Revue Vie chretienne N°32 nov 2014

Page 1

Vie chrétienne Nouvelle revue

C h e r c h e u r s

d e

D i e u

P r é s e n t s

a u

M o n d e

BIM B IE M S TERSI TE LR IDEEL LDA EC OL M A MC UONMAM U TUÉNde A U VT IÉE VC IHER ÉCTHI ERNÉ NT EI EENT NDEE ES TE S DAEM SI SE S– A N ºM 3I 2S –– novembre N º 2 1 – j /anvier décembre 2 0 12 30 1 4

Le défi numérique des seniors Atelier justice : ne jugez pas

Choisir la bienveillance


NOUVELLE REVUE VIE CHRÉTIENNE Directeur de la publication : Jean Fumex Responsable de la rédaction : Marie-élise Courmont Rédactrice en chef adjointe : Marie-Gaëlle Guillet Comité de rédaction : Marie-élise Courmont Jean-Luc Fabre s.j. Marie-Gaëlle Guillet Anne Missoffe Laetitia Pichon Barbara Strobel Comité d'orientation : Alice Bertrand-Hardy Marie-Agnès Bourdeau Nicolas Joanne Anne Lemant Fabrication : SER – 14, rue d’Assas – 75006 Paris www.ser-sa.com Photo de couverture : Thinkstock / Stockbyte Impression : Corlet Imprimeur, Condé-sur-Noireau

ISSN : 2104-550X 47, rue de la Roquette – 75011 Paris Les noms et adresses de nos destinataires sont communiqués à nos services internes et aux organismes liés contractuellement à la CVX sauf opposition. Les informations pourront faire l’objet d’un droit d’accès ou de rectification dans le cadre légal.

le dossier

Sommaire éditorial l’air du temps Le défi numérique des seniors par Carole Anne Larivière chercher et trouver dieu

Choisir la bienveillance

3

4 7 8

Témoignages Ni hérisson, ni paillasson : communiquez avec bienveillance 12 Étienne Séguier L’amour sans limite d’un père 14 Hélène Castaing Le présupposé favorable 16 Édouard O'Neill s.j. babillard se former Méditer le Principe et Fondement Betty Oudot En ouvrant une librairie religieuse Geneviève Joanne Judith, une femme confiante qui… Marie-Agnès Bourdeau Vivre une réunion comme une contemplation Jean-Luc Fabre s.j. Pourquoi prendre du temps pour les élections ? Nadine Croizier ensemble faire communauté Enracinement : tirer profit  Des outils de la CVX pour les familles Quels appels pour la communauté ? Découpage régional et discernement communautaire Atelier justice : ne jugez pas Magis Africa 2014 « Inspire, Engage, Ignite » Une autre coupe du monde du Brésil billet Vous qui passez sans me voir Jardinier de Dieu prier dans l'instant En regardant travailler un accordeur de piano Dominique Pollet

19

20 22 24

27 30 32 33 34 35 36 37 38

39 40

La revue n’est pas vendue, elle est envoyée aux membres de la Communauté de Vie Chrétienne et plus largement à ses « amis ».

Chacun peut devenir ami ou parrainer quelqu’un. Il suffit pour un an de verser un don minimum de : l 25 € l 35 € si je suis hors de France Métropolitaine l Autre (50 €, 75 €, 100 €…) n Par virement : RIB 30066 10061 00020045801 60 IBAN FR76 3006 6100 6100 0200 4580 160 – BIC CMCIFRPP n Par versement en ligne sur viechretienne.fr/devenirami n Par chèque bancaire ou postal à l’ordre de Vie Chrétienne À envoyer à ser – vie chrétienne – 14, rue d’assas – 75006 Paris – amis@viechretienne.fr

2 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 32


Éditorial

«

Cette expression de Jérôme Nadal s.j.1 a résonné fortement lors du rassemblement organisé par le PAS ignatien2 en septembre à Lourdes; rencontre de trois jours pour, « à la lumière des Exercices Spirituels, servir davantage la vie quotidienne de tous ». Elle résonne aussi fortement avec le temps de l’Avent où nous nous préparons à accueillir Celui qui est venu habiter notre monde. Intéressons-nous à ce monde qui est le nôtre. Dans la mouvance des Semaines Sociales qui vont s’ouvrir sur les techno-sciences, l’air du temps (p 4-5) invite à regarder ces nouvelles technologies sous l’angle du défi pour les seniors… L’atelier Justice qui s’est réuni cet été (p 36) a permis à ceux qui côtoient l’institution judiciaire d’ouvrir leur regard grâce à la diversité de leurs expériences. Des jeunes, dans le cadre de Magis Africa (p 37) ont vécu des « expériments » leur permettant de découvrir l’une ou l’autre réalité du Zimbabwe… Autant d’occasions de mieux comprendre le monde, pour mieux l’aimer.

© Nadalinna / iStock

« Le monde est notre maison »

»

Car il s’agit de l’aimer, comme le Christ l’a aimé. Et pour cela, de choisir la bienveillance ; une attitude qui n’est pas naïveté mais confiante espérance ; un choix qui est celui du dialogue et de la responsabilité pour qu’ensemble nous fassions de cette maison un lieu où il fait bon vivre.

Marie-Elise Courmont

1. Jérôme Nadal s.j. : jésuite du début de la Compagnie, c’est grâce à lui que la lettre et l’esprit des Constitutions se sont répandus parmi les premières générations de jésuites, souvent à l’aide d’expressions lapidaires comme « nous ne sommes pas des moines », ou « le monde est notre maison » et « notre chambre nous tient lieu de choeur ». 2. PAS ignatien : La Communauté de Vie Chrétienne avec la Compagnie de Jésus, les sœurs de la Retraite et Notre-Dame du Cénacle, ont créé en 2013 le P.A.S. ignatien, une association qui a pour mission la Promotion, l’Aide et le Soutien aux propositions de la famille ignatienne.

Pour écrire à la rédaction : redaction@editionsviechretienne.com

Novembre / Décembre 2014

3


L'air du temps

Le défi numérique des seniors Les nouvelles technologies ne concernent pas seulement les plus jeunes. Touchant tous les âges de la vie, elles peuvent être très aidantes pour les seniors. Mais elles posent également des questions éthiques. Vers quelle société désironsnous aller, interroge Carole Anne Rivière, sociologue et psychologue, intervenante lors des Semaines Sociales 2014 à Lille.

Q

Quels sont les dangers des innovations technologiques concernant les seniors ?

Carole Anne Rivière, sociologue, psychologue clinicienne et formée à la psychanalyse jungienne. Elle a travaillé sur les nouveaux modèles d’innovation et a dirigé un programme de recherche-action sur l’innovation sociale et numérique pour les plus âgés. Elle a publié : « Bien vieillir grâce au numérique », Fyp Éditions, 2010

Carole Anne Rivière : Le danger viendrait de notre peur des risques. De plus en plus de dispositifs proposent de rationaliser les risques en proposant une surveillance permanente. Des capteurs biomédicaux surveillent en permanence le diabète de la personne, d’autres peuvent être installés dans la maison, vérifiant que le rythme de vie ordinaire de la personne se déroule comme habituellement. Si jamais la personne ne prend pas sa douche, une alerte est lancée. Cela signifie peut-être qu’elle a fait un malaise et qu’il faut intervenir rapidement. Mais peut-être aussi qu’elle désirait un peu de liberté par rapport à une journée déjà planifiée par d’autres. Petit à petit, une société de surveillance s’installe, cherchant le risque zéro pour les plus fragiles… Or sur le plan éthique et psychologique, cela pose de sérieuses questions. En supprimant tout risque, on dévitalise l’envie de vivre. Marcher, par exemple, suppose le risque de tomber.

Semaines Sociales de France : Lieu de formation, de débat et de proposition sur les grands enjeux de société. Le thème des 21, 22, 23 novembre 2014 à Lille est : « L’homme et les technosciences : le défi ». Info et inscription sur : technosciencesledefi.org/ Qu’est-ce que cela révèle de notre société ? C.A.R. : Jusqu’à récemment, l’angle de vue des spécialistes de la technologie pour répondre aux besoins du vieillissement était celui du vieillissement pathologique et de la grande dépendance. Cela a entraîné l’idée générale que vieillir c’est être dépendant ou ne plus être capable d’apprendre. Or, seuls 25 % des plus de 85 ans sont dépendants, les trois-quarts ne le sont pas. On veut surprotéger les plus âgés, en sachant pour eux ce qui leur convient. Ainsi, parfois des ordinateurs ont été installés dans des maisons de retraite, avec des interfaces simplifiés, des

4 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 32

services pré-formatés, ne donnant pas accès aux moteurs de recherche. Les personnes ne pouvaient pas accéder aux services qu’elles souhaitaient, comme si elles étaient redevenus des enfants qu’il fallait protéger. Est-ce vraiment la société où nous désirons vieillir, nous surprotégeant au point de censurer ? Jusqu’où aller dans la protection des risques ? Ne serait-ce pas la famille que l’on souhaite rassurer par ces principes de protection ? Quel bénéfice peuvent tirer les seniors de ces technologies ? C.A.R. : Chez les seniors, l’utilisation des technologies est aussi


variée qu’ils le sont eux-mêmes. On ne peut pas inclure dans une même tranche d’utilisateurs les 65 ans et les plus de 80 ans. Les plus jeunes des seniors ont utilisé internet professionnellement, ils continuent la retraite arrivée : comme tout utilisateur, ils vont sur les sites de voyage et de loisirs, gèrent leur compte en banque en ligne, font des achats, s’informent… Pour les plus âgés, on peut bien sûr penser à l’échange de mails et de photos avec les enfants et petits-enfants qui leur permet de garder un meilleur contact avec leur famille. Mais internet ne se limite pas à cela pour eux, si on les aide. Une expérience avec les plus de 80 ans qui n’avaient jamais touché internet a été menée dans un atelier de ville. Après une formation, ils ont dit qu’ils avaient retrouvé un nouveau souffle, ils ne se sentaient plus coupés de ce qui faisait l’aujourd’hui des autres. En visitant des sites proposant des vidéos, ils ont pu revoir des éléments de leur passé et établir ainsi une continuité biographique importante pour donner du sens à ce qu’ils vivent. De nombreux ateliers informatiques pour les seniors existent dans les quartiers.

(kiné, infirmier, plateau repas, femme de ménage…) où tout est rationalisé et où il reste peu de place à l’échange, une plateforme d’échange a été créée pour échanger des informations plus conviviales et pas seulement les plannings. Dans ce cas, le numérique ré-humanise le travail, la situation. C’est souvent l’usage que font les personnes des systèmes alertant en cas de chute. Elles l’utilisent pour avoir un lien, un contact avec une personne,

car elles sont plus en demande de relation que de protection. C’est ce qui a poussé à la création de plateformes telles que ma-residence.fr ou voisin-age.fr, une initiative issue de l’association des Petits frères des pauvres. Des liens de voisinage et d’entraide se tissent entre personnes âgées et leurs voisins. Les seniors ne sont plus seulement aidés mais aidants. Propos recueillis par Marie-Gaëlle Guillet

Les nouvelles technologies sont beaucoup basées sur le virtuel, peuvent-elles être aidantes ou sont-elles des liens éphémères ?

© Henfaes / iStock

C.A.R. : Internet ne favorise pas seulement les liens virtuels. Des plateformes de services locaux ont montré un vrai apport dans le concret du quotidien. Ainsi au lieu d’un carnet de liaison entre intervenants auprès des plus âgés, Novembre / Décembre 2014

5



Chercher et trouver Dieu

Choisir la bienveillance Voir le bien, veiller au bien, vouloir le bien… au delà de l’étymologie, le mot « bienveillance » nous renvoie une image : celle du Dieu Créateur qui, chacun des soirs narrés par le premier récit de la Genèse, contemple sa création et redit « c’est bon… c’est bon… c’est très bon » ! Point d’interventionnisme dans cette attitude ! Car à vouloir le bien de l’autre, on peut le nier lui-même ! Pour autant, la bienveillance n’est ni mièvre ni passive. Les vrais bienveillants sont actifs comme le suggèrent les auteurs des témoignages de ce dossier… mais leur regard est emprunt d’espérance, il donne courage, il dit « tu peux ! » Pour aiguiser ce regard, les enfants du MEJ (Mouvement Eucharistique des Jeunes) apprennent à chausser leurs « lunettes 3 B » (beau-bien-bon !). Pour voir l’homme. Tout l’homme. Et y poser un regard divin ! Laetitia Pichon

© Sedmak / iStock

Témoignages Dire la justice avec ce qu’on est. . . . . . . Accompagner en bienveillance . . . . . . . Comme un parfum . . . . . . . . . . . . . . . . . Veiller au bien en camp MEJ . . . . . . . . .

éclairage biblique 8 9 10 11

Contrechamp Ni hérisson, ni paillasson : communiquez avec bienveillance . . . . . 12

L’amour sans limite d’un père . . . . . . 14 Repères ignatiens

,

Le présupposé favorable. . . . . . . . . . . 16 Pour continuer

en réunion . . . . . . . . . . . . . . . . . 18

Novembre / Décembre 2014

7


Chercher et trouver Dieu

Témoignages

Dire la justice avec ce qu’on est Magistrate en région parisienne, Isabelle reconnaît que sa vie personnelle peut peser sur ses décisions de justice. Faire preuve de bienveillance est difficile face à certains criminels. Parfois source de paix, cette attitude est-elle toujours possible ou souhaitable ?

