2012
Depuis janvier 2012, l’École supérieure des Beaux-Arts de Marseille écrit un nouveau chapitre de sa longue histoire, en devenant l’École supérieure d’art et de design Marseille-Méditerranée, un Établissement Public de Coopération Culturelle (EPCC), créé conjointement par la Ville de Marseille et l’État. Cette nouvelle autonomie de gestion lui offre la liberté de développer de nouveaux outils : son option design, des laboratoires de Recherche, une plateforme numérique et un Fablab, ses réseaux culturels et économiques, la professionnalisation, ceci dans la perspective de répondre au mieux aux nouveaux usages et réalités du monde de la création contemporaine. Cette promotion 2012 reflète, sans la circonscrire, l’expression affirmée de l’interdisciplinarité artistique à l’œuvre dans l’école. Elle fait état d’un foisonnement : réflexion/création/expérimentation/conception, que ce soit à travers les spécialités pratiquées ou par le croisement des apports théoriques, pratiques, techniques et technologiques associés à chaque projet, ainsi que son engagement en profondeur dans le monde de l’art et du design. Ce catalogue dresse une interface entre ces jeunes artistes et les publics, notamment les professionnels de l’art, autant qu’un état des lieux hétérogène et fugitif des DNSEP de cette année. Il est dans tous les sens du terme un intermédiaire, dans sa fonction de transmission et de reconnaissance, et dans son catalogage du présent. Cette édition ne décerne pas de titres, elle invite, du galeriste à l’institutionnel, du collectionneur à l’amateur éclairé, du chercheur universitaire au curieux, de l’artiste à « l’ami inconnu », de l’école d’art au cercle familial, à porter un premier regard l’univers des diplômés, au seuil lisible de leurs créations personnelles. Regardez-les avec attention, ce sont les premiers d’une école en transformation. Anne-Marie d’Estienne d’Orves Présidente de l’ESADMM
Agathe Alberti Bock
4
Nicolas Bucheri
6
Luz Cardona
8
Adèle De Keyser
10
Hilke Deutsch
12
Michel Ange Dié Kouassi
14
Marine Douet
16
Mahjoub El Hassini
18
Nathanaël Enoc
20
Sarah Fastame
22
Charles Gauthier
24
Matthieu Grosjean
26
Xiaoxiao Liu
28
Mathilde Magnée
30
Vannina Miliani
32
Chloé Ottaviano
34
Florine Quatrebœufs
36
Jeanne Roche
38
Lucas Rollin
40
Mathias Schech
42
Lisa Sudhibhasilp
44
Guillaume Tamisier
46
Jill Vandenberghe
48
AGATHE ALBERTI BOCK
Sans titre, 2012 Photocopie, acrylique
DNSEP option art
P4
agathe.a.b@gmail.com www.agathealbertibock.blogspot.com
Cette image a une histoire mais elle n’a pas encore de vie, il lui faut du papier pour la laisser mourir. Vous ne vous reconnaissez pas en elle et pourtant vous êtes en elle. Je cherche les « Jeunes Filles à la perle » dans les salles de bains de camping, les glaneurs parmi les randonneurs du dimanche, le Christ dans la piscine du voisin, Ophélie dans votre baignoire. J’efface l’insoutenable légèreté. Le blanc est à la fois trop et pas assez, le trop de lumière et le pas assez de mots.
NICOLAS BUCHERI
Systèmes D - structures de mobiliers, 2012 Systèmes auto-bloquants, porte-à-faux, mise en tension et contrepoids / acier, contreplaqué
DNSEP option design
Tabouret Stitches, 2011 Kit de modulation pour réseau proliférant d’assises, prototypes / contreplaqué d’Okoumé
nicolas.burcheri@gmail.com www.eniemestudio.com
P6
Constitué d’une production d’objets de mobilier, mon travail met en liaison des principes tels que la modularité, l’appropriation, la flexibilité. Des aspects récurrents qui se retrouvent dans la majorité de mes projets de design. Mettant en avant une certaine économie de moyens, des principes d’assemblage et une logique d’optimisation de matériaux, mon travail est axé sur la conception d’objets de modulation(s), constitués d’éléments modulaires. La notion de modularité est étroitement liée à l’espace, dans le sens ou elle permet de le structurer, de l’organiser. Par la répétition et l’assemblage, un module permet donc la prolifération, la propagation d’une structure, d’un réseau dans un espace. Mon travail crée une pièce qui ne prendrait tout son sens que lorsqu’elle serait utilisée dans un tout. Il détermine les particules d’un ensemble. C’est définir des règles prédéfinies de juxtaposition, c’est créer des systèmes ouverts à des géométries flexibles. C’est créer des dispositifs voués à la manipulation : emboîter, empiler, insérer, plier, accrocher, articuler, lier, assembler. La répétition et l’arbitraire de la composition, la logique stricte, le facteur de l’aléatoire, vont alors créer un tout. C’est essayer d’intégrer une sorte de jeu de construction dans un objet du quotidien. C’est donner à l’usager un éventail d’évolutions possibles, en soulignant la notion du provisoire par la possibilité de transformation de l’objet.
En poussant l’utilisateur à la manipulation et à l’appropriation, mon but est de le contraindre à poser un vrai regard sur les objets qui l’entourent. Mon travail c’est susciter chez lui le questionnement pour qu’il devienne un utilisateur-acteur. C’est lui donner des outils, des matériaux qui lui permettront de construire son environnement. C’est orienter son attention sur le fond sensible des choses...
