Bill viola

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L’HUMANISME MYSTIQUE DE BILL VIOLA


MONA LISAIT BOOKS FACTORY COLLECTION

Alan Ansen / Quiconque ramasse une poële-à-frire détient la mort Alfred Jarry / Poèmes Peter Orlovsky / Cher Allen : Le bateau accostera le 23 janv. 58 Jack Micheline/ River of red wine et autres poèmes D.A. Levy / Poème sur la mort d’un monastère de banlieue Brion Gysin / Blue baboon blues Barry Miles / Deux lectures sur le travail d’Allen Ginsberg William S. Burroughs / Les peintures de Brion Gysin Jean-Luc Parant / Nos yeux sont intacts D.A. Levy / Prose William S. Burroughs / Le temps des Assasins Lawrence Ferlinghetti / The breeding blues et autres poèmes FJ Ossang / Tenèbres sur les planètes Renaud Faroux / Narcisse à Echo Park Renaud Faroux / Black Kafka à Houston Renaud Faroux / Premier ticket pour East L.A. Hors-Série Une fille derrière la salle de bains de Gilles Berquet On safari with Colonel Baxter de Glen Baxter Le ciel est par dessus le toît de Dobritz Boites d’artistes L’horizon de nos yeux de Jean Luc Parant Les constellations de Stéphane Carricondo Le dessin des rèves de Myako Ito Jean-Jacques Tachdjian et ses fontes organiques

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R enaud F arou x

L’HUMANISME MYSTIQUE DE BILL VIOLA

Paris MMXIV

MONA LISAIT BOOKS FACTORY COLLECTION


BILL VIOLA dans son usage de la technologie vidéo convoque un univers d’images digitales qui s’inscrivent dans l’histoire de l’art. Il aime faire références aux grands maîtres. Goya dans « The Sleep of Reason », Jérôme Bosch dans « The Quintet of the Astonished », Pontormo dans « The Greeting » et bien d’autres rendent compte de l’éclectisme de sa culture. Il fait remarquer que « le passage de la Renaissance au Maniérisme est identique » de son point de vue « au passage du cinéma à la vidéo ». 4


DES FRESQUES EN CINÉMASCOPE Il suffit de parcourir les étagères de la bibliothèque de Bill Viola dans son bureau personnel, face à sa maison à Long Beach (California), pour deviner un esprit ouvert à de larges et nombreuses références, qu’elles soient mystiques (De Saint Jean de la Croix à Lala Al-din Rumi), philosophiques (des Grecs au chef amérindien Seneca), poétiques (des moines zen japonais à William Blake), artistiques (des fresques bouddhiques d’Alchi aux peintres de la Renaissance italienne). Le spectaculaire polyptyque « Going Forth By Day » forme un vaste ensemble mural de tableaux digitaux dans le même esprit que les fresques de Giotto dans la basilique Saint-François d’Assise - sommet inégalé de l’installation artistique selon Viola et référence prestigieuse de l’artiste. Comme source première d’inspiration Viola cite les fresques de Lucas Signorelli sur la fin du monde peintes entre 1499 et 1504 sur les murs de la cathédrale d’Orvieto. Sa pièce se présente sous forme d’une structure en cinq parties où cinq films vidéo de trente-cinq minutes sont projetés simultanément. Ils déroulent les cycles de la naissance, la mort et la renaissance ; les relations entre les individus et la société ; les interactions entre le temporel et le spirituel. Par là Viola rend aussi indirectement un glorieux hommage à Dante et à la tradition qui dit que le poète rendit visite au Maître d’Assise pendant qu’il achevait ses travaux à la Chapelle de Padoue. Si Viola cite des sources spécifiques de la Renaissance pour ses travaux, ses vidéos se situent dans le présent, et les sources ne seraient pas apparentes pour la majorité d’entre nous si l’artiste

