ARCHIPÉLIQUE 4 DNSEP 2011 ART & DESIGN
Archipélique 4 « Contre la prison des systèmes et des identités, sois fragile, ambigu, incertain, intuitif : archipélique. » Edouard Glissant, Introduction à une poétique du divers, 1995 L’École supérieure des beaux-arts de Marseille est aujourd’hui engagée dans une profonde réforme qui la conduira à changer de statut en janvier 2012 pour passer d’une régie municipale à un Établissement Public de Coopération Culturelle (EPCC). C’est la raison pour laquelle cet(te)* ultime Archipélique, quatrième et dernier(ère) du nom, résonne de manière bien particulière. Les participants de cette édition 2011 ne seront pas déployés en exposition dans la ville. Ce catalogue tient à la fois d’une forme hétérogène et fluctuante de taxinomie – logique de toute entreprise de catalogage d’artistes, et d’une forme de galerie virtuelle sensible. Il se présente avec une lisibilité hybride de document qui condense en son cœur diffusion, communication – une interface entre les jeunes diplômés et les publics, notamment les professionnels de l’art – et archive. Outil de savoir et de relation non convenu, « documentexposition » monographique dans sa manière de restituer une contemporanéité partagée un temps donné entre « les Beaux-arts de Marseille » et ses étudiants, le « travail d’archipel » à l’œuvre à Luminy. Par définition, un archipel est un ensemble d’îles proches les unes de autres, souvent d’une origine géologique et géographique commune. Par extension, on l’utilise pour désigner un mode d’appropriation spécifique de l’espace entre des éléments isolés entretenant des liens importants et primordiaux. Ce dernier point résonne de manière singulière si on le conceptualise sur une école d’art et de design. Une promotion de diplômés n’est pas un collectif mais une construction collective par la diversité à un lieu commun, des outils pédagogiques mis en commun et un temps partagé. Le « moment archipélique » se présente ici et maintenant, « à tout jamais », dans cette émergence de jeunes artistes qui ont travaillé leurs univers et leurs recherches personnelles dans un véritable laboratoire d’étude de la création de l’art contemporain. Archipélique 4 synchronise et projette à sa façon les forces transversales mises en œuvre, qui se superposent page après page. Dans la fresque chronologique des études, son histoire s’écrit avec des artistes « en devenir » qui ne sont plus étudiants. Le lien avec leur lieu de formation est toujours très présent car l’école s’inscrit dans le parcours artistique de chacun d’autant de façons qu’il y a de diplômés. On n’y retrouvera pas comment chaque apprenti artiste ou designer a dessiné son cheminement, on y reconnaîtra sous une compilation de « profils », l’identité emblématique d’une jeune création mise en perspective à travers ses années passées à l’ESBAM. Ré-interpréter, documenter, traduire, enrichir, rejouer, compléter ou confronter le travail, cette édition se lit aussi comme une collection textes-images, de l’ordre d’une forme de post-production qui se laissera disparaître au fur et à mesure du temps qui passe, témoignage pour les 10-20 années à venir de ce qui a eu lieu dans la toute dernière promotion DNSEP de l’ESBAM. * masculin et féminin, ni l’un ni l’autre, pas neutre non plus, Archipélique n’a pas de genre
Luc Jeand’heur
Hadrien Alvarez
4
Andréa Bellart
6
Elsa Benzrihem
8
Johanna Bezza
10
Damia Bouic
12
Jordan Cabanas
14
Geanina Luminita Capita Tchimpolo
16
Stéphanie Chauvat
18
38
Sohyun Kim
Thomas Couderc
20
40
Sylviane Laurette
Victoire Decavèle
22
42
Aurélien Lemonnier
Margot Degert
24
44
Mathieu Loriaux
Juliette Déjoué
26
46
Aldric Mathieu
Manon Ferra
28
48
Adrien Monfleur
Nicolas Fremion
30
50
Olivier Muller
Teoman Gurgan
32
52
Nicolas Nicolini
Noémie Imbert
34
54
Sinyoung Park
Hyun Sook Kim
36
56
Wilfried Payssé
58
Bastien Roustan
60
Frédéric Siegel
62
Noémie Sonck
64
Bin Song
66
Chen Wang
68
Lambert Watine
70
Yang Yooree
HADRIEN ALVAREZ
Sans Titre, 2011 Acrylique, 150 x 230 cm
DNSEP option art
Sans titre, 2011 Acrylique, 230 x 200 cm
hadrien@yassemeqk.com www.yassemeqk.com
P4
Mon travail artistique tourne autour de la notion de signe, l’intérieur même de l’œuvre où se joue un équilibre dialectique entre l’histoire de la peinture même et la narrativité du tableau. Elle se fonde sur différentes thématiques telles que l’enfance, la sexualité ou l’anodin. Ma bibliothèque iconographique se constitue d’une base d’images aux origines, aux sources et aux natures diverses : Internet, photos de famille, trouvailles, etc. De ce matériau brut que je m’approprie, je ne mets en œuvre que les images qui provoquent chez moi une résonance intérieure propice à mon travail pictural : une sensation qui cristallise un souvenir, une émotion, une composition, des couleurs, toute une palette d’éléments de construction ou de narration ou « perceptuels » qui vont me permettre de rendre ce jeu d’impressions et de références à un niveau formel. Le but de cet acte de peindre, de cette intention de dé-figuration, est de transgresser l’histoire traduite par l’image, de soumettre l’aspect narratif du sujet traité à une structure visuelle qui servira de socle à une construction spécifiquement plastique et par la même, muette. Le travail de peinture à proprement parlé exige une translation de langage, un dépassement du récit hors de la seule représentation, que les discours s’effacent au profit des sensations. La peinture en tant qu’expérience esthétique autonome vient infirmer, confirmer ou brouiller certains aspects de l’image. Perte du sens en regard du faire et des sens, l’artiste n’est plus un seul narrateur mais un peintre, le tableau ne parle plus mais est en premier lieu peinture. Ma manière est ainsi une recherche abstraite dans la figuration : je peins pour rendre ambigu et complexe ce qui en premier lieu aurait pu s’envisager simplement comme une scène de genre.
Pour atteindre cette profondeur, il faut utiliser (et jouir de) tout ce que la peinture possède comme moyens immanents d’expression libérés dans l’abstraction : la touche, la matière et la couleur. Faire un tableau donne au final à voir le paradoxe intrinsèque et muet de toute situation, réfléchie dans la peinture.
ANDRÉA BELLART
Préambule Spasmatik, film d’animation, 9’ 56, 2010-2011 Logiciels Corel Painter, After Effects et Final Cut
DNSEP option art P6 andreabellart@yahoo.fr
« Vendredi. J’erre dans cette ville qui m’enivre et me fatigue. Ca va vite, trop vite. Je suis ivre, le monde aussi. »
Si l’animation Préambule spasmatik s’écrit à l’origine sur une base d’événements autobiographiques, j’en ai détourné des récits et j’ai réinventé des épisodes. L’action du dessin animé se déroule sur une seule journée, un temps allégorique envisagé comme une représentation de l’existence-même, où je veux rendre compte du non-sens du monde, d’une certaine absurdité de la vie. Tout au long de l’histoire, un personnage erre sans fin. Il divague au cœur d’un univers tourmenté. Il s’agit là de l’ivresse désenchantée du monde. Un monde qui s’accélère, un monde où l’attention et l’écoute ne sont plus au centre des réflexions. Un monde effervescent prêt à exploser. Les scènes, les plans se martèlent, se succèdent, s’accumulent et se bousculent dans un montage hallucinatoire. Petit à petit se dessine une galerie de personnages qui surviennent de manière frénétique et provoquent progressivement une destruction sauvage. Dans un bouillonnement incessant et organique, une simultanéité d’événements jaillit et éclate dans un chaos de sentiments, d’émotions, d’impressions. Les scènes allumées et mordantes donnent lieu à un espace fantasmatique qui déborde sur une intrigue monstrueuse et tourmentée. Il ne s’agit pas d’illustrer continûment et passivement le scénario d’une histoire mais par des effets de multiplicité, de mouvance et de répétition, de montrer ma vision de la vie, de ce brouhaha quotidien qui rythme l’existence.
