EscaladeMag n°55

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« Combien craintifs étaient mes pas chancelants »

EscaladeMag Février 2013 N°55

4 - Hommage

Salut l’artiste…

6 - Témoignage

Autour de Patrick

8 - Flashback

Les deux Patrick, amis et frères

10 - Hommage

Encordé avec Patrick

12 - Interview

J.-F. Lignan, dit « Poil »

16 - Hommage

Le magicien du rocher

18 - Flashback

Patrick vu par Antoine Le Menestrel

20 - Portfolio 26 - Interview

Eric Millot, assistant de J.-P Janssen

On se souvient tous du film Opéra vertical, de Jean-Paul Janssen. Dans la scène finale, Patrick Edlinger évolue en solo, maîtrisant élégamment une voie bien gazeuse du Verdon : Debiloff, 6c+. « À mains nues », comme on disait à l’époque. Mais aussi les « pieds nus », puisque dans la séquence qui précède, son second, Jean-Paul Lemercier, le mouline dans les gorges avant de remonter pantelants au bout de sa corde, baudrier et chaussons… Simplicité, dénuement le plus total face au vide… Patrick est descendu dans les profondeurs de l’abîme. Il en émerge magistralement, sous le soleil, faisant corps avec le rocher dans une chorégraphie épurée. Et pour sublimer encore cette harmonieuse sortie du néant, c’est l’aria du troisième mouvement de la cantate BWV33 de J.-S. Bach, « Wie furchtsam wankten meine Schritte », qui accompagne cette scène d’anthologie. Jamais choix musical n’aura si bien servi un film d’escalade. Un dialogue paradoxal s’établit entre l’image et le son : « Combien craintifs étaient mes pas chancelants », chante l’artiste lyrique tandis Patrick ciselle chacun de ses gestes sur le calcaire, les enchaîne sans le moindre tremblement. Images époustouflantes d’une part, musique sublime de l’autre. Cette scène, qui a considérablement contribué à édifier le mythe, exprime aussi toute la fragilité de l’homme dans l’univers, son impermanence, son besoin d’absolu… Sans doute Patrick portait-il en lui cette même tension, ce mélange de virtuosité et de vulnérabilité qui avait séduit et fait de lui une icône. On pourrait s’interroger longtemps sur le besoin de créer des mythes et de s’identifier à des images idéales pour transcender la réalité. Lui continuait à grimper, au-delà de la légende qu’il véhiculait. Il avait perçu la dynamique propre à l’escalade, propre à toute vie : « C’est souvent un déséquilibre qui t’amène à l’équilibre et lors d’un déséquilibre, il ne faut rien brusquer parce que c’est le seul moyen de passer ». Patrick est parti le 16 novembre dernier et nous lui consacrons l’intégralité de ce numéro en hommage.

Laurence Guyon

30 - Hommage

Un ami est parti

31 - Analyse

« Cette photo a été prise à la compétition de Bardonecchia, juste avant la fameuse finale. Patrick vient juste d’arriver au pied de la voie, il s’apprête à s’encorder, c’est « Poil » (son compagnon de toujours, Jean-François Lignan) qui va l’assurer ! C’est un instant d’extrême concentration. Il se passe beaucoup de choses, justes et rares, dans cette belle image. »

La disparition d’un héros, la mort d’un homme

32 - Portfolio

Grimper l’histoire

36 - Interview www.escalademag.com

F. Ferreira

Gérard Kosicki Gratuit 55 et le restera

est édité par PRESS’EVASION. Imprimé en France – Dépôt légal : Février 2013

Directeur de publication : Philippe Mathieu philippe@pressevasion.fr

Rédacteurs / Photographes : G. Delahaye, F. Ferreira, G. Kosicki, Ph. Poulet, P. Tournaire

ESCALADEMAG – N°55 Février 2013 SARL Press’Evasion – 184 rue des Candisons Lot. Carrière vieille 30190 St Chaptes

Rédactrice en chef : Laurence Guyon laurence.guyon@escalademag.com

Ont collaboré à ce numéro : Y. Ballu, D. Chambre, G. Clouzeau, S. Denys, Ph. Fragnol, A. Gery, D. Gorgeon, S. Glowacz, L. Hill, R. Kauk, A. Le Menestrel, J.-F. Lignan, E. Millot, F. Martini, J. Moffatt, P. Osella, D. Rastouil, E. Ratouis, M. Troussier et B. Vaucher

E-mail : contact@escalademag.com SIRET 483 803 441 00037 Code APE : 5814Z ISSN : 1777-3865

Partenariat /distribution : Béatrice Picq beatrice@pressevasion.fr Graphiste : Benjamin Broussouloux benjamin@agence-minimale.fr

EscaladeMag, membre officiel de l’IFSC partner média club EscaladeMag est distribué en Belgique par Climb2Climb


hommage

Texte E. Ratouis Photos Y. Ballu et G. Kosicki

Salut l’artiste… Ce qui vient d’abord à l’esprit quand on pense aux premières images que Patrick Edlinger

Dans La Vie au bout des doigts, au-delà des images spectaculaires rendues encore plus dramatiques par le caractère lancinant de la musique, c’est cette quête d’harmonie, ce besoin de simplicité et d’économie des moyens, d’authenticité qui attire l’attention, qui nous séduit et qui finit par nous fasciner. Dans la symbolique des prénoms, Patrick signifie le « battant », celui qui a beaucoup à prouver. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il s’est battu Patrick dans l’entraînement en suivant dès l’âge de 18 ans son compère et maître des débuts, Patrick Berhault qui avait à cette époque une longueur d’avance dans sa manière de conduire sa vie à 100 à l’heure. C’est auprès de lui dans les falaises du Verdon qu’il découvrit l’ivresse redoutable des solos ainsi que d’une vie vraiment libérée des contraintes sociales. C’est grâce à lui qu’il acquit la notoriété, car c’est par son intermédiaire qu’il rencontra le cinéaste Jean-Paul Janssen, qui le choisira lui, le disciple. De ce quiproquo, il restera toujours une forme d’ambiguïté entre les deux hommes devenus rapidement deux alter ego. C’est du reste probablement cette rivalité non officiellement dite, ce regret non exprimé, qui conduisit Berhault sur le tard à chercher au prix de sa vie cette reconnaissance qui lui était promise et qu’il n’avait pas eu dans sa jeunesse. Le paradoxe de Patrick Edlinger, qu’il n’a probablement pas bien vécu, du reste, c’est justement cette notoriété soudaine qui le propulse en tête du palmarès des personnalités préférées des français. Comment concilier les deux ? Comment rester pur, fidèle à son éthique et vendre des barres Grany, comment fréquenter les plus grands plateaux télés, sourire à Drucker et rêver de se promener dans La traversée sans retour dans les Calanques ? 4

« L’essentiel était la compétition avec lui-même »

Pour faire durer le mythe naissant de La Vie au bout des doigts, Patrick s’assura très vite les services d’un grand photographe d’escalade, Gérard Kosicki. Ainsi ses sponsors pourraient avoir la matière première qu’ils recherchaient. Pour autant, il est clair qu’il refusa bon nombre d’opportunités fort juteuses parce qu’elles ne lui convenaient pas. Durant la période de sa grande exposition médiatique, le prix à payer pour sa liberté et son confort était le suivant : pendant 5 mois par an, il devait faire face à ses engagements de conseiller technique et autres. Le restant de l’année, il était libre de grimper, de voyager, un prix qu’il jugeait fort raisonnable !

De quoi entretenir l’envie chez les envieux ! Son approche de la compétition fut également paradoxale. Il y était plutôt hostile. Mais, à la différence de Berhault, Edlinger ne signa pas le Manifeste des 19 contre cette pratique qui n’avait pas de sens pour lui. L’essentiel était la compétition avec lui-même, pour parvenir à pousser ses propres facultés si loin qu’il pouvait jouir de la sensation d’avoir dépassé ses propres limites. Cela se produisait en ouvrant ou en répétant une ligne qui se situe à la frontière des possibilités de l’homo sapiens de son temps : Ça glisse au pays des merveilles, deuxième 8a français en


1983, La Boule, cinquième 8a+ en 1985, Orange mécanique, 8a, en solo intégral durant l’année 1989. Pourtant, acculé par la pression d’autres grimpeurs quelque peu médisants, et disons-le, jaloux de son incroyable réussite, il dut finir par se tourner vers la compétition pour remettre les pendules à l’heure, ce qu’il réussit à plusieurs reprises avec un brio incontestable. Que n’aurait-on pas dit s’il avait décliné l’invitation ? Tout sportif devenant une star dans son domaine devient suspect à un moment ou à un autre. Il faut alors l’abattre. Ça soulage. Voilà ce que Patrick disait il y a quelques années au sujet de la compétition : « Ce n’est pas mon truc, j’ai du mal à porter un dossard et peut-être une seule fois, j’en ai profité pour régler des comptes. Maintenant, c’est devenu un sport de gymnaste, ce qui est très bien, mais un peu éloigné de ma façon de vivre…

Bardonecchia ou comment remettre les pendules à l’heure !

