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Énergie, le développement des chauffages à distance
CHAUFFAGE À DISTANCE ET SOLUTIONS INTÉGRALES
«Nous devons saisir l’opportunité de cette période de pénurie et d’augmentation des coûts de l’énergie pour questionner et changer drastiquement nos comportements. Consommer moins et aller vers des systèmes autonomes, renouvelables et non dépendants d’énergies fossiles produites très loin de chez nous.» Pour Antoine Barc, architecte associé chez RDR Architectes à Lausanne, le phénomène va au-delà de la pénurie. «Je pense que la crise que nous traversons est un mal pour un bien. Je ne le vois pas comme une fatalité mais avec un élan d’optimisme.»
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Magaly Mavilia
Face à la hausse des prix et la pénurie d’énergie annoncée, l’approvisionnement en chaleur et en refroidissement via les réseaux thermiques à distance ainsi que les solutions énergétiques intégrales présentent un grand potentiel peu exploité mais qui semble prendre son envol.
Si la mise en place de solutions intégrales dans les grands ensembles immobiliers ne dépend que des décisions d’un nombre restreint de personnes, la création d’un réseau de chauffage à distance (CAD) est plus complexe. D’une part, les investissements sont très élevés et se chiffrent en milliards, d’autre part, la planification et la réalisation de CAD relèvent des compétences de la Confédération, des cantons, des villes et des communes. Pour accélérer la transition, une charte vient d’être signée par les différents acteurs concernés afin d’accélérer le développement de ce type de production d’énergie. Son but : réduire le nombre de systèmes de chauffage aux énergies fossiles et renforcer l’autonomie énergétique durable et de proximité.
Ce dossier présente quelques réalisations concrètes qui permettent d’appréhender de nouvelles sources de production aussi bien de chaleur que de refroidissement. Rencontre avec les acteurs des sites de Lancy-Pont-Rouge à Genève, des Fiches Nord à Lausanne, ainsi que ceux de la mutation du réseau Cadouest SA à Prilly.
Solution énergétique intégrale
Avec ses 640 appartements, ses nombreux bureaux et locaux commerciaux, le site de Lancy-Pont-Rouge se prêtait particulièrement bien à une solution énergétique intégrale. Explications avec Simon Lerch, chef de projet chez Energie 360°.
Sur une surface de 230 hectares, 300 sondes géothermiques fournissent au site de Lancy-Pont-Rouge chaleur et refroidissement, avec un apport énergétique important de chaleur résiduelle des eaux usées de la ville de Lancy. Ce type de «solution énergétique intégrale» –réalisée ici par Energie 360° en collaboration avec Bouygues Énergies & Services InTec– est particulièrement avantageux pour les grands sites à vocation mixte.
UTILISATION MAXIMALE DE L’ÉNERGIE
Lorsque plusieurs bâtiments sont reliés par un système énergétique commun, l’équilibre entre les différents besoins en chauffage et en froid est optimal grâce à la combinaison des heures d’utilisation réparties entre les bureaux et les espaces habitables, une situation d’autant plus idéale pour le stockage saisonnier de l’énergie.
Ainsi, en été, la chaleur stockée dans le sol par les sondes géothermiques va être valorisée pour produire du froid (freecooling). Le sol sert ainsi de réserve gratuite d’énergie saisonnière. Pour gérer le flux d’énergie, le système de contrôle intelligent des deux centrales énergétiques se charge automatiquement d’utiliser l’énergie du sous-sol avec efficacité, et surtout, durablement.
Traverse des conduites de chaleur sous les voies ferrées.
Modèle du système énergétique à Lancy-Pont-Rouge.
EAUX USÉES : SOURCES D’ÉNERGIE
En outre, la chaleur résiduelle des eaux usées, particulièrement abondante sur un site de cette ampleur, est utilisée comme source d’énergie supplémentaire, en hiver pour le chauffage, et toute l’année pour la production d’eau chaude sanitaire.
« Les eaux usées sont partiellement épurées puis pompées dans un échangeur de chaleur. Là, elles cèdent leur chaleur à un deuxième circuit d’eau qui mène directement à la pompe à chaleur, précise Simon Lerch. Cette solution possède un élément particulièrement novateur : un échangeur de chaleur autonettoyant. La qualité d’utilisation de la chaleur résiduelle reste ainsi constamment élevée. »
« ALL INCLUSIVE » ET SANS SOUCIS
Autre avantage de ce type de solution pour les propriétaires : une prise en charge tout aussi intégrale de l’approvisionnement en chaleur et en froid, de même que l’entretien et la maintenance des installations. « Nous sommes propriétaires des installations, précise Simon Lerch, et le client achète une température donnée dans son bâtiment. » Avec un coût de 31 millions, quel sera le prix de l’énergie pour le client et à quel horizon peut-on espérer un retour sur investissement ? « Le prix de l’énergie pour les utilisateurs ne sera pas moins cher que celui du marché, quoique, avec la hausse du prix des énergies fossiles, il est difficile de prévoir ce qui va se passer dans les prochaines années. Par contre, l’avantage est clairement de bénéficier de l’indépendance énergétique assurée par une production locale. Quant au retour sur notre investissement, il est prévu à l’horizon d’une trentaine d’années. »
www.energie360.ch
© Fernando Guerra | FG + SG
© Fernando Guerra | FG + SG
Chauffage à distance Sous le regard de l’architecte
Dans le contexte énergétique actuel, le chauffage à distance peut apporter une solution rationnelle, locale et durable. Pour les architectes, ce système a l’avantage de simplifier la mise en œuvre d’un projet, de ne pas avoir à mettre en place une production de chaleur et de permettre un gain de place non négligeable. Exemple aux Fiches Nord à Lausanne avec RDR Architectes.
