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L’établissement psychosocial Clos-Bercher

UNE ARCHITECTURE DU SOIN

C’est dans un milieu rural reculé que l’établissement psychosocial médicalisé Clos-Bercher (VD) a vu le jour en 2020. Le projet cherche à prolonger l’histoire du lieu tout en proposant une architecture sensible qui accompagne les résidents.

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texte: Salomé Houllier Binder photos: Joël Tettamanti

REPORTAGE CONSTRUCTION&BÂTIMENT 23

Les intérieurs jouent sur les contrastes des matériaux, laissés au naturel.

Le décalage des volumes génère un dégagement extérieur, en prolongement de la cafétéria et de la salle de télévision.

Situé sur un flanc ouvert du vallon de la Menthue, le nouveau centre de soins psychosociaux de Clos-Bercher réalisé par le bureau d’architectes Rapin Saiz se développe sur le site d’une ancienne usine de lait condensé. Exploitée de 1880 à 1920, celle-ci a fortement contribué au développement du village de Bercher. Anciennement installé dans la maison du directeur de l’usine, l’EPSM a fait l’objet d’une nouvelle construction suite à la découverte d’un mérule dans l’ancienne bâtisse. Le projet proposé se développe en respect avec l’histoire du site, ses constructions précédentes ainsi qu’avec son positionnement en retrait du village et sa proximité avec la forêt. Développé avec soin et sensibilité, il questionne l’adéquation d’un site reculé pour une population fragilisée et réfléchit aux besoins spécifiques de cette population en matière d’appréhension de l’espace.

CONSERVER UNE PETITE ÉCHELLE

Le bâtiment propose des chambres et des espaces collectifs pour environ 25 résidents fragilisés sur le plan psychique et nécessitant donc un encadrement spécialisé. À ce titre, le caractère domestique des espaces est primordial afin que les résidents se sentent «comme chez eux». Le geste décisif des architectes a été de réduire l’échelle du bâtiment en développant trois volumes longitudinaux fonctionnant par demi-niveaux en alternance, d’un volume à l’autre. Cette solution subdivise le programme en unités d’environ huit chambres afin de faciliter la gestion des habitants. Chaque section contient une partie des espaces collectifs ou administratifs ainsi qu’une série de pièces correspondant à une unité de vie (salle à manger, salle de télévision et salle d’animation). Des salles de bain communes renforcent le caractère domestique et communautaire de l’établissement. Les trois volumes fonctionnent ensemble. À leur intersection, la circulation verticale est assurée par un double escalier dans une galerie vitrée qui offre une circulation fluide, telle une promenade intérieure, et qui génère des vues diagonales sur les demi-niveaux imbriqués des différents volumes. Un seul ascenseur connecte tous les niveaux.

Ce léger décalage en plan et en coupe répond par ailleurs à la topographie en double pente du terrain. Les architectes parviennent ainsi à tirer parti des contraintes du site. Les trois volumes se découvrent à mesure que l’on tourne autour du bâtiment, donnant l’impression d’un bâtiment plus petit qu’il ne l’est en réalité.

LA SENSIBILITÉ DE LA MATIÈRE

La nécessité d’une certaine sensibilité dans le projet en raison des problématiques psychiques et sociales des usagers a induit une architecture de contrastes et d’ambiances qui procure une véritable identité à l’espace. Pour ce faire, les architectes misent sur des éléments simples: la lumière et l’aspect naturel des matériaux. Tout d’abord, un travail sur la lumière produit un délicat jeu de clair-obscur à mesure que l’on se déplace à l’intérieur du bâtiment. Des couloirs plus contenus se dilatent en fin de parcours en s’ouvrant vers l’extérieur, créant des espaces plus généreux et lumineux qui peuvent être aménagés par les habitants, comme des petits salons d’étage.

Quant à la matière, elle est mise en valeur par un travail sobre qui la révèle à l’état brut. Le bâtiment est construit avec un double mur: un mur intérieur porteur en briques de terre cuite locale et un mur extérieur de parement crépi. Entre les deux, une épaisse couche d’isolation génère une profondeur habitable au niveau des ouvertures, tel un balcon à la française. Cette couche est exprimée par des bandeaux de carreaux clinker qui ferment l’espace et dessinent l’embrasure des fenêtres. Dans l’ensemble des espaces communs, les briques de terre cuite sont laissées apparentes. Au plafond, des briques creuses en fond de coffrage font office d’absorbeur acoustique. Au sol, un carrelage de terre cuite est déployé sur l’ensemble du bâtiment. Dans les chambres, les murs peints en blanc et les plafonds dans une teinte gris-bleu produisent une atmosphère plus lumineuse et neutre, relevée par un épais encadrement de fenêtre contenant des rangements. Ces armoires arborent une couleur bleu pétrole, de même que l’encadrement des portes. Pour leur part, les menuiseries des fenêtres et de la galerie sont peintes en vert foncé. Des touches de couleur qui contrastent avec la brutalité des matériaux.

Ici, la matière est donc exprimée, laissée volontairement visible, tel un manifeste contre le caractère parfois trop aseptisé de ce type de programme. Cet aspect que l’on pourrait croire «non fini» permet au contraire de réintroduire de la vie dans l’établissement. L’omniprésence de la terre cuite, contrastée par la brutalité du béton, apporte aux espaces une qualité chaleureuse et apaisante, mise en exergue par un mobilier choisi avec précaution. Conjointement à la localisation proche de la nature et à la circulation intérieure continue, la force de la matière confère à l’ensemble un caractère monastique.

UNE FORCE HISTORIQUE ET SPATIALE

Le projet reprend certains éléments historiquement présents sur le site, tant dans leur forme que dans leur matérialité. C’est le cas de l’usage des briques de terre cuite, c’est aussi le choix des toitures à deux pans (imposées par le règlement communal) avec des pignons surmontés de cheminées de ventilation qui rappellent le passé industriel du site. En façade, la calme répétition des fenêtres sur les longueurs et le traditionnel crépi sont rehaussés par une délicate expression du linteau et de l’embrasure des ouvertures, ainsi que par une plinthe en carreaux clinker qui court sur l’ensemble du bâtiment en suivant la topographie du terrain.

Le projet tire ainsi parti de la force historique et spatiale du site pour créer un espace pour les personnes mentalement fragilisées dans un lieu reculé, en dehors de la pression de la société. Par sa typologie, son caractère et son insertion dans l’environnement, le projet de Clos-Bercher suggère une certaine idée d’ancrage dans la communauté, comme un monastère contemporain pour la guérison des âmes. L’architecture participe au soin. La qualification des espaces par la matière, le rappel du passé et le choix des matériaux constituent ici un accompagnement pour les usagers, parallèle à celui procuré par le personnel soignant.

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