LUZ CARDONA
Sans titre, 2012 papier calque (21 x 29,7 cm), papier canson bleu (24 x 32 cm), crayon gras blanc
DNSEP option art P8 luzbibi66@yahoo.com
Cette série de 18 dessins au crayon blanc sur papier calque symbolise des massacres commis dans les années 50 et 60 en Colombie. Ils font partie d’un ensemble d’œuvres qui ont comme genèse trois années de recherche historique sur la violence, dont six mois passés sur le terrain. Ces images sont à l’origine des archives photographiques au Musée Jorge Eliécer Gaitán situé à l’Université Nationale de la Colombie (Univercidad Nacional de Colombia). Elles témoignent de l’absurdité et l’horreur de la guerre. Les reprendre par le dessin permet de se réapproprier cette histoire. À travers l’emploi de crayon blanc sur papier calque, l’image dessinée se produit et « disparaît » dans un même temps, métaphore de ce qu’il est advenu aux victimes de cette guerre. La transparence du calque qui ne retient pas le regard fonctionne comme un signe du destin, c’est comme si les disparus s’effaçaient une deuxième fois. Je n’ai pas voulu réaliser une œuvre qui témoigne sur la guerre, je manifeste simplement le fait qu’on ne veuille pas la reconnaître. Historiquement, dans mon pays, on nie notre mémoire, le souvenir des victimes, la mémoire collective et la mémoire individuelle. Je me réapproprie les images de ces corps mutilés et par la grâce du crayon, la mort et l’horreur figurent des traits. Ces lignes tracent un souvenir, puis un territoire, et pour finir, un silence. Ces petits voiles translucides, fragiles comme la vie, racontent une histoire qui est restée trop longtemps enfermée dans le mutisme. Ça crie !
ADÈLE DE KEYSER
Carnis, 2012 Installation, dimensions variables, matériaux mixtes
DNSEP option art
P 10
adeledek@hotmail.fr
La figure humaine que je représentais en peinture n’était plus possible car elle me semblait arrêtée. Le cerne de la silhouette était rassurant mais fixe. Passer de la peinture à la sculpture, c’était entreprendre de contourner le cerne noir. Alors le masque, à la fois image/surface et volume. Un objet biface, une icône orthodoxe. Le jeu du masque dessus dessous, entre cacher et révéler, permet une présence inaliénable de l’objet et préserve en même temps l’idée de la représentation. Le masque quotidien et le masque carnavalesque se répondent dans une dialectique identitaire. Le regard extérieur s’arrête à la dernière couche humaine. Cette situation du voir se concrétise dans le spectacle. Je mets en scène un décor discordant. Quelque part entre l’avant et l’après du spectacle, un décor, par essence abandonné, dans l’ambiguïté entre construction et déconstruction, un espace en formation ou en train de se déliter. Coulisse ou avant-scène, c’est l’envers du décor. Un derrière des choses, qui sous-entendrait une découverte. Pourtant, pas de surprise, dans ce dessous, ce qu’il y a à percevoir est l’espace vide. Bien que chaque sculpture, des masques aux scènes, soit aux dimensions humaines, en référence au corps, la figure a fuit. On est dans un endehors de l’action, un interstice du petit théâtre quotidien, de ce Theatrum Mundi de chacun. Mort à l’image, libérez les prisonniers. C’est une scène de scènes de théâtre qui n’a pas de rapport avec le théâtre. Il n’y a pas d’exposition, le regard nécessaire de L’Autre sur soi est ici nul et non avenu.
Les sculptures invitent à regarder et pointent du doigt, « Là », il y a « Rien » à voir. Mon décor soutient, agrandit, circonscrit les objets reliquats d’un système de spectacularisation extrême : un carnaval glauque. La mollesse des formes, la séduction du velours. C’est un appel à soulever le rideau. Les trois coups résonnent : c’est à vous, c’est à qui ? Dans l’absence de cet espace se concrétise le sentiment d’être là, présent quand l’installation ne génère que du paradoxe. Parler de regard et d’exposition mais ne pas montrer. Tout faire pour ménager un espace au corps quand il ne viendra pas l’habiter. Supposer une action qui n’aura pas lieu. C’est un lieu hors du vivant.
HILKE DEUTSCH
25.4.2010, Place Sébastopol
DNSEP option art
25.02.2012, Agadir Marseille
13.05.2012, Hambourg Eppendorf
2012 hilke@gmx.de
P 12
Tentative d’arriver nulle part. Il est impossible de jamais finir quoique ce soit. Ainsi mon travail artistique traverse différentes phases de création. Des thèmes récurrents comme la disparition, la perte, la transformation, le désespoir, l’enfermement et la paix y apparaissent. Si mes productions représentaient au début essentiellement des formes issues de la photographie, de la sculpture et de la vidéo, la musique et le dessin ont pris une part prédominante ces dernières années. Ces deux pratiques faisaient déjà partie de ma vie depuis longtemps, mais elles ont acquis une place beaucoup plus importante dans mes conditions de vie actuelles. Forcée à effectuer de nombreux séjours en milieu hospitalier, ainsi qu’à de nombreux voyages, j’ai eu la chance de découvrir des mondes particuliers que j’essaie d’esquisser avec mon crayon, parfois en y ajoutant des notes. La création musicale n’est possible que lorsque je reste plus longtemps à un endroit. Cela m’offre les moyens nécessaires à la création, comme l’instrument — le violoncelle, ainsi que le matériel technique permettant les enregistrements, le travail électronique et la diffusion.
MICHEL ANGE DIÉ KOUASSI
La marche irréversible, 2012 Plâtre, verre, papier. Techniques mixtes
DNSEP option art
Rapport de conscience, 2012 Plâtre, bois, peinture. Techniques mixtes
diekouassi1@yahoo.fr
P 14
La sculpture : une histoire matérialisée
restent présents.
