Revue Vie Chrétienne 33 - janvier 2015

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Vie chrétienne Nouvelle revue

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BB I M EESSTTRRI EI EL LD ED EL AL CAO CMOMMU M N AUUNTAÉ Ude T É V VI EI EC HC RHÉRT ÉI ETNI N EN E NE TE DE ET SDE ES AS M E SI S A–MNI ºS 3–3 –N ºj anvier 2 1 – j/anvier f évrier 22 0 1 53

Quand ma vie bouge Jonas, prophète de miséricorde Volontaires à Taizé


NOUVELLE REVUE VIE CHRÉTIENNE Directeur de la publication : Jean Fumex Responsable de la rédaction : Marie-élise Courmont Rédactrice en chef adjointe : Marie-Gaëlle Guillet Comité de rédaction : Marie-élise Courmont Jean-Luc Fabre s.j. Marie-Gaëlle Guillet Anne Missoffe Laetitia Pichon Barbara Strobel Comité d'orientation : Marie-Agnès Bourdeau Nadine Croizier Marie-Claude Germain Anne Lemant Claire Maillard Etienne Taburet Fabrication : SER – 14, rue d’Assas – 75006 Paris www.ser-sa.com Photo de couverture : Françoise Pierson Impression : Corlet Imprimeur, Condé-sur-Noireau

ISSN : 2104-550X 47, rue de la Roquette – 75011 Paris Les noms et adresses de nos destinataires sont communiqués à nos services internes et aux organismes liés contractuellement à la CVX sauf opposition. Les informations pourront faire l’objet d’un droit d’accès ou de rectification dans le cadre légal.

le dossier

Sommaire éditorial l’air du temps Une vie simple, maintenant ! par Arnaud du Crest chercher et trouver dieu

Quand ma vie bouge

Témoignages « Vivre, c’est s’ouvrir à l’imprévu » Jean-Baptiste Hibon Les projets pulvérisés de Joseph Xavier Lavignotte Quand la terre se dérobe… Bruno Marchand s.j. babillard se former Méditer avec un journal Sr Michèle Jeunet, rc Volontaires à Taizé Aline et Étienne Mainguené Jonas, le prophète de la miséricorde Claude Flipo s.j. La pédagogie jésuite, hier et aujourd’hui Sylvain Carriou-Charton s.j. Prier en début de rencontre Noëlle Hiesse ensemble faire communauté De la crise est née la collégialité Emmaüs, un chemin de croissance Trouver Dieu dans ma vi(ll)e Venez au puits de la rencontre Maurice, l’avènement d’une Communauté Rencontre européenne à Luxembourg Week-end national CVX Zimbabwe billet Hommage aux mages Philippe Robert s.j. prier dans l'instant Devant l’enseigne d’un magasin Catherine Raphalen

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La revue n’est pas vendue, elle est envoyée aux membres de la Communauté de Vie Chrétienne et plus largement à ses « amis ».

Chacun peut devenir ami ou parrainer quelqu’un. Il suffit pour un an de verser un don minimum de : l 25 € l 35 € si je suis hors de France Métropolitaine l Autre (50 €, 75 €, 100 €…) n Par virement : RIB 30066 10061 00020045801 60 IBAN FR76 3006 6100 6100 0200 4580 160 – BIC CMCIFRPP n Par versement en ligne sur viechretienne.fr/devenirami n Par chèque bancaire ou postal à l’ordre de Vie Chrétienne À envoyer à ser – vie chrétienne – 14, rue d’assas – 75006 Paris – amis@viechretienne.fr

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Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 33


Éditorial

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Faites vos vœux !

© MauMyHaT / iStock

Commencement de l’année : une période qui nous tourne vers l’avenir, qui invite à exprimer des souhaits, pour nous-mêmes et nos proches, nos lieux d’appartenance et d’engagement et pour le monde dans lequel nous vivons. Le temps de faire des vœux ; non à la manière des contes, dans l’attente qu’une bonne fée vienne les réaliser, mais plutôt avec la conviction que l’expression de notre désir est force mobilisatrice, pour la prière comme pour l’action. Différents acteurs, dans ce numéro, expriment des vœux. Un membre du groupe ‘Paroles de chrétiens sur l’écologie’de Nantes exprime le vœu d’une vie simple, pour préserver la planète et vivre de façon plus juste (p. 4-5) ; l’atelier Étranger, de retour du Luxembourg (p. 37), met son espoir dans le travail en réseau européen pour l'accueil des migrants ; la responsable de la CVX de l’ile Maurice exprime le vœu de rejoindre la Communauté mondiale (p. 36)… Certains de ces vœux rejoignent peut-être les nôtres. Repris à notre compte, ils peuvent nourrir notre prière ou être levier pour agir à notre tour.

»

Mais c’est à chacun de mettre des mots sur ce qui lui tient à cœur et de le confier au Seigneur. À l’école d’Ignace, qui invite à demander la grâce que nous aimerions recevoir au début de notre prière, osons demander ce que nous désirons, un point de conversion… ce qui est bon pour notre groupe en début de rencontre (p. 30)… ce qui fait défaut à notre monde… Ces vœux devenus prière d'intercession sont déjà participation à la Mission du Christ. Tous nos vœux pour 2015 ! Restons des hommes et des femmes de désir !

Marie-Élise Courmont

Pour écrire à la rédaction : redaction@editionsviechretienne.com

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L'air du temps

Une vie simple, maintenant ! L’appel à la vie simple fait partie de notre patrimoine ignatien commun, mais il est aujourd’hui renouvelé. D’un appel relatif à une vie plus simple, il devient un appel absolu à une vie simple. Arnaud du Crest présente les réflexions du groupe Paroles de chrétiens sur l’écologie de Nantes1.

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Arnaud du Crest CVX, Agronome et économiste spécialiste de l’emploi. Il a été directeur de l’Observatoire économique des Pays de la Loire, et milite depuis vingt ans à Solidarités nouvelles face au chômage.

1. Paroles de chrétiens sur l’écologie, Pour un engagement écologique : Simplicité et Justice, éd. Paroles et Silence, 2014 2. WWF, Rapport Planète vivante, 2014. Voir aussi, Aurélien Boutaud et Natahlie Gondran, L’empreinte écologique, La Découverte, 2009 3. Arnaud du Crest, Une vie simple, Christus, n° 234 HS, mai 2012

Une vie plus simple c’est donner une partie de notre surplus, éviter de nous encombrer de trop de biens ou d’occupations pour être disponible au Seigneur et aux autres. Une vie simple, c’est adopter un niveau de consommation égal à ce qui est soutenable en moyenne aujourd’hui. Notre mode de vie occidental n’est possible que par ce que nous prélevons aux pauvres d’aujourd’hui (terres, eau, bois, minerais…) et aux populations de demain, nos enfants et petits-enfants (ressources du sol et sous-sol, climat). Selon la méthodologie de l’empreinte écologique2 nous disposons en moyenne de 1,7 hectare par personne sur la terre, et nous en utilisons France 4,8 hectares. Nous consommons donc près de trois fois plus que les ressources disponibles. Diminuer notre usage de ces ressources est un impératif de justice par rapport à notre prochain d’aujourd’hui et de demain. Est-ce vraiment réaliste3 ? Réfléchir mes achats Nous changeons en moyenne de réfrigérateur et de machine à la-

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ver tous les dix ans, de poste de télévision tous les cinq ans, sans parler des meubles, vêtements, téléphones et autres lunettes. Réparons nos produits plutôt que de les jeter et les remplacer : les faire durer deux fois plus longtemps par exemple, voici un objectif simple. La réparation a une forte dimension spirituelle. Faire durer nos biens c’est respecter la création. Produire des biens qui durent longtemps c’est respecter l’Homme. Réparer peut coûter moins cher et ne pas créer d’emploi, ou plus cher, mais en créant plus d’emplois. Quand un produit neuf coûte moins cher que sa réparation c’est souvent parce que ceux qui le produisent sont sous payés par rapport à nous. La location est aussi un moyen de faire durer les biens plus longtemps et de les partager. D’un point de vue spirituel, c’est remettre à la première place l’usage, devant la possession. De quoi avons-nous besoin : de nous déplacer ou d’une voiture ? De faire un trou ou d’une perceuse ? De nous loger ou d’une maison ?

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Me déplacer, ou voyager ? Nous parcourons 13 700 km en moyenne par personne et par an. Commençons par diminuer nos déplacements et/ou prendre les transports en commun. Il ne suffit pas en effet de ne pas prendre l’avion : un kilomètre en avion et un kilomètre pour une personne à deux en voiture sont équivalents en termes d’empreinte carbone. Si nous achetons plus local, nous allons de fait réduire les besoins de déplacements professionnels. Plus besoin d’aller vérifier les conditions de travail des ouvriers des usines chinoises pour obtenir le label éthique. Pour les déplacements personnels, supprimer des lignes low cost pourrait diminuer fortement les déplacements en avion. Le voyage c’est d’abord un trajet avec des rencontres avant d’être un point d’arrivée. La vitesse est un obstacle à la qualité des projets aussi bien qu’à la méditation. Si nous relativisons nos exigences de rapidité, nous aurons moins besoin de transports aériens et de lignes TGV. Abaisser la vitesse des voitures sur les routes ainsi que celle des trains contribuerait


© Paul Cowan / iStock

D’autres idées : • repaircafe.org • paxchristi. cef.fr

▲ Vers une alimentation locale, produite de façon biologique (rapport au sol) et éthique (rapport aux hommes). Respectons les saisons !

fortement à la réduction des gaz à effet de serre. Me nourrir, un acte très spirituel L’alimentation représente 41 % de notre empreinte écologique. C’est une chance car voilà un poste sur lequel l’action de chacun d’entre nous est possible et économique. Nous pouvons orienter notre consommation vers des aliments moins gourmands en surface, passer de la viande rouge à la viande blanche. L’idéal serait de privilégier une alimentation qui soit locale, produite de façon biologique (rapport au sol) et éthique (rapport aux hommes). Respectons les saisons ! Nous sommes constitués de ce que nous mangeons et les règles alimentaires sont une constante des

religions. Les chrétiens pourraient reprendre cette tradition, appuyer le mouvement actuel vers une alimentation locale (les AMAP, les marchés locaux) et le bio. Voilà donc des pistes qui risquent de rester lettre morte si nous ne les partageons pas, en communauté locale par exemple. Mais nombreux sont ceux qui présenteront des objections, évitant ainsi de parler de la vie simple. Et tous les pauvres qui n’ont pas assez à manger et les chômeurs, comment va-t-on les aider si nous réduisons nos achats ? Et le progrès qui résoudrait les questions énergie climat ? Et notre société est tellement complexe4 que ce n’est plus possible de réparer nos objets ni de diminuer nos déplacements avec

nos enfants à l’autre bout de la France ou du monde. Eh bien rapprochons lieux de travail et lieux de vie, imposons que les produits soient réparables, privilégions l’agriculture paysanne, réduisons les inégalités de patrimoine et de revenus… Nous développerons ainsi de l’emploi. Et ne sommes-nous pas appelés à davantage de progrès spirituels5 que techniques ? Il nous faut à la fois simplifier notre vie et simplifier la société, réduire notre consommation (en moyenne) et réduire les inégalités. C’est un moment unique de l’histoire de l’humanité. Un appel individuel et collectif, personnel et politique.

4. Arnaud du Crest, Pour une société plus simple, Christus, n° 244, octobre 2014

5. Pierre Teilhard de Chardin, Le phénomène humain, éd. du Seuil, 2007 (1ère édition 1955)

Arnaud du Crest Janvier / Février 2015

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Chercher et trouver Dieu

Quand ma vie bouge Même les personnes les plus statiques voient leur vie bouger. Événements extérieurs, âge, évolution de la société… nul ne peut se sentir installé dans sa vie d’homme. Comme les témoins de ce dossier, il est parfois possible de « choisir » la nouveauté au lieu d’en subir les conséquences, ou bien ce qui semblait conduire vers le fond peut finalement s’avérer une petite étincelle. Tout changement ne conduit pas forcément vers plus de vie, mais le craindre, se raidir et regretter ce qui n’est plus est loin d’un chemin de croissance, comme le souligne Jean-Baptiste Hibon, psychosociologue (p. 12). Peut-être faut-il, comme un skieur, utiliser les aspérités du terrain pour mieux glisser, et reconnaître que ces changements imposés peuvent nous ouvrir à des capacités insoupçonnées en nous. Et si se redresser après qu’ils nous aient fait chuter passait par l’écoute de l’appel de Dieu, un chemin de paix s’ouvrirait en nos cœurs. Marie-Gaëlle Guillet

Témoignages

éclairage biblique

Suivre ses parents mutés ou non ? . . . . 8

Les projets pulvérisés de Joseph. . . . 14

© Mike Watson Images / Moodboard

De la vie inattendue . . . . . . . . . . . . . . . . 9 Un couple qui bouscule . . . . . . . . . . . . . 10 Entreprendre : une passion qui secoue. . 11

Repères ignatiens

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Quand la terre se dérobe. . . . . . . . . . 16

Contrechamp

Pour continuer

« Vivre, c’est s’ouvrir à l’imprévu ». . . . . 12

en réunion . . . . . . . . . . . . . . . . . 18

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Chercher et trouver Dieu

Témoignages

Suivre ses parents mutés ou non ? Lors d’une mutation professionnelle à l’étranger, toute la famille subit les changements. Les enfants peuvent-ils être libres dans cette décision ? Peuvent-ils se l’approprier ? C’est ce qu’a vécu Matthieu qui a su trouver un chemin pour prendre une décision personnelle.