Je crois avoir eu cette chance de ne jamais regarder quelqu’un de haut. Je n’ai pas de nostalgie d’un soi-disant âge d’or parce que je suis encore en plein dedans. J’ai les mêmes sensations qu’hier. Ma vie est basée sur un rêve, mais je suis toujours donné les moyens de réaliser mes rêves. S’ils n’existaient pas, je mourrais… ». Patrick, devenir un mythe n’était pas ton but. La chose est tombée sur tes épaules, par accident, donc. L’empreinte que tu laisses sur notre petit milieu est pure comme tu étais. Elle est là pour longtemps, tant de pureté, d’esthétique et de magie tu as apporté à l’escalade, la passion de ta vie. Je me souviendrai longtemps de ce double jeté que tu avais réalisé à Joshua Tree. Il était inutile mais si esthétique ! Tu t’y étais attelé seulement parce qu’à tes yeux, ce mouvement valait la peine d’être vécu ! Par accident, tu as quitté cette existence, pas nos esprits !


témoignage

Propos recueillis pas L. Guyon Photo Ph. Fragnol

Autour de Patrick

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Patrick était un pionnier, il a popularisé l’escalade auprès du plus grand nombre. Son style sur le rocher était incroyable. Il était différent. Quand j’ai commencé à grimper, il faisait partie des grands noms, au même titre que Bachar, Gullich, Fawcett… Voir des photos de lui grimpant au Verdon ou à Buoux m’a tellement inspiré ! Ça avait l’air si bon de grimper là ! J’ai eu la chance de le côtoyer, aux États Unis et dans le sud de la France. C’était toujours fun. De l’escalade sérieuse mais fun ! Ce furent de grands moments. Sur un plan personnel, c’était un mec bien. Adieu Patrick, je ne t’oublierai jamais.

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J’avais juste 16 ans quand j’ai vu le film Opéra vertical pour la première fois. Je n’avais jamais vu personne grimper des murs si compacts. Et surtout, j’étais fasciné par la grâce et l’élégance de Patrick. C’est devenu mon héros et j’essayais de l’imiter. Je me suis rendu compte que ce n’étaient pas seulement ses mouvements harmonieux qui faisaient son style à part mais aussi son humilité, son respect. Pour lui, il y avait une dimension philosophique dans l’escalade. Il était sensible et vulnérable et dans le même temps, il prenait des risques en public. J’étais fasciné. Il avait une aura de star, mais comme beaucoup de génies, Patrick était un loup solitaire, quelqu’un en recherche selon moi. Je n’ai pas eu beaucoup de contact avec lui, mais il m’a beaucoup apporté.

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Patrick aura toujours une place dans mon cœur et dans ma mémoire. Étant de la même génération, j’ai été inspirée par ses réalisations visionnaires. Je n’oublierai jamais le moment magique où le soleil a percé à travers les nuages 6

« Ton esprit continue à vivre parmi tous ceux que tu as inspirés »

alors qu’il atteignait le sommet de la voie de finale lors de la compétition de Snowbird. Ce qui lui a permis de grimper si bien a à voir avec sa nature profonde et son grand sens de l’intégrité, envers les autres et les valeurs qui régissaient sa vie. Son amour de l’escalade et de la nature, son sens de la liberté et de l’aventure, son esprit enfantin et hédoniste, sont quelques unes des qualités qui lui ont valu son surnom, Dieu. Adieu, mon ami ! Ton esprit continue à vivre parmi tous les gens que tu as inspirés !

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Cela fait très longtemps que je n’avais pas vu Patrick mais les moments passés ensemble dans sa maison du Sud de la France, « la réserve indienne » comme il l’appelait, restent pour moi inoubliables. Avec sa famille, nous avions cueilli des olives et partagé Noël ensemble à rire et à se raconter des tas d’histoires. C’est une personne qui réfléchissait profondément et qui

s’exprimait avec passion. Je l’appelais « Capitaine Maximum », cela lui plaisait bien. Quand je repense à ça, ça me fait sourire. Il y avait l’escalade entre nous mais bien plus encore. Je lui envoie ainsi qu’à sa famille tout mon amour et mon respect et je les remercie du fond du cœur.

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Patrick était quelqu’un d’hyper passionné et surtout d’extrêmement talentueux. Je crois que je n’ai jamais vu quelqu’un grimper aussi bien que lui. Il n’y avait que l’escalade qui comptait pour lui. Il lui fallait grimper, grimper, grimper ! C’était sa priorité. Il avait cette façon de vivre à 100% sa passion, quitte à se fâcher avec des gens. Il ne voulait pas faire de concessions. J’ai vécu des années exceptionnelles avec lui, c’était quelqu’un de très compliqué à vivre mais les choses fortes ne sont pas simples. Je ne regrette absolument rien. Il avait ses qualités et ses défauts mais il savait ce qu’il voulait.


Crédits photos : S.Jaulin (test AVC) - V. Daudin - Stage Nao/AVC

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Texte D. Chambre Photos F. Ferreira

Edlinger – Berhault : Les 2 Patrick, amis et frères

Quand ils se rencontrent à Nice pour la première fois en 1977, Patrick Berhault a vingt ans et Patrick Edlinger dix-sept. Comme le soulignera ce dernier trente ans plus tard : « On avait la même vision de la vie, on avait fait les mêmes choix ». Ensemble, ils libèrent les voies du sud de la France, notamment dans les gorges du Verdon, gravissent les parois alpines à toute vitesse pour, à peine redescendus dans la vallée, enchaîner sur des séries de pompes et tractions. Le mantra est simple : pas un jour sans entraînement. Surmontant un dénuement matériel qui confère une aura nostalgique à cette période, ils « empruntent » une voiture pour rejoindre les sommets, dorment l’hiver dans des caves glacées en guise d’hôtel et pratiquent avec dextérité l’art de la fauche dans les supermarchés pour se nourrir ! Mais tout leur est pardonné tellement la passion et l’audace de la jeunesse transpirent de leurs frasques. L’été 1979 marque l’explosion médiatique de l’aîné Berhault. Dans un blitz stupéfiant il enchaîne dans les Ecrins et le Mont-Blanc une série de solos express dans les grandes voies alpines les plus emblématiques et prestigieuses : faces nord du pic sans Nom, des Droites ou encore couloir nord des Drus. On le sent déjà parti vers une trajectoire plus alpine alors que son comparse est avant tout un passionné du rocher. La presse spécialisée d’alors titre « Une étoile est née ». Berhault a lu et relu Reinhold Messner : si ce dernier a inauguré l’alpinisme « light », alors le niçois aura inventé celui « ultralight » dans lequel s’engouffreront ensuite Benoit Grison, Christophe Profit et Eric Escoffier. Néanmoins, ils se retrouvent en montagne l’hiver suivant, notamment pour réaliser un aller-retour de légende en Oisans sur l’alors très peu fréquentée 8

et austère voie des Plaques en face nord de l’Ailefroide Occidentale : plus de mille mètres de pentes de glace entrecoupées d’un sinistre ressaut rocheux. Le tout est bouclé en 23 heures d’Ailefroide à Ailefroide. Compte-tenu de la longueur de l’approche en hiver, on s’imagine que les procédures d’assurage et de relais devaient être réduites à leur plus simple expression ! Profitant de sa notoriété nouvelle, Patrick Berhault est invité l’été suivant en Himalaya par Yannick Seigneur, alpiniste et himalayiste majeur des deux décennies précédentes. L’objectif est lui aussi d’ampleur : le versant Rupal du Nanga Parbat (8125m), considéré comme le plus haut du monde avec 4500m, celui là même vaincu dix ans auparavant par Messner au prix de la vie de son frère. Malheureusement, trop fougueux et inexpérimenté à la très haute-altitude, il est rapidement victime du mal des montagnes et doit être évacué en urgence.

