E stelle D idier
l’Alchimie du Chaos
malte néolithique : livres de pierre entre mer, terre et ciel ÉTUD. DIDIER Estelle UNIT E0932C - MÉMOIRE 3
SRC
DE.MEM TUT.SEP
TRAN François GRAS Pierre
MARCH ARCH
S10 DEM AHD 19-20 FI
© ENSAL
E stelle D idier
l’Alchimie du Chaos
malte néolithique : livres de pierre entre mer, terre et ciel école Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon. Mémoire AHD 2018-2020. Professeur référent : François TRAN.
B
B ta hagrat D
A C
skorba
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ggantija
D B C
A tarxien
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D A hagar qim
remerciements J’aimerais remercier le professeur François Tran pour son avis éclairé et sa sollicitude dans le suivi de mon travail, ainsi que le professeur Fabbio Negrino pour m’avoir acceuillie dans son cours à Gênes et m’avoir apporté un regard critique sur la préhistoire. Je me dois aussi de remercier, en ce sens, les écoles de Lyon et de Gênes ainsi que le programme Erasmus+ qui m’ont permis d’enrichir mon parcours universitaire. J e r e m e r c i e é g a l e m e n t l e p r o f e s s e u r Jean-Philippe Aubanel pour m’avoir soutenue au commencement de ma démarche en fin de licence.
Par ailleu rs, je rem erc ie mes c am arades
Amandine Martin-Nafti, Romane Petit, Charlotte Malgoyre et Marine Moles-Rota, pour leurs encouragements et leurs conseils.
sommaire préface pp. 11 - 25
le génie et le sacré pp. 27 - 43
0 1
Introduction état de l’art Architecture et archéologie Approche Un potentiel d’écriture architecturale Du jardin d’éden au culte des crânes Le concept de «saint des saints» Le temps du soleil, lumière de vie Jeux de lumière
habiter le paysage pp. 45 - 77
2
L’expérience du paysage parcouru Voyage néolithique sur la Méditerranée Formations géologiques remarquables de
l’archipel Maltais
Insertion des sanctuaires dans le paysage géographique
transformer la matière
pp. 78 - 99
3
Le contexte technologique Géologie et matériaux de construction Les mots calcaires de l’architecture Répertoires des passages, mobiliers de
faire émerger l’espace
pp. 101 - 127
4
pierre et ornementation
La répartition des aménagements Le vocabulaire constructif La structuration du plan des temples Un parcours séquentiel étude de cas sur Hagar Qim Le pré-existant et l’extension
conclusion
pp. 129 - 140
5
Une alchimie du chaos Perspectives d’approfondissements Retours méthodologiques Remerciements Bibliographie & Crédits
p r ĂŠ fa c e
introduction
La préhistoire est souvent assujettie à la
vision d’un temps archaïque, révolu et étranger à notre nature. Et pourtant, elle est le point de départ de ce que nous sommes, la profondeur inconsciente de notre mode de penser et de composer avec ce qui nous entoure. Il n’a pas fallu attendre les Grecs pour que l’humanité questionne, béate d’admiration ou de terreur, les choses qui la côtoient sur Terre. Et, par sa perception éternellement déformée du monde, se mette à le transformer, rien qu’un peu, puis encore, de ses mains.
L’architecture primitive est, en ce sens, une
clé de compréhension de notre langage immémorial de l’espace. Elle est fondamentale, d’une part en ce qu’elle pose les bases d’une manière de penser la construction du lieu, et d’autre part pour la sincérité de sa pureté brute, tant dans la forme que dans le sens. Alors peut-être que, même si elle demeurera pour nous quelque mystère coupé de sa vérité, elle n’en est pas moins un fossile fascinant. Un écho lointain capable de nous révéler avec plus de clarté que ce que nous pourrions lire dans notre complexité actuelle, ce qui importe le plus. Ce qui est, au coeur de l’espace, essentiel à sa plaine existence. Il est vrai qu’il ne s’agit que d’une piste comme une autre, lorsque l’on cherche le sens de l’architecture. Néanmoins, si l’on souhaite être sincère dans sa vocation, ne faut-il pas commencer par être honnête avec soi-même ? Et suivre les chemins qui nous appellent (parce qu’on les trouve, personnellement, plus jolis que d’autres). Le chemin poursuivit ici cherche à voir, dans l’étude archéologique des monuments anciens, d’une part une logique architecturée d’une civilisation disparue, et d’autre part, indirectement, un potentiel d’écriture architecturale contemporaine. Au néolithique, 5000 ans après le Göbekli Tepe et bien avant les grands monuments de l’égypte antique (premier mastaba, tombe d’Iry-Hor, Oumm el Qa’ab, -3 200 ; première pyramide, complexe funéraire de Djéser, Saqqarah, -2 600) et de Babylone, quelque beauté très ancienne, unique en son genre a émergé du sol de l’archipel de Malte.
12
Parmi les diverses merveilles de l’architecture
Etant donné l’effort humain qu’ont nécessité
préhistorique, celle-ci se dénote par l’originalité de ses
de telles constructions à un âge qui ne connaissait
formes, l’élégance de ses proportions, et la question de
pas même le bronze, les possibilités qu’une décision
sa genèse. Car si ce que l’on appelle l’«effet insulaire»
architecturale soit hasardeuse et dénuée de sens sont
a ses applications dans le domaine des sciences
limitées. Les sanctuaires sont, en somme, des livres de
biologiques (par exemple l’évolution en milieu restreint
pierre à l’air libre, à la jonction des tenants physiques
vers le nanisme), il les a également en ce qui concerne
et idéologiques d’un monde perdu, pour qui, à un
le développement culturel. L’isolement géographique
moment, ils signifiaient tout.
fait suivre à ce dernier un chemin divergent. Malte présente, dans ses fondations même, des pierres mises
D ’a p rè s G u i l a i n e , ( 2 0 0 3 ) , l e s p re m i è re s
ensemble d’une manière qui semble à nulle autre
colonies s’établissent à Malte dans le contexte de
pareille.
la néolithisation et des premières navigations sur la Méditerranée, vers 5400 BC.
Quelles en sont les qualités et qu’est-ce qui a entraîné le développement d’une telle architecture à
Malte ?
l’aire des temples mégalithiques. Ceux-ci seront alors
Quelles sont les particularités de ce langage et
utilisés durant 2000 autres années, par des sociétés
quels phénomènes en ont dessiné les contours ? Quels
différentes qui ne lui ont pas toujours donné la même
en sont les mots ? La matière constructive, la qualité
signification : certains groupes ( à partir de 2500 BC)
spatiale, l’approche patrimoniale sur l’existant ? Est-ce
y ont déposé des restes humaines, ce qui n’était pas
une certaine conception du sacré qui guide ces choix,
leur vocation originelle. Après quoi les sites ont été
ou encore les particularités d’un paysage auquel un
complètement abbandonnés.
groupe humain appartient ? Cette étude peut-elle nous en apprendre plus sur le rapport de ce dernier à son identité ?
13
Ce ne sera qu’en 4100 BC que commencera
état de l’art
Cependant il identifie, avec l’avènement des
hypogées où se déroulent des rites d’inhumation collective, et la construction des premiers temples,
Le c o e u r d e l ’é n i g m e d e l a c i v i l i s a t i o n
les signes d’une mutation sociale significative à
néolithique maltaise semble, pour les archéologues, se
l’organisation plus communautaire. Selon van Berg
trouver dans le débat entre diffusionnisme (influences culturelles diverses) et isolement insulaire.
(1996), qui évoque un «néo-diffusionnisme modéré» ce
Tous s’accordent à dire que les premiers
lié à la culture sicilienne de San Cono-Piano Notaro 2,
changement serait dû à un nouvel apport de population puis enrichi, à partir de -36003 (ce qui marque le début
arrivants venaient vraisemblablement de Sicile,
de l’âge d’or des temples) par un vocabulaire issu de
éloignée de seulement 80 km, alors que leur style
l’architecture mégalithique occidentale. 4 Autrement
céramique comporte des affinités avec le groupe
dit, à partir de -3800, l’influence autrefois uniquement
sicilien de Stentinello.
Sicilienne aurait résulté d’un mixage culturel entre les
Le renouveau culturel entre les phases Ghar
cultures de la Méditerranée centrale, des Balkans et
Dalam, Grey Skorba et Red Skorba paraîtrait, d’après
des Carpates.
Guilaine (2003), «procéder d’une évolution sur place du substrat constitué par les [premières] communautés».1
sa r d
aign
e
Daniel Cilia, Timeline of Malta before common era, https://web.infinito.it/
SICILE
100 km
14
Néanmoins cet avis n’est pas unanime et
dessin général de leur plan-masse et de leur élévation,
plusieurs archéologues s’accordent à penser que la
de leur technique de construction, de l’emploi et de
culture maltaise a opéré «une sorte de repliement sur
la manipulation des pierres, fait des temples maltais
soi.» (Guilaine, cours universitaire) qui lui a permis de
une expression culturelle unique, très différente des
se développer d’une manière incomparable. Courtin
manifestations architecturales des autres constructions
(1994) défend également la thèse avancée par Evans
mégalithiques.»
(60’) selon laquelle l’originalité de cette architecture est due à une genèse autochtone. Steiner et Vidale
Il apparaît également que malgré ce chemin
soutiennent que ce phénomène serait une «expression
culturel de plus en plus indépendant, les échanges
d’autonomie et de résistance face aux univers culturels
commerciaux pour l’acquisition de pierres comme
et symboliques d’un immense monde extérieur.» Dans
l’obsidienne, le silex et la pierre verte, absents de
le même sens, Adouard (2014) émet l’hypothèse d’une
l’archipel, aient perduré. 6
cohésion identitaire là pour impressionner les visiteurs pèlerins. Bonanno (2001) nuance ces mêmes points de
vue en admettant, d’une part, certains échos à des
civilisation sont également confuses. Deux hypothèses
expressions architecturales d’au-delà de la mer , et
semblent cohéxiter pour expliquer ce phénomène :
d’autre part en concluant que «bien qu’il existe de
d’une part une crise éco-environnementale semblable
fortes équivalences dans des aspects individuels ou
à celle de l’île de Pâques, et de l’autre une nouvelle
dans des détails, [...] la combinaison de leur but, du
arrivée de population porteuse de la culture du Bronze.
1. Jean Guilaine, 2003, pp.230-247.
la nécropole d’Arzachena-Li Muri (Sardaigne) que celui des villages fontbuxiens».
5
2. Paul-Louis van Berg, 1996, pp. 353-364. Van Berg précise que l’origine des traditions d’inhumation hypogéïque et d’inhumation collective sont différentes, issues de deux cultures du territoire de Sardaigne. La sépulture troglodytique prendrait ses origines au milieu du Ve millénaire, peut-être «un avatar du rite consistant à inhumer les morts dans l’habitat, apparu dès le natoufien [ (début du néolithique au Moyen-Orient) ] (...) En effet, les chambres hypogéïques reçoivent souvent la forme d’une maison.» L’arrivée du rite collectif en Méditerranée centrale, serait, elle, plus récente, «accompagné ou suivi par beaucoup d’autres traits caractéristiques de l’ambiance mégalithique (Azieni, 1990 ; Sluga Messina, 1991).»
Les causes de l’abandon de Malte par cette
5. Anthonny BONANNO, 2001, pp. 34-45. « Le plan-masse avec un corridor rectangulaire conduisant à un système trifolié de pièces semicirculaires disposées autour d’un espace central, trouve des similitudes dans certains des grands tertres et tombes à couloir du Nord-Ouest de l’Europe (...). On trouve une similitude plus grande et plus frappante encore (au niveau de la façade concave et de la disposition interne des espaces) dans les navetas et les taulas des îles Baléares». 6. Lorena ADOUARD, 2014, pp. 346-347. «[Durant les phases Ghar Dalam, Grey & Red Skorba] les échanges sont nombreux comme en témoigne la présence de matières premières exogènes (obsidienne en provenance des îles Lipari et Pantelleria, silex du Monti Iblei en Sicile, et même une amulette en jadéïte alpine) (Trump, 2002)». Par la suite, il semble y avoir une baisse des échanges, qui cependant perdurent : obsidienne, haches polies, pendantifs en roches importées, ocre rouge (Rainbird, 2007).
3. VAN BERG, 1996 (Bonanno, 1990 ; Trump, 1990) 4. VAN BERG, 1996, ces éléments caractéristiques sont les suivants : «grandes dalles, trilithes, entrées de dimensions réduites aménagées dans une dalle perforée, dalles décorées par piquetage (Eogan et Aboud, 1990) (...) D’autre part, la manière d’accoler les uns aux autres les temples successifs [...] rappelle aussi bien le plan de
15
Courtin, Steiner et Vidale se sont intéressés de
plus près au paysage et aux conditions climatiques et environnementales de l’archipel maltais à la préhistoire. Steiner et Vidale, plus particulièrement, ont posé le problème du rapport entre géographie et choix de l’emplacement des sanctuaires. Ce dernier se rapporterait à une stratégie qui se positionne soit en fonction du relief, soit en fonction de l’accès à la mer. Ils font référence à Vere Gordon Childe qui aurait identifié une «correspondance significative entre les principaux centres culturels et les étendues de sol cultivable.». Ils concluent ce thème par la difficulté, même sur ce territoire réduit, d’interpréter ces choix d’emplacement.
L’o r i e nt at i o n d e s t e m p l e s , q u a nt à e l l e ,
n’apporte aucune certitude, bien que des orientations solaires liées aux solstices aient été identifiées à Hagar Qim et Mnajdra, et que se pose l’hypothèse d ’ u n e o r i e nt at i o n p l u s h i s t o r i co - gé o g ra p h i q u e qu’astronomique avec la direction vraisemblablement indiquée de l’île-mère sicilienne (Courtin, 1994). Sur la base de ces informations et d’une topographie détaillée, que peut-on lire dans l’environnement de chaque sanctuaire ? La perception de cette géographie peut-elle nous donner des indices sur la vision du monde de ses habitants au néolithique ? Le vécu de cette insularité (un territoire isolé avec des ressources limitées mais aussi d’extraordinaires qualités paysagères), après avoir influencé leur rapport au monde, s’est-il manifesté dans leur architecture ? Outre ces considérations pour les mouvements culturels en Europe Méditerranéenne et la colonisation de l’archipel, la littérature scientifique s’intéresse à la fascinante dialectique entre le culte de la vie (adressé à une divinité corpulente portant une jupe à franges) pratiqué en surface dans les temples, et celui des
1996 ; Steiner et Vidale) tout en lui conférent un sens
ancêtres, pratiqué sous terre. Guilaine (2003) parle à ce
très différent.
sujet d’une «symbiose entre (...) deux sphères restant d’ailleurs étroitement connectées.» Ce lien conceptuel
est marqué par des échos architecturaux qui renvoient
abordée au travers de ce qui permet d’identifier
les espaces l’un à l’autre (Guilaine, 2003 ; Van Berg,
les temples comme tels 7 et l’évocation de procédés
7. Jean COURTIN, 1994, pp. 17-38. L’absence de tombe, «la présence d’autels de pierre souvent monolithiques, de statues figurant des divinités,
d’offrandes, [et de témoignages de sacrifices notamment à Tarxien], atteste leur caractère religieux.»
16
L a q u e s t i o n d u re l i g i e u x e s t é g a l e m e n t
analyse plus détaillée de ce jeu de lumière et de limites supporté par l’architecture. Aussi, comment la phénoménologie de la perception peut-elle expliquer l’aspect véritable d’une mystification de l’espace architectural ? D’autres clés de lecture plus spécialement axées
sur l’architecture même des sanctuaires préhistoriques de Malte en définissent un plan classique. Il s’agit d’un de mystification de l’espace : «une partie interne,
plan polylobé s’organisant autour d’un axe central
obscure et dont le secret était défendu par des portes
partant d’une façade concave, passant par un couloir
successives, un «saint des saints» où n’avaient accès
d’entrée, distribuant des cours rectangulaires bordées
que [certains privilégiés]». Le rituel définit par ailleurs
d’absides semi-circulaires, jusqu’au «saint des saints»,
ce qui semblerait être une forte différenciation entre
le tout encerclé par un solide mur d’enceinte en fer
cet espace intérieur caché, et l’esplanade ainsi que le
à cheval (Guilaine, 2003 ; Audouard, 2014 ; Courtin,
banc longeant la façade, destinés à un public plus large
1994 ; Bonanno, 2001). Cependant, cette définition,
de fidèles (Courtin, 1994).
si elle rassemble les traits caractéristiques majeurs des
temples, reste un modèle théorique.
Peut-être serait-il intéressant de mener une
Andreas M.STEINER et Massimo VIDALE, date inconnue, ajoutent que des trous à la base de sculptures pouvaient en avoir assuré la mobilité pour
des représentations animées au cours d’oracles et d’injonctions aux fidèles.
17
18
La communauté scientifique s’accorde sur
externe des temples, l’intérêt structurel de la massivité
le fait que ces plans ont tendance à se symétriser
des enceintes, ainsi que le rapport entre l’emploi des
mais surtout à se complexifier au fur et à mesure des
matériaux, leur caractéristique et leur disponibilité sur
agrandissements successifs des sanctutaires (Guilaine,
le site. Cette dernière piste est par ailleurs explorée
2003 ; Bonanno, 2001 ; Steiner et Vidale). Le point
par Courtin d’un point de vue plus géologique.
culminant de cette complexification serait la phase
C’est cette maîtrise du travail du calcaire qui aurait
Tarxien, la dernière avant la périclitation de ce mode
grandement contribué, selon Guilaine, à «l’éclosion
de vie.
d’une architecture d’une perfection achevée.»
Il s e ra i t a p p ré c i a b l e d ’o b s e r ve r p l u s e n
En ce sens, qu’est-ce qui en fait la beauté ?
détail l’approche patrimoniale contemporaine aux
Pour y répondre, nous essaierons d’étudier de plus près
constructions des sanctuaires : de quelle manière
l’appareillage des pierres, non pas de manière générale,
la transformation altère-t-elle l’existant ? Comment
mais en observant ses étrangetés, ses particularités,
se joue, par étapes, entre plusieurs possibilités
son adaptation aux caractéristiques variables du
d’extension, le récit de la métamorphose d’une
calcaire. Quels sont les jeux de proportions, la
architecture ?
hiérarchie de forme et les lignes directrices qui régissent ce mégalithisme ?
Quelques aspects de la construction de cette architecture sont également abordés. Notamment
Mis à part ces aspects déjà précédemment
l’évolution dans l’appareillage et les matériaux
explorés, quel langage persiste, quoique le sens puisse
utilisés. Les premiers essais de temples n’auraient
nous en échapper, dans l’expression de la matière et
comporté que deux ou trois assises de pierre, avant de s’élever dans des matériaux périssables8. Puis, ce
de l’espace architectural ?
type d’appareillage aurait laissé place à de petites
et quelle part en est simplement adaptée de manière
pierres dressées associées à des moellons grossiers
à s’insérer dans l’ensemble ?
(Bonanno, 2001). Dans les temples plus tardifs où l’on
Quelle est la «personnalité» de chaque espace,
reconnaît une notion d’encorbellement des parois des
sa relation avec les objets lithiques qu’il contient ?
Jusqu’à quel point est transformée la matière
absides (Guilaine, 2003). Néanmoins la question de la nature du toit qui finissait cette tentative de voûte reste incertaine9. Bonanno décrit également, selon un modèle général, la différence entre l’appareillage interne et
8. comme du «bois ou [des] branchages, peut-être recouverts de torchis» ou en briques crues, bien que le pisé n’ait été plus largement employé que lors de la phase Ggantija (Courtin, 1994 ; Bonanno, 2001).
aussi que certains espaces auraient pu être dépourvus de couverture, en raison de la présence de foyers.
9. Une maquette retrouvée à Ta’Hagrat suggère que les temples étaient bel et bien clos par une toiture. GUILAINE, 2003, envisage deux possibilités : soit un demi-encorbellement «à la manière d’une tholos tronquée» soit la «montée (...) jusqu’à une certaine hauteur (...) terminée par une partie supérieure plane en bois ou en argile». BONANNO, 2001. rapporte le conflit entre l’hypothèse des architectes qui défendent l’hypothèse de l’apposition d’une dalle de pierre supérieure, et le scepticisme des archéologues. Il note
19
Architecture et archéologie
collecte et la description de données, puis vient la reconstitution d’un comportement culturel (Middle Range Theory), avant d’expliquer, alors, l’organisation, l’opération et l’évolution des cultures, spécifiques puis de la culture en général (Grand Theory). Si ce
cheminement ne se vérifie pas dans le chemin inverse,
Archéologie :
alors il comporte sans doute certaines faiblesses. 12
L’a r c h é o l o g i e e s t u n e s c i e n c e v i s a n t à
reconstituer l’histoire, qui, bien loin des préjudices
d’une conception séculaire portée par les écrits,
d’abstraire les choses et d’optimiser notre capacité à
désigne tout ce qu’il s’est passé, indépendamment de
stocker des connaissances, occulte nécessairement
ce qui fût raconté ou non. Elle cherche à comprendre
certaines réalités, dont la substance bien plus complexe
une vérité d’autrefois, des chemins qui nous ont menés
et subtile, n’est pas toujours à même de se conformer
à ce que nous sommes . Pour cela, elle s’échine à
à une boîte. Il y a nombre d’interboîtes.
10
Cependant notre manie de tout classifier, afin
retrouver et comprendre les vestiges matériels, soit directement issus de l’activité humaine, soit de leur
Afin de mener ses enquêtes, l’archéologie a
contexte (procédés naturels, populations, etc.).
recours à de nombreux outils et spécialités différentes.
11
Elle suit aussi quelques fois les pistes des mythes Née d’une fascination pour ce qui est autre et
afin de retrouver la part de vérité qui a pu les
n’est plus, l’archéologie admet ses propres limites. Elle
inspirer. Hormis l’enquête de terrain conventionnelle
sait que, de ces objets dont elle cherche à déceler les
concernant à excaver des artefacts et à en identifier
murmures inaudibles, elle ne peut tout comprendre.
les typologies, elle s’attache également à l’histoire du climat et de la géographie, la géologie, la datation,
Afin de ne pas s’y perdre, l’archéologie suit un
l’anthropologie culturelle, mais aussi la philosophie.
schéma à la fois inductif, partant de l’empirisme vers
Plus particulièrement, pour l’archéologie préhistorique,
la compréhension, et déductif, revenant aux matériaux
il faut ajouter l’anthropologie physique, la neuroscience,
de l’étude. Avant tout, se font, dans le monde réel, la
la biologie, la génétique et la paléontologie. 13
10. D’après Fabbio Negrino, 2019.
Johann Wolfgang von Goethe, «J’appelle l’architecture, de la musique congelée.» Constantin Brancusi, «L’architecture est de la sculpture habitée.»
11. D’après ressources en ligne : déf.Larousse, cnrtl. 12. Philippe Jockey, 1999 et 2009
Frank Loyd Wright, «L’espace est le souffle de l’art.»
13. Walter Taylor, 1948, « l’archéologie n’est ni l’histoire ni l’anthropologie. Comme discipline autonome, elle consiste en une méthode et un ensemble de techniques spécialisées destinées à rassembler, ou à « produire » de l’information culturelle »
15. Jean Renaudie, « L’architecture est la forme physique qui enveloppe la vie des hommes dans toute la complexité de leurs relations avec leur milieu ». Antoni Gaudi, « Rien n’est de l’art s’il ne provient pas de la nature».
14. Le Corbusier, «L’architecture est le jeu savant, correct et magnifique des volumes assemblés sous la lumière.» , « La construction c’est pour faire tenir, l’architecture c’est pour émouvoir ».
Frank Loyd Wright, «Les bâtiments aussi sont des enfants de la terre et du soleil», «Étudiez la nature, aimez la nature, rester proche de la nature. Elle ne vous fera jamais défaut.», «Je crois en Dieu mais je l’épelle Nature.»
20
Architecture :
Si elle est facilement identifiable à l’art de
l’agencement tridimensionnel d’un complexe de
concevoir des édifices et de faire lieu, l’architectura
formes. Tout y a son importance : autant le rapport
est plus subtile que cette simple généralité dans son
de leurs proportions (plein, vide), leur disposition
essence. Certains l’expriment surtout comme un art ,
dans l’espace (parcours, fixe, mobile), que la qualité
qui se manifeste par l’importance d’une plasticité
tactile, lumineuse et sonore des matières, et ainsi leur
en effet devenue possible grâce à la technique et
harmonie ou non avec l’environnement qui les entoure.
l’équilibre des forces. D’autres, pour la dessiner,
Car ce complexe de formes sera avant tout à l’épreuve
s’inspirent de la nature , et celle-ci serait ce à quoi se
de la vie et des éléments.