Une aventure où tout serait lisible d’un seul coup d’oeil ou d’un seul trait n’est pas dans mes préoccupations. Il ne s’agit pas d’un récit non-linéaire mais plutôt d’un scénario bâti sur une structure de narration chorale qui offre le découpage d’une autre forme de linéarité. Une linéarité déconstruite où se dispersent et se répondent par écho dans le plus grand désordre organisé les épisodes de cette folle journée. La discontinuité épileptique du montage crée alors une pression crescendo et une schizophrénie grandissante embarquant le spectateur dans une violence de plus en plus entêtante. L’esthétique personnelle du dessin mise en œuvre, spontanée et vive, anti-académique et expressionniste, par son façonnage graphique emprunt de l’esprit frondeur de la Figuration libre invente un style hybride, audiovisuel et pictural, où se mêle le travail de la main (« l’enfance de l’art ») et l’usage de logiciels d’imagerie numérique. Cette manière de faire singulière, faussement « innocente » et décontractée, joue sur les effets d’une palette lumineuse aux couleurs vigoureuses, doublée d’une bande-son nerveuse, souligne le sentiment de cruauté, parfois burlesque, littéralement sensationnel, de cet anti-conte de fée. Oscillant entre onirisme et réalité, Préambule spasmatik est un voyage. Voyage sans retour « à un moment où le monde s’éprouve, je crois, moins comme une grande vie qui se développerait à travers le temps que comme un réseau qui relie des points et qui entrecroise son écheveau.» (Michel Foucault). Voyage foudroyant qui se déroule au rythme de la vie, au rythme de la pensée. Voyage au cœur de l’humain, névrosé par toutes ces turbulences qui, pris dans le même mouvement de maelstrom, l’enivrent et l’épuisent.
ELSA BENZRIHEM
Paysages (détail), 2011 Tyvek, 125 x 400 cm
DNSEP option design
Tapis (détail), 2011 Tyvek, 400 x 400 cm
elsa@yassemeqk.com www.yassemeqk.com
P8
« Le dépli n’est donc pas le contraire d’un pli, mais suit le pli jusqu’à un autre pli. « Particules tournées en plis » (...) Plis des vents, des eaux, du feu et de la terre, et plis souterrains des filons dans la mine. Les plissements solides de la « géographie naturelle » renvoient d’abord à l’action du feu, puis des eaux et des vents sur la terre, dans un système d’interactions complexes… La science de la matière a pour modèle l’« origami », dirait le philosophe japonais, ou l’art du pli de papier. » Gilles Deleuze, Le Pli, Leibniz et le Baroque, Les Éditions de Minuit, collection « Critique », 1988
JOHANNA BEZZA
Sans titre, 2008 Terres mêlées, terre cuite, dimensions variables (entre 25 cm et 40 cm
DNSEP option art P 10 djo.anna@orange.fr
L’argile est une matière traditionnelle qui se choisit, une substance élémentaire, qui se modèle qui se pétrit et trouve dans son aboutissement sa forme sculptée. Elle recueille les empreintes de celui qui la touche, enregistre les mutations qui interviennent dans sa chair. Elle garde la mémoire de son façonnage et se nourrit de toute cette archéologie de gestes. On dicte souvent aux matériaux malléables ce que l’on souhaite réaliser, on plaque un sens sur leurs propriétés physiques, mais en ce qui concerne une glaise plastique comme l’argile, il s’agit d’un va et vient, un dialogue perpétuel entre les mains et la terre, retour d’expérience dans ce qui est mis en œuvre. Cette pâte froide, inerte et lourde, alors en mouvement sous mes doigts s’anime comme par magie et se réchauffe dans un souffle, une vie nouvelle. Puis se fige dans le mouvement, dans la courbe évolutive d’un commencement et d’une fin qui tombe comme une mesure.
DAMIA BOUIC
La Terre Cerclée de ses Anneaux, 137 x 91 cm, 2011 Modélisation Blender, travail dans Gimp
DNSEP option design
à gauche : Collines et Champs Près de Dresde à droite : La Mer du Nord au Clair d’Anneaux d’après Caspar David Friedriech, 127 x 86 cm pour chaque Simulation Celestia et montage dans Gimp
dabouic@gmail.com www.db-prods.net
P 12
Le design est une activité qui se nourrit en permanence d’un contexte, que ce soit un contexte de lieu, de temps, d’économie, de techniques, de politique, de religieux, etc. Pour faire forme, nous devons nous nourrir en permanence de ce contexte, l’interroger et assimiler son usage. En guise d’hypothèse expérimentale de mon travail, j’ai pris le parti inverse de plus spécifiquement modifier le contexte, et d’analyser ce qu’il en retourne à la fois en terme de science, d’objets, mais aussi de représentations. J’ai choisi de mettre en œuvre l’astronomie, domaine qui me passionne, pour intervenir au plan fondamental d’un contexte le plus vaste possible, celui de la planétologie, et d’exprimer ses liens avec la météorologie, autre discipline d’intérêt manifeste chez moi. Un vieux rêve me hante depuis longtemps : voir la Terre cerclée d’anneaux. J’ai de suite imaginé le magnifique spectacle d’une arche recourbée qui traverse le ciel. Puis il m’a fallu confronter cette chimère astronomique, cette « causa mentale », aux lois rigoureuses des sciences, pour rendre cette uchronie plausible comme monde d’aujourd’hui, pour réinventer un réel imaginaire qui en fait un objet inscrit pleinement dans une rationalité de la vie quotidienne presque tangible. J’ai écrit en premier lieu un scénario qui établit les conditions d’existence générales de cette structure fictive, à commencer par définir une date d’apparition qui l’ancre dans l’Histoire. Je concevais littéralement cet objet cosmographique et la portée complexe de son effet papillon, avec le souci de pousser le plus loin possible le détail scientifique dans l’intention de brosser tout un jeu de conséquences dans un maximum de domaines possibles qu’entraînerait la formation de ces " Anneaux ".
Les perspectives à considérer se sont révélées aussi phénoménales que vertigineuses. Tous les contextes sont touchés à diverses échelles par ces Anneaux. La Terre, cette exoplanète qui est la nôtre. C’est comme un nouveau territoire à explorer, à la fois familier et dans le même temps radicalement inconnu. À titre de pièces à conviction, j’ai produit un corpus de documents testimoniaux de nature hétérogènes. J’ai réalisé des images qui montrent de quelle façon la peinture romantique allemande a eu la vision de ces Anneaux, notamment les tableaux de Caspar David Friedrich. J’ai aussi projeté ce qu’il adviendrait du dessin de nos littoraux. J’ai élaboré quelques propositions d’objets révolutionnés par les conditions de vie à Marseille sous les Anneaux. Je n’ai pour l’instant prospecté qu’une infime partie de la Terre avec ce visage alternatif, où les hivers sont plus rigoureux, les tempêtes plus dévastatrices, les nuits très lumineuses – les Anneaux font basculer dans l’ombre des contrées entières. Je projette de dresser un portrait complet de cette planète, de réinventer le monde. Cela ne fait que commencer.
JORDAN CABANAS
Caméca, 2011 HD, tramway, France
DNSEP option art
P 14
jordan.cabanas@hotmail.com
Mon environnement quotidien est comme un laboratoire d’expérimentation. Ma caméra se substitue à mon regard et témoigne de la fine frontière qui sépare la fiction du réel. Mon cadre de vie se transforme en un théâtre offrant des « scénettes » où des objets s’animent seuls, déplacés de leur fonction première pour dériver vers de nouvelles situations. Les objets vivent une évolution, créant des énergies, tandis que l’Homme s’instrumentalise, devenant un accessoire de cette machination qui dans un même mouvement, sans cesse, approche autant qu’elle repousse ses limites. Cette idée de frontière mouvante m’attire, cette distinction entre deux lieux, deux états que je tente de rassembler en un seul espace-temps, celui de la vidéo. Qu’ils soient ludiques, surréalistes ou encore poétiques, les allers-retours du réel à la fiction se diluent les uns dans les autres et laissent place à une vision quasi-chimérique de notre quotidien.
Influencées par le documentaire fictionnel et le cinéma biographique, mes « scénettes » vidéos sont tournées en plans-séquences comme gage d’une capture d’action brute. Je m’affranchis ainsi du rythme du montage et de la surabondance des effets de la post-production qui éloignent d’une certaine authenticité de l’action. Dans cette économie de moyen nécessaire, le plan-séquence prend des allures de performance. Le film témoigne de ce spectacle qui entremêle mise en scène et improvisation des éléments présents du quotidien. Mes recherches vidéographiques ne sont pas tant d’observer comment la fiction s’immisce dans le réel que d’expérimenter des manipulations du réel traversé par la fiction.
GEANINA LUMINITA CAPITA TCHIMPOLO
Geanina - Basquiat, 2010
P 16 DNSEP option art geanina_capita@yahoo.fr
1. Incursiune in arta ca initiere in spatiul vital. Enlil, dumnezeul aerului, separa apele de cer care risca ocazional a ne cadea pe cap sub forma de un potop, de cele ale pamantului atat de utile pentru viata, constituie aici actul creator primordial. Textul sacru biblic, tot impregnat de cosmologia mesopotamiana, reia acest punct de vedere dar in raport executia in ziua a doua de creatie caci prima este consacrata in excluzivitate creatiei luminii si la separarea de tenebre. Dumnezeu spune : ca lumina este et lumina a fost. Dumnezeu… lumina este buna si Dumnezeu separa lumina de tenebre. Dumnezeu numeste lumina zi si numeste tenebre noapte. Astfel a fost o seara, si a fost o dimineata: aceasta a fost prima zi. Geneza, Capitolul 1, versetele 3-5, traducere de Louis Second. 1. Incursion dans l’espace de l’art comme l’initiation dans l’espace vital. Enlil, dieu de l’air, sépare les eaux du ciel – qui risquent occasionnellement de nous tomber sur la tête sous forme d’un déluge, de celles de la terre si utiles à la vie, et constitue donc ici l’acte créateur primordial. Le texte sacré biblique, tout imprégné de cosmologie mésopotamienne, reprend ce point de vue mais en rapporte l’exécution au deuxième jour de la création, car le premier y est consacré exclusivement à la création de la lumière et à sa séparation d’avec les ténèbres. Dieu dit : que la lumière soit et la lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière d’avec les ténèbres. Dieu appela la lumière jour et il appela les ténèbres nuit. Ainsi il y eut un soir, et il y eut un matin : ce fut le premier jour. Genèse, Chapitre 1, versets 3 à 5, traduction de Louis Second.
