Gardanne mise sur l'accueil des Roms (Pèlerin, mai 2014)

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actualité france

Depuis un an et demi, 80 Roms de Roumanie sont installés dans une ancienne mine de charbon, à Gardanne (Bouches-du-Rhône). Un accueil rendu possible grâce au travail commun de l’État, des services municipaux et de bénévoles.

Gardanne mise sur l’accueil des Roms CORRESPONDANTE SPÉCIALE ÉLISE BERNIND PHOTOS VINCENT BEAUME

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’AI TRÈS PEUR que ma famille soit à nouveau à la rue », s’inquiétait Maria, 29 ans à quelques jours des élections municipales en mars dernier. Cette jeune femme au visage rond et doux est désormais rassurée : avec son mari et leurs quatre enfants, elle pourra continuer de vivre à l’abri dans leur caravane. Il y a un an et demi, environ 80 Roms de Roumanie, comme elle, ont été accueillis par la municipalité communiste de Gardanne (Bouchesdu-Rhône). Roger Meï, le maire sortant, a été réélu de justesse et l’épée de Damoclès de l’expulsion s’est éloignée.

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Ce choix de l’accueil, « en accord avec les droits de l’homme et qui ne coûte rien aux Gardannais », répète le maire, est unique dans le département. Les Roms de Gardanne ont l’eau, l’électricité, reçoivent une aide des Restos du cœur et sont accompagnés dans leurs démarches administratives et de soins. Ils ont été installés sur un ancien terrain d’extraction de charbon, appelé le Puits Z. L’endroit, à moins d’une demi-heure à pied du centre-ville, est peu habité et a une vue dégagée sur le massif de la Sainte-Victoire et la centrale thermique de la commune. « L’Évangile n’est pas une matière à options. Les Roms sont nos frères. Il est inacceptable qu’ils soient traités comme une sous-catégorie », s’insurge Christine Vérilhac, militante depuis

Le P. Thierry Destremau en compagnie de jeunes Roms de Gardanne.

plus de vingt-cinq ans au CCFD-Terre solidaire*. Elle et une poignée d’autres militants venus de tous les horizons ont interpellé le maire et créé le collectif Roms de Gardanne pour coordonner la vie du Puits Z. Peu de temps après leur installation, les familles roms signent une charte qui les oblige notamment à scolariser leurs enfants et à ne pas accueillir de nouveaux résidents sous peine de devoir quitter les lieux. « Ici, je peux faire chauffer de l’eau, doucher mes enfants, refaire nos papiers, voir un médecin », explique Maria dans un bon français. « Avant, je cuisinais dans la rue. Les enfants étaient tout le temps sales et malades », se souvient-elle. Son dernier enfant, baptisé le 13 avril, s’appelle Christian, comme l’un des deux policiers municipaux qui passent quotidiennement sur le camp.

« L’intégration des Roms passera par les enfants » Les bénévoles du collectif prônent « un accompagnement sans assistanat » et rappellent que le Puits Z n’a pas vocation à être pérennisé. Depuis le début, les enfants sont scolarisés dans des écoles différentes « pour faciliter leur intégration ». Ils parlent désormais tous français. « C’est avec eux que les progrès sont les plus spectaculaires. On n’avait pas mesuré dans quoi on s’engageait. On est vraiment parti de zéro », raconte Géraldine Fermiana Vitorino, paroissienne très impliquée dans le collectif, qui affirme avoir retrouvé le plaisir d’enseigner à leur contact. « L’intégration des Roms passera par les

Camp rom de Gardanne sur le Puits Z, ancienne mine de charbon de la commune. Cours d’alphabétisation, mené par Sandra, pour les femmes roms de Gardanne. La commune a fait le pari de l’accueil.

enfants », assure Didier Bonnel, coprésident du collectif. À l’image de cet adolescent de 15 ans, impossible à distinguer des autres jeunes Gardannais. « Mes copains disent que je suis arabe comme eux car j’ai un accent. J’ai une petite copine. Ça se passe bien avec ses parents, mais je préfère que les miens ne soient pas au courant », confie-t-il, à l’écart d’une partie de foot devant les caravanes. Pendant que les enfants sont à l’école, les femmes s’occupent des plus petits et les hommes chargent et déchargent leur camion de déchets à recycler. En revendant les métaux trouvés dans les poubelles de Marseille, une famille gagne au maximum 200 à 300 euros par mois. Depuis janvier 2014, les Roumains et les Bulgares ont le droit de travailler en France comme n’importe quel autre citoyen européen et la simple inscription à Pôle emploi, sans indemnisation, donne un droit de séjour de six mois sur le territoire, au lieu de trois auparavant. Nicolaï, le mari de Maria, les traits juvéniles « espère que ça va marcher avec Pôle emploi car on n’a pas appris de métier ». Il s’imagine laveur de vitres, éboueur ou employé dans une déchetterie. Maria, elle, femme de ménage, gardienne d’enfants ou ouvrière agricole. « On présentera à

P. Thierry Destremau

« Les Roms ont la même foi » « Quand les Roms sont arrivés à Gardanne, les paroissiens se posaient des questions. D’un côté, la culture de l’amour du prochain est fondamentale dans l’Église. De l’autre, l’image des Roms est tellement négative. Il y a au moins une dizaine de catholiques pratiquants très actifs dans le collectif. Ils se sont mobilisés dès le départ, par conviction personnelle. Puis un deuxième cercle de paroissiens, plus prudents, se sont lancés quand on les a sollicités pour leurs compétences. Ils se sont dit : « Si le prêtre s’implique, ça doit être possible. » Au début, il a fallu Pôle emploi ceux qui sont le plus près de l’intégration », explique l’assistante sociale du centre communal d’action sociale (CCAS) qui est en charge des 80 Roms de Gardanne. « S’il y a la moindre chance de trouver un boulot à certains d’entre eux, il ne faut pas la négliger. Ce sera bien aussi de montrer, sans claironner, aux Gardannais que petit à petit, les Roms trouvent du travail », espère Didier Bonnel. Car la cohabitation avec les 20 000 habitants de la commune n’est pas toujours sereine. « Les rumeurs les plus folles circulent et à chaque fois qu’il y a un vol, les Roms sont accusés, comme s’il n’y avait pas de voleur dans cette ville. On a eu deux cas de vol de métaux au début. Une famille a été obligée de partir et un homme est actuellement

les rassurer, mais ils ont été agréablement surpris par l’accueil et depuis, certains sont bien mordus. Les Roms de Gardanne sont orthodoxes. Deux femmes viennent parfois à la messe dominicale. Leurs prières sont sincères, même si elles aiment aussi venir pour profiter de la fin du marché et parce qu’une paroissienne apporte des choses pour elles. Un dimanche, nous avons a récité le Notre Père en français et en roumain pour montrer que les Roms ont la même foi. Cette initiative a été plutôt bien perçue. » RECUEILLI PAR E. B.

en prison pour ça », résume la police municipale. « Comme je l’ai dit aux Roms, il faut réussir pour vous et pour vos collègues », prévient le maire. En mai 2012, quatre mois avant leur arrivée à Gardanne, Mgr Dufour, archevêque d’Aix et Arles, écrivait dans le journal diocésain : « L’ordre d’expulsion des Roms n’est pas une solution. Si on les traite comme… des chiens. Il ne faudra pas nous étonner s’ils attrapent la rage ! » ● * www.ccfd-terresolidaire.org LES

DU WEB

« La vérité sur les Roms », notre dossier à découvrir dans notre rubrique « L’actualité autrement » sur cette communauté décriée en France.

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