Pour s’exprimer, l’architecture a recours
à des valeurs symboliques qui se dessinent dans
14
15
confronte la vie de ces hommes voulant l’habiter, c’està-dire, qui ont besoin d’enveloppe protectrice (qu’elle
Dans le même temps, il se doit de répondre à des
soit morale ou physique), de repères. D’autres encore
exigences utilitaires, sociales, techniques, économiques
ou une révélation de
et, même, aujourd’hui environnementales11. Autrement
la vérité 17, pour les idées qu’elle contient, parce que
dit, l’architecture obéit à enchevêtrement de données
l’on s’y questionne.
humaines et civilisationnelles et sert d’interface à ceux
y voient un marqueur du temps
16
qu’elle reçoit. En vérité, l’architecture est tout ceci à la fois. C’est la manière qu’a une intersubjectivité humaine
d e m o d e l l e r ce q u i l ’e nto u re p o u r s’a p p ro p r i e r
factuelle, quelque part, et pose la question du ressenti
l ’e n v i ro n n e m e n t q u ’e l l e h a b i t e . Et c e l a p a s s e
humain face à un lieu au travers de ses sens et de sa
nécessairement par la projection sur le réel d’un regard
pensée. Elle est utile quand les qualités de l’espace,
subjectif, et non seulement par l’agencement factuel
de l’air et des matières concordent avec la vie qui les
d’amas de matière. Ces derniers sont à l’architecture
occupe.
ce que les mots sont au langage.
16. Jean Baudrillard, «L’architecture est un mélange de nostalgie et d’anticipation extrême».
Victor Hugo, «L’architecture a enregistré les grandes idées de la race humaine. Non seulement tous les symboles religieux, mais chaque pensée humaine a sa page dans ce vaste livre.»
Frank Gehry, «L’architecture devrait parler de son temps et de sa place, mais aspirer à être intemporelle.».
L’étude architecturale est plus sensible que
F r a n k L o y d W r i g h t, «To u t e s l e s v a l e u r s architecturales artistiques sont des valeurs humaines, autrement elles seraient sans valeur.», «La vérité est plus importante que les faits.», «‘Pensez simplement’ comme disse mon ancien maître, ce qui signifie réduire l’intégralité de ses pièces dans les termes les plus simples, revenir aux premiers principes.».
Mies Van der Rohe, «L’architecture est la volonté d’une époque traduite dans l’espace.». Christopher Wren, «L’architecture vise l’éternité.». Frank Loyd Wright, «Le présent est l’ombre toujours mouvante qui sépare le passé de l’avenir. C’est ici où réside l’espoir.»
Arthur Erickson, «L’espace a toujours été la dimension spirituelle de l’architecture. Ce n’est pas tant l’état physique de la structure que ce qu’elle contient qui nous agit.» , «Chaque fois que nous sommes témoins de l’art dans un bâtiment, nous sommes conscients d’une énergie que celui-ci contient.»
17. Jim Rohn, «Toutes les bonnes choses que nous construisons finissent par nous construire.».
21
Architecture et Archéologie :
L’architecture est également étudiée en
n’en est pas moins un fondement de la pensée du lieu qui, sous certaines formes, a peut-être perduré jusqu’à aujourd’hui.
archéologie, sans pour autant en être la partie
centrale : elle en est un livre, une ressource factuelle.
métamorphose qui n’a pas cessé de se transformer. Ni
Inversement, les autres disciplines de l’archéologie
tout à fait rationnelle, ni dénuée de consistance, elle se
sont pour l’architecture une ressource contextuelle.
balance incessamment entre art et technique. En effet
Car l’’objet architectural descriptible et l’architecture
si un objet architectural est concret, il aurait pu être
au sens de regard ne sont pas équivalents.
une réponse différente à la question auparavant posée
par le projet appelant sa construction. Avant celle-ci,
Le point de vue architectural est le plus à même
L’architecture est par essence un art de la
sa réalité est incertaine.
de décrypter le langage sensible de l’espace, la juste place de chaque moment matériel dans l’espace. Car, au-delà d’une description factuelle généralisée servant
Appliquer cette approche à l’archéologie
à reconnaître cette architecture par rapport à une
permettrait de tester des possibilités qui n’ont
autre, ses subtilités et ses incohérences sont tout aussi
jamais été observées, et qui pourtant sembleraient
intéressantes. étudier un projet architectural aussi loin
susceptibles d’exister. De la même manière, les réseaux
enfoui dans le temps a quelque chose de primordial et
de neurones informatiques sont capables, à partir
de fascinant. Sans pouvoir tout comprendre et tout
de nombreuses images de chats, de générer l’image
déchiffrer, l’architecte habitué à concevoir l’espace
d’un chat qui n’a jamais été. Et cela dans le but de
est peut-être le plus à même de comprendre le
véritablement comprendre la genèse d’une archéo-
dessein architectural d’autrui. D’autant plus que, si le
architecture. Autrement dit d’abstraire le concept du
néolithique peut nous paraître abyssalement ancien, il
chat.
approche
souhaitons poursuivre ici : le mystère de l’origine, de la transformation de matière en forme capable de supporter un récit dans lequel sonne la poésie d’une
Démarche :
L’architecture peut être considérée comme
De ce point de vue-là, notre approche peut
un système dynamique à comportement chaotique
être comparée à l’Essai sur la dynamique des formes de
existence consciente menée sur Terre.
18
. En effet son expression matérielle dépend de
Raynaud, puisqu’on s’intéresse à ces mêmes «images
paramètres qui évoluent eux-mêmes dans le temps
génératrices du projet, c’est-à-dire [les] principaux
de façon imprévisible (la psychologie, la société, la
symboles qui déterminent, en partie ou en totalité,
culture, l’environnement, etc.) et dont les rapports
les formes architecturales.» Cela et l’importance de
d’interaction sont variables. Les points de départ de
considérer également les nombreux facteurs qui
l’expression d’une architecture revêtent donc une
«exercent une pression modifiante sur l’édifice» nous
grande importance pour la manière dont son langage
amènerons à étudier le monde qui a vu émerger les
va se développer.
temples mégalithiques de la Malte néolithique ainsi
19
que les détails formels de leur architecture.
L’alchimie, car il est ici question d’une certaine
alchimie, est ce procédé qui serait capable de rendre
En quoi l’alchimie issue du chaos caractérise-
immortel et de transformer le vil en précieux, une
t-elle la poésie incompréhensible et néanmoins
transformation quasi miraculeuse d’une réalité banale
perceptible des temples néolithiques maltais ? Quelle
en un élixir poétique. Et c’est bien cela que nous
est cette richesse ?
22
Cela revient à se demander comment les divers
paramètres (ou systèmes de paramètres) en présence en ce lieu et durant cette époque ont-ils influé sur l’évolution d’une culture venue coloniser l’archipel vers une originalité insulaire ?
Co m m e nt , e n s u i te , a u co u rs d e s p h a s e s
culturelles propres à Malte, de nouveaux modèles t y p o l o g i q u e s s ’a p p l i q u e n t - i l s à t r a n s fo r m e r l e patrimoine existant ? Suivant la variation localisée des conditions de départ, la réponse architecturale semble diverger.
Hypothèses de la recherche :
L’Univers de l’humainement percevable (autrui,
paysage, nuit, jour), fut, pour les visionnaires, les artistes et les constructeurs, une source première d’inspiration. C’est en déformant ces perceptions dans leur mental, et en se confrontant à la matière sous la peau de leurs mains qu’ils ont interagi avec ce qui les entoure, d’une manière qu’ils n’auraient pas prédit euxmêmes. Le phénomène de transformation du monde matériel par la construction d’un monde conceptuel
J e r r y U E L SMANN , H o m a g e t o H e r b e r t Bayer, 2004, photographie argentique
passe par des allers-retours entre ce qui est et ce qui pourrait être.
L’architecture primitive peut servir à se créer
des repères, une identité, à donner corps à des qualités
18. Giorgio GIALLOCOSTA, 2019. Un système est un ensemble structuré d’éléments en interaction, dont l’action combinée donne lieu à un phénomène. La manière d’interagir de ces éléments est plus importante que les caractéristiques de ces éléments. Un système dynamique est un système dont le comportement change au cours de son évolution dans le temps. Chaque élément du système subit des dégradations avec le temps, ce qui a un impact conséquent sur l’ensemble du système et de son fonctionnement. La complexité du système dynamique de la construction architecturale s’explique par la multiplicité de facteurs contextuels, de caractéristiques, et la multiplicité d’observateurs subjectifs.
19. David LOUAPRE, 2018, «Avec certains systèmes dynamiques (...), l’évolution n’est pas du tout régulière, elle est plutôt erratique et extrêmement dépendante de sa condition initiale : c’est un système chaotique, et donc, imprévisible. La moindre variation de départ, même infime, a des conséquences importantes à terme. C’est ce qu’on appelle l’effet papillon.» Ce comportement a été observé pour la première fois par Edward Lorenz en 1961 alors que celui-ci étudiait un modèle de calcul météorologique. Néanmoins même les systèmes chaotiques obéissent à des attracteurs mathématiques (c’est-à-dire une tendance du système à converger ou osciller vers une ou plusieurs valeurs), que l’on appelle «attracteur étrange» et qui possèdent une structure dite «fractale» (c’est-à-dire qu’en zoomant sur cette structure, beaucoup de valeurs se ressemblent mais jamais aucune ne se superpose).
23
invisibles : le nourricier, le sacré, le commun, le casanier, et joue sur les limites entre la terre transformée par la culture humaine, et celle, sauvage, qui l’a inspirée.
La perception géographique de l’archipel
a pu jouer un rôle dans ce besoin d’identité et de repères. Des racines lointaines couplées à un isolement géographique ont pu générer une forme de curiosité pour le grand monde au-delà de l’horizon, d’où l’on est venus. Dans le même temps la fragilité écologique d’un territoire limité et le renfermement territorial ont pu avoir un lien avec un certain protectionnisme culturel.
Matières et méthode :
L a s t r a t é g i e d e re c h e rc h e a d o p t é e e s t
d’assembler un travail de synthèse, relier des données issues de divers champs de spécialisation. Ceci de façon à avoir une vision d’ensemble assez précise, mais aussi et surtout à observer ce qui les connecte ou non. Nous mènerons pour cela notre investigation autour des paramètres géographiques, géologique (e n ra p p o r t ave c l e m até r i a u d e co n s t r u c t i o n) , s c é n o g r a p h i q u e (a n a l y s e d e l a l u m i è re e t d e s séquences d’espaces, des limites, de la disposition des aménagements et mobiliers de pierre) mais aussi la variation morphologique des plans des temples au cours du temps.
24
ci-dessus, faรงade des temples de Ggantija, Gozo.
25
I.
le génie et le sacré
un potentiel d ’ é c r i t u r e architecturale
gagne en réalité, et ainsi, en puissance. Quoi qu’il en soit l’ensemble social qui reconnaît ce symbole, cet emblème, est relié par une compréhension commune21, à la manière d’un langage, et y voit des notions qui n’y existent que dans son esprit.
L’ a r c h i t e c t u r e a r e c o u r s à d e s v a l e u r s
symboliques. Et ceci se dessine par la discontinuité de
L’architecture ne sert pas uniquement des
sa plastique. Il y a, toujours, un moment de rupture,
d e s s e i n s p ra g m at i q u e s . El l e e s t p rofo n d é m e nt
un changement, une anomalie qui hierarchise la
identitaire et emplie de valeurs suggérées par ses
forme, porte le regard, le perturbe. Dans ce moment,
aspects. Un langage s’y dessine, se métamorphosant
justement, émerge un dialogue entre l’ensemble, le
en renvoyant sans cesse à d’autres choses, combinant
particulier, et nous-mêmes.
d’autres perceptions que celui de l’architecture précédente, dont il s’inspire, sciemment ou non, ou qu’il rejette. Néanmoins tout ceci n’a de sens que dans
Le r e l i g i e u x .
le mental de celui qui la perçoit. Sa valeur n’est donc pas universellement perçue de manière uniforme. C’est
Il n’est pas ici question d’évoquer le sacré,
ce à quoi réfère, notamment, Maurice Merleau-Ponty
et la dimension immaterielle des formes que nous
dans sa phénoménologie de la perception.
employons, comme une vérité nette et absolue, mais plutôt de l’assumer comme une tendance de l’être humain à chercher au-delà de ce qu’il perçoit à l’aide de ses sens.
La notion de symbole
Le sacré est une dimension mentale, sociale,
L’humain a toujours, depuis ce berceau de l’art
la quête de quelque chose qui nous dit ce que nous
que l’on situe en Afrique du Sud il y a entre 70 et 100
sommes et quoi faire. Il n’a de consistance que dans le
millions d’années , voulu comprendre
partage de manières de regarder communes à plusieurs
10
20
et donner un
sens aux formes comme aux matières qu’il emploie.
personnes.
Alors, il transforme le hasard indifférencié en un
Si les paroles issues du latin, «relegere» (relire)
élément chargé d’une signification dépassant sa simple
et «religare» (relier), sont fréquemment employées, et
apparence. Un quelque chose qui raconte sans rien
discutée, pour définir la religion comme une lecture
dire, par le monde intersubjectif que l’on place en lui.
originale du monde qui relie les hommes, la religion
C’est de cette manière que naît la notion de symbole.
dépasse ces simples acceptations. En fait, un mot peut
Un symbole est donc un élément concret
être employé à une époque ou de meilleur mot n’existe
(Être, objet, signe ou fait perceptible) qui, aux yeux
pas, et peu à peu accueillir parmi ces sens, un nouvel usage, une signification aussi évolutive que cet usage22.
d’un groupe humain initié, est identifié comme la représentation d’un concept, de signification abstraite, impossible à percevoir sans ce biais codifié, ou de
quelque chose d’absent, ou encore de l’abréviation
sacré avec foi, une réalité supérieure qui n’est pas
de quelque chose de plus grand. Mais plus qu’un
directement visible, mais interprétée, comme ce qui
amoindrissement il s’agit là d’une amplification de
est caché dans et au-delà du percevable. Cet ordre
l’idée, car celle qui est soutenue par un artefact
divin est présent au sein de l’esprit, même lorsque
10. Fabbio Negrino, 2019.
avoir été la faculté de forger des concepts, de cataloguer des objets individuels dans des classes distinctes [...]. De plus, les concepts peuvent se manipuler. C’est là le fondement de la pensée abstraite et de l’invention.»
20. Richard E. Leakey & Roger Lewin, 1977, «Un bon vital dans l’évolution des capacités intellectuelles semble
28
La religion appelle l’humain à observer le
personne d’autre n’est là près du corps. La religion
pratiques et des rites spécifiques. Elle constitue ainsi
a alors le pouvoir de venir en réponse à l’incertitude
une institution sociale dont le mode de vie est plus ou
et l’insécurité psychologique qui guette parfois l’être
moins fortement déterminé et organisé. 21
conscient. S’y lie alors quelque chose de rassurant, ou de terrifiant, ce qui implique forcément un vecteur sentimental et, par conséquent, en rend l’essence-
L a n o t i o n d u c u l t u e l , d u s a c ré , d u r i t u e l e t d e l a
même subjective.
religion. Est-ce la même chose ?
C’est une recherche de la vérité qui ne concorde
Néanmoins, mis à part les enjeux sociaux,
cependant pas avec la démarche philosophique ou
économiques et politiques d’une telle organisation de
scientifique, puisqu’elle est croyance, mais dont la
la société, il y a, plus primitivement, dans le fait d’avoir
relation avec le politique est, au cours de l’histoire,
des rites et de croyances, un besoin fondamentalement
souvent ténue, puisqu’elle exerce un pouvoir tant
humain de répondre à nos questions demeurant sans
fédérateur que séparateur entre les populations.
réponses, à moins que l’on ne s’en invente une.
La religion s’articule autour d’un ensemble
de croyances et de dogmes qui engagent l’individu
Que révèle l’architecture de notre désir
et la communauté dans un comportement moral, des
d’ordonner la Terre en Monde ?
Du jardin d’eden au culte des crânes
l’humanité connaît une évolution plus progressive et complexe qu’on ne le croit. Les subtiles raisons de ce changement restent en partie obscures. Des variations notables dans le climat auraient été le facteur primordial de l’évolution contemporaine de
La Révolution Néolithique et les divinités m o ra l i s a t r i c e s 1 0 .
groupes humains disséminés de part et d’autre du
La religion, à ses débuts, ne semble pas être
O n s a i t p a r l a p a l é o g é n é t i q u e q u e l e s
structurée. S’agissait-il d’une sorte de chamanisme
néolithiques qui se sont diffusés dans toute l’Europe,
hérité des sociétés paléolithiques, d’animisme, de culte
et en Inde (ces deux régions présentant des similitudes
des ancêtres ?
dans la construction de leur language) descendent des
globe terrestre.
chasseurs-cueilleurs d’Anatolie. Se l o n l a v i s i o n a nt h ro p o - a rc h é o l og i q u e ,
l’émergence des grandes religions fédératrices, n’a
a rc h é o l o g i q u e s c o m m e c e l l e d u G ö b e k l i Te p e ,
lieu qu’au néolithique. Une «révolution» selon Vere
sanctuaire le plus ancien jamais excavé, que l‘agriculture
Gordon Childe, en raison de l’irréversibilité de ses
s e s e ra i t d éve l o p p é e . Ma i s ce b o u l eve r s e m e nt
mutations économiques, culturelles et sociales. On
économique n’aurait eu lieu qu’après le contexte
l’associe en général à l’apparition de l’agriculture et
technologique et social prêt à l’acceuillir.
de la poterie. Cependant ce chapitre de l’histoire de
21. D’après ressources en ligne : cnrtl, linternaute, larousse, encyclopoedia universalis.
ou à annuler le rôle de l’histoire, de ses continuelles modifications et infléchissements, en cherchant à préserver un lien essentiel entre l’acception actuelle, vivante, d’un mot et son hypothétique acception première élevée au rang de donnée fondatrice originelle.
22. Daniel DUBUISSON, 1998, L’idée de religion basée sur l’épystémologie du mot « a tendance à minimiser
29
C’est là, d’après les dernières découvertes
Les conditions climatiques particulièrement
crâne surmodelÊ, Jericho
30
f a v o r a b l e s q u e c o n n a î t l ’A n a t o l i e , a m è n e l e s
L’é v o l u t i o n c u l t u re l l e A n a t o l i e n n e , b e rc e a u d ’ u n e
populations à devenir pratiquement sédentaires.
c i v i l i s a t i o n e u r o p é e n n e n é o l i t h i q u e 10.
L’image la plus parlante pour décrire cet environnement serait le mythique Jardin d’éden : toutes les ressources
sont présentes en abondance aux alentours de telle
mort qui guident les contours des religions anciennes.
façon que les chasseurs-cueillieurs n’ont qu’à se servir.
A u n a t o u f i e n ( 1 2 0 0 0 - 1 0 5 0 0 ) , l ’ a r t
C’est dans ce contexte moins stressant que
reste encore celui, zoomorphe et bienveillant, du
nos ancêtres se sont vraisemblablement rendu compte
paléolithique. Mais on note déjà la présence de
qu’en formant des groupes et rassemblant leurs efforts
sépultures à l’intérieur des villages, dont les maisons
ils pouvaient accomplir bien plus ensemble que seuls.
sont circulaires.
C’est ce souci de la vie et cette inquiétude de la
C’est là le facteur primordial qui sera nécessaire à l’architecture. émergent de nouveaux moyens
d’interagir et de s’unir.
néolithique pré-céramique (9 800 - 6940), durant
Les prémices de l’agriculture apparaissent au
lequ el se p rat iqu e égalem ent l’art isanat et des
Cependant cette nouvelle concentration
échanges sur de longues distances.
démographique, lorsqu’arrive ensuite le pic froid du
En ce temps advient la révolution du symbole. Les
Dryas récent (entre -13 000 et -12 000), poussera
figures animales naïves disparaissent presque pour
peu à peu les sociétés à produire de la nourriture
laisser place à des représentations d’animaux féroces et
de manière contrôlée : c’est ce que l’on appellera
venimeux. Demeure cependant un grand intérêt pour
l’agriculture. Plus le nombre d’individus croît et plus
l’image de la chèvre. C’est en ce temps-là également
ce besoin se fera ressentir.
que prend forme la figure masculine du taureau, alors qu’auparavant seules les venus étaient mises en avant.
Dès lors ces sociétés qui deviennent par la
même plus complexes et nécessitent des religions
sol des habitations devient une pratique répandue. Le
afin de faire respecter les règles assurant l’ordre et la
crâne est quant à lui un objet de culte, fréquemment
cohésion du groupe. Ces dernières ne peuvent être
prélevé et séparé du reste du corps. Ce dernier est
supportées par n’importe quel individu, qui pourrait
exposé aux vautours de façon rituelle afin de procéder
être renversé. Dans le but de garder une autorité
à l’excarnation et de ne conserver que les os du défunt.
unanime, les règles sociales apparaissent comme la
C’est l’inhumation céleste.
volonté des divinités, intransigeantes, omniscientes,
transmise par les prophètes qui reçoivent leur loi, une
constructions deviennent rectangulaires ; tandis que
manière de faire respecter la morale. Les premières
sont produits les premiers essais de poterie. S’observe
histoires sacrées jamais écrites des religions actuelles
encore une permanence et une évolution du culte des
ont toutes une élaboration antérieure de tradition
hommes sans tête : les crânes sont remodelés avec de
orale. Quelque chose de rituel se produit bien avant
la «peau» en argile, et des «yeux» en coquillages. On
elles.
trouve aussi des masques.
Avant l’écriture, la présence des entités sacrées
se manifestait uniquement dans l’architecture des
7 000 av. J.C. Ce nouveau mode de vie se répandra
temples et la sculpture qui y demeurait, immobile, les
en Europe par deux voies : la terre ferme vers les
reliefs vibrant à la lueur des flammes. Bien plus qu’un
Carpates et le long du Danube ; et la mer, le long
lieu pour s’abriter, les premiers temples sont le témoin
des côtes Méditerranéennes. Les paysages traversés,
du besoin d’un lieu pour se retrouver, pour partager
les matériaux qui s’y trouvent et les populations
des rites.
autochtones rencontrées y influenceront les migrants
Par la suite, l’inhumation des défunts sous le
Puis, avec l’expansion de la sédentarité au, les
Le néolithique céramique n’apparaît que vers
en les faisant évoluer vers des cultures à la fois Au fil du temps un panthéon symbolique prend
similaires et d’une grande variété.
forme jusqu’à faire craindre la mort.
31
le concept de «saint des saints»
Le «saint des saints» désigne le coeur de
l’espace sacré. C’est un lieu tout à la fois essentiel et secret, niché dans les profondeurs inviolables d’un sanctuaire. 23
Une notion très ancienne
Déjà au paléolithique, les espaces des grottes, bien que construits par une conjoncture naturelle et non par la main même d’Homo Sapiens, acquièrent aux yeux humains des singularités qui les distinguent les uns par rapport aux autres. S’y lit, transmis par la manière d’occuper les parois, un langage qui qualifie et différencie les lieux au travers d’un récit.
Une immense voûte va être laissée à elle-
même, marquée de petits repères, tandis qu’un espace plus resserré et intime abritera de nombreuses figurations. Enfin, il y a parfois ce lieu, plus difficile à atteindre, vers lequel il faut se faufiler. Là, dans les ténèbres les plus sombres des entrailles de la Terre, on découvre alors, sur la roche, une scène plus énigmatique que les autres, questionnant le rapport
Plan de la Grotte Chauvet
des différentes créatures du monde.