J'

J’ai officié dans toutes sortes de dossiers : les affaires familiales, financières, les tutelles, la sécurité sociale. Je préfère avoir des gens en face de moi que des entreprises, même à travers les avocats. La bienveillance, je dirais qu’elle n’est pas

forcément bonne. Il faut garder de la révolte, de la colère contre certains actes. Elle n’est pas toujours facile dans ce métier. J’ai par exemple beaucoup de mal avec les menteurs. L’a-priori est plus favorable quand la personne en face reconnaît qu’elle a commis une bêtise.

tances atténuantes. Par exemple, pour un jeune violent, qui agressait des gens dans le métro, aux côtés de deux malabars, pour dérober des portables. Il avait une histoire personnelle atroce. Il n’avait pas reçu les bonnes cartes au départ.

Je prends mes décisions avec ce que je suis. Moi qui suis mère, il ne m’est pas indifférent d’en avoir une en face de moi. Ou de voir, dans les affaires de divorce, comment on « joue » avec les enfants. Je me souviens de cette petite fille que les déchirements des parents empêchaient de pratiquer la danse, sa passion. Ma vie influe sur mon travail. Quand on m’a pris mon sac à main, j’avais du mal avec les voleurs.

Je ne sais pas si j’ai gagné en bienveillance, plutôt en indulgence. Le discernement ignatien peut avoir sa part dans mon travail, et aussi pour le choix des postes qu’on accepte ou qu’on refuse. J’ai un collègue qui prie avant une audience difficile. Moi, je suis sensible au partage que l’on fait, dans une équipe de personnes travaillant dans le milieu judiciaire. C’est une aide précieuse.

© Fuse

Voir aussi en p. 36 la session de cet été de l’atelier Justice sur « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés »

8 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 32

J’essaie de poser un regard neutre. Respect de la présomption d’innocence. Ni indulgence, ni à-priori. Même si c’est dur face à un père incestueux. Mais j’ai évolué. J’ai appris à mieux tenir compte des circons-

La bienveillance porte des fruits à des moments imprévus. Un couple, très croyant s’est séparé après trente ans de mariage, dans des conditions très douloureuses. Quand ils ont suivi les mesures que j’avais proposées, cela a été une joie. Je trouve que j’avais fait mon travail. Isabelle


Accompagner en bienveillance Comment être bienveillant face à des personnes en grande précarité qui acceptent difficilement cette relation ? Patience et accompagnement ont été utiles, constate Marie-Thérèse qui s’émerveille de voir la contagion de cette attitude. Cette attitude de bienveillance est contagieuse. Ce qu’ils ont vécu, ils le transmettent à leur tour sous forme d’attention à l’autre, inventant des formes de soutien mutuel, se découvrant capables d’aimer à leur tour ! Nous devenons à ce moment-là, spectateurs d’une chaîne de solidarité. Les petits‑déjeuners artistiques de chaque semaine ont été de vrais miroirs de cette beauté qui jaillit. L’un d’entre eux m’a dit : « L’art m’a apporté une certaine tranquillité et une partie de rêve. J’ai trouvé l’amour, la joie, la synergie et l’harmonie d’un groupe solidaire et fraternel. Je me sens en harmonie avec les autres avec qui je forme une ‘famille de cœur’». C’est une belle leçon d’humilité que j’apprends au jour le jour au côté de ces personnes en devenant « passeur », détecteur de richesses. « Traitez les gens comme s’ils étaient ce qu’ils devraient être et vous les aiderez à devenir ce qu’ils peuvent être » cette phrase de Goethe m’aide dans ces relations de bienveillance à construire. Marie-Thérèse

© Kevin Russ / iStock

a

Ayant travaillé pendant 23 ans en prison comme musicothérapeute et depuis 12 ans avec les personnes en grande précarité à Emmaüs puis au Secours Catholique, j’ai appris qu’il ne suffit pas de « vouloir » être bienveillant pour le vivre en vérité. Les premiers mots qui me viennent sont patience et vigilance. Bienveillance, bien « veiller » à côté de l’autre pour accompagner son chemin qu’il va lui-même découvrir. Oui, il faut beaucoup de temps pour que s’installe un regard désirant le bonheur de quelqu’un. Si l’autre en face ne peut l’accueillir à cause d’un passé douloureux fait de violence ou d’abandon, il n’acceptera pas d’emblée cette intention. Un premier temps d’apprivoisement fait de respect et de douceur est nécessaire. Parfois, ces personnes nous mettent à l’épreuve par un éloignement inattendu comme pour nous tester : l’accueilleronsnous à son retour ? Parfois, c’est leur manière de veiller sur nous quand ils sentent un trop grand attachement de notre part dont ils ne savent quoi faire : cette distance qu’ils nous imposent nous rappelle que nous n’avons pas la mainmise sur eux et qu’ils tiennent à leur autonomie.

Ouvrages de Marie‑Thérèse Esneault Libre dans ma cellule - Desclée De Brouwer - 2009 Les murs et les rues ont des oreilles Soins psychologiques adaptés aux personnes en grande précarité - Éditions Quintessence - 2008 Odeurs prisonnières, écrit avec un détenu, Michel Gaulier - Éditions Quintessence - 2002

Novembre / Décembre 2014

9


Chercher et trouver Dieu

Témoignages

Comme un parfum Au delà de la bienfaisance d’un guide pour son groupe de marcheurs, Marie-Ange reconnaît de la bienveillance dans la recherche du bien le plus grand pour chacun. Comme un parfum qui transformera tout le groupe.

c

Cet été, j’ai fait un pèlerinage avec une vingtaine de personnes.

Devant la discussion qui s’enlisait et les critiques qui commençaient à poindre, l’un d’entre nous a rappelé l’énorme travail préparatoire : reconnaissance, défrichage, réservation des hébergements… Réaction immédiate et générale de gratitude.

J’ai été percutée par ces paroles, toute la journée j’avais été concentrée sur mes pas avec cette question : « Vais-je être capable de marcher jusqu’au bout ? » Je réalisais brusquement que la peur de ne pas réussir m’avait fait passer à côté de l’essentiel.

© Stokkete / iStock

Dès le premier debriefing, une polémique éclate avec l’arrêt d’une partie du groupe dans une église alors que l’autre partie avait suivi le guide, souhaitant arriver au plus vite à l’hébergement.

C’est alors que notre guide continue avec ces paroles : « Certains recherchent la performance. Qu’ils sachent qu’ils risquent de passer à côté d’une rencontre, d’un signe de l’Esprit. Vous n’êtes pas ici par hasard. Dieu vous attend avec un fruit différent pour chacun ».

10 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 32

Notre guide nous faisait certes don d’un chemin praticable et il était bien nécessaire de rappeler cette bienfaisance. Mais surtout en nous invitant à ralentir le rythme pour voir Dieu sur le chemin et en chaque compagnon, il désirait pour chacun de nous le bien le plus grand. La bienveillance de cette proposition claire et opératoire m’a mise en mouvement de manière toute autre le lendemain. Cela a été vrai pour l’ensemble… La pédagogie de l’espérance de notre guide a produit son effet de vérité sur le groupe. Il a trouvé les moyens de son unité et de sa diversité. Chacun a alors cheminé pour sa croissance, aidé par cette atmosphère de bienveillance. Les témoignages du bilan étaient édifiants. Aussi je retourne à mon quotidien avec ces questions : « Est-ce que je désire aujourd’hui, ce bien le plus grand pour tous ceux que je conduis ? Quels chemins dois-je défricher pour aider ceux qui me sont confiés à Le trouver ? ». Marie-Ange


Veiller au bien en camp MEJ La bienveillance fait partie de la pédagogie du Mouvement Eucharistique des Jeunes (MEJ). Comment se décline-t-elle concrètement lors d’un camp d’été ? Violaine l’a contemplé tant chez les jeunes que chez l’équipe d’animation adulte.

Vis-à-vis des jeunes la bienveillance se décline d’abord par veiller à son bien ; s’assurer que le rythme de chacun est respecté, malgré et au-delà du groupe : en articulant constamment l’individuel et le collectif. Concrètement, c’est rester à l’écoute de Rémy, enfant turbu-

lent, respecter le rythme de Benjamin, asthmatique, ou d’Agnès, qui porte une atèle… C’est aussi « veiller à l’épanouissement du bien en chacun ». C’est donc chercher ce qui en l’enfant est à faire grandir : c’est adopter un regard attentif, pour voir en lui ce qui est bon, ce qui vient du Seigneur, et le nommer, le célébrer. J’ai ainsi contemplé les talents de comédienne de Marie, la sensibilité spirituelle de Rémy… Le MEJ cherche aussi à faire vivre aux enfants la bienveillance entre eux. En créant des équipes de camp de six à sept enfants qui ne

se connaissent pas en arrivant ! Ils arrivent seuls et repartent avec des amis aux quatre coins du pays. Comme les adultes en CVX, ils ne se sont pas choisis, ils n’apprécient pas d’être séparés du seul enfant sur 50 qu’ils connaissent ! Mais rapidement, grâce aux jeux, aux divers temps de réflexion ou de relecture, ils expérimentent, l’écoute bienveillante. Cela leur demande beaucoup parfois de constater que leur équipe est « cool, en fait ». Ecouter une fille ou un garçon, c’est accueillir et accepter d’être surpris. Violaine

© Laetitia Pichon

v

Venant des quatre horizons, l’équipe d’animation se découvre seulement trois jours avant le début du camp ! Tout est alors à construire : le contenu du camp, mais aussi la répartition des rôles. Pour avancer ensemble pendant dix jours, il faut se connaitre un peu ! Cet été, nous étions treize : sept animateurs de 17 à 43 ans, trois cuisinières de 40 à 68 ans, et trois encadrants : avec une grande diversité d’expériences du MEJ. Il y a là quelque chose d’insensé… Ou simplement l’aventure au bout de la rue. Car quand ça commence, ça ne s’arrête plus, et chacun est pris dans le tourbillon… ! Comme chacun est démuni, chacun a besoin de l’autre pour construire. Et ça se passe étonnamment bien ! Cela implique d’accepter ses limites et celles des autres, et de faire passer l’« œuvre commune » avant son ego, son avis parfois, même s’il nous paraît bon ! C’est sans doute la plus belle aventure collective qu’il m’ait été donnée de vivre.

Novembre / Décembre 2014 11


Chercher et trouver Dieu

Contrechamp

Ni hérisson, ni paillasson : communiquez avec bienveillance Dire " non ", gérer un conflit, refuser une situation… Des situations pas faciles à vivre lorsque l’on veut être bienveillant. Faut-il tout accepter, se taire, esquiver ? Ce n’est pas porteur de vie comme le souligne Étienne Séguier. La communication bienveillante propose des techniques simples pour oser dire ses besoins et entendre ceux des autres. En famille comme au travail.

Ê

Être bienveillant n’est pas forcément bien vu dans notre monde. Parfois synonyme de faiblesse, la bienveillance est rejetée. Or, vous proposez une communication bienveillante pour gérer les conflits. En quoi consiste-t-elle ?

Etienne Séguier journaliste à La Vie, coach de vie et formateur à la communication bienveillante notamment au Centre Sèvres et à Saint – Hugues de Biviers. Retrouvez ces conseils sur son blog : cultivetestalents. over-blog.com

Etienne Séguier : La communication bienveillante reprend ce que l’on fait naturellement lorsque l’on est en forme. C’est un regard bienveillant sur ses propres aspirations, ses besoins, sur ceux de l’autre et aussi un regard bienveillant sur les conflits en général car de la vie peut en sortir pour les deux opposants. C’est également une attitude, où l’on n'est ni systématiquement hérisson, ni paillasson. Pour régler un problème, certains cèderont toujours, ce n’est certainement pas de la bienveillance, d’autres sortiront les pics pour tenir les autres à distance.

Quels sont les attitudes pratiques ? E.S. : On commence par observer ce qui nous contrarie précisément chez l’autre. Puis on l’informe qu’il existe un problème. Parfois, il n’est même pas au courant et l’en informer peut résoudre la situation. Prendre conscience de la gêne induite chez l’autre peut faire changer. On observe aussi ce que la situation provoque en soi : colère, peur, tristesse… Si je suis perturbé cela signifie que des aspirations en moi sont mises à mal par la situation de conflit. Le conflit permet donc de repérer ce qui compte pour soi. On peut alors engager le dialogue en partant de son ressenti : « je suis triste car… » et non pas « tu ne sais même pas faire cela ». Et formuler des demandes précises. Et si l’autre refuse le dialogue ? E.S. : On ne peut pas le forcer à accepter notre bienveillance.