J’aime la sculpture. J’aime les matériaux qui la constituent. La sculpture prend forme à travers tout un processus, depuis la pensée de l’artiste jusqu’à la matérialisation finale. Au-delà de la représentation formelle de l’œuvre, une histoire qui transcende la matière. Ma conception de la sculpture a évolué au fil des années me conduisant à incorporer en écho dans mes œuvres une part autobiographique de plus en plus significative. Il me tient néanmoins à cœur que mes créations originales conservent une part de tradition qui se confrontent aux expériences des matériaux, des médiums comme l’installation, la performance, l’art vidéo ou encore la photographie acquises à l’école des beaux-arts de Marseille. Sculpter y affirmait alors plus qu’un savoirfaire, une totalité de choix, de gestes, de savoirs et de positions indissociables. Cela m’a inspiré une photographie hommage dans laquelle je rejoue une scène traditionnelle en pays Akan ou on voit une famille royale habillée en tenue d’apparat. Le roi placé au centre porte la coiffe royale Akan, originellement confectionnée de figurines en or, reproduites à base de feuilles dorées. Il porte également un grand pagne traditionnel : Kinté, une paire de chaussures : Abodjé, ainsi qu’une panoplie d’accessoires : collier, bague et bracelet. Les quatre filles qui le ceignent portent des pagnes imprimés, vêtements très prisés en Côte d’Ivoire et des colliers. J’ai refabriqué les attributs de l’homme en matériaux locaux : perles en argile cuite et chaussures en carton et argile. Cette image esquisse le rêve d’un monde différent. Le roi, c’est moi, et pourtant, indépendamment des relations qui jalonnent mon parcours social et artistique, les frustrations et autres écœurements
Mes travaux les plus récents intègrent d’autres récits autobiographiques dans d’autres histoires qu’ils formalisent. La marche irréversible expose au spectateur une allégorie de l’indétermination des déplacements de l’individu dans le monde. Jamais je n’aurais pensé un jour me retrouver en Europe, me confronter aux pratiques artistiques et rencontrer des hommes du monde entier. Rapport de conscience donne corps à une métaphore analogue. L’être humain est comme un pion qui bouge sans avoir conscience de son dessein. Les frustrations, les amitiés, les envies et les blocages sont autant de sentiments paradoxaux qui unissent les hommes autant qu’ils les opposent. Il s’agit de déconstruire un damier, y placer des symboles du monde, changer les règles et suivre le mouvement des éléments. Il m’est arrivé d’éprouver cette sensation intime et éthique de l’étranger qui évolue dans un manège social et culturel y compris un jeu artistique — dont il ne maîtrise pas les règles. Tout cela est mon histoire, celle que je transmets à ma façon singulière à travers mes pièces mais au-delà du récit sensible et de la parabole de ces fragments d’autoportrait, leur contemplation offre au spectateur la liberté de se forger lui-même ses propres histoires.
MARINE DOUET DNSEP option art douet.marine@gmail.com www.marine-douet.com
Grotte 1, 2011 Installation in situ - ciment, peinture Dimensions variables (photographie dans l’atelier : H. 3 m, L. 3 m, l. 2 m) I want to live in a wigwam, 2012 Installation in situ - ciment, peinture. Dimensions variables (photographie dans l’atelier : H. 3,5 m, L. 3 m, l. 10 m)
P 16
Mon intervention dans l’espace tridimensionnel est liée à l’appréhension physique de l’espace par mon corps. Je délimite en amont le cadre de ma peinture en fonction de cette situation. À cheval entre l’image et le volume : user de couleurs-matières. Davantage un jeu de déplacement qu’une peinture-discours. Étendre le domaine de la peinture, occuper des espaces inusités puis revenir à des choses plus ancrées, familières.
MAHJOUB EL HASSINI
La république des objets, 2012 Dimensions variables, matériaux code matriciel datamatrix et techniques print/pdf
DNSEP option art mes.courriers.pros@gmail.com www.larepubliquedesobjets.jimdo.com
P 18
LOREM IPSUM Sed ut perspiciatis, unde omnis iste natus error voluptatem accusantium doloremque laudantium, totam rem aperiam eaque ipsa, quae ab illo inventore veritatis et quasi architecto beatae vitae dicta sunt, explicabo. Nemo enim ipsam voluptatem, quia voluptas sit, aspernatur aut odit aut fugit, sed quia consequuntur magni dolores eos, qui ratione voluptatem sequi nesciunt, neque porro quisquam est, qui dolorem ipsum, quia dolor sit, amet, consectetur, adipisci velit, sed quia non numquam eius modi temporaincidunt, ut labore et dolore magnam aliquam quaerat voluptatem. Ut enim ad minima veniam, quis nostrumexercitationem ullam corporis suscipit laboriosam, nisi ut aliquid ex ea commodi consequatur ? Quis autem vel eumiure reprehenderit, qui in ea voluptate velit esse, quam nihil molestiae consequatur, vel illum, qui dolorem eumfugiat, quo voluptas nulla pariatur ?
At vero eos et accusamus et iusto odio dignissimos ducimus, qui blanditiis praesentium voluptatum deleniti atque corrupti, quos dolores et quas molestias excepturi sint,obcaecati cupiditate non provident, similique sunt in culpa, qui officia deserunt mollitia animi, id est laborumet dolorum fuga. Et harum quidem rerum facilis est et expedita distinctio. Nam libero tempore, cum soluta nobis est eligendi optio, cumque nihil impedit, quo minus id, quod maxime placeat, facere possimus, omnis voluptas assumenda est, omnis dolor repellendus. Temporibus autem quibusdam et aut officiis debitis aut rerum necessitatibus saepe eveniet, ut et voluptates repudiandae sint et molestiae non recusandae. Itaque earum rerum hic tenetur a sapiente delectus, ut aut reiciendis voluptatibus maiores alias consequatur aut perferendis doloribus asperiores repellat. « De Finibus Bonorum et Malorum » « On the ends of the good and the evil » Section 1.10.32 et 1.10.33, Cicéron, 45 av. J-C.
NATHANAËL ENOC DNSEP option art
Sans titre, 2011 dimensions variables, impression noir et blanc sur papier
P 20
nathanaelenoc@gmail.com
1 — Est-ce que tu admets le parallèle entre ta pièce d’après un feutre de R. Morris et l’œuvre de Cattelan ? — À vrai dire, je ne pensais pas du tout à lui, je crois même que j’ignorais l’existence de cette pièce. C’était important pour moi de « réaliser » dans le sens rendre réel, cette œuvre ; c’est une très curieuse « bissociation ». Je peux l’expliquer autrement : on représente quelque chose mais en même temps ce qui est représenté devient la chose en soi. — Cette bissociation, ou comme disait Öyvind Fahlström, ce « tricotage » inattendu d’éléments, se produit quelquefois dans la « jungle ». Il peut s’agir de deux parfums ou de deux œuvres d’art, ou encore de deux objets industriels. On pourrait dire qu’il y a un télescopage, voire un court-circuit, entre ces deux choses différentes. Le principe du court-circuit peut s’employer de diverses façons, et dans cette œuvre, il semble intervenir sur plusieurs registres. — C’est du « Pop Art de la culture spécialisée de l’art »...