23. D’après définition de Sensagent, Le Parisien.
24 . Ministère de la Culture et de la Communication, (Chauvet)
32
C’est le cas à Chauvet, où, se hissant par une
à Lascaux, aussi, se cache un lieu mystérieux
maigre galerie afin de déboucher sur la salle du fond,
auquel il n’est pas aisé d’accéder. S’éloignant de la
on découvre ces parois formant comme deux curieux
première salle au plafond majestueusement décoré, et
piliers . Là, s’étend la grande fresque illustrant une
se faufilant au travers d’une niche sur le côté, jusqu’au
mythique dualité entre les animaux herbivores et leurs
fond d’un puits se dévoile l’une des uniques figures
prédateurs .
humaines retrouvées à cette époque, prenant part
24
25
dans quelque rituel mystérieux incluant un oiseau et un aurochs mort. La représentation reste modeste, tant dans ses dimensions réduites que son minimalisme pictural monochrome. 26
Plus tard, au Gôbekli Tepe, que nous avons
énoncé précédemment comme ayant été le lieu prénéolithique des premiers temples jamais bâtis par l’humanité, l’espace central accueillant les piliers décorés est protégé par une double enceinte, dont celle, intérieure, ne comporte pas d’entrée aménagée.
Plan de la Grotte de Lascaux
Plan des temples du Göbekli Tepe (extrait)
25 . Jean CLOTTES et. al., 2001.
26. Ministère de la Culture et de la Communication, (Lascaux)
33
L’ i m p o r t a n c e d u p a r c o u r s
L’espace du saint des saints héberge une
Le s i n d i c e s c o n c e r n a n t l ’e s p a c e s a c ré d e s
temples maltais. puissance symbolique supérieure à celui de l’espace
commun où se déroulent les activités quotidiennes.
temples néolithiques maltais reforme l’impression
L’épaisseur imposante des murs calcaires des
Le rejoindre se mérite alors par l’engagement
d’une grotte de surface. L’ombre, l’inertie thermique
du corps dans un parcours mentalement dédié à le
et la dimension inférieure des espaces internes par
rejoindre. En ce sens, les espaces traversés ne doivent
rapport au volume externe en font un lieu que l’on
mener qu’à lui, son accès ne peut être ouvert. C’est là
perçoit comme essentiellement hermétique.
le rôle du sanctuaire : il y mène et l’isole, le protège en même temps. Il dessine les contours d’étapes spatiales
De plus, mis à part lors de réaménagements
que l’être humain doit successivement traverser,
tardifs au cours desquels certaines parties de façade
afin de se rendre en un lieu de «fin» qu’il ne pourra
se voient démantelées (Tarxien, Hagar Qim), chaque
matériellement plus dépasser, et qui laisse poursuivre
temple ne comporte qu’une seule entrée, flanquée
sa seule pensée vers un au-delà sacré, conceptuel,
au centre d’une façade concave qui offre à la fois un
voire même intérieur.
premier espace extérieur à géométrie «interne», de sorte à marquer ce passage à la manière d’un entonnoir
Atteindre ce lieu recueillant en soi le sacré,
: là, se suit le parcours qui quitte le monde du dehors.
ce qui est au-delà du visible, requiert de dépasser
Derrière ce passage d’entrée se déroule un espace
l’évidence et de quitter le paysage réel. En géologie
séquentiel en profondeur qui comporte a minima un
comme en architecture, la masse minérale permet
portail initial, une étape, un second portail et une fin.
d’opérer symboliquement à cette extraction du monde commun. Pénétrer dans ce qui paraît impénétrable
Il est néanmoins délicat d’identifier exactement
représente plus que de franchir un feuillage. De plus,
le saint des saints dans ce langage spatial dont le
se trouver en plein jour dans la nuit, imitée par une
sens a disparu. Doit-on voir dans le plan tréflé de
dense pénombre, revêt un potentiel mysticisme dans
ces temples un saint des saints multiple qui figure
le récit qui occupe l’espace.
différentes possibilités à partir d’une étape centrale ? Les espaces les plus éloignés de la sortie étaient-ils plus simplement dédiés aux stocks de nourriture ?
L’ u n i c i t é d u m o m e n t a r c h i t e c t u ra l
Le saint des saints n’est pas grandiose dans
Peut-être qu’ici, plutôt qu’un saint de saints
tel que nous le considérons dans nos schémas actuels, il faut surtout voir un a parte, subdivisé en plusieurs
ses dimensions, car il est destiné à supporter une
moments.
grandeur qui dépasse le matériel. Le sens symbolique placé par le regard humain dans l’espace grandit cet
espace dans notre psyché. C’est le caractère unique
paramètres ayant agi sur la genèse des temples
de ce lieu entre les lieux qui en forment le coffret, qui
nous permettra peut-être d’éclaircir certaines de nos
en fait la grandeur. Et puisqu’il est unique, puisqu’il est
questions.
le coeur du sanctuaire, il porte souvent un marqueur spécifique qui le distingue des autres espaces, que ce soit un objet ou un dessin gravé.
34
Une analyse plus détaillée des autres
SKORBA
TA HAGRAT
GGANTIJA
TARXIEN
MNAJDRA
HAGAR QIM
Plans des temples : Par Hamelin de Guettelet, travail personnel d’après Trump, domaine public.
35
l e t e m p s d u s o l e i l , lu m i è r e d e v i e
La perception du soleil aux temps
La dernière phase des temples Maltais dite
archaïques.
«Tarxien» est contemporaine aux premiers égyptiens,
Nous ne pouvons attester de la vision du
chez qui l’attention au soleil dans les géométries architecturales nous est assez bien connue28 ; mais aussi
monde de civilisations anciennes, aujourd’hui enfouie
aux tombeaux à tumulus de Grande-Bretagne, dont les
dans la poussière. Néanmoins, l’archéoastronomie
27
couloirs funéraires sont nettement orientés sur les axes
p a r v i e nt à re m o nte r, t h é o r i q u e m e nt , j u s q u ’a u x
du solstice d’hiver 29, et Stonehenge 30, qui fut maintes
éléments qui l’ont côtoyé et ont pu l’inspirer.
fois analysé comme un calendrier astronomique. Ces
Partons de quelques présupposés
deux aires culturelles diamétralement éloignées de
communément attestés. Le soleil, bien plus ancien
Malte présentent donc le même intérêt pour le cycle
que les premiers Hommes, parcourait déjà le ciel au
solaire. Il n’est par conséquent pas improbable que les
néolithique, ouvrant et fermant le jour, distribuant
Maltais l’aient également intégré dans leur conception
une lumière et une chaleur changeante au gré du
du monde, sans que nous ne puissions toutefois
mouvement des nuages. Sa course dans la voûte
reconstituer leur point de vue culturel sur la question.
céleste suivait un cycle saisonnier en raison de l’axe
de rotation de la Terre.
dans les saisons de manière à optimiser les récoltes ?
On ne peut être certains, de primes abords,
Ou arborait-il par ailleurs une symbologie particulière
que le peuple maltais avait identifié cette translation
à leurs yeux, incluant celui-ci dans des rites plus
des levers et couchers rythmée par les solstices.
importants ?
était-ce simplement une manière de se repérer
Certains axes dessinés par les ouvertures des temples
pourraient cependant le suggérer.
Une autre question demeure : la fascination
commune que nous avons aujourd’hui pour les levers et couchers de soleil, leurs couleurs chaudes qui ne durent qu’un moment, est-elle propre à notre culture ou à notre humanité ? En réalité, si la culture des néolithiques maltais était éloignée de la nôtre, leur cerveau n’était pas différemment formé. à l’échelle biologique, 5000 ans paraissent court. Y a-t-il des cultures radicalement différentes de celle Occidentale, au sein de laquelle les individus ne contemplent pas le soleil ?
27. Ken TAYLOR, 2012.
Gavrinis, en Bretagne, «où la tombe semble avoir été orientée vers le soleil peu après son lever au solstice d’hiver.” (d’après Ken TAYLOR, 2012).
28. Ana Bela DE ARAUJO, 2015-2016. 29. faisant par exemple référence à Maeshowe dans les Orcades (Peter Eeckhout, 2017), Newgrande en Irlande (Roger Joussaume, 1986) ou le Cairn de
30. Simon Bennett, 2013, et Roger Joussaume, 1986.
36
Le s t e m p l e s s o l a i r e s m a l t a i s .
Les fouilles archéologiques menées à Malte
identifient principalement Mnajdra et Hagar Qim comme temples solaires. Ils sont tous deux situés sur la côte Sud de l’archipel, là où le soleil se lève et se couche sur la mer. Hagar Qim présente ce qui fut appelé un «trou de l’oracle» : mince percement dans l’épaisseur de la pierre, imbriqué entre des piliers en façade (voir photos ci-contre) par lequel se faufilent les rayons du soleil levant le jour du solstice d’été. Ils viendraient alors frapper l’une des dalles à l’intérieur de l’abside 31. Pour Mnajdra, le cas de figure est différent puisque c’est toute la géométrie du plan qui semble se structurer sur les axes des solstices d’hiver, d’été, et de l’équinoxe32. D ’a p rè s Ma l o n e , d a n s d e n o m b re u x c a s l’entrée des temples indique une direction bien précise (généralement vers le sud-est, le sud, ou le sudouest). Et cette orientation polarisée ferait clairement référence tant au monde céleste qu’à la topographie33. En effet, ces axes semblent toujours s’orienter vers le côté de l’hémisphère où le soleil suit sa course. Da n s l e b u t d e c l a r i f i e r ce s i nte ra c t i o n s architecture-soleil mais aussi d’ouvrir le champ, plus général, de la lumière naturelle jouant le jeu du clairobscur, voici, dans le tableau pages suivantes, une analyse systématique de tous les plans des temples par rapport à la course du soleil 34. On y identifie des tendances, mais il est délicat d’interpréter le choix d’orientation de ces édifices sur ce seul paramètre. Certains résultats contradictoires ou manquant de netteté nécessiteront de complexifier notre compréhension de cette alchimie du chaos.
32. D’après Paul Micaleff, 1992.
31. Heritage Malta, «One of the prehistoric chambers at Ħaġar Qim holds an elliptical hole which is hewn out in alignment with the Summer Solstice sunrise. At sunrise, on the first day of summer, the sun’s rays pass through this hole and illuminate a stone slab inside the chamber.»
33. Caroline Malone, 2008, citée par Lomsdalen, 2013.
Tore
34. Outils de calcul du diagramme solaire : https:// www.sunearthtools.com/
37
Ta hagrat
Skorba
GGANTIJA
éventuel alignement dans l’interstice de deux structures primaires
solstice d’été, levant
solstice d’été, couchant
équinoxe, levant
équinoxe, couchant
solstice d’hiver, levant
axe légèrement dévié par rapport à l’axe théorique : masque solaires formés par les reliefs ?
axe légèrement dévié par rapport à l’axe théorique : masque solaires formés par les reliefs ? éventuel alignement entre une pierre isolée et l’entreportiques
solstice d’hiver, couchant
orientation générale
L’unique entrée de lumière du temple (à moins qu’il ait été dépourvu de toit par endroits) se tourne vers le sud-est et le soleil du matin.
L’entrée de Skorba C se tourne vers le sud-est et le soleil du matin, et celle de Skorba D s’ouvre vers le sud et le soleil de midi.
38
Les entrées des deux temples de Ggantija semblent parallèlement (même si elles ne le sont pas) tournées vers le sud-est et soleil matinal.
TARXIEN
MNAJDRA
HAGAR QIM
triple orientation solaire attestée par la communauté scientifique
«trou de l’oracle» attesté par la communauté scientifique
éventuel alignement entre un autel et une fente triple orientation solaire attestée par la communauté scientifique
tendance à orienter les axes d’entrée vers le Sud-Est, (pas toujours précisement sur le lever du solstice)
triple orientation solaire attestée par la communauté scientifique axe légèrement dévié par rapport à l’axe théorique : masque solaires formés par les reliefs ?
Les entrées des temples ouvrant directement sur l’extérieur sont orientées vers le sud-sud-ouest et le soleil du début d’après-midi. Le plus primitif et le plus petit est tourné un peu plus à l’est.
Aucun des axes d’entrée des trois temples de Mnajdra ne suit la même orientation : le plus petit s’ouvre sur le sud-sud-ouest ; le plus grand, vers le sud-est et le soleil du matin, et le moyen, nettement vers l’est et le soleil levant en toute saison.
39
Hagar Qim et ses multiples agrandissements, sans parler de son «trou de l’oracle» s’ouvre dans toutes les directions.
Jeux de lumière
d’entrée, et l’autre figurant une cour vraisemblablement ouverte aux éléments. Doit-on voir dans cette dernière une maquette
Quelle partie des monuments était-elle
tronquée faisant figurer l’intérieur de la construction ou
couverte ?
bien une représentation réaliste ? Ces considérations nous amènent à la question suivante : l’ensemble des
Comme nous l’avons précédemment évoqué
temples était-il couvert ou est-ce que, à la manière
dans l’état de l’art, la couverture des temples reste
des sanctuaires égyptiens 28, ils comportaient à la fois
incertaine. Des maquettes retrouvées à Ta Hagrat et
cour et espace clos ? Cela revient à se demander si le
Hagar Qim suggèrent en fait deux pistes différentes
parcours de l’extérieur jusqu’au coeur des temples était
: l’une présentant une abside couverte d’éléments
progressif ou s’il marquait une dualité plus forte entre
linéaires placés perpendiculairement au porche
lumière et pénombre.
Comment reconnaître les espaces clos des
espaces ouverts ? D’une part la présence de foyers dans certains espaces comme à Ggantija nous incite à supposer l’absence de toiture au moins à cet endroit afin d’évacuer la fumée5. Mais l’on pourrait aussi contredire cette affirmation aujourd’hui évidente à nos yeux par une éventuelle volonté d’inonder l’espace de fumée. D’autre part, le resserrement des assises hautes des temples les plus tardifs suggère l’apparition d’une notion d’encorbellement des parois 1 . On ne sait si les constructeurs maltais seraient parvenus à encorbeller totalement le toit par cette méthode car la communauté scientifique doute fortement de l’avancement de la technique structurelle des civilisations anciennes jusqu’à preuve du contraire 5.
Par ailleurs, la maquette en calcaire retrouvée à
Ta Hagrat fait plutôt figure, comme l’envisage Guilaine, d’un début d’encorbellement terminé par une toiture plane en bois ou en argile.
Là, intervient le conflit entre archéologues
et architectes 5 , car ces derniers défendent plutôt l’hypothèse de l’apposition de dalles de pierre pour fermer le volume, plus cohérent d’un point
images ci-dessus : Maquettes retrouvées à Ta Hagrat et Hagar Qim, et fond de coupe de Ta Hagrat (en haut à droite page
suivante) d’après Isabelle Vella Gregory, 2016. 28. Ana Bela DE ARAUJO, 2015-2016.
40
de vue formel mais plus difficile à expliquer, voire invraisemblable. Quoi qu’il en soit, il semblerait que les Maltais aient volontairement arrondi leur architecture en plan comme en élévation le plus possible.
J u s q u ’o ù l a l u m i è r e p o u v a i t - e l l e p é n é t r e r d a n s l e s c o u l o i r s e t p a r l e s « t r o u s d ’o ra c l e » ?
C’est lorsque le soleil est bas sur l’horizon que
sa lumière est susceptible de pénétrer jusqu’au fond des couloirs des temples. C’est-à-dire au levant, au couchant, et durant les premières et dernières heures du solstice d’hiver. L’hypothèse est ici de considérer notre astre non plus comme un objet de vénération mais du point de vue de son potentiel scénographique, de sa manière à jouer avec les volumes.
étudions tout d’abord l’hypothèse de
sanctuaires intégralement couverts. En analysant le cas de Ta Hagrat, on s’aperçoit que ses absides n’auraient
Skorba C, Ggantija, Mnajdra B et Hagar Qim
probablement jamais été atteintes directement par les
C sont dans un cas de figure très similaire. Même les
rayons du soleil. Ceux-ci, au maximum, n’achèveraient
temples différemment orientés seraient sujets à ce
leur course que dans le couloir, la cour centrale et au
phénomène d’ambiance lumineuse. En effet, pour ceux
pied des angles marquant l’entrée des absides. En effet,
qui se tournent plus vers le Sud (Skorba D, Tarxien,
le rayon le plus bas encore susceptible d’atteindre la
Mnajdra A, Hagar Qim E), les rayons, au minimum à 30°
salle du fond bute contre un pilier.
par rapport à l’horizontale, ne seraient pas parvenus à dépasser le couloir d’entrée (ni à entrer bien loin en cas
Etait-ce déjà le cas au néolithique ou la Terre
d’absence de couloir). Enfin, le temple Sud de Mnajdra,
tournait-elle sur un axe légèrement dévié par rapport
parfaitement orienté à l’est, aurait reçu le soleil levant
à l’axe actuel 35 , qui ait permis au soleil d’atteindre
dans sa première cour en 4 périodes de l’année : aux
le fond de l’abside ? Ceci justifierait également le
solstices et équinoxes.
manque de justesse dans les alignements solaires vus précédemment. Néanmoins, même dans le cas échéant,
Dans cette première hypothèse, le couloir
il reste que les absides demeureraient plongées dans
d’entrée jouerait le rôle de portail et de filtre ne
la pénombre la majeure partie de l’année, à l’exception
permettant aux rayons du soleil d’habiter l’espace
peut-être des aubes hivernales.
qu’en des moments bien précis du jour et de l’année,
5. Bonanno, 2001
d’années, l’obliquité a varié entre 21,9° et 24,5°. Elle vaut actuellement [...] 23,45°.» C’est cette obliquité de l’axe de rotation de la Terre qui définit la course du soleil par rapport à elle. Celle-ci aurait donc pu être légèrement différente.
1. Guilaine, 2003 35. F. Trouillet, 2017, «Lors du dernier million
41
rendant ainsi exceptionnel le percement de la dense pénombre des temples. Dans la seconde hypothèse, où seules les absides et les couloirs seraient couverts et non les cours centrales, chaque abside l’entourant serait illuminée à un moment de la journée différent. Ce cas de figure implique également une perception plus urbaine des temples, puisqu’un extérieur central lumineux desservirait une série d’espaces clos et
GGANTIJA
sombres. Le temple perdrait ainsi en unicité et ne serait que l’adjonction d’une série d’absides autour d’un même parcours. Cet effet serait renforcé si l’on considérait par ailleurs les passages internes séquençant cet axe central comme dénués de linteaux.
On dénote toutefois un marquage régulier
de la distinction entre cour et abside par des piliers d’angle positionnés en équerre. Mais cela pourrait tant faire pencher la balance dans le sens de la seconde
TARXIEN
hypothèse, avec une différenciation forte des espaces internes, que la première, avec comme but structurel la séparation des différentes toitures et le soutient de leurs jonctions.
SKORBA
MNAJDRA
TA HAGRAT
HAGAR QIM
42
à l’intersection entre ces deux hypothèses
selon le caractère (ouvert et lumineux ou clos et
demeure un ensemble de possibilités mixtes et
sombre) de ce paramètre qui influe potentiellement sur
d’exceptions localisées qui auront participé, peut-être,
l’homogénéité, l’ambiance et la richesse du parcours.
à l’unicité de chaque sanctuaire. Il nous est en tout cas impossible de reconstituer
exactement, et avec certitude, la part couverte de
des ruines des temples, inondées de soleil à part
chaque temple. Cependant nous admettrons que
quelques rares passages couverts, pourrait avoir été
la perception de l’espace aurait été très différente
très différente par le passé.
43
La perception que nous avons aujourd’hui
II.
h a b i t e r l e pays a g e
l’ e x p é r i e n c e d u paysag e pa r co u r u, u n e s t i m ul at i o n c o g n i t i v e e t u n m o t e u r d ’ é v o lu t i o n cult u r e ll e
On pourrait considérer les discours de Maurice
éric Dardel sou ligne à ce p rop os qu e la
Merleau Ponty et éric Dardel, concernant le rapport
spatialisation géographique (plutôt évoquée comme
entre perception du monde extérieur et pensée,
le milieu vécu que la simple description physique) ne
comme trop récent pour être pris en compte afin de
se produit pas seulement en vertu d’un comportement
décrypter des époques si lointaines dans le temps que
actif, elle façonne l’être qui s’y trouve : « Il est des cas
le néolithique.
où l’homme est agi par l’environnement géographique :
Cependant, si ces écrits sont relativement
il subit l’influence du climat, du relief, du milieu végétal.
modernes, le cerveau humain n’a pas tant changé
Il est montagnard dans la montagne, nomade dans la
en quelques milliers d’années, puisqu’à l’échelle de
steppe, terrien ou marin. La nature géographique le
l’évolution biologique, ce laps de temps est dérisoire.
rejette sur lui-même, le façonne dans ses habitudes,
Ce qui signifie que, même si la formulation et le
ses idées, parfois dans ses aspects somatiques.».
contexte de ces traits philosophiques n’ont de sens
Elle forge jusqu’à la structure métaphorique de ses
qu’aujourd’hui, ils entourent un fond de vérité bien
schémas mentaux et culturels 38.
plus archaïque : l’être sur Terre de l’humanité.
Comprenons bien que nous évoquerons ici le
La communauté scientifique se penchant
«paysage» au sens d’environnement, de la perception
sur les débuts de l’humanité s’accorde à dire que ce
d’une morphologie géographique où se meut le corps,
sont les changements du climat, les variations du
et non comme un tableau romantique, un peu à la manière dont McHarg aborde la nature 36.
paysage parcouru et vécu, ainsi que les possibilités qu’il offre, qui ont influencé plus que toute autre chose le développement cognitif de nos lointains ancêtres australopithèques, ainsi que des générations évolutives
L’ê t r e h u m a i n e t s o n e n v i r o n n e m e n t :
qui les ont suivis.
L’être humain fait partie d’un système naturel.
Le changement de l’environnement d’une
C’est en tant qu’élément d’un tout complexe qu’il s’est
population est également moteur de migration vers
développé, fortement influencé par les variations des
d’autres aires du globe : de longs voyages vers un
facteurs de son écosystème .
horizon inconnu, le long duquel elle rencontre divers
10. Fabbio Negrino, 2019.
37. Chiara Piccardo, 2019. L’intervention de l’Homme dans l’écosystème est importante : chasse, extraction de matière, souvent poussées jusqu’au déséquilibre et à l’épuisement des ressources, comme ce fût le cas pour l’île de Pâques.
37
36. IAN M c H arg , 1971, « Le rapport entre le projet architectural et la nature ne doit pas être envisagé comme comme un embellissement scénographique mais comme une clé de compréhension. La nature est la source de la vie, le professeur, le sacré, corollaire de l’inconnu lui-même, source du sens. La ville est une forme dérivée de l’évolution.»
38. éric Dardel, 1952.
46
groupes d’individus qui l’incitent parfois à altérer sa culture.
Ces voyages vers un ailleurs, tantôt exploration
permise par l’ouverture d’un passage, tantôt exode forcé par l’impossibilité de vivre là où l’on était, se font toujours, à cette époque à l’échelle du corps humain minuscule face à un paysage sans fin, immense ou riche de détails. Et ce vecteur de perception qu’est le corps parcourant le monde se heurte à des frontières, suit des chemins 30 , se déplaçant rarement en ligne droite. En cela, l’Homme est à l’écoute du paysage géographique. Et parfois il l’interprète comme une réponse à sa perdition. Dardel évoque là le lointain comme solution à une crise humaine : la route parfois impose à l’homme sa direction parce qu’il est proprement «sans direction». L’exode, où l’homme ne voit «dans la route que la distance, souhaitée par son désarroi, l’instrument de son salut.» est une géographie de la circulation hautement affective. L’exode a extériorisé l’émoi intérieur de l’homme, «le mouvement intense de
son moi vers un «ailleurs» 38.
Par ailleurs, s’entrevoit, jusque dans les
peintures rupestres et les premiers objets d’art de Au cours de ces voyages dans le temps et
l’humanité, l’intérêt de cette dernière pour tout
dans l’espace, l’humanité se voit stimulée par des
ce qui l’entoure : le ventre obscur de la montagne,
perceptions toujours nouvelles : chaleur, froid, formes,
par opposition à la lumière du soleil, les étoiles, les
couleurs, large ouverture ou effeuillement de l’espace,
animaux qui courent, ceux qui chassent, le bois qui,
frontières naturelles des montagnes et rivières.
brûlant, produit de la lumière, et aussi pour leur propre
corps, la vie et la mort. 10
Ce vocabulaire varié déposé là par la nature a
très certainement participé à construire les schémas
Se joint ici à la réalité du monde subi, l’action
mentaux de la pensée humaine. Après tout, «Rien ne
de l’être humain qui, dans le même-temps, est agi par
se perd, rien ne se crée, tout se transforme.» . Antony
l’environnement dans lequel il existe, et lui-même
Gaudi disait d’ailleurs très justement : «Rien n’est de
facteur de métamorphose 36 au sein de ce système
l’art s’il ne provient pas de la nature».
chaotique.