12 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 32

Mais comme ce processus a permis de nous montrer nos propres besoins : besoin de respect, de reconnaissance, d’amitié… on pourra les satisfaire, par ailleurs, avec d’autres personnes. Par exemple, si j’ai pris conscience d’un besoin de reconnaissance et que mon patron refuse de me donner des retours positifs, je pourrai demander à mon conjoint de me dire ce qu’il apprécie dans ma cuisine, ou à mes partenaires de sport comment ils perçoivent mon jeu et ainsi continuer d’aller vers ce qui porte plus de vie. Quels sont les risques de la bienveillance ? Risque-t-on d’être trop gentil ? E.S. : La bienveillance, ce n’est pas dire oui à tout ! Mais comprendre les besoins en présence lors d’un conflit, ceux de son interlocuteur mais aussi les siens. Prenons un exemple classique entre parent et ado : « C’est pas possible une chambre pareille, quelle pagaille !


A-t-on besoin d’empathie pour être bienveillant ? E.S. : Avec cet outil, nous apprenons à découvrir les besoins de l’autre. Cela ne signifie pas pour

© Jupiterimages / Pixland

Va ranger ». Le jeune peut trouver l’adulte agressif et réagir : « mais pourquoi tu n’arrêtes pas de me crier dessus. » Et rien ne se passera. Pour présenter le différend à partir de faits neutres et être clair sur ses besoins, il est important d’expliquer ce qui est signe de pagaille : « Quand je vois que tes chaussettes sont sur le tapis, que la serviette est sur ton ordinateur… ». L’adulte décrit ce qui le gêne sans porter de jugement sur la personne. Cette étape ouvrira le dialogue. L’adulte devra partager le besoin qu’il exprime à travers cet ordre : est-ce pour une raison de sécurité qu’il faut ranger sa chambre ? une raison sanitaire ? pour être organisé dans sa tête ? De son côté, le besoin que l’ado exprime par la pagaille est peutêtre d’avoir un jardin secret, d’être spontané, libre alors qu’il se sent oppressé par des contraintes… Lorsque chacun aura éclairci ses besoins, il sera plus facile de trouver une solution. La demande des parents pourra devenir plus précise : « je veux que tu aies un espace pour étudier, un passage pour marcher dans ta chambre… ». Elle entend le fait que l'adolescent a besoin d'un jardin secret et donc concrètement qu'une partie de sa chambre demeure en désordre, tout en écoutant son besoin de parent que son enfant étudie dans de bonnes conditions et donc ait un bureau rangé.

▲ Lorsque chacun aura éclairci ses besoins, il sera plus facile de trouver une solution.

autant que nous oublions les nôtres. Lorsque l’on parle d’empathie, chacun croit qu’il faut se mettre à la place de l’autre… et oublier la sienne. Mais ce n’est pas ce qui nous est demandé. Pour reprendre l’exemple de la chambre en désordre, je peux prendre le temps de comprendre que mon fils a besoin d’avoir son jardin secret tout en gardant en tête mon besoin qu’il fasse de bonnes études et donc d’avoir au moins son bureau rangé. Et dans le monde du travail peuton être bienveillant ? E.S. : Même lorsqu’il existe une forte concurrence, la bienveillance demeure une force. Lorsque les relations sont tendues, cet outil nous permet d’identifier les besoins qui sont malmenés (besoin de temps, de respect, de confiance, de clarté, de sens) et nous donne des arguments pour exprimer des demandes. En cas de difficulté, il est aussi bon de distinguer trois niveaux de besoins : celui de la personne, celui du profil du poste et ceux de l’entreprise.

Un malaise au travail peut être le signe qu’une évolution s’est produite à l’un de ces trois niveaux. Quels sont les fruits de cette communication ? E.S. : Par cette forme de relation dans un conflit, la relation est moins frontale. Ce n’est plus une partie de ping-pong où chacun tire à son tour pour l’emporter. Les conflits ne sont pas abolis, mais ils sont vécus de façon plus détendue car l’autre pourra s’exprimer. Du coup la différence fait moins peur, elle sera vécue de façon plus paisible. Propos recueillis par Marie-Gaëlle Guillet Session marche et communication bienveillante du 8 au 10 mai 2015 dans le Vercors proposé par Etienne Séguier avec le centre spirituel Saint-Hugues de Biviers. Tél. 04 76 90 35 97 Novembre / Décembre 2014 13


Chercher et trouver Dieu

éclairage biblique

L’amour sans limite d’un père 11

Jésus dit encore : « Un homme avait deux fils.

12 Le plus jeune dit à son père : “Père, donne-moi la part de fortune £qui me 13 Peu de jours après, le plus jeune rassembla tout ce qu’il avait,

et partit pour un pays lointain où il dilapida sa fortune en menant une vie de désordre. 14 Il avait tout dépensé, quand une grande famine survint

dans ce pays, et il commença à se trouver dans le besoin.

© iconesalain.free.fr

revient.” Et le père leur partagea ses biens.

15 Il alla s’engager auprès d’un habitant de ce pays, qui l’envoya dans ses champs garder les porcs. 16

Il aurait bien voulu se remplir le ventre avec les gousses que mangeaient les porcs, mais personne ne lui donnait rien.

17 Alors il rentra en lui-même et se dit : “Combien d’ouvriers de mon père ont du pain en abondance, et moi, ici,

je meurs de faim ! 18

Je me lèverai, j’irai vers mon père, et je lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi.

19

Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. Traite-moi comme l’un de tes ouvriers.”

20 Il se leva et s’en alla vers son père. Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut saisi de compassion ;

il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers. 21

Le fils lui dit : “Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils.”

22 Mais le père dit à ses serviteurs : “Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller, mettez-lui une bague

au doigt et des sandales aux pieds, 23 Allez chercher le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, 24 Car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé.”

Et ils commencèrent à festoyer. 25

Or le fils aîné était aux champs. Quand il revint et fut près de la maison, il entendit la musique et les danses.

26

Appelant un des serviteurs, il s’informa de ce qui se passait.

27

Celui-ci répondit : “Ton frère est arrivé, et ton père a tué le veau gras, parce qu’il a retrouvé ton frère en bonne santé.”

28

Alors le fils aîné se mit en colère, et il refusait d’entrer. Son père sortit le supplier.

29 Mais il répliqua à son père : “Il y a tant d’années que je suis à ton service sans avoir jamais transgressé tes ordres,

et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. 30 Mais, quand ton fils que voilà est revenu après avoir dévoré ton bien avec des prostituées,

tu as fait tuer pour lui le veau gras !” 31

Le père répondit : “Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi.

32 Il fallait festoyer et se réjouir ; car ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu,

et il est retrouvé !” »

Luc 15, 11-32 Nouvelle traduction liturgique

14 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 32


D

Dans cette parabole, on peut se laisser toucher par la bienveillance du père, figure de Dieu luimême. Et n’est-ce pas en Lui qu’il faut chercher le modèle d’une bienveillance que nous voudrions choisir ? Une des premières choses étonnantes de ce texte est l’absence complète d’interrogation du père quand le fils lui demande sa part. Quel père partagerait ses biens à ses fils sans les questionner ? Aucune demande d’explication, ni sur les raisons de cette requête prématurée (le fils va hériter avant la mort du père) ni sur les intentions du fils quant à l’utilisation de cet héritage. Pas d’expertise du père sur les projets du fils, bien au contraire. Le père fait à priori confiance à son fils pour mener sa vie, faire ses choix. Le fils a un désir qui d’une certaine façon le rend vivant. Le père regarde ce désir avec bienveillance, sans rien présupposer de l’avenir. On peut même penser qu’il n’envisage pas l’existence d’intentions déraisonnables. La confiance aveugle du père nous paraît insensée. Ni le narrateur, ni aucun personnage ne semble s’en étonner : ce qui semble raisonnable pour eux, c’est la confiance à priori !

Comme il était encore loin, son père l’aperçut. Dans la tradition artistique, on représente volontiers le père attendant patiemment sur le pas de sa porte. Pour le moins, il guette depuis longtemps d’un lieu où il peut le voir de loin. Quel père passerait ses journée à guetter un fils sans savoir s’il reviendra un jour, et encore moins dans combien de temps ? Ce père-là, guette inlassablement avec espoir ? Ou certitude ? Ou plutôt pris par la confiance comme il sera plus loin saisi par la compassion ? Contre toute raison, il se tient là dans une attente bienveillante ! Au retour du fils, la joie. Une joie, excessive, qui n’est ni comptée, ni mesurée à l’aune de quoi que ce soit ! Dieu est le Tout-Autre. Sa joie ne peut pas être contenue ni retenue ! Aucun reproche. Ses yeux refusent de voir l’indignité du fils : Il n’écoute pas sa confession, ne veut pas connaître sa déchéance. Il refuse de la regarder ou de la laisser voir, comme pour en effacer jusqu’au souvenir. Tout à sa joie, il donne des ordres à ses serviteurs pour rétablir la dignité déchue, et cela semble vraiment urgent ! Pourtant,

on sait qu’il n’ignore pas les agissements passés de son fils car son autre fils le lui fait remarquer comme une chose entendue : « ton fils que voilà est revenu après avoir dévoré ton bien avec des prostituées ». Mais cela semble ne compter pour rien aux yeux du père. La dignité de son enfant est son unique préoccupation. Au retour de l’ainé, on imagine mal ce maître de maison presque à genoux devant un fils furieux, et pourtant ! Refusant là encore de voir son mauvais côté (qui nous saute à la figure !) il en appelle à la pâte humaine de ce fils. Aucun reproche, l’appelant « mon enfant », il l’invite à entrer dans sa joie. « Il était perdu, et il est retrouvé ! » Voilà encore la bienveillance du Père Eternel qui nous est donnée à contempler ! Hélène Castaing

Points pour prier + Je demande au Père la grâce d’apprendre à choisir la bienveillance avec Lui. + Je le regarde partager sa fortune et m’en donner une part… à moi ! + Je l’imagine m’attendant sur le pas de sa porte. Puis-je le voir courir vers moi, se jeter à mon cou… Qu’est-ce que cela provoque en moi ? + À la façon du Père, écouter jusqu’au bout la colère de fils ainé (la mienne ?) puis entendre son amour en réponse. On ne sait pas si ce fils entrera… et moi ? + Comme à un ami, je dis au Père ce que cela a suscité de joies, peurs, incompréhensions, désirs… et finir par un Notre Père. • Je peux aussi décider d’un rendez-vous de relecture pour chercher comment Dieu aura répondu à ma demande de grâce. Novembre / Décembre 2014 15


Chercher et trouver Dieu

Repères ignatiens

LE PRéSUPPOSé FAVORABLE Bienveillance et présupposé favorable peuvent être appliqués au quotidien, mais parfois à tort et à travers, hors contexte. Edouard O’Neill s.j. offre de replacer cette proposition dans l’ensemble des Exercices pour l’éclairer. Exigence, accord, clarté, vérité… prennent alors plus de poids dans la relation de bienveillance.

E Edouard O'Neill s.j. Assistant national de la CVX de 1991 à 1997, il exerce depuis longtemps le ministère d’accompagnement dans les centres spirituels comme en paroisses. Il a publié aux Éditions Vie Chrétienne : La grâce d’agir.

Est-ce là de la bienveillance ? Oui, s’il s’agit de chercher à bien se comprendre l’un l’autre, de ne pas se laisser arrêter par des difficultés d’expression, de vouloir le bien de l’autre. Oui, s’il s’agit d’un climat d’estime et d’entraide entre « bons chrétiens ». Cela va de soi. Mais, placée où elle l’est, cette remarque explicitement voulue va plus loin. Nous sommes au tout début du livret des Exercices. Il y a eu les vingt « Annotations pour acquérir quelque intelligence des exercices spirituels qui suivent et pour que celui qui doit les donner aussi bien que celui qui doit les recevoir y trouvent une aide ». Elles précisent le sens de la démarche, les conditions à respecter par le retraitant comme par l’accompagnateur, ce sur quoi portent les échanges entre « celui qui donne les Exercices » et « celui qui les reçoit », le climat de leur relation. Au premier plan, toujours cette même relation au service de celle qui doit se jouer entre le retraitant et son « Créateur et Seigneur » (15). Sous cet angle on a pu qualifier notre présupposé de vingt et unième annotation.

16 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 32

Vérité de la relation C’est que la relation d’accompagnement est première. Dans la vie d’Ignace, comme au tout début de la Compagnie, il y eut d’abord le souci d’« aider les âmes » par des conversations spirituelles familières avec le prochain, lesquelles se sont structurées par la suite en fonction des situations et des interlocuteurs. Les Exercices sont sortis de là. La vérité de cette relation entre celui qui donne et celui qui reçoit y commande le reste, dès le départ. En outre, notre présupposé est situé juste après le titre des Exercices et juste avant le Principe et Fondement. Le titre fait peur : « Exercices spirituels pour se vaincre soi-même et ordonner sa vie sans se décider en raison de quelque affection qui serait désordonnée » (21), et le Principe et Fondement (23), on le sait, ne fait pas de cadeau non plus. Le titre souligne un enjeu qui remet en question le retraitant et lui ouvre une perspective exigeante et difficile. Quant au Principe et Fondement qui va commander toute la suite du parcours et de l’expérience, il met la barre très haut : « Il

Pour que celui qui donne les exercices aussi bien que celui qui les reçoit y trouvent davantage d’aide et de profit, il faut présupposer que tout bon chrétien doit être plus enclin à sauver la proposition du prochain qu’à la condamner ; et s’il ne peut la sauver qu’il s’enquière de la manière dont il la comprend et, s’il la comprend mal, qu’on le corrige avec amour. Si cela ne suffit pas, qu’on cherche tous les moyens appropriés pour que, la comprenant bien, il se sauve. E. S. 22

est nécessaire de nous rendre indifférents à toutes les choses créées… » en vue de pouvoir faire des choix selon Dieu dans la liberté. Or ce « nécessaire » semble impossible à l’homme. Comment faire alors ? On entre là dans le vif du sujet, et dans une aventure qui déroute.