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ne nous les avait pas indiquées. Ses films sont localisés dans notre monde d’ aujourd’hui : « Fire-Birth » (Le feu-La Naissance) montre une femme nue suspendue dans un étrange état entre la mort et la renaissance nageant dans ce qui semble un montage d’images d’eau et de feu. « The Path »(Le Chemin) explore le vaste panorama d’une forêt à travers laquelle des personnes de tous âges marchent à leur propre vitesse, comme des intermédiaires entre deux mondes. Avec « The Deluge » des protagonistes anonymes passent et repassent devant une construction en pierre nouvellement restaurée puis sont pris de panique quand des vagues d’eau se déversent des portes et des fenêtres du bâtiment. « The voyage » décrit la fin d’un vieil homme dans une petite maison sur une colline devant un bras d’eau. Après sa mort, il réapparait sur le rivage, est accueilli par sa femme et tous les deux bordent les voiles d’un bateau qui les conduira où ? Dans le film « First Light » l’artiste montre des sauveteurs la nuit en train d’évacuer des gens pris dans une grosse coulée d’eau dans le désert. Une femme attend son enfant avec la peur qu’il ne revienne jamais. En fait elle est incapable de le voir quand il apparaît comme un fantôme en dehors de l’eau. Ce cycle d’images numériques projetées, explore les thèmes de l’existence humaine : l’individualité, la société, la mort, la renaissance. L’œuvre prend une dimension architecturale par le choix de la vision synchrone des cinq séquences dans une même grande salle. Pour pénétrer dans l’espace, le visiteur doit entrer au sens propre dans la lumière. A l’intérieur il se retrouve au centre d’un univers sonore et visuel avec des images sur tous les murs. Chaque film raconte une histoire qui s’inscrit dans le cycle narratif plus large de

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la salle. Les spectateurs sont libres de s’y déplacer pour regarder chaque projection individuellement ou, au contraire, prendre du recul et vivre l’œuvre dans sa totalité. Devant ces grandes installations il semble que l’artiste donne vie à un de ses mantras signé William Blake : « Si les portes de la perception étaient ouvertes, alors tout apparaîtrait à l‘homme tel quel, infini. »

UNE MYSTIQUE POÉTIQUE ET TRAGIQUE Viola

construit tout un monde avec ses lois et sa structure

interne avec différents éléments qu’il unit et harmonise par la puissance morale de son sentiment religieux. Son sens plastique donne non seulement à chaque personnage représenté mais encore à chaque détail des scènes, une intensité psychologique qui est caractéristique de son style et le rapproche une fois de plus du peintre de la vie de Saint François. Si on compare ses vidéos aux fresques de Giotto de la Chapelle Scrovegni, on voit que l’importance donnée aux rochers et aux arbres est aussi grande que celle qui est accordée aux hommes, et cela contribue à la tension particulière que Viola veut obtenir dans ses scènes, dans ses images-panneaux, dans ses séquences.

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Cette concrétisation de la forme, ses décisions plastiques, cet approfondissement spirituel aboutissent à des réussites admirables : dans un manteau à peine plissé qui entoure un personnage dormant la tête sur les genoux, Viola nous fait sentir véritablement la profondeur de ce qui peuple le rêve. La forme simple, dense, reproduit non seulement le corps, mais nous introduit dans la rêverie et le rôle du personnage. Le demi relief des formes accentuées par le choix de couleurs primaires traduit un sentiment d’abstraction idéale. Le récit se déroule dans le mouvement coupé de temps d’arrêts et de pauses car d’une manière générale, les personnages de son monde vivent si intensément, que leurs actions, leurs gestes sont parfois comme suspendus pour laisser paraître l’immense monde intérieur qui les a dictés. Quand un personnage se jette violemment les bras en avant aux pieds de son enfant, comme Madeleine aux pieds du Christ, c’est tout son corps ramassé, tombé à terre, qui crie la douleur. La violence et le tragique atteignent des degrés d’acuité terrible par la composition variée des plans.

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UNE TRAVERSÉE DES ILLUSIONS DE LA SPIRITUALITÉ Les

quatre décennies de l’œuvre de

Bill Viola sont présen-

tées dans cette exposition au Grand Palais : de « Reflecting Pool » (1977-79) à « The Dreamers » (2013), installations monumentales « The Sleep of Reason », portraits sur plasma « The Quintet of Astonished », comme des oeuvres plus intimistes « Nine attemps to achive Immortality » à des superproductions « Going Forth By Day ». Les séries emblématiques des « Burried Secrets » du Pavillon américain de Venise en 1995 (The Veilling) aux « Angels for a Millennium » sont aussi projetées ! Une pièce récente est à Paris pour la première fois. Il s’agit de « Mirages » (The Encounter). C’est un élément d’un travail qui explore selon Viola « les filtrages, les couches entre la réalité et l’illusion dans le monde physique autant que les dimensions entre réel et au-delà. Le point de vue est sur la place de l’être humain dans l’ordre naturel, aussi bien physique que spirituel. » Avec « The Encounter » il réinterprète les transparences des paysages de la Renaissance avec l’évanescence des peintures orientales à l’encre. Cette pièce fait un formidable écho à la délicate fluidité de « Chott el-Djerid » (A portrait of light and Heat) son chef d’œuvre dans l’histoire de l’art de la vidéo. L’espace sans fin du désert seulement constitué d’air et balayé de vagues brulantes est encore représenté mais avec aujourd’hui une subtile narration. Viola explique : « Deux femmes font deux voyages séparés à des moments opposés de leur vie. A l’intersection de leur rencontre, durant un bref instant, les liens de la vie se renforcent et le mystère contenant un savoir est paisiblement passé de l’ancienne à la jeune femme. » Tout un programme !