39. Rémi Franckowiak, 2017. C’est la maxime «Rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent, puis se séparent de nouveau» du philosophe grec Anaxagore qui a inspiré les recherches de Lavoisier. Antoine Lavoisier, 1789, p. 101, « On voit que, pour arriver à la solution de ces deux questions, il fallait d’abord bien connaître l’analyse et la nature du corps susceptible de fermenter, et les produits de la
fermentation ; car rien ne se crée, ni dans les opérations de l’art, ni dans celles de la nature, et l’on peut poser en principe que, dans toute opération, il y a une égale quantité de matière avant et après l’opération ; que la qualité et la quantité des principes est la même, et qu’il n’y a que des changements, des modifications. ».
39
Photo ci-dessus : paysage Sicilien, avec l’Etna en arrièreplan.
47
Il n’est par conséquent pas sans intérêt de
l’environnement. C’est une association du phénomène
considérer les caractéristiques d’un paysage comme
perceptif et du comportement, qui a une influence sur
paramètre potentiellement structurant de la manière
la perception effective. Dans le rapport corps-mental,
dont il fut habité.
le mental prédomine le corps 41.
D’après Grima et Lomsdalen, la cosmologie
(définie comme la totalité d’un système de croyances)
la pensée des architectes ayant vécu il y a plusieurs
maltaise reposait sur trois composantes principales :
m i l l é n a i re s . Pa r m i l e s t ro i s co m p o s a nt e s d e l a
la mer, la terre et le ciel 40.
phénoménologie de la perception, l’environnement,
C’est ce qui fait qu’il est difficile d’interpréter
l’interaction et le songe, nous ne pouvons lire que dans l’environnement, considérant qu’il a subi des La phénoménologie de la perception :
changements, et l’interaction, ici l’architecture et les artefacts. Le seul indice nous permettant d’hypothétiser
D’après Merleau-Ponty, l’architecture se
ce que nous ignorons totalement est le fait que
fait avant tout au travers des sens. L’analyse ne
l’évolution de la pensée humaine nous ait menés à
vient qu’après. «La perception est le terrain sur
aujourd’hui. Certains schémas anthropologiques sont
lequel naissent les significations réelles, un terrain
envisageables et la structure du cerveau de notre
antécédant au savoir scientifique comme à la réflexion
espèce n’a pas tant changé. Si un schéma culturel
philosophique.» Mais il en va ainsi, en réalité, pour
est semblable tant en Europe qu’en Asie par exemple
toute chose entourant l’être humain. La perception est
(d’avant ladite mondialisation), il est probable que
un phénomène primaire de type sinesthétique : c’est-
sa racine ancienne, qui serait partie d’Anatolie, ait
à-dire qu’elle se fait par l’interrelation de tous les sens
également fait partie du mode de pensée maltais.
(visuel, auditif, tactile...) . 41
La condition de cette perception sensorielle, et
L’être humain n’a cessé de penser au-delà
cela est vrai dans tout le règne animal, est la fonction
de ce qu’il voyait, dans toutes les cultures de cette
médiatrice du corps. Ce dernier ne doit pas être
planète. C’est cette créativité qui l’a fait évoluer
considéré comme «une somme d’organes juxtaposés,
d’australopithèque à citoyen de grandes civilisations.
mais un système synergique (...), en ce qu’il est l’image coagulée de l’existence.» 33.
Quelque part entre ce qui est et le regard posé
Les divers appareils de perception connectés
dessus par le songe, la perception esthétique ouvre
sous la peau forment un même soi, qui évolue dans ce
une nouvelle spatialité. Ce second espace est celui que
qui est autre, le perçoit, interagit avec lui. Le soi n’a pas
notre mode propre de concevoir le monde compose en
tant conscience d’abriter un système biologique que
chaque moment ; et qui imprègne, entoure, l’espace
d’habiter au sein d’un système biologique qui dépasse
naturel du monde objectif (celui dans lequel tous les
sa seule existence.
objets apparaissent dans leur existence et dans leur importance) 33. Il y a là une spatialisation qui déborde
«Mon corps est l’instrument général de
l’espace pour le corps, à ce que Minkowski appelle
ma compréhension (à l’égard du monde)». Le corps
l’«espace primitif» où se meuvent nos pensées, nos
est un corps phénoménologique qui interagit avec
désirs, notre volonté38.
40. Tore Lomsdalen, 2013, cite à ce sujet à plusieurs reprises les travaux de Reuben Grima, 2001 et 2005.
Giallocosta et Adriano Magliocco, 2014,
4 1 . S e l o n MER L EA U - P ONTY, d ’a p r è s G i o r g i o
38. éric Dardel, L’Homme et la Terre, 1952
48
49
l a v o i e d e s m e r s : u n e m i g r at i o n néolithique vers de nouvelles terres
La diffusion de la révolution Néolithique depuis
artisans du néolithique faisaient tout simplement avec
l’Anatolie jusqu’en Europe atteint entre autres, par la
ce qu’ils trouvaient de plaisant sur leur chemin.
voie maritime, des îles dont l’Homme n’avait encore
Ils rejoignent l’île de Chypre dès le néolithique
jamais foulé le sol.
pré-céramique, puis naviguent en Grèce, avant de
rejoindre le sud de l’Italie avec, enfin, au sud de la
Le s co m m u n a u t é s d i t e s c a rd i a l e s q u i
entreprennent cette exploration de l’Adriatique et
Sicile, l’archipel de Malte, jusqu’alors désert.
de la Méditerranée se déplacent le long des côtes sur des barques 42. Leur tradition céramique est celle
On peut envisager dans ces cultures, un
de la «impressa» sur lesquelles la décoration se fait à
rapport au monde fortement lié à la dualité terre-mer,
l’aide d’empreintes de coquillages 10. Même un détail
en plus des autres dualités communément attribuées
de la vie quotidienne comme celui-ci, parmi d’autres
à la préhistoire et la protohistoire telles que la nuit et
considérations plus larges, tend à montrer que les
le jour, la vie et la mort, le masculin et le féminin.
5 600 BC
5 800 BC
50
6 000 BC
Cultures et modèles architecturaux
Village de Choirokoitia, île de Chypre (VIIe - IVe mill. av. J-C.) : maisons à structure circulaire aux fondations de pierres ammassées les unes sur les autres, etouré par un haut mur d’enceinte qui le ferme.
Sépultures de la culture de Stentinello, Sicile ( m o i t i é V I e - V e ? m i l l . a v. J .- C . ) :
Fosses ovales taillées dans la roche, parfois
pavées par d’énormes dalles de pierre, contenant un défunt en position foetale. 43
42. João Zilhão, 2001, cité par Tore Lomsdalen, 2013.
7 000 BC
10. Fabbio Negrino, 2019.
8 500 BC
43. ArcheoSicilia & Bernabo Brea L., 1996.
51
Nécropole Hypogéïque de
La tomba del capo
San Andrea Piru,
S a r d e g n a , c u l t u r e d ’ O z i e r i ( 3 5 0 0 - 2 9 0 0 B C ) 44:
Cette culture est contemporaine à la civilisation
maltaise. Ses tombeaux consistent en une succession d’espaces ramifiés à partir d’une ou deux chambres principales, ce qui fait écho à la logique distributive des pièces à Malte. Au regard de la géométrie en coupe et de l’ornementation intérieure, ces sépultures semblent être une reproduction d’une habitation en bois. Cette particularité n’est pas sans rappeler les hypogées maltais, où la sculpture troglodytique imite une architecture de surface là où la vraie structure est
La tomba a capanna
un percement troglodityque dans la masse.
To m b a O r s i , C a v a L a z z a r o , & d i N o t o , S i c i l e f a c i è s C a s t e l l u c c i a n a ( 2 3 0 0 - 1 7 0 0 B C ) 45 : D e u x s i è c l e s a p rè s l a d i s p a r i t i o n d e l a civilisation maltaise, dans le sud de la Sicile, les tombes prennent la forme d’hypogées découpés à flanc de pente et dont la façade, soulignée par un fort linteau supérieur, est rythmée par de faux piliers (voir ci-contre, à gauche). Le même genre de composition apparaît par exemple aux temples Ggantija de Malte : une longue façade horizontale ponctuée par des mégalithes verticaux qui stabilisent la structure et lui donnent une échelle (voir ci-dessous).
To m b a d e i g i g a n t i S ’e n a e T h o m e s , 1 8 0 0 - 1 6 0 0 BC, Sardaigne, culture Nuraghe (1850-250 B C ) 46 : Quelques siècles après la civilisation maltaise, on retrouve en Sardaigne des façades concaves formées de mégalithes marquant l’entrée des «tombes de géants» (voir ci-contre, à gauche). Toutefois ce rapprochement à l’architecture maltaise est partiel et plutôt ténu.
52
M i n o rq u e Ta l a y o t i q u e ( 2 5 0 0 / 2 1 0 0 a v. J.- C . - I e r m i l l . a v. J .- C . ) 4 7 :
Contemporainement au déclin de la civilisation
maltaise, apparaît aux Baléares la culture talayotique. On y retrouve les piliers en «T» (voir ci-contre, à droite) caractéristiques des tous premiers temples néolithiques d’Anatolie, qui furent vraisemblablement absents dans l’expression architecturale maltaise.
Le vocabulaire talayotique semble avoir, avec
cette dernière, certains points communs, quoique se manifestant dans un style bien différent.
Pour commencer, on reconnaît ici aussi,
l’expérience de l’encorbellement, comme c’est le cas de la naveta (tombe mégalithique locale) d’Es Tudons (voir ci-contre, à droite). Ici, l’usage de cette méthode est net et affirmé. Peut-être les absides des temples maltais présentaient-elles quelque chose de similaire avant de tomber en ruine.
Ensuite, la distribution du plan est semblable. Le
visiteur commence par pénétrer, via un couloir, dans une pièce centrale desservant les autres. Plusieurs «portails» doivent être traversés. Néanmoins, à Malte, les volumes intérieurs, tous arrondis, ne correspondaient pas au volume global de l’édifice. Ici, au contraire, la forme des pièces semble revêtir moins d’importance, tant qu’elles s’insèrent dans une enceinte circulaire. D’autre part, si à Malte les espaces étaient desservis en plusieurs séquences, à Minorque cette distribution reste centralisée. Un autre point commun serait l’agrégation des différents édifices les uns contre les autres.
44. voir Antonio Taramelli, 1919. Dessins de Francesco Giarrizzo. 45. voir Salvatore Piccolo, 2007. 46. Caterina Bitichesu, 1998. 47. voir Joan J. Gomila, 1998. & UNESCO World Heritage Centre.
53
les migrations maritimes vers malte Des îles qui ne se laissent pas toujours voir.
Néanmoins, un autre phénomène physique entre en jeu dans la perception de cet horizon. On
La côte nord-est de Gozo se situe à 80 km au
l’appelle effet «Fata Morgana». Il s’agit d’un type de
large du Sud de la Sicile. De là, les terres de l’archipel
mirage atmosphérique qui détourne la lumière de
maltais pouvaient-elles apparaître au loin ?
manière à faire se refléter un objet terrestre dans le
En règle générale, en raison de la courbure de la surface terrestre, l’étendue visible à l’horizon dépend de la hauteur de notre regard. Depuis les plages de Sicile, il est impossible de voir directement ces petites îles. En s’élevant de quelques centaines de mètres sur les massifs de l’intérieur des terres, on peut uniquement distinguer le haut des collines de Malte. Et, du sommet de l’Etna, on aperçoit enfin l’archipel, bien que minuscule et incomplet. La visibilité de l’archipel était par conséquent plutôt réduite 48,40.
SICILE
MALTE
48. D’après méthodologie expliquée sur http://villemin.gerard.
Par ailleurs on pourrait étendre cette visibilité théorique en considérant l’altitude des reliefs maltais, dont le sommet peut être perçu par exemple même lorsque sa plage ne l’est pas. Le relief de Malte, dépassant de peu les 200 m d’altitude, est perceptible jusqu’à 50 km au-delà de la visibilité horizontale. Ainsi, sur la distance de 100 km qui sépare en ligne droite les hauteurs de Malte des premières hauteurs de Sicile, les visibilités théoriques s’additionnent : 61 + 50 = 111 km, et permettent réciproquement de se «voir». Cette hypothèse est confirmée par un nouvel apport bibliographique :
online.fr/aScience/Physique/OPTIQUE/Horizon.htm. Cette visibilité horizontale en fonction de la hauteur de l’observateur obéit à l’équation a²=2Rh+h², où a est l’étendue de la visibilité horizontale, R le rayon de la planète Terre et h la hauteur des yeux de l’observateur. Depuis la plage, on ne peut voir s’étendre que 4 à 5 km d’étendue. Depuis les massifs au Sud de la Sicile, la visibilité horizontale n’est que de 61km (pour les points de vue hauts de 300 m, relativement proches du littoral) à 100km (pour les points de vue hauts de 800m, plus éloignés et donc à 113 km de Gozo).
54
ciel 49. à l’oeil nu, il apparaît qu’un objet semble plus
en chêne) ou éventuellement des bateaux tissés avec
près et plus haut qu’il ne l’est réellement. Cependant,
du roseau, suivant une tradition ayant existé dans le
c’est un phénomène optique assez rare qui ne s’observe
centre Méditérranéen50.
que depuis la plage par certaines journées limpides d’hiver. De plus, l’image arrive déformée, et rend ainsi
S’il nous paraît presque évident que les marins
une impression surréaliste.
ne soient pas aventurés là par hasard et qu’ils s’y soient
Le s n é o l i t h i q u e s i n s t a l l é s s u r l e s c ô t e s
dirigés en ligne droite depuis la Sicile avant d’aborder
siciliennes du sud auraient donc parfaitement pu
en premier lieu le littoral nord-est de l’archipel,
apercevoir au loin l’archipel de Malte, comme une
nous ne pouvons en être sûrs. Car, après tout, leurs embarcations pouvaient être la proie des courants marins, ceux-là même qui, dans le mythe de l’Odyssée, allégorie des caprices de ce genre de voyages, firent faire à Ulysse mille détours. S e l o n Fa r r, l a n av i g a t i o n e s t u n voya ge éprouvant qui demande de la préparation et une compréhension accrue du milieu marin. Il faut être assez attentif pour savoir se repérer même quand la visibilité est mauvaise, être conscients des risques mortels, tout en gardant la notion du temps et de l’espace. 50
nouvelle terre à explorer qui parfois est visible, et
d’autres non. Cette perception d’un objet se dévoilant
l’eau se dévoile à l’horizon. Il faut alors trouver des
de manière inconstante et imprévisible revêt-elle
points de repère afin de pouvoir s’orienter.
un quelconque mystère symbolique qui ait attisé la
D’après Pimenta, le marin peut observer les
curiosité des marins du centre Méditerranéen ?
étoiles, la course du soleil, les mouvements de l’eau
Le temps de cette aventure sur le large, seule
et du vent afin de se diriger. Mais aussi faire attention à des indices plus occasionnels comme le vol des oiseaux, les formations nuageuses, les objets à la
Un voyage sur la mer.
dérive et les changements dans la coloration de l’eau51.
Il semblerait qu’il se naviguait sur le large dans
Ils se devaient donc d’être particulièrement
des pirogues (la plus ancienne embarcation italienne
at t e nt i f s à l e u r e nv i ro n n e m e nt d a n s l e q u e l i l s
fut retrouvée à la Marmotta dans le Lazio - voir
décryptaient la voie à suivre. Une telle attitude aurait-
représentation page suivante - il s’agit d’une pirogue
elle pu persister une fois arrivés sur l’archipel ?
40. Tore Lomsdalen, 2013, faisant référence à une expertise de Frank Ventura, assure que l’archipel de Malte peut être visible depuis le mont Etna et le plateau de Hyblean dans le sud-est de la Sicile. Il est cependant invraisemblable de le voir depuis le niveau de la mer.
mirages. Lorsqu’une couche d’air froide se trouve au-dessus de l’eau, surmontée par une couche d’air chaude comme c’est le cas par certaines journées limpides d’hiver, dans des conditions de haute pression atmosphérique, ce mirage est dit «supérieur», contrairement aux fausses oasis dans le désert qui sont des mirages d’été dits «inférieurs».
49. En hiver, l’atmosphère est souvent sujette à une inversion thermique. L’air n’est pas toujours aussi homogène qu’on le croit. Et lorsqu’il existe une stratification de couches d’air aux températures contrastée, et donc de densités différentes, une partie de la lumière est déviée de manière à former des
50. Helen R. Farr, 2010, p.183. 51. Fernando Pimenta, 2014.
55
La découverte de l’île Homo Sapiens pose la première fois le pied
Sicilienne de Stentinello, une des premières civilisations
sur le sol Maltais vers 5 400 avant notre ère. Puis, vers
néolithiques de cette aire géographique (d’après Guilaine,
- 4 100 et - 2 500 deux autres vagues de population
2003).
distinctes débarquent en provenance de la Sicile. D’ailleurs, dans les céramiques maltaises, on peut
Nul doute qu’un individu ou qu’un groupe
identifier une affinité de style avec celles de la culture
d’êtres humains abordant pour la première fois un
Cathedral Cave (Ghar ir-Rih) Wied IlMielaħ
azure window & blue hole
TalMixta Cave Santa maria cave & julia cave
Wied IlGħasri
coral lagoon
crystal lagoon
inland sea
4h
fungus rock dwerja bay
anchor bay
QARRABA GOLDEN bay ta’marija cave
56
territoire ira l’explorer afin d’en apprivoiser les contours,
depuis 9000 av.J-C., la côte Méditérranéenne avait
d’y localiser les ressources potentielles.
déjà atteint, à peu de chose près, son niveau actuel. De plus, (d’après Grima, 2008), les caractéristiques
Les magnifiques formations naturelles présentes
topographiques n’auraient pas changé depuis l’arrivée
sur les côtes de Malte et Gozo évoquent déjà en soi
des premiers colons néolithiques, seule la végétation a
une forme architecturale : des arcs se dessinent, des
évolué.
portiques, des murs concaves, une coupole ouverte. Né a n m o i n s i l f a u t g a rd e r à l ’e s p r i t q u e
No u s p o u vo n s d o n c é t u d i e r ce s fo r m e s
l’état géologique d’aujourd’hui n’est pas tout à fait
géographiques comme ayant été également percevables
identique à celui qu’ont connu les premiers colons
par les concepteurs des temples.
néolithiques (l’érosion reste un processus assez lent).
G r i m a ( 2 0 0 5 ) a f f i r m e q u e « l e c o n t e x t e
Depuis, certaines structures se sont élargies, d’autres
spécifique d’un environnement insulaire fait le
se sont probablement éffondrées. Reste que le flux et
l’expérience quotidienne une interaction contante
le reflux de la mer sur ces côtes calcaires a tendance à
avec le sol, la mer, et le ciel». Ce rapport entre le colon
faire émerger certaines formes, et que quelques lieux
et l’environnement qu’il apprivoise comme étant le
remarquables parfois monumentaux se situent non loin
sien forge nécessairement sa manière de concevoir le
de sites templiers. Et pour autant (d’après Zilhão, 2001),
monde.
Parcourant les côtes de l’archipel nous nous
attarderons sur quelques-unes de ses formations géologiques aux formes remarquables, susceptibles de faire écho à l’architecture mégalithique maltaise.
munxar path
3 h 10 de marche
rochers remarquables
1h
40
Ta Kalanka Sea Cave
3
h Għar Ħasan Cave
Għar Ħanex
fifla 57
blue grotto
n
Ras idDawwara
fisherman’s cave
Formations géologiques remarquables s u r l e s c ô t e s d e l’a r c h i p e l MALTE
La côte Sud-Est :
Les deux grottes au sud s’enfoncent dans la masse calcaire
avec une vue sur la mer. à Ghar Hasan, l’épannelage qui ouvre la pierre par strates se resserre petit à petit, formant comme une ouverture dans l’ouverture. Cela pourrait éventuellement rappeler, quoique sous la forme d’épure, l’une des grandes portes des temples de Mnajdra, à quelques kilomètres à l’ouest de là.
La portion de littoral plus à l’est est assez irrégulière,
formant quelques pointes et baies qui découpent les eaux de la mer en espaces plus réduits, cerclés par de grandes courbes de calcaire capables de faire s’arrêter le regard.
Għar Ħasan Cave
58
fisherman’s cave
Les arches naturelles de Munxar Path et Ras
légereté par un lourd plafond. Une telle formation
Il-Fniek viennent percer un passage dans une paroi
aurait-elle rendu possible, dans l’esprit des maltais, le
massive. A Ras il-Fniek plus précisément, ce passage
recouvrement d’un espace par avancées sucessives de
s’ouvre dans une série de strates horizontales très
l’appareil maçonné ?
marquées et allongées.
Souvent, l’innovation humaine s’inspire de
La grotte maritime Ta Kalanka, se faufilant
la nature, observant et tentant de reproduire ses
sous une large et longue bande de pierre rythmée
mécanismes en s’en appropriant l’usage. Tout au long de
par les strates de calcaire, est un espace couvert avec
l’Histoire, les feux sont devenus foyers ; les grottes, des sanctuaires ; le bois flotté, des embarcations ; les hauts arbres, des colonnes52 ; les tas de sable et montagnes, des pyramides ; les torrents, des aqueducs ; le soleil et le vent, une source d’énergie.
Enfin, les rochers remarquables près de la baie
de Saint Paul, comme posés là, venant de nulle part, et sculptés par l’eau sur leurs flancs, pourraient évoquer les autels de pierre monolithiques, l’objet au milieu de l’espace.
52. MICHAEL RAGON, 1991.
munxar path
Ras il-Fniek
Ta Kalanka Sea Cave
Remarquable stones (near St Pauls’ pool)
59
le turquoise de l’eau et l’orangé, le vert et le violet des
La côte Sud-Ouest :
minéraux53. Ce lieu fascinait-il également les habitants
à proximité des temples d’Hagar Qim et
du néolithique ou n’a-t-il que participé à dessiner les
de Mnajdra, on trouve deux lieux géologiquement
contours de leur carte mentale des formes du monde ? Le
remarquables : la côte en éventail de Ghar Hanex ainsi
Blue Grotto est l’entrée d’une série de six autres grottes
que l’arche monumentale du Blue Grotto.
maritimes, dont il nous a malheureusement été impossible
Détail curieux bien que pouvant être anodin, il y a, à Ghar Hanex, autant de pointes terrestres s’élançant
53. Blue Grotto, mesmerising clear waters in the South of Malta, consulté sur http://www.malta.com/
vers les eaux que d’ouvertures aux temples principaux de Hagar Qim. étant donné qu’il s’agit de la côte la plus proche de ce dernier, l’idée d’un écho, dans l’architecture, à cette orientation multidirectionnelle des formes ne serait pas complètement absurde.
Un peu plus loin à l’est, l’arche du Blue Grotto
s’élève à 30 m et domine un fond marin limpide à 40m de profondeur. Par son pilier courbe, elle délimite un espace ombragé entre mer ouverte et falaise, qui reçoit toute la matinée un mélange de lumières colorées entre
île-rocher de fifla, au large de Mnajdra & Hagar Qim
Għar Ħanex
blue grotto
60
de retrouver une représentation interne. Néanmoins, ce
plutôt irrégulière. Rythmée par ses baies et pointes, la
principe d’un espace déjà dessiné mais encore ouvert
côte ouest se fait tantôt prairie descendant en pente
donnant suite à une série d’autres espaces plus isolés
douce vers la plage, tantôt falaise aux contours dentelés.
pourrait-elle avoir plus ou moins consciemment inspiré les constructeurs d’alors ? L’archipel, par sa nature
Le bras de terre de Qarraba, qui divise la baie
calcaire peu à peu dévorée par les vagues, comporte un
en deux, sert de promontoire à un petit plateau rocheux
large répertoire de grottes, desquelles certaines, situées
aux airs d’enceinte fortifiée ou d’esplanade artificielle.