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© Sborisov / iStock

Retrouvez l'intégralité du témoignage sur editionsviechretienne.com

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Comment décider, à 16 ans, de rester vivre en France alors que mes parents partent vivre en Angleterre ? J’étais en classe de Première, mes parents m’ont annoncé que mon père était muté en Angleterre, et que nous le rejoindrions une fois notre année scolaire terminée. Je n’étais pas emballé par cette perspective. Ironiquement, j’avais fait « allemand première langue », j’étais nul en anglais et je n’ai jamais aimé déménager. Tout cela à un an du bac. Et la perspective d’être au Lycée Français de Londres ne me rassurait guère. Partir à Londres, passer le bac pour

ensuite revenir en France continuer mes études dans un an ? Quel intérêt pouvais-je avoir à faire cet aller-retour France Angleterre ? De toute façon, je serai seul en France un an plus tard. Nous en avons discuté. Mes parents ont entendu mes craintes, mes interrogations. Plutôt que de m’imposer leur choix, ils ont estimé que j’étais suffisamment mature pour décider par moi-même, même si cela signifiait trouver une solution afin que je reste en France. Bien évidemment mes parents m’avaient fait part de leur position, de la chance que cela pouvait représenter pour moi de découvrir un nouveau pays, d’apprendre l ’ a ng l a i s. Mais j’avais besoin de confronter mes craintes et leurs arguments aux dires d’autres adultes. J’en ai parlé avec mon professeur d’anglais.

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Son avis était forcément biaisé : Australien installé depuis peu en France, il ne pouvait que me vanter le fait de vivre dans un pays anglophone. J’en ai alors parlé à mon professeur principal dont l’avis comptait pour moi. Il trouva la démarche étonnante, mais accepta d’en discuter avec moi. Il me conseilla de partir en Angleterre parce que c’était une formidable expérience de découvrir une autre culture. En l’écoutant parler du nécessaire de se remettre en question et de savoir prendre des risques mesurés, je me rendais compte qu’il me fallait du temps pour que je prenne pleinement cette décision, que je sois convaincu d’avoir fait mon choix, que c’était bien le mien. Quelques jours après, j’ai annoncé à mes parents que j’acceptais de les suivre à Londres mais que je leur demandais deux conditions afin que leur choix soit également le mien : ne pas vivre dans un environnement francophone et ne pas avoir la télévision française. Après tout, il était temps que je me décide à apprendre cette langue qui me fuyait depuis que j’avais 10 ans… Matthieu


De la vie inattendue Un changement de maison de retraite qui ressemble à une descente au tombeau. Et pourtant des mouvements autour d’elle et en elle poussent Andrée vers plus de vie. Parfois, une nouvelle espérance peut surgir de ce qui semble inéluctable.

Il a fallu trouver un autre lieu et, surprise, un établissement s’ouvrait, dans son village natal, à quelques dizaines de mètres de sa maison. Mais celui-ci était dépourvu d’équipements médicaux. Toute la famille a craint le pire lorsque nous l’avons aidée à déménager. L’opération ressemblait à une descente au tombeau : son état pouvait-il faire autrement qu’empirer ? Or, après quelques semaines d’ « ajustement », les choses ont semblé bouger. Pour accompagner le déménagement, nous l’avions abonnée à des revues, des journaux, nous lui envoyions plus de livres, nous donnions plus de nouvelles. Et, au bout du fil (elle refusait toute visite), ces nouvelles, les informations puisées

dans les journaux, les lectures, étaient soudain des sujets de conversation. Andrée posait des questions, m’apprenait des événements survenus dans la famille et qu’elle connaissait avant moi. Peu à peu, ma tante s’est recentrée sur la grande passion de sa vie, la littérature, qu’elle avait presque totalement abandonnée depuis dix ans. Ce n’est pas une renaissance : elle reste très seule, refuse la plupart du temps tout contact avec les autres pensionnaires qu’elle juge (durement) sans intérêt et trop âgés. Mais une vraie vie est revenue en elle. Lorsque je lui téléphone, l’échange est soutenu. Elle me reparle même de politique, comme au temps où elle vénérait « Mitterrand, si littéraire » ! Aujourd’hui, elle plaint « ce pauvre Hollande » !

© Fuse

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Lorsque la maison médicalisée, dans le Jura, où résidait Andrée, a fermé, j’ai craint le pire. Depuis presque dix ans, ma tante (bientôt 80 ans), plongée dans une dépression, s’enfonçait de plus en plus. Au téléphone – je l’appelais toutes les 3 ou 4 semaines – c’était une épreuve pour moi et pour elle : « je n’ai rien à te raconter. Je suffoque. Pourquoi Dieu m’inflige-t-il ça ? » Une alternance de mutisme et de douleur, pour moi, appel après appel et pour elle, heure après heure.

Que s’est-il passé ? Le « mouvement » familial autour d’elle au moment du déménagement a-til provoqué un déclic ? L’Esprit, entendant nos (pauvres) prières a-t-il soufflé ? Ce changement, ce regain, ne sont pas une histoire de miracle. Mais pour moi, à coup sûr, c’est une histoire d’espérance. Jean-François Janvier / Février 2015

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Chercher et trouver Dieu

Témoignages

Un couple qui bouscule Après un volontariat au Cameroun, où les chocs d’adaptation furent nombreux, Anne-Cécile se marie avec un Camerounais. Pour certains, du temps a été nécessaire pour accepter cette nouveauté, pour le couple chaque événement de leur vie est source de questionnement.

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Au Cameroun, mon premier chamboulement fut culturel ; la mission que j’occupe est au milieu de la forêt équatoriale, dans un hôpital de brousse ! Les conditions matérielles, de logement et de travail, sont très loin de ce que j’ai connu et appris en France. Il m’a fallu faire preuve d’adaptation. Pour autant, le vrai changement n’a pas été là où je l’attendais le plus… J'ai connu un profond déplacement intérieur et personnel.

Notre rencontre, notre histoire puis par la suite notre décision de nous marier ont été différemment reçues et acceptées par les membres de nos familles et amis. Il a fallu pour certains un peu de temps. La différence culturelle inquiète : peur de l‘inconnu, de coutumes inhabituelles, mais également peur du « mariage blanc » dans notre cas. Je crois que c’est grâce à notre ténacité (les démarches pour ce

© Lopez Maldonado Fotografia / iStock

Au cours de ma mission, j’ai rencontré François, Camerounais, lui-même travaillant dans

l’humanitaire, en Centrafrique. Notre histoire est née de cette rencontre.

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type de mariage sont un véritable parcours du combattant) que nos proches ont cru à notre histoire et nous ont soutenus. Mes parents sont venus au Cameroun pour notre mariage civil sans avoir jamais rencontré leur gendre (hormis par Skype !). Belle preuve de confiance ! Ce qui fait notre force, c’est aussi notre foi. C'est notre socle commun. Pour le reste, c’est un dosage de communication et de compromis ! Il m’a fallu accepter de me laisser bousculer, de rejoindre François, en le respectant sans me renier moi-même, mes convictions, mon éducation et ma propre culture. Aujourd’hui nous sommes les heureux parents d’un petit Arthur. La naissance a encore été source d’interrogations et de questionnements sur la façon dont est vécu un tel événement dans nos cultures respectives. Chacune de nos grandes décisions de couple, de vie nous rappellera nos différences… à nous de continuer à les accueillir pour en faire la richesse de notre famille. Anne-Cécile


Entreprendre : une passion qui secoue La vie d’entrepreneur est secouée par les nombreux bouleversements technologiques actuels. Ils peuvent être violents, obligeant à des déplacements accélérés, mais aussi chances de libération intérieure et de changement de regard sur le succès.

En tant que fondateur d’entreprises technologiques, j’ai traversé des périodes où la trésorerie manquait : je trouvais terrible de voir une équipe jeune et passionnée au travail, et de ne pas savoir comment payer les salaires à la fin du mois ; des périodes où l’exigence de certains gros clients qui voulaient toujours plus pour moins cher m’a stressé et découragé. Dans une de ces périodes où j’étais sur-stressé par de telles situations, au cours d’une messe dans une petite église de montagne, j’ai reçu qu’il me fallait « donner l’entreprise à Marie », établir une distance entre l’entreprise et moi : j’en suis le gestionnaire mais l’entreprise n’est pas moi. Et la « donner à Marie » était

ce moyen de créer la distance. Et ce fut une grande libération intérieure. Bien sûr il me faut revenir souvent à cette expérience à chaque fois que je me fais piéger à nouveau. Déplacement.

du monde : des transformations qui étaient lentes à l’échelle d’une vie sont maintenant à vivre plusieurs fois dans une même carrière professionnelle. Violence ! Déplacement accéléré.

Nous vivons aujourd’hui une évolution forte de la vie ensemble : partage de l’information et de la connaissance, le monde devient un village… Ce davantage de conscience globale du monde et de partage est probablement le début de ce que le Père Teilhard de Chardin a nommé la noosphère : l’avènement d’une évolution nouvelle de la vie. Ceci conduit à une accélération de la transformation

Et à travers cette violence, source de déplacement, la chance de découvrir que l’important n’est pas le succès de ce que je construis (qui sera détruit un jour de plus en plus proche) mais l’expérience vécue, le chemin parcouru ensemble, chemin qui ne peut se vivre - ce qui peut paraître contradictoire - qu’en cherchant ce succès, voué à l’éphémère. Jacques

© Sergey Nivens / iStock

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La vie économique est violente : Uber va bouleverser les taxis, Amazon a transformé le commerce et ce n’est pas fini, Google veut révolutionner la médecine. La concurrence conduit des métiers à se transformer, des entreprises à disparaître pendant que d’autres naissent et grandissent. Mais au fond cette violence est aussi celle de la vie : des espèces disparaissent au profit d’autres, chacun de nous naît, vit et meurt.

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Chercher et trouver Dieu

Contrechamp

« Vivre, c’est s’ouvrir à l’imprévu » Nous préférons ce que nous connaissons. La stabilité rassure. Or, elle peut être signe de mort, s’amuse Jean-Baptiste Hibon, psychosociologue, qui milite pour la richesse de l’imprévu, signe de vie. Faire face aux changements implique des processus psychologiques qu’il nous aide à décrypter. De quoi mieux répondre à l’appel du Christ de le suivre.

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En général on aime prévoir et que tout se déroule comme prévu. Or il y a très souvent des imprévus. Ils peuvent beaucoup déstabiliser. Pourquoi ? Jean-Baptiste Hibon : Le changement fait peur. Le non-changement rassure, on connaît la situation. Or, comme nous avons besoin de sécurité, nous préférons ce que nous connaissons. Cette peur de ne pas savoir ce qui va se passer renvoie à la peur ultime : celle de la mort. Nous ne la connaissons pas.

Jean-Baptiste Hibon psychosociologue et conférencier professionnel, son travail s’appuie sur l’expérience de son handicap (infirmité motrice cérébrale) et sur la richesse du facteur humain comme source de
développement et d’équilibre dans les entreprises. Retrouvez ses interviews sur jean-baptiste-hibon.com

Dans mon enfance, étant handicapé, mon père avait toujours peur quand je marchais ou quand je faisais quelque chose de nouveau. Il avait peur que je me fasse mal, il avait envie de me garder en sécurité. Or vivre, c’est risquer, prendre un risque, c’est s’ouvrir à l’imprévu. Nous sommes en permanence confrontés à la peur de ce qui pourrait arriver. Dans nos vies, comme dans le monde autour de nous. Surtout avec ce qui semble être l’accélération du monde, des informations. Nous sommes tenus informés des accidents, des

guerres survenant à l’autre bout de la planète. La peur grandit. Nous voulons tout sécuriser, pour cela nous normons tout ce que nous faisons. Or, la normalisation de la nature augmente les peurs face à ce qui pourrait arriver. La peur du changement révèle un paradoxe que j’aime, le paradoxe de la vie. Vivre, c’est prendre un risque ; lorsque rien ne bouge, rien ne change, nous sommes dans la mort. Lorsque nous connaissons ce qui est, ce qui existe, nous sommes sans doute rassurés mais c’est aussi que rien ne bouge. N’est-ce pas aussi ce qui se passe avec la mort ? Tout est immobile. À l’opposé, ce qui va advenir n’est pas connu. Cela fait peur, mais c’est aussi la vie. La vie, c’est le changement dites-vous, mais faire face à ces changements requiert d’abandonner ce qui était. Comment est-ce possible ? J.-B. H. : Face à un divorce, un déménagement, une maladie… à tous ces changements imprévus, non-choisis, il me semble nécessaire de faire son deuil de ce qui

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était, de ce que l’on avait prévu. Pour y arriver, il faut passer par cinq phases, les cinq étapes du processus du deuil, définis par la psychiatre et psychologue helvético-américaine, Elisabeth KûblerRoss. Ce sont cinq phases primordiales pour réussir à rebondir : Premièrement, on refuse. « Ce n’est pas possible, il y a sûrement une erreur ». Puis, monte la colère. « Pourquoi moi ? Qu’est-ce que j’ai fait ? Ce n’est pas juste ». Ensuite, on cherche à négocier, à marchander. « Avec plus de temps ce serait possible… ». Après s’installe la dépression. « Je ne veux pas, je n’y arriverai jamais, c’est trop difficile ». Et en dernier vient l’acceptation. « J’y vais maintenant, je suis prêt ». Ces cinq phases sont humaines, naturelles. Il faut y passer. Parfois, une personne reste enracinée à l’une des étapes sans pouvoir passer à la suivante. La personne refuse le changement, la transformation de la situation. Il faut alors qu’elle puisse être accompagnée pour pouvoir rejoindre la situation réelle.