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Le voyage que propose ses œuvres est un itinéraire organisé autour des trois questions majeures de la métaphysique. Qui suis-je ? Où suis-je ? Où vais-je ? L’œuvre de Bill Viola est une métaphysique, littéralement dans tous les sens du terme. Dans une interview qui suit, il explique que ses vidéos se veulent des médiums, des passeurs, pour aborder les questions fondamentales : « Les anciens les appelaient… Les mystères. Ils n’appellent pas de réponses. Il n’y a pas de réponses à la vie ou à la mort. On doit en faire l’expérience, les approcher, les étudier, mais sans réponse au final. » L’enjeu pour l’artiste n’est donc pas de répondre à ces interrogations mais de les poser à travers ses tableaux en mouvement. Le vidéaste propose la meilleure façon de regarder, celle qui comble à la fois l’esprit et le cœur. De l’abstraite nécessité architecturale d’où il est parti, à travers les images compactes et réelles, à travers des actes de volonté sûrs et bien arrêtés, son art embrase l’univers entier, et l’assujettit à l’homme. C’est souvent une scène de douleur aride, simple et cruelle qu’une attitude rigide résume. C’est un rythme interrompu, saccadé, réprimé, avec une maitrise qui tempère la violence de la tragédie humaine. Renaud Faroux

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BILL VIOLA : POUR UNE MÉTAPHYSIQUE DU « SOFTWARE »

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Studio National des Arts Contemporains, LE FRESNOY (mars 2009)

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Bill Viola a l’allure simple et fascinante d’un moine « new age » avec son bouc blanc bien taillé et ses grands yeux verts. Autour du poignet, il porte un mâlâ tibétain, son chapelet bouddhiste. Il délaisse quelques instants l’installation de « He weeps for you », une vidéo historique de 1976 réalisée en hommage au poète perse Djalâl Al-Dîn Rumî qui écrivait : « A chaque instant un monde naît et meurt, Sache que tu meurs et renais à chaque instant de ta vie… » Cette installation constitue une introduction passionnante au sérieux de notre entretien à l’Ecole du Fresnoy.

Renaud Faroux : « Vous exposez ici dans une Ecole d’art. Que pouvez-vous dire de cette expérience ? » Bill Viola : « Ce qui me réjouit au Fresnoy, c’est que je peux avoir des relations avec les étudiants. Je pense que transmettre le savoir que l’on a reçu est un devoir générationnel. Ce n’est pas un luxe ! Comme nous l’ont enseigné les Grecs anciens, quand vous traversez le Styx, ce fleuve qui entoure le royaume des morts et que vous passez de l’autre côté de la rivière, vous perdez la mémoire ! Vous devez donc laisser quelque chose derrière vous pour que les générations futures puissent trouver un chemin, savoir dans quelle direction aller, avoir des idées, des informations, des techniques à utiliser avant de passer ce que les Grecs appellent le Léthé, « the river of forgetfulness », la rivière de l’oubli qui constitue la mort, la mort matérielle. Voilà pourquoi je me sens privilégié d’être ici, d’avoir ce lien avec les étudiants.»

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R.F. : « Vous parlez du Styx, du Léthé… Par ce rappel de la philosophie antique pouvez-vous dire que le changement d’état est le point névralgique de votre approche artistique ? » B.V. : « Oui, pour moi, dans tous les aspects de l’humanité, de l’homme, du cosmos lui-même auquel nous appartenons, ce changement d’état, la transformation est le principe le plus important. C’est aussi ce qu’a décrit Bouddha, il y a 2500 ans, en énonçant le premier principe du bouddhisme : après avoir fini sa méditation pendant trois jours sous le Figuier des Pagodes, l’arbre de la Bodhi, après avoir combattu la puissance de l’illusion et saisi la vérité ultime, il dit comme première leçon : « toute vie est changement ». Bien avant le cinéma, il avait compris que nous sommes en mouvement, en transformation, en train de changer, de grandir… J’ai interprété ce concept car je crois, que ce mouvement, qui est autour de nous à chaque instant, c’est la force de vie, l’essence même de notre existence dans laquelle il faut se sentir en correspondance avec un système plus large qui est en perpétuelle mouvance. Le plus important dans la vie, c’est respirer et bouger ! » R.F. : «Etes-vous en filiation avec cette culture poétique bouddhique comme l’ont été Kerouac, Allen Ginsberg et la Beat Generation? » B.V. : « Oui bien sûr… Surtout que le côté positif de la Beat Generation c’est que ces poètes enfreignaient la loi ! Le progrès humain est basé sur deux principes. L’un d’eux est la tradition, la continuation du passé. Le Vatican reste le Vatican, la tradition juive fait remonter son calendrier à des milliers d’années ! Mais il y a la continuité et la cassure qui amènent quelques-unes des plus grandes révolutions de l’histoire du monde.