— Tu as aussi pratiqué des gestes qui apparaissent comme irrévérencieux contre l’art et les artistes du passé. — J’ai réalisé quelques détournements d’éléments esthétiques préfabriqués, oui. Comme je l’ai déjà dit plus haut je crois, j’estime qu’on peut non seulement corriger une œuvre ou intégrer divers fragments d’œuvres périmées dans une nouvelle, mais encore changer le sens de ces fragments et truquer de toutes les manières que l’on juge bonnes ce que les imbéciles s’obstinent à nommer des citations ! F. G-Torres déclare ou écrit à propos de la nature subversive de cette pratique esthétique : « Dans notre cas nous ne devrions pas avoir peur d’utiliser des références aussi formelles car elles incarnent l’autorité et l’histoire. Pourquoi ne pas les prendre ? Quand nous glissons notre propre discours dans ces formes, nous le souillons. Nous les assombrissons. Nous les faisons nôtre et c’est notre ultime revanche. Nous faisons ainsi partie du langage de l’autorité, partie de l’histoire. »
1 Entretien avec Cécile Marie-Castanet, Monographie Collective, op. cit., p. 17-18.
SARAH FASTAME DNSEP option art s.fastame@gmail.com
Comment percevoir, ou plutôt comment percer le voir est la problématique essentielle de ma démarche artistique, car une image est aussi perception. De part en part se saisir de l’aspect vivant des choses, et capturer les instants fugitifs dans une quête des phénomènes sensibles qui nous entourent. Je mène la vidéo au fil d’explorations visuelles à la rencontre de lieux protagonistes, de ce qu’ils laissent échapper d’eux-mêmes. Un lieu renferme une histoire qui lui est propre et essentielle et c’est ce que je vise à dévoiler. Je me laisse transporter par ce qu’ils ont à raconter. Je les mets en scène dans des dispositifs ou des installations tentant de les dégager de leur seule forme de représentation dans l’imagerie collective.
La part de l’ombre (Vidéogrammes, extrait) 8’, 2012 Installations vidéo, dimensions variables, format HD, couleur, son-projection de trois flux synchronisés
P 22
CHARLES GAUTHIER
Atmo, 2012 Installation mapping interactive
DNSEP option design
Ori, 2012 Lampes modulables, papiers & barrettes leds
charlesgauthierdesign@gmail.com www.hyperline-studio.com
P 24
La lumière est au centre de mon travail. Elle regroupe à la fois usages, esthétique, ambiance et un choix de conception très large. Je me suis intéressé dans mes premières productions à la conception d’objets, notamment de lampes. Dans un second temps, j’ai continué à travailler sur la lumière à travers des installations qui la mettent en scène, avec l’utilisation de techniques de projection architecturale (mapping). Le procédé consiste à animer l’immobile, à rendre une surface interactive, mouvante pour déformer le réel et jouer avec les perceptions optiques. Les premières œuvres sont autonomes. Elles génèrent, de façon cyclique, de la lumière sur un volume. Dans la continuité de ces installations, j’ai conçu des œuvres interactives en écrivant des lignes de codes informatiques et en utilisant des capteurs tels que des micros ou des caméras. Ainsi nous ne restons pas passifs devant la lumière. L’observateur devient une variable dans un programme et donc un acteur direct de l’installation.
MATTHIEU GROSJEAN
Sans titre, printemps 2011 Extrait de Suspens ensemble de 5 photographies, 80 x 80 cm
DNSEP option art
Sans titre, été 2010 Extrait de La parcelle ensemble de 6 photographies, 20 x 30 cm
matthieu_gr@hotmail.com
P 26
Mes doutes quant à de prétendues appartenances m’ont porté à m’interroger sur ma relation avec les idées de frontières, de filiation et de liens affectifs. C’est pourquoi je photographie des territoires et des personnes qui me sont proches, comme autant d’éléments et de phénomènes qui me constituent, me fascinent et me bousculent. Ces photographies sont à la fois des ressources à des méditations et les témoins d’un monde filant. Elles sont le fruit d’un processus de mise en suspens, nourri par un besoin de solitude et d’indépendance. Il s’agit là d’installer au sein de mon existence une temporalité propre à la réflexion. Je fais place à une tranquillité, une douceur, un silence, qui semblent défier, pour un temps, la mobilité incessante du vivant. J’arpente et je m’arrête sur des lieux lorsqu’ils portent un trouble, lorsqu’ils laissent présager une légère oscillation de la raison. Sans renier mes liens avec une approche documentaire, je livre des ensembles de photographies en couleur qui suggèrent plus des forces de cohésion autour d’une expérience sensible qu’ils ne répondent à des impératifs de cohérence. La présence, le souffle, le rythme et l’élan sont les principes suivant lesquels ils s’organisent. Ainsi, chaque photographie conserve son autonomie et les ensembles sont appelés à être repensés et composés à nouveau. Les espaces qui séparent et relient les photographies sont des creux, des hésitations, des respirations, des bégaiements dans un flux d’idées et de sensations, de courants et de remous.