STÉPHANIE CHAUVAT
La table de domino, 2011 Acrylique sur toile, 180 x 220 cm
DNSEP option art
P 18
stephchauvat@gmail.com www.stephaniechauvat.canalblog.com
Depuis son premier séjour à Cuba en 2008, la peinture de Stéphanie Chauvat traite essentiellement de scènes du quotidien cubain. Dans son travail artistique, elle pratique aussi la photographie, le film d’animation avec la technique de gravure sur négatif et des installations Eat Art. À partir d’une approche photographique des rencontres répétitives, banales ou hasardeuses, sa peinture est influencée par les vibrations de formes, de couleurs et de rythmes que lui procure cette île des Caraïbes et sa culture populaire métissée. Les œuvres des artistes cubains Wifredo Lam et de Belkis Ayon témoignent de la culture afro-cubaine. Les masques africains avaient déjà inspiré les cubistes et les surréalistes chez Picasso, Breton, Man Ray… Dans les rituels africains, il suggère la présence de l’insaisissable, d’une divinité, d’un esprit. Masque signifie noircir, c’est un objet qui recouvre le visage pour voiler une identité qui peut évoluer et en révéler une autre qui reste figée. Le recouvrement par la peinture, les variations de textures picturales superposées permettent différentes lectures de ses œuvres et offrent plusieurs dimensions, interprétations de l’image pour le spectateur. Qu’elle soit coulure, aplat, lavis, la matière de la peinture devient un sujet dans le tableau qui s’affronte avec la figuration, le jeu de la peinture.
La série de peintures Disfraz est née lors d’un projet individuel de 6 mois. Ce terme espagnol signifie « déguisement » et fait appel au travestissement, au jeu de rôle, au théâtre. Sur des moyens formats, les personnages sont isolés sur la toile, un jeu d’ombres et de lumières, le clair obscur, nous révèle ces corps et les camoufle, les transforme, les déguise en même temps. À travers des contrastes de tonalités de gris obscurs et de couleurs vives, le sujet devient énigmatique, mystérieux face au spectateur. Le sujet du tableau, cache et révèle, il joue un rôle, celui de questionner le spectateur.
THOMAS COUDERC
Le Chaos des Choses, 2011 vidéo HD, 16/9, 8’13’’
DNSEP option art
P 20
thomascouderc@hotmail.fr
Moteur
Les vidéos de Thomas Couderc empruntent au cinéma populaire son goût pour des actions ou des situations paroxystiques. Elles se présentent pour la plupart comme des séquences de films d’action et de poursuite dont le seul mouvement serait d’avancer, sauf que des embryons de récit sont à peine amorcés et qu’aucune détente ni explication ne suivra un climax rapidement atteint. Grâce à une pièce comme Le chaos des choses, on saisit que le sens de ces actions cinématographiques compte beaucoup moins que leur dispositif. Il s’agit de faire résonner des moyens succincts et de montrer combien l’intensité dramatique dépend d’indices élémentaires. L’aspect thriller ou science-fiction de ces séquences n’est pourtant pas démystifié par l’aveu d’un bricolage ou l’exposé d’un procédé, bien au contraire. Ce dont il est fait l’économie, ce sont les développements. Une génération saturée d’images et de récits ne garde des anciennes continuités que la ligne de crête. Le contexte et les circonstances sautent. Il n’y a plus d’exposé. De ce point de vue, une vidéo comme Full se suffit. L’épisode est cinématographique mais se suffit dans sa litote ou son épure. Une proue avance, une étrave fend la mer puis se retourne vers un horizon rempli d’une armada de porte-conteneurs dont le principal ressemble à une étrange citadelle. Dès l’étrangeté repérée, la caméra bascule. Dès le danger enregistré, l’action prend fin, comme pour souligner son caractère fatal. Un coup de zoom et il est déjà trop tard. C’est
une vidéo de la fuite et de l’urgence. Elle est cinématographique par son état d’insurrection sensorielle. La vidéo de Thomas Couderc est physique. Elle est à la lisière d’une expérience de l’épuisement. À ce sujet, Le vallon est exemplaire. Il en faut, de l’adrénaline, pour qu’un corps traîné développe un paysage. Avec Full, c’est la deuxième fois que le paysage recèle une atmosphère de danger et de crime. La matière sonore est myope. On est tout proche, dans la vague ou dans l’herbe, dans le ronron du moteur. On ne sait pas pourquoi on est toujours propulsé. Cela semble inexorable. Filmer, c’est être embarqué, dépassé et convoquer la foudre. Frédéric Valabrègue – décembre 2011
VICTOIRE DECAVÈLE
Sans titre, 2011 Acrylique sur toile, 250 x 350 cm
DNSEP option art
P 22
victoire.decavele@gmail.com www.yassemeqk.com
Suggérer le paysage
Il se limite souvent à une ligne d’horizon, qui sépare l’espace de la toile en deux parties. Il n’y a pas de représentation concrète, seulement des lignes schématiques, qui évoquent le paysage, comme une ligne qui dessine la silhouette d’une montagne, sans tenter de représenter une montagne en particulier, ni même d’approcher de son essence. Ce ne sont que des lignes de structure, qui permettent un point d’entrée dans l’espace de la toile, une accroche. Ce sont des paysages mentaux, qui partent d’effluves de souvenirs, plus de l’ordre d’une sensation, d’un goût qui reste dans la bouche. Paysage chaotique, en même temps la fin du monde et l’orée du jour. Il y a du désastre. Sans l’astre, la lumière est perdue, et pourtant, il y a cette lumière. Venue d’ailleurs, de nulle part, mais elle n’éclaire pas, ne met pas en avant. Il y a le désir de nature.
MARGOT DEGERT
Sans titre, installation 2011 Œil pour œil, dent pour dent, 2011 Lambris verni, métal, 170 x 110 cm
DNSEP option art komut@hotmail.fr www.margotdegert.blogspot.com
[...] Le dessin est l’élément fondamental de mon travail. Quand je passe à la troisième dimension, il y a quelque chose que je ne maîtrise plus tout à fait, qui résulte d’une forme de bricolage enfantin, d’habileté branlante, car le contrôle n’est pas total, qui ramène à la réalité, et à ses failles. [...] Ce sont des espaces. Des espaces ouverts. Un monde se place à l’endroit même de cette ouverture. Dans ce monde un peuple. Un autre peuple. [...] Au dessus des grands vides d’une surface jaillissent des créatures volantes issues d’un royaume imaginaire. [...] Dans la chambre obscure de la conscience intime, un petit théâtre. La part de l’ombre. L’énigme. L’envolée. L’esprit se libère du sujet pour jouir du récit. [...] J’ aime travailler par schémas, relier des morceaux entre eux, cela se retrouve dans beaucoup de rites sacrés. J’accumule donc des fragments, pour faire naître une forme, un objet, qu’ensuite je viens mettre à l’abri comme pour le protéger. Je le mets de côté et le ressors, tout cela comme si un jour de ces fragments apparaîtrait le tout. Un tout. [...] Ce sont des amas, des entassements. Ils se tiennent sans savoir jusqu’où. En attente. L’engloutissement se fait sentir. Ils sont retenus par des constructions précaires. Ils sont en tension. Jusqu’à l’écrasement final. La chute.
P 24
JULIETTE DÉJOUÉ
Sans titre, 2011 Acrylique sur papier, 150 x 150 cm
DNSEP option art
P 26
mere_ubu@hotmail.fr www.yassemeqk.com
« J’aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires ; la littérature démodée, latin d’église, livres érotiques sans orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l’enfance, opéras vieux, refrains niais, rythmes naïfs. Je rêvais croisades, voyages de découvertes dont on n’a pas de relations, républiques sans histoires, guerres de religions étouffées, révolutions de mœurs, déplacements de races et de continents, je croyais à tous les enchantements. (…) Je devins un opéra fabuleux : je vis que tous les êtres ont une fatalité de bonheur : l’action n’est pas la vie, mais une façon de gâcher quelque force, un énervement. La morale est la faiblesse de la cervelle. À chaque être plusieurs autres vies me semblaient dues. Ce monsieur ne sait pas ce qu’il fait : il est un ange. Cette famille est une nichée de chiens. Devant plusieurs hommes, je causai tout haut avec un moment d’une de leurs autres vies. – Ainsi j’ai aimé un porc. » Arthur Rimbaud, L’Alchimie du Verbe, 2ème temps des Délires, Une Saison en Enfer.