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En art, je pense à l’avant-garde, qui provient à l’origine de France. Il s’agissait d’un groupe d’artistes qui ont cassé la loi ! Qui ont tout fait différemment, sans suivre ce que leurs maîtres disaient. Ils ont ainsi créé une autre forme d’art qui, après 150 ans, est devenue aussi une tradition. Au départ, la tradition, c’est quelque chose qui existe à peine et de façon fragile. Puis, elle commence à s’installer, à se solidifier et, finalement, devient ce qui est suivi par tous. C’est un processus qui existe dans toutes les cultures. Ainsi je me suis beaucoup intéressé à la culture japonaise et l’on y retrouve le même style de périodes, tous les 150 ans, quand quelqu’un décide de casser la loi ! » R.F. : « Diriez-vous pourtant comme le graphiste Edward Fella : « Rules are made to be brocken only exceptionally » (les règles sont faites pour être cassées seulement exceptionnellement) ? » B.V. : « C’est une très belle citation qui insiste sur le côté « exceptionnel », parce que vous ne pouvez pas briser les règles tous les jours. Quand j’étais plus jeune, j’ai eu le privilège de rencontrer John Cage et de travailler avec David Tudor qui était son pianiste attitré. C’est là que j’ai compris que l’on ne devait pas casser les règles pour simplement casser les règles ! Cage et Tudor étaient très en colère quand ils voyaient les gens copier le radicalisme de leur travail en faisant pourtant quelque chose à l’opposé de leur principe. C’est très facile de démolir comme un enfant qui jette un jouet. Il faut savoir détruire de façon créative ! »

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R.F. : « Vous parlez des enfants… Quelle est la place de l’enfance dans votre œuvre ? » B.V. : « L’enfance est partout… Pour moi la vidéo est une sorte de conte de fées même si depuis Descartes, les fées, les elfes, les golems, les créatures de la forêt… ne sont plus que de la pure imagination… Notre imagination occidentale ! Tout un monde nous a été volé, a été effacé de notre vie de tous les jours à cause de ces idiots qui ont décidé que l’intellect était plus important que le cœur ! On nous a donc enlevé nos anges et tous ces êtres qui semblent invisibles ou qui sont en nous-mêmes. » R.F. : « Quel rapport entretenez-vous avec l’art de la Renaissance ? » B.V. : « Mon inspiration découle de la transition entre la Renaissance et le Maniérisme, et de Jacopo Pontormo en particulier, comparable pour moi au passage du cinéma à la vidéo. L’art de la Renaissance est « hyperréaliste » car il provoque la plus extrême forme de réalisme comme chez les Flamands : Van der Goes, Van der Weiden, Van Eyck, Bouts … Quand vous êtes obligé de peindre les réflexions de chaque perle du collier d’une femme alors que vous avez déjà peint tous ses cheveux…, c’est de la souffrance au-delà de l’imagination ! Comme chaque fois que l’homme pense pouvoir s’approprier la nature ou s’affronter à elle il se risque à une vie de souffrance. Tous ces artistes travaillaient pour des marchands qui ne voyaient pas plus loin que leurs bourses ; ils ne décelaient pas le mystère peint autour d’eux, ils n’apercevaient que les profits et obligeaient les artistes à travailler d’une façon qui était tellement extrême, précise et scientifique que cela en devient déchirant pour moi.