Pendant ce temps-là, Patrick Edlinger fréquente encore les montagnes, notamment en Oisans où il réalise aussi quelques enchaînements solitaires comme au Pelvoux (pente centrale puis couloir Chaud). Mais son attention va rapidement revenir sur les falaises calcaires ensoleillées du sud. Même si leur vie commune est terminée, ils vont bien évidemment rester en contact et la presse reforme parfois leur cordée emblématique. En incarnant La Vie au bout des doigts, le Toulonnais accède en un temps record à une renommée mondiale qui va largement dépasser celle de son aîné, confinée à un public spécialisé. En 1985, alors que l’escalade continue sa médiatisation, son développement sportif, c’est aussi l’apparition des premières compétitions. Edlinger ne les refuse pas et enfonce le clou en Italie : mis en difficulté à Arco, il remporte celle de Bardonecchia ainsi que le titre combiné. À l’inverse, Berhault, en

« On avait la même vision de la vie, on avait fait les mêmes choix »


signant le Manifeste des 19 et en étant l’un des rares à s’y tenir, marque sa philosophie différente : il va s’investir dans la danse-escalade puis dans un retour à la terre assez inattendu ; il redevient quelque temps paysan dans son Auvergne natale. Au début des années 2000, c’est pourtant lui qui bénéficie sur le tard d’une large médiatisation alors qu’Edlinger a cédé le pas aux nouvelles générations. Il se lance dans un nouveau concept : le voyage alpin qui consiste à enchaîner au fil des massifs sommets ou parois selon un thème pré-établi. D’août 2000 à février 2001, il va ainsi traverser l’arc alpin au fil des voies les plus prestigieuses. Pour commencer son voyage, il choisit de reformer la cordée de sa jeunesse avec son « frère ». Du Triglav slovène à la traversée des Dolomites, les deux quadragénaires enchaînent les voies les plus prestigieuses (Cima Ovest, Cima Grande, Civetta, Marmolada et sa redoutée Voie du Poisson, Crozzon di Brenta) comme des cabris, faisant toutes les jonctions à pied même sous la pluie battante. Cette association semble faire revivre Patrick Edlinger : « On s’est retrouvé exactement comme si on s’était quitté la veille, les mêmes discussions, les mêmes automatismes ». Berhault y voit « une envie de repartager des choses ensemble, tout simplement une histoire d’amitié » et en pleine paroi il laisse s’échapper cette réflexion aujourd’hui si prémonitoire : « Ne laissons pas s’échapper le temps, il est si précieux »… Le 28 avril 2004, sur les pentes du Täschorn en Suisse, c’est le drame. Probablement trop pressé d’en finir avec son nouveau voyage, l’enchaînement de tous les 4000 des Alpes, Patrick Berhault rompt une corniche et disparaît brutalement. Son ami est évidemment effondré et durablement marqué par cette perte cruelle: « C’était mon double, j’étais son double. C’est le frère que je n’ai pas eu ». Ainsi les deux Patrick sont rentrés dans la légende, deux individualités d’exception qui formèrent aussi la cordée la plus soudée qu’on puisse imaginer. On espère tous qu’ils sont désormais de nouveau réunis là-haut.

Les 2 Patrick dans une grande classique du Verdon, Les Rideaux de Gwendal au niveau du relais du bloc coincé


hommage

Propos recueillis par Franck Martini Photo G. Kosicki

Encordé avec Patrick

l’escalade libre. Voici l’image qu’il en garde. Il n’avait alors qu’une vingtaine d’années.... Kiki (Christian Crespo) m’avait entretenu d’un tout jeune Toulonnais qui venait de réaliser en solo une voie difficile pour l’époque. Il s’agissait de Grattomaniac à Tourris, un mur extrêmement difficile pourvu de petites réglettes teigneuses. Je lui avais alors souri, croyant à une bonne blague, puis je m’étais exclamé que cela ne me semblait pas possible… Kiki a rapporté ma réaction à Patrick qui a tout de suite voulu me rencontrer. Il n’appréciait pas beaucoup que l’on mette en doute ses réalisations, à cette époque et même après. On s’est donc retrouvé ensemble au Faron, pour faire du bloc et aligner quelques voies. Le feeling est immédiatement passé au point que, durant plus d’un an, nous avons grimpé régulièrement tous les deux, parfois sept ou huit jours d’affilée. Je donnais quelques cours de maths, et, de son côté, ses parents avaient choisi avec intelligence de le « sponsoriser ». Nous avions donc du temps et nous étions libres... Ce fut une époque exceptionnelle ! Lorsque j’ai vu évoluer pour la première fois Patrick sur le rocher, j’ai perçu d’emblée quelque chose de fort, d’unique, que je ne connaissais pas, mais que j’attendais imperceptiblement depuis longtemps. Il dégageait une force et une élégance extraordinaires qui trouvaient écho avec une philosophie de l’esthétique : avec lui, la fin ne justifiait plus les moyens ! L’idée était enthousiasmante. C’était une nouvelle ère pleine de promesses qui s’ouvrait, je le sentais intimement. Etait-on déterminé à passer à tout prix ou bien était-on capable de porter dans nos gestes, cette aspiration à vivre des moments précieux et exaltants, sans jamais les gâcher ? J’avais la réponse à cette question sous les yeux, tous les jours où le rocher nous laissait jouer ensemble avec lui.

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Lorsque nous grimpions ensemble, à l’orée des années 80, son esprit était tourné vers la réalisation de choses difficiles. Notre challenge était de dénicher des 7a qu’il puisse réaliser à vue. Il existait alors assez peu de lignes à ce niveau. Patrick se consacrait à repousser ses limites, je me consacrais à lui en donner la possibilité. Tombèrent rapidement au Roy d’Espagne Double dose (aujourd’hui 7b), Barbibulle aux Cabanons (aujourd’hui 7a+), Diva dans les Calanques (aujourd’hui 7a+) et bien d’autres... Il ne parcourait pas que les voies des autres, il laissait aussi une empreinte, comme celle de « ses ouvertures » à Toulon, au Faron. Nous avons équipé ensemble quelques longueurs, notamment à Buoux, par exemple, Viol de corbeau (7b/c aujourd’hui). Patrick frappa un grand coup en l’enchaînant. Nous avions baptisé l’itinéraire ainsi, en rentrant à la borie où nous dormions sur le plateau des Ramades, car une culotte flottait au vent dans un arbre, ce jour là !... (rires). Parallèlement, il y avait aussi le solo. Bien avant La Vie au bout des doigts, il avait « soloé » sous mes yeux DSF et le toit de La Béda (à vue !), puis, quelques jours plus tard devant ses parents assis dans la prairie, simplement pour les remercier de lui avoir fait confiance dans son projet de vie libre, tournée vers le haut niveau. Lorsque Patrick a rencontré la belle caméra de Jean-Paul Janssen, nos routes se sont logiquement séparées et il a continué à grimper plus haut. Je ne sais pas ce que je serais devenu si je n’avais pas vécu cette période, mais je la porte en moi comme une flamme fragile qui vacille désormais davantage, mais qui éclaire toujours tout autour. De cette époque, j’ai gardé le goût de l’esthétique, de la loyauté, de l’amitié, de la simplicité et des choses vraies. C’est une chance aujourd’hui d’être riche de cela. C’est un trésor que l’on ne pourra jamais me retirer.

Patrick au Baou des 4 ouros, près de Toulon



Big Bend bouldering, Colorado River Gorge près de Moab, Utah, USA

interview

Propos recueillis par L. Guyon Photos Gérard Kosicki

Patrick vu par « Poil »

Comment avez-vous rencontré Patrick ? C’était au printemps 81, à Marseille, j’allais rendre visite à Gérard « Nate » Merlin, avec qui je grimpais de temps en temps, pour glaner quelques infos sur le Yosemite où je comptais aller à l’automne. Et voila qu’apparait, dans l’appartement de la traverse des Intimes, un garçon à la tignasse blonde, accompagné de sa copine de l’époque, Christine. C’était Patrick, de Toulon. On est allé faire un tour à « l’Alpinodrome », laboratoire marseillais hyper patiné, histoire d’aller tirer sur le graton poisseux et enchaîner les traversées à ras du sol… Inutile de dire que l’aisance de Patrick, tout en souplesse, en gainage et en fluidité m’a laissé pantois ! 12

C’est sans doute à ce moment-là que j’ai entendu parler pour la première fois d’entraînement spécifique en escalade… À fortes doses ! Nous avons pas mal discuté de nos pratiques respectives et de nos projets futurs. Patrick sentait pouvoir vivre de sa pratique, c’était le temps des premiers « vrais » sponsors (les tout premiers furent ses parents, après avoir quitté le lycée) et des premières propositions cinématographiques… Bref, chouette rencontre, et… à plus tard sur le rocher ! Par la suite, nous nous sommes rencontrés de plus en plus fréquemment, j’avais du temps (prof d’EPS…) et Patrick cherchait des partenaires. C’était l’époque campingcar, la grimpe à outrance ; Buoux, la