Vue d’ensemble, juin 2011
MANON FERRA
Installation, tubes PVC, peinture, encre, dimensions variables
DNSEP option art
Bas-relief, papier, encre sur papier, dimensions variables
manon_f@live.fr www.wix.com/portfolioart/manon-ferra
P 28
Mon travail consiste à interroger la profusion, la prolifération. La pratique du dessin est à l’origine et au centre d’un dispositif qui m’a menée vers la problématique de l’objet et du volume. J’utilise l’ornement qui devient essentiel par l’envahissement et se substitue à la structure. Je me sens dans la continuité d’artistes comme Stéphane Calais, Marie Ducaté, John Armleder ou Joana Vasconcelos. Mon travail consiste à m’approprier des objets identifiables dans la vie de tous les jours en changeant leur identité et leur fonctionnalité par des opérations d’accumulation, de répétition, de série. Tous se base sur l’excès, comme une réflexion de notre monde consumériste. On retrouve également les idées de fragilité et d’abondance. Ce qui m’intéresse en premier lieu est l’expérience de la matière, la transformation dans la répétition ainsi que la fascination pour une esthétique du merveilleux, une volonté de déploiement dans l’espace afin de créer des sensations d’étrangeté. J’ai la volonté de créer des objets dont la vie émerge à la fois du détail et de la composition d’ensemble. Des objets qui ne sont pas seulement agréables à l’œil, mais qui éveillent d’autres sens, des objets que l’on a envie de toucher, qui étonnent et incitent à la réflexion.
NICOLAS FRÉMION
De la série Petits formats, 2011 Encre sur papier, 30 x 30 cm
DNSEP option art
P 30
nicolasfremion@gmail.com www.yassemeqk.com
Mon dessin est une histoire de peau, de surface. Grâce à lui, je peux m’approprier rapidement des formes. Elles sont représentées par des corps aux formes comme des citrons, des bananes, des melons... Chacun d’entre eux a du volume et est recouvert de différents motifs. Ils représentent ma ligne d’horizon. Ils vont déterminer mon point de vue et mon environnement. Par ces va-et-vient à travers lesquels je redistribue, je vais essayer de signifier le monde. C’est une manière de fouiller. Des portions de mes dessins sont appuyées par de petits récits abstraits. Ils sont aussi présent dans mes fonds, intensifiant les mouvements des personnages ou les enlisant dans une matière informe. Ces figures mises en scène se coupent, se brisent, se cassent… Je peux jouer avec la matière que je découvre dans leurs entrailles. C’est une sorte de massacre ludique.
TEOMAN GURGAN
Vidéogrammes extraits de Terrain de jeux, 6’45, 2011
DNSEP option art
P 32
teomangurgan@hotmail.com
17. 10. 2011 Marseille J’éprouve un certain intérêt dans le projet artistique.Je filme et j’écris. Puis, je suis bête. Pas assez fort et je dors beaucoup. Pour mes films ou mes écrits, c’est faux de dire : « je les conçois ». J’ai jamais rien conçu. J’assiste au présent en train de les faire, je reste optimiste, et pouf ! Alors ils sont traînants et légers à la fois, comme des spaghettis. Ils me sont soufflés avec une aérienne approximation, je ne saurais pas expliquer comment, mais il ne s’agit pas des idées, avoir des idées, c’est pas du tout ça ! Derrière la camera, mon œil se balade sur eux. Pas deux identiques, chacun ses exceptions, le jeune garçon, la fille, le suicidaire, le vieux rideau, l’inspecteur, ils se passent mon regard, eux ne savent pas mais moi si, je sais qu’à cet instant-là, quelque chose va s’abîmer entre nous, c’est toujours comme ça, ils sont vivants, moi aussi, l’instant qui passe et quelque chose s’abîme, au-delà des événements, bien au-delà. Mais rien avoir avec
tout le bazar des rêves collectifs. Parfois beaucoup de choses apparaissent et disparaissent aussi vite, alors c’est trop tard, mais parfois elles restent, je suis là, je regarde, j’écoute. En elles comme en moi, je découvre une voix restée longtemps muette, pour tout dire, elle est des fois pas très audible – la voix, des sons primitifs, mais toujours utile, je les garde. Imaginez un homme en pleine nuit, sur une bouée et il ne voit rien du tout, puis les vagues le transportent jusqu’à la plage. Et il faut attendre, attendre, attendre, attendre. Remarquez au passage que là, je parle d’une expérience risquée, parce que la souffrance est immédiate, et de plus, épouvantable, puisqu’il se retrouve face à l’inconnu. Enfin il y a là, plus vivante que vous et moi et qui pourrait vite faire surface et qui s’avérera d’une importance capitale, une masse de matière ! Il faut être léger, puis tout ça fini par prendre forme comme une tache d’eau de javel (je la vois), un film est en train de naître ou une nouvelle, c’est fait, c’est fait par eux et pour eux, c’est évident.
NOÉMIE IMBERT DNSEP option design imbertnoemie@gmail.com
Mobilier en carton Many Ways, 2011 Format : 23 cm / 84 cm / 120 cm Ce mobilier en carton est composé de 76 découpes de carton, double cannelure 3mm, contrecollées. Il est à la fois léger et très résistant. Un robot numérique a piloté les découpes qui sont toutes identiques. Elles sont contrecollées avec un décalage horizontal de quelques millimètres à chaque collage, créant des ondulations dans l’extrusion de la forme.
P 34
Collection Many Ways, la répétition d’un unique élément graphique Mon voyage d’études au Camberwell college of arts, à Londres, dans la section Design graphique, a transformé ma manière de concevoir le design. J’y ai rencontré un univers créatif d’une grande richesse où s’entremêlent plusieurs médiums et pratiques. Typographie, identité visuelle, langage graphique… voici quelques notions qui ont motivé l’ensemble de mon travail. Le point de départ de la collection Many Ways (projet présenté à mon diplôme de fin d’études), est la création du logotype Many ways que j’ai dessiné à partir d’un unique élément graphique qui se répète et se combine de différentes manières. Par un même jeu de combinaisons formelles, cet élément graphique se duplique à l’envi et à l’infini pour devenir un outil de dessin qui génère des alphabets, des motifs, des mobiliers… Le passage de la conception numérique à la réalisation de mobilier dans des matériaux tangibles m’a permis de m’évader du côté magique et instantané de l’écran où je peux indéfiniment transformer des formes. Bois, carton, plexiglas… Chaque matière impose des contraintes qui stoppent le processus répétitif, sans fin, de la collection Many Ways. Transformer un logotype Many Ways en langage graphique, exploser la structure combinatoire des lettres par le motif, défaire le graphisme des lettres pour qu’elles deviennent paysage… La collection Many Ways est un langage visuel dans tous ces états.
JA U-NYEONG (HYUN SOOK KIM)
Vidéogrammes extraits de Better City , Better Life, 24’ 20, 2011
DNSEP option art
P 36
kimhyunsook117@gmail.com www.jaunyeong.tistory.com
J’aime la vision singulière des paysans qui arrivent en ville après avoir quitté leur campagne. Cette vision me semble à la fois étrange et émouvante. Le temps des migrations provoqué par la mondialisation conduit les migrants à rechercher toutes les autres opportunités de vies possibles. Ils se déportent de la campagne vers la ville. Ils traversent bien souvent des frontières pour aller tenter leur chance dans les villes d’autres pays. La ville a besoin d’eux, de les utiliser, mais elle a besoin d’eux pour un temps limité seulement. Un jour vient où ils doivent partir. Cela ne leur laisse pas de place pour s’installer durablement en ville. Mes travaux portent sur l’itinéraire de travailleurs immigrés, sur l’histoire d’habitants de la périphérie, chassés par l’urbanisation. Et aussi sur les traces effacées de vies perdues en raison d’un développement urbain. Mon premier voyage à Shanghai était au départ motivé par l’intention de filmer une chinoise d’origine coréenne qui vivait en Chine avant d’immigrer en Corée. Dès mon arrivée, j’ai vu les vieilles maisons en train d’être démolies alors j’ai décidé de filmer immédiatement pour garder leur souvenir, le conserver d’abord dans mon cœur puis de les mettre en œuvre pour en témoigner. J’ai tourné en plan fixe, des séquences sans aucune action ni mouvement de la caméra étrangers à ce qui avait lieu, sans intention esthétisante préalable. Ces images sont devenues par la suite une sorte de « long shot ».