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Lorsque le Maniérisme est apparu Pontormo, Rosso, Le Parmesan… ont tout fracturé, tout fait craquer et ils ont commencé à créer une distorsion de l’espace, des allongements formels qui pour moi sont le début de l’émotion, de la compréhension de soi. Quand nous pleurons en effet nous sommes à l’opposé de l’idéal de la Renaissance. Notre visage se déforme, devient grimaçant et nous ne sommes plus en parfait équilibre, nous ne sommes plus la composition parfaite, nous ne sommes plus l’homme parfait. Donc tout ce pan du Maniérisme a donné naissance à une vraie « Transfiguration » comme celle peinte par Raphaël où le Christ est sur la montagne avec ses disciples. Quand la lumière arrive et qu’il brille et devient halo éclatant, c’est l’expression d’un véritable être humain : ce que tous nous sommes vraiment car même ici nous ne sommes pas un corps matériel, mais seulement de la lumière ! Il nous faudrait un logiciel de métaphysique, un « metaphysic-software », qui serait la combinaison d’un hardware (matériel) qui serait notre corps et d’un software (logiciel) pour l’esprit et le cœur. C’est peut-être pour cela que nous avons des affinités avec les ordinateurs et toutes les machines électriques comme votre micro ! Quand je vous parle, le cerveau qui vous traduit ses pensées marche sur une batterie de quatre watts ! Quatre watts… cela correspond à la petite ampoule ronde que vous mettez dans votre salle de bain : voilà toute l’énergie de l’esprit humain. Mais il y a des étincelles électriques qui circulent quand je vous regarde ainsi qu’à l’intérieur de ce micro, qui se percutent entre les circuits et qui passent à travers les fils. Il y a donc une explication à cette technologie du XXIe siècle car elle reproduit un modèle de notre corps, de notre cerveau, de notre existence. »

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R.F. : « Quand je vous ai entendu parler de la souffrance, j’ai pensé à Agnès Varda qui m’avait dit que c’était la souffrance qui l’intéressait le plus dans la peinture (à la différence de Jacques Demy qui préférait la raison d’un Nicolas Poussin). Seule la souffrance vous touche ? » B.V. : « Non, mais je veux rendre compte du pouvoir et de la complexité de l’émotion. En ce fait le Protestantisme a vraiment obligé les gens à se refermer à l’intérieur d’eux-mêmes… surtout quand vous comparez avec toutes les cultures qui sont si libres, si ouvertes avec une émotion débordante… Regardez le Pacifique, l’Afrique ! La culture y est extériorisée de façon positive. Cela permet une place pour les morts encore aujourd’hui ! Maintenant si nous étions là-bas, les morts seraient là, avec nous. Certains pourraient les voir, les appeler, leur parler… Il y a des esprits partout car vous ne pouvez pas contenir l’esprit dans le corps comme l’explique le philosophe Alva Noë. Pour lui l’esprit n’est pas dans le corps, le corps n’est que la moitié de l’esprit et l’autre moitié sont vos pensées et vos sentiments qui se baladent en dehors… De même quand vous lisez les théories sur la vision dès l’époque des Grecs et des Romains il y a deux points de vue qui s’affrontent : l’un est celui que l’on connaît et qu’on appelle la théorie de l’intromission, de la pénétration. Par exemple si je regarde une montagne de l’autre côté de la vallée, quelque chose de la montagne vient à moi, dans mes yeux et me stimule et alors je peux voir la montagne. Ce qui est exactement la théorie de la vision dans le monde occidental encore aujourd’hui. Une autre est celle de « l’extra-machine » : un morceau de vous-même, un quelque chose sort de vous et touche la montagne et vous permet ainsi de la voir. Cette théorie fut discréditée par le Christianisme et disparut

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avec la révolution de l’optique vers le XIIIe siècle. C’est pourtant exactement ce que fait la technologie moderne avec les radars… Nous avons réintroduit les idées de l’Antiquité comme s’il y avait une connexion entre notre âme et ce qui est là. Le medium ce ne sont pas des vagues de lumière, mais simplement le désir qui nous permet d’expérimenter le monde. »

L’installation « He weeps for you » est enfin prête : le long de la canalisation de cuivre qui descend du plafond une goutte d’eau grossit progressivement, la tension augmente à la surface jusqu’à ce qu’elle occupe tout l’écran. Sous l’effet de la gravité, elle quitte l’image et tombe sur un tambour qui amplifie le son dans un grand « boum ». Une nouvelle goutte commence alors à se former et à remplir l’écran. J’y vois mon visage s’allonger et se déformer pour apparaître projeté dans un espace en distorsion… Encore une transfiguration par l’entremise de l’artiste vidéaste qui tel un chaman possède le pouvoir de voir au-delà et de transcrire ses découvertes visionnaires. Renaud Faroux

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BOOKS FACTORY Février 2014

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