Sainte-Victoire, Mouriès, les Calanques, le Baou de Toulon et bien sûr le Verdon. Vous l’avez connu au moment où il est devenu célèbre. Vous souvenez-vous de cette époque-là ? La parution du n° d’Actuel fut l’élément déclencheur d’une accélération médiatique foudroyante. L’article de Yannick Blanc sur les « shootés à l’adrénaline », de nombreux articles dans les revues d’escalade et surtout la sortie du film La Vie au bout des doigts de Jean-Paul Janssen, ont propulsé Patrick sur le « devant de la scène ». Opéra Vertical a concrétisé le Mythe. Les souvenirs que je garde de cette époque sont encore bien présents… Parce qu’il faut comprendre une chose,


concernant Patrick, c’est qu’il avait avant tout une passion énorme, charnelle diront certains à juste titre, avec le rocher. Il y avait d’un côté cet aspect médiatique incontournable qu’il avait choisi et qui lui permettait d’en vivre ; et surtout un « panel » de copains-grimpeurs tous acquis à sa cause. Patrick n’a jamais été soumis à une quelconque « pression » médiatique. Il était souvent invité à des émissions et il a toujours favorisé sa passion du rocher… Pour preuve, il m’avait un jour proposé de découvrir Fontainebleau durant 4 jours, et si le temps n’était pas beau on irait faire un tour à TF1, parce que le présentateur de l’époque avait un grand désir de l’interviewer… Et c’est comme cela qu’on s’est retrouvé sur le plateau du journal de 13h, avec Yves Mourousi. Patrick, évidemment devant les caméras… Je me suis contenté de discuter en coulisses avec la charmante présentatrice de la météo ! Et des exemples comme celui-ci, il y en a plein… Il disait : « Tu montes avec moi à Paris ? J’ai une télé et une radio à faire… On grimpe à Bleau, et quand la peau des doigts sera bien entamée, on ira voir les « journaleux ». Et après, on rentre rapidos. » Nous qui avons été ses proches, pouvons témoigner que Patrick a toujours fait ce qu’il avait envie de faire. Vivre sans contraintes matérielles ou temporelles,

Eldorado Canyon et Indian creek, deux étapes du voyage aux USA

disposer de son temps comme il l’entendait… « Pas d’engatse », disait-il souvent. Il avait besoin de relations fortes et sincères avec son entourage ; jamais Patrick ne s’est imposé comme une « star », il a toujours partagé les « bons plans » avec ses « collègues »… comme la vie de tous les jours. Des anecdotes en particulier ? Les doux yeux d’Annette font de Chamonix une étape incontournable et Courmayeur n’en est que plus proche. Patrick a pour sponsor la société Grivel, basée au pied du mont Blanc, versant italien, dont Gioacchino Gobbi est le patron. Patrick doit faire quelques courses (pas en montagne mais chez Grivel, en vue du voyage aux USA)… Je vous laisse deviner nos sourires quand Gioacchino nous dit : « Prenez tout ce qui vous semble utile ! ». Patrick se saisit du sac à dos le plus grand possible et le remplit de Friends (4 exemplaires de chaque taille), tous les coinceurs du présentoir, des dégaines et des mousquifs pour équiper un régiment… Rappelez-vous, le « Blond », toujours à fond ! Gioacchino Gobbi, ravi de cette visite sans doute, nous invite chez Filippo, fameux restaurant à Entrèves… Mangediscute-sirote-discute-déguste… et cale, repus. On vient de se rendre compte que le menu est loin d’être

fini… et on a la luette qui trempe ! Ah ouais ? Trois jours après, on retourne à Courmayeur se faire une session bloc dans le Val Veni avec des grimpeurs italiens. Grosse ambiance… À la fin de la journée, il est temps de retirer les chaussons… et de passer à table, chez Filippo bien sûr, nous avons une revanche à prendre ! Quatre heures plus tard, on repasse le tunnel, engourdis, nauséeux et transpirants… On a pris environ 3 kilos chacun, mais on est allé jusqu’au bout du menu… 37 plats, café compris ! Et dans la foulée, vous êtes partis aux USA ? Oui. L’idée était de réaliser un livre de photos sur les voies dures des EtatsUnis, pour le compte des éditions Arthaud, avec Gérard Kosiki comme photographe. Paris Match finançait le voyage et obtenait l’exclusivité des photos avant que le livre paraisse. Je me souviens en particulier de Genesis, Patrick avait le projet à cœur ; quelques mois auparavant, Jim Collins qui venait d’en faire la première « all free » apparaissait sur une très belle photo qui faisait la couverture de Mountain. Nous nous sommes levés à l’aube ce jour-là, histoire d’avoir le temps de s’échauffer, de la tenter « à la fraîche » et de profiter de la bonne lumière, photo oblige… La longueur clef est la troisième, la dernière. Du second relais nous voyons un amas de sangles reliant deux « bolts »… à une trentaine de mètres. « Bon, me dit Patrick, maintenant tu fais gaffe… Je revoie la photo de Collins… aux sangles, c’est bon ! » Et le voila parti, confiant, avec ses coinceurs décoratifs au baudrier… Il faut dire qu’il n’en mettait pas souvent, trouvait qu’il se fatiguait inutilement et attendait l’emplacement idéal avant d’en glisser parfois un. Un tous les 3 mètres lui paraissait suffisant. Donc, quelques mètres sous les sangles du relais, il me demande un regain d’attention, plus pour se rassurer lui-même… Parce qu’il sait bien, que le Poil, la corde, il ne la lâche pas ! Deux mouvements plus tard il est aux sangles et annonce que cela ne dépasse pas le 6… et il vient de faire le même geste que Collins sur la photo ! Pardi ! C’est sur ce relais que la plupart des grimpeurs redescendent, le crux est juste au dessus. On aperçoit les « bolts » du vrai relais… « Je continue, gaffe… ». Et dans la foulée, après avoir coincé un bout de doigt dans un trou de piton, et adhéré sur des illusions, il mousquetonne le relais ! Et d’un coup j’entends une forte clameur qui s’élève 13


Tourist Extravaganza, assuré par «Poil», Boulder Canyon, Colorado, USA

d’Eldorado Canyon, ils sont des dizaines à hurler son succès, à le féliciter… Pendu à mon relais gazeux, j’en eus des frissons de partout, en attendant qu’il avale, avant de le rejoindre dans un style… moins fluide, dirons nous. C’est aussi au cours de ce voyage aux USA que Patrick a répété Grande Illusion ? Oui. Après avoir quitté le Wyoming et Devil’s Tower, nous avons roulé nonstop jusqu’au nord de la Californie, afin de trouver où se situait le « spot » de Grande Illusion… Arrivé en fin de matinée, nous repérons la ligne et montons «voir», c’est la troisième longueur qui pose problème. Une fissure-dièdre bien surplombante, aux parois bien lisses et une très fine fissure au milieu… Vu le diamètre des doigts du Blond… C’est pas gagné ! On redescend, on trie les coinceurs, Jean-Mi va suspendre Gérard à la sortie de la voie et nous remontons les deux longueurs fastoches pour faire un bon relais au pied de « l’engatse ». Re-tri des coinceurs et Patrick s’élance, 14

coince, adhère, progresse, s’assure, re-coince plus haut, adhère encore, zippe, coince encore, glisse, chute… Relais, se calme, respire… Repart, souffle bien, adhère, coince, monte plus haut, se tord les chevilles dans tous les sens, s’assure (ouf…), progresse toujours, la taille de ses doigts l’handicape, chute à nouveau… Les boules… Relais, coca-cola (pas de bon café aux USA, carburant essentiel du Blond), pause… « Bon, on va pas y passer la nuit ! T’es prêt ? J’y vais ». Et le voila reparti, concentré, les chevilles à l’envers, les coincements douloureux, les pieds qui cette fois adhèrent bien, les doigts qui écartent cette fissure, il progresse plus vite, le mou suit bien, il sort… propre, précis… fort. Très fort. Pour l’histoire, Tony Yaniro fit la première en libre après moult essais étalés sur 2-3 ans, Wolfgang Gullich répéta la voie après plusieurs semaines de tentative. Le soir même on s’offrait sur le compte de Paris Match un échantillon de cent pièces de suchi dans un restaurant