Cet acte me fait penser à quelque chose de l’ordre de l’archéologie plus que de l’archive. L’archéologie examine les traces du passé, elle déterre des souvenirs laissés dans les ruines, effacés ou recouverts par le développement historique de la civilisation. Mais comment déterrer des vestiges de la psychologie individuelle ? Pour reconstituer le lieu exact de ma propre histoire, je ne peux m’appuyer que sur ma propre mémoire. Et j’ai le sentiment qu’il n’y a aucun retour possible, parce que le lieu de mes souvenirs a disparu lorsque mon pays natal se modernisait. À la manière d’un cinéma du souvenir [le paradis du cinéma], il ne vit plus que dans mon image mentale, sans lieu physique pour réel appui. C’est cette réalité que l’expérience de mémoire a perdu. Quand je suis confrontée à la démolition d’une maison traditionnelle en Chine, cette scène me rend malade de nostalgie… c’est chaque fois un peu ma mémoire qui est détruite brutalement, peut-être à jamais.
SOHYUN KIM
Le déversement, 2011 Techniques mixtes, 200 x 180 cm
DNSEP option art
P 38
sohyun.kim@hotmail.com www.kimsohyun.com www.yassemeqk.com
Je suis née avec une mauvaise vue. Dans mon petit village, j’étais la seule qui portait des lunettes. Entre moi et le monde que je vois à travers les lunettes, quelque chose de transparent et d’indicible existe. Ce mince entre-deux appartient à mon monde et définit les lois de mon univers de travail. Je dois faire avec une mauvaise vue qui est pourtant une part de ce que je suis. Je dois interpréter le monde avec l’aide de silhouettes floues. Je parviens à déceler des figures, des motifs, des sujets dans cet environnement. De sorte que, dans mon travail pictural, je recouvre ces éléments de matière transparente, une sorte d’art plasmique, pour poser ma figuration du monde. L’abstraction prédomine au premier regard de ma peinture, bien que l’image de départ, l’arrièreplan du tableau, soit une photographie d’ombres, un fragment du réel. La vérité de « La chose a été là » comme le dit Roland Barthes dans La chambre claire (1980) se métamorphose en peinture abstraite. Deux opérations sont ainsi en regard et en confrontation : la figuration et l’abstraction. Par cette ambivalence formelle, je recherche avec préméditation le hasard des figures et le bonheur de ses effets plastiques. Mes peintures, mes ombres, mes photographies se nourrissent de ce monde hasardeux, de cette poétique de l’accident.
La caractéristique première de la lumière est qu’elle brille. Durant mon enfance, mon aire de jeux était constituée de la montagne et de la mer. Je m’amusais avec la lumière. J’adore les traits de lumière filtrée par les arbres et les rayons de soleil qui se reflètent sur la mer. Cette lumière est chaleureuse. Je pense que mon travail reflète cette part de mon enfance. J’évolue en première intention à partir de ces jeux sensibles, inconsciemment de toutes sciences artistiques. Car je veux entretenir cette lumière éclatante que j’ai vue sur mon travail, c’est pourquoi je me sers de médium éclaircissant. Et je veux oser dire que « j’ai cueilli la lumière, puis je l’ai posée tout doucement sur ma toile ».
SYLVIANE LAURETTE
De la série Animalcule, 2011 Feutre sur papier, 25 x 25 cm
DNSEP option art
P 40
sylviane.laurette@gmail.com www.sylviane.laurette.over-blog.com
Le paysage œuvre comme un prélèvement de nature, un morceau presque abstrait coupé de lui-même, une figure fractale. Un arbre ou une pierre ne sont pas que des sujets, ce sont des univers en soi. Voyageuse naturaliste, je vais à la rencontre de ces mondes autant que ces mondes viennent à moi, dans un jeu complexe d’échos et de résonances : dresser le portrait d’une cellule, d’un caillou, d’une branche, d’un ciel, de manière très simple. Garder l’empreinte d’instants éphémères. Consigner des idées de lieu, d’harmonies minérales, de jeux de lumière. Photographier des ombres « à la merci » du soleil. Capter et récolter ce qui est caché, voilé, la rêverie, l’hypnagogie, le floutage, le bruitage, la pixellisation, la métamorphose. Inscrire l’incertitude. La roche, le végétal, le ciel, l’eau, la carte, la topographie, les limites. L’horizontalité vs la verticalité. Tout cela soulève la question de la découverte du monde, la conquête du territoire, l’envahissement du terrain. Tout cela fait allusion aux géographies mythiques ou politiques qui s’avèrent finalement toutes imaginaires et fluctuantes. Une image, comme une cosmogonie. En parallèle de ces investigations contemplatives, j’esquisse un travail graphique assez formaliste qui vise à questionner l’essence même du dessin : des images mises à plat ; de l’encre, du papier ; une grande économie de moyens, même si les processus sont parfois complexes. Je ne recherche pas l’action minimale. À travers l’usage d’anciennes techniques de production d’images, je vise la culture du travail manuel et l’étirement du temps, favorisant le développement de la pensée, de la réflexion.
Par exemple, dans la série de dessins Animalcules, l’idée est d’interroger l’esthétique graphique spécifique du schéma, les modes de représentation simplifiée du réel, et les certitudes toujours renouvelées de la science, à partir d’un angle d’attaque qui m’est très familier : la biologie. L’emploi de feutres de couleur tend à influer sur la perception et affirme une étrange figuration « sauvage ». Les schémas deviennent des formes singulières qui deviennent à leur tour des personnages chimériques. De la dérision surgit parfois de ces compostions et des ces traits de couleurs. Chaque dessin, focalisé en tant qu’image, devient alors dans son interprétation un puits d’hypothèses sans fond.
AURÉLIEN LEMONNIER
Vidéogrammes extraits du film Tombeaux, 2011
DNSEP option art
P 42
sangloserie@yahoo.fr
Je fais de films. Des pièces en vidéo. Des sons. Des éditions. Des installations sonores ou silencieuses. La fiction préexiste au réel. Je manipule et abîme cette fiction au travers d’images et d’actions sur une matière oscillant entre figuration et abstraction. Que ce soit par une détérioration d’archives, un désamorçage du signifié, ou bien dans la mise en scène d’une passion athée, je mets en exergue une violence intrinsèque au fait d’exister et sa difficulté, si ce n’est l’impossibilité d’être libre.
MISANTHROPE (MATHIEU LORIAUX)
Les Éditions du Crétin, catalogue
DNSEP option art
P 44
ed-dumbass@netcourrier.com www.misanthropeandass.com
Les Éditions du Crétin est un concept visant à créer et valoriser une maison d’édition de livres d’artistes au sein même d’une école d’art. Durant trois ans, les Éditions du Crétin ont publié près d’une trentaine de multiples dont je suis l’auteur et ont participé à une dizaine de projets avec d’autres artistes. En tant que créateur, j’éprouvais des réticences à vendre mes originaux, aussi l’utilisation du multiple et de la sérigraphie m’ont-ils permis de passer outre cette angoisse et ainsi de faire découvrir mon travail de deux manières différentes. Tout d’abord en présentant les originaux dans des installations mettant en œuvre ce que je considère comme étant mon travail personnel. En second lieu, en présentant les éditions, les livres, les affiches et autres objets lors de la présentation du concept store des Éditions du Crétin. Cette distinction entre les deux peut sembler au premier abord mince dans la pratique. Que ce soit de multiples ou d’originaux, leur présentation ou leur exposition n’en reste pas moins l’occasion de montrer son travail. Mais dans la théorie, la distinction existant entre mon travail et le concept store est indiscutable.
En effet, le travail de Mathieu Loriaux ne se vend pas, alors qu’au sein du concept store des Éditions du Crétin, l’art devient un pur produit, un objet de convoitise, l’art a un prix. C’est pour cela, que mon travail en tant qu’éditeur et artiste me pousse à avoir un rapport étroit avec le design, le graphisme et certains outils de communication, tel que la publicité. Sorti de son contexte défini d’école d’art, le concept des Éditions du Crétin n’a plus lieu d’être. C’est pourquoi j’ai crée en 2011, comme successeur de cette maison d’édition : Misanthrope & Ass, que je définis comme étant une maison d’édition pour artistes rocks et ironiques.
ALDRIC MATHIEU
Fenêtre, juin 2011 Ensemble de quatre peintures glycériques sur toiles, 150 x 29 cm, 100 x 24 cm, 150 x 16 cm, 100 x 19 cm
DNSEP option art aldric.mathieu@free.fr www.aldricmathieu.com
P 46
Il y a la peinture et il y a le lieu
La peinture doit faire avec le lieu, ni s’y soumettre ni le dominer, mais faire advenir une nouvelle perception picturale de l’espace. La peinture ne s’efface pas, c’est uniquement par ses qualités picturales qu’elle peut agir sur l’espace avec lequel elle coexiste.
Ces ensembles dessinent des fenêtres ou des portes : la peinture est à échelle humaine. Passages, ouvertures qui se combinent dans l’architecture du site, éléments du mur qui font un avec le lieu et avec le regard de celui qui le parcourt.