Au niveau d’une société, ces blocages, ces refus du changement peuvent-ils aussi exister ? J.-B. H. : « C’était mieux avant, on avait plus de pouvoir d’achat, c’était plus facile ». On entend beaucoup ces plaintes dans notre société. Cette nostalgie peut venir d’un déni que la crise implique des changements. Même le budget de la France reflète ce déni des changements. Les rectifications du budget ne sont-elles pas permanentes ? Comme si on s’adaptait après coup et non comme si on avait changé de perspective car la situation, n’étant plus la même, nécessite de la nouveauté.

J.-B. H. : Tout au long des Évangiles, le Christ ne fait que nous inviter au changement. Pas seulement à abandonner notre vie entre ses mains, mais aussi à préparer, organiser, dire notre désir… pour ne pas rester enracinés dans ce qui est prévu. La traduction de André Chouraqui des Béatitudes est pour cela très parlant pour moi. Il traduit ‘ Heureux ‘ par ‘ en marche, en avant, allez plus loin ‘. Ce qui donne par exemple : « En marche, les endeuillés ! Oui, ils seront réconfortés ! ». Cela souligne bien que le Christ ne nous invite pas à accepter la situation présente. Et pour moi, avec mon handicap, marcher, mettre un pied devant l’autre, cet appel retentit fort. Marcher, c’est vraiment s’ouvrir concrètement à l’imprévu. Lorsque je vais poser le pas sui-

© Digital Vision

En quoi ces processus de changement rejoignent-ils, selon vous, le message du Christ ?

vant, il y a plus de risque que je tombe que si je reste immobile. Mais c’est un risque mesuré que je prends, qui m’ouvre à l’inconnu. Dans la fin de l’Évangile de Jean, Jésus dit à Pierre : « Quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture toimême pour aller là où tu voulais ; quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller. » Jésus disait cela pour signifier par quel genre de mort Pierre rendrait gloire à Dieu. Sur ces mots, il lui dit : “ Suis-moi. ” ». (Jean 21, 18‑19). Cela peut faire

peur, mais c’est une formidable invitation au changement. Quand nous sommes jeunes, enfants, nous apprenons l’autonomie, à nous habiller tout seul, à mettre notre ceinture… nous nous croyons rapidement indépendants. Mais en fait personne ne l’est vraiment (Rires). En devenant adulte, c’est un autre qui appelle au changement. Nous n’avons pas envie d’y aller. Et pourtant c’est Jésus qui nous invite à ce changement, qui d’après moi, n’est rien d’autre que de le suivre. Propos recueillis par Marie-Gaëlle Guillet Janvier / Février 2015 13


Chercher et trouver Dieu

éclairage biblique

Les projets pulvérisés de Joseph 18 Or, voici comment fut engendré Jésus Christ : Marie, sa mère, avait été accordée en mariage à Joseph ;

avant qu’ils aient habité ensemble, elle fut enceinte par l’action de l’Esprit Saint. 19 Joseph, son époux, qui était un homme juste, et ne voulait pas la dénoncer publiquement, décida de

la renvoyer en secret. 20 Comme il avait formé ce projet, voici que l’ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : « Joseph,

fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse, puisque l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint ; 21 elle enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus (c’est-à-dire : Le-Seigneur-sauve), car c’est

lui qui sauvera son peuple de ses péchés. » 22 Tout cela est arrivé pour que soit accomplie la parole du Seigneur prononcée par le prophète : 23 Voici que la Vierge concevra, et elle enfantera un fils ; on lui donnera le nom d’Emmanuel, qui se

traduit : « Dieu-avec-nous » 24 Quand Joseph se réveilla, il fit ce que l’ange du Seigneur lui avait prescrit : il prit chez lui son épouse, 25

mais il ne s’unit pas à elle, jusqu’à ce qu’elle enfante un fils, auquel il donna le nom de Jésus.

Matthieu 1, 18-25

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Traduction Aelf (Association épiscopale liturgique pour les pays francophones)

Dans l’Évangile de Matthieu, à la différence de celui de Luc, c’est Joseph qui occupe presque toute la place devant Marie. L’Évangile s’ouvre sur la généalogie de Jésus fils de Joseph, fils de David, fils d’Abraham. C’est aussi Joseph, et non Marie, qui reçoit trois visites de l’ange du Seigneur, trois songes qui l’éclairent sur le sens des événements qui surviennent et surtout qui lui prescrivent quelle conduite tenir, quelles décisions prendre et quels actes poser : prendre Marie chez lui, fuir en Égypte, rentrer au pays d’Israël. C’est encore Joseph qui donne à l’enfant les éléments clefs de son identité : trois des noms qui vont le caractériser : Jésus, le Nazaréen, Fils de David. C’est lui enfin qui reçoit la révélation de l’origine et de la mission de l’enfant : « c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. » Ce rôle crucial, Joseph l’endosse totalement, et il semble se conformer exactement au projet de Dieu, tel qu’il lui est manifesté en songe. À partir de là, nous pouvons regarder Joseph comme un simple

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rouage dans l’histoire du Salut, une pièce nécessaire au plan de Dieu et qui va s’emboîter, parfaitement à sa place, pour que s’accomplissent les Écritures. Pourtant, la docilité à l’ange et au projet de Dieu n’est pas la seule caractéristique de Joseph ; il est aussi un homme de projet, un homme de délibération et de décision, un homme qui ne pose pas ses actes à la légère. Ce portrait tient en une phrase : « Joseph, son époux, qui était un homme juste, et ne voulait pas la dénoncer publiquement, décida de la renvoyer en secret. » Comment s’articulent pour Joseph les projets qu’il forme et les projets de Dieu qui viennent bouleverser sa vie ? L’évangéliste ne nous aide pas beaucoup à comprendre comment Joseph vit cela. Luc avec Marie nous donne bien plus d’indications sur ses mouvements intérieurs, les dialogues avec l’ange et avec Élisabeth nous éclairent, ses paroles nous donnent à entendre sa voix intérieure et le souffle qui


Xavier Lavignotte CVX

© Georges de La Tour

l’anime, nous savons même que Marie « sa mère gardait dans son cœur tous ces événements. » Pour Joseph nous n’avons rien de tel, pas même une parole de sa bouche. Ne pouvons-nous pas pour autant essayer de rendre à Joseph son humanité ? Des questions surgissent alors. Quand Joseph apprend que Marie est enceinte, comment le prend-il ? Il l’avait choisie comme épouse et avait déjà obtenu sa main, il se préparait à s’unir à elle, à partager sa vie avec elle, à avoir des enfants avec elle, et voilà que Marie porte l’enfant d’un autre. Tout s’effondre. Comment cela ne le toucherait-il pas ? La venue de l’enfant ne peut alors que faire mal à Joseph. Il doit en être blessé, c’est certain. Quelle forme prend cette blessure pour lui ? Quelle part a-t-elle dans la décision qu’il prend de renvoyer Marie en secret ? Que devient alors son désir de vivre avec elle ? Est-il éteint ? Est-il retourné contre elle en rejet ? Est-il toujours là, mais contraint par les événements se sent-il obligé d’y renoncer ? Et quand le songe survient, comment Joseph l’entend-il ? Comment entend-il le titre royal qui le salue s’il se sent rejeté et humilié : fils de David lui ? Comment entend-il ce : « ne crains pas » ? Réaliset-il la part de la peur dans ce qu’il ressent ? Mais s’il y a de la peur, la peur de quoi au juste ? Et puis cet ange qui lui rend son projet initial : prendre chez lui Marie son épouse ? Marie serait donc toujours sienne ? Il pourrait retrouver celle qu’il croyait perdue ? Enfin l’enfant. Il est irruption de Dieu au cœur de Joseph, dans ses entrailles et dans celles de Marie, au cœur de ses désirs et de ses douleurs, de ses craintes et de ses rêves, dans la réalité de sa maison et de son quotidien. Il vient-là pour sauver du péché, de ce mal que Joseph avait cru reconnaître dans l’enfant de Marie, mais l’enfant est grâce et demande de grâce. Joseph est appelé à le recevoir et à se donner à lui : le recevoir avec sa mère dans sa maison, le nommer pour faire de lui son fils et le fruit de ses entrailles. Et à partir de là, de là seulement, de cette entrée dans l’intimité de cet homme, l’enfant pourra être le sauveur de tout son peuple : JésusEmmanuel : Le Seigneur-sauve-Dieu-avec-nous.

Points pour prier + Je me représente l’enfant qui grandit dans le ventre de Marie + Je demande la grâce d’accueillir Celui qui vient. + Je regarde Joseph, dans sa maison, assis à sa table et faisant ses projets : d’abord comment il va vivre avec Marie, et puis, après l’annonce de sa grossesse, comment il va la renvoyer. Je me rends attentif à ce qui l’habite alors, à ce qu’il pense, à ce qu’il décide, à ce qu’il ressent. + Je regarde Joseph qui se lève. Il a rêvé. Comment est-il à présent ? Qu’est-ce qui a changé en lui ? Que fait-il ? + Moi aussi je me tourne vers Celui qui vient et je repose mes projets devant lui...

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Chercher et trouver Dieu

Repères ignatiens

Quand la terre se dérobe… Ignace rêve de rester à Jérusalem pour suivre au plus près les pas du Christ. Mais son projet s’écroule lorsqu’il est obligé de quitter rapidement la ville sainte. Comment va-t-il réagir ? Comment suivre le Christ dans d’autres conditions que celles prévues ?

22 1. Le Récit dont il s’agit lui a été demandé par les premiers Compagnons, soucieux d’apprendre de lui comment le Seigneur l’a guidé, afin d’en être aidés pour eux-mêmes.

Le Récit est publié aux éditions Vie Chrétienne sous le titre : Ignace de Loyola par lui-même. 14 €.

22 septembre 1523. De Jérusalem, le pèlerin Iñigo écrit à ses amis de Barcelone que son rêve se réalise : le Gardien des Franciscains l’autorise à rester en Terre Sainte. Mais, alors qu’il entame la seconde lettre, il est interrompu par le Provincial « qui lui dit (qu’il devrait) s’en aller le lendemain. » S’ensuit une longue discussion, au terme de laquelle Iñigo se soumet puis va effectuer une dernière visite, au Mont des Oliviers. Enfin « ils partirent le lendemain » (Récit1, n° 45-49).

Le voyage n’est pas sans histoire, mais finalement, après quatre mois, « il arriva à Venise au milieu de janvier 1524 ». Il y a là une période un peu floue, durant laquelle il rencontre d’anciens bienfaiteurs, il souffre du froid… Il semble qu’il ait eu besoin de tout ce temps pour comprendre « que c’était la volonté de Dieu qu’il ne se trouve pas à Jérusalem » ; et alors, « il en vint à se demander sans cesse en lui-même : ‘quid agendum ?’ (Que faire ?) ». Contraste saisissant entre une espèce de torpeur mentale et le surgissement de cette question : comme si, victime d’une chute brutale ayant entraîné une com-

motion cérébrale, il revenait à lui, mais littéralement désarçonné, ne sachant plus ce qu’il avait à faire. Depuis Loyola, il est tendu vers Jérusalem (Récit, n° 8 et 12) ; lorsqu’enfin il y est arrivé, c’était avec « le ferme propos (d’y) rester (…) en visitant constamment ces Lieux Saints ; et il avait aussi le propos (…) d’aider les âmes (Récit, n° 45) ». On passe de la fermeté d’un projet à l’instabilité totale : que faire, puisqu’il ne peut plus rejoindre le Christ en vivant là où il a vécu et souffert – et peut-être en y mourant à son tour, lui aussi martyr ? De l’énoncé de la question, le Récit nous fait passer brusquement à la réponse et à sa mise en œuvre : « À la fin, il inclinait davantage à étudier quelque temps pour pouvoir aider les âmes et décidait d’aller à Barcelone. Et ainsi il quitta Venise pour Gênes » (Récit, 50). On peut avoir le sentiment d’un « plan B » rapidement sorti des cartons. Sauf qu’il y a d’abord la mention « Une fois qu’il eut compris que c’était la volonté de Dieu qu’il ne se trouve pas à Jérusalem », qui suggère que la compréhension a été lente à venir ; puis, « il en vint à se demander sans

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cesse » : ce qui renforce l’impression de longueur ; et encore : « À la fin, il inclinait davantage… » : ce qui, à l’évidence, renvoie à une durée sensible ; et la notion « d’incliner davantage » fait penser à une procédure de discernement telle que décrite dans les Exercices, et qui demande du temps. Comment, de fait, a-t-il procédé ? Nous ne le savons pas. Mais nous pouvons supposer que, cohérent avec ce qu’il a reçu jusque là du Seigneur, et se retrouvant dans un état comparable à celui dans lequel il s’était trouvé à Loyola après le boulet de Pampelune, « il (re)commença à penser plus sérieusement à sa vie passée » (Récit, 9). Qu’en apprenait-il ? Il avait vécu, à vingt-six ans, un premier bouleversement : suite à la disgrâce de son premier « patron », il était passé au service du Vice-Roi de Navarre, et avait ainsi découvert le sérieux de la vie : avec toujours l’objectif de la réussite mondaine, il avait changé de moyens, substituant, pour faire bref, le travail à la séduction captatrice. Cela l’avait conduit à Pampelune… et, de fil en aiguille, à décider de partir à Jérusalem en pèlerin, pour


tidiennement les Lieux Saints et « aidant les âmes ».

