dans ce domaine, qui nous invite à la Re-lecture et à la Ré-pétition. Et qui nous invite de surcroît à Re-sentir comme si le sentir ne suffisait pas. Que je puisse Ré-aborder cette année, seul et en groupe, avec le désir de me laisser R-éveiller, tel l’enfant qui fait ses premiers pas, entre désir et crainte, dans la certitude que son père l’accompagne sur ce chemin de Vie : chemin de Re-ssuscité !
© Alexas_Fotos / Pixabay
et "re" !
Sabine Bommier
novembre/décembre 2017 39
Prier dans l’instant
Je viens de voir The rider, le second long métrage de Chloé Zhao, une jeune réalisatrice chinoise. Son film, à sortir prochainement, a été présenté, cette année, à la Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes et il a remporté le grand prix du Festival du cinéma américain de Deauville. Je suis touchée par l’histoire qui nous est contée. Ce n’est pas une fiction, Brady joue son propre rôle. Il est ce jeune cow-boy, entraîneur de chevaux et étoile montante du rodéo, qui voit sa vie basculer après qu’un cheval lui a écrasé le crâne au cours d’un rodéo. De retour chez lui, dans la réserve de Pine Ridge, il est confronté à la vacuité de sa vie : il ne peut plus faire de rodéo ni même monter à cheval. Nous le voyons lutter, risquer l’impossible pour retrouver sa passion. Mais le verdict est inéluctable. Que va-t-il faire de sa vie s’il devient ainsi handicapé ? À côté de lui, sa sœur, Lilly. Elle est autiste et incarne aussi son propre personnage à l’écran. Elle aide son frère par son affection, au-delà des mots, et c’est sa présence au moment où Brady va défier la mort en voulant participer à un dernier rodéo qui lui fait y renoncer. L’amour vaut plus que la mort. Je suis touchée par l’authenticité de ces personnes. À travers des images somptueuses, une tension presque permanente, c’est le mystère de l’homme qui nous atteint. Être homme ou femme, c’est être vulnérable, le découvrir et en faire une chance. Dans une Amérique où les hommes se doivent d’être forts cela pose la question de la place des plus faibles. J’ai été touchée par l’actualité de ces situations : au moment où je quittais la salle de cinéma un homme aidait sa toute jeune fille à rejoindre son fauteuil roulant. Seigneur, je te prie pour ceux qui ne connaissent que la force et la transforment en violence, pour tous ceux que la fragilité angoisse et désespère, que des frères et sœurs les aident à trouver l’espérance et la foi en ta Résurrection, qui déjà féconde nos vies. Geneviève Roux, Xavière
Nouvelle revue Vie Chrétienne – novembre/décembre 2017
© The rider, The Weinstein company
en sortant du cinéma