Parlons donc ici d’exigence plutôt que de bienveillance. À moins que les deux puissent s’accorder… Mais, au fait, dans notre présupposé il ne s’agit pas précisément d’un sentiment de bienveillance personnelle pour la personne de l’autre, ni d’ailleurs non plus d’exigence proprement dite. Il s’agit de « sauver la proposition du prochain », de bien la comprendre de part et d’autre : « pour que, la comprenant bien, il se sauve ». Quelle proposition est à sauver ? Pas simplement les phrases qu’il prononce avec leurs hésitations et leurs approximations inévitables ; il y a toujours à s’habituer aux manières de s’exprimer d’un autre. Le tact et la finesse sont toujours requis. Cela ne méritait pas un paragraphe spécial. Par contre au XVIème siècle cela peut renvoyer à un contexte d’illuminisme, de Réforme et d’Inquisition : attention à être au clair sur ce que l’on met sous les mots. Mais nous comprenons surtout cette « proposition » comme ce que proposent les Exercices d’une part et ce que le retraitant se propose de vivre. C’est là qu’un accord est requis pour le bien de chacun. Celui qui se présente aujourd’hui aux Exercices en disant qu’il désire « faire une pause » dans une vie bousculée, ou « connaître les Exercices dont il a beaucoup entendu parler mais qu’il n’a jamais pu faire jusqu’à maintenant », ou les faire parce qu’on lui a dit qu’il

devait en passer par là, ou parce qu’il cherche la volonté de Dieu ne sachant pas du tout comment orienter sa vie actuellement, ou parce que des bons amis lui en ont parlé, ou autre chose encore, celui-là, quel qu’il soit, mérite accueil, estime et bienveillance évidemment. Mais de tels propos de sa part appellent des mises au point, une clarification honnête et sans concession. Dans certains cas il apparaîtra que c’est de tout autre chose que des Exercices dont il a besoin. Dans d’autres cas il faudra ajuster au mieux l’offre et la demande en « la comprenant mieux », comme dit notre présupposé, afin de pouvoir « lui donner certains exercices spirituels qui conviennent et qui sont adaptés aux besoins de cette âme » (17), ou encore, « pour qu’il puisse trouver davantage d’aide et de profit », on pourra lui donner « quelques-uns de ces exercices légers » (18). La proposition dont parle ici notre présupposé n’est autre que celle même des Exercices, de « tous les exercices spirituels dans l’ordre même où ils se présentent » (20), ou le fait de les proposer à quelqu’un, ou de se proposer de les vivre avec quelqu’un, et finalement ce que les Exercices nous proposent de vivre. Cette proposition-là, il faut du temps pour s’y accorder de part et d’autre. Il s’agit, si les conditions le permettent, d’être au clair sur la démarche, ses perspectives et ses exigences, ainsi que sur le désir de la vivre.

vérité et clarté Pendant ce temps, « qu’on le corrige avec amour » (21) ! Amour plein de douceur et de bienveillance sans doute, mais aussi exigence de vérité et de clarté sans se payer de mots : « Amour et vérité se rencontrent » (Ps 84). Pourquoi ne pas penser ici aux longs entretiens d’Ignace avec François Xavier, ou avec Pierre Favre, qui durèrent plusieurs années, avant que l’un et l’autre ne fassent les Exercices.

" La bienveillance en acte " à lire aussi sur le site editionsviechretienne. com l’analyse par Jean‑Luc Fabre s.j. assistant national de la CVX, pour aider à en vivre au quotidien et voir l’attitude de cœur et le travail qu’elle demande.

Chacun voyant alors plus clairement où est l’enjeu pour lui, « il se sauve » comme le dit notre texte. Il peut trouver un chemin par où progresser réellement et vivre davantage dans la « liberté des enfants de Dieu » (Romains 8,21). « La vérité vous rendra libres » (Jean 8,32). Edouard O'Neill s.j.

© sjweb

sauver la proposition de l’autre

▲ Ignace écrivant les Exercices.

Novembre / Décembre 2014 17


Chercher et trouver Dieu

pour aller plus loin Des pistes pour un partage : • Je regarde le domaine de mes relations. Ai-je tendance à être « hérisson ou paillasson » ? À quels moments ? Quel peut être le point de vigilance pour moi ? Après avoir lu le dossier, ai-je la conviction que la bienveillance est une attitude juste pour l’autre comme pour moi ? Pourquoi et à quelles conditions ? Sur quoi repose cette conviction : mon expérience, mon désir de suivre le Christ… ? • J e regarde mon expérience de compagnonnage en communauté locale. Y a-t-il un climat de bienveillance entre nous ? Que permet-il ? Comment vivons-nous le temps de l’échange ? Qu’est-ce qui m’aide pour tenir cette bienveillance et le parler vrai ? • Je regarde le monde où se mêlent ivraie et bon grain. Ce monde est-il aimable à mes yeux ou ai-je envie de le fuir ? Comment est-ce que je vis la tension d’un regard bienveillant et la nécessité de dénoncer et résister à ce qui est « mondain » selon l’Evangile ?

À lire : • Oser la bienveillance – Lytta Basset, éd. Albin Michel, fév 2014 – Les gestes et paroles

de Jésus nous appellent à développer un regard sur l’être humain fondé sur la certitude que nous sommes bénis dès le départ, et le resterons toujours. Appuyé sur le socle de cette Bienveillance originelle, chacun peut oser la bienveillance envers lui-même et envers autrui, et passer ainsi de la culpabilité à la responsabilité. -voir aussi son entretien video sur le site editionsviechrétienne.com

• Élever nos enfants avec bienveillance – Marshall B. Rosenberg, éd. Jouvence,

2007 – 4,90 e – Le créateur de la Communication Non Violente (CNV) invite à prévenir et gérer les conflits entre parents et enfants par la bienveillance.

• Résister et oser l’espérance – Michel Rondet avec Yves de Gentil-Baichis, éd. Vie

chrétienne, mars 2014 – 10 e. Retrouver sur le site editionsviechrétienne. com , le chapitre plus spécialement consacré à la bienveillance.

• Plaidoyer pour l’altruisme ; la force de la bienveillance – Matthieu

Ricard – éd. Nil, sept 2013 – 23 e

À visionner : • Entretien de frère Roger de la communauté de Taizé sur la bienveillance : vimeo.com/channels/taizecommunaute/page:2 • Le promeneur d’oiseau – film réalisé par Philippe Muyl, mai 2014

Voir sur www.editionsviechretienne.fr d’autres propositions 18 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 32


Babillard © B. Strobel

Réenchanter la solidarité

Le pacte social s’était construit sur le fondement de la solidarité. Il se délite. Dans l’Église, « Diaconia 201 3 » a permis aux personnes fragilisées de faire ente ndre leur parole. Qu’en est-il un an après ? Cet évén ement a-t-il entraîné des changements dans les communautés chrétiennes ?

Aide aux migrants

© Wildpixel / iStock

La session 2 015 du Ceras explorera du 26 au 29 janvier 2015 de nouvelles pistes autour de la solidarité dans notre société.

L’atelier « Etranger » de la CVX organise le samedi 29 novembre 2014 à la paroisse Ste Hélène, à Paris une rencontre autour du thème : « Concernés par l’aide aux migrants, nous le sommes ! ». Relecture de ses motivations et éclairage sur les deux nouvelles lois en préparation sur les étrangers.

Info : Maguy Pellerin : 06 82 36 21 98

Tél. : 01 48 22 40 18 - session@cera

s-projet.com

regard sur mon service en Église « Soyez entre vous plein de générosité et de tendresse… » (Éphésiens 4, 32). Dans mon engagement en Eglise, cette invitation de Paul, est-ce : une utopie ? un combat ? un défi ? une réalité ? une grâce ? L’atelier CVX « servir en Eglise » propose son week-end national du 29 au 30 novembre 2014 au centre du Hautmont. Claude Flipo s.j. apportera un éclairage du « sentir avec l’Église » d’Ignace. Comment vivre et travailler ensemble au sein des diocèses, éclairés par la spiritualité ignatienne ?

Info : Marie‑Christine Sarazin : 06 60 88 26 58 mcsarazin@gmail.com

Congrès CVX France ntoise Du 31 juillet au 2 août 2015 à Cergy-Po le congrès pour Réservez vos dates au coeur de l’été, . urant l’ento ons et les retraites et sessi

En avent cracotte un Retrouvez Cracotte en solo pour ir part à ille fam en e vivr à e tacl spec » er… sem de 5 ans, intitulé « Allez s, ir de 15 h 30, à l’espace Bernano part à ent l’Av edis de

Trois sam 4 rue du Havre à Paris.

4, agnes.cracotte@free.fr

21 novembre, 6 et 12 décembre 201

Langage de la Sagess e

Lors de l’Assemblée mo ndiale du Liban en 20 13, le père Adolfo Nicolás s.j. a invité la CVX à redécouvrir le langag e de la Sagesse. L’équi pe service mondiale (ExCo ) présente l’avancée de ses réflexions sur ce thème dans la revue Projets accessible sur le site cvx-clc.net. Elle invite ses membres à consacrer une rencon tre au langage de la Sage sse et propose même un canevas à adapter pou r une rencontre locale .

Si vous avez des idées, des suggestions ou de s questions, n’hésitez pas à contacter l’équipe à : wisdomlan

guage@cvx-clc.net

Novembre / Décembre 2014 19


Se former

école de prière

Méditer le Principe et Fondement De façon habituelle, ce sont les textes bibliques qui servent de support à l’oraison ; mais nous pouvons aussi prier avec des écrits spirituels appartenant à la Tradition. C’est ici une méditation du " Principe et Fondement " des Exercices de saint Ignace qui est proposée. Chacune des phrases de ce texte peut faire l’objet d’un temps de prière, où mémoire, intelligence et volonté sont mobilisées, pour rencontrer le Seigneur.

L'

« L’homme est créé pour louer, respecter et servir Dieu notre Seigneur et par là sauver son âme. » - Me mettre en mémoire que je ne me donne pas la vie. Je la reçois de Dieu par amour. Il me remet à moi-même, libre d’exister, à son image, en relation avec Lui et tout le créé. (Genèse 1)

- Réfléchir à cette marque indélébile de créature de Dieu et ses conséquences. Comme le poisson est fait pour vivre dans l’eau, je ne trouve mon plein épanouissement d’homme, et la pleine santé de mon âme, qu’en vivant ordonné à Dieu. Au plus profond (même inconscient), mon désir est désir de Dieu… Peser combien ma vie vient de Dieu, est réponse à son amour premier. C’est d’abord Lui qui, en le créant, loue, respecte, sert l’homme (voir Jésus dans les évangiles). Penser à la phrase d’Irénée : « la gloire de Dieu, c’est l’homme vivant ». Dieu prend plaisir à mon bonheur. Être vraiment moimême : voilà qui est louange, respect et service de Dieu… 20 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 32

L’homme est créé pour louer, respecter et servir Dieu notre Seigneur et par là sauver son âme, et les autres choses sur la face de la terre sont créées pour l’homme, et pour l’aider dans la poursuite de la fin pour laquelle il est créé. D’où il suit que l’homme doit user de ces choses dans la mesure où elles l’aident pour sa fin et qu’il doit s’en dégager dans la mesure où elles sont, pour lui, un obstacle à cette fin. Pour cela il est nécessaire de nous rendre indifférents à toutes les choses créées, en tout ce qui est laissé à la liberté de notre libre arbitre et ne lui est pas défendu ; de telle manière que nous ne voulions pas, pour notre part, davantage la santé que la maladie, la richesse que la pauvreté, l’honneur que le déshonneur, une vie longue qu’une vie courte, et de même pour tout le reste, mais que nous désirions et choisissions uniquement ce qui nous conduit davantage à la fin pour laquelle nous sommes créés. E. S. 23


- Tourner mon cœur vers ce Créateur, et lui exprimer ce qui bouge en moi à l’issue de cette méditation : réticences, désir de répondre à ma vocation d’homme, ce que je comprends mieux ou mal de cette réalité de foi. Me tourner vers Dieu plus pour ce qu’Il est que pour ce qu’Il me donne. Désirer Le servir en fils, en ami, en compagnon, par amour. « Les autres choses sur la face de la terre sont créées pour l’homme, et pour l’aider dans la poursuite de la fin pour laquelle il est créé. » - Me remettre en mémoire tout ce qui est ‘donné’au service de l’homme, et plus particulièrement ce qui m’est donné : aussi bien les dimensions humaines, affectives, que les choses matérielles « Et Dieu vit que cela était bon » (Genèse 1,8) - Réfléchir à ceci : ces choses ne sont ni bonnes, ni mauvaises en soi ; c’est la manière dont je m’y rapporte qui fait vivre ou freine ma vocation d’homme. « Tout est à vous, mais vous êtes au Christ et le Christ est à Dieu » (1 Colossiens 3,23). Je ne puis aller à Dieu que par le créé. Ma relation à Dieu ne se joue pas dans ma tête ou dans la seule prière, mais dans ma relation au monde créé.