à l’intérieur des terres, auront servi à accueillir les grands
Cette horizontalitée marquée est reconnaissable dans le
hypogées.
paysage, pierre lisse à la forme pure sortant d’un amas
Au large, se dresse l’île de Fifla, telle une muraille
fuyant de sable. Le fait qu’il n’y ait qu’un fin passage
inacessible, un point de mire, un objet sur l’horizon de
pour l’atteindre participe à la scénographie d’un lieu qui
l’infini marin.
ne mène qu’à lui-même. Ces caractéristiques ne sont pas sans rappeler celles qui dessinent l’architecture des temples néolithiques maltais. Non loin de là, les ondes marines ont foré deux
La côte Ouest :
alcôves dans la falaise, l’une plus profonde que l’autre et
Cette fraction du littoral maltais, relativement
au fond de laquelle se dessine une niche plus petite aux
proche des sites de Ta Hagrat et Skorba, est, de nouveau,
apparences de porte.
QARRABA
gnejna bay, QARRABA, GOLDEN bay
Ta Marija cave
61
La côte Nord-Est :
Sont-elles naturelles ou ont-elles été façonnées par la main de l’Homme ? Quoiqu’il en soit le calcaire
Il s’agit du littoral le plus irrégulier, comportant
esquisse ici un espace remarquable : une large salle
quelques baies et ports naturels. Aujourd’hui la côte
circulaire aux parois voûtées, semblable au Panthéon.
la plus urbanisée de l’île, avec la ville et le port de La Valetta, la lecture de particularités littorales est plus difficile.
La perception de ce lieu aurait pu esquisser
dans l’esprit des constructeurs néolithiques le concept de cour et/ou de coupole tronquée, d’encorbellement, La pointe Nord :
tel que les archéologues ont pu l’identifier dans certains vestiges des temples. Voilà l’idée d’un espace
L’extrémité nord de l’île de Malte, formant
qui tend à se refermer mais pas totalement.
une presqu’île menant aux îles secondaires, s’achève par une pointe où s’est creusé le Coral Lagoon, grotte
marine ouverte au ciel par un immense occulus.
Hagar Qim, tant en façade, au niveau de la partie la
Cette concavité se retrouve, par exemple à
plus spectaculaire, qu’à l’intérieur des absides, dont Il comporte une entrée sur la mer, ainsi que des
l’appareillage se resserre encore aujourd’hui en un
sortes de niches le long d’une des parois.
début d’encorbellement.
coral lagoon
62
comino
Sur sa côte ouest, en fin de course d’une série d’îlots et sur le flanc d’une petite baie, s’ouvre dans la falaise la grotte du Crystal Lagoon. Cette cavité à ciel
ouvert, comparable au Coral Lagoon, se voit séparée
Comino, sur laquelle on ne recense a priori
de la baie par une grande arche.
aucun vestige archéologique, est l’île qui fait le pont entre Malte et Gozo. Il serait étonnant que sur un territoire aussi restreint que l’archipel, quelque endroit
Ces deux lieux donnent une leçon spatiale qui
ait été totalement méconnu des colons néolithiques.
est que, emprunter un passage, et se trouver au centre de parois monumentales, suffit à créer un espace déconnecté du reste à la personnalité unique.
Sous sa pointe nord-est se sont creusées les grottes marines de Santa Maria et de Julia. En les parcourant, on s’enfonce dans un tunnel, débouche dans des espaces plus large, séparé à nouveau des suivants par une arche. Puis on voit au bout de ce parcours sombre une ouverture baignée d’une lumière éclatante. Toutefois il aurait fallu être assez bon en apnée pour accéder à cet autre monde.
crystal lagoon
crystal lagoon
santa maria cave
63
gozo
percée une arche très rectiligne, comme s’il sagissait d’un mur et d’un pilier supportant une architrave.
Wiel il-Ghasri a les qualités matérielles et
L’île de Gozo, où se trouvent, au centre des
spatiales d’un parcours progressif : de la plage, l’eau
terres, les temples de Ggantija et les tombeaux de
peu profonde, puis le fin bras de mer qui s’élargit
Xaghra, voit au sud se poursuivre l’archipel et, au nord-
avant de s’ouvrir totalement. C’est une voie qui,
ouest, se présenter quelques formations géologiques
contrairement au tranchant des falaises, mène peu à
sculptées très distinctement par les courants marins
peu de la terre ferme au large.
assaillant cette partie du littoral.
Mais, si au lieu de s’aventurer au large là où
débouche le Wield, l’on s’aventurait sous la surface, on y découvrirait l’entrée de la Cathedral Cave. En se faufilant sous la côte on débouche sur une immense
La côte Nord :
salle sous marine à demi noyée. Wield il-Mielah et Wield il-Ghasri sont deux
Enfin, un peu plus à l’est, la grotte de Tal Mixta
fins bras de mer entaillant le corps massif de l’île à
offre une large salle cachée sur les hauteurs avec, par
l’image d’un ruisseau au fond d’une gorge.
son entrée, un cadrage panoramique sur la baie qu’elle
surplombe. L’espace y est à la fois clos et uni, et en lien
à Wield il-Mielah, sur l’un des deux flancs de
avec son voisinage géographique.
cette gorge, là où celle-ci rencontre la mer ouverte, est
Wied Il-Mielaħ
Wied Il-Għasri
Cathedral Cave (Ghar ir-Rih)
Tal-Mixta Cave
64
lente érosion provoquée par les vagues. Et ici aussi,
La côte Ouest :
renforcée par le caractère stratigraphique du calcaire, Au c e n t re d e l a c ô t e o u e s t d e G o z o s e
nous vient l’impression de voir deux masses sur
re g ro u p e n t q u e l q u e s m o m e n t s g é o g r a p h i q u e s
lesquelles est posé un linteau. Preuve que la pierre
remarquables très proches les uns des autres.
tient en l’air.
En p re m i e r l i e u , l a b a i e d e D w e r g a e s t
Aux pieds de ce colosse déchu demeure le
quasiment fermée par le Fungus Rock, vers lequel se
Blue Hole. Il s’agit du même type de formation mais
lance sans le toucher un mince trait calcaire. Ce rocher
basculée à l’horizontale sous la surface de l’eau,
qui se laisse percer du regard au travers d’une mince
devenant comme un portail vers les profondeurs.
fenêtre, a une forme curieusement concave côté baie, et composée de bosses côté large. Cette forme évoque
Enfin, avec l’Inland Sea, c’est la mer qui
un peu le plan trifolié des temples mégalithiques,
s’est frayé un passage vers l’intérieur des terres au
comme un négatif de leur volume intérieur.
travers d’une falaise calcaire. L’immense et la petite étendue sont reliées par un tunnel, ou plutôt une faille
A environ 600 m au nord de Dwerja, trônait
quasiment inondée dans laquelle seule une fine barque
autrefois la Azure Window, aujourd’hui effondrée.
ou un nageur peuvent se déplacer. La continuité de
Semblablement à la fenêtre de Wield il-Mielah, la
l’eau suit la discontinuité des séquences d’espaces,
fenêtre d’azur se détachait de la falaise suite à la
quittant un monde pour le connecter à un autre.
inland sea
azure window dwerja bay
fungus rock
inland sea tunnel
blue hole
65
q u e l q u e s c o n clu s i o n s s u r l e s Formations géologiques remarquables Rappelons que l’être humain est mu par son
environnement, auquel il s’adapte et dans lequel il
propagation «a lieu selon deux modes : propagation par
puise la construction de sa pensée. Merleau Ponty
contiguïté, propagation par similitude.»
Leur effet peut perdurer à long terme et leur 54
disait très justement à ce sujet, comme nous l’avons évoqué précédemment, que la perception sensorielle,
et non le savoir scientifique, est «le terrain sur lequel
maltais, l’espace-temps usuel est celui de l’archipel, des
naissent les significations réelles». On perçoit et
îles au milieu de la mer, du jour et de la nuit.
Pour les constructeurs des temples néolithiques
on ressent avant de comprendre, cette information primaire est donc plus profondément ancrée au sein de
Dans ce qu’offre à percevoir la géologie de
notre mental que ne peut l’être la pensée pragmatique.
l’archipel, il semble y avoir une récurrence de parcours
initiatique ou de porche qui mène à un lieu plus ample.
Pour Thom, les «mécanismes psychiques
Ce qui serait susceptible d’inspirer tout naturellement
originels à notre espèce» sont enracinés dans cet
une logique de compression-dilatation de l’espace.
«espace-temps usuel, pris comme cadre fondamental de toute expérience humaine». C’est pourquoi ils
Et, de manière plus générale, le calcaire prend
simulent ce qu’ils y ont perçu, tant les choses que les
des formes multiples. Souvent, leur dessin est avant
processus. Mais l’observateur naïf qui contemple un
tout lié à la variation du diamètre des strates, plus ou
«spectacle» de formes naturelles évoluant au cours du
apparaissent de nombreuses grottes, à l’air libre ou
temps n’attribue un sens à ce qu’il voit que lorsque s’y
complètement sous-marines, des piliers, des alcôves
côtoient des «saillances», entités percevables, et des
naturelles, des portes ne donnant sur nulle part.
entités en principe invisibles : les «prégnances».
54
moins résistantes à l’érosion. Dans ce paysage côtier
54
La manière d’être de cette matière
La saillance désigne «toute forme vécue qui
géographique, dentelée et parsemée de moments
se sépare nettement du fond continu sur lequel elle
géologiques uniques, donne une idée du particulier
se détache. [...] La saillance peut présenter un aspect
dans l’ensemble. Un tout à la fois continu et changeant.
hiérarchisé lié à des effets contextuels entre formes.»
L’impact sensoriel de celle-ci sur le sujet qui la
Ici, la géographie est un apport cognitif qui
perçoit est un effet ponctuel.
délivre naturellement et sans intention un vocabulaire
En revanche, «les prégnances, qualités occultes,
qui se prête à l’architecture : l’espace ouvert, fermé
vertus efficaces, qui émanent des formes sources et
ou simplement esquissé, la lumière et la pénombre, la
vont investir d’autres formes saillantes en y produisant
masse, l’isolé et l’aggloméré, la rondeur, la dualité, le
des effets visibles» sont de nature plus insaisissable,
passage et la destination, la variation de l’acoustique
comme «un fluide invasif qui se propage dans le champ
selon les volumes, aussi, à n’en pas douter.
des formes saillantes perçues»
54
. C’est par exemple
l’association subjective d’un objet à un autre.
54. René THOM, 1988, extrait Chapitre 1 : Saillance et Prégnance, pp.15-21.
55. Chronologie de l’édification des temples d’après Heritage Malta
66
Climat, végétation et periodes culturelles
La première colonisation humaine en - 5 400
découvre, vers -4100, la seconde vague migratoire,
correspond aux anciens néolithiques, sans doute principalement des bergers dont les générations ont vu
celle correspondant aux grands bâtisseurs de temples petites structures primitives néolithiques. grande structure templière
se transformer le paysage de l’archipel : d’abord ouvert,
Enfin, l’époque qui succède -2500, alors que
il devint broussailleux et arboré de pistachiers.
le paysage a commencé à se redésertifier, marque la
fin de l’âge des temples et l’arrivée d’une nouvelle
C’est ce nouveau paysage, plus verdoyant
que ce que l’on peut observer aujourd’hui, que
population, porteuse de la culture du Bronze.
C o n t e x t e e n v i ro n n e m e n t a l c o n t e m p o ra i n a u x p re m i è re s c o l o n i s a t i o n s e t é d i f i c a t i o n s d e M a l t e 5 5 , 5 6 , 5 7 :
Nombre de temples (construction mégalithique à entrée indépendante) dont la construction a commencé -6 000
-5 000
-2 000
-3 000
-4 000
+5 (4 extensions +3
Nouvel arrivé de population
Premières traces de colonisation humaine au néolithique
+6
+1
de Hagar Qim)
Nouveaux colons porteurs de la culture du Bronze
+1
SKORBA GREY
GHAR DALAM
15 10
+4 RED SKORBA
20
5
+2 ZEBBUG MGARR
SAFLIENI
TARXIEN
CIMETIERE TARXIEN
0
GGANTIJA
17 16 15 14
MALTE : PAYSAGE OUVERT
MALTE : PAYSAGE OUVERT
700
MALTE : PAYSAGE DENSE Pistaccia brousse
600 500 400 300
10 -6 000
200 -5 000
-3 000
-4 000
-2 000
Global average tempeture (C°)
Paleo-précipitations dans l’Est Méditerranéen (mm/a)
56. interprétation du paysage d’après Belinda GAMBIN
according to Eitel (2oo8) and calculated palaeoprecipitation in the eastern Mediterranean according to Bar-Matthews et al. (2003), ln. Santorini tephra on Crete: a mineralogical record of Bronze Age environmental change
57. température et précipitations d’après Christoph Siart, Chronology of the Holocene climate and its correlation with settlement history on Crete : global average temperature
67
- 1 000
la répartition spatio-temporelle des sanctuaires sur l’archipel maltais
Choix du site.
C h r o n o l o g i e d e l ’é d i f i c a t i o n d e s t e m p l e s
ra p p o r t e n t r e l e s c o n s t r u c t i o n s . Avant la construction, il s’agit de choisir, sur
un vaste territoire, un lieu particulier, un recoin spécial
Les sanctuaires sont dispersés sur l’archipel de
pour accueillir le sacré, le faire sortir de terre.
316km² (pour comparer : celle de l’île de Pâques est de 161,8 km² et celle du Grand Lyon, 533,7 km²) en quatre groupes au sein desquels ils sont relativement près
Lo m s d a l e n r a p p o r t e « D ’a p rè s G r i m a , l a
les uns des autres. Il s’agit soit de deux sanctuaires
localisation des temples à Malte et Gozo, souvent
séparés de quelques centaines de mètres, soit d’un
construits sur des pentes orientées au sud, paraît avoir
groupe sanctuaire extérieur - hypogée souterrain.
été important pour leurs constructeurs.» et relève qu’«une relation à la mer paraît prédominer, avec
Les trois sites géographiques d’où se sont
une préférence marquée pour les sites dotés d’une
élevées des constructions dès l’époque Zebbug (la
connexion à la mer, suggérant que les temples aient
colline de Ggantija, la côte de Mnajdra A et Hagar
pu être une entrée cérémonielle entre la terre, la mer,
Qim A aux formes encore primitives, et le site de
et le monde extérieur.»58
Hal Saflieni près duquel émergera plus tard Tarxien) deviennent quatre durant la phase Ggantija (avec la
Vassallo a observé la relation entre la position
colline de Skorba et Ta Hagrat), inaugurant l’ainsi dit
des lever et coucher du soleil et la topographie à
«âge des temples». Si un seul nouveau site est réinvesti
l’horizon depuis les sites des sanctuaires. Il en a
alors, le nombre de sanctuaires double.
conclu que, dans la majeure partie des cas, au matin du solstice d’hiver, le soleil se lève «au pied de la
première colline au sud du temple» et que pour les cas
Par la suite les complexes connaissent des
restants, «le soleil se lève au point où la mer rencontre
extensions successives plutôt qu’une multiplication.
la terre» 59. Il semblerait donc que les constructeurs maltais aient eu une tendance à enrichir les quelques
«Les caractéristiques géographiques «comme
lieux disséminés sur l’archipel plutôt qu’à augmenter
les vallées, les rivières, la montagne, en temps que
leur nombre.
partie d’un paysage spécifique, ont pu être codifiées au sein d’un schéma cosmologique. De ce fait, placer des centres rituels tels que les temples préhistoriques maltais de manière à ce qu’ils nouent des relations spécifiques avec les éléments de la topographie, le place aussi dans un schéma cosmologique de sens universel.» 48
Lomsdalen veut dire par là que relier le lieu
construit au lieu géographique naturel revenait à ancrer intensément l’architecture au monde, à le rendre évident sur le plan cognitif. Son potentiel sacré se voit
58. Tore LOMSDALEN, 2013, citant Reuben Grima, 2007, pp.36-40. & se basant sur son autre travail : REUBEN GRIMA, 2005, p.247.
augmenté par ton entrelacement avec l’entiereté de l’environnement.
59. Mario Vassalo, 2007, pp.44-46
68
grotte dolmen temple hypogée nécropole site fortifié cart ruts autre site petites structures primitives grande structure templière
petites structures structures primitives primitives petites grande structure structure templière templière grande
SKORBA GREY
Skorba A
D
Skorba C RED SKORBA
Ta Hagrat A
Ggantija A
-2 000 000 -2
B, C
Ta Hagra
C
D(i)
Hagar Qim A
B
C, D(i), E(e), F(e), G(e)
Mnajdra A
B
C(e)
GHAR DALAM
RED SKORBA
B(e) C(i)
Hal Saflieni
D D
Skorb
Ggantija A
B
Tarxien A
-3 000 000 -3
B
-2 000
-3 000 Skorba A
-4 000 B
-4 000 S SK KO OR RB BA A G GR RE EY Y
-5 000
-6 000
-5 000
-6 000
ZEBBUG MGARR
SAFLIENI GGANTIJA
17
TARXIEN
Hagar Qim A Mnajdra A
CIMETIERE TARXIEN
Hal Saflieni GHAR DALAM
M ZEBBUG MG
B, C C D(i) D(i)C h r o n o l o g i e d e l ’é d i f i c a t i o n d e s t e m p l e s 4 5 e t r é p a r t i t i o n g é o g r a p h i q u e d e s s a n c t u a i r e s e t a u t r e s B, 16
LIENI LIENI
s i t e s s u r l ’a r c h i p e l .
C,15D(i), D(i), E(e), E(e), F(e), F(e), G(e) G(e) C, C(e) C(e) 14
MALTE : PAYSAGE OUVERT
MALTE : PAYSAGE OUVERT
17MALTE : PAYSAGE DENSE Pistaccia brousse 69
TARXIEN TARXIEN
CIMETIERE TARXIEN TARXIEN CIMETIERE
700 600 500
NB : Certaines phases portent le nom de l’un de leurs temples emblématiques.
GHAR DALAM,
Skorba A, B
Grey & Red Skorba ( - 4 900 à - 4 100 ) : Premières colonisations néolithiques de l’archipel60. Aux débuts, les néolithiques venus de Sicile vivaient dans des grottes comme celle de Ghar Dalam61. Optimum climatique de l’Holocene, qui se finira lorsque
grotte
l’environnement deviendra plus frais et sec.
de Ghar
57
Dalam
-100
m
Orientation des plans des temples : rapports avec le relief environnant
GHAR DALAM SKORBA
-20m
A
Il-Qolla
-100m
70
Il-Qolla
skorba A,B,C Ta Hagrat A
Ta Hagrat B
La grotte de Ghar Dalam, où l’on a retrouvé
qu’aujourd’hui en 5400 av. J.-C.) est également abritée
les plus anciennes traces d’occupation humaine sur
des courants marins de surface venant du nord-ouest
l’île se trouve sur le bord du lit d’un ancien fleuve (ce
de la Méditerranée.
que l’on devine à partir de la vue satellite), à environ 50m d’altitude et 500m de distance du plus large port
naturel de l’archipel. Cette baie, dont le fond marin
centre de l’archipel, sur les hauteurs, entre deux des
ne dépasse pas, pour la majeure partie, les 20 m de
plus hautes collines (200 à 280 m d’altitude) dont il
profondeur (le niveau des océans était déjà le même
surplombe le vallon se dirigeant vers la mer.
60. Bradshaw Foundation
61. Nadia FABRI, 2007, p.10.
71
Le site de Skorba se trouve quant à lui au
Xagħra : ses tombes les plus anciennes
kordin III (ruine,
ggantija A
temples I & II détruits) hypogée de Hal Saflieni
Zebbug ( - 4 100 à - 3 800 ) : Nouvelle arrivée de néolithiques venant de la Sicile. Phase caractérisée par des tombes taillées dans la roche, des céramiques en forme de poire et des représentations schématiques d’humains, tant peints qu’incisés.60 Climat relativement froid et pluvieux.57
HAGAR QIM A
Mgarr ( - 3 800 à - 3 600 ) : Phase de transition, caractérisée par des céramiques comportant nombre de lignes courbes. A vu construire le
mnajdra A
portique à double trilithe de Ta’Hagrat.60 Réchauffement mais avec encore de nombreuses précipitations.57
Orientation des plans des temples : rapports avec le relief environnant
falaises de Xaqqa Xagħra
Ggantija
hagar qim
A
MNAJDRA A A’
Ghar Hanex
Fifla (à 5km)
72
Blue Grotto
colline
horizon marin littoral bord du plateau
terrain des temples
GGANTIJA
MNAJDRA
affleurements calcaires
Xaghra et Ggantija se placent non loin l’un
Hagar Qim et Mnajdra sont édifiés au Sud de
de l’autre, sur le bord de la colline centrale de l’île de
Malte, en bord de mer, près d’une côte qui descend
Gozo. L’entrée de Ggantija semble «regarder» vers un
rapidement dans la mer. Non loin des falaises de Xaqqa
petit promontoire juste assez haut pour masquer la mer
et des sites naturels remarquables vus précédemment
à l’horizon, que, du reste, le panorama spectaculaire
comme Ghar Hanex et le Blue Grotto. Le site offre
laisse admirer. à plus large échelle, on peut aussi voir
également à voir, au large des côtes, l’île-rocher de
dans cette orientation la direction de l’île principale.
Fifla.
note : sur les extraits de plan topographique, les lignes en pointillés indiquent l’inclinaison du corps du temple tandis que les flèches indiquent la direction dessinée par leur couloir et leur entrée.
73
Skorba C
Ggantija B, C
Ġgantija ( - 3 600 à - 3 000 ) : Temps des temples, d’abord simples puis de plus en plus sophistiqués. Passage d’un plan en trèfle à un plan à cinq absides.60 Le climat reste chaud mais avec peu de précipitations.57
HAGAR QIM B Ta hagrat A
mnajdra B
-100
m
Orientation des plans des temples : rapports avec le relief environnant
SKORBA
ta’hagrat A
hagar qim
C
MNAJDRA
74
BB
Salfieni ( - 3 300 à - 3 000 ) : Tient son nom de l’hypogée d’Hal Saflieni. Il semble qu’émerge un culte des anciens, probablement lié de quelque manière au culte de la déesse mère.
60
pleuvoir davantage.
tarxien A, B, C
Il commence à 57
Ta hagrat B
Le site de Hal Saflieni, Kordin et Tarxien est un
plateau légèrement surélevé par rapport au niveau du
port naturel (le deuxième plus grand de l’archipel).
Les temples des sanctuaires de Ta Hagrat et
Toutefois les temples de Tarxien tournent le
Skorba ne sont pas orientés vers la mer mais vers
dos à cette mer toute proche pour s’ouvrir vers le sud.
l’autre côté de la vallée et ses douces collines.
ta’hagrat B TARXIEN
B
75
C
A
Tarxien ( - 3 000 à - 2 500 ) : Apogée de la construction des temples ; architecture la plus sophistiquée, tendance prononcée à la complication permanente des plans. Gigantesques monolithes utilisés dans les façades où les blocs sont intriqués.60 Climat chaud et pluvieux.57
Skorba D
Xagħra : majeure partie du site
tarxien D
mnajdra C
Cimetière Tarxien :
HAGAR QIM C, D, e, F, G
Arrivée à l’âge de Bronze de nouvelles cultures, similaires à celles de la Grèce, du Sud de l’Italie et de la Sicile. Réutilisation des temples de Tarxien (comme en témoignent des restes humains brûlés au centre de
Note critique : Le remplissage en gravier cyclopéen
leur temple sud) comme cimetière
derrière les mégalithes formant les parois intérieures a dû
crématoire. 50 Instabilité du climat
être utilisé dès les premières élévations de ceux-ci, afin de
suivie d’une diminution progressive
stabiliser la structure. Mais il est difficile de dater chaque
de l’humidité estivale à la fin de
bloc de pierre, même si, dans les grandes lignes, l’on est
l’Holocène.
en mesure de comprendre les déformations provoquées
47
par des modifications espacées dans le temps.
76
-100
m
Orientation des plans des temples : rapports avec le relief environnant
SKORBA
D
TARXIEN D vers Hal Saflieni et Hagar Qim ?
C’ C MNAJDRA
F
E
hagar qim
G
C
77
III.
t r a n s f o r m e r l a m at i è r e
Le
contexte
technologique
Le s a i r e s g é o g r a p h i q u e s d e c o n t a c t c u l t u r e l e t les échanges commerciaux. De par son voisinage avec la Sicile on peut aisément imaginer des contacts entre Malte et les sociétés d’au-delà l’horizon. à l’heure de la phase Ghar Dalam et de la première colonisation, cela fait quelques siècles que les échanges s’opèrent entre îles Méditerranéennes et continent, entre autres pour l’importation de matières premières.