à Manresa, où il va rester neuf mois. Il en partira riche d’une immense expérience spirituelle – mais pour laquelle il semble bien manquer de mots précis, et qu’il ne peut pas encore transmettre, alors qu’il en sent un grand désir – avec toujours celui d’aller à Jérusalem, mais, maintenant, pour y rester, fréquentant quo-

Or, voici qu’à deux doigts de réaliser ce projet, il est brutalement renvoyé à son point de départ. C’est bien d’un nouveau boulet de canon qu’il s’agit. Le premier l’avait expulsé de la mondanité pour l’introduire dans la suite du Christ parcourant la terre. Le second va le chasser de la terre matérielle où le Christ a vécu, pour l’introduire dans ce qui ne cherchera plus à être une imitation physique, mais une conformation intérieure, inventant à son tour, pour son propre compte, comment « marcher humblement à la suite de son Dieu » (Mi 6,8). Il va comprendre que sa véritable vocation, c’est d’aider les âmes en leur permettant de vivre ce que lui-même a vécu à Manresa. Pour cela, il ne suffit plus de discours approximatifs, il faut trouver les mots et la façon d’introduire dans une expérience. Cela requiert de se mettre aux études, passage obligé en vue de toute transmission.

© Wikimedia

expier ses péchés. En chemin, il s’arrête à Montserrat pour y marquer sa conversion : il ne serait plus le jeune noble ambitieux, mais le pauvre pèlerin ; il ne chercherait plus la gloire qui vient des hommes, mais celle de Dieu. Ayant ainsi voulu se défaire de son apparence, il s’arrête « pour quelques jours »

▲ Escalier de Saint Pierre en Gallicante à Jérusalem qu'a dû connaître Ignace.

Ce sera alors le long chemin de Barcelone à Alcala, Salamanque et Paris, où va naître la Compagnie, puis Rome, où elle sera confirmée et qui sera pour Ignace la véritable Jérusalem : là, aussi totalement que possible uni au Christ, il pourra « aider les âmes », jusqu’à aujourd’hui et jusqu’aux plus lointaines, aux plus profondes, des périphéries. Bruno Marchand s.j. Janvier / Février 2015 17


Chercher et trouver Dieu

pour aller plus loin Des pistes pour un partage : Quand ma vie bouge, c'est que quelque chose surgit qui vient modifier mon avenir. • Je regarde la situation. Quelle forme prend l’imprévu : un fait, une événement, une limitation, un appel ? Comment prévu et imprévu entrent-ils en opposition ? • Je considère les affects que cela déclenche en moi : perte de contrôle ? perte de repère ? menace pour l’avenir ? autre… • J’envisage les différents choix qui s’offrent à moi. Vais-je ignorer l’imprévu, le refuser ou bien me dire que le changement pourrait peut-être avoir de l’intérêt ? • Dans ce dernier cas comment vais-je prendre les moyens et le temps de discerner pour parvenir à une décision ? • Quand je la mettrai en œuvre, peut-être pourrais-je y trouver du profit, un davantage, une plus grande unité de ma vie… et dire alors comme pour Ignace : « ce n’était pas la Volonté de notre Seigneur qu’il restât en ces lieux saints »

À lire : • Au nom de la mère de Erri de Luca – 2009 – Folio 96 p. – 5,00 €. Les méditations

de Miriam, fiancée à Iosef, quand elle tombe enceinte, et qui sait ce que cette grossesse avant le mariage signifie aux yeux de la Loi.

• Je ne haïrai point de Izzeldin Abuelaish – 2010 – J’ai lu n° 10175 – 285 p. –

6,90 €. Lorsqu’une roquette israélienne vient frapper sa maison, tuant trois de ses filles, un médecin de Gaza ne désarme pas… Et consacre sa vie à la réconciliation israélo-palestinienne.

• Et la lumière fut de Jacques Lusseyran – 2008 – Félin Poche – 282 p. –

12,07 €. Un accident dans la cour de l’école, et c’est une nouvelle vision du monde qui s’offre a lui pour donner une vie étonnante et féconde.

À visionner : • Et maintenant, on va où ? de Nadine Labaki – 2012 – 97 min. DVD 8,59 €. Un village libanais où les femmes usent de stratagèmes pour faire coexister chrétiens et musulmans. Et quand le drame survient, elles redoublent d’ingéniosité et d’humour pour sauver la paix.

Voir sur www.editionsviechretienne.fr d’autres propositions 18 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 33


Babillard

Chrétiens Co-Responsables de la Création La rencontre nationale de l’atelier chrétiens co-responsab les de la création (CCC) se tiendra à Chambéry les 31 janvier et 1er février 2015. Tous les mem bres de la CVX y sont les bienvenus ainsi que leur s amis intéressés par la question et qui souhaitent relire leurs engagements et cho ix à la lumière de l’Évangile afin d’y voir Dieu à l’œuvre et nous laisser toujours interroger par Lui. Nous nous enrichirons de nos expériences réciproques.

Contact : cvxatelierccc@gmail.com

© Joe Bitar Photo / iStock

© B. Strobel

Session-Retraite Cinéma : Tu aimeras

Pour découvrir des mondes différents, visiter des périphéries, connaître et aimer notre réalité dans sa complexité, sa dureté comme son espérance, le cinéma a toute sa place dans les outils du croyant curieux. Cette proposition s’adresse à tout public aimant un peu le cinéma et pensant qu’il n’est pas seulement un moyen de distraction mais aussi un lieu de réflexion. La session animée par Geneviève Roux, religieuse Xavière, aura lieu du dimanche 22 février (18h00) au vendredi 27 février 2015 au centre du Hautmont (59). Chaque jour : Un film suivi d’un débat. Un enseignement : quelles réponses la foi chrétienne apporte-telle à la question soulevée par le film ? Des temps de prière personnels et communs.

Info : 03 20 26 09 61 ou contact@hautmont.org

© Wikicommons

Pour vivre une retraite selon les Exercices en une vie fraternelle silencieuse. Pour que grandisse dans le cœur, dans la façon de vivre et dans celle d’aimer, la liberté intérieure. Animée par Sr MarieClaire Berthelin du 8 au 14 février à SaintHugues de Biviers (38).

Pèlerinage en Terre Sainte

Le pèlerinage en Terre Sainte des Jeunes pro s s’ouvre à tous ! Du ma rdi 5 au samedi 16 mai 2015, venez vivre la Bible sur le terrain, de puis le Neguev, la mer mo rte, Nazareth … jusqu’ à Jérusalem

Inscription avant le 22 fév rier Prix : autour de 1700 € Tel : 05 62 71 65 30 Posez toutes vos question s, à coteauxpais@gmail.co m

Info : 04 76 90 35 97

© Yulia Malinovskata / iStoc k

Se laisser rencontrer par le Christ

cyber Retraite de Carême

monde entier En union avec des chrétiens du de Carême aite 2015 la retr vivez du 18 février au 4 avril aine sem que cha ez avec Notre-Dame du Web. Retrouv iques, prat es rcic exe des nts, cha des pistes pour prier, des des images à contempler…

Inscription sur : ndweb. org

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Se former

école de prière

Méditer avec un journal Et s’il suffisait de changer de regard pour que l’actualité ne soit pas qu’une source de mauvaises nouvelles. Elle peut même soutenir notre prière et devenir source d’expérience spirituelle.

O À lire Pour poursuivre la méditation à partir de ce qui fait notre monde, lisez « Dieu au quotidien » de Jean-Claude Dhôtel s.j. Une aide pour voir Dieu présent dans le concret de nos vies, pour lire le livre du monde, lieu de notre rencontre avec Dieu.Editions Vie chrétienne, 2012. 12,50 €

On médite habituellement avec des textes de la Bible, avec aussi des textes spirituels. Il est moins courant de prier avec un journal.

nation, la mort et la résurrection du Christ, mais un salut comme une semence jetée en terre, un levain caché dans la pâte.

Et pourtant, cela peut devenir le lieu d’une expérience spirituelle très fructueuse.

Être devant ce monde, un veilleur d’espérance qui sait voir ce qui naît, ce qui se transforme dans le sens du Royaume de Dieu.

En effet cette manière de prier développe en nous quatre attitudes : - Développer l’admiration et la compassion devant ce monde dont saint Augustin dit qu’il est la première Bible. Puisque Dieu en est l’auteur, puisqu’il se communique à travers sa création et se dit à travers elle, on peut s’étonner devant ce monde, devant cette humanité traversée de tant de beauté et de souffrance, s’étonner qu’il y ait de l’être plutôt que rien. Admirer que Dieu soit source et fondement de l’existence, pas un créateur au passé mais de toujours à toujours, source de l’être aujourd’hui et compatir de la même compassion de Dieu devant ce qui déshumanise l’humain. - Développer un regard de foi qui voit en ce monde, un monde dans les douleurs d’un enfantement : celui du Salut. Un monde définitivement sauvé par l’incar-

- Développer un regard christique qui sait voir les mystères du Christ dans la vie même de ce monde : Voir dans la vie de ce monde des annonciations, des naissances, des visitations, des purifications, des enfants retrouvés, des agonies, des arrestations, des procès et des condamnations, des outrages, des morts, des résurrections, des ascensions, des pentecôtes, des assomptions, des couronnements. Dire cela, c’est tirer les conséquences de l’Incarnation : Par elle, nous savons que rien de ce qui est humain n’est étranger à Dieu, tout ce qui est humain est visage de Dieu. - Développer un désir plus fort d’apostolat pour faire connaître et aimer Jésus-Christ, pour que son règne vienne en ce monde

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si beau et si blessé à la fois. Il a voulu avoir besoin de nous. Nous sommes aujourd’hui, ses mains, son cœur, pour prendre soin de ce monde, nous engager à le servir dans le sens de la vie.

Comment faire ?

- Ce qui vient en premier, c’est

bien sûr d’en faire une prière d’intercession. À condition de bien comprendre de quoi il s’agit. Il s’agit d’entrer dans le projet de Dieu, qui veut notre bonheur et notre vie, et de lutter par notre intercession contre les forces de destruction. La prière d’intercession est un combat contre le mal. Celui qui intercède est comme un soldat. Mais pas un soldat solitaire, il lutte avec les autres priants du monde mais surtout il lutte sous la bannière du Christ l’unique Intercesseur, Celui qui est vainqueur du mal. Il me semble intéressant de comprendre l’intercession comme un combat à côté du Christ, derrière lui, comprendre que notre prière d’intercession participe à son combat et à sa victoire.


© Jupiterimages / photo.com

Retrouvez d'autres textes de sœur Michèle sur : http://aubonheurdedieusoeurmichele. over-blog.com/

Donc de ce point de vue, il y a suffisamment matière dans la mesure où (et on peut le regretter) la presse s’intéresse souvent à ce qui va mal plutôt qu’à ce qui va bien. - Si vous lisez un journal qui ne se limite pas à rendre compte du bruit des forêts qui brûlent mais aussi du silence des arbres qui grandissent, il y a aussi matière à l’action de grâce. De ce point de vue, des journaux comme La croix, peuvent vraiment aider, car ils ont le souci de parler de toutes celles et ceux qui agissent dans l’esprit du Christ (qu’ils soient croyants ou pas). Il a ainsi matière à rendre grâce

pour tout effort vers le beau, le vrai, le juste dont ces journaux peuvent rendre compte.

Quels fruits en attendre ? 1 - Un décentrement La lecture/médiation du journal nous fait sortir de nous-mêmes, nous décentre. Elle nous aide à ouvrir notre cœur aux dimensions du monde. Nous pouvons ainsi vivre une grâce que sainte Thérèse Couderc a vécu, elle qui disait : « Mon cœur est grand comme le monde » 2 - Un regard contemplatif Elle peut nous faire entrer dans une vraie contemplation :

la lecture du journal, mais aussi la prière dans la rue, mais aussi dans la nature, peut nous amener à une contemplation de l’œuvre de Dieu en me rendant attentif à la vie de ce monde : regarder sa beauté et sa souffrance, écouter ses joies et ses espoirs, c’est en fait me rendre attentif à Dieu qui est créateur et sauveur de ce monde, c’est m’intéresser à ce qui intéresse Dieu. Car la meilleure manière de faire plaisir à un artiste, c’est de s’intéresser à son œuvre. Michèle Jeunet, rc Centre spirituel du Cénacle de Versailles Janvier / Février 2015 21


Se former

Expérience de Dieu…

En étant volontaires à Taizé Réfléchir à sa vie, aider à l’accueil des jeunes et approfondir la prière… voilà ce que permet de vivre le temps de volontariat à Taizé pour les 18-28 ans. Aline et Étienne en sont revenus plus ancrés en Église, en Dieu et tournés vers les autres. De quoi espérer pour cette communauté qui fête cette année ses 75 ans et se tourne vers “une nouvelle solidarité”.