XIAOXIAO LIU
Sans titre, 2012 Acrylique sur toile, 200 x 200 cm
DNSEP option art
Sans titre, 2012 Acrylique sur toile, 180 x 49 cm chaque
zara2083@hotmail.com www.liu-xiaoxiao.com
P 28
J’espère toujours pouvoir réaliser quelque chose d’aussi proche que ce que je désire instinctivement. Je pense que l’art est une obsession qui concerne la vie. Cette question est de mon point de vue essentielle, tout comme est essentiel le fait de devoir se nourrir pour vivre. C’est pourquoi je palpe la nourriture. Je touche à la nourriture. Elle m’attire. Je vois la nourriture de façon différente. C’est comme un paysage. Ou bien je la personnifie. Ses substances sont comme des amis avec lesquels je peux merveilleusement communiquer. Par les couleurs et les matières picturales, sur des grands formats. Le moment le plus joyeux est celui où la peinture a dépassé le sujet, où elle a lieu au-delà du motif, où elle déborde littéralement de l’image. Je laisse la peinture faire son oeuvre, dans le fluide et la coulure, sans trop contrôler les formes pour ne pas être dans la représentation ni l’illustration. À ce moment-là, la nourriture est toujours présente mais le sujet a disparu. En face de moi, c’est la peinture. Ce qui m’amène à la seconde part de mon travail, qui à sa manière vient confronter ma recherche picturale sur la nourriture, orientée dans une recherche plus abstraite où il est question de la Couleur, en polychromie de nuances et sensations, loin de toute représentation et figuration de nourriture. Les tableaux forment des compositions en bandes alternant différentes couleurs et matières. Ces peintures verticales peuvent en quelque sorte s’envisager comme des nuanciers des tableaux de l’autre série « nourriture » dans la mesure où ces deux explorations picturales se nourrissent l’une l’autre.
MATHILDE MAGNÉE
Série, Canopée (extrait), 2012
DNSEP option art
P 30
mathilde.magnee@gmail.com
Canopée Au dessus de la ville, depuis les fenêtres, balcons, terrasses, on regarde avec hauteur la rue et ses mouvements. C’est un point de vue privilégié, propice à la rêverie. Mathilde Magnée nous propose cette position d’observateur hors du temps. Les photographies de la série Canopée sont prises de nuit et jouent de l’atmosphère et des fantasmes qu’elles véhiculent. Séduction de l’image qui joue son propre jeu, appel à la contemplation. C’est de spectacle dont il est question. L’artiste place le spectateur dans un univers trouble. Reliés à la ville par les taches floues de ses lumières lointaines, les personnages, sous les feux des projecteurs, nous sautent au visage. Le regard perdu hors du cadre de la photo, ils semblent être dans un entre-deux, qui glisse de la fête à la cérémonie. Tableaux lunaires, Pierrots qui rient qui pleurent, la nuit accueille les perditions. C’est le temps des méprises. Le plus petit détail devient le clou de la soirée. Une branche devient une main, un drapé prend les formes d’un animal inconnu, une guirlande de pacotille habille le tronc d’un arbre.
La canopée est la partie la plus haute des forêts, celle qui voit la lumière. Le titre superpose ainsi l’urbain et sa réalité à l’ambiance sombre et touffue de la forêt. Que se passe t-il au delà des arbres, au-dessus de la ville ? Le yucca, comme un point de contradiction à la ville en contrebas, ponctue la série. Il marque l’avènement d’une autre logique, d’une sorte de divagation de l’ailleurs, qui résonne dans le son de canopée. Maquillage et nature cohabitent de manière presque trop naturelle pour ne pas montrer du doigt l’artifice ; la mise en scène est trop évidente pour ne pas insinuer le dérapage. Canopée est un espace de tension entre ciel et terre, entre le contour et le flou. Au dessus de la ville se passent les histoires en apesanteur.
Adèle de Keyser
VANNINA MILIANI
Scroil (3 x 3 x 1,5 m), 2012 Sérigrahie sur rouleau de papier (10 x 1,5 m)
DNSEP option art
B&W, 2011 Animation, durée 3 : 46
v.f.alessandri@gmail.com
P 32
Une société de consommation et de marques
La société est une source d’inspiration mais aussi d’influence. Pour nous qui vivons dans cette société, nous sommes à la fois témoins et victimes, de manière consciente et inconsciente, de son influence vis-àvis de tout ce qui nous entoure. L’image possède une place très importante dans la société. Elle détermine les critères de beauté, d’esthétique, de norme, etc. Nous sommes entourés d’affiches publicitaires, de journaux, de magazines, de séries, d’émissions, de films qui nous vendent une réalité qui n’existe pas, tout en continuant à la promouvoir comme étant un but à atteindre pour être comblé dans la vie. La société joue avec la culture du désir grâce à des images qui nous envahissent. Les artifices de l’image publicitaire sont porteurs de sens. La plupart des gens ne pensent pas que l’image publicitaire peut être manipulatrice, que le choix de cadrage, de couleurs, la composition, que tout dans la publicité et ses images est extrêmement porteur de sens.
La naïveté de la plupart des personnes face à la publicité, alors même qu’ils baignent dedans à longueur de journée, montre que personne n’est à l’abri des influences extérieures et que l’on peut être séduit et re-séduit encore et encore par le même type de publicité. Elle cible les consommateurs qu’elle veut séduire. Une marque vise un public bien précis, fait des études de marché pour déterminer ce qui « accrochera » le plus les clients potentiels. L’émergence ou le déclin d’une marque est en parti du à sa capacité à se promouvoir, se vendre, séduire le public qu’elle cible. La société joue avec la culture du désir grâce à ces images qui nous envahissent. Je cherche à démontrer l’impact visuel que peut avoir une image, par mes illustrations qui peuvent être comparées à des Fashion illustrations de par leurs esthétiques. Tout n’est que codes et appartenances face aux apparences de la société.
CHLOÉ OTTAVIANO
Sans titre, 2012 Ensembles de pièces, feuilles de riz, dimensions variables.