à Malte ont été retrouvés, parmi d’autres, de
nombreux instruments en silex sicilien, et quelques morceaux d’obsidienne provenant de Lipari ou
L’a r r i v é e t a r d i v e d e s m é t a u x à M a l t e
Pantelleria1.
L’o b s i d i e n n e d e Pa nte l l e r i a e s t d i f f u s é e
Bien que l’intégralité de l’ère des temples
uniquement dans le Canal de Sicile (grotte de l’Uzzo,
maltais ne puisse vraiment être considérée comme
îles de Malte, Lampedusa). Celle de Lipari en revanche,
n é o l i t h i q u e , l a d i f f u s i o n d e l a m ét a l l u rg i e , q u i
de meilleure qualité, joue un rôle important en Sicile,
forgera entre autres un outil révolutionnaire pour la
et même dominant en Calabre, une région privée de
construction, ne rejoint ses îles que lors de la dernière
bon silex. (Ammerman, 1979) .
phase templière (Tarxien, celle la plus élaborée) entre
62
3 000 et 2 500 av. J.-C. M a i s s i l e s m a t é r i a u x c o m m e l e s i l e x , l’obsidienne, le jaspre, le quartz, et le scaglia rouge,
sont sujets à une ample circulation, le néolithique
la métallurgie, dans ses débuts, n’ait pas été une
antique se caractérise aussi par la fragmentation de
entreprise très active et il existait peu d’outils en métal.
ses cultures : la densification de population autour
Ceux qui existaient, par ailleurs, s’illustraient davantage
de la mer Méditerranée s’est accompagnée de la
par leur intrigante nouvelle sorte de beauté, brillante
constitution d’entités culturelles plus réduites avec des
et malléable, que par son efficacité. Il faudra un temps
faciès de céramique différents 10.
aux sociétés pour apprivoiser cette technologie 10 .
Ce p e n d a nt i l e s t p l u s q u e p ro b a b l e q u e
De plus, les premiers métaux utilisés, le cuivre et le bronze, ne sont pas si durs que cela (3 et 4 sur l’échelle de Mohs). Mais ils deviendront plus tard, grace à une juste technique de fusion, plus facile à élaborer en série et infiniment réparables et remodelables 10.
1. Jean Guilaine, 2003. 62. Jean Vaquer, 2017, Carte de répartition des obsidiennes analysées datables du milieu du Néolithique ancien (5500-5200 av. J.-C.). (fond de carte : DAO Muriel Gandelin)
80
Le s o u t i l s d e s n é o l i t h i q u e s m a l t a i s
L’obsidienne est une pierre d’origine volcanique
extrusive. Elle est donc relativement cohérente. Elle est également aussi dure que le verre et les premiers aciers (5 à 5,5 sur l’échelle de Mohs, classant la dureté des minéraux du talc, 1, au diamant, 10) 63. C’est donc un matériau de qualité pour un outil de taille.
Le silex, quant à lui, est une pierre sédimentaire.
Sa cohésion est donc similaire à celle du calcaire. Cependant c’est une roche très dure (6,5 à 7), en mesure de rayer le verre. Son abondance dans la nature et sa tendance à se rompre de manière à donner des bords tranchants 64 contribuent à en faire un bon outil préhistorique.
«Selected lithic tools from the Ta’ Hagrat assemblage»
Exemple d’obsidienne
65
.
L’ i m p o r t a n c e d u c h o i x d e s m a t é r i a u x d e construction Où sont utilisées la pierre calcaire coralline
Ro m p r e l a p i e r r e
et celle à globigérines ? Y a-t-il une différenciation
Considérant que les pierres calcaires ont
de ce choix entre diverses constructions (monument
une dureté maximum de 2,9 sur l’échelle de Mohs,
plus important qu’un autre) ? Entre diverses époques
l’obsidienne comme le silex, avec de la patience,
(évolution de la technique d’extraction, apprentissage
est en mesure de l’inciser efficacement. Une fois un
de la différence de dureté des deux sortes de calcaire)
tracé pré-dessiné dans la pierre, des coups assénés à
? à l’intérieur d’une même construction pour des
l’aide de lourdes pierres finissent par décoller le bloc
raisons structurelles (murs externes plus résistants
suivant une géométrie choisie, qu’il faudra ensuite
et internes en pierre plus tendre afin d’y sculpter les
régulariser .
ornementations) ?
10. Fabbio negrino, 2019.
65. Clive Vella, 2009 The lithic toolkit of the Late Neolithic Ta’ Hagrat, Malta, Origini XXXI, Nuova Serie IV, pp. 85-102. Selected lithic tools from the Ta’ Hagrat
10
63. Arthur Thomas, 2009, p.183
assemblage.
64. https://craies.crihan.fr/?page_id=36, se base sur le travail de Christopher John Clayton.
81
géologie, matériaux de construction à Malte, nous rencontrons deux principaux types de calcaire, une roche sédimentaire (parmis les trois groupes géologiques, les roches sédimentaires sont celles à la plus basse 66) qui s’est formée dans la mer avant de ressurgir lentement à la surface. Elle est dite «à basse cohesion». Les vagues de la mer s’abattant sur les côtes la sculptent aisément avec le temps. Et, en règle générale, le calcaire se patine avec le temps.
Le c a l c a i r e d e M a l t e L’archipel de Malte est, somme toute, une protubérance calcaire au milieu de la Méditerranée. C’est pourquoi une ressource rocheuse omniprésente sur le territoire a permis à ceux qui y ont édifié les temples d’utiliser majoritairement des matériaux puisés in situ. On peut supposer que ceci permettait à leur effort de se concentrer par ailleurs sur d’autres aspects que le transport des blocs, dont l’unique
> Le calcaire corallien, plus dur étant donné qu’il contient des cristaux en plus grande quantité, résiste mieux à l’érosion du temps. Mais il est aussi plus difficile à travailler. Il se trouve majoritairement au nord de l’île de Malte mais aussi sur ses côtes sud. Il se retrouve à deux hauteurs : sur les côtes et au sommet des collines. > Le calcaire à globigérines, lui, contient des fossiles de micro-organisme. Plus tendre que le corallien (mais évidemment plus dur que le Blue Clay et le Greensand), il est donc relativement facile à travailler, et cependant vulnérable à l’air marin et les pluies acides. On le trouve principalement dans la moitié sud-est de l’île de Malta, souvent sous la forme de grandes dalles friables. 67,68 titanesque voyage représentait un grand défi pour l’époque (par exemple dans le cas de Stonehenge). Ils avaient davantage d’énergie et de temps à consacrer à la question du style architectural et de la décoration.
> Par ailleurs, entre le calcaire à globigérines et le corallien supérieur, s’insèrent des couches sédimentaires d’argile (Blue Clay), qui a la qualité d’être imperméable à l’eau), et de sable (Greensand).
66. D’après communication personnelle d’étudiants en géologie, et rappel écrit de P. GOSSE, 2005. Il existe trois grands groupes géologiques, définis par leur origine. Selon la nature de leur formation, la cohésion de leurs grains n’est pas la même. Plus la chaleur et la pression initiale sont intenses et plus le refroidissement est lent, plus le degré de cohésion de la matière est important.
pyroclastiques et les débris volcaniques rejetés par un cratère.
Le groupe des roches les plus solides est celui des roches éruptives, directement issues de l’activité volcanique. Les plus résistantes d’entre elles sont les roches magmatiques, solidifiées à de fortes profondeurs et dans lesquelles les cristaux ont eu le temps de parfaitement se former, comme par exemple pour le granite. Puis viennent celles, intrusives, qui ne rejoignent pas la surface et forment des filons de teinte sombre entre les autres roches. Ensuite, viennent les roches extrusives, ou effusives, comme l’obsidienne ou le basalte. Enfin, les plus faibles de ce premier groupe sont les roches
Le dernier groupe de roches, le moins cohérent et le plus sujet à l’érosion, est celui des roches sédimentaires comme le grès ou le calcaire. La roche la moins cohérente de toutes est l’argile, à moins de prendre en compte le sable.
Le d e u x i è m e g ro u p e e s t ce l u i d e s ro c h e s métamorphiques comme l’ardoise et le marbre. Ce sont d’anciennes roches sédimentaires enfouies profondément dans la croûte terrestre par une pression et une chaleur telle que leur composition cristalline s’est métamorphosée.
67. UNESCO World Heritage Center.
68. auteur inconnu, Malta, the limestone experience, ln. Spring and Summer 2008 editions of «Waller & Dyker», www. dry-stone.co.uk/Pages/Books/Articles/Malta/Malta.html
82
Calcaire corallien supérieur Gebel Imbark Tal-Pitkal Mtarfa Ghajn Melel
Greensand Blue clay
Calcaire à globigérines Globigérine supérieure Globigérine intermédiaire Globigérine inférieure
Calcaire corallien
CARTE 56 et coupe
inférieur
schématique :
II-Mara
Répartition des
Xlendi Attard
FORMATIONS GEOLOGIQUES SUR L’Archipel
Maghlaq Corallien Greensand Blue Clay Globigérines Corallien
83
Disponibilité des ressources pour chaque site de construction de temples mégalithiques Ta hagrat Alt. : + de 90m
GGANTIJA
Skorba
Alt. : env. 115m
70
Alt. : env. 125-130m
70
70
GGANTIJA SKORBA
Xagħra
TA’HAGRAT
1km
SOL DU SITE : 71 Calcaire corallien sup. (Mtarfa)
SOL DU SITE : Calcaire corallien sup. (Mtarfa)
SOL DU SITE : Calcaire corallien sup. (Tal-Pitkal)
alentours :
alentours :
alentours :
Calcaire corallien sup. (Tal-Pitkal) Blue Clay PLUS LOIN : Calcaire à globigérine
matériaux utilisés :
Calcaire corallien 72
Calcaire corallien sup. (Tal-Pitkal) Blue Clay PLUS LOIN :
Calcaire corallien sup. (Ghajn Melel) Blue Clay PLUS LOIN :
Calcaire à globigérine
matériaux utilisés :
Calcaire à globigérine
matériaux utilisés :
Calcaire + Torba
Rapport matière-style
? Comparons par exemple Hagar Qim et Mnajdra,
sur lesquels nous avons regroupé une plus grande Selon la localisation des sites de construction
quantité de données.
sur le territoire, les matériaux à disposition changent,
Hagar Qim fut érigé sur un plateau calcaire
influençant le style architectural. Il apparaît que
de type plus tendre (calcaire à globigérines). Et c’est
l’usage fait des différents types de calcaire n’est pas
le même calcaire qui en fait le corps 1 . Ces temples
le même 69.
présentent un appareillage qui, parfois, semble étrange et hasardeux. Comme s’il avait été possible d’ajuster
69. UNESCO World Heritage Center, « Les bâtisseurs des temples ont utilisé la pierre disponible localement, dont ils avaient une connaissance approfondie. Ils employèrent du calcaire corallien dur pour les murs extérieurs et du calcaire plus tendre à globigérines pour les intérieurs mieux protégés et les éléments décorés.» 1. Jean Guilaine, 2003, «Le calcaire tendre a favorisé [à Hagar Qim] l’éclosion d’une architecture d’une perfection achevée.»
84
TARXIEN Alt. : env. 60m
HAGAR QIM
MNAJDRA Alt. : entre 80 et 90m
70
70
Alt. : entre 120 et 130m
70
HAGAR QIM hal saflieni
MNAJDRA
TARXIEN
1km
1km
SOL DU SITE : Calcaire à globigérine inférieur
SOL DU SITE : Calcaire corallien inférieur
SOL DU SITE : Calcaire à globigérine inférieur
alentours :
alentours :
alentours :
Calcaire à globigérine inférieur Calcaire corallien sup. (Gebel Imbark et Tal-Pitkal) PLUS LOIN :
Calcaire corallien inférieur Calcaire corallien sup. (Gebel Imbark et Tal-Pitkal) PLUS LOIN :
Calcaire à globigérine intermédiaire Calcaire corallien inférieur
Calcaire à globigérine Blue Clay matériaux utilisés :
?
matériaux utilisés :
Calcaire corallien
Calcaire à globigérine Blue Clay matériaux utilisés :
Calcaire à globigérines
la taille des pierres au dernier moment, de manière
avec le matériau délivré par le site. Ici l’appareillage
précise bien que tordue. Son ornementation est
est plus régulier et, dans le même temps, régi par une
élaborée, bien que moins délicate que celle que l’on
dualité constructive : d’une part constitué de grandes
peut voir à Tarxien. Ils s’y dessinent divers motifs, entre
plaques pour les passages et autels, et d’autre part
représentations de la nature et abstraction : stylisation
par des blocs plus petits pour la constitution des
de végétaux, spirales, perforations régulières qui
murs intérieurs. Les ornementations de ce complexe
rappellent la nature de la globigérine en soi. Il y a même
sont beaucoup plus discrètes, ou quasi inexistentes :
une étroite perforation qui traverse une des plaques de
incisions localisées, petites perforations, résultant d’un
pierre de l’intérieur à l’extérieur du sanctuaire, appelée
martelage, parcourant toute la superficie du mégalithe
«trou de l’oracle» (voir étude de cas d’Hagar Qim p. 115).
(voir pages suivantes et Répertoire pp. 98-99).
à peine 500 m en direction du nord-est, se
Peut-être cette différence ne témoigne-t-elle
trouvent les temples de Mnajdra, fondés sur une aire
rien d’autre que de la plus grande flexibilité du calcaire
composée de calcaire plus dur (calcaire corallien), là
à globigérines. Chaque matériau constructif aura
aussi utilisé dans ses murs et donc en adéquation
inspiré d’autres solutions expressives.
70. Via Michelin, Outdoors map. 71. Continental Shelf Department, Geological Map of the
Maltese Islands. 72. Giovanni Lilliu, 1971.
85
Les mots calcaires de l’architecture
L’architecture est souvent évoquée comme l’art
ensemble d’observables représentant les états locaux
de sculpter l’espace.
d’un système, Thom définit un sous-ensemble fermé K, l’ensemble de catastrophes, défini par le fait que le
Dans les temples néolithiques de Malte ce lien
type phénoménologique local du système ne change
à la sculpture est plus resserré encore, puisque chacun
pas tant que le point représentatif du système ne
de ses morceaux à été taillé à la main dans la masse
rencontre pas K.» 73
pour être assemblé de manière à ce qu’il n’y ait qu’un seul endroit spécifique où il aura sa place (à part pour
La sculpture de la matière travaille
le remplissage intérieur des murs peut-être).
essentiellement sur cet ensemble de discontinuités
Ainsi composé avec d’autres, le bloc est
qui permettent à la matière de faire apparaître des
parfois percé, conservant son unité tout en ouvrant
éléments indentifiables.
un passage, ou gravé, portant dans son corps le relief ornemental. Si les temples portent un récit révolu, le calcaire en est le papier, et sa taille, l’encre.
La matière symbolique.
Ce processus dynamique, une fois accompli,
figera des souvenirs de vie, tant d’un monde qui
Tra n s f o r m e r l a m a t i è r e .
l’a abrité que du mouvement qui en aura tracé les
contours. L’humain, ainsi, laisse sa trace. Cela devient
La matière sculptée est la matière
alors le fossile de quelque chose.
métamorphosée tant par le geste que par le regard. Ces deux actions sont reliées l’une à l’autre via le système mental, où la conception, dans ce qui existe, de ce qui
Y transparaît une histoire, lisible aux yeux
pourrait être, émerge. Cette perception-conception est
d’un groupe de personnes partageant la même
à la fois antérieure et contemporaine à la méthode de
intersubjectivité. Car la sculpture est toujours baignée
transformation de l’objet.
d’un langage symbolique, parlant de quelque chose qu’elle n’est qu’au travers de nos yeux et de nos
Il existe alors une différence entre la notion de
pensées. Nous nous référerons pour cela à La notion
méthode et celle de technique. La technique désigne
de symbole du premier chapitre.
l’ensemble de gestes et d’instruments sollicités afin de Faire passer une idée à travers la parole est une
réaliser un projet tandis que la méthode est le projet,
les gestes mis en jeu, la séquence des actions.
chose, mais la faire passer par un objet physique est
10
beaucoup plus puissant. La culture, la pensée cognitive se développe en relation à l’objet depuis les premiers Morphogénèse.
temps de l’Homme.
La genèse des formes se fait, selon la théorie
Selon Leroi-Gourhan 74, le fait de transformer
d e s c at a s t ro p h e s d e Th o m , p a r l ’a p p a r i t i o n d e
la matière va de pair avec la possession d’un langage
discontinuités dans l’apparence d’un système. Les
symbolique. «L’Homme fabrique des outils concrets et
changements de forme, appelés «catastrophes», sont
des symboles, les uns et les autres relevant du même
engendrés par un phénomène de bifurcation. «Dans un
processus ou plutôt recouvrant dans le cerveau au
10. Fabbio NEGRINO, 2019.
73. D’après Bernard PIRE.
86
ci-dessus, à Tarxien C, autels ornés de cpirales stylisées et petite niche ; ci-dessous, à Mnajdra C, ensemble portique-fenêtre orné de ponctuations.
87
88
même équipement fondamental.» 74
Toujours d’après Heidegger, l’oeuvre libère la
Il est ainsi plus efficace de faire ressentir la
terre (au sens des choses matérielles et sensibles) en
grandeur d’un dieu à travers une statue et un temple
la laissant indécelée 76. Elle souligne le caractère des
gigantesque qu’à travers une simple description orale.
choses qui l’entourent et la composent, les porte à
10
notre regard dans l’éclat de leur vérité.
L a s y n t h è s e a r c h i t e c t u ra l e
Comme on le verra ici, le calcaire n’est pas que
frontière de l’espace, il peut tout aussi bien en être
La préhistoire et la protohistoire sont des
l’objet central. La matière ne joue pas qu’avec le vide
périodes riches de symboles , durant lesquelles l’art
mais aussi avec sa propre masse, impénétrable, et qui
et l’espace sont la seule écriture. On ne peut par
porte à sa surface et dans ses rapports avec les autres
conséquent pas isoler l’architecture de son monde,
masses, une véritable expression architecturale.
puisque la manière dont elle est sculptée et construite
autour d’un espace est l’empreinte même de ce monde
cette matière formée de milliards et de milliards de
perdu.
grains indifférents, et qui l’unit dans une même pensée.
75
Le plus important est le regard qui a sculpté
Selon la philosophie heideggérienne, le monde d’une oeuvre est son espace le plus propre. 76
Ce monde règne, comme le récit qui explique
L’a l c h i m i e d e l a m a t i è r e
le chaos de l’existence, qui lie les choses et se dévoile
à travers elles. Il est «le toujours inobjectif auquel nous
sommes sujets. Le monde tient nos faits et gestes dans
et la masse, la perception et la conception sont
un adjointement de renvois à partir desquels le signe
interconnectées.
de la grâce des dieux et la frappe de leur disgrâce se
présente». «C’est au sein [du monde] qu’un peuple, à
ensemble immatériel de conceptions passées. Cette
chaque fois, accède à lui-même.» 76
matière est baignée de symbolique, des racines de nos
pensées sur la beauté du monde et l’art d’élever les
C’est pourquoi l’effondrement du monde
Chaque élément fait partie d’un tout. L’espace
L’a l c h i m i e d e l a m a t i è re ré s i d e d a n s u n
propre à une oeuvre fait que celle-ci n’est plus ce
lieux.
qu’elle était. Dans ces architectures préhistoriques,
les derniers gardiens du secret de leur monde ont depuis longtemps disparu. Ces oeuvres-là sont à
comme le dit Leroi-Gourhan, naît dans cette partie du cerveau humain dédiée aux associations 20 , qui
présent des fossiles, témoins immortels de l’éternel
connecte les sensations et les intègre dans un même
dessein de l’humanité : écrire sa vision de l’existence
tableau 77.
La plénitude de cette fonction symbolique,
et sa perception des choses au travers d’oeuvres d’art qui lui survivent. Cependant elles ne lui survivent pas
L’alchimie est donc ici la transformation en
totalement, puisqu’elles n’étaient pas que matière, mais
oeuvre d’art, de la perception d’un chaos environnant,
aussi regard et émotion. Elles étaient la symbiose du
faite au travers de l’esprit et des mains humaines.
matériel et de l’immateriel placés en elles.
74. André Leroi-Gourhan, 1964 et 1965.
76. Martin HEIDEGGER, 1935.
75. Siegfried GIDEON, 1964.
20. Richard E. Leakey & Roger Lewin, 1977.
89
les passages Ré p e r t o i r e
Géométrie de l’inter-espaces :
Les portes de l’architecture néolithique
maltaise ont presque toujours un recto et un verso.
N o t e : Certaines données nous manquent en
raison de l’état variable des vestiges.
à Ta Hagrat, l’entrée à double portique du
temple est mise en scène en ce qu’elle dépasse quelque peu du mur, qu’elle est soulignée par un banc longeant la façade et que l’on y accède par
Ta hagrat A
trois marches d’escalier. Par ailleurs la cour centrale décaissée d’une vingtaine de centimètres par rapport aux absides oblige à nouveau à lever le pied si l’on veut continuer son parcours. Cette confrontation du corps à la morphologie du temple participe à sa scénographie. Le sol ne se laisse pas parcourir sans penser où l’on est, quel est l’espace que l’on quitte et celui qu’on rejoint.
entrée : double portique
à Ggantija, il y a une autre entrée dotée de
marches, dans la même logique que précédemment. Le passage entre le monde du dehors et le monde du temple est travaillé géométriquement dans les trois dimensions de l’espace.
Les cadres des portes côté sortie sont soit
intégrés dans la géométrie du mur, soit légèrement saillants, mais simples. En revanche, ceux côté fond du temple forment un entonnoir découpé en paliers sur les côtés.
porte et abside de gauche
à Tarxien B et D, on retrouve quelque chose de
similaire quoique les paliers en entonnoir se trouvent des deux côtés de la porte, l’entonnoir le plus large encadrant le visiteur à son arrivée. Plus il s’avance et plus ces cadres se resserrent.
Pour Tarxien D, chaque porte est accompagnée
d’une grande estrade. Il faut engager son corps d’abord par le sol puis être entouré du cadre de la porte avant d’entrer dans l’espace suivant. En réalité
porte et abside dans l’axe
c’est aussi parce que son plan accompagne la pente du site.
Les passages à couloir de Tarxien C quant
à eux semblent plus simples et nets, tout comme leurs parois très régulières et planes. Cette épure laissera la complexité au seul mobilier calcaire et aux ornementations, comme nous pourrons le voir dans les répertoires suivants.
porte et abside de droite
90
Skorba C
GGANTIJA B
GGANTIJA A et C
PORTE 1 de B = entrée de A
ENTREE : en ruines
porte verso : saillant porte verso : entonnoir
porte recto : creux entre pilier et mur porte, recto : intégré
ENTRéE verso : entonnoir ENTRéE verso : entonnoir
ENTRéE recto : 3 marches + couloir à deux mégalithes
91
ENTRéE recto
TARXIEN C (sud-ouest)
TARXIEN B (est)
TARXIEN D (central)
PORTE (ou passage) 1, recto
PORTE 2 recto, verso
PORTE 1 recto, verso
ENTREE verso, en partie démentelée
ENTREE recto, verso PORTE 1 recto, verso*
PORTE de D à B
PORTE et couloir de D à C
92
MNAJDRA A
MNAJDRA B
MNAJDRA C PORTE 3 recto : cadre dans trilithe
PORTE 2 recto : hublot monolithique entre deux coudes
PORTE 2 recto : «assises cubiques» PORTE 1 verso : entonnoir
PORTE 1 recto : «assises cubiques»
ENTRée recto : hublots x 3 ?
93
PORTE 1 recto : U + marche
ENTRée : trilithe dans couloir
HAGAR QIM C - 1er ovoïde
HAGAR QIM C 2nd ovoïde + D
HAGAR QIM E, F, G
entrée E : 2 ou 3 marches, double entrée ? entrée + niche ?