La peinture doit faire le mur : s’affranchir du rectangle qu’est le tableau, ce pot-pourri de conventions, de consensus et de limites, cette chose prétentieuse qui s’impose sans distinction à tout lieu, cherchant uniquement le confort d’un accrochage plaisant. Faire le mur : construire autrement, la peinture avec le mur se fabrique de nouveaux processus.
* La règle des couleurs pour l’année 2011 est la suivante : 1 = Ébène; 2 = Gris Anthracite ; 3 = Bleu Bora Bora ; 4 = Vert disco ; 5 = Jaune lumière ; 6 = Rouge Madras ; 8 = Orange incandescent ; 9 = Blanc ; 0 = Rose ( blanc + Rouge Madras). La largeur en centimètres de la toile détermine sa couleur. Ainsi pour une toile de largeur 18 cm, cela correspond à : Ébène (1) + Orange Incandescent (8). Les couleurs et leur dénomination proviennent du fabricant des laques glycériques brillantes.
Je commence par accrocher mes toiles ou modules aux murs, les assemblant en rectangles ou en « fenêtres » et « portes ». Je les peins, c’est-à-dire je trace la forme, fenêtre ou porte, selon les couleurs qui correspondent aux formats* accrochés. La laque glycérique produit des coulures par sa viscosité, ce qui permet en retour d’effacer, de ravaler les traces du pinceau, de la main. Le dernier temps de mon travail est toujours à refaire : il s’agit de l’installation in situ. La mise en œuvre dans l’espace se décline selon le lieu, ses dimensions, ses caractéristiques, les modules seront espacés, laissés bout à bout, ou se chevaucheront. La peinture conserve la trace de la forme initiale, et les alignements de cette trace entre les modules sont respectés.
ADRIEN MONFLEUR DNSEP option art
Il est aux toilettes, 3’ 33, 2011 Lui, lui et lui, 2’ 07, 2011 Te tuer de mes mains – mon dernier regard sur toi, 4’ 07, 2011
adrien.monfleur@gmail.com
P 48
Les voir chacune les unes après les autres, et après, ensemble, toutes. Comme pour y voir un seul et même homme. Il les fallait toutes, le "tu", "te", le "il" et "lui", le "moi".
corps – dans des endroits qu’on suppose – des lieux habitables – mais qui ne permettent pas l’action – sur le moment – aucune perturbation – autre – notre probable présence – il est seul – le restera – nous sommes sa possibilité de fusion.
Parce qu’il m’a semblé le voir une première fois, le regarder même, plutôt l’épier – à cette terrasse bondée par l’autre – à la caisse du Monoprix – à Saint-Charles, descendant les marches – au Champ de mars, à la fermeture – sur la Canebière, courant un soir d’orage. Et à l’Etoile. Un attrait certain – pour sûr – comme fasciné. Comme si je ne saisissais toujours pas ses propres agissements – vraiment – avant qu’il ne me regarde, pour que je le lise, partiellement – enfin – il était dans mon lit. Sa beauté m’attirait autant que ses vices – certains – ou plutôt ses multiples passions que je voulais partager – par lui. Et je voulais le revoir inlassablement – toujours – sans jamais me lasser de le feuilleter – sans jamais le comprendre – par égoïsme pour moi, seul. * Un corps qu’on aperçoit – entrevoit – qui ne nous dit rien – laisse supposer – imaginer – une probable situation. Laisser ce corps – le prendre dans son mouvement – même infime – celui qui commence – celui qui finit – jamais dans son entier – rien qui ne nous laisse vraiment croire – ce qu’il fait – ou ne pas le voir – du tout. Mais le regarder – inlassablement – ou pas – ou peu. Le montrer seul – ce
Un corps – pour ce qu’il est – un corps – une masse mouvante – un attrait pour – une sorte d’attirance – qu’on protège du temps – un temps. * Les fesses – le dos – portent au désir de ce qui est caché. Le visage – le devant – c’est ce qui permet l’identification. Une personne de dos – c’est la nuit. * " Ils sont méconnaissables au dehors, transparents. Ils se transforment par le manque de désir, masqués par la volonté d’être semblables... " Alexandre Bergamini - Retourner l’infâme, 2005
OLIVIER MULLER
Moulure Jeans, 2011 Sculpture, plâtre, jeans, crochet en métal, 80 x 60 cm
DNSEP option art
Pièce Montée, 2010 Sculpture, plâtre, fleurs de cimetière, bois, goudron et néon. Dimension variable
mullerolive@hotmail.fr
P 50
Il y a la volonté de faire naître une forme dans l’atelier et de donner corps à un objet réceptacle d’un geste, d’une énergie corporelle. Une volonté de bâtir. Une logique de mise en œuvre. Il y a aussi les accidents de l’expérimentation et les « ratés » de la pratique, les choses bancales et inachevées, ce qui casse, qui tombe. Celles-ci sont importantes pour moi car elles se dissocient de la volonté de l’acte de « faire », elles exposent une autre histoire, elles mettent en jeu d’autres forces, elles interrogent d’autres possibles. Une bifurcation inattendue que je ne corrige pas, une fragilité que j’aime laisser là, au risque de voir l’ensemble choir. Entre l’apparition d’une forme et l’endroit de sa perte (terrible destruction ou ruine joyeuse), qu’est-ce que l’on peut trouver ? Cela pose la question du devenir de l’objet et de la nature plurielle de l’œuvre. J’aime l’image précaire et fragile d’un formalisme passé au marteau-piqueur. Une esthétique simple et immédiate de semblant d’artisanat « mal-habile » hors des normes idéales, soumise à aucune nécessité de rendement ou de réussite. La vanité d’une forme croulante qui se veut autoritaire. J’utilise et manipule des matériaux de construction et de décoration choisis pour leurs qualités de textures, de couleur, de transparence, de porosité. Le plâtre, le béton, le goudron viennent tour à tour structurer, pétrifier ou soutenir des matériaux plus anecdotiques tels que les fleurs artificielles en tissu, les canevas, les vitraux, les Jeans, récupérés ici et là.
Le travail offre la proposition d’un formalisme décadent d’une forme inachevée ou usée, en double sens. La sculpture se met en scène dans une relation d’interdépendance et de relativité avec l’espace. Les éléments sont installés mais rarement fixés, ancrés dans une temporalité éphémère. Il demeure la potentialité d’un changement ou d’une chute. Les modules construits tentent l’expérience du volume, de la sculpture mais à leur manière, émergence commune de la forme et de son événement sensible, ils n’arrivent pas au bout d’euxmêmes. Comme une condition nécessaire contradictoire, ils croulent sous le poids de leurs propre matérialités. Ce n’est pas la disparition des objets à peine fabriqués qui importe ici mais bien dans leur finition leur potentiel de disparition. Leur figure « ruinée » évoque pour moi l’ironie de l’acte de création, la fulgurance de la destruction, le romantisme du deuil, les ravages de la guerre, le paysage en cendres de Pompéi.
NICOLAS NICOLINI
Sans titre, 2011 Acrylique sur toile, 230 x 150 cm
DNSEP option art
P 52
nicolininicolas@gmail.com www.nicolininicolas.carbonmade.com www.yassemeqk.com
Je peins pour ne pas oublier que ce qui m’a décidé à peindre ce que je suis en train de peindre était que tout peut être peint à condition que cela parle de peinture. Tout l’enjeu se situe dans le « comment peindre aujourd’hui le paysage », ou comment ramener le paysage vers la peinture. Je ne cherche pas à établir un constat du paysage contemporain mais plutôt à l’explorer afin de le manipuler avec les outils de la peinture. J’utilise dans mes compositions un ou plusieurs éléments fondamentaux, tels le ciel, la mer ou la terre, comme repères / ancrage spatial, ce qui me permet, pour le reste, d’avoir une liberté dans le mode de représentation. Ainsi, certaines parties se donnent à voir comme de la peinture brute qui ne s’efforce pas à figurer. S’attarder sur ce qui nous entoure est une idée simple à concevoir à condition d’accepter le cliché. C’est aussi une manière de se maintenir dans un rapport au réel. La peinture prime sur le sujet mais pour cela, encore faut-il être intéressé ou concerné par le sujet. L’acte de peindre ces banalités (une maison masquée par un mur, un rond point, un paysage que l’on devine derrière une végétation fournie, un aquarium, une résidence au sein d’une cité, un tas de terre, une coque de bateau, etc.) est à l’image d’un objet oublié qui nécessite un dépoussiérage. Objet que l’on peut alors transformer, modifier ou au contraire conserver sa forme originelle, son authenticité. Et dès lors que la peinture apparaît, les possibilités sont nombreuses. S’écarter du sujet au profit de la peinture, peindre le cliché sans interprétations... peu importe la voie empruntée, c’est le langage pictural qui mène la danse.