Avec près de 1700 habitants répartis dans 742 logements, le vaste quartier des Fiches Nord a été relié au chauffage à distance (CAD) des Services industriels de Lausanne (SIL). Réalisé par plusieurs bureaux d’architectes, l’ensemble des bâtiments répond ainsi à des exigences élevées et certains ont été labellisés Minergie P Eco®. La récupération de chaleur produite lors de la combustion des déchets de l’usine Tridel est en effet considérée comme une source d’énergie renouvelable, bien que le sujet fasse débat.
MUTUALISER L’ÉNERGIE
Aux Fiches Nord, RDR Architectes a réalisé cinq bâtiments pour deux maîtres de l’ouvrage différents. Antoine Barc, architecte associé et directeur, est convaincu de la pertinence de la mutualisation de la production d’énergie «tant que nous ne serons pas arrivés à de l’auto-production-consommation». Par ailleurs, ce type d’installation est «extrêmement intéressant» à plus d’un titre. «Cela permet en premier lieu de réduire toutes les installations de production de chaleur dans les bâtiments et, de fait, de simplifier la mise en œuvre d’un projet. De plus, la place gagnée, surtout pour de grands ensembles, peut être importante; au Fiches Nord, sur l’ensemble du quartier, on peut l’estimer à plusieurs centaines de m2 de locaux techniques en sous-sol qui n’auront pas été réalisés. »
© Fernando Guerra | FG + SG
BÉMOL À LA CLÉ
Les chauffages à distance appartiennent généralement à des sociétés publiques, et ce sont elles qui prennent en charge les coûts d’installation, la production, la distribution et la maintenance du système. «Si le maître de l’ouvrage n’a pas besoin d’investir dans une production de chaleur ou de froid, ni d’avoir la responsabilité de la maintenance de son système, ce qui peut être complexe, il va par contre payer son énergie plus cher que s’il la produisait lui-même», souligne Antoine Barc. Mais, pour l’architecte, le bémol réside dans la source de production de chaleur utilisée, ici en l’occurrence, l’incinération des déchets issus de l’usine Tridel. «Rapidement, nous devrions nous astreindre à produire moins de déchets et tôt ou tard il pourrait y avoir une incapacité à produire la puissance requise. Le CAD ne peut pas s’étendre indéfiniment, nous allons forcément arriver à une limite.»
© DR Cadouest SA
Cadouest se tourne vers les énergies renouvelables
Créé fin 2011 par les communes de Prilly, Renens et Lausanne, le chauffage à distance de l’Ouest lausannois (Cadouest SA) prépare sa mutation vers de nouvelles ressources renouvelables avec la création d’un troisième tube d’un type particulier. Partant de la constatation que l’énergie produite par la combustion des déchets n’est pas extensible et que l’augmentation des normes d’isolation rend la fourniture de chaleur à 130 °C excessif pour les nouveaux bâtiments, il devenait nécessaire de créer de nouvelles formes de chauffage à basse température. « Avec les nouvelles normes de construction, la fourniture de chaleur à 60 °C suffit, explique Renato Dalla Palma, directeur de la société Cadouest SA. C’est pourquoi nous avons développé le projet Cadouest 3 tubes qui sera alimenté principalement par des sources d’énergies renouvelables et situationnelles. »
UN SYSTÈME «VERTUEUX»
En plus des productions renouvelables, le troisième tube permet d’exploiter les synergies entre les consommateurs. En créant un échange thermique entre eux, les excédents énergétiques des uns pourront subvenir aux besoins des autres, par l’intermédiaire du réseau 3 tubes de Cadouest. « Dans un contexte de pénurie et d’augmentation du prix de l’énergie, ce système vertueux prend tout son sens, se réjouit Renato Dalla Palma. Il permet non seulement de ne pas gaspiller l’énergie, mais aussi de consommer des énergies renouvelables locales. Un autre avantage potentiel du concept est de pouvoir produire du rafraîchissement en été. »