DNSEP option art chloeottaviano@gmail.com www.yourprofolio.com/chloeottaviano
Case -contenant qui devient corps. Un corps qui contient du vide, du rien. Sa composition, une matière de pas grand-chose, est en même temps primordiale. Nourriture, denrée alimentaire vitale pour notre survie, elle contribue à notre matière-chair. Elle est notre carburant. Les coffrages permettent de mouler le vide. Il reste l’empreinte du moment où la matière a été déposée et a pris forme. Les formes géométriques donnent un cadre à cette matière qui se métamorphose. En fonction de l’humidité, de la lumière. La feuille de riz se mue de mille façons, ce qui confère son unicité à chacune des formes. Le coffrage permet à la matière de bouger mais de manière cloisonnée, dans un champ limité. Le résultat donne une forme colorée, d’apparence géométrique se référant au Minimalisme. Mais sa tangibilité tient à la matière. Une apparence de fibre de verre extra-fine confère aux pièces une dimension délicate et fragile. Certains blocs ont subi des chocs, des brisures, des cassures qui mettent en exergue leur extrême précarité. Ces éléments révèlent une rigidité dans leur aspect formel, mais elle est détournée par la malléabilité et l’instabilité de la matière. Cet aspect fait référence à l’Antiforme, mouvement associé au travail de l’artiste Eva Hesse. Par ses processus de travail et ses matières premières, l’artiste avait introduit une certaine sensibilité dans un courant de pensée emprunt de l’Art Minimal.
P 34
Une fois mis en espace, ces volumes créent un ensemble de cases colorées. La feuille de riz leur donne un aspect diaphane, permettant à la lumière de les traverser. Ils sont comme des contenants... mais ne contiennent rien d’autre que le vide. Leurs couleurs et leur matière leur permettent d’attraper la lumière. Leur présence tient par l’interaction des volumes entre eux. Cette présence si particulière au volume interroge par le rapport qui s’établit avec notre propre corps. Comme le stipule George Didi-Huberman au sujet de la notion de présence dans l’œuvre de Tony Smith, face à un volume y compris dans le travail artistique le plus minimaliste qui soit, nous ne pouvons nous empêcher de nous projeter par anthropomorphisme. Les cubes deviennent des corps en tant que tels. Et cette présence du volume est le moment où il nous impose sa propre visualité ; nous ne sommes plus maîtres de l’objet. Avec ses composants fondamentaux que sont la matière, le volume, la lumière et l’espace, le travail dicte son propre langage formel.
FLORINE QUATREBŒUFS DNSEP option art florine4be@gmail.com
Le travail de Florine Quatrebœufs est en équilibre. Il se concentre sur les constructions fragiles et les érections improbables. Elle laisse le visiteur se perdre dans les presque rien de ses sculptures. Les détails « insignifiants » construisent une poésie du fragile, en opposition avec les matières et les formes utilisées. Loin de s’imposer brutalement, ses sculptures pourraient se fondre dans le décor de la ville. Les matériaux de prédilection de l’artiste sont bruts, choisis pour leurs propriétés intrinsèques. Mais sa procédure de travail lente et minutieuse les rend évocateurs, bavards. Il s’agit de déambuler parmi des angles de béton, grumeleux et asséchés, loin de l’aspect lissé du béton traditionnel. Ces surfaces, tableaux sans intérieur ni extérieur sont des peaux ajourées. Les pans sont comme des paysages, des reliefs verticaux où le fourmillement de détails est baroque de ses irrégularités. Des empreintes de coins de rues se trouvent déplacées, décontextualisées. C’est une réduction de l’architecture des villes, sa simplification extrême. Esquisse de labyrinthe, cadastre en pointillé, l’espace est parcellisé sans être divisé. La couleur orangée est l’indice de la contamination de la matière par la rouille, formant ce béton malade dont on débarrasse la ville. Illusion d’un travail du temps, la rouille s’avère être provoquée par le contact de l’eau et du sulfate de fer, de manière instantanée. À mi-chemin entre ruine et construction, c’est une oeuvre qui rouille au présent, usée dès son érection. Cette tension empêche de fixer l’œuvre entre un avant ou un après. Refusant la simple poésie de la ruine, sans situation définie, Florine Quatreboeufs consacre un éclat à ce qui n’en a pas, questionnant ce qui est « art ». Adèle de Keyser
Sans titre, 2012 Béton, treillis soudés, fibre de verre, sulfate de fer, environ 1,25 x 2 x 1 m
P 36
JEANNE ROCHE
Envie de bien faire, 2012 Bois, papier peint, environ 300 x 400 x 10 cm
DNSEP option art
P 38
roche.jeanne@wanadoo.fr
Un soir où je discutais sculpture avec une amie, elle me parla de son poids par rapport à des matériaux durs et lourds. Elle comparait tout ça à un ring, un combat de boxe. Je lui ai répondu que j’avais aussi cette sensation de lutte quand je sculpte, mais pas de la même manière. Je force avec le pied sur des planches de palettes pour faire sortir les clous. C’est un geste de débrouille, à tout faire pour y arriver, avec les moyens du bord, ce que j’ai sous la main de gratuit. Quand il n’y a ni le bois qu’il faut, ni les bons outils, ni le savoir-faire pour déterminer quelles sont les étapes, quel est le plan ? Qu’est-ce qu’on fait ? On va chercher le bois dans la poubelle au coin de la rue. Les vieux meubles, les palettes et les cagettes, pour trouer dedans et en faire des morceaux. Il y a les meubles peints mais leur peinture est usée. Le bois de cagette est beige, avec des choses écrites dessus. En démontant la palette, on aperçoit le bronzage du bois et la marque des clous. Pour scier, je trace d’abord une marque au feutre rouge, bleu, n’importe quelle couleur, un crayon à papier. Si je me trompe dans les calculs, je recommence et je trace un autre trait mais je n’efface pas le premier, pour faire un peu de bleu (si c’était un stylo Bic). Toutes les erreurs et les maladresses s’additionnent, forment une composition, se transforment en matière. Alors, la prochaine fois, si le crayon est vert, je serai contente. Pour mettre en valeur une vieille planche, je peux aussi la recouvrir de papier rouge brillant. Ou bien fabriquer un cadre en or, avec une cimaise décorative en polystyrène et de l’autocollant doré pour l’encadrer.
Je peux recouvrir le dessus des morceaux qu’il me reste d’un papier peint à motifs de galets et les assembler au sol comme un parquet. L’imitation est mauvaise, les épaisseurs de bois sont inégales alors c’est casse-gueule mais il y a de la bonne volonté.