japonais des rives du lac Tahoe… Histoire de fêter ça, d’emmagasiner quelques protéines avant de descendre vers THE Valley… pas très loin d’ici. Vous pouvez nous dire deux mots des compétions ? À cette époque, la compétition se cherche une légitimité et Patrick prend clairement position en s’y déclarant favorable. Arco et surtout Bardonecchia ont fait de lui le personnage que l’on connait. Arco fut une de ses plus grandes déceptions. La compétition italienne de 86 se déroulait sur 2 manches à une semaine d’intervalle. Arco, la première, voit Alain Ghersen remporter l’épreuve et le Blond se classe 5ème… Une énorme claque… Inavouée. Dans la foulée, sans attendre la fête, on rentre au bercail, penauds et… vexés. On met les choses au point durant le voyage du retour et décidons de se mettre au « vert » avant de retourner à Bardonecchia le week-end suivant. Au vert, mais sur du rocher et avec une corde, bien sûr… Et des mots, des mots pour panser les plaies. La suite, on la connaît. En deux mots, il gagne Bardonecchia et triomphe au classement général des 2 manches… J’avais le plaisir de partager ces émotions en direct, puisque je l’assurais… Patrick, c’était qui ? Un homme libre, passionné. Quelqu’un de généreux et profondément gentil, très reconnaissant. Qui se donnait totalement dans la confiance mutuelle. Qui vivait à fond. Un créateur de liens. Quelqu’un parfois anxieux et timide, dissimulé par un côté « sauvage ». Quelqu’un qui avait besoin de certitudes. Un bon vivant à ses heures. Celui avec qui j’ai sans doute vécu mes plus grands moments d’escalade. Un Grand Monsieur. C’était aussi un homme comme tout le monde, avec ses qualités et ses faiblesses, ses passions et ses démons… Patrick a grimpé avec une multitude de gens, il n’avait pas vraiment de partenaires attitrés, sauf évidemment lors d’un projet bien précis. Il pouvait très bien s’encorder avec des gens qu’il rencontrait au pied des voies et qui avaient une certaine disponibilité. L’écart de niveau n’était pas vraiment un problème, il savait adapter son choix de voies en fonction du niveau de son second. Et puis il était capable de le hisser à la force de ses bras quand il pendouillait sous un surplomb… J’en témoigne ! Christian « Kiki » Crespo pour ses débuts ; Patrick Bérhault, son alter ego ; Jean-Paul « Jipé » Le Mercier ; Gérard « Nate » Merlin et Jean-Marie « Picou » Picard Deyme ; Jean-Paul « Panam » Paris, son voisin du Beausset ; Jean-René Gayvallet ; la bande des Marseillais, André et Gilles Bernard ; Patrick « Doubar » ; Alex, Xavier… et des dizaines d’autres à qui il a du laisser un souvenir certain. Ciao Biondo ! Retrouvez l’intégralité de ce témoignage sur www.escalademag.com

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hommage

Texte B. Vaucher Photos M. Troussier et Ph. Poulet

Patrick, un magicien du rocher la Guy Héran

Quasiment novice, il est fortement impressionné par la situation et, après un bivouac pareil, avec l’optimisme de ses quinze ans, il ne peut s’empêcher de penser : « Je suis vivant, rien ne peut plus m’arriver ! ». Il faut aussi ajouter qu’il a une confiance inébranlable en son mentor qui n’est autre que Kiki (Christian Crespo). Ces lignes tirées des Fous du Verdon ont été écrites d’après le récit de Patrick de cette expérience initiatique dans la Paroi Rouge du Verdon, une histoire que Kiki complètera avec des détails que Patrick avait eu la modestie de passer sous silence. La passion est venue tôt chez Patrick. Après avoir contacté Marius Cyprien et Jean-Louis Bonnin, deux figures de la grimpe toulonnaise, ses parents décident de l’inscrire au CAF de Toulon, mais ils se heurtent à une fin de non recevoir. Patrick n’a pas l’âge requis (il n’a que douze ou treize ans). Ils se tournent vers la MJC, et là Patrick rencontre un personnage extraordinaire de générosité, Christian Crespo. Le dévouement n’est pas la seule qualité de Kiki ; avec son compère Pierre Louis (Petit Louis), il est aussi l’un des meilleurs grimpeurs provençaux (il sera l’un des premiers à gravir La Demande en solo). Avec de tels Cicérone, Patrick progresse très vite et gardera un souvenir ému de ces années. Dans un de ses articles, il loue ce contact auprès de grimpeurs prolos, simples, généreux, qui lui ont fait partager tout ce qu’ils pouvaient lui donner : « Je faisais ma scolarité chez les frères maristes et je me retrouvais là avec des fils d’ouvriers venant des chantiers de La Seyne. L’escalade m’apportait un moyen d’évasion et une possibilité de me connaître sans tricher. » Ces années de formation le conduisent à une autre rencontre importante dans 16

son parcours, celle de Patrick Berhault. Pour les meilleurs grimpeurs de cette époque, les deux Patrick restent des mutants. Bernard Gorgeon avait noté fort justement, qu’après les avoir vus grimper, « il aurait été plus sage de se reconvertir dans le macramé ! ». Il faut penser que le 8ème degré avait à peine été effleuré alors. Si ce niveau a été dépassé, voire banalisé depuis, ce qui le sera sûrement moins, c’est ce sublime don de magicien du rocher qui caractérisait Patrick.

Mais, malgré de tels dons et un tel épanouissement dans sa passion, Patrick portait en lui une grande tristesse. Au-delà de l’icône médiatique qu’il était devenu, Patrick était quelqu’un de fondamentalement bon, gentil, qui n’a jamais coupé les ponts malgré la célébrité. Quelqu’un de discret et de pudique, limite sauvage, ce qui peut peut-être partiellement expliquer que dans la détresse, il n’a pas eu le réconfort qu’il aurait pu espérer de tous ceux qui l’aimaient.

Dans les années 80, il a sans doute été le meilleur grimpeur du monde. Dans la préface de Rock Games, Georges Livanos établit un parallèle entre Comici et Edlinger. Les similitudes sont troublantes. Tous deux ont été, à un demi-siècle d’intervalle, Comici dans les Dolomites, Patrick dans le Verdon, puis le monde entier, des esthètes et des magiciens du rocher. Si d’autres ont surpassé leurs exploits par la suite, tout au moins en difficulté pure, peu laisseront cette image d’un merveilleux artiste qui avait un lien charnel avec le rocher.

Pour les médias, il est celui qui a révolutionné l’escalade. Mais, lorsque je repense à l’abattement général qui écrasait les centaines de compagnons présents lors de la cérémonie funéraire à Manosque, je ressens que ça va bien au-delà. Patrick a puisé ses racines dans cette communauté grimpante, une étrange tribu qui écumait les gorges du Verdon dans les années 70. Aujourd’hui, il nous a quittés, et toute cette tribu est en deuil.



Texte A. Le Menestrel Photo G. Kosicki

« Il a incarné un rêve de liberté… »

Patrick Edlinger n’est plus. À sa mort, j’ai écrit un premier hommage, mais comment aujourd’hui toucher à sa légende sans briser le rêve collectif ? Mon souvenir des années 1980 est remonté dans ma mémoire et a fait écho à ma vie. Nous étions toute une famille de grimpeurs jeunes et ambitieux. Impulsés par Jean-Claude Droyer nous inventions « l’escalade libre » à la Française en libérant les voies d’escalade artificielles. Avec Laurent Jacob on inventait une nouvelle façon d’ouvrir les voies d’escalade en plaçant les protections du haut, en brossant le lichen, en préparant les prises, pour offrir ces nouvelles voies à la communauté des grimpeurs. On ouvrait l’échelle des cotations. On s’encourageait, il y avait énormément d’émulation avec mon frère Marc, JB. Tribout et les autres... Nous voulions changer les codes de l’escalade ; nous étions rebelles et créatifs. Cette énergie m’accompagne encore aujourd’hui. Patrick Edlinger était un des trois grands frères qui m’inspiraient avec Patrick Berhault et Patrick Cordier. Chacun d’eux était unique, impossible de faire à l’identique. J’étais un étudiant qui se cherchait. Ils avaient du charisme et ils m’ont contraint à trouver ma propre voie. Avec le film La Vie au bout des doigts réalisé par Jean-Paul Janssen, Patrick a fait découvrir « l’escalade libre », cette nouvelle pratique, au grand public. Il a suscité de nombreuses vocations. Il a incarné un rêve de liberté et cette image il la portait parfois comme un fardeau. J’ai toujours vu ce film plus comme une fiction qu’un documentaire. Patrick était une star qui faisait rayonner l’escalade dans le monde entier et j’avais beaucoup de respect pour les valeurs simples qu’il portait. Le starsystem lui est tombé dessus, il était 18

La Boule, 8a+, à la Sainte-Victoire

sensible et j’admirais son courage d’assumer cette notoriété publique. Son statut public d’idole m’angoissait. Ce star-system je m’en suis détourné à l’époque en refusant des interviews. Et depuis 27 ans, je fais du spectacle vertical et je vis du regard des spectateurs. J’ai été ouvreur de voies pour deux compétitions internationales d’escalade qu’il a gagnées, j’ai vu qu’il était un concurrent avec l’âme d’un compétiteur et personne d’autre ne pouvait gagner. J’appréciais le voir grimper, sa souplesse était une force. Il ne grimpait pas seulement pour réaliser un mouvement difficile, mais aussi pour le plaisir de son exécution. Il grimpait avec une certaine grâce. Ces derniers temps, Patrick vivait en

solitaire, il avait mélangé les ivresses et il est tombé dans le solo de sa vie. L’écho de sa chute résonne en moi. Sa vie s’est échappée du bout des doigts, elle a laissé des gouttes de sueur, de sang et de magnésie dans le creux des prises. Sa disparition m’a incité à regrimper et nous étions plusieurs grimpeurs à lui rendre hommage. On s’est retrouvés quelques-uns au soleil de l’hiver au pied de Viol de Corbeau à Buoux. Je suis allé à son incinération, le ciel était bas. Face à sa fille Nastia, Maurice Rebeix a rendu un vibrant hommage à Patrick, à ce géant qu’il fut, à l’homme et au père de famille. Il a relié le bas et le haut, le sommet et les abimes, merci de m’avoir aidé à vivre cette dernière ascension.