- Pour une compréhension du cœur. Regarder ce Seigneur qui me donne tout et veut se donner Lui-même. Puis regarder comment je me réfère aux choses qu’Il me confie : comme si elles n’avaient rien à voir avec Dieu, ou comme reçues ? Dans mon histoire et mon quotidien, voir ce qui est porteur de vie, de louange et service de Dieu, ou mortifère, emprisonnant ? Rendre grâce ou confier à Dieu.

décider pour cela d’abord, puis d’en prendre les moyens : oui à ce qui m’y conduit davantage, non à ce qui m’en détourne. Repérer comment je vis telle relation affective ou professionnelle, tel bien matériel, tel engagement. Y a-t-il des choses dont je ferai une fin en soi ? Pour ce que je ne peux choisir, comment je choisis de le vivre ?

- Me rappeler que Dieu m’a créé libre, c’est-à-dire capable de Le choisir, de dire oui à la vie. Me rappeler telle expérience où ma liberté a été mise à contribution, où choisir le Bien m’a rendu libre.

Pour mouvoir mon cœur et mon désir de choisir. Reconnaître devant le Seigneur combien cette liberté est quelque chose de son image. Lui exprimer ce qui monte au cœur. Lui demander de me révéler les lieux de mes attachements désordonnés et la grâce de m’en libérer. Décider d’engager davantage toutes les composantes de ma vie en référence à Lui. Peut-être prendre telle disposition pour mieux ordonner mes choix en fonction de Lui.

- Réfléchir. Regarder à nouveau la fin pour laquelle je suis créé, Dieu, et ses fruits de salut. Considérer combien il me revient de me

Extrait de « Jalons pour prier à l’école d’Ignace » de Betty Oudot des éditions Vie Chrétienne.

« D’où il suit que l’homme doit user de ces choses dans la mesure où elles l’aident pour sa fin et qu’il doit s’en dégager dans la mesure où elles sont, pour lui, un obstacle. »

À commander sur le site viechretienne. fr ou dans toute librairie.

© Frederic Prochasson / iStock

Ces trois attitudes n’en font qu’une pour dire la relation juste d’une créature à son créateur, relation où chacun est pleinement lui-même et à sa place. Que m’évoque chacun de ces trois verbes ?

▲ Être vraiment moi-même : voilà qui est louange, respect et service de Dieu.

Novembre / Décembre 2014 21


Se former

Expérience de Dieu…

en ouvrant une librairie religieuse Cinq ans depuis l’ouverture des portes de la Librairie Agapè ! Si le chemin est passionnant, il y a encore et toujours beaucoup d’incertitude et d’inconnu, admet Geneviève qui reconnait la présence du Christ dans les lecteurs, les livres et en elle.

A

Au moment de la création de la librairie, le chemin se découvrait pas à pas, de la formation au métier de libraire à l’inauguration, en passant par le choix du nom de l’enseigne, le financement, le local et son aménagement… Pour franchir ces étapes, je n’étais pas seule. Mari, enfants, parents et amis proches étaient présents, chacun avec son talent particulier et approprié au moment où il intervenait. « Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal, ton bâton me guide et me rassure. » Pas de peur, mais le sentiment d'une « force qui va » mêlée à l'étonnement que "ça " passe ! Cette force m'était donnée ainsi que la paix et la confiance. Oui, j'étais bien à ma place dans l'aventure de la création d'une petite librairie religieuse indépendante à Nevers. Cette création, c'était mon idée. Mes proches me soutenaient, mais la mise en œuvre, la réalisation, les rencontres avec les institutions m'incombaient. Pourtant, je sais bien, et mes tout proches le savent aussi, que je n'ai pas vraiment le sens de l'organisation, je n'aime pas les chiffres, j'ai du

22 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 32

mal à m'imposer… Mais cette mystérieuse force-d'avancerquand-même me tenait debout, pas à pas… « Tous mes chemins te sont familiers ». Depuis l'ouverture de la Librairie Agapè, la force a laissé la place à la confiance et à l'abandon, davantage. Mais, il y a des temps difficiles où la gestion doit être plus rigoureuse, où il s'avère nécessaire de s'ancrer dans le réel de l'économie, c'est à dire concrètement de gérer le stock, commandes et retours, d'affronter les comptables pour obtenir de l'aide et les fournisseurs pour réclamer des remises et des échéances. Me sont alors renvoyées de plein fouet mes faiblesses et ma vulnérabilité dans ces domaines, jusqu'au découragement. « C’est dans ta faiblesse que je serai puissant… » Là encore, je traverse ces difficultés, mais pas toute seule, avec toujours le soutien de mes proches et amis, leur confiance renouvelée, avec aussi les lecteurs présents qui poussent la porte de la librairie. « Si ça tient, si ça passe, c'est bien qu'y a "quequ'chose" ! » disait le père Buisson à Biviers.

Il parlait de l'Eglise qui a plus de 2000 ans et pas seulement 5 ! Cependant, ce quelque chose, en relisant cette aventure qui continue, c'est la présence bienveillante du Seigneur, son regard tendre et attentionné, comme pour Elie découragé, qui trouve du pain pour la route, reçoit la manifestation de Dieu dans « le bruit d’un léger souffle » et dans le soutien des sept mille restés fidèles (1 Rois 19, 1-18). Ou pour le traduire autrement « Confie-toi à Dieu comme si tout dépendait de toi et rien de Dieu ; donne-toi cependant pleinement à l’œuvre comme si tu ne devais rien faire et Dieu seul, toutes choses ». C'est un appel à une relation d'abandon, chaque jour, dans son amour infini et miséricordieux (c'est le sens du mot agapè), sans maîtrise de l’avenir, dans l’espérance. Une manière de mettre en pratique « chercher et trouver Dieu en toutes choses » m'est donnée. Dans un commerce -une librairie c'est un commerce- c'est une grâce ! Je reconnais sa présence, au plus profond de moi. Par exemple, dans le courage de tenir les cartons et… les comptes ou dans


© 06photo / iStock

l'élan pour sortir de la librairie, proposer des tables pour des événements différents, religieux ou non, écrire mes coups de cœur pour des livres qui ouvrent au monde, aux autres. Jésus est présent dans l'amour des livres, qui provoquent rires et larmes, disent l'indicible, le beau et le mal, la vie et la mort, révèlent l'invisible, ces livres écrits par ces écrivains, ces auteurs, ces poètes que j'ai la chance de rencontrer, parfois jusque dans la librairie. Il est présent dans les lecteurs qui cherchent un livre précis ou un conseil : un cadeau " pas

trop religieux " pour des parents qui font baptiser leur enfant, un livre qui parle de la foi, " mais pas trop ! Ou pas directement ! "… une Bible ou "autre chose" pour que des grandsparents puissent éveiller leurs petits-enfants à la découverte de Jésus " parce que c'est les parents qui le demandent "… Il est présent au milieu de ceux pour qui le livre est le prétexte pour se confier, oser une parole, être écoutés, dans la traversée d'un deuil, de la maladie, l'exclusion… ou dans la découverte de la foi, la recherche d'autre chose de plus profond, du grand

amour, celui de Dieu ?.. À travers l’échange marchand il y a bien une relation qui se noue. Dans ce travail, Dieu se rend présent ! Tellement de gens différents rencontrés autour des tables et des rayonnages de la librairie ! Autant de visages de Jésus ! « S’émerveiller, recevoir, dire merci : ce serait peut-être là le secret de la vie » partage Francis Deniau, ancien évêque de Nevers, dans son dernier livre « Chemins de vie, chemins de Dieu ». C’est cela que je reçois à Nevers, à cause de la librairie Agapè. C’est une grâce ! Geneviève Joanne Novembre / Décembre 2014 23


Se former

Lire la Bible

Judith, une femme confiante qui… Bien souvent, nous ne connaissons d’elle que ce que nous en livrent des représentations picturales : Judith coupant la tête d’Holopherne. Mais quel est le message de ce livre ? Dieu veut-il ce meurtre ?

C

par le monde païen. Ce récit est écrit par et pour des personnes de cette époque pour qui la réalité historique avait peu d’importance : la persécution qu’ils vivaient les renvoyait à celle de Nabuchodonosor, destructeur du premier Temple : un adversaire de Dieu qui méritait une mort infamante manifestant un châtiment qui semblait juste aux yeux des hommes.

© Judith I, Gustav Klimt, Austrian Gallery Belvedere

Ce livre est un « roman » écrit au IIème siècle avant Jésus-Christ pour encourager les juifs dans une période où ils sont en danger : le culte de Dieu est menacé

24 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 32

Ce livre fait partie de la Bible grecque, (de Septante) parce que sa lecture peut faire grandir notre foi ; en effet, il y est question de salut : Judith avait une foi si forte qu’elle a osé affronter un adversaire redoutable, ainsi elle a sauvé le peuple juif. Judith, en hébreu, veut tout simplement dire « la juive » ; le récit exprime comment un juif doit vivre. C’est une pieuse veuve vivant dans une petite ville de Palestine. Confrontée à la survie de son peuple, elle ose ris-

quer sa propre vie pour le sauver. Lorsqu’elle triomphe, elle mène son peuple vers Jérusalem : elle ne s’attribue pas cette gloire, mais elle rend gloire à Dieu, c’est-à-dire qu’elle s’efface pour le reconnaître comme celui qui a protégé son peuple : elle l’invite à chanter la louange de Dieu.

… met toute sa foi en Dieu Les chapitres I à VII montrent que le peuple d’Israël est menacé dans son existence. Nabuchodonosor, furieux que tous les peuples de la terre d’Occident ne se soient pas soumis à lui charge son général en chef, Holopherne, de le venger. Les villes sont dévastées et les sanctuaires détruits. Le peuple d’Israël, sur l’ordre du grand prêtre Ozias se prépare matériellement, mais aussi dans le jeûne et la prière, à arrêter cette armée invincible (ch 4) : « Et le Seigneur entendit leur voix, il regarda leur détresse. » (4, 13). Commence alors le siège de la ville : les Assyriens bloquent les sources ; le peuple, crie son désespoir à Ozias qui leur demande d’attendre cinq jours ; « la ville était plongée


© Marco Palmezzano / Museum of Art and History of Geneva

dans une profonde humiliation » (7, 32) ; Ozias pervertit la foi en assignant à Dieu ce délai de cinq jours. C’est là que Judith entre en scène (ch 8) : au fur et à mesure des chapitres, elle est décrite comme une femme pleine de qualités et sans reproche : veuve et apparemment sans enfant, elle vit dans le jeûne et la prière ; de plus elle est très belle, très désirable, très riche, très intelligente, maîtresse de ses affaires, influente, désintéressée, habile, sage, chaste… Elle convoque Ozias et lui explique sa faute : il a tenté Dieu (8, 11) : l’homme demande à Dieu, mais ne lui impose pas sa réponse, sinon, il se met à la place de Dieu ; par contre, l’homme peut mettre toute son espérance en Dieu parce qu’il a foi en sa miséricorde (8, 20). Pour Judith, la finalité d’Israël, c’est la gloire de Dieu : elle appelle Ozias et les israélites à rendre grâce à Dieu d’être éprouvés comme leurs pères (8, 25-26). Elle perçoit le mal subi non comme un châtiment mais comme une épreuve à traverser avec le Seigneur.

Sait-elle ce qu’elle va faire ? Comment le pourrait-elle, puisqu’elle n’a pas encore rencontré l’Adversaire ? Mais elle sait que Dieu lui a beaucoup donné et qu’elle doit mettre ses dons au service de Dieu.

… sait que le succès des actions dépend tout entier d’elle Judith prie et va agir, car elle sait que Dieu n’a que nos mains pour agir. C’est ce qui lui permet d’affirmer : « Avant la date où vous avez dit que vous livreriez la ville à nos ennemis, le Seigneur visitera Israël par ma main » (8, 33). Le mot « visiter » est un mot important dans le langage biblique : il est attribué à Dieu qui vient intervenir pour son peuple. Grâce à une vie de prière et d’austérité qui lui assure le secours de Dieu, Judith est prête à faire face à une situation dangereuse ; elle va s’approcher du mal pour l’éteindre : seule la vie peut vaincre la mort. Judith se tourne vers Dieu et Lui dit son désir : « À ta nation entière, à toutes les tribus, donne de

reconnaître et de comprendre que tu es, toi, le Dieu de toute puissance et force : en dehors de toi, il n’en est pas d’autre pour couvrir de son bouclier la race d’Israël » (9, 14). Elle Lui dit le danger que court son peuple devant une armée si puissante et Le supplie de lui donner la force nécessaire (9, 9). Les Assyriens en voulaient au peuple juif et à son Dieu, car ils voulaient que tout le monde rende un culte à Nabuchodonosor ; pour Judith, les ennemis de son peuple sont les ennemis de Dieu : elle veut que son peuple soit libéré ; devant sa faiblesse, elle en appelle au Dieu qui a libéré son peuple de la servitude : « tu es le Dieu des humbles, secours des opprimés, protecteur des faibles, refuge des délaissés, sauveur des désespérés. » (9, 11) Judith va prendre l’initiative et devenir un modèle de foi, un « témoin ». Elle prend les choses en main pour sauver son peuple. Arrivée chez les Assyriens (ch 10), elle est si belle qu’elle est tout de suite conduite à Holopherne ; dès qu’il la voit, elle se prosterne devant lui comme devant un dieu (10, 23) ;

,

Novembre / Décembre 2014 25


Se former

,

Lire la Bible il l’invite à la confiance et lui assure qu’elle vivra (11, 1-3). Holopherne se laisse séduire par sa beauté et par ses paroles. Imagine-t-elle ce qu’elle va faire ? Comment le pourrait-elle, puisque l’Adversaire est malin et peut changer d’attitude à tout moment ? Mais elle sait que Dieu est sa force.