LUCAS ROLLIN
Chasse au cachalot Acrylique sur toile, 200 x 200 cm
DNSEP option art
Sans titre Ensemble, formats multiples, techniques mixtes
rollin.lucas@gmail.com www.lucasrollin.com
P 40
Nuits de terreur
Je l’ai vu pleurer du sang, Sa bouche ne pendait plus qu’à un fil, Une mâchoire en fuite. Le songe m’envahit. Il pleure et appelle sa mère. Je m’en vais pour rejoindre les miens, Eux aussi pleurent tous, ces abrutis. Mais le dimanche, dans leur chagrin fondé sur des idées fausses et malvenues. La brume des esprits, celle qui tue la conscience, Qui fait pleurer les peuples, Ne nous mentons plus, c’est une illusion de tranquillité que l’on nous offre ! L’abrutissement. Ils n’ont pas encore compris que nous sommes dans une mutation constante, Le flux de notre corps l’indique. Nous mutons tous, Nous ne connaissons pas le repos. La complaisance du dépressif dans son chagrin solitaire, Les songes, les puissantes visions du monde de Morphée. Les vagues et les univers que j’ai perçus ont provoqué chez moi la vision d’un monde à feu et à sang. Deux chiens revêtus d’armures de feu dévorent un supplicié. Je marche dans la brume, mon frère, frère de sang, se délecte et ricane. Il me jette des caisses de Lego à l’infini, je sanglote. C’est un gavage constant, Ma mâchoire se disloque, Mes dents éclatent, Mon pouls s’accélère. C’est l’enfer. Je me réveille en sueur, j’y étais presque.
MATHIAS SCHECH
Sans titre, 2013 Crayon sur papier, format A4
DNSEP option art
Sans titre, 2013 Crayon sur papier, format A4
mathiaschech@gmail.com www.yassemeqk.com
P 42
[...] On sait que l’homme européen n’est naturellement attiré que par deux directions, le Sud tout d’abord, qui lui évoque les vacances à la mer et les filles en maillot de bain, qui exhibent parfois des pattes de chameau tout à fait excitantes. L’Ouest ensuite. Direction bien plus mystérieuse dans la motivation à la suivre. Peut-être parce que dans un coin de sa tête, on a toujours une de ces cartes de l’Antiquité romaine sur laquelle à l’Ouest il n’y a rien. On se dit que plus on ira là, plus on sera tranquille. Pour le moment, sur cet ubac, versant nord d’une montagne elle-même au nord du tropique du Cancer. Cet ubac, infime partie du massif, atteint il y a des milliers d’années par ceux qui avaient su traverser le Don alors qu’il était paisible. Arrivés par les steppes, pénétrés dans ce continent européen en suivant la logique géologique de percussion du sous-continent indien, percussion répercutant les ondes humaines d’expansion de la civilisation. Ils se sont déplacés à toute vitesse au travers de ce super-continent eurasien, et, suivant la propension humaine à se ruer vers l’Ouest, il ont déferlé sur leurs prédécesseurs. Dans cette logique, ni la vie ni la mort n’ont vraiment d’importance. Seuls quelques actes résistent, dans les mémoires, à l’usure du temps.
Combien de cavaliers tombés ? Combien de sabres enfouis sous le sable ? Il arrive parfois que les malédictions anciennes, les rites ancestraux, nous rattrapent. Nous connaissons tous en exemple la malédiction qu’a fait peser Toutânkhamon sur les profanateurs de son tombeau. Mais j’aimerais ici vous parler d’un autre souverain, instigateur d’une malédiction bien moins portée sous la lumière par notre histoire moderne. [...]
LISA SUDHIBHASILP
Toronto, photographie extraite de SAGA, 28 x 35 cm, 2008-2012
DNSEP option art
P 44
lisasudhibhasilp@gmail.com www.lisasudhibhasilp.com
SAGA 1968-1972 / 2008-2012
Cette série se construit. Il s’agit dans sa totalité de plusieurs sous-ensembles, de petites séries que j’appelle modules. Chaque module correspond à un portrait photographique d’un membre de ma famille. Cette famille s’étend sur trois continents, l’Europe, l’Asie et l’Amérique. Chaque module est travaillé pour qu’il fonctionne indépendamment du reste, comme un mot dans une phrase qui peut se suffire ou faire sens avec d’autres. Ce projet a débuté en 2008 par la découverte d’une cinquantaine de pellicules de photographies prises entre 1968 et 1972 par mon père lorsqu’il quitta la Thaïlande pour voyager en Europe puis s’installer aux États-Unis. Ces images sont présentes dans certains modules, elles ponctuent et rythment les phrases, en ajoutant une autre dimension temporelle aux côtés de photographies que j’ai réalisées ces trois dernières années. La fragmentation dans mon travail correspond à l’idée du portrait « multiple ». Il s’agit visuellement d’un éclatement. Je montre seulement quelques facettes de chaque portrait. J’offre une description de la personne par des images de son intérieur ou des paysages. Ces images sont pour moi autant de portraits ou en tout cas contiennent autant voire plus - d’informations - sur la personnalité. Ainsi s’opère une fragmentation qui me permet de proposer au spectateur de reconstruire l’histoire. La fragmentation permet de montrer plusieurs « possibles », plusieurs trajectoires. C’est en ce sens que j’ai choisi de travailler la forme du montage en photographie. Mes images se succèdent afin de créer une narration, une trame.