SINYOUNG PARK
Sans titre, (série Plongeoir) 2010-2011 Toile acrylique et huile, 180 x 300 cm
DNSEP option art
P 54
parkshnyoung@gmail.com www.yassemeqk.com
« L’acte de voir et celui d’avoir des visions sont les deux moments d’un même processus : la fabrication des images. » (Alessandro Mercuri, Kafka Cola, 2008) Afin d’esquisser ce qui est mon histoire, ma pratique de peinture se situait dans un héritage de l’art traditionnel coréen profondément enraciné dans une esthétique orientale. L’utilisation de la ligne est primordiale, l’énergie est représentée dans le geste, d’une manière proche de la calligraphie. Je peignais des compositions de lignes sans couleurs, je dessinais et j’écrivais littéralement avec des pinceaux. Mes travaux récents se fondent sur un autre «écriture» picturale. Les motifs de carreaux et de cloisons sont des répétitions sur la toile. J’humanise les lieux représentés par des jeux sensibles de couleurs ou d’irrégularités. Mais ils répondent à une ligne picturale définie et n’en sortent pas, une matière lisse, une surface plate comme une image, des formes en voie d’abstraction. Si le motif est commun, une double vision différente se construit à l’intérieur de chaque tableau. Il n’y a ni origine ni fin, les espaces peuvent s’agrandir à travers un espace mental. Ils sont la parcelle d’un tout. Le plongeoir est un objet plastique sculptural, voire totémique, et glisse par la peinture dans un sujet polysémique et métaphysique. Il symbolise l’image existentielle d’une continuation, d’un cycle qui ne se brise pas, une architecture faite par l’homme qui met en œuvre les forces d’une triple attraction : pour le ciel, pour le vide, et pour la terre. Il n’est pas un lieu où l’on reste : on monte, on saute, on chute, on recommence. L’idée-même de la création.
Les structures sont nettes, et même si elles sont très présentes, elles sont vouées à disparaître dans le seul plan de l’image, comme évidée détail après détail de leur contexte. Dans un effacement de traces, de perte d’informations, de distance avec toute narration, dans un mouvement régulier de déréalisation, une translation générique s’opère sur la visibilité. La figuration se construit alors tout en se détruisant, où le fond devient la forme et inversement. Il n’en reste qu’une sorte de préfiguration. La forêt, le paysage demeurent comme des traces de sentiments, comme des résonances scopiques, comme des preuves d’une investigation formelle. Ils deviennent des traces de pensées, des moments imaginés. À l’origine modèle, le paysage passe par une conversion modélisée, une « architecture intérieure de la surface ». Tout est en place pour exprimer un nouvel espace plus analytique dans le tableau, un lieu qui n’existe que sur la toile. Je suis pourtant dominée par la peinture. Le format est plus grand que ma vue. Je dois lever ma tête. L’image dépasse mon idée, elle s’empare de mes percepts, de mon corps. La peinture est en deçà et au-delà du regard, elle impose une autre manière de voir que l’expérience directe du réel ou l’illusion d’un monde extérieur. Dans l’espace qui ne voit pas la fin. Dans une poétique de l’œuvre. Le plaisir de jouer avec l’instinct.
WILFRIED PAYSSÉ
Badalona, 2011 Impression offset sur papier carotte, 49 x 62 cm
DNSEP option art
P 56
wpaysse@gmail.com
La ville comme terrain de jeu et d’investigation
Sur les traces d’un certain Walter B. mort non loin de Perpignan, a Port-bou. [Port-Bou où j’ai perdu un téléphone LG mirror de couleur grise, retrouvé en gare ferroviaire mais pas restitué a l’heure actuel. Avis aux amateurs !]. Walter, je l’ai rencontré dans un camp Roms à Aix-en-Provence. Il m’a offert en compagnie de sa femme, de sa fille et de son beau-fils le couvert et l’hospitalité. Son nom de famille n’était pas B. et ce n’est pas grave car lui était aussi né en Allemagne et lui aussi avait émigré en direction de l’Espagne. Moi, Wilfried P., j’aimerais bien aller à Berlin, mais je préfère Barcelone, c’est plus méditerranéen. Y.Friedman nous dit grosso modo, entre autres, dans « L’architecture de survie, un esthétique de la pauvreté », qu’il vaut mieux habiter là où le climat est plus favorable et tempéré pour vivre en extérieur et ne pas souffrir du froid ou de la forte chaleur. Le projet Une cabane à Aix-en-Provence (2011) est une tentative allant dans ce sens, une suite logique à cette critique de la spéculation immobilière, entamée pour mon DNAP, ainsi qu’à la pratique de l’autogestion : construire ma propre cabane-atelier à l’intérieur un camp de Roms pour répondre à ma propre crise de logement.
Y. m’a inspiré la pièce intitulée #05 ou maquette de la plateforme aux grues (2011). C’est une structure permettant la construction d’un nouveau système urbain pour la ville, de manière aérienne. Mais aussi une mise en garde contre les dérives et la monstruosité que la ville tentaculaire peut prendre. W. P cherche donc à émigrer de B, B comme Babylone ou Badalona (2010), cette ville dont les frontières lointaines et floues nous offrent un paysage pittoresque du nouveau millénaire : « Une nouvelle ville entouré de paysage et non plus de paysans » « L’orthographe est brut de décoffrage, comme le thème abordé dans mon travail. Ne pas m’en tenir rigueur. » 2011
BASTIEN ROUSTAN
Sans titre, extrait de la série Carte, 2010 Photographie couleur, carte , taille variable
DNSEP option art
Paysage #2, 2011 Techniques mixtes, 250 x 240 x 90 cm
roustan3@hotmail.fr www.bastienroustan.com
P 58
Chaque série photographique est pour moi l’occasion de comprendre et d’analyser une situation donnée. Que je réalise les images ou que je les récupère sur Internet n’a pas d’importance. À l’aide de « protocoles d’expérimentation », j’observe, entre autre, des salles de réception, des tirs de mines ou encore des amateurs solitaires filmant leurs orgasmes. De cette observation résulte une image réfléchissant les différentes composantes qui ont amené à cet instant, et après lequel la situation va devenir autre, avant de se dégrader. Je recherche une sorte d’optimum qui porte en lui dans le même temps les moyens de sa réalisation et de sa destruction.
FRÉDÉRIC SIEGEL
Logement complémentaire. Propositions constructives d’une cellule d’habitation d’un logement étudiant, 2011
DNSEP option design
Logement complémentaire. Mise en situation des cellules d’habitation de manière autonome, 2011
contact@fredericsiegel.fr www.fredericsiegel.fr
P 60
Ma ville, Ma ville est sans complexe, rien ne la vexe. Elle déborde d’originalité. Pour elle, tout est un moyen, jamais une finalité. Ma ville est lunatique et suit les mouvements contraires et répétés des marées. Elle s’agrandit et ne laisse aucun démunis, Rien ne l’arrête, tout lui est permis. Ma ville est consciencieuse, elle trouve toujours une maille libre dans son tissu. Elle me laisse une place en son sein quelque soit ma situation. En transit, ma ville me garde un toit. Soirée trop arrosée, perte d’orientation tardive dans les méandres urbains, sont des situations que ma ville anticipe. Elle offre un espace habitable à chaque personne qui n’a pas les moyens d’en posséder un mais qui le désire indéniablement. Ma ville ne laisse personne à la rue, car elle a compris, que nous ne menons pas tous la même vie. Ma ville est collective mais n’est pas jalouse de mon individualité, ni de mon intimité. Elle ne se prostitue pas, pour le bien-être son prochain. Dynamique, c’est son énergie qui vous réchauffera ! Porte monnaie, loyer, système financier, oubliez, tout est financé, il n’y a pas de rentier. Ma ville est frileuse à l’idée de mettre le pied sur une terre saine et vierge. Elle puise dans son passé pour développer ses futures racines. Sur ses murs tout pousse, Les abris envahissent les bouches d’air chaud, les stations de vélos, Des cocons se tissent sur les bras désarticulés des platanes, Les cellules d’habitation aveuglent les façades des centres-villes, ou baignent au soleil sur le toit des immeubles.
NOÉMIE SONCK
Sans titre, 2011 Aquarelle et encres sur papier, 205 x 112 cm
DNSEP option art
Sans titre, 2010 Aquarelle et encres sur papier, 200 x 113 cm
sonknoemie@gmail.com
P 62
D’images d’images (un dessein de la peinture)
(Michel Foucault), là où le monde réel se change en vision du monde, et dans sa mise à plat, invite à voir à travers les effets de l’art un visage double du monde à la fois réaliste et poétique, et affiche une esthétique à double fond à la fois photogénique et « causa mentale ».
« Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation. » (Guy Debord, La société du spectacle, 1967) « Ainsi la peinture n’est jamais à propos d’ellemême : elle est toujours l’Interprétant, la mise en œuvre d’une autre technique et d’une autre logique. » (Cyril Jarton, catalogue Troublespot. Painting, 1999) Suivant l’hypothèse d’un monde d’images et une époque de la visibilité, peindre d’après le réel consisterait aujourd’hui à peindre d’après photo. À condition de vivre à l’intérieur d’une caverne platonicienne, d’une fiction esthétique où la photographie incarnerait une ombre moderniste exemplaire, voir le monde consisterait à en détourner le regard dans une représentation utopique de l’image, où l’original est le double, un jeu de réflexions et de reproductions entre différentes natures d’écrans qui remplirait le réel autant que les imaginaires. L’artiste Noémie Sonck retourne ainsi cette image d’un monde d’images à travers son travail pictural où l’imagier se dédouble en auteur d’images imaginées. Elle fait œuvre d’un jeu hybride – la confrontation entre deux types de réalité (le réel / l’image) et la forme particulière de résistance de chacune qui se dessine entre les genres, les pratiques et les médiums. Son univers plastique s’approprie cet accroissement iconique de la réalité, ces « branchements sur la circulation indéfinie des images »
La photographie en tant que modèle référent redevient un « art moyen » (Bourdieu), une image mécanique douée d’usage recomposée au regard de la peinture « délestée de son encombrant châssis » avec les outils du dessin. Les sources hétérogènes des documents choisis, personnels et récupérés, s’inscrivent dans cette continuité subjectivité / objectivité. La chimère de la vraie image sort du tableau et parle un autre langage. Encre et aquarelle sont l’alchimie du révélateur dans une manière légère et rapide. Elles dispersent les sujets photographiques dans une couleur liquide qui transfigure l’image sur une autre forme de sensibilité à la lumière. Ce « filtre » – touche du peintre / retouche d’image – applique aux motifs une couche d’aura qui imprègne littéralement le papier jusqu’à son jus final. Contorsions et contusions d’un singulier jeu de dé-figuration, complexe d’apparitions et d’effacements, il intègre une distance irréductible avec le réel à la manière d’une abstraction normative qui vient cadrer, et révéler peut-être, une réalité plus subjective et irrationnelle. « La chose a été là » disait Roland Barthes dans La chambre claire (1980), et dans les œuvres picturales de Noémie Sonck, elle est doublement là. Luc Jeand’heur, novembre 2011
BIN SONG
Contingence I, 2011 Peinture sur toile, 240 x 220 cm
DNSEP option art
P 64
song.bin@hotmail.com
Mon intérêt porte toujours sur deux dialectiques dynamiques : masculinité/féminité et image / langage. 1) À part la solidarité entre le désir de la femme et celui de l’homme, la femme semble avoir une position autonome et mystique, comme une femme regardant n’est pas pareille qu’une femme regardée. Il se peut que l’on ne puisse pas décrire cette position, mais elle est là. 2) L’image semble plus rapide pour rapporter le plaisir. Le langage semble plus facile pour faire s’engager le sujet dans un espace illimité. Les deux idées concernent non seulement deux possibilités jouissantes du sujet, mais aussi deux façons de l’art du point de vue de l’art contemporain.
CHEN WANG
Le kaléidoscope, 2009 Photographie, 59 x 42 cm
DNSEP option design
Pump it up !, 2011 Chaise gonflable, structure en métal, deux coussins gonflables médicaux en PVC, boules en bois, deux gonfleurs à pied, 46 x 46 x 82 cm
wangchen120483@gmail.com www.cerise.freeheberg.com
P 66
J’aborde à travers mon travail la notion de confort avec un double regard porté sur la culture chinoise (ma culture d’origine) et la culture française. C’est en découvrant et en explorant la culture occidentale, que je qualifierai de « libre », que je me suis rendue compte à quel point l’inculcation de la culture traditionnelle pratiquée en Chine clôture notre pensée et ce depuis l’enfance. Par exemple, dès l’école primaire, parents et professeurs obligent les enfants à s’asseoir « comme une cloche » et à se tenir « droit comme un pin ». Dans mes projets, j’essaye ainsi de mettre en exergue les différences et les contradictions qui peuvent apparaître lorsqu’on compare ces deux cultures en termes de définition et de conception du confort. J’en déduis ainsi ma propre définition du confort. Aujourd’hui, une conséquence des avancées technologiques est la généralisation de l’utilisation de l’ordinateur. Cela pourrait-il affecter la morphologie de l’Homme ? Il faut cependant noter que la posture adoptée devant un ordinateur n’est pas unique. Avec l’apparition des ordinateurs portables, « smartphones » et autres tablettes, on utilise l’ordinateur partout, en intérieur comme en extérieur. Ceci donne lieu à l’apparition de postures multiples et variées en fonction des différents lieux d’utilisation. Naturellement, la notion de confort évolue avec ces postures.
Dans mon travail, je propose une nouvelle approche qui consiste à améliorer le niveau du confort non pas en travaillant sur une assise fixe mais en utilisant une propriété intrinsèque à la notion de confort : sa fugacité. En jouant sur les contrastes confort / inconfort, mou / dur et en exploitant les aspects dynamiques du confort, par le biais de formes simples, j’offre à l’utilisateur plusieurs positions imaginaires, une liberté de mouvement et une harmonie entre bien-être physique et psychologique.
LAMBERT WATINE
Terre Fertile, 2009-2011
DNSEP option art
P 68
l.watine@gmail.com
« Nombreux sont ceux qui m’ont reproché de ne pas montrer les cadavres. Mon but n’était absolument pas d’impressionner le spectateur jusqu’à ce qu’il soit incapable de voir. » Abbas Kiarostami
En fait, si vous souhaitez en arriver aux photographies ci-jointes, la question que je me pose – sans vous prendre en considération jamais – est « qui suis-je ? », et la réponse est « chez moi ».
L’autobiographique est « nul si découvert ». J’ai été très influencé par des notions d’effleurement, de poésie, de glanage, de basculement et d’économie de moyens... On peut être dubitatif en pensant « économie de moyens », immédiatement comme on l’entend, au regard de mes occupations de l’espace et de face à face aux corps. Si vous vous contentez de la vision terre à terre de l’économie de moyens, alors vous serez face à quelque chose d’énorme et de massif, peu capable de savoir si vous pouvez entrer ou si vous devez rester extérieur. Si vous regardez ça comme un espace mental – lui-même peut-être sans mesure – qu’on peut invoquer par les films au cinéma, la musique dans le casque ou un livre passionnant, on arrive lentement à autre chose. Je ne cherche jamais à donner les choses en pâture, elles sont disponibles, il faut construire avec. Par abstractions, allusions, conjugaisons, contagions, duplications, les choses s’assemblent. Lentement et incertaines. Tout est effleuré mais rassemblé. L’économie de moyens est là. Économie de moyens n’est peutêtre pas la bonne expression, mais, me semble-til, il s’agit de la bonne pensée.
YANG YOOREE
Paysage métaphysique, Juste milieu 1, 2011 Huile sur toile, 220 x 180 cm
DNSEP option art
Double paysage, 2011 Huile sur deux toiles, 360 x 150 cm (160 x 150 cm, 200 x 150 cm)
macaronyr@yahoo.fr www.yassemeqk.com
P 70
Faut-il toujours que le matin revienne?
Dans cette série de tableaux, la nature est souvent lointaine : la montagne, la forêt ou la mer, toujours à l’heure étonnante où l’on devine encore un peu les choses qui vont disparaître dans quelques minutes, englouties par la nuit, et livrées aux bruits effrayants. L’Histoire de l’art ne fait pas l’économie de couchers de soleil ou d’aubes naissantes. Symbolique, spirituel, illustré, le passage du jour à la nuit et son opposé m’ont permis de les représenter. Dans l’histoire de la représentation, qu’en est-il de l’heure où l’ombre s’épaissit et la lumière devient rare, cet instant « entre chien et loup » où le paysage semble dépourvu d’aspérités ? Plat, sans point de fuite mais infini. Il se fait terre, ciel, monde, univers, totalité. Ce temps n’est plus seulement égal à l’obscur ou au néant. Quelque chose s’est retourné, s’est inversé dans notre conscience, un nouveau monde apparaît. Je suis maintenant « dans le noir qui éclaire l’esprit » (Samuel Beckett). Cette vision nocturne, sous forme de préliminaires, alimente ce qui deviendra paysage mental. Ma peinture nocturne règne nécessairement, organiquement, sous l’influence du monde visible, de sa substance et de son climat. Elle n’est plus un simple objet extérieur, un sujet de contemplation, un rival du réel. Elle n’est pas de l’inertie ou de la passivité mais de la découverte. Je vois l’obscurité dans les paysages de ma peinture. Je la vois encore dans ma tête.
Ce catalogue est une publication de l’École Supérieure des Beaux-Arts de Marseille
Directeur Jean-Louis Connan Conception graphique Cécile Braneyre Mise en page Dorine Mayet Images Les étudiants diplômés Coordination éditoriale Luc Jeand’heur Coordination Valérie Langlais
Remerciements à tous ceux qui ont permis la réalisation de ce catalogue et aux diplômés pour la sélection des visuels et pour leurs textes.
École Supérieure des Beaux-Arts de Marseille 184, avenue de Luminy 13288 Marseille cedex 9 T. 04 91 82 83 10 www.esadmm.fr