N Taizé 2015 : pour les 75 ans de la communauté et les 100 ans de la naissance de frère Roger, 2015 verra de nombreux événements, dont un rassemblement des jeunes le 15 août après trois années de réflexion « vers une nouvelle solidarité ». Pour donner un souffle neuf aux groupes de prière et intégrer les défis du monde d’aujourd’hui.

Nous nous sommes rencontrés en tant que volontaires à Taizé, il y a cinq ans. À l’époque, chacun de nous deux était venu remettre ses choix de vie entre les mains de Dieu. Pour Étienne, diplôme d’architecte en poche, il s’agissait de prendre un temps de pause et de réfléchir à sa vocation. Pour Aline, c’était une année de césure offerte à Dieu, entre la licence et le master. L’expérience a été audelà de nos attentes et a donné des fruits que nous cueillons toujours aujourd’hui. Vivre à Taizé, c’était tout d’abord répondre trois fois par jour à l’appel des cloches en se retrouvant tous ensemble autour des frères pour un temps de prière communautaire dans l’église de la Réconciliation. Pour tous les deux, ces temps de prière quotidiens nous ont fait découvrir la richesse du silence. Au départ si perturbant et si bruyant intérieurement, ce silence est devenu peu à peu une paix intérieure de communion avec Dieu. Rester à Taizé pour plusieurs semaines ou mois, c’est aussi participer pleinement à l’accueil de ces milliers de jeunes, qui semaine

après semaine, viennent se ressourcer. Durant ces mois de volontariat, nous avons découvert la vie de service. Chaque semaine, nous aidions à des endroits différents : monter ou démonter les chapiteaux et les tentes, nettoyer les chambres et les sanitaires, travailler à la sacristie de l’église, aider à l’accueil de jour comme de nuit, préparer et distribuer les repas, animer des temps de partage… Par ce travail quotidien, nous avons découvert la joie d’être disponible.

nement pour tous les deux. Loin du monde et au cœur du monde, comme chaque volontaire, nous avons été accompagnés par un frère de Taizé pour Étienne, par une sœur de Saint-André pour Aline. Pendant environ une heure, deux à trois fois par mois, nous avons vécu la joie d’être accompagnés dans notre chemin de foi.

Pendant ces mois passés à Taizé, nous avons pu faire l’expérience de la communauté au quotidien avec d’autres jeunes de différents pays européens et aussi d’autres continents. Vivre cette proximité internationale chaque jour, cela menait parfois à gérer des incompréhensions et des tensions mais aussi des moments de belle rigolade. Nous devions être dans l’écoute et l’attention mutuelle avec les autres volontaires pour apprendre à vivre ensemble. C’est dans cet esprit que nous avons tissé quelques belles et durables amitiés.

Par la prière et l’accompagnement, nous avons appris à mieux reconnaître le Dieu aimant et miséricordieux présent au cœur de nos vies, en nous-mêmes mais aussi dans l’autre que nous rencontrons. Aussi, pendant ce séjour, chacun à notre manière, nous nous sommes découverts en profondeur et avons fondé nos vies sur le roc de Dieu.

Cette vie de travail et de prière a été aussi un temps de discer-

22 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 33

Ce passage à Taizé nous a profondément transformés dans notre relation à Dieu et à l’Église.

L’expérience de la communion de prière a été une joie réciproque. Un au milieu de tous, nous avons saisi cette relation unique que l’amour de Dieu nous offre. Nous retrouver quotidiennement pour un temps de prière en couple est


© Sabine Leutenegger

devenu un besoin pour se ressourcer et remettre sa vie au Christ.

La communauté de Taizé

À Taizé, comme à travers les communautés locales visitées lors de la préparation de rencontres internationales (au Kenya pour Étienne ou en Pologne pour tous les deux), nous avons pu saisir notre appartenance à la communauté des chrétiens. Nous avons entendu un appel à en être des membres actifs, aujourd’hui à travers notre investissement dans l’aumônerie étudiante, les jeunes professionnels ou l’animation liturgique.

Les frères de la communauté, avec les sœurs d’autres communautés qui vivent à Taizé, ne pourraient accueillir autant tout au long de l’année sans la présence d’un groupe de volontaires qui rendent possible l’organisation concrète des rencontres internationales.

En s'engageant l'été dernier à cheminer davantage dans la CVX, nous avons voulu poursuivre ce chemin de communauté, de discernement et de prière initié à Taizé. En cheminant en équipe, nous voulons continuer à entendre Dieu qui nous interpelle à travers les autres et les Écritures. Aline et Étienne Mainguené

La communauté de Taizé rassemble une centaine de frères, catholiques ou de diverses origines protestantes, issus de près de trente nations. Elle est signe concret de réconciliation entre chrétiens divisés et peuples séparés.

Les volontaires à Taizé sont des jeunes adultes de 18 à 28 ans qui prennent en charge les diverses tâches pratiques des rencontres de jeunes. Au-delà du travail concret, rester comme volontaire est avant tout une chance pour penser un peu plus aux prochaines étapes de sa vie, à travers la réflexion personnelle, la prière commune régulière et le partage avec les autres. En général, ce sont une quarantaine de jeunes hommes et de jeunes femmes qui restent à Taizé pour quelques mois ou un an. Ils ne viennent pas seulement d’Europe, mais aussi d’Afrique, d’Asie, des deux Amériques et d’Océanie. www.taize.fr Janvier / Février 2015 23


Se former

Lire la Bible

Jonas, le prophète de la miséricorde

Loin de l’imagerie enfantine de Jonas avalé par un gros poisson, Claude Flipo s.j. nous invite à découvrir un prophète reprochant à Dieu sa miséricorde s’étendant à toutes les nations, même à celles ennemies. Un écho pour notre monde, où la miséricorde divine est si difficilement acceptée.

T

Tout le monde connaît l’histoire de Jonas, que la liturgie nous rappelle chaque mercredi de la première semaine de Carême, un bref récit plein d’humour et de sagesse qui porte sa leçon d’universalisme et de miséricorde jusqu’à nous.

Ce que l’on connaît moins, c’est le contexte historique de ce récit. Il fut écrit au cours du cinquième siècle avant J.-C., c’est-à-dire bien après la destruction de Ninive, 24 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 33

© Wikimedia / (cc. by. sa 3.0)

Jonas est envoyé par le Seigneur Yahvé à Ninive, capitale de l’Assyrie, l’ennemie héréditaire d’Israël, pour l’appeler à la conversion. Mais Jonas se met à fuir pour Tarsis, la ville du bout du monde où la Parole de Dieu n’arrive pas. Son navire est pris par la tempête, et les matelots, saisis d’une grande crainte en découvrant sa fuite, le jettent par-dessus bord. Englouti dans le ventre d'un grand poisson, il est rejeté sur le rivage le troisième jour. Alors, il se lève et traverse Ninive, la ville immensément grande, en clamant : « Encore quarante jours et Ninive sera détruite. » Devant la conversion de ses habitants, Jonas est dépité et se plaint amèrement à Dieu de s'être repenti du malheur dont il les avait menacés.

▲ Jonas devant Ninive, extrait de Hortus deliciarum, de l’Abbesse Herrade, manuscrit du 12ème siècle, Strasbourg.


© Reuters / Stringer

▲ La mosquée de Mossoul abritant l'une des tombes supposées de Jonas est détruite à l'explosif en juillet 2014.

suite au retour de l'exil à Babylone, une période de quarante ans au cours de laquelle le peuple d’Israël apprit à vivre au milieu des peuples étrangers et à s’ouvrir progressivement à la question du salut des nations païennes. Ce fut sous Nabuchodonosor, le tyran, qui établit d’une main de fer le nouvel empire babylonien. Et c’est son prédécesseur, Nabopolassar, qui écrasa les Assyriens et rasa Ninive en 612. Le prophète Nahum l’avait annoncé peu avant, avec une puissance d’évocation terrible, comme un jugement de Dieu contre les abominations de Ninive : « Malheureuse Ninive, la ville sanguinaire remplie de perfidie, pleine de rapines, elle qui ne lâche jamais sa proie. Écoutez ! Claquements des fouets, fracas des roues, galop des chevaux, roulement des chars ! Cavaliers qui chargent, épées qui flamboient, lances qui étincellent ! Innombrables blessés, accumulation de morts, cadavres à perte de vue, on butte sur les cadavres ! Ninive, je vais jeter sur toi les débris de tes idoles, te déshonorer, te mettre

au pilori. Tous ceux qui te verront s’enfuiront en disant : ‘Ninive est dévastée !’ » (Nahum 3,1-7).

destruction en 2014 de la tombe de Jonas

C’est précisément à cette ville orgueilleuse, symbole d’idolâtrie et de violence, que Jonas est envoyé proclamer la parole de conversion. « Dieu vit ce qu’ils faisaient pour se détourner de leur conduite mauvaise et Dieu se repentit du mal dont il les avait menacés. » On imagine la stupeur du peuple de Jérusalem. Quoi donc, Ninive, l’abominable, c’est cette ville qui est désignée comme l’objet de la miséricorde divine ! Dans le récit, Jonas lui-même en est affligé et reproche à Dieu sa conduite étrange : « Je savais bien que tu es un Dieu de pitié et de tendresse, lent à la colère, riche en grâce et te repentant du mal. » La réponse divine est superbe : « Toi, tu es en peine pour un ricin qui a poussé en une nuit et se dessèche au lever du soleil… et moi, je ne serais pas en peine pour Ninive, la grande ville où il y a plus de cent vingt mille êtres humains qui ne distinguent pas leur droite de leur gauche, ainsi qu’une foule d’animaux ! »

Dans la suite des temps, Jonas fut honoré dans la mémoire des croyants, et l’on construisit son tombeau au cœur de Ninive, mémorial de la miséricorde divine vénéré par les juifs, les musulmans et les chrétiens durant des siècles. Mais le 24 juillet 2014, la mosquée historique de Mossoul, nom actuel de l’ancienne Ninive, qui abritait la tombe de Jonas, fut détruite à l’explosif. Les djihadistes, dont on sait le sort qu’ils réservent aux chrétiens, aux femmes et même aux fidèles de leur religion suspects d’idolâtrie, ne supportaient pas ce mémorial de la miséricorde. Il fallait supprimer jusqu’à la mémoire de Jonas, son prophète. Quel contraste entre le message de Jonas et l'extrême violence de ceux qui ont voulu détruire sa mémoire !

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Le livre de Jonas fut écrit plus d'un siècle après la prédiction de Nahum sur la ruine de Ninive.

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Lire la Bible

© Metropolitan Museum of Art

Il fallait à l'Esprit de Dieu cette patience pour que s'éveille, au sein du peuple de Israël, la pensée que l'appel à la conversion puisse être annoncé à son pire ennemi, et que la miséricorde de Dieu s'étendait à toutes les nations. Aux pharisiens qui demandent un signe pour croire en lui, Jésus répondra par le signe de Jonas : « De même, en effet, que Jonas fut dans le ventre du monstre marin durant trois jours et trois nuits, de même le Fils de l’homme sera dans le sein de la terre durant trois jours et trois nuits. Les hommes de Ninive se dresseront lors du Jugement avec cette génération et ils la condamneront, car ils se repentirent à la proclamation de Jonas, et il y a ici plus que Jonas » (Matthieu 12,40). Après trois jours où il est descendu aux enfers pour en délivrer les morts, en prenant par la main le pre-

▲ Jonas et la baleine, dans Jami'al-tawarikh, vers 1400, d'après la mention de Janos dans le Coran (37:139).

mier d'entre eux, Adam, comme le figurent les icônes, Jésus sort du ventre de la mort pour annoncer à toutes les nations, par son Église, la bonne nouvelle du Salut.