… met tout son labeur, consciente que Dieu va tout faire

Quel triomphe ! Avoir ainsi vaincu l’Adversaire le plus redoutable de la terre, pouvoir revenir et dire à son peuple qu’il n’y a plus de menace, qu’il peut continuer à rendre un culte à son Dieu. Ce peuple va pouvoir rendre gloire ! Mais à qui ?

© Traphisme Bigot, Judith cutting off the head of Holofermes / Walters Art Museum, Baltimore

Durant trois jours, elle prie et jeûne (12, 7-8) ; quand arrive le quatrième jour, alors qu’elle est invitée à la table d’Holopherne, elle répond : « Qui suis-je, moi, pour contredire mon seigneur ? Tout ce qui plaît à ses yeux, je me hâterai de le faire et ce sera pour moi un motif d’allégresse jusqu’au jour de ma mort. » (12, 14). Mais la question est de savoir de quel « seigneur » il s’agit pour elle. Holo-

pherne s’était « noyé dans le vin » (13, 3) ; homme tout puissant, il est comme mort. Judith, qui a gardé ses esprits, se retrouve près du lit d’Holopherne endormi ; reprenant les mots utilisés par Ozias lors de son départ, elle prie : « Seigneur, Dieu de toute puissance, en cette heure, tourne ton regard vers les œuvres de mes mains, pour l'exaltation de Jérusalem. Car maintenant c'est le moment de ressaisir ton héritage et de réaliser mon projet pour écraser les ennemis qui se sont dressés contre nous. » (13, 4-5). Au moment de couper la tête d’Holopherne, elle prie encore : elle demande à Dieu la force des humbles, celle de tous les hommes dont le sang crie justice. C’est alors qu’elle lui coupe la tête.

26 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 32

… rend à Dieu la gloire qui lui revient Revenue dans la ville assiégée avec la tête d’Holopherne comme preuve, Judith invite le peuple : « Louez Dieu, louez-le, louez Dieu car il n'a pas écarté sa miséricorde de la maison d'Israël mais cette nuit, par ma main, il a écrasé nos ennemis. » (13, 14). Judith est bénie par tout le peuple, le grand prêtre et les anciens : « Tu es la gloire de Jérusalem, tu es l'orgueil d'Israël, tu es la fierté de notre race. » (15, 9). Les Assyriens s’enfuient quand ils découvrent le corps d’Holopherne : « Les esclaves se sont révoltés ! À elle seule, une femme de chez les Hébreux a couvert de honte la maison du roi Nabuchodonosor. Voilà Holopherne à terre ! Sa tête a disparu ! » (14, 18) Les israélites remirent les biens d’Holopherne à Judith et celle-ci s’empressa de partir en procession au temple de Jérusalem en chantant la gloire de Dieu : ce cantique est un hymne d’action de grâce (16, 1-7) qui raconte les hauts faits de Dieu, Lui qui a donné la victoire à son peuple, un peuple dont la seule force est son Dieu ; avec cette force, il a pu vaincre une armée invincible par les hommes. Judith ne préfigure-t-elle pas Celui qui a vaincu l’Adversaire, en donnant sa vie pour que tous soient sauvés ? Marie-Agnès Bourdeau CVX


Spiritualité ignatienne

Vivre une réunion comme une contemplation En CVX, la manière de vivre les réunions de communauté locale (CL) se revendique de la spiritualité ignatienne, très ancrée dans les Exercices Spirituels. Et si cela avait à voir avec un exercice de contemplation ? En prendre conscience peut permettre de mieux vivre ces rencontres, donner des pistes pour d'autres groupes, et même pour les relations au quotidien.

D

Dans la première modalité de la définition, Ignace met en avant le fait d’« examiner sa conscience », puis suit une liste plus classique de termes : « méditation, contemplation, prière », s’ouvrant sur d’« autres opérations spirituelles ». Cette définition large et dynamique permet d’assurer que la réunion de communauté locale dans son formalisme est bien un exercice spirituel dans la lignée des autres. Il peut, nous semblet-il, être rapproché de la forme d’un exercice de contemplation.

© Digital Vision / Photodisc

Dans la première annotation des Exercices Spirituels, l’exercice spirituel reçoit de la part d’Ignace deux définitions, l’une concernant l’exercice spirituel en lui-même, l’autre situe le rôle dynamique de transformation de la personne à laquelle l’exercice avec d’autres exercices spirituels contribue pour une prise de liberté véritable du retraitant.

,

▲ Chacun s’exprime en profondeur, se donnant à contempler dans son histoire vraie.

Novembre / Décembre 2014 27


Se former

,

Spiritualité ignatienne Relation entre un exercice de contemplation et une réunion de communauté locale. Étapes de la contemplation selon la première contemplation de la deuxième semaine des Exercices

Canevas habituel d’une réunion de communauté locale telle que pratiquée en France

Préparation personnelle de la prière

Préparation personnelle de la réunion

Prière préparatoire

Temps de prière

Se remémorer l’histoire

Tour des nouvelles des uns et des autres

Composition de lieu

Tour des nouvelles des uns et des autres

Demande de grâce

Rappel de la visée de la réunion

Contemplation : voir, entendre, regarder les personnes

Premier tour chacun s’exprime en profondeur, se donne à contempler dans son histoire vraie

Réfléchir en soi-même pour tirer profit

Chacun prend des notes en écoutant son compagnon

Colloque « comme un ami à son ami » ou « un serviteur à son maître ».

Deuxième tour, chacun s’exprime en son nom propre selon ce qu’il ressent, s’adresse à l’autre…

Récitation vocale du Notre Père, fin de l’exercice

Mot de l’accompagnateur qui donne une certaine intelligence de ce qui a été donné durant la réunion

Relecture personnelle

Evaluation personnelle et à chaud de chacun des membres

Rencontre de l’accompagnateur

Rencontre du responsable et de l’accompagnateur avec évaluation et perspective

L’accompagnateur propose un nouvel exercice

Préparation de la prochaine rencontre entre le responsable et la personne en charge

En parcourant ce tableau, nous repérons bien la même dynamique des deux exercices avec une phase de mise en œuvre de nos capacités pour préparer, se disposer, pour, ensuite, se laisser affecter par la parole de Dieu ou celles de ses frères, puis reprendre la parole, en retour, dans le colloque ou le deuxième tour.

L’intervention de l’accompagnateur dans la réunion de communauté locale joue le rôle de fin de l’exercice de contemplation. La réunion peut ensuite être relue à chaud dans le temps de l’évaluation, ce que fait le retraitant en quittant le lieu de sa prière. Les diverses rencontres accompagnateur-responsable-membre en vue

28 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 32

de la préparation de la prochaine réunion se retrouvent dans la rencontre avec l’accompagnateur de la retraite. Des attitudes transposables de la Contemplation vers la manière d’être en réunion. Les recommandations faites par saint Ignace pour aider le retrai-


La prière au début d’une rencontre de communauté locale est de l’ordre de la prière préparatoire où l’on se dispose à l’action de l’Esprit dans tout ce qui va suivre. Cette prière n’a donc pas à être longue, elle est acte de foi, remise de la communauté locale à l’œuvre de l’Esprit pour la suite de la réunion qui est de plein droit un exercice spirituel. La recommandation faite à l’accompagnateur de parler de manière concise pour « Raconter l’histoire vraie », ce qui donne au retraitant de trouver par lui-même, d’entrer plus avant en communication avec son Seigneur, trouve son pendant dans la recommandation à ne pas raconter sa vie mais à parler à partir de ce qui m’a affecté. Cela entraine une parole concise, ne cherchant pas à trop raconter mais à cerner les points importants. De la même manière, la recommandation faite par Ignace au retraitant lorsqu’il s’adresse à Dieu ou à ses saints « de notre part une plus grande révérence » se retrouve dans l’attitude respectueuse et bienveillante envers ses compagnons de communauté locale, ces personnes qui me donnent à contempler leur vie pour que j’y reconnaisse la présence agissante de Dieu. Bien d’autres indications données par Ignace peuvent éclairer

© Kjekol / iStock

tant peuvent être transposées afin que chacun des membres puisse mieux prendre en compte la dynamique commune de la rencontre. Le but étant de permettre à l’Esprit de mieux se manifester dans les échanges.

▲ La prière n’a pas à être longue, elle est remise de la CL à l’Esprit pour la suite de la rencontre.

nos pratiques de membres de la Communauté locale ainsi que les pratiques de l’accompagnateur. En guise de conclusion, d’autres perspectives demeurent cachées dans le texte des Exercices Spirituels… Il est bon de considérer aussi comment les modalités de la contemplation évoluent fortement lorsqu’on passe de la deuxième semaine aux semaines suivantes. N’est-ce pas là, une invitation à aussi savoir faire varier les modalités des réunions de communauté locale pour se disposer à mieux trouver ce que nous cherchons ? Laisser mon compagnon s’exprimer plus profondément, donner à sa parole de pouvoir m’affecter davantage… pour grandir dans une familiarité toujours plus profonde avec notre Créateur et Seigneur. L’enjeu n’étant pas tant de faire varier la manière qui demeure mais la matière et la forme que cela induit. Une pratique intensive de

la démarche du DESE 1 demande un profond réaménagement de la réunion de communauté locale mais la visée essentielle demeure. « D’autres opérations spirituelles ». Alors, encore plus largement, ce qui est vrai pour une rencontre de communauté locale n’est-il pas aussi vrai pour toute activité ? Le quotidien deviendra plus humain dans la mesure où je m’y disposerai en me rassemblant, en me remémorant les éléments de la situation, en formulant mon intention et en me laissant affecter par ce qui advient, pour ensuite laisser venir à la parole ce qui m’arrive. Ce mouvement se conclut par la récapitulation de ce qui s’est passé, dans la perspective d’une poursuite… à la recherche d’une gloire [manifestation] toujours plus grande de Dieu.

1. DESE: discerner, envoyer, soutenir, évaluer.

Jean-Luc Fabre Assistant national de la CVX France Novembre / Décembre 2014 29


Se former

Question de communauté locale

Pourquoi prendre du temps pour les élections ? Voici revenu le temps des renouvellements d’équipe service dans la Communauté. Je sais bien que c’est important, mais le temps que nous y consacrons me pèse : il y a tant d’autres sujets importants, ne pourrions nous pas aller plus vite ?

F

« Faire plus vite » ? Plus la tentation est grande, plus elle signale un enjeu de taille ! Voyons voir. Une Communauté peut-elle exister sans serviteurs ? Bien sûr que non ! Alors ? Pourrai-je laisser la décision du service à d’autres ? D’abord, lesquels ? Et puis, si je suis de cette communauté, je suis concerné.