Les modules sont construits autour de cette trame. Les images prennent sens par cette succession. Mes différents formats servent à créer un rythme. Il en résulte un effet de mouvement ou de non-mouvement : une dynamique - comme en musique. Les portraits « multiples » sont composés d’images de statuts différents. J’essaie de faire fonctionner ensemble des photographies de paysages, de portraits, d’intérieurs et certaines ne m’appartenant pas. Elles ont cependant sur le mur la même valeur et créent un ensemble qui peut se lire comme une seule image. Il s’agit pour moi de composer l’espace du mur avec le matériau image. À travers mes photographies et leur agencement, j’essaie de provoquer un effet miroir. Je parle de ma famille, et de mon intimité, mais il s’agit pour le spectateur de se retrouver face à ses propres interrogations à propos de sa famille et de son intimité. Il s’agit dans l’image-même de proposer une réalité si singulière qu’elle évoquerait quelque chose de l’ordre de l’universel. Ma manière d’utiliser les images s’apparente à une écriture. Je compose avec elles pour former du sens ou des possibles de sens. S’il le souhaite le regardeur est invité à cheminer, à chercher des réponses à travers les indices que je donne. Il y a actuellement sept modules : Jacksonville, New York, Poitiers (deux modules), Las Vegas, Toronto et Bangkok.
GUILLAUME TAMISIER
Palette, 2011 H. 2 m, L. 1,35 m, l. 1, 20 m ; techniques mixtes
DNSEP option art
P 46
gtamisier@gmail.com
Chez Guillaume Tamisier, on retrouve deux points essentiels et fondateurs : – Un positionnement de peintre rentrant en relation avec les questions de paysage, d’habitat, de lieu et de jardin ; – Une sortie du cadre traditionnel de la représentation picturale en atteignant d’autres dimensions, qu’elles soient sculpturales, sonores, performatives ou de l’ordre de l’installation. De ce mélange entre geste pictural et tridimensionnalité, il ressort des chimères colorées et brinquebalantes, des utopies matérialistes et des reconstitutions d’éléments de lieux laissés en friche pour nous parler du monde, dans cette limite entre le délaissé et l’habité. D’une fascination du dégradé, du rouillé, des marques de la transformation du temps sur les matériaux par leur environnement, G.T. met en scène la désintégration progressive des lieux en marge. C’est là que l’on trouve cette beauté du lointain, d’un exotisme profondément enraciné hic et nunc. La poésie vient trouver sa place dans la façon dont ses modules composent ces propositions de reconstitution, sortes de machines autonomes presque vivantes qui appellent à venir les scruter, à « tirer leur vers du bois » comme un explorateur face à de fraîches découvertes.
Explorer, repérer, collectionner, tenter, telles sont les procédures adoptées permettant de mettre l’acte, le geste et le sensitif à l’initiative du travail de l’artiste. C’est dans l’installatif que la performance vient intervenir comme un autre procédé pour agir sur le paysage, comme moyen de devenir acteur d’une manière de reconstruire ce qu’on appelle « l’habiter ». Et ainsi permettre un décloisonnement vers tout ce qui touche aux usages et pratiques de l’homme sur son territoire. Une peinture d’une réalité des paysages en train de disparaître tout en faisant appel à la survivance de notre mémoire poétique, à un rappel de présence des choses qui constituent le domaine du visible et du sonore comme un état du monde. À la fois local et mondialisé, ce travail tend à soulever la notion de culture, ici et ailleurs.
JOTFAU (JILL VANDENBERGE) DNSEP option art jotfau@gmail.com
Prothèses de survie I, 2012 Bois, cuir, clous, métal. Portés aux pieds de la Chasseuse lors de ses expéditions en forêt Prothèse de survie II, 2012 Bois, métal, corde, tissus, terre. Outil utilisé par la Chasseuse lors de la traversée attendant un prochain voyage, il est posé sur son appui
P 48
La Métamorphose est l’essence de ma pratique artistique. Elle s’élabore autour d’une recherche expérimentale dans laquelle j’explore différentes matières et techniques, de façon à créer de multiples incarnations. La perte de ma singularité me permet d’entrer dans des champs qui ne sont pas les miens, ou bien de disparaître, comme un chasseur à l’affût de sa proie. Le tissu, le cuir et les cheveux sont des éléments essentiels dans la fabrication de ces épidermes et de ces objets. Mes sculptures sont des sortes d’outils qui aident le corps à prendre ce que j’appellerais sa forme idéale. Cette forme varie inévitablement suivant l’environnement dans lequel le corps se place. Chaque lieu fait l’objet d’un travail de reconnaissance et d’adaptation. Pour chacun d’entre eux, je compose, je fabrique et j’organise ces différents objets que je considère comme des prothèses de survie. Au centre de mon travail se trouve l’identité, et la volonté de m’en approprier de nouvelles au fur et à mesure. C’est de cette manière que des autoportraits fictionnels se mettent en place. Ces autoportraits sont des vastes projets qui se traduisent par la sculpture, le dessin, la photographie, la vidéo, l’installation et l’écriture. « Il n’a pas seulement changé de berge, de langage, de mœurs, de genre, d’espèce [...]. Par cette nouvelle naissance, le voici vraiment exilé. Privé de maison. Feu sans lieu. Intermédiaire. Ange. Messager. Tiret. À jamais en dehors de toute communauté, mais un peu et très légèrement dans toutes. Arlequin, déjà. » Michel Serres, Le tiers-instruit, 1991
Ce catalogue est une publication de l’École supérieure d’art et de design Marseille-Méditerranée
Présidente Anne-Marie d’Estienne d’Orves Directeur général Jean Mangion Directeur artistique et pédagogique Jean-Louis Connan Conception graphique Cécile Braneyre Mise en page Dorine Mayet Images Cécile Braneyre et les étudiants diplômés Coordination éditoriale Luc Jeand’heur Coordination Valérie Langlais Remerciements à tous ceux qui ont permis la réalisation de ce catalogue et aux diplômés pour la sélection des visuels et pour leurs textes.
École supérieure d’art & de design Marseille-Méditerranée 184, avenue de Luminy 13288 Marseille cedex 9 T. 04 91 82 83 10 – www.esadmm.fr
L’École supérieure d’art et de design Marseille-Méditerranée est un établissement public régit par le Ministère de la culture et de la communication et soutenu par la Ville de Marseille. Elle est membre de Marseilleexpos, réseau de galeries et lieux d’art contemporain, et de l’ANdEA, association nationale des écoles supérieures d’art.