Pourquoi la miséricorde est-elle si souvent refusée ? « Il est venu chez les siens et les siens ne l'ont pas reçu », affirme saint Jean. Oui, pourquoi donc l’amour n’est-il pas aimé ? Grand mystère ! Rémi Brague, philosophe contemporain, écrit : « Dieu pardonne toujours, C'est son métier ! Mais son problème, c'est de trouver quelqu'un qui accepte d'être pardonné. » C’est pourquoi il a inventé l’économie de l’Incarnation, pour que nous apprenions de lui ce que c’est que l’humilité. Accepter d’être pardonné, c’est reconnaître humblement sa faute, son orgueil, cette suffisance qui trouve de bons motifs pour se justifier et disqualifier les autres. C’est accepter d’être accepté, malgré tout ce qu’il y a d’inacceptable en soi. Jonas annonce déjà l’Évangile : « Soyez miséricordieux comme votre Père céleste est miséricordieux. » « Je savais bien que tu es un Dieu de miséricorde », se fâche Jonas, en lui reprochant de s’être joué de lui. Pourquoi m’as-tu forcé à menacer ces gens, alors que tu savais bien toi-même que tu allais les gracier ? Tu as fait de

moi la risée du peuple ! Maintenant, reprends ma vie. Oui, nous savons bien, nous aussi, que Dieu est en peine pour la grande ville, pour ces millions de gens qui ne savent distinguer leur droite de leur gauche, et sont privés, par la contagion de l’opinion, du discernement entre le bien et le mal. C’est justement pour cette raison que Jésus continue d’envoyer ses disciples pour éclairer les hommes par la Parole de Dieu et les inviter à la conversion, « cette parole vivante, plus incisive qu'un glaive à deux tranchants, qui pénètre et juge les sentiments et les pensées du cœur » (Hébreux 4,12). Étrangers à cette Parole, comme ceux de Tarsis où la Parole de Dieu n'arrivait même plus, comment pourraient-ils se sentir appelés à changer de mentalité pour accueillir la grâce ? Appelés, non par menace, mais par amitié, à devenir conscients que la vraie vie implique un choix entre le bonheur et le malheur : « Voici que je mets devant toi la vie ou la mort, le bonheur ou le malheur. Choisis donc la vie, pour que toi et ta postérité vous viviez, aimant Yahvé ton Dieu, écoutant sa voix et t’attachant à lui. Car là est ta vie ! » (Deutéronome 30,19). Il y faut, comme au prophète de la miséricorde, un certain courage. Claude Flipo s.j.

À vos bibles ! Et si nous prenions le temps de (re)lire les quatre chapitres du livre de Jonas ? 26 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 33


Spiritualité ignatienne

La pédagogie jésuite hier et aujourd’hui Enracinée dans la spiritualité ignatienne, la pédagogie jésuite concerne l’être dans son ensemble et pas seulement le côté scolaire. Partant de la personne, du contexte, de l’effort, relisant les fruits et les moyens mis en œuvre, et donnant du sens, elle a développé des outils originaux au cours des siècles et en appelle encore aujourd’hui à la créativité pour le meilleur des jeunes.

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Développons quelques caractéristiques de cette pédagogie qui se conçoit, pour hier et pour aujourd’hui, comme personnalisée, progressive, contextualisée, exigeante et finalisée. Cinq termes qui ne sont pas exhaustifs, qui ont le mérite de couvrir un large spectre de cet univers éducatif à visée fondamentalement spirituelle et apostolique.

Une pédagogie personnalisée L’attention à l’élève est une première caractéristique essentielle. On y retrouve l’héritage des Exercices spirituels où la préoccupation du prochain est centrale, spécialement dans le dispositif de l’accompagnement. Il est demandé aux in-

© Katarzyna Bialasiewicz / iStock

La pédagogie jésuite tire son inspiration initiale de la spiritualité de la Compagnie de Jésus. Elle se présente comme le croisement entre cette spiritualité et des éléments pédagogiques du modus parisiensis que les premiers Pères de la Compagnie avaient appréciés dans leurs études de philosophie et de théologie à l’Université de Paris dans les années 1530.

tervenants d’un dispositif éducatif ignatien d’agir avec la préoccupation centrale du progrès de chaque élève. Cela demande de veiller sur chacun en cherchant à obtenir un fruit adapté aux possibilités différenciées des jeunes selon leurs aptitudes et leurs ressources. À titre d’exemple, on peut trouver dans les établissements scolaires un échelon supplémentaire d’encadrement : le préfet des études ou responsable de niveau (selon les lieux, l’appellation diffère). Cette personne, en général elle-même professeur, a une mission de coordination de

l’ensemble des classes d’un niveau mais se doit de porter le souci de chaque enfant. Il lui reviendra alors de recevoir régulièrement les jeunes, d’être en relation avec les parents comme avec l’équipe pédagogique pour avoir une vision globale du développement intellectuel, humain et si possible spirituel du jeune. On pressent tout l’intérêt de ce positionnement si la même personne prend en charge deux niveaux consécutifs tels que CM2 et 6ème, ou 3ème et Seconde, ou Première et Terminale pour préparer l’orientation.

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© P. Ponomareva / iStock

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Spiritualité ignatienne

Une pédagogie progressive 1. Je pense ici par exemple au rôle de la prélection dans les études littéraires. Ce terme est un néologisme créé pour adapter la prealectio ancienne qui fit le succès de la Ratio des jésuites. La préparation minutieuse d’un texte (grec, latin ou français) visait à conduire l’élève vers une palette d’exercices sollicitant sa sensibilité et sa créativité et pouvant déboucher sur des jeux scéniques ou des déclamations. Le pédagogue s’adressait autant à la sensibilité qu’à l’intellect.

Autre caractéristique de la pédagogie ignatienne : elle est progressive. Si l’on prend la peine de mettre le jeune au centre pour en prendre le meilleur soin possible, il faut inévitablement consentir à avancer à son rythme et d’une manière qui soit la plus adaptée possible. Cette problématique est générale dans le domaine de la pédagogie. Mais il faut en conserver le cap pour penser et mettre en place des dispositifs qui vont encourager cette progressivité. On trouvera dans cette préoccupation la traduction pédagogique de la notion de bienveillance si chère à cette pédagogie. En ce sens, il est de première importance de s’appuyer sur

le groupe pour aider à ce cheminement. Dispositifs d’entraide par petits groupes, travaux collectifs ou pédagogie par projet permettent de maintenir un rythme et un tempo qui tiendront lieu d’exigence tout en soutenant la fonction d’entraide et la préoccupation sous-jacente d’aider chacun à trouver sa place et à contribuer à l’œuvre commune. On se souviendra à ce propos de cet extrait de la première annotation des Exercices spirituels : « ce n’est pas d’en savoir beaucoup qui rassasie et satisfait l’âme, mais de sentir et goûter les choses intérieurement ». Cette perspective, d’abord destinée au cheminement spirituel, garde toute son actualité dans le domaine pédagogique si l’on pense aux débats récurrents

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sur la lourdeur des programmes. Comment combiner l’accès à une quantité substantielle de savoirs et l’émergence d’un acte personnel de réflexion, qui rende capable de faire des liens, d’habiter les problématiques ? Des ressources existent à la fois dans l’expérience ancienne1 et dans l’espace ouvert à la créativité que requièrent l’approche multimédia ou les moyens de l’enseignement interactif.

Une pédagogie contextualisée Cette caractéristique de la pédagogie jésuite vise en fait tout un processus assez pragmatique. Au point de départ, il est demandé de prendre en compte le contexte dans lequel on se situe avant de


faire vivre une expérience. Pour le pédagogue, il s’agit d’abord de la situation du jeune qu’il rencontre. Il y a là une référence aux Exercices spirituels qui invitent à accueillir la personne à partir du point où elle en est concrètement. Mais cette attention au contexte s’élargit aussi à l’environnement institutionnel de l’établissement et aux enjeux de société. L’étape suivante consiste à faire vivre des expériences. La relecture de ces expériences occupe alors un rôle central pour aider à prendre du recul et à percevoir les ressources qui ont été mobilisées et le mode de fonctionnement du sujet apprenant. C’est une phase de réflexion qui vise la connaissance de soi autant que la maîtrise des notions. À partir de cette étape, des choix sont à opérer et une action doit être conduite. Vient enfin un moment nécessaire d’évaluation pour estimer le fruit produit et valider les progrès qui ont été opérés. Une fois le cycle accompli, il devient possible de sélectionner quelles nouvelles expériences doivent être proposées. Ce principe pédagogique vise par conséquent un certain style, une manière de faire caractérisée par une certaine souplesse et une visée pragmatique. Contexte – Expérience – Relecture – Action – Évaluation représentent cinq étapes du Projet Pédagogique Ignatien (PPI) développé à l’époque contemporaine.

Une pédagogie exigeante L’exigence porte moins sur un résultat que sur une démarche permettant de porter du fruit, de vivre une expérience de croissance

et de se surpasser. On envisagera difficilement d’agir en pédagogue si les désirs d’instruire et de faire progresser l’élève ne sont pas présents ! Toutefois, l’exigence ne se conçoit ici que dans son rapport à la bienveillance déjà évoquée dans le deuxième critère. A la mesure de chacun, selon ce que chacun pourra faire, pour que chacun puisse croître à son rythme : autant d’expressions qui tempèrent l’ambition et la rigueur nécessaires pour mettre en œuvre ce principe de croissance en l’adaptant à ce que chacun peut donner ! Pour tenter d’échapper ainsi à une exigence qui focalise sur l’excellence académique, il est de première importance de développer un autre niveau qui touche à ce que l’on nommera la diligence. Autrement dit une exigence envisagée du point de vue du rapport à l’effort fourni. Cette distinction entre excellence et diligence très ancienne conserve toute sa pertinence. Il faut cependant ajouter que cette exigence ignatienne ne porte pas de manière exclusive sur les questions scolaires. L’éducation jésuite s’intéresse dès son origine à la formation intégrale des personnes. Il s’agit de susciter des hommes et de femmes pour les autres. Cela signifie que l’exigence devra se décliner dans des domaines aussi variés que la relation aux autres, l’attention au bien commun, le respect des personnes et du cadre de vie, l’engagement collectif, une orientation vers plus d’altruisme, une préférence pour l’action solidaire sur l’action individuelle, etc. Voilà ce que nous exprimons sous l’expression latine magis, davantage !

Une pédagogie finalisée Dès l’époque de saint Ignace, le problème de la motivation aux études et de l’utilité de celles-ci se posait ! L’enjeu reste actuel et l’on attend de toute pédagogie ignatienne qu’elle sache mettre en perspective la finalité, le POUR QUOI des études. En effet le travail intellectuel recèle depuis toujours une dose d’austérité qui appelle une parole pour expliciter le sens d’un tel effort. Prendre la peine de formuler cette parole reste un défi majeur pour le pédagogue… même s’il ne parviendra pas toujours à convaincre l’élève en ce domaine ! Mais cette finalité ne peut être uniquement scolaire. Elle concerne aussi l’enjeu spirituel de tout effort intellectuel et la dimension fondamentalement apostolique de cette pédagogie. Sur ces deux dimensions, il existe un chantier immense pour créer ou adapter les moyens aux enjeux contemporains de l’annonce de l’Évangile en contexte sécularisé. Ces cinq traits de la pédagogie jésuite, bien que trop sommairement évoqués, constituent en fait un véritable trésor qui recèle des ressources, des dispositifs ou des moyens pédagogiques à la fois anciens et très modernes. La recherche en ce domaine se poursuit et il ne faut pas perdre de vue la nécessaire créativité qui seule permettra d’en décliner le trésor dans les conditions et avec les moyens techniques actuels du monde de l’enseignement Primaire, Secondaire ou Supérieur.

Sylvain CariouCharton sj, préfet des études au lycée Sainte-Geneviève de Versailles (Ginette) de 2006 à 2014.

Sylvain Cariou-Charton s.j. Janvier / Février 2015 29


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Question de communauté locale

prier EN DÉBUT DE rencontre

J’ai changé plusieurs fois de communauté locale. Dans certaines, on commençait par un temps de prière assez bref, dans d’autres, il nous était proposé de prier sur un même texte avant la réunion et de partager notre prière au début de la réunion. Que faut-il faire ? Y a-t-il des manières de procéder meilleures que d’autres ?

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La première question à se poser est de savoir pourquoi l’on prie ensemble pour débuter une réunion. Qu’est-ce qu’on cherche ? Qu’est-ce qu’on attend en faisant cela ? En général, on arrive en réunion en ayant tout juste quitté une activité, le travail, les enfants… on a parfois affronté des embouteillages, ou un long trajet en voiture. En priant ensemble, nous nous posons tous ensemble devant le Seigneur, nous manifestons que nous mettons tous les échanges qui vont suivre sous son regard, que nous souhaitons nous mettre à l’écoute de son Esprit, à travers la parole de nos compagnons.

1. Voir Revue VX, n° 32, p 27. Vivre une réunion comme une contemplation, par Jean- Fabre s.j.

Cette prière a le même rôle que la prière préparatoire au début d’un temps d’oraison 1. Nous demandons ensemble de nous disposer à entendre le Seigneur dans nos échanges, à déceler dans nos vies sa présence, les enjeux, les combats à mener pour suivre davantage le Christ. C’est en quelque sorte un sas entre ce qui précède et la réunion proprement dite.