PORTEs gauche et droite : hublots monolithiques entrée F : petit couloir
porte verso : entonnoir
porte recto : petite paire dans grande paire, séparées par de la rocaille
entrée G : petit couloir dallé ?
entrée : couloir à portique massif
94
Puis, à Mnajdra B et C, et Hagar Qim C et D,
des escaliers qui montent sur l’enceinte
(mais aussi en revenant sur la porte intermédiaire de Ggantija B) on voit se développer cette typologie
Ces accès permettant de rejoindre le dessus
de porte à double entonnoir par un soulignement
de l’épaisse muraille formulent pour nous un autre
géométrique supplémentaire. Le cadre le plus large
questionnement, relatif à l’approche qu’avaient les
se voit flanqué de deux rehaussements carrés et le
néolithiques maltais de ces construction et de leur
cadre central du passage déborde un peu de ce côté
toiture.
de manière à encastrer ces carrés. C’est alors comme si la porte était soulignée par un cube dont on aurait ôté trois faces. Cela assoit le cadre du passage dans la pièce en la transformant presque en élément de mobilier ou élément scénographique. Enfin, il y a à Tarxien, mais principalement à M n a j d r a e t Ha g a r Q i m , c e s h u b l o t s d a n s l a pierre, marquant un autre type de passage 1 . Là, la scénographie n’est pas celle de la monumentalité mais de la relative imperméabilité : ce sont des entrées plus petites, où il est moins aisé de se faufiler. La paroi que l’on traverse est mince, c’est comme traverser un voile, un masque. Il existe trois moyens différents de les réaliser : soit en quatre pièces à la manière d’un cadre assemblé, soit en deux pièces avec une partie
Tarxien : entre les temples B et D
en U (creusé d’un côté) associée à une marche venant combler le cadre, soit tout bonnement en sculptant directement le hublot dans une plaque monolithique. Cette dernière façon est sans doute la plus délicate, puisqu’il faut réussi à percer patiemment la pierre sans la fissurer.
à Mnajdra, on relève que l’un de ces cadres
est intégré dans une porte trilithique, ce qui a comme effet de mixer ces deux conceptions de porte : le hublot et l’entonnoir. Ainsi la matière devient-elle anatomie du lieu pensé, et par la même, architecture.
L’idée du passage et de la porte étaient donc
des notions réfléchies par les constructeurs maltais. Dans la transition d’un lieu à un autre, chaque côté avait, semble-t-il, une signification différente. Et ils ont inventé plusieurs mots de langage architectural afin d’en exprimer le sens. Il apparaît clairement que créer skorba : depuis l’abside droite contre l’abside du fond
un portail, cadrer un passage, une vue, sont elles aussi des notions millénaires.
95
le mobilier de pierre
Ré p e r t o i r e
sur rien, et l’étagère est un ensemble de très petites
Ce mobilier de pierre est-il, en quelque
sortes, un développement fait à partir d’éléments architectoniques plus basique comme les portes ? Quelque part, la niche est une porte qui ne donne niches. De même, le banc isolé est un morceau du banc
longeant la façade qui n’est rien d’autre qu’une assise
L’objet traité, niche ou autel est toujours
supplémentaire sur laquelle le mur ne repose pas.
le même élément architectural et fonctionnel. Il caractérise l’espace, lui confère un récit en structurant les gestes qui s’y dérouleront.
Le nombre de solutions structurelles est limité
par l’emploi unique de la pierre sèche mégalithique. Il s’agit donc d’un appui simple, reposant entièrement sur un jeu d’équilibre mettant en action des masses GGANTIJA
importantes. Malgré cela, on observe une richesse dans la diversité stylistique avec laquelle a été traité, d’un temple à l’autre, d’une chambre à l’autre, ce même objet.
élément encastré, isolé, multiple, masse à
terre ou dans les airs, jeu de proportions et nombre de bétyles, forme des pieds, ornementation délicate... Toutes ces variables ont permis aux architectes du
Ensemble de niches en double épaisseur du mur
néolithique d’élever du sol, chaque fois, un objet unique capable de dessiner la personnalité du lieu.
Skorba autels
Niche au fond, dans l’axe, devant un surrélèvement : table en plusieurs morceaux autels
Table massive + 2 bétyles
96
Ensemble d’autels
TARXIEN
C : Niche encastrée : entrée condamnée ?
MNaJdRA
B : Grande niche du fond (les piles au centre sont modernes)
B : Petite table sur 1 pied encastrée
HAGAR QIM C et D
D : niche comme une micro-chambre dont la porte est un hublot
autels
D : même étagère dans 4 pièces
C : Nombreux bancs décorés autels
C : étagères ou niches subdivisées
Monolithe isolé + 3 bétyles reliés par une dalle
autels
C : Autel massif encastré + petite niche à cadre multiple
A : Table massive + 2 bétyles
Paire de guéridons en «H» marquant une porte
C : Table sur 2 pieds encastrée
Table sur 1 pied encastrée
Monolithe isolé décoré
97
l’ornement
un environnement maritime se trouvent souvent
Ré p e r t o i r e
autour des cours au sein des temples, tandis que l’iconographie reflétant un environnement terrestre se trouve dans certaines absides». Grima en conclut
Le b a s r e l i e f
que, d’ailleurs, cette conception terre-mer du monde est une logique inévitable pour un Insulaire 40.
S e l o n G i d e o n , c e r t a i n s a s p e c t s d e l ’a r t paléolithique ont perduré jusque dans l’expression des premières civilisations. Les qualités caractéristiques
Malone énonce quant à elle les divers règnes
de l’art primitif comme l’accentuation des contours et
animaux représentés : des figures anthropomorphes,
les reliefs taillés dans la pierre, ont quitté la surface
zoomorphes et monstrueuses : «des créatures d’un
irrégulière des grottes pour rejoindre celle, plane et
autre monde, mi réelles mi imaginaires ; certaines
lisse, des temples et tombeaux .
pourraient représenter une métaphore de la vie, de la
75
mort, et d’autres mondes»y. Les figures zoomorphes Le bas-relief est un concentrateur de lumière.
sont soit celles d’animaux domestiques au sang chaud,
Lumière qui, frappant l’une des marges du contour
soit de créatures au sang froid comme les poissons, les
creusé, est contrastée par une ligne sombre d’ombre
escargots, les lézards, et les serpents «qui représentent
qui court le long de la marge opposée . Dans les
traditionnellement l’au-delà ou la mer.»
75
40
.
cavernes primitives les contours incisés recueillaient la lumière tressaillante des torches75, tout comme dans
Dans un autre de ses travaux, Malone émet
la pénombre des temples et hypogées.
l’hypothèse d’une transfiguration d’un empilement de crânes cornus dans le curieux dessin de l’autel
monolithique d’Hagar Qim 77.
L’art primordial portait fondamentalement sur
le tracé de la ligne des contours. Gideon déclare très justement à ce propos «On reste surpris de noter avec quelle intensité un simple contour réussissait à saisir la véritable essence de l’animal.»75 A l’enfance du rapport de l’humanité au monde, l’artiste définit ce qui est moi, ce qui est autre, en traçant les limites de chaque corps comme d’une entité cohérente traversant le paysage de l’existence. Les animaux incisés semblaient vivre sur la roche elle-même, et tout à la fois exprimaient Mises à part ces représentations figuratives,
ce qu’ils étaient par le dessin de leurs limites.
les temples mégalithiques sont riches d’ornement plus abstrait comme la ponctuation de la surface, rappelant la nature même, bien qu’ici stylisée, de la pierre calcaire
Quelques interprétations des représentations
et de sa porosité (ci-dessus, à gauche, l’état naturel de la De ce que rapportent Lomsdalen et Grima,
globigérine, et à droite, la surface stylisée). L’art maltais
il semblerait bien y avoir un langage symbolique
offre également diverses d’éclinaisons d’ensembles
codifié dans les bas-reliefs. Selon la nature de la
de spirales. Sont-elles un symbole métaphysique du
représentation, celle-ci ne serait pas localisée au
centre qui se déploie pour se fermer à nouveau, ou
même endroit du temple : «les images reliées à
plutôt un rappel des tourbillons de l’eau des mers ?
75. Siegfried GIDEON, 1964, fait une comparaison entre l’art paléolithique et l’art égyptien mais ces points de vue sont également valables ici, dans le cas des temples néolithiques maltais.
40. Tore LOMSDALEN, 2013, citant Reuben Grima, 2008, p.40. puis Caroline MALONE, 2008, p.92 et 100 77. Caroline MALONE, 2018, p. 201.
98
MNaJdRA
HAGAR QIMM Spirales
Spirales
Lignes de points + ponctuation
Ponctuations
Chèvres, cochon, bovin
Incision
Gravure (squelette ou plante?) o r n e m e n t f i g u r at i f
idée des 3 animaux fondamentaux ?
ornement abstrait
TARXIEN
figure d’après Caroline MALONE77, l’autel de Hagar Qim.
étrange créature à une corne
1 : Photographie annotée afin de montrer un arrangement possible de cornes, 2 : suggestion de maniète d’empiler les crânes et cornes, 4,5,6,7 : différentes formes de cornes de capridés et bovins.
99
IIII. fa i r e é m m e r g e r l’ e s pa c e
l a r é pa rt i t i o n d e s a m é n ag e m e n t s Il est difficile d’identifier une tendance
l’aménagent. Les niches et autels habillent plutôt leurs
dans le placement des aménagements calcaires au
salles reculées et cachées.
sein de l’espace. C’est pourquoi nous tenterons Doit-on voir une divergence d’ordre conceptuel
seulement ici d’en questionner quelques aspects.
dans l’esthétique et la scénographie du lieu entre ces deux configurations ? Occupation des espaces
La juste place de chaque objet
à Skorba et Ta Hagrat, l’état des vestiges
ne nous permet pas une lecture approfondie sur cet aspect. D’ailleurs, comme nous l’avons vu
Les niches sont le plus souvent placées en
précédemment dans les répertoires de formes
fond d’abside, sauf dans le cas d’espaces plus allongés
calcaires, le mobilier et l’ornement en sont
et écrasés comme l’espace central de Hagar Qim C et
aujourd’hui absents.
celui, du fond, de Mnajdra C, qui sont alors davantage comme un couloir aménagé que comme une pièce où
s’écarte un vide.
à Ggantija et à Tarxien, on trouve de
nombreux trous intentionnels dans les murs des
passages intermédiaires, qui auraient pu servir à
accrocher des animaux ou soutenir les gonds de
l’espace. Que ce soit en façade, où ils marquent un
portes en bois.
espace de transition entre le terrain et le mur, ou
Dans les temples A&C de Ggantija, C de
au sein des cours à l’intérieur des temples, dont ils
Tarxien et D de Hagar Qim, le premier espace
redessinent les contours. Il est très probable qu’ils
dans lequel on entre paraît regrouper le plus
aient aussi revêtu un rôle de maintien structurel, étant
grand nombre de bancs et d’autels finement ornés,
donné qu’ils sont souvent placés devant de grands
quelque chose d’ostentatoire. à l’inverse lorsqu’on
mégalithes verticaux.
Les bancs ont souvent la fonction de souligner
s’enfonce plus en avant dans ces temples, c’est la singularité qui nous frappe plus que la richesse.
Pour Ggantija, c’est un mur de niches en trois
sont ni encastrés dans les murs, ni en plein milieu
Les autels et bétyles, la plupart du temps, ne
parties ; pour Tarxien, un autel haut perché à
de l’espace. Ils y trônent légèrement en marge, mais
l’équilibre fragile et, derrière un hublot, un bas-
servent aussi parfois de séparation entre deux sous-
relief énigmatique où figurent un taureau et une
espaces, comme c’est le cas à Skorba C, Tarxien
vache ; et pour Hagar Qim il s’agit de la petite
C, Mnajdra A et C. Avaient-ils, dans leur usage, un
enclave où se guette le soleil du solstice au travers
devant et un arrière, avec l’espace du prêtre d’un côté
du «trou de l’oracle».
et l’espace de ceux qui assistent à la cérémonie de l’autre ? Ceci est une image moderne que l’on retrouve
En revanche, dans les temples B&C de
aujourd’hui dans les églises chrétiennes par exemple.
Mnajdra, le premier grand espace semble aussi
Mais sûrement que cette différenciation était d’un
large que vide. Seules les entrées monumentales
autre genre dans le cas des sanctuaires de Malte.
D’après plans de Hamelin de Guettelet, d’après Trump ; & modèles numériques tridimmensionels par Madeline G.P. Robinson, 2017, Temples of Malta : Ggantija (Northern Temple), Tarxien Temple Complex
(Eastern Temple, Central Temple), Mnajdra (Southern Temple, Central Temple, Eastern Temple). & Google Street View, exploration partielle, 2017 : Hagar Qim, Mnajdra, Ta Hagrat, Ggantija, Tarxien.
102
Lé g e n d e : énoncé ou visible
niches
supposé (par notre étude)
autels et bétyles bancs et autres socles passages à portique
objets d’art et ornementations
trou de libation ?
foyers et fours
103
l e v o c a b ul a i r e Ta hagrat
c o n s t r uc t i f GGANTIJA
Skorba
emprise au sol
33 m 16 m
45 m
33 m
m a t é r i a u x d e c o n s t r uc t i o n
-
316m²
421m²
1050m²
dont 185 m² de murs
dont 217m² de murs
dont 590m² de murs
fondations ? megalithes verticaux, gravier cyclopéen dalles de pavement pavement de tourbe ?
- fondations, - megalithes verticaux, - dalles de pavement (avec des trous de libation dans l’entrée) - pavement de tourbe (sorte de ciment) - gravier cyclopéen
Présente un mégalithe haut de 3.4 m
-
gros blocs horizontaux réguliers, pillastres verticaux reconstitution maçonnerie cyclopéenne principalement gravier cyclopéen dalles de pavement (+trous lib. couloirs) dalles surrélevées
Beaucoup de blocs utilisés dans sa construction font plus de 3 x 3 m. La plus grande mesure 5,70 x 3,80 m (50t)
a pp a r e i ll a g e Sous-bassement, portiques et niches faits de megalithes longs et orthogonaux. Murs intermédiaires et supérieurs formés de blocs arrondis consolités de pierres plus petites (maçonnerie cyclopéenne).
Gros blocs empilés. Seuls les éléments des portiques, autels et dalles de pavement présentent une géométrie orthogonalisée.
104
Ta hagrat
skorba
GGANTIJA
105
Tarxien
mnajdra
HAGAR QIM
106
MNaJdRA
HAGAR QIMM
1278m²
285 (est) +762 (grands temples ouest) =1047 m²
156.5 (archaïque) +343 + 731 (principal) =1230.5 m²
dont 690m² de murs
dont 112.5 + 367 = 480m² de murs
dont 101,5 + 206.7 + 310 = 118 m² de murs
-
gros blocs horizontaux réguliers, pillastres verticaux (à vérifier) reconstitution gravier cyclopéen dalles de pavement (+trous lib. couloirs) dalles surrélevées
-
gros blocs horizontaux réguliers, pillastres verticaux (à vérifier) reconstitution gravier cyclopéen dalles de pavement (+trous lib. couloirs) dalles surrélevées
-
gros blocs horizontaux réguliers, pillastres verticaux (à vérifier) reconstitution gravier cyclopéen dalles de pavement (+trous lib. couloirs) dalles surrélevées
a pp a r e i ll a g e
Blocs jusqu’à 20 t, parfois 50 t ; 1 mégalithe fin de 0,6 m, haut de 2,7 m et long de 7 mètres (25 t.)
m a t é r i a u x d e c o n s t r uc t i o n
emprise au sol
TARXIEN
Propensions aux pierres orthogonales
Propensions aux pierres orthogonales
Propensions aux pierres orthogonales Tous les blocs sont différents. Jeu de proportions entre les divers niveaux de l’appareillage. Certains blocs sont dentellés de manière à s’encastrer parfaitement avec les autres éléments du murs. Façade monumentale incurvée.
107
la structuration du plan des temples Une base commune
Le plan canonique des temples néolithiques
maltais consiste, comme énoncé dans l’état de l’art, en une façade concave d’où part un couloir marquant le début d’un axe central.
Le long de cet axe se placent une à trois
cours, séparées par de petits couloirs ou portes, et desservant des absides en fer à cheval.
Le tout est compris dans un même mur
d’enceinte massif qui fait une séparation très distincte entre le plan interieur tréflé et l’aspect extérieur plus uniforme.
La plupart du temps, l’adjonction d’un
nouveau temple équivaut à celle d’un nouvel axe de desserte, à part à Ggantija, où l’un des deux est
axe principal
juste prolongé. Et bien qu’il arrive que cet axe ne soit pas exactement rectiligne comme à Skorba,
cour marquée à ses angles
cette répartition d’ensemble est globalement respectée comme trame constitutive.
espaces intersticiels
appendice au plan cannonique
Des «anomalies» qui rendent chaque temple unique
aménagement en façade
Néanmoins on peut identifier certaines désobéissances à cette trame qui n’est dès lors pas si rigide. Il existe par exemple à Tarxien des espaces interstitiels qui exploitent la géométrie résiduelle dévoilée par le démantèlement d’un temple plus ancien au vu de son agrandissement. D’autres de ces espaces se servent plutôt de l’inexploité situé entre plan interne et externe, comme à Mnajdra et Hagar Qim. D’autres de ces désobéissances ponctuant les temples de manière unique sont des appendices prévus dans le plan mais échappant à la structure générale, ou des aménagements extérieurs qui percent l’unicité formelle de la façade.
108
axe principal cour marquée à ses angles espaces intersticiels appendice au plan cannonique aménagement en façade
axe principal cour marquée à ses angles espaces intersticiels appendice au plan cannonique aménagement en façade
109
un parcours séquentiel jeu de limites
profondeur des espaces
marche : estrade ou escalier.
espace premier
aire surrélevée : banc périphérique ou esplanade.
espace second
passage extérieur-intérieur
espace tiers
passage intérieur-intérieur
espace quatrième
passage comportant un obstacle : hublot, ou : entrave décorée (a), fossé (b), autel (c)
espace dont l’entrée est limitée
110
jeu de limites
profondeur des espaces
a b
c
111
Jeu de limites.
Profondeur des espaces.
Un espace n’a pas la même valeur selon
L’espace qui n’est connecté au dehors que
le parcours qui y mène. Nous avons déjà évoqué
par l’intermédiaire d’un seul passage, que l’on nomme
cette notion à plusieurs reprises déjà, concernant
ici «espace premier» reçoit encore, le jour, la lumière
le concept de saint des saints, qui est une fin de
naturelle du soleil, qu’elle soit directe, ou indirecte. On
parcours (pp.30-33) ; l’influence potentielle des
se réfèrera pour cela à notre étude des jeux de lumière
configurations géographiques de l’archipel de Malte,
(pp.40-43).
où un passage mène d’un lieu élargi à un lieu élargi
plus restreint (pp.58-66) ; et enfin en se penchant plus
particulièrement sur la morphologie des portes et
des temples sont le plus susceptibles d’avoir joui d’une
passages de l’architecture des temples (pp. 90-95).
signification hautement sacrée. Mais parfois leur
Le jeu des limites est un jeu entre la nature de
emplacement s’est peut-être expliqué par l’expression
ces portes (couloir régulier, porte en entonnoir, porte
d’autres usages, comme le besoin d’entreposer des
scindée de bancs, hublot, etc.) et le terrassement du
biens, ou de se cacher à la vue d’autrui afin de se
sol. Car la nature de l’obstacle que l’on franchit aura
préparer pour une cérémonie, par exemple.
Les espaces les plus profonds et inaccessibles
sans nul doute un rôle symbolique dans le parcours . 1
1. Jean Guilaine, 2003, à propos d’un de ces types de passage : ces «portes de pierre perforées, avec hublot carré ou circulaire, impeccablement taillé» étaient
probablement une sorte de «passage symbolique en liaison avec un rituel précis». ci-dessous, fenêtre de pierre à Mnajdra C.
112
étude de cas : les temples méridionaux de Hagar qim
Les temples méridionaux d’Hagar Qim ont été
bien la complexité confuse de [leur] plan actuel».
l’objet de nombreuses évolutions et transformations.
Guilaine décrit également une petite chronologie de
D’après Guilaine (2003), ils furent sujets à des
l’évolution de ce plan qui nous aide à appréhender la
«adjonctions et modifications constantes que traduit
construction de ces espaces.
Il y avait très certainement une place dans l’angle laissé entre les temples primitifs A et les temples méridionaux, auxquels on accédait depuis le sud-est, via un couloir à système trilithique.
Cet espace relativement étroit et court faisait la
transition entre espaces ouverts du dehors et l’espace intérieur sacré, dont la réouverture dimensionnelle est plus mesurée. Passant sous les dalles de l’architrave, on laissait la lumière ambiante du paysage ouvert pour la pénombre, qualifiée par l’épaisseur du mur d’enceinte, avant d’accéder au ciel encadré par les murs internes, ou bien un plafond à claustra filtrant la lumière voire un plafond opaque.
113
Là, on débouche dans une pièce pavée et
légèrement trapézoïdale, où se découpent trois portes soulignées par des bancs de pierre. Entre deux de ces portes, sur la gauche, se trouve l’autel sculpté et orné, peut-être l’exemple le plus unique de son époque, sous lequel (ou dans lequel ?) étaient cachées les venus d’Hagar Qim. Cet objet porte en soi quelque chose d’architectonique : base, pilastres aux angles, corniche et toit, en plus d’être le lieu de résidence de ces statuettes. C’est une miniarchitecture dans l’architecture.
Les deux portes latérales sont des fenêtres
taillées dans la masse des mégalithes, seul accès à ces autres pièces. Il y a quelque chose de plus intime, presque symbolique, dans ces passages. On imagine quelqun levant haut les pieds, l’échine recourbée, s’appuyant de ses mains sur les bords de la fenêtre
Les venus de Hagar Qim, sans tête, elles en auraient eu une, amovible, en bois.
pour traverser ces portails. Puis, quelqu’un d’autre, qui n’avait pas le droit d’entrer, tendant seulement un récipient de ses mains.
Ces seconds espaces sont semi-circulaires,
et ne mènent à nulle part ailleurs. L’espace offert par l’ovoïde de la construction interne du temple est en fait subdivisé en trois parties (abside, entrée, abside) par des murs mégalithiques.
Dans l’axe de l’entrée, le parcours se poursuit au travers d’un second porche. Il se compose de deux paires de piliers qui resserrent et relâchent l’espace : la première partie de la porte est plus étroite, tandis que pour la seconde, les pilier sont deux fois plus éloignées l’un de l’autre, à la manière d’un entonnoir inversé.
114
C’est l’entrée de la seconde construction
interne qui, à l’origine, n’était pas reliée directement à l’extérieur. Elle est beaucoup plus allongée que la première, d’autant plus qu’ici, l’espace n’est pas si nettement divisé. La cour centrale rectangulaire qui structure l’espace n’est marquée que par des piliers d’angle, les absides sont ainsi ouvertes sur elle.
L’abside en fer-à-cheval de droite est séparée
en deux par un petit muret qui la rend tout à la fois visible et détachée. C’est celle du fameux «trou de l’oracle» par lequel passeraient les rayons du soleil levant au solstice d’été.
L’abside de gauche, quant à elle, est plus
allongée, légèrement incurvée comme si la chambre se repliait sur la construction ovoïdale du sud-est. Elle donnait auparavant sur une dernière abside désaxée, par la suite transformée en une niche afin, semblet-il, de faire place aux travaux d’agrandissement qui donneront aux temples l’agencement que l’on peut voir aujourd’hui dans ses ruines.
Cette partie de l’ovoïde comporte maintenant
trois grandes niches ainsi que deux petits autels assez simples et néanmoins stylisés. Ils marquent l’entrée d’un espace interstitiel entre le plan intérieur final et l’enceinte. Est-ce de cet espace que l’on parle quand on évoque l’ancienne abside désaxée transformée en niche ?
La première extension se serait néanmoins
limitée au démantèlement du mur mégalithique en deux points du second grand ovoïde, pour les remplacer par des ouvertures trilithiques.
L’ u n e e s t a m é n a gé e a u fo n d d e l ’a b s i d e
gauche, et sert à relier le temple à une nouvelle abside, surrelevée de bien 50 cm par rapport au reste du temple et ainsi marquée dès son porche d’entrée, dans l’axe duquel se trouve, dans le mur opposé, une niche.
Cette nouvelle pièce fut construite là où
l’asymétrie du temple suggérait déjà un espace lové dans l’angle contre le premier ovoïde. En outre les concepteurs de l’architecture néolithique maltaise avaient un goût pour un plan complexe composé de formes arrondies contenues et contraintes dans une seule enceinte à la forme simple
115
et arrondie. Cette tendance paraît les avoir incités à adjoindre les nouvelles chambres là où l’ensemble du plan était le plus irrégulier. Nous verrons dans une étude suivante comment les extensions auraient pu être différentes afin de mettre en évidence la pertinence de leurs choix.