& montagnetv.com


portfolio

Calanques, socle de la Candelle, Little Bouygues man, 7b+ Š F. Ferreira


Patrick ou l’art de se mouvoir avec force et harmonie Š G. Kosicki


Au Cimaï, assuré par Anne Gery © G. Kosicki



Gaz maximal au Verdon, pour La Fête des nerfs © P. Tournaire


Tranquille sous le soleil à L’Étoile Noire © Ph. Poulet


interview

Propos recueillis par L. Guyon Photos G. Kosicki et P. Tournaire

La Vie au bout des doigts, histoire d’un tournage La Vie au bout des doigts vient de cette belle aventure et de sa rencontre avec Patrick Edlinger.

Comment avez-vous connu Patrick Edlinger ? Je l’ai rencontré par l’intermédiaire du réalisateur de films documentaires Jean-Paul Janssen, dont j’étais l’assistant. J’étais tout jeune, j’avais 24 ans. Je n’étais pas grimpeur moi-même, j’avais découvert cet univers de la grimpe sur le tournage de la série Over, avec Laurent Chevallier. C’était juste avant La Vie au bout des doigts. Comment est né le projet de La Vie au bout des doigts ? On dit parfois que c’est Patrick Berhault qui aurait dû faire le film et que c’est Patrick Edlinger qui l’a remplacé au dernier moment. En fait, non, ça ne s’est pas vraiment passé comme ça... C’est Patrick Edlinger qui a appelé Jean-Paul Janssen. Il voulait lui faire part d’une idée qu’il avait eue, un super projet de film dans lequel il envisageait d’escalader la falaise de Buoux en solo. À cette époque, Edlinger était le compagnon de cordée de Berhault. Et ce dernier avait lui-même été impliqué 26

dans divers projets de films d’escalade avec Jean-Paul Janssen et Laurent Chevallier, dont justement la fameuse série Over : Overdon (1980), Overice (1981) et Oversand (1981). Et Janssen a dit oui ? Tout s’est décidé très vite, en seulement 3 jours ! Patrick a appelé Jean-Paul et Jean-Paul a été emballé. Mais il fallait trouver un producteur et de l’argent pour financer le film. Finalement, c’est grâce à l’émission Les Carnets de l’aventure, diffusée alors sur Antenne 2, et à son producteur Pierre-François Degeorges, que le film a pu se faire. Ce qui est incroyable, c’est que la chaîne a donné son accord dans la journée. Ils nous ont fait une totale confiance, alors que l’escalade était très confidentielle, que personne ne connaissait Patrick Edlinger et que le projet proprement dit ne tenait qu’en quelques lignes sur une feuille… Comment Jean-Paul Janssen en est-il venu à s’intéresser à l’escalade ?

Jean-Paul Janssen et son frère jumeau Jean-Pierre étaient tout deux réalisateurs de films documentaires. Ils avaient déjà réalisé des films musicaux et des reportages sur les tribus lointaines. Ils avaient une certaine notoriété, ce qui leur permettait de monter des films et de trouver des financements, même si, à l’époque, c’était moins compliqué que maintenant. C’est Laurent Chevallier, alors assistant, qui a présenté Patrick Berhault à Jean-Paul Janssen. Il faut rendre à César ce qui appartient à César ! Et c’est ce qui a conduit Janssen à s’intéresser à cet univers de la verticalité. Par la suite, des affinités se sont créées, entre Laurent Chevallier et Patrick Berhault d’une part, entre Jean-Paul Janssen et Patrick Edlinger d’autre part. Ce qu’il y a eu de vraiment exceptionnel, je crois, c’est la rencontre entre ces deux personnages. Ça a été une véritable osmose entre les deux et c’est ce qui explique, en grande partie, la réussite de ce film. C’est le point de départ, c’est ça qui a tout lancé.


Concrètement, comment s’est passé le tournage de La Vie au bout des doigts ? Tout s’est fait très vite ! Ça a été tourné en 5 jours seulement, avec 2 caméras Eclair 16mm (une au sol, l’autre en paroi). Nous n’avions à notre disposition que 10 boîtes de 11 minutes, ce qui est très peu. On peut dire que ça a presque été du tourné-monté. Nous étions une équipe très réduite, seulement 4 personnes (Jean-Paul Janssen, réalisateur opérateur ; Gilbert Loreaux, deuxième caméra ; Bruno Lejean, ingénieur du son ; et moi-même assistant opérateur). Rien n’était scénarisé et le plus extraordinaire, c’est que l’on n’avait jamais vu grimper Patrick en solo avant. On est partis sur un coup de fil et on est arrivés en milieu d’aprèsmidi à Buoux, vers 16 h 30. Patrick a fait son ascension, il nous a montré en solo la voie qu’il voulait faire pour le film. Nous sommes allés repérer rapidement où l’on pouvait placer les caméras et tout s’est fait comme ça, de manière très instinctive. Pas de prise de tête, c’était un film de copains en somme. En tout et pour tout, il n’y a eu que 3 ascensions en solo pendant le tournage. Mais Jean-Paul Janssen avait un savoir-faire incroyable et il n’avait pas besoin de faire plusieurs prises. C’est lui qui était en paroi. Et quand il disait « ça tourne », c’était dans la boîte. Il faut savoir qu’il y a seulement 2 heures de rush pour ce documentaire qui au final dure 26 min. Donc très peu de déchets… Aujourd’hui, avec le numérique, on ramène beaucoup plus d’images pour un documentaire, parfois 1000 heures, et le tri se fait par la suite au montage. Selon vous, qu’est-ce qui a fait le succès incroyable de ce film, alors que finalement ce n’était pas le tout premier film d’escalade ? Le charisme de Patrick, sa grâce naturelle, et puis aussi le travail de Janssen, son approche à part de la réalisation. C’est cette osmose entre les deux qui a permis de révéler l’escalade au grand public. Et puis, il y avait un truc en plus chez Patrick Edlinger, sa souplesse, sa gestuelle, tout paraissait pur. C’était un danseur. C’était du Béjart ! Il avait une grâce incroyable et d’ailleurs j’étais sûr que le film allait faire le buzz lors de sa première diffusion, parce que, ce qu’on avait réussi à capter, je me rendais bien compte que c’était complètement dinguo ! Le titre, également, était bien trouvé, La Vie au bout des doigts. Pour la petite histoire, c’est Antoine Blondin, écrivain et journaliste, qui l’a soufflé à



Janssen, dont il était l’ami. On connaît ses chroniques sur le Tour de France qui ont contribué à forger la légende de l’épreuve cycliste, mais un peu moins l’influence indirecte qu’il a eue sur la médiatisation de l’escalade libre, grâce à son sens de la formule ! Quel souvenir gardez-vous de Patrick sur ce tournage ? Son assurance ! Avec lui, tout paraissait simple. Il était très serein, très sûr de lui. Moi, quand je le voyais en solo, j’étais transi, j’avais des angoisses terribles. Mais lui, non, il se fendait la gueule en voyant mes réactions. Par contre quand il s’engageait, il savait parfaitement ce qu’il faisait. Il n’y avait jamais de folie, il connaissait exactement sa marge de sécurité et mesurait le risque par rapport à ses capacités.

L’ambiance était détendue ? Oui, il y avait une bonne ambiance sur le tournage. Par la suite, avec Opéra vertical, ça a été un peu plus compliqué, on avait les producteurs sur le dos. On avait perdu cette spontanéité, on sortait un peu de l’aventure entre potes, telle qu’elle l’avait été sur La Vie au bout des doigts. Mais ça reste de bons souvenirs, on vivait avec les grimpeurs, on se marrait bien, notamment avec Jean-Paul Lemercier, le second de cordée de Patrick. Dans le film Opéra vertical, c’est lui qui l’assure dans L’Ange en décomposition ; on le voit ensuite mouliner Patrick et remonter tout son matériel, baudrier et même chaussons, avant la scène finale de solo. Jean-Paul Lemercier, c’était un peu l’homme de l’ombre, mais je crois que sans cet ami, Patrick n’aurait sans doute jamais fait tout ce qu’il a fait. Ça a été quelqu’un de très important pour lui. Étiez-vous toujours en contact avec Patrick ces dernières années ? Oui, on s’appelait de temps en temps, 3 ou 4 fois par an. J’étais content de le savoir installé à La Palud. On devait se voir bientôt. On devait descendre avec Vincent Alexandre, un preneur de son qui a travaillé sur pratiquement tous les films avec Patrick, sauf pour La Vie au bout des doigts. Ça n’aura pas été possible, pour les raisons que l’on sait. Je ne pensais pas qu’un gars comme lui finirait ainsi…