1. Voir le chemin de la CVX

Bon, pas question de se défausser… oui mais… la petite voix critique se remet en route : « pour quoi prendre tout ce temps » ? Ce n’est pas parce que nous aurons pris le temps d’écouter et de discerner que nous ne serons plus dans le monde. Au contraire, cela risque de nous y renvoyer par d’autres chemins. Aïe ! C’est peut-être ça le point sensible : accepter le risque de l’inconnu ! Courage, avançons ! Prendre du temps pour écouter la Communauté au-delà de ma communauté locale, considérer ce qu’elle est aujourd’hui, son contexte, écouter ses réflexions, les appels qu’elle reçoit, ses besoins… Je ne suis pas là en consommateur, je lui dois bien ça. Du temps pour écouter le Seigneur : nous sachant aimés et servis en tous lieux de nos vies, nous cherchons à vivre (personnellement et communautai-

30 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 32

rement) selon le projet de Dieu pour le monde, « Que ta volonté soit faite ». Nous désirons passer d’une vie généreuse où nous restons maîtres de nos décisions à une vie spirituelle où nous recevons notre vie de Dieu1. Comment recevoir quelque chose quand on a les mains encombrées ? Comment entendre quelqu’un quand notre esprit est pré-occupé ? Il en faut du temps pour disposer mon cœur à t’écouter Seigneur. Du temps pour contempler mes compagnons, ceux avec qui j’ai pu partager en profondeur dans ma communauté locale, mais aussi dans les rencontres régionales, dans les week-ends de formation, les sessions d’été, les services partagés… Il en faut du temps pour un regard renouvelé1. Ceux qui répondront à l’appel du service auront une tâche délicate, qui mobilise en profondeur. Ils auront besoin de sentir mon soutien. Et le premier soutien, c’est se sentir appelé personnellement, par l’ensemble de la Communauté après mûr discernement, et non à la cantonade ou négligemment. Résister à la tentation du « faire vite », c’est à contre-courant des tendances du monde, c’est refuser d’être consommateur, accueillir ce

qui fait sens, être libre, non dépendant des images que je me fabrique sur moi, sur les autres, sur Dieu. Bon, j’ai compris : il ne faut pas prendre cette étape communautaire à la légère. Oui, mais puisqu’il s’agit « d’élection », ne pourrait-on pas nous proposer une liste de candidats ? Le mot que nous employons pour ce temps de discernement communautaire est souvent mal compris. Il ne s’agit pas de campagne électorale, mais de deux temps d’élection au sens ignatien du terme. D’une part l’appel que décidons ensemble pour certains membres est pour la Communauté le fruit d’un accueil intérieur de ce qui lui semble le meilleur pour poursuivre le chemin pour lequel elle a été créée. D’autre part la réponse à cet appel, pour les personnes concernées, sera aussi le fruit d’une élection, en distinguant en eux le meilleur champ d’investissement dans leur vie pour cette même fin : louer, respecter et servir Dieu. L’enjeu est important, n’est-ce pas ? Alors, entrons ensemble dans une attitude d’écoute. Nadine Croizier


Š Buliga / iStock


Ensemble faire Communauté

En France

Tirer profit Le chemin de la CVX s’enrichit avec les apports de l’enracinement et le renforcement de l’engagement. De nombreux outils et étapes seront à la disposition des personnes et des CL, afin de tirer profit pour davantage suivre le Christ. Marie-Catherine Guyot, de l’équipe coordination des pôles « Enracinement », note pour nous les découvertes et nouveautés.

Marie-Catherine Guyot : le chemin se trouve approfondi par ce qui est mis en place avec l’enracinement. Nous avons été émerveillés de voir qu’autant de richesses déjà présentes dans le chemin se laissent maintenant mieux percevoir grâce aux étapes qu’introduit l’enracinement.

1. DESE : discerner envoyer, soutenir, évaluer 2. Principes généraux 1 : « Les Trois Personnes Divines, contemplant l’ensemble de l’humanité,… décident de se donner totalement… »

Retrouvez un schéma du chemin de la CVX depuis la période de découverte jusqu’à la vie de discernement apostolique sur : editionsviechretienne.com

Qu’avez-vous approfondi sur ce chemin ? M-C.G. : La parole ! Elle est fondamentale en CVX. Elle doit circuler pour donner plus de vie. Chacun le sait. Elle a été remise en valeur tout au long du parcours. D’abord à la fin de la période de découverte, aussi appelée jusquelà « accueil », où les personnes expriment leur désir de poursuivre leur découverte en entrant dans la période d’enracinement. À partir de là, la parole prend la forme d’entretiens personnels de croissance ou d’étape. Ils permettront de tisser ce qui se joue en communauté locale avec la croissance personnelle de chacun. Au fur et à mesure du chemin, les fruits cueillis permettront d’aller plus loin. Viendra le moment où une parole reconnaissant les dons de Dieu reçus en CVX pourra être

posée naturellement, ce sera l’engagement initial. Puis, après une période de discernement de la vocation, soutenue par la pratique plus systématique du DESE1, un échange de parole pour un engagement confirmé pourra être posé. En faisant partie de la coordination des cinq pôles enracinement, qu’avez-vous vu surgir ? M-C.G. : À l’écoute des différentes équipes, une ligne de force est ressortie. Trois verbes se répétaient : contempler, discerner, agir. Ils ne sont pas nouveaux, puisqu’ils viennent du PG12. Mais en choisissant de les proposer explicitement tout au long du chemin en CVX, nous avons vu combien ces trois verbes irriguent la CVX et qu’ils pouvaient donner de nouveaux fruits. Trois jours d’ouverture par an. Est-ce une nouvelle proposition ? M-C.G. : La vie de la CL n’est pas le tout de la vie en CVX, ce n’est pas nouveau. Afin que chacun puisse mieux s’en rendre compte, nous allons inviter chaque personne à vivre trois jours d’ouverture par an

32 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 32

© 578foot / iStock

Q

Que devient le chemin de la cvx avec l’enracinement ?

à partir de propositions qui nous sont familières. Cela pourra se faire en expérimentant une halte spirituelle (dimension disciple) ou en participant à une journée régionale (dimension compagnon) ou encore en rencontrant un atelier ou une des œuvres de la CVX (dimension serviteur). Ces trois dimensions tissées ensemble font grandir comme apôtre. Quelle place pour la communauté locale dans ces propositions ? M-C.G. : Si la CL s’approprie la pédagogie que nous proposons : la recherche des fruits présentés dans les neuf corbeilles, les chemins de progression… elle discernera elle-même le chemin qu’elle désire prendre et pourra le construire en s’inspirant des propositions. La CL deviendra acteur de sa propre croissance et recueillera les fruits en relisant.


Des outils de la CVX pour les familles Qu’est-ce que la CVX peut apporter à des familles ? Une dizaine de familles ont tenté l’expérience de cette première session « familles » qui s’est tenue du 17 au 22 août à Nevers. « Ecoute jusqu’au bout », alliance et DESE1 ont permis aux grands et petits de trouver de nouveaux chemins ensemble.

L

« Il y aura un avant et un après Nevers pour notre famille », lancent Isabelle et Gilles, qui ont pris date pour poursuivre l’expérience d’une réunion CVX en

1. DESE: discerner, envoyer, soutenir, évaluer.

© Droits réservés

Les outils que propose la CVX lors de ses rencontres régulières peuvent-ils être utilisés pour d’autres personnes ? Même loin de l’Eglise ? Même loin en âge ? C’est sur ce pari que ce sont lancés quatre animateurs pour proposer la première session « familles » de la CVX cet été. « Notre objectif était de permettre à chacune des familles d’utiliser la manière de vivre en CVX, en famille. La session était ouverte aux membres de CVX, aux conjoints non CVX, croyants ou non et à leurs enfants. Il nous a donc fallu adapter l’organisation des journées pour que chacun se sente accueilli. », expliquent Marie-Madeleine et Alain de Villers. La journée de base commençait par un temps de prière pour ceux qui le souhaitaient et se déroulait en une alternance de petits topos, de temps personnels, de temps en couple et de longs moments en famille. Le tout se terminait chaque jour par une soirée festive. Les chants mimés du MEJ ont permis de « mélanger les couleurs » de chacun.

famille chaque mois pour l’année qui s’ouvre. « Chacun, avec son âge, son vécu et son vocabulaire a goûté à la joie d’être écouté, respecté et a appris à se dire à partir de ses besoins ». Et « quel bonheur d’avoir retrouvé le sens du pardon ! », s’exclament-ils, rejoints en cela par Jérôme qui regarde comme un fruit inestimable le fait que ses enfants se soient mis spontanément en démarche de demande de pardon. N’étant pas membre de la CVX, il a également pris conscience des richesses que son épouse pouvait vivre en communauté locale et a constaté

combien les outils de la CVX pouvaient irriguer la vie de tous. Et les personnes en service lors de cette session d’été ? Bénédicte ne s’attendait pas à de telles rencontres : « J’ai rencontré des personnes vraiment différentes, nouvelles. Des personnes petites, toutes petites même : cinq bouts de choux de 0 à 3 ans. Dès le deuxième jour, j’ai su que c’était pour ces petits en tant que personnes que j’étais là, pas pour quelqu’un d’autre ! Notre relation a été profonde et vraie. De vrais moments d’amitié dans le Seigneur avec ces cinq petits parlant à peine ».

Retrouver l’ensemble des témoignages sur : editionsviechretienne.com

Novembre / Décembre 2014 33


Ensemble faire Communauté

En France

Quels appels pour la communauté ?

À l’Ascension 2014 a eu lieu la deuxième Assemblée de la Communauté. À partir de la réalité de notre Communauté, dans le monde et dans l’Eglise, cent vingt membres élus ont discerné communautairement1. « À quoi le Seigneur appelle notre Communauté aujourd’hui ? », le fruit de ce discernement constitue le texte des Orientations de 20142.

P

Pourquoi un nouveau texte alors que nous venons à peine de découvrir celui de 2012 ?

Allez voir sur le site2 ! Le texte est à la fois neuf et en prolongement de l’ancien. le Seigneur nous invite joyeusement à aller plus en profondeur… (en termes ignatiens nous parlons de « magis »)

1. Sur le discernement communautaire de cette assemblée, voir l’article de la revue N° 31 p 34 de juillet 2014

Quels sont les points forts ?

2. Les orientations 2012 et 2014 et la fiche pour se les approprier en CL sont sur le site cvxfrance.com

© Berna / Évangile-et-peinture.org

À chacun de se laisser toucher et de voir ce qui le rejoint le plus, mais je me permets de vous rendre attentifs à quelques points :

- Regardez sa structure en deux parties : le texte parle de notre identité de communauté et de nos missions communautaires. Nous sommes bien une communauté envoyée en mission parce que comme les disciples nous faisons l’expérience de la passion et de la résurrection : pécheurs pardonnés, nous devenons ensemble apôtres envoyés par le Christ - Les Exercices comme « source et fondement » mais aussi comme mission communautaire. Nous n’avons pas fini de recevoir ce trésor, de le vivre et nous sommes appelés à le partager davantage. Nous sommes tous engagés dans cette mission communautaire dans les lieux multiples et sous des formes diverses ! - Les jeunes : ils sont l’Eglise dans le monde d’aujourd’hui ! Sauronsnous les accueillir, les laisser nous bousculer, nous questionner, nous étonner ? C’est une priorité si nous désirons qu’ils trouvent dans notre Communauté un lieu pour vivre des discernements qui les conduiront à des choix de vie dans ce monde complexe. Avec eux, soyons simples, souples, créatifs !… Bref, ce texte est écrit pour conduire

34 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 32

nos choix Communautaires. Mais il ne fera grandir la Communauté que si chacun de nous le reçoit, le prie, se laisse toucher et interpeller en Communautés, locale et régionale. D'autres changements ont-ils été votés ? Un autre texte a été modifié au cours de cette Assemblée : celui des Normes particulières, qui donne la manière concrète dont, en France nous mettons en œuvre les Principes Généraux. Les modifications votées autorisent chaque Communauté régionale à devenir un vrai lieu de discernement : sur le territoire de notre Communauté, quelle est la réalité de la société, de l’Eglise ? À quoi le Seigneur nous appelle-til ensemble ? Chaque Communauté régionale est invitée à contempler, discerner et agir en apportant les réponses qu’elle peut. Que ce texte des Orientations accompagne votre chemin tout au long de cette année ! Anne Fauquignon Équipe service communauté nationale


Découpage régional et discernement communautaire

Le découpage territorial en 2010 de la nouvelle gouvernance était « ad experimentum » se sont souvenus des membres de la communauté régionale Touraine. Ils ont décidé d’un discernement communautaire pour savoir s’ils devaient fusionner avec une autre communauté. Pas si simple.

L

Le découpage des régions en communautés régionales n’est pas allé de soi dans de nombreux lieux. Parmi eux, la Touraine. Lorsque les membres apprirent en 2010 qu’ils étaient appelés à quitter la région Centre pour se constituer en région autonome, certains y virent un défi à relever, une occasion de faire vivre de façon plus riche la grâce de la CVX, alors que d’autres firent part de leurs réticences et eurent l’impression que ce découpage leur était imposé. En s’appuyant sur « l’ad experimentum » des découpages comme des normes particulières, plusieurs membres de CVX Touraine ont interpellé cette année l’ESCR1 pour savoir où en était la relecture de cette « expérimentation ». L’ESCR se tournant alors vers le comité de suivi obtint la réponse que seule l’ESCN2 était légitime pour trancher ce sujet. L’ESCR Touraine n’en a pas profité pour se débarrasser de la question et passer à autre chose, elle a alors décidé de faire un discernement communautaire en prenant la question sous un autre angle : « oui ou non demanderons-nous à l’ESCN la fusion avec une autre région ? »

Tous les membres de la région CVX Touraine ont été invités en juin 2014 dans un centre spirituel. Après un rappel sur les bases d’un discernement communautaire (voir encadré), des temps personnels et en groupe de quatre, un pique-nique en silence pour rester dans la démarche et ne pas débattre à table, la séance plénière s’est conclue par un vote. Sur les 17 personnes présentes, 14 ne demandaient pas de fusion et trois la souhaitaient. « Ce vote vaut décision des membres présents au nom de la communauté Touraine », a conclu le responsable. Il n’y aura donc pas de demande de regroupement avec d’autres communautés régionales. Par contre, le besoin vital de rencontres inter-communautés régionales est ressorti très fortement.