La forme de la prière au début de la réunion pourra changer, mais le but recherché sera toujours le même : nous rassembler et nous disposer à recevoir la suite de ce que l’on va vivre ensemble. Si l’on a une décision à prendre ensemble, comme par exemple élire un(e) responsable, on orientera la prière de manière à nous rendre disponibles, libres ; si l’on est dans une période où les relations entre compagnons sont difficiles, on pourra demander la grâce de l’amour fraternel, avec un texte comme par exemple l’épître aux Philippiens (2, 1-5). On pourra bien sûr prendre un texte en lien avec l’axe de relecture de la réunion, ou bien encore une oraison de la liturgie, un hymne, l’écoute d’un chant, le support d’une icône. Quoi qu’il en soit, cette prière sera brève, de l’ordre du quart d’heure. L’important est de se disposer ensemble. Ce temps de prière n’est donc pas à part, mais bien un temps d’introduction. Bien sûr, on peut proposer de prier entre les réunions à partir d’un même texte, mais alors il sera plus

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judicieux d’en faire le corps de la réunion, et d’assortir cet exercice d’un questionnaire qui aide à déceler ce à quoi le Seigneur invite chacun à partir de ce texte ; le partage ne sera pas à proprement parler celui de sa prière, mais plutôt des fruits de sa prière. On pourra aussi proposer un texte d’Évangile, ou autre, comme « arrière fond » d’un questionnaire qui orientera la relecture sur tel ou tel aspect de nos vies ; ce sera alors une manière de « colorer » le questionnaire. Mais de toutes façons, cela ne dispensera pas de la « prière préparatoire ». Noëlle Hiesse

Retrouvez la fiche « la prière en début de réunion » sur le site cvxfrance.com


Š Dawn Hudson / Hemera


Ensemble faire Communauté

En France

De la pauvreté nait la collégialité Trois communautés régionales ont expérimenté ces dernières années des situations de grave crise. Comment faire face ? Chacune de leur côté ont inventé une collégialité, permettant à la Communauté régionale de vivre mais surtout, donnant plus de goût à chacun des membres.

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1. ESCR : Équipe Service Communauté Régionale

Personne pour la nouvelle ESCR1 ! Crise. Ce n’est pas un scénario catastrophe imaginaire, mais bien la réalité vécue par plusieurs communautés régionales en France aux dernières élections, il y a quatre ans. Comment faire ? Laisser vivre chaque CL en roue-libre, en attendant que cela se passe ? La tentation de facilité était là. Après tout, une CL n’a besoin de personne pour fonctionner… ou bien si ? Et les recompositions d’équipe ? Et les journées régionales ? Et l’accueil ?

© Armel G.

En Anjou, le binôme de la grande Région Centre, réunit en novembre 2011 les responsables et accompagnateurs qui décidèrent de faire fonctionner leur Région, ensemble. Les décisions en collé-

gialité étaient nées. « Cela dura deux années, puis il est apparu que quatre responsables étaient plus impliqués que les autres… ils acceptèrent alors, dont moi-même, de composer l’ESCR », explique Muriel Masson, responsable Communauté Anjou. « Mais l’état d’esprit a totalement changé : toute la communauté se sent aujourd’hui responsable et pas seulement une ESCR dans son coin. La crise a créé une adhésion plus forte de chacun. Les responsables sont des relais très sûrs pour la transmission des appels, des services… et cela se voit dans nos rassemblements régionaux : nous y sommes très présents, près de 70 % à chaque fois ». Cela rejoint l’expérience de Claire Rodier, responsable de la communauté régionale Yvelines Nord. La première année de service, seulement deux personnes en ESCR. Ils ont bien tenté de faire rouler, mais c’était trop. Aussi, ont-ils listé les missions dévolues aux ESCR par la nouvelle gouvernance et ont créé des pôles. Pôle accueil, pôle vie de la région et pôle formation. Deux ou trois personnes ont pris en charge chacun de ses pôles. Ils ne viennent pas aux réunions d’ESCR, mais sont très en lien.

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« En mai 2014, nous avons fait une rencontre responsables, accompagnateurs, plus toutes les personnes en service. Après une relecture, nous avons mis à jour ce qui était bon pour la communauté et l’avons voté : la prochaine ESCR sera composée de trois personnes, soutenues par des pôles de service », souligne Claire Rodier. Ce qui a changé pour les membres ? « La communauté régionale semble plus vivante, plus simple, plus accessible. Ils ont compris à quoi servait une ESCR et qu’ils étaient tous en service pour faire vivre la Région ! ». Même écho du côté de Som’Oise. Suite à une crise, il ne restait plus personne dans l’ESCR. Depuis, une assemblée des responsables et des accompagnateurs se réunit régulièrement et prend les décisions, mises en œuvre par une équipe de référents. De ces moments de crise, de cette immense faiblesse révélée est sortie une solution où le Corps de la CVX s’est consolidé. A tel point, que la collégialité est inscrite depuis mai 2014 dans les Normes particulières, invitant chaque communauté à vivre cette collégialité, porteuse de plus de vie.


Emmaüs, un chemin de croissance Une « petite » formation est en train de grandir. Dans plus de lieux et formant de plus en plus de personnes, la formation « Emmaüs » permet un regard approfondi sur sa propre croissance humaine et spirituelle. De quoi renforcer le corps entier de la CVX.

Mais pourquoi s’appelle-t-elle « Emmaüs » ? « La posture du Christ sur le chemin d’Emmaüs est notre référence. Il accompagne les disciples, les éclairant sur les événements de leur vie. Pourtant ce n’est pas directement une formation à l’accompagnement, même si beaucoup se dirigent vers ce service », prévient-elle. En effet, les formations du samedi concernent la personne dans toutes ses dimensions : dans sa relation à soi, aux autres, à Dieu, au monde. On y découvre que les Exercices Spi-

© Gang nach Emmaus, Fritz von Uhde / Wikimedia Commons

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Parmi la palette de couleurs des formations que propose la CVX en France, il y en existe une qui était un peu éclipsée par les autres. Autrefois nommée formation « Sèvres-CVX », elle touchait moins de 20 personnes sur toute la France tous les deux ans. Depuis trois ans, elle a été rebaptisée formation « Emmaüs » et concerne aujourd’hui autour de 50 personnes à Paris et Lyon, et bientôt beaucoup plus. « C’est une formation pour les personnes ayant du goût pour la CVX et qui souhaitent approfondir leur manière d’être, leur mode de fonctionnement avec les autres comme avec Dieu », présente Hélène Bonicel, en charge de la formation sur Lyon.

rituels sont chemin de croissance humaine et spirituelle. Elles se basent sur des apports anthropologiques et bibliques. Les dimanches partent de récits écrits, de situations pratiques qui sont analysées pour y trouver les traces de Dieu dans la vie de personnes, de groupes. C’est une entraide à l’écoute spirituelle. Pas de crainte d’être confiné entre soi : les samedis sont ouverts aux non-CVX, à tous ceux qui accompagnent des groupes. « Le croisement d’expérience est une vraie richesse ! », se réjouit Hélène Bonicel.

Emmaüs en pratique Pour qui ? Pour tous ceux qui ont du goût pour la CVX, qui reconnaissent la CVX comme leur lieu de croissance et qui souhaitent prendre du recul sur leur propre croissance humaine et spirituelle. Comment ? Faire connaître son désir à son assistant régional. L’ESCR appelle ensuite les personnes à cette formation. Où ? Paris, Lyon. Mais d’autres lieux pourraient accueillir prochainement cette formation. Combien de temps ? sur deux ans, 5 week-ends par an. Janvier / Février 2015 33


Ensemble faire Communauté

En France

Trouver Dieu dans ma vi(ll)e

Autour de la fête pour les 30 ans du RJI, près de 300 jeunes et moins jeunes se sont retrouvés à Paris fin octobre 2014 pour expérimenter de nouvelles façons de trouver Dieu dans son quotidien. Plusieurs membres de CVX témoignent des richesses reçues.

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© RJI

Mais que pouvaient bien faire ces 300 jeunes à parcourir les lignes du métro parisien un week-end d’octobre ? Faire la fête et trouver Dieu dans leur quotidien, bien sûr ! Pour fêter ses 30 ans, le RJI (Réseau jeunesse ignatien) avait organisé un grand rassemblement pour les 18-35 ans de toute la France, comme pour tous ceux ayant partagé une aventure avec le RJI au cours de ces trente dernières années. Bien entendu, des

membres de la CVX y étaient. Notamment des CVX-Jeunes. « Par plusieurs canaux j’ai reçu l’invitation, se souvient Florence Warnier, jeune trentenaire, je me suis sentie vraiment invitée et heureuse de pouvoir retrouver des anciens croisés à La Louvesc, Penboc’h ou Manresa ». Ce que confirme Flore Cutuli dans la vingtaine et depuis un an en CVX, « C’est un peu comme retrouver les copains de mon enfance avec qui j’étais au MEJ et se rendre compte que l’on est devenu des adultes réfléchis et actifs ! ». Au-delà des retrouvailles, des partages sur ce qui donne sens à sa vie et des chants, des expériments origi-naux étaient proposés pour trouver Dieu dans la ville, pour changer de regard. Sur des lignes de métro ou en Vélib, des groupes de 7 à 8 jeunes ont rejoint des ate-liers très variés. C’est ainsi que Flore a « appris à contempler la ville, ville qui grouille et qui

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peut faire peur, afin de l’apprivoiser pour pouvoir y prier. J’ai peint Paris depuis un 8ème étage afin de retranscrire des émotions, des sensations que procure cette ville. J’ai également fermé les yeux sur un trottoir, me laissant frôler par les bus. Nous avons pu appréhender ce flux de parisiens qui “vont vers”, toujours dans un mouvement pour avancer. » Parmi ces expériments, un atelier clown proposé par Agnès Penet, alias Cracotte, proposait de regarder les autres avec le regard bienveillant du Père pour ses créatures, comme s’ils étaient des œuvres d’art, ou bien encore d’ouvrir les yeux comme si c’était la première fois qu’ils voyaient le monde. « Ils sont repartis heureux de cette expérience et avec un regard différent », souligne Agnès. Cette rencontre ponctuelle et festive peut-elle avoir un impact sur leur vie en communauté locale ? « J’ai découvert des personnes en CVX avec des talents que je ne vois pas habituellement en CVX ; et des non CVX qui pourraient venir témoigner auprès des jeunes CVX. Mais surtout cela m’a confortée que j’étais bien en CVX. J’y suis à ma place », confirme Florence Warnier.


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Venez au puits de la rencontre !

Vous venez de recevoir le livret qui accompagne toute la communauté vers le Congrès 2015. Si, pour beaucoup, c’est le moment de commencer à y penser, d’autres y sont plongés depuis de longs mois. Que de rencontres faites de prière, d'échanges et de discernement pour cette équipe de préparation !

Mais eux, comment se sont-ils rencontrés ? « N’étant pas fan des grands rassemblements, je n’ai jamais vécu de Congrès, et j’étais peu impliquée dans la vie régionale alors que je suis en CVX depuis 12 ans. Pourtant j’ai été appelée. Il faut dire que j’avais répondu au sondage “Semailles et moisson”, une bonne idée », explique MarieClaude. Jean-Paul était également assez loin de la vie régionale. « J’en étais à ma seconde journée régionale en 12 années de CVX ! J’ai entendu qu’il y avait besoin de personnes pour préparer le Congrès. Invité à parler de mes goûts et de mes compétences, je me retrouve responsable du pôle animation du Congrès ! Mais ce fut une évidence cet appel pour moi », s’émerveille encore Jean-Paul. Tous ne sont

pas novices, mais tous sont porteurs d’une envie de faire vivre à la Communauté un moment fort autour des « frontières » auxquelles nous sommes envoyés. Même les enfants ! Près de 400 jeunes de 0 à 18 ans sont attendus à CergyPontoise. Aline, responsable de l’animation des enfants, souhaite attiser, chacun selon son âge, leur soif de rencontres. Elle précise : « Une véritable animation est en train de se construire pour permettre aux enfants de vivre pleinement le temps du Congrès. Un camp MEJ sera également proposé pour les enfants âgés de 8 à 13 ans. De quoi découvrir ou approfondir la spiritualité ignatienne, sur trois jours ou une semaine ! »

dans l’Évangile. Là se trouve l’eau vive nécessaire à la croissance de la CVX et de ses membres. » La manière d’œuvrer ensemble adoptée par cette équipe est assez classique en CVX : « Nous nous retrouvons tous les mois pour partager là où nous en sommes et nous laisser déplacer par les commentaires, les intuitions de ceux qui travaillent sur un autre aspect pratique. Et chaque mois, ce sont de nouveaux fruits ! », s’enthousiasme Marie-Claude.

Vous avez perdu le livret ? Retrouvez-le en téléchargement sur le site cvxfrance.com

Une grande joie intérieure anime chacun malgré le poids du travail. « N’est-ce pas le signe que chacun est bien ajusté à sa mission, laquelle contribue à l’unité intérieure et à l’unité entre tous », conclut l’accompagnateur.

« Attention, prévient cependant Paul, accompagnateur de l’équipe de préparation du Congrès, nous ne souhaitons pas faire vivre seulement un temps de réflexion et d’échange autour des orientations de l’Assemblée de communauté et des frontières ! Un congrès de la CVX plonge ses racines ▲ L'équipe de préparation invitant à la rencontre. © Droits réservés

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Prévoir le thème du Congrès, le déroulement, l’accueil, le logement, l’animation des grands et des petits, les déplacements et les nombreux détails urgentissimes… est une aventure intense. Une équipe d’une vingtaine de bénévoles s’est constituée depuis 2013 pour concevoir et prendre en charge les mille et un détails qui permettront à chacun de vivre le Congrès, qu’il y soit présent en juillet prochain ou non.