hommage

Texte D. Rastouil Photo S. Denys

Un ami est parti

La vie m’avait encordé à ce géant au détour des blocs de Bleau. Le gamin admiratif voyait la star des Carnets de l’aventure. La main tendue, Patrick m’a fait rentrer dans son monde, me permettant de « sécher » les cours du collège. La pulpe des doigts au sang, nous avons partagé notre plaisir de grimper au début sur les blocs puis encordés sur les falaises d’Europe. Mouvements après mouvements, défis après défis cet alchimiste a ciselé ma façon de vivre. Passionné dans la plus stricte définition du mot, il s’est laissé dévorer par ce mode de déplacement qu’est l’escalade, n’acceptant pas d’être pris à défaut dans son univers. L’idée de travestir une émotion verticale lui était insupportable. Coûte que coûte il se devait d’avoir les moyens physiques de jouer tous les jours de l’année, la fatigue ne pouvait, ne devait l’atteindre. Le repos était son châtiment. Patrick était légitime dans ses propos, ses images et personne, personne n’a remis, ne remet et ne le remettra en question sauf lui. Tutoyer l’excellence était affaire de vie, ne jamais être satisfait une idéologie. Il n’aspirait qu’à faire correspondre son idée de la liberté avec ses propres émotions et payait rubis sur l’ongle sa philosophie. Insatisfait, perpétuel insatisfait, Patrick ne trouvait pas la paix dans l’escalade. Cette dernière trouvant toujours un nouveau bloc, une nouvelle voie pour ce boulimique du rocher. Sa satisfaction, il la trouvait au crépuscule quand une cigarette et une bière mettaient un point final à la journée et que le temps était venu de palabrer en utilisant plus que d’habitude les expressions de Marseille. Ces moments-là étaient magiques, chaque récit prenait une consonance à la Marcel Pagnol. L’accent et les mots des acteurs du 30

jour amplifiaient cette ambiance, si tu fermais les yeux, tu te retrouvais dans un film où César, Marius et Fanny allaient surgir de derrière le comptoir. Les instants se racontaient comme pour mieux en profiter et les rires ponctuaient nos récits. Bien sûr les monologues n’étaient pas d’usage, car nous n’avions aucun scrupule à interrompre le narrateur en lui disant : « Là mon cousin t’exagères, si tu continues on va croire que c’est la sardine qui a bouché le port de Marseille. » Le bistrot des Goudes reste pour moi le symbole de ces débuts de soirées méditerranéennes. J’ai appris ces soirs-là à vivre avec passion, mais surtout à la partager pour sculpter à jamais mes souvenirs d’adolescent. J’ai regardé ces adultes dans les yeux et je me suis émerveillé de l’insouciance qu’ils exprimaient. Je crois que l’escalade conserve intacte notre âme d’enfant. Nous nous nourrissions des sensations. Nous relations le moment où tout avait basculé soit pour saisir la chaîne, soit pour exprimer le désespoir assourdissant d’une chute. Mais la ligne de vie qu’est la corde était le trait d’union du partage sans réserve des moments présents. Ces moments-là vont me

manquer car il n’y avait pas de reconnaissance à travers la performance mais à travers la joie de s’être épanoui dans les mouvements pour grimper à « en crever ». 10a, 6a... peu importe, si le fait de prendre la chaîne dans la main nous donnait le sourire d’un enfant, le jeu était gagné. Combien de fois au détour d’une pause cigarette, Patrick observa jalousement le néophyte en me disant : « Tu vois cet encatané, il éprouve un plaisir que nous n’aurons plus. Nous on « s’engatse » pour rechercher cette émotion en espérant qu’on va revivre la première. Quand tu débutes, tu l’as à chaque voie et quand tu passes tout ton temps sur le rocher tu l’as si rarement… ». Il était l’alchimiste pour qui l’or était l’émotion que nous offre le rocher. Cette alchimie, il l’a réussie sans le savoir, sans s’en apercevoir. Il est parti, il est parti mon ami. J’entends encore l’hommage magnifique de Maurice s’adressant à ta fille lors de ton départ. À ce moment-là, ma tristesse s’est apaisée pour dessiner sur mon visage un sourire de gamin comme si la mort n’était pas une fin.


Texte et illustration G. Clouzeau Photo G. Kosicki

Patrick : la disparition d’un héros, la mort d’un homme

n’est moins certain. Voilà 30 ans que les films de Jean-Paul Janssen ont fait de Patrick une star au point de tourner avec José Giovanni en 1985 dans Les Loups entre eux puis avec Claude Lelouch en 1992 dans La Belle Histoire. J’ai eu la chance de passer un peu de temps avec Patrick. Je me rappelle des premières fois où j’ai aperçu mon héros, l’observant de loin sans oser l’approcher. J’avais peur qu’il m’expédie comme tant de stars le font. J’ai donc attendu une occasion, celle d’une présentation officielle. Elle eut lieu en 1994 à la Roche aux Sabots grâce aux bons soins d’un ami commun. Le mythe avait déjà pris quelques rides et j’avais été frappé par le décalage entre la représentation iconique que je m’étais faite de l’homme et la réalité. Une telle idole qui fume et boit plus que moi, était-ce possible ? Par la suite, nous nous étions retrouvés au hasard des manifestations de nos sponsors communs et même si j’avais pu entrevoir son mal-être, je n’avais pu en sonder la profondeur. Patrick gérait son image et plutôt bien : photos choisies, partenariat bien négocié lui laissant une grande plage de liberté, etc. Personne ne le lui reprochait. Certains l’enviaient certainement, quelques-uns en profitaient probablement mais finalement, tous s’accordaient à dire que sans lui, l’escalade ne serait pas ce qu’elle est. J’adorais voir Patrick prendre une paire de ciseaux pour customiser les T-shirts tout neufs que lui tendaient ses sponsors. Ces T-shirts étaient à l’image de l’homme. Il leur ôtait systématiquement le col et les manches pour en faire des débardeurs largement échancrés. Par ce geste il détruisait l’aspect contraignant de l’homme-sandwich, retirant ce col qui vous étouffe et ces

manches un peu serrées qui limitent vos mouvements. Bref, il retrouvait sa liberté d’action et marquait de son empreinte les objets. Les Editions Guérin ont soulevé un coin du voile sur ce mal-être de Patrick il y a quelques semaines dans un extrait du livre à paraître. Un mal-être attribué en partie à l’emprise du temps sur les hommes. Un héros n’est pas invulnérable. Il vieillit. Et se voir vieillir n’est jamais simple. Mais sa détresse était plus profonde... Patrick souffrait de solitude. Comment est-ce possible quand on a une belle maison au Verdon qui ferait rêver n’importe quel grimpeur, une belle notoriété et surtout une petite fille de dix ans ? Oui, quand on a tout cela, on est un grimpeur heureux, non ? Eh bien non ! Au moins dix ans que l’on ne voyait plus notre blond sur les écrans faire la promotion d’une célèbre barre de céréales. Celui qui avait été adulé par toute une génération, hissé au top par Paris Match, iconifié par ses sponsors comme Oxbow, Beal et tant d’autres, s’est avéré être un colosse aux pieds d’argile. Un homme fragile, sur lequel le temps et la vie avaient leur emprise. C’est difficile d’avoir été une star et de

découvrir la véritable nature humaine de ceux qui vous entourent. Difficile de les voir, ceux qui se proclamaient ses amis, le délaisser au fur et à mesure que sa popularité diminuait…

Mais pouvait-il en être autrement ? La route menant au star system est pavée de vies sacrifiées et meurtries. Patrick avait certes un sacré mental mais il s’est usé avec les petits et les gros bobos de la vie. Au fond, il a été un vrai héros dramatique, destin exceptionnel mais malheureux. Aristote assignait pour but à la tragédie d’inspirer « crainte et pitié », le spectacle devant permettre l’épuration des pulsions, angoisses ou fantasmes. C’est ce que l’on appelle la catharsis.


portfolio

Photos G. Delahaye Texte P. Osella

« Patrick choisissait ses amis et ses aventures. Cela m’avait amené à lui présenter un ami photographe qui disait de Patrick qu’il était à la grimpe ce que Pina Bausch était à la danse contemporaine. La rencontre fut une belle découverte réciproque de deux grands artistes. Il y eut quelques rendez-vous et des séances de photographies. Un jour je leur ai présenté le fort d’Exilles, énorme bâtisse militaire, altière, imprenable. C’est là dans ce lieu pour la guerre, les souffrances et la mort que Patrick et Guy Delahaye ont écrit un poème, un hymne à l’amour, au beau, à la légèreté, à l’éphémère. Un livre en témoigne et une amitié unique reste. »





interview

Si tu devais retenir qu’une seule chose de Patrick, qu’est-ce que ce serait ? Son charisme exceptionnel : sur la pellicule, sur le papier et au quotidien. On ne pouvait pas le côtoyer et rester indifférent. Il était profondément humain. Patrick était plus qu’un grimpeur médiatisé, il avait dépassé ce stade. C’était une véritable légende dans notre monde de la montagne ; et dans notre société hyper-médiatique, une icône vivante. La fameuse image du grimpeur à mains nues, l’Ange blond pendu d’un bras au bout d’un rocher au-dessus d’un abîme… Dans sa génération, il y avait beaucoup de grimpeurs surdoués, Patrick Berhault bien sûr, mais aussi Jerry Moffat, Wolfgang Güllich, Stefan Glowazc, Ron Kauk. Mais je crois que lui 36