Bases d’un discernement communautaire • Un discernement communautaire n’est pas l’avis du plus grand nombre, mais la recherche ensemble de ce que Dieu désire pour nous. • Quel que soit le nombre de présents, le Seigneur nous inspirera de façon égale, il n’y a donc pas de questions de quorum à se poser. • Le désir commun : choisir la vie. • Les divergences : les moyens pour y parvenir. • Discerner ensemble c’est faire émerger ce qui est bon, car en communauté réunie au nom du Seigneur, la parole qui circule entre nous est inspirée par Celui qui nous unit, nous aime et aime notre « ensemble ».

1. ESCR : équipe service communauté régionale. 2. ESCN : équipe service communauté nationale.

Même si seulement 20 % des membres ont pu participer à ce discernement communautaire, le goût amer du découpage qui persistait chez certains a pu être apaisé et un nouvel élan emmène cette communauté Touraine. D’après le retour d’expérience de l’ESCR Touraine Novembre / Décembre 2014 35


Ensemble faire Communauté

En France

Atelier justice : ne jugez pas

La session d’été 2014 de l’atelier Justice au titre provocateur de « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés » a permis aux participants de vivre un chemin d’ouverture et de libération, les renvoyant dans leur lieu de mission qui est aussi celui de leur exercice professionnel ou bénévole.

P

exercer nos fonctions de magistrat, avocat, policier, aumônier de prison, juriste en entreprise… à la manière du Christ, malgré le poids des habitudes, la course à la rentabilité, au sein d’un système judiciaire, qui est, en lui-même, source d’injustice pour les plus pauvres ». Pour d’autres, le besoin se faisait sentir d’une pause sous le regard de Dieu pour relire sa vie professionnelle. « Je commençais à sentir une certaine lassitude face à des situations de plus en plus complexes et contentieuses, où tout dialogue était rompu, où aucune solution imposée par le pouvoir judiciaire ne satisfaisait réellement

© Droits réservés

Retrouvez le texte de cette magistrate détachée auprès d'ATD QuartMonde des participants sur le site de l'atelier justice sur cvxfrance.com

Pas d’hésitation pour l’atelier justice. C’est en affichant un titre provocateur « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés » qu’il a attiré pour sa session d’été à Biviers une vingtaine de participants. Ils sont professionnels ou bénévoles agissant au sein de l’institution judiciaire ou à proximité de celle-ci. Ils ont accepté de se laisser bousculer et de s’interroger sur « comment passer d’une attitude de jugement à une attitude d’ouverture à l’autre, particulièrement aux plus pauvres. », comme le proposait l’équipe de préparation. Telle Myriam, juge, qui y est allée en se demandant « comment

▲ Les participants de la session d’août 2014 à Biviers.

36 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 32

les parties », explique Véronique, avocat non CVX. Ensemble, ils ont eu trois jours pour reconnaître et partager leurs fragilités, tant personnelles qu’institutionnelles à partir du « merci, pardon, s’il te plaît » de la prière d’alliance. Un des moments clés fut le témoignage d’une magistrate détachée auprès d’ATD Quart-Monde qui a exposé le ressenti d’injustice et d’écrasement des plus pauvres face à l’institution judiciaire. « Mon regard a changé sur les justiciables. J’ai davantage compris que le Seigneur ne demandait qu’à me rejoindre dans ce que je vivais au travail », reconnaît Myriam à la fin de la session. Pour d’autres, comme Marie-Annick, aumônier de prison, le fruit fut de pouvoir « accompagner une personne dans la reconnaissance de ses droits, ou de tenter d’apaiser la révolte d’autres détenues ». D’autres fruits personnels ont été de désirer tendre vers « des solutions constructives et apaisantes dans le respect de l’autre », comme l'exprime Véronique. De quoi être envoyés comme des sentinelles dans les lieux d’exercice de la justice, portés par l’Esprit Saint dont la présence était palpable tout au long de la session !


Dans le monde

Magis Africa 2014 « Inspire, Engage, Ignite » Lors d’un grand rassemblement au Zimbabwe cet été, 230 jeunes de 15 pays africains et européens se sont retrouvés pour faire la fête, promouvoir la justice et la foi. Six Français y étaient et témoignent.

Enfin Magis Africa commence ! Rares sont les blancs, et encore plus rares les francophones. Dès l’arrivée nous sommes plongés dans l’ambiance avec les djembés. Lors de la cérémonie d’accueil, nous apprenons à dire « merci » avec le corps, comme les Zimbabwéens. Surprenant de danser pendant la messe d’accueil. Nous devons rapidement nous habituer au petit-déjeuner salé et à la viande à chaque repas. L’équipe d’organisation, composée de jeunes africains, se démène pour nous proposer un programme riche de spectacles, d’enseignements et de temps spirituels. En expériments, Claire, Mathieu, Marie-Emmanuelle, Benoît et Pierre-Antoine sont à Rockwood Center, dans Harare. Trois découvrent la danse contemporaine africaine, C’est ainsi que les filles apprennent à bouger leurs hanches comme des africaines, à raison de

trois heures par jour : leurs corps se libèrent ! Mathieu écrit un texte sur le thème « Hope, Faith, Love » qui fera partie du spectacle final créé avec l’expériment « Comédie musicale ». Les deux autres se forment sur le sida et visitent le centre Mashambanzou, fondé par des sœurs de la communauté de Marie qui accueille des personnes gravement atteintes du sida et leurs familles. Ils y retrouvent le calme et la plénitude de leur dignité humaine. Pendant ce temps, Nicolas passe cinq jours chez des moines : silence ! Ignatius accompagne des pèlerins, et Isaac est pris dans sa nouvelle paroisse. Tous les jours nous nous retrouvons pour former le cercle Magis : en petite équipe, nous partageons nos joies et difficultés de la journée, dans l’écoute active et la confiance. C’est toujours surprenant de voir que la confiance s’établit dès la première rencontre. Autre point commun : le Sadza, le plat zimbabwéen de base, midi et soir ! De retour tous ensemble à la mission jésuite de Makumbi, le festival « Ignite Africa » se met en place : répétition du spectacle, de la présentation de la France. Nous

© Droits réservés

a

Après plusieurs mois de préparation, d’impatience et 20 heures de vol, nous atterrissons à Harare. Le groupe prend corps durant la première semaine, où nous visitons des lieux touristiques, les Chutes Victoria, le Parc national de Hwange… nous remercions Dieu pour Sa Création.

▲ Dans le parc national de Hwange.

sommes heureux de nous revoir. Enfin c’est la fête, les gens du village viennent danser avec nous ! Ici comme dans la messe d’envoi célébrée par Isaac et son provincial, les musiques et danses sont au top ! Avant de repartir pour la France, nous prenons un temps de relecture en groupe français : le voyage fut si dense ! Pour conclure, nous voulons dire à tous ceux que nous avons rencontrés : « Merchi buku à vous ! » Mathieu, Claire, Nicolas, Marie-Emmanuelle, PierreAntoine, Isaac et Ignatius Novembre / Décembre 2014 37


Ensemble faire Communauté

Dans le monde

une autre coupe du monde du Brésil En juin 2014, les touristes au Brésil n’étaient pas tous dans les gradins des stades. Certains, comme Françoise et Pascal, en ont profité pour rencontrer des équipes CVX de différentes villes brésiliennes. Une joie profonde de s’ouvrir et de découvrir d’autres réalités.

T

Un voyage à l’étranger prévu cette année ?… et pourquoi pas prendre contact avec la CVX mondiale : elle est présente dans 60 pays ! cvx-clc.net Et pourquoi pas à votre retour le proposer à la Revue Vie chrétienne ? rédaction@editionsviechretienne.com

Tout a commencé quand Pascal a su qu’il participerait à un congrès au Brésil en juin 2014. L’occasion était trop belle pour ne pas en profiter pour quelques vacances dans ce pays seize fois grand comme la France et rencontrer des membres de la CVX Brésil. Après avoir pris contact avec la CVX mondiale, Marie-Antoinette qui avait vécu trois ans au Brésil nous a très gentiment mis en relation avec une communauté locale de Sao Paulo dans laquelle elle était membre. Le contact avec Amauri, un membre de l’équipe parlant parfaitement le français, a tout de suite été très chaleureux. De mails en visioconférences skype, nous avons ainsi appris à nous connaître.

À l’aéroport de Sao Paulo, il ne nous reste plus qu’à attendre nos hôtes qui ont eu la gentillesse de venir nous chercher, malgré les embouteillages liés à une grève des transports en commun. Mariani et Ceci nous emmènent dans leur maison de campagne à une cinquantaine de kilomètres, loin de la pollution et du bruit de Sao Paulo. Le lendemain, toute l’équipe nous rejoint pour partager la feijoada traditionnelle (plat typique à base de haricots noirs et de porc), échanger sur la CVX et faire un skype avec des membres de la communauté régionale de Gironde… à 10 000 km de là. Début d’une formidable série de rencontres avec des membres de CVX à Sao Paulo, Salvador de Bahia et Rio. Ce qui nous a le plus touchés dans ces rencontres, c’est l’incroyable qualité de l’accueil que nous avons reçu. Nous avons été non seulement accueillis, transportés, hébergés et nourris, mais nos hôtes ont pris du temps pour nous faire découvrir leur pays et leur manière de vivre en CVX.

▲ Pascal et Françoise avec la communauté CVXavier à Sao Paulo.

Ainsi, nous avons pu partager sur nos façons de vivre de la spiritualité ignatienne et célébrer

38 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 32

ensemble, notamment une messe qui prend son temps (appelée « Convivium ») et participer à des réunions de CL avec une équipe d’accueil à Rio et avec une équipe « confirmée » à Sao Paulo avec qui nous avons terminé notre séjour par une eucharistie domestique. Quelle joie profonde de sentir le Christ ouvrir nos cœurs à la rencontre avec l’autre, au-delà des langues et des réalités de vie différentes ! Quelle joie de rencontrer aussi des jésuites œuvrant à faire découvrir la spiritualité ignatienne en lien étroit avec des laïcs, dont le dynamisme évangélique se traduit par une implication forte dans la vie sociale et politique de leur pays. La communauté CVX Brésil compte environ 600 membres répartis dans les grandes villes du Brésil… une petite communauté dans un pays de plus de 200 millions d’habitants, mais une communauté forte de son enracinement (nombreux sont les membres qui ont vécu les 30 jours), de son Espérance et de son goût pour la mission. Françoise et Pascal Sirand-Pugnet CVX Gironde


Billet

Vous qui passez sans me voir

Pourtant, soudain, un voyageur qui marchait d’un bon pas quitte le flot. Il revient sur l’homme en marchant comme à contrecourant des autres, il dépose deux tickets restaurants devant la face de l’homme en plein sommeil… Au réveil, il commencera la journée avec un petit viatique… L’autre homme rejoint la foule des voyageurs, après son geste anonyme. Un peu plus loin, une jeune femme s’arrête avec une grosse valise devant un escalator. Elle doit prendre dans ses bras son petit chien qui a peur du système. Chacun fait preuve d’amabilité… Pardon pour l’embarras, mais je vous en prie madame… prenez votre temps…

© defun / iStock

Ce matin, un homme dort à même le sol le long des tapis roulants de la station de métro Montparnasse… les gens passent devant lui sur le tapis, marchant ou se laissant déplacer. Ils éprouvent nombreux la détresse de cet être humain. Mais ils sont aussi entrainés par le mouvement de l’appareil. Et très vite, un clou chasse l’autre. À quoi bon, il y en a tant…

Un homme, un chien… des gens à la même vitesse ou à des vitesses différentes… La mécanique nous facilite la vie mais la restreint aussi… la canalise… Qui rencontrons-nous si nous allons vite ? Ceux, seulement, qui vont à la même vitesse que nous, pour un certain temps, à vrai dire peu de monde… Et bien des choses ne cessent de se mécaniser en nos vies, elles s’informatisent même… Montparnasse Bienvenüe du nom de l’ingénieur qui a bâti le métro… Aller d’un point à l’autre, oui mais en rencontrant son prochain… Jardinier de Dieu

Novembre / Décembre 2014 39


Prier dans l’instant

En regardant travailler un accordeur de piano

De sa main droite, à l’aide d’une clé, il agit sur la tension des cordes, sous le couvercle soulevé ; et de sa main gauche il fait sonner les touches. À l’oreille, il règle chaque corde, patiemment, finement, jusqu’à ce qu’elle donne le son juste qui correspond à sa place sur le clavier, et entre ainsi en bonne résonnance avec ses voisines.

© Dmitry Kudryavtsev / iStock

Une séquence de film me donne de découvrir un homme accordant un piano de concert. Il se trouve que cet homme est aveugle  ; toute son attention est dirigée dans ses mains et son ouïe. Il se dégage de lui un sentiment de très grande concentration.

Cette invitation délicate mais ferme, ferme mais délicate, à se laisser ajuster pour sonner en harmonie avec les autres cordes me parle du Seigneur vis-à-vis de chacun de nous parmi nos frères. L’ajustement n’est pas toujours confortable, cela nous étire un peu. Mais parfois, circulant entre toutes les cordes, naît la musique. Seigneur, guide-moi, guide-nous chacun vers la juste résonnance, pour la beauté du concert. Dominique POLLET

Nouvelle revue Vie Chrétienne – Novembre / Décembre 2014


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.