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Ensemble faire Communauté

En France

Île Maurice, l’avènement d’une communauté

L’Île Maurice a reçu, lors de l’Assemblée mondiale, la CVX France comme marraine. Des contacts se font régulièrement. Giselle Cheng, la responsable de la CVX mauricienne nous retrace l’histoire des premiers pas vers la CVX.

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« Finalement, le monde est un village ! » sourit Giselle Cheng en ajoutant, malicieuse, « même si le monde est déjà sur mon île ! » Son île, c’est « Maurice », comme disent les habitants de ce petit paradis flottant au large de Madagascar. Sur 2 000 km2 de territoire, se côtoie une mosaïque de cultures et de religions « Nous vivons dans une vraie harmonie et un climat de paix… peut-être conscients que nous sommes tous immigrés ! » explique Gisèle, qui voit défiler cette diversité dans le petit commerce qu’elle tient à Vacoas, au cœur de l’île.

© Toutaitanous2

Pour son diocèse, elle est également formatrice spirituelle et… accompagnatrice de deux équipes

cvx. « Nous venons juste de fêter les 150 ans de présence jésuite chez nous, la cvx en découle naturellement ! » Les Exercices ou les formations à la spiritualité ignacienne sont fréquemment proposées et suivies dans le diocèse. C’est à la fin des années 90 que Gisèle note l’existence de la première communauté, à Rose Hill : « Cela vient de la demande de personnes à la recherche d’un groupe pour cheminer à la suite du Christ. Chacune était engagée au service de la justice, de l’Église ou auprès des plus pauvres. Leur désir était de trouver un lieu où faire l’unité dans leur vie professionnelle, familiale, sociale et de foi. Étant tous amis avec le père Jean Dravet, jésuite, celui-ci a pensé que CVX leur conviend ra i t » . E t c'est la rencontre avec le père André Hebditch (actuel assistant de Maurice), tout juste arrivé de France pour rejoindre la communau-

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té jésuite locale, qui va accélérer l'implantation de la cvx. En 2001, on compte 9 autres équipes locales sur l'île ! « L'année 2004 a été charnière pour la structuration de la communauté nationale » se souvient Giselle, qui en sera responsable. Car, si les communautés fleurissent sur l'île, elles restent très indépendantes, sans lien véritable. Les membres vont être invités à se doter d'un comité exécutif, et vont découvrir… « les Principes Généraux, le parcours d'accueil, le rôle de l'accompagnateur, celui du responsable… bref, tout ce qui fait que cvx est cvx ! » se réjouit Giselle qui ajoute : « Les 10 années qui suivent sont un enchaînement de formations et de rencontres d'une richesse formidable ! » Un itinéraire qui l'a conduite à Nantes au printemps dernier pour rencontrer les membres de la CVX Loire Océan, associés désormais à l'itinéraire de la CVX Maurice ! En effet, lors de la dernière Assemblée mondiale, au Liban, « Maurice est invité en tant qu'observateur, et reçoit pour parrain la CVX en France » ! Un beau compagnonnage en perspective. Laetitia Pichon


Dans le monde

rencontre européenne à Luxembourg « Vivre l'accueil des Roms : osons la rencontre ! » Autour de ce thème européen des membres de CVX venant de Hongrie, Allemagne, Autriche, Italie, Espagne, Luxembourg et France se sont retrouvés en novembre 2014 pour partager expériences et appels.

La « parole » des Roms, euxmêmes, nous a été donnée, à travers des vidéos et prière, faisant écho de leur vie et de leur désir que leur situation change en Europe où ils sont toujours parmi « les marginaux, les malvus, les exclus », comme en Roumanie et en Bulgarie où de nombreux Roms vivent. « Nous nous sommes laissés toucher par ce que vit ce peuple, la plus grande minorité ethnique d'Europe, leurs conditions de vie inacceptables au regard de la dignité humaine, les engagements inconditionnels de compagnons CVX, explique Catherine Lemare. Nous avons tenté de dégager les points qui fondent un

regard ignatien dans la rencontre avec ces familles Roms à la fois résidentes et migrantes ». Denis Dobbelstein de l'ExCo mondial a invité à aller plus loin : « devenir davantage communauté apostolique à travers notamment un réseau CVX migration plus actif ».

d'asile. « Par cette rencontre, mon regard a changé sur les Roms. Derrière la personne, je vois maintenant un peuple, citoyen, européen, avec son épaisseur historique et culturelle. Je sais que je peux attendre quelque chose d'eux ».

« Cette rencontre permet de nous ouvrir à la dimension européenne et mondiale de la CVX car de tous pays d'où nous venions, nous sommes chacun concernés par l'accueil et le respect des migrants. J'ai été frappée par la CVX Italie qui, face aux nombreux migrants arrivant sur leurs côtes en 2014, s'est disposée pour aller voir, écouter, et discerner. C'est vraiment répondre à cet appel à suivre le Christ incarné présent aux frontières », souligne Catherine, qui ellemême par sa profession accompagne des demandeurs

Après Agnès du Luxembourg, Marie-Adélaïde et Marie de la CVX Espagne ont annoncé qu'elles acceptaient de coordonner le travail en réseau européen autour des migrations. De quoi donner confiance et renforcer la mission communautaire.

Pour en savoir plus : atelier étranger sur cvxfrance. com

© Baloncici / iStock

C

Comment davantage connaître la vie des Roms, comprendre leur désir de voyager pour offrir un « avenir meilleur à leurs enfants » ? Comment nous soutenir dans cette mission souvent difficile auprès de ces personnes qui décident de quitter leur pays ? C'est en partageant autour d’une thématique européenne, l’accueil des Roms, que les animateurs du réseau migration avaient invité une trentaine de personnes à Luxembourg dont huit compagnons de l'atelier étranger en France.

Janvier / Février 2015 37


Ensemble faire Communauté

Dans le monde

Week-end national CVX Zimbabwe Sur la route de Magis Africa (lire la revue N° 32 p. 37), Marie-Emmanuelle a participé au week-end national de la CVX Zimbabwe « From our roots to the Frontiers », où les mêmes questions qu'en France traversent la Communauté mais où la mission prend d’autres formes.

A

Arrivée à Harare avec 25 h de retard, quel soulagement de retrouver les quatre membres CVX qui m’attendent à l’aéroport ! Leurs sourires, leur accueil chaleureux me rassurent. Sur la route de Silveira Mission, à 350 km au sud, la transition de la ville à la campagne, de la technologie à une vie très simple se fait rapidement. Les WC à la turque dans le noir complet, les handicapés me demandant de l’argent perturbent mes repères. Et la nuit noire tombe tout d’un coup à 18 h !

© Droits réservés

À Silveira Mission, quelle joie de

voir tous ces jeunes collégiens et lycéens rassemblés pour leur veillée finale ! Ils sont 373, membres de « CLC Youth » dans leurs établissements. C’est une des missions de la CVX Zimbabwe depuis 1999 : chaque CL est responsable de trois établissements scolaires. Je retrouve 20 autres adultes de CVX, ce qui fait le quart de la communauté nationale. Je suis touchée par leurs attentions à mon confort et à mes mains propres aux repas. En 2013, le thème de leur weekend était « Nos racines ». En mémoire de ce dernier rassemblement, ils m’avaient demandé de présenter l’histoire de la CVX en France. Le document envoyé par l’ESCN et sa traduction en anglais m’ont permis de découvrir moi-même mes racines et de m’enrichir. Ils ont été interloqués par le grand nombre de membres CVX alors qu’ils entendent sans

38 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 33

cesse que l’Église en France meure. Cette année, le thème était « Les frontières » et l’élection de la nouvelle équipe nationale. Que faire, en tant que CVX pour l’environnement ? Remettre en place la culture de la poubelle, du nettoyage. Même sur leurs lieux de rassemblement elles sont rares. Les bords des routes sont une décharge à ciel ouvert ! L’enseignement de la religieuse sur les trois piliers de la CVX – spiritualité, communauté locale et mission – était très concret, ludique et marquant : elle a utilisé le pot de cuisson des repas qui a besoin de trois pierres pour tenir en équilibre. Si une manque, il ne tient pas. À leurs côtés, j’ai vraiment expérimenté le style de vie simple. Manger avec les doigts propres et une fourchette, prendre l’électricité du culot d’une ampoule au plafond de la salle de réunion, retourner l’affiche CVX pour en faire un écran de projection. Pour eux c’est évident, pour moi si surprenant ! À la fois ils attendent de la CVX France une aide sur la formation et à la fois ils peuvent nous apporter beaucoup sur la vie simple et la mission. Marie-Emmanuelle Reiss CVX


Billet

HOMMAGE AUX MAGES

En aumônerie d'étudiants, début janvier, elle est incontournable. Cette année, vidéoprojecteur tout neuf oblige, nous avions annoncé : i-Mages, vision d’artistes. Et sur le mur de la chapelle la caravane s’était mise en marche : mages médiévaux, rococo, surréalistes, souriants, hiératiques, émus, casqués ou enturbannés, avec ou sans chameaux. De toute origine ethnique, de tout âge. De toute beauté. Claire osa une synthèse : - On veut suggérer que toute l’humanité se rend à Bethléem. Donc, soit, le look des mages évoque les cinq continents… -… À une époque où l’on n’en connaissait que trois. C’était Luc. Merci, Luc. Claire a tenu bon. -… Soit ils sont de générations différentes, pour balayer l’axe du temps : jeunesse, maturité, vieillesse. Chaque fois, ils disent l’universel. - Le mage africain « venu d’Orient », c’est joli, comme mensonge, a dit Sophie. - Jolie toi-même ! a rétorqué Damien. Tu veux voir que c’est vrai, un Africain à Bethléem ? Va en Lorraine, dans l’église du village de ma grand-mère. Au-dessus de l’autel, depuis 1 500 et des brouettes, les habitants ont les yeux fixés sur une Adoration des mages. L’un des trois est un grand black. Eh bien, à la Révolution, dans leurs revendications1, ils ont réclamé l’abolition de l’esclavage. Tu peux parier qu’aucun de ces paysans n’avait croisé un Noir de toute sa vie. Seulement voilà, comme, depuis des générations, ils en voyaient un aux pieds de Jésus, ils étaient sûrs que c’était un homme comme eux. Ton joli mensonge, il leur avait appris la vérité !

© photos.com

Marie avait pensé au cidre. Séb avait apporté des écocups à la propreté douteuse, mais au slogan sans ambiguïté - Sauvez la forêt : mangez un castor. Olaf attaquait la galette avec un couteau suisse. C’était un massacre. Que Jean sanctionnait d’un vibrant : « Non aux soirées Canif pour tous ! » Bref, la rencontre Épiphanie était lancée.

1. En vue des Etats Généraux de 1789, ont été constitués, sur tout le territoire français, des « cahiers de doléances » : des registres où étaient consignés les protestations et les vœux adressés au Roi. Beaucoup étaient rédigés le dimanche, jour de la messe, où tous les villageois se retrouvaient.

« L’art est un mensonge qui dit la vérité », risqua Paul. Ce n’était pas de lui. La suite, en revanche, c’est du tout-Paul : - Damien, sur ton tableau, les deux autres mages, Iroquois ? Martiens ? La grâce était passée. À l’aumônerie, elle survient toujours, mais il faut la saisir au vol. - Non, classique : un Turc à cimeterre et un Slave en bonnet de fourrure. - Du castor, pour sauver la taïga ? Philippe Robert s.j. Janvier / Février 2015 39


Prier dans l’instant

DEVANT L’ENSEIGNE D’UN MAGASIN Traversant un quartier de la ville pour rejoindre la gare, je passe souvent par le même chemin.

© Catherine Raphalen

Quartier de petites rues, où les commerces changent souvent, sans que j’y prête vraiment attention. Pourtant, aujourd’hui, j’ai un peu d’avance et une devanture attire mon regard. C’est nouveau, cette boutique d’objets pour la maison. La vitrine est joliment agencée, simple, chaleureuse. Je lève les yeux pour découvrir le nom de l’enseigne « murmure intérieur ». Tout un programme peut-être pour le logement à habiter, à installer. Au risque de rater le train, je ne peux rester plus longtemps devant la boutique. Alors ce sont ces mots qui viennent avec moi, au-delà des bruits qui m’entourent, comme une invitation à percevoir autrement le cœur de la ville, à entendre ce qu’elle me dit de ses habitants, de son environnement… Et puis encore plus profond, il y a peut-être, une parole du Seigneur ? A-t-il quelque chose à me murmurer ? Et moi, ai-je quelque chose à lui murmurer ? Je m’interroge sur mon silence intérieur. Et dans le reste du trajet, j’écoute les bruits des voitures, des travaux, des tons des conversations de ceux qui me précèdent de quelques mètres… Et je finis par me tourner vers le Seigneur pour lui demander, tout doucement de bénir toutes ces personnes, et l’ensemble des habitants de la ville. Je le remercie pour ce « murmure intérieur » et désormais, je suis davantage attentive à ces enseignes, car peut-être m’attend-il au détour de l’une d’elles ? Catherine RAPHALEN

Nouvelle revue Vie Chrétienne – Janvier / Février 2015


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