Propos recueillis par L. Guyon Photos F. Ferreira

seul avait cette aura, ce charisme qui imprimait vraiment les esprits, et pas que des gens de montagne, mais aussi le grand public. Il y avait quelque chose d’universel dans son « personnage », il « parlait » à tout le monde. Je pense que ce quelque chose en plus c’est la sincérité. Il était vrai. La preuve en est que dans les films où Patrick parle de lui ça fonctionne, et dans ceux où il joue un rôle ça ne fonctionne plus, comme dans les films de Lelouch ou Giovanni. Comment Patrick vivait-il cette médiatisation ? Pas toujours très bien. Cela représentait une pression phénoménale, il était sollicité en permanence. En même temps, il essayait d’avoir du recul

par rapport à son statut de « star ». Il attachait beaucoup d’importance à la famille et aux amis, par exemple ça le faisait se marrer quand pour le charrier on le surnommait « Dieu ». En fait, il a connu la notoriété très jeune, à 22 ans. Tout est allé très vite avec le film de Jean-Paul Janssen, puis les photos de Gérard Kosiski, les articles dans Paris Match ou Newlook…. les films, les livres, les pubs télé, les contrats avec les marques, et pas qu’en France, en Europe, aux USA… Ce n’était pas forcément très simple à gérer. Il n’y était pas préparé et d’une certaine manière, toute cette pression lui pesait énormément. Il ne pouvait plus grimper tranquillement en falaise et c’est pour cela qu’à une certaine époque, il grim-


pait plutôt dans des spots secrets, comme l’Étoile Noire, ou tout simplement chez lui, sur le grand mur qu’il s’était construit dans la maison où il vivait près du Cimaï. Au fond, je crois que Patrick a toujours eu du mal à supporter la médiatisation d’Edlinger. Il est passé en un clin d’œil du stade de grimpeur surdoué à celui de mythe. Pas simple…

KOKOH NO HITO ©2007 by Shin-ichi Sakamoto, Jiro Nitta / SHUEISHA Inc.

SE RAPPROCHER DU CIEL POUR SE SENTIR VIVANT !

d’après le roman de jiro nitta

déjà 12 volumes au rayon manga

TRAIT POUR TRAIT

Un souvenir particulier que tu gardes de lui ? Je me souviens, en 99, j’avais organisé un voyage en Corse. On devait partir à 5 ou 6 avec Patrick et faire du bloc et des photos ensemble, pour la réalisation d’un article pour Roc’n Wall. À 2 jours du départ, il m’avait appelé pour me dire que finalement il ne viendrait pas ! Il avait autre chose à faire… Il avait fallu aller le « chercher », le faire changer d’avis et en définitive, une fois sur place il était super content. On a passé une semaine phénoménale, on s’est vraiment bien marré, même si c’était aussi du travail, et bosser avec Patrick ce n’était pas toujours de tout repos. D’ailleurs, cette histoire est assez significative de la manière dont il fonctionnait. Il avait un sens aigu de la liberté. Il n’aimait pas les échéances fixées à l’avance, les rendez-vous, les contraintes, tout ça, ça le bloquait, c’était une atteinte à sa liberté de mouvement. Il était toujours un peu à vif, un peu tendu. C’était un fou de liberté ! Je me souviens aussi de la fois où on a tourné le film au Verdon. Les deux Patrick (lui et Berhault) étaient à nouveau réunis pour grimper ensemble pour la première fois au bout de 10 ans. L’ambiance était bon enfant, cours de récré ! Je sentais Patrick heureux. Il grimpait, il était avec ses amis, avec Berhault à qui il était très attaché. J’ai l’impression que c’était ça le bonheur pour lui. Il avait un grand sens de l’amitié. C’est cette image que j’aimerais garder de lui : ces 15 jours de juin au Verdon.


Quel souvenir gardes-tu de l’aventure Roc’n Wall ? « C’était le bon vieux temps… ». On grimpait, on faisait des photos, des articles, des films, on voyageait, tout ce dont on avait rêvé, la liberté. On n’avait pas l’impression de bosser. D’ailleurs je pense que personne n’était dupe. Ce qu’on faisait demandait de l’énergie, du temps. Parfois il y avait des prises de risque. Mais ce n’était pas du travail au sens littéral. On vivait notre passion, c’est tout ! On était libre comme l’air ! On vivait avec pas grand chose et heureusement, vu que les piges ce n’était pas et ça n’a jamais été l’Eldorado. Personne ne faisait vraiment de l’argent avec Roc’n Wall. C’était plus un outil qui nous permettait de continuer à « survivre » de l’escalade, de continuer… Plus qu’un magazine, c’était un état d’esprit, une bande de potes, réunis autour du Blond et d’une vision de l’escalade... de la vie. C’était à la fois très potache dans l’ambiance et très sérieux dans l’exécution. Comment est né ce magazine ? Je crois me rappeler que ce sont les Editions Glénat qui ont demandé à Patrick, via Jean-Mi Asselin, s’il voulait monter un nouveau magazine et en être le rédac’ chef. Le Blond a sauté sur l’occasion. Il adorait tout ce qui touchait à la photo, la presse, les films…. Il voyait là un moyen fabuleux de parler de l’escalade, de toutes les escalades, de partager, et un véhicule créatif extraordinaire. Il connaissait la puissance des images. Son crédo c’était de faire un magazine de qualité, avec des photos qui arrachent, et du fond dans le choix des sujets et des textes. Il avait une ligne éditoriale qui tenait plus de celle d’un directeur de collection de livre que d’un magazine. Il voulait que ça reste dans le temps, comme un livre justement… Et je trouve qu’il a réussi. Roc’n Wall est devenu collector. Comment en es-tu venu à collaborer à ce titre ? Un jour il est venu me voir en me disant qu’il avait un projet top secret, à ne divulguer à personne (Grimper venait de ou allait sortir). J’ai promis que ça ne sortirait pas des Bouches-du-Rhône ! Et il m’a demandé si je voulais travailler avec lui sur Roc’n Wall. Dans le n°1 j’ai même écrit un courrier délirant pour le lancement du mag. À l’époque, j’écrivais des piges pour les magazines, je connaissais très bien le milieu. C’est le Blond qui m’a pris mon premier sujet photo en tant que photographe, qui m’a 38

donné ma chance. Merci patron. Patrick, rédac’ chef, il était comment ? Patrick avait carte blanche. Il était le patron et faisait ce qu’il voulait. L’avantage c’est qu’on pouvait proposer des sujets délirants avec des chances que ça passe…. C’est comme ça qu’on obtenait des numéros où on avait côte à côte les rubriques shopping avec des jolies filles à la plage sous-titrées « j’aime regarder les filles… la poitrine gonflée par le désir de vivre », les Guignols de l’Influx qui taillaient un short au Blond, un sujet sur John Gill et une pub pour Surf Session magazine ; le tout toujours avec un brin d’humour, d’auto-dérision. L’inconvénient : comme Patrick était libre comme l’air, il faisait le sommaire en fonction de ses rencontres, de ses coups de cœur, et vous collait par exemple dans un numéro spécial longues voies un article de bloc à Hueco de 25 pages (si, si, 25 pages). Il arrivait des US, c’était top bien, il s’était éclaté, alors hop ! On rajoutait Hueco au sommaire !

Étais-tu présent aux obsèques à Manosque ? Oui et ça m’a fait beaucoup de bien. Jusqu’à ce moment, j’étais encore sous le choc de la nouvelle de sa disparition. Il y avait beaucoup de monde, beaucoup de grimpeurs, toutes générations confondues. C’était un grand moment. Le « Blond » a réussi ce dernier tour de force de réunir tout le monde. Maurice Rebeix a fait un discours magnifique, il a mis du baume au cœur de chacun. Patrick a compté énormément dans la vie de beaucoup, il a même été un tournant pour certains, un déclencheur… Personnellement je suis ce que je suis uniquement parce que Patrick a croisé ma vie avec un film, et parce que c’était lui et pas un autre. Le « Blond » était un Grand Monsieur, un Géant comme l’a si bien dit Maurice. Patrick est parti, mais pour nous il sera toujours là.

Patrick au Verdon, L’age de Raison, à l’Imbut, 7c



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