L’autre démantèlement ponctuel concerne une
nouvelle ouverture sur l’extérieur du temple, placée dans l’axe formé par la première entrée et les passages intermédiaires qui la suivent. Dès lors, il est possible de traverser le temple en ligne droite dans une séquence extérieur, chambre, chambre, extérieur, à chaque fois séparés par des portes trilithiques. Mais si le temple est alors traversable, il ne l’est pas dans son entièreté puisque l’on doit s’éloigner de cet axe afin de parcourir sa partie sud-ouest.
Lors de la dernière phase d’agrandissement des
temples méridionaux, l’asymétrie de la géométrie du plan, côté ouest, est poursuivie. Les nouvelles absides sont disposées de manière à tourner autour du fond de
E
l’abside gauche du second ovoïde du premier temple, donnant cet aspect actuel en pâte de chien. Néanmoins il semblerait que les nouvelles
C
chambres ne soient plus pensées comme connectées au plan interne du temple préexistant. Elles n’ont
F
toutes qu’une seule entrée, donnant directement sur l’extérieur. Il faut tourner autour du sanctuaire pour atteindre chacune d’entre elles.
C’est du moins l’interprétation officielle, dont
G
nous ne connaissons pas les détails de raisonnement. Tout du moins aujourd’hui de minces passages existent, même s’ils s’apparent plus à des interstices entre deux
D
mégalithes, maintenus stables par un petit rocher, qu’à de vraies portes. S e u l e s l e u r gé o m é t r i e e t l e u r s t r u c t u re s’entrecroisent. à un endroit, deux de ces dernières absides partagent un même appui de manière à former
autres jusqu’à arriver contre l’ancienne abside désaxée
leurs niches.
du plan de Hagar Qim C, la substituant à ce moment Lo g i q u e m e n t , o n s ’ i m a g i n e r a i t q u e l e s
par une niche pour que tout rentre. Cependant, ce n’est
constructeurs auraient commencé par adjoindre la
pas ce qu’ont décrété les archéologues d’après leurs
chambre qui, des trois, se place le plus au sud, adossée
fouilles, qui établiraient plutôt l’ordre de construction
à la chambre D. Puis qu’ils auraient ajouté les deux
de ces trois dernières extensions dans le sens inverse.
116
Le tout a été englobé dans le même mur
Le seul moment architectural qui n’est pas
d’enceinte qui unifie son ensemble complexe. Au lieu
avalé par ces façades monumentales est le recoin
de présenter un amas d’extensions chaotiques, la
formé par les deux grands ovoïdes de départ (est de
forme extérieure simplifie cette variété par de grandes
Hagar Qim C), là où sort ce «trou de l’oracle» que
courbes convexo-concaves d’une grande originalité.
traverse la lumière du soleil en un moment particulier de l’année. Là, fut installé un autel à la géométrie basique, derrière et autour duquel se tiennent trois bétyles (monolithes fins et très nettement verticaux). Cet aménagement a comme particularité de se trouver sur le chemin de la lumière et de rendre inaccessible le «trou de l’oracle» aux rayons du soleil, mis à part en temps voulu.
Plusieurs aspects de ce sanctuaire, complexe
et original, mais aussi partiellement dégradé (ou peut-être aussi mal interprété et altéré durant sa reconstitution), nous restent difficiles à comprendre. En partie aussi parce qu’au-delà de la logique et du plan canonique, l’unicité et l’étrangeté de chaque sanctuaire à Malte recèlent un récit unique qui nous échappe. Une série de choix dont on ne peut pas toujours reconstituer l’ordre exact, et des modifications où ce qui a été remplacé n’a pas toujours laissé de traces de son passage momentané. Toutefois, la richesse des espaces ; dans les parcours qui y mènent, les portes qui les ferment et les ouvrent, dans leurs dimensions, leurs formes interdépendantes, et leurs aménagements toujours réinterprétés à usage unique (niches, autels...) ; est,
Ci-dessus, maquette de musée à Malte, représentant la trajectoire des rayons du soleil levant au solstice d’été.
quant à elle, saisissante même à nos yeux ignards.
117
le pr é - existant et l ’ extension Un livre aux chapitres séculaires
les potentiels moments de l’architecture qui pourront désobéir au canon théorique. Car le premier existant,
Comme nous l’avons vu dans la répartition
l’extension qui le suit, suggère nécessairement l’univers
spatio-temporelle des sanctuaires sur l’archipel (pp.68-
des possibles suivants.
77) et l’étude de cas sur Hagar Qim (pp.113-117), les sanctuaires auraient subi des modifications graduelles
au cours du temps, apparemment espacées de plusieurs
même image-mère. 78 Ils parlent ainsi la même langue
siècles.
sans jamais raconter la même histoire.
Ce sont des schemes divergents à partir de la
Cette considération implique que les
constructeurs soient intervenus près de ou sur des édifices bâtis par leurs ancêtres. Peut-être aussi le
M o d è l e s t h é o r i q u e s d ’a g ra n d i s s e m e n t s
rythme du chantier de construction était-il si lent qu’il fallait plusieurs générations pour concevoir
et construire un temple, à l’instar des cathédrales
à-dire qu’elle se place par rapport à l’existant sans en
médiévales. Ce qui ne serait pas si étonnant au vu des
altérer morphologie (l’existant reste alors une entité
moyens technologiques dont les ouvriers disposaient.
individuelle), ou «architectural», et donc modifiant la
forme même du bâti.
Peut-être aussi les extensions suivaient-elles
L’intégration peut être de type «urbaine», c’est-
les besoins d’usage d’une population croissante et s’adaptaient-elles aux mutations graduelles de la société 77 .
Les petites constructions primitives ne sont
jamais intégrées de manière architecturale et sont intégrées plutôt comme un élément d’urbanisme.
Les seuls langages transcrits qui se
Néanmoins les nouvelles constructions gardent un
transmettaient d’une génération à l’autre étaient alors
rapport parfois étroit de voisinage avec elles.
l’art et l’architecture. C’est pourquoi il est intéressant de se pencher sur la manière dont cette écriture était
poursuivie au fil des siècles. Le grand livre mémoriel
extensions suggèrent une relative contemporanéité
de la civilisation maltaise, c’est l’architecture.
de conception.
Le langage de l’espace n’est pas si éloigné de
Si l’on prend en compte cette tendance dans
la communication verbale. Selon Leroi-Gourhan, la
l’architecture maltaise à vouloir unifier l’édifice par
spatialité est même constitutive du langage humain, à
l’extérieur, le souci du comblement des vides et des
l’image de la communication primitive d’un enfant ne
recoins revêt un intérêt tant morphologique que
sachant pas parler et qui, par les gestes et l’usage de
pratique, car les utiliser au lieu de devoir les remplir
l’espace, parvient à se faire comprendre.
revient à faire une économie d’efforts.
74
Par ailleurs, certaines logiques dans les
Ainsi, il nous semble que Ggantija C, par exemple, a été pensé au moment de l’extension de Une chronomorphologie
Ggantija par les temples B.
Il ex i s te p l u s i e u rs m oye n s d ’a g ra n d i r et
On observera également que, lors de l’apogée
d’agglomérer les temples tout en en conservant la
technique et stylistique que représentent les derniers
structure fondatrice. Des choix de conception ont été
sicècles d’édification des temples, l’organisation
faits à chaque étape d’intervention, d’où une certaine
spatiale devient nettement plus complexe, en raison
complexité formelle.
d’extensions plus tendantiellement incorporées à
L a c h ro n o l o g i e d e c e s t r a n s f o r m a t i o n s
l’existant (Tarxien, Hagar Qim) qui génèrent, par une
morphologiques influe sur l’état final du sanctuaire et
alchimie du chaos, de nouvelles expériences spatiales.
118
modèle de développement général des complexes templiers
intégration urbaine sur la même aire
intégration architecturale, finalement englobée dans un même mur d’enceinte
de façon dispercée
créant une
NB : cela se produit plutôt dans les
géométrie
phases SAFL-TARX
d’ensemble
intégration ADOSSée construction contre
intégration incorporée
l’existant qui modifie
construction qui transforme
les façades mais sans
le plan interne de l’existant,
connexion interne, avec
avec des connexions internes
des entrées distinctes
coude-à-coude utilisant l’enceinte existante comme appui
Collision
integration
integration
démantèlement partiel et agrandissement de l’enceinte existante
INTRUSIVe
INclusive
par le dégagement
par la création d’une
de certains blocs
nouvelle entrée devant l’entrée précédente
(+ abs) pour ajouter des absides à l’intérieur du parcours, voir un temple plus ou moins grand (façon Tarxien)
(+ ent) pour créer une nouvelle entrée
78. D’après Dominique Raynaud, 1998, les schèmes divergents instaurent un réseau d’images. Ils sont «divergents» en ce qu’ils manifestent un mouvement centrifuge, «qui produit un écartement, une séparation, ou une dissociation».
77. Selon Hermann Parzinger, 2017 « c’est difficile de trouver une certaine constance. C’est d’ailleurs typique des cultures préhistoriques. On n’a pas d’institution qui se transmet de génération en génération comme l’écriture, la prêtrise, ou la dynastie ». 74. André Leroi-Gourhan, 1964.
119
Ta hagrat
Skorba
env. 4850 B.C.
4100 - 3800 BC
site antique
A, B / urbaine, dispersé Constructions primitives, «domestic huts», petits ovoïdes agglomérés par deux.
3600 - 3000 BC
A / première construction
4100-3000 BC
A / première construction Plan en trèfle ou : plan à 3 absides
3600 - 3000 B.C.
C / urbaine, géométrique Ovoïde avec abside centrale ou : plan à 3 absides.
Plan en trèfle ou : plan à 3 absides.
GGANTIJA
3600 BC
C / architecturale, collision Ovoïde -> passage -> ovoïde avec niche. ou : plan à 4 absides + niche. ALTERATIONS : 2 temples non contemporains unis par un même mur d’enceinte. Les 2 entrée sont du même côté et marquées par une façade concave.
3300 - 3000 BC
B / architecturale, intrusive (+abs) Ovoïde avec une grande abside à gauche et deux petites à droite ou : plan à 4 absides. ALTERATIONS : Apparent démantèlement de la niche de l’abside nord-est de Ta’hagrat A afin d’aménager un passage vers Ta’Hagrat B.
2900 - 2500 BC
D / architecturale, collision Succesion d’ovoïdes (un premier, puis une niche ouverte donnant sur le second qui comporte une fausse niche). ou : plan à 4 absides + niche ALTERATIONS : Démantèlement du mur d’enceinte de Skorba C pour accoler la première chambre de Skorba D.
120
3600 -3000 BC
B / architecturale, inclusive Extension de Ggantija A : ovoïde + nouvelle entrée
TARXIEN
MNJARA
HAGAR QIMM
prima di 3600 BCE
3250 BC
A / première construction Constr. primitive : couloir + 3 petits ovoïdes, du plus large au plus restreint.
A / première construction Petit ovoïde + niche + constructions adossées mal conservées
3600-3000 BCE
3000 BC
B, C / urbaine, dispersé B : couloir -> ovoïde -> couloir -> ovoïde «coupé» afin de former une niche.
B / urbaine, géométrique Passage -> ovoïde -> ovoïde avec niche ou : plan à 4 absides + niche.
C : façade concave -> couloir -> ovoïde triparti -> passage -> tri-absidal qui sera ensuite transformé.
3000-2500 BCE
2900 - 2500 BC
D / archit., collision intrusive Plan complexe (tente de réunir Tarxien B et C), basé sur une géométrie de type: couloir -> grand ovoïde -> passage -> ovoïde -> niche ouverte -> petit ovoïde avec niche. ALTERATIONS: apparent démantèlement: - de l’angle sud-ouest de la 1ère chambre de Tarxien B - de la partie nord-est de la dernière chambre dei Tarxien C
C / architecturale, coude-à-coude Façade concave -> petit couloir -> chambre ovoïdale donnant sur des espaces tout autour d’elle : - chambre angulaire N.-E. (espace formé de lui-même lors de la jonction avec Mnajdra B, et conservé) - au symétrique : niche S.-E.- en face de l’entrée, à l’O. : 2 niches et deux passages en alternance, passages donant sur une chambre de forme allongée et courbe, avec 4 niches + 1 abside. - en biais de l’entrée, N.-O., une percée.
121
A / première construction Construction primitive : conglomérat de chambres à géométries variées.
3600-3000 BCE
B / urbaine, dispersé Façade concave -> passage -> ovoïde -> tri-absidal. ou : plan à 5 absides.
3000 - 2500 BC (estensioni su almeno 5 seccoli)
C / urbain, dispersé ; D / architectuale, intrusive E, F, G / architecturale, collision C : 4 absides + 1 abside desaxée. ALTERATIONS : - l’abside desaxée remplacée par une niche - extension D favorisée par le démantèllement de la seconde chambre gauche de Hagar Qim C. - L’ensemble des extensions a été englobé dans le même mur d’enceinte.
Sc é n a r i o s d ’ e x t e n s i o n a lt e r n at i fs Nous limiterons cette étude aux extensions que
ce qui est nécessaire à notre compréhension des
l’on a appelées «architecturales» (sauf une exception
dynamiques morphologiques.
dans le cas de Tarxien). car, bien sûr, on ne se propose pas de tester l’ensemble des scénarios possibles, qui
S e l o n l a c o m p l e x i t é d e s s a n c t u a i re s e t
regrouperaient trop de possibilités, mais uniquement
l a d i m e n s i o n d e s e s p a c e s , l ’e x p é r i m e n t a t i o n
ta h ag r at typologie d’extension : architecture intrusive (+absides)
adossée (collision)
intrusive (+ abside) et (+entrées)
départ A
inclusive
intrusive (+ abside, à l’ouest au lieu du nord)
adossée (collision), une seule abside façon Hagar Qim
122
adossée (coude-à-coude)
inclusive
théorique varie. Puisque, par ailleurs, si l’on teste
systématiquement les mêmes dispositions, on se rend
les espaces de finition de parcours comme les absides
ra vite compte que l’on retombe, à peu de chose près,
fermées par des portes à hublots et les absides de fond
sur des typologies déjà existantes. Le but ici est de
(selon les cas) ; mais aussi dans le cas de l’abside du
mixer et de désordonner les typologies d’extensions
trou de l’oracle de Hagar Qim. La création de nouvelle
précédemment identifiées.
entrée ne doit pas non plus se faire de manière à ce
Par ailleurs, nous ferons attention à respecter
que le temple devienne intégralement traversable, sans quoi on perdrait le principe de profondeur des espaces.
s ko r b a typologie d’extension : C : architecture adossée (collision)
intrusive (+ absides)
départ C
intrusive (+ abside)
intrusive (+entrée)
inclusive
adossée (coude-à-coude)
collision intrusive (façon Tarxien)
123
GGANTIJA typologie d’extension : B : architecture adossée (collision) C : architecture inclusive
inclusive
intrusive (+absides)
départ A
inclusives adossée (coude-à-coude) intrusive (+absides) et (+entrée)
intrusive (+absides)
départ A+B
adossée (coude-à-coude)
intrusive (+entrée)
124
TARXIEN typologie d’extension : B et C : urbaine, dispersée D : architecture intrusive (+absides)
départ A
urbaine géométrique
départ A+B
archi. adossée (collision)
collision intrusive (façon Tarxien)
archi. adossée (coude-à-coude)
collision inclusive
inclusive
départ A+B+C
intrusive (+abside) collision intrusive (façon tarxien)
125
MNAJDRA typologie d’extension : B : urbaine, géométrique C : architecture adossée (coude-à-coude)
adossée (coude-à-coude)
départ A
inclusion
adossée (coude-à-coude) inclusion adossée (coude-à-coude)
départ A+B
intrusion (+ abside) collision intrusive (façon Tarxien)
126
HAGAR QIM typologie d’extension : B et C : urbaine, dispersée D : architecture intrusive (+absides) E, F, G : architecture adossée (collision)
collision intrusive
intrusive (espace de fond à doule entrée façon Mnajdra C)
intrusive (+absides)
départ D (difficile de savoir exactement quelle forme avait l’abside desaxée)
intrusive (+entrée)
inclusive
départ D 2e version
adossée (collision)
Nous avons ici tenté diverses extensions
seuls couloirs d’entée dirigés vers le nord étant des
possibles de Hagar Qim C sans toucher à l’abside où
sorties supplémentaires). Ces esquisses se révèlent
se trouve le trou de l’oracle, et de ne pas orienter
maladroites et mettent en évidence le fait que la
non plus de nouveaux temples vers le nord (ceci
seule solution vraiment cohérente est celle qui a été
ne s’étant jamais fait dans les temples maltais, les
effectivement réalisée à Malte.
Note :
127
V.
c o n clu s i o n
considérantions d’ensemble s u r l ’ a lc h i m i e d u c h a o s
L’architecture néolithique des temples maltais
La plupart du temps, ces temples doivent
s’est développée dans une relation étroite à son
leur beauté à leurs étrangetés : asymétrie qui détone
environnement géographique. L’emplacement des
dans l’ensemble, angles où s’improvise un espace
sanctuaires au sein de la topographie, leur orientation
biscornu, volume tordu contre les murs d’un autre ;
par rapport aux vallées, à la mer et au soleil ; mais
elles semblent hasardeuses et contribuent pourtant à
aussi la maîtrise du calcaire, corps même de l’archipel
conférer à chaque lieu une identité unique.
devenu corps des temples et support de langage ; contribuent à en faire l’intermédiaire évident et
légitime entre l’humanité et son milieu.
tous différents nous semble l’emporter nettement
Cette unité de l’ensemble à partir d’éléments
sur la parfaite régularité et la symétrie. Même s’il
Les temples catalysent les perceptions de ce
est vrai que le développement technologique d’alors
milieu et les amplifient par le cadrage parcimonieux
ne le permettait sans doute pas, il y a dans cette
qu’elles en font. Le fait de simplifier les «saillances» 54 chaotiques de la nature par des formes plus régulières
architecture une poésie que l’on a peut-être trop
et stylisées est pareil au fait de placer une idée dans un
simple symbole. L’architecture renvoie ainsi à l’entièreté
contribue à faire de cette architecture une alchimie
du paysage dont elle vient grâce à l’abstraction de ses
du chaos. Elle est représentative, quelque part, de la
formes. Ainsi, la «prégnance» 54 propre à ce territoire
complexité du sentiment humain.
perdue aujourd’hui. L’inclusion de l’imperfection comme norme
investit-elle ce lieu d’une manière très forte, puisqu’il est plein de renvois implicites.
L’e x p r e s s i o n p l a s t i q u e e s t e n v é r i t é l a
matérialisation d’un regard et d’une pensée, ce qui L’image-mère 78 du monde perçu au-dehors
amène l’architecture à entourer un coeur insaisissable,
a dérivé pas à pas en un langage propre à cette
puis, avec les siècles, à en devenir le fossile.
civilisation, jusque dans son mobilier de pierre et d’argile (artefacts, autels, niches, ornements).
Ces sanctuaires sont, en tout cas, une belle et
fondamentale leçon d’architecture que l’on aurait tort Et il existe dans ces sanctuaires, c’est certain,
de négliger en raison de son âge préhistorique. Car,
une attention à la composition d’un parcours sur lequel
là où les mots n’ont pas de lettres, les idées ont des
se suivent différentes qualités géométriques, bien que
formes. Là où il n’y a pas de papier, les seuls livres sont
leur sens soit tombé dans l’oubli.
d’architecture.
54. René THOM, 1988.
78. Dominique Raynaud, 1998.
130
p e r s p ec t i v e s d ’a pp r o f o n d i s s e m e n t Nous n’avons pas analysé ici l’appareillage
l’invalider. Car, d’ailleurs, celle-ci n’est pas certaine,
des façades intérieures et extérieures ni la proportion
étant donné qu’il est impossible de dater la taille d’une
des assises. Il nous faudrait pour cela nous rendre
pierre au carbone 14 et que leur formation au niveau
directement sur place afin d’établir un relevé des
géologique est aussi bien antérieure à l’arrivée des
élévations (faire un relevé photogrammétrique
premiers Hommes. à ce qu’il paraît, seule l’occupation
systématique, des croquis, prendre des mesures).
stratigraphique du site est datable.
L’analyse des jeux de lumière et les divers
scénarios de plafond manquent également à
notre travail. Pour cela certaines données comme
dans notre corpus les tombeaux hypogéïques de la
évidemment, nous n’avons pas non plus intégré
la trajectoire exacte du soleil à cette période de
Malte néolithique, ce qui est un véritable manque étant
l’humanité nous manquent. Elles seraient à mettre
donné leur complémentarité formelle et conceptuelle
en jeu dans un modèle tridimensionnel de manière à
avec les temples.
pouvoir calculer la trajectoire de la lumière. D’autres détails physionomiques, comme ce
En f i n , u n e a u t re p e r s p e c t i ve p l u s l a rg e
que peuvent potentiellement dire les vestiges, sont
pourrait être d’appliquer cette méthodologie d’étude
trop difficiles à appréhender sans les avoir vus en vrai.
architecturale à d’autres sanctuaires et tombeaux du néolithique. Il s’agirait d’explorer, en outre,
Une autre question pourrait être de savoir
l’architecture concentrique du Göbekli Tepe et de
si, d’après l’analyse architecturale, il est possible de
l’Anatolie proto-néolithique, la primitivité expressive
remettre en question l’interprétation de la chronologie
d e s a rc h i t e c t u re s d e b o i s d a n u b i e n n e s e t d e s
d’édification des temples, et ainsi de la valider ou
architectures funéraires bretonnes.
131
retours
méthodologiques identifier les paramètres en cause
images-mère génératrices
architecture symbolique
paysage :
LUMIèRE
au sens
espaces
séquence d’espaces
d’environnement
construction
géographique
caractérisation
formes
matière : calcaire et ses
objets sculpture de la pierre
de l’espace passages et portes
caractéristiques biais cognitif culture préhistorique
ornementation
maltaise
Cultures néolithiques méditerranéennes
extensions du système architectural
réseau de données à analyser (raisonnement déductif)
Pour cette étude, nous avons mobilisé divers
La seconde étape consistait à acquérir
supports de connaissance.
des repères quant au corpus étudié : identifier
chaque sanctuaire visuellement, spatialement et
L’investigation a principalement débuté par des
matériaux théoriques.
chronologiquement. Afin d’avoir un aperçu rapide, le
Il a f a l l u a m a s s e r t o u t e s l e s ré fé re n ce s
site officiel du patrimoine de Malte a été très utile. Mais
et notions parlant du rapport homme - nature -
pour comprendre réellement à quel temple appartient
architecture, intervenant dans la genèse des formes.
un élément de l’architecture et où il s’y place, l’étude
Le contenu pertinent provenant du cursus universitaire
patiente d’un grand nombre de photographies et vues
et des lectures conseillées devait ensuite être relevé
tridimensionnelles (ou street view) est nécessaire. Les
et classé.
répertoires permettent de s’y retrouver malgré leur
manque de clarté (images petites et peu commentées).
Un autre matériau théorique assez dense
consiste à se créer une culture globale des grandes dynamiques de la préhistoire européenne, afin d’avoir
conscience de ce qui a précédé l’objet d’étude ainsi
rédaction de l’état de l’art permet d’avoir à l’esprit les
que de son contexte. L’apport d’abord léger fourni
investigations archéologiques et aspects déjà explorés
par des documentaires archéologiques grand public
du sujet et ainsi de se faire une représentation plus
a été consolidé et nuancé par un cours d’archéologie
riche de l’ensemble. De là, viennent les pistes à suivre
préhistorique, choisi et suivi en Erasmus.
en tant qu’architecte.
132
Complémentairement à cette approche, la
implantation dans la topographie
marins, premiers colons
course solaire
climat
Humain + Milieu
Théorie sur Malte
anthropologie préhistorique
géographie : perception et cognition
orientations solaires
répartition des sites
Diagrammes solaires
Données sur Malte
Théorie générale
topographie
Cartes
géologie des sols
Matière Répertoires de formes
phénoménologie de la perception
formes géologiques remarquables
cas par cas plan canonique
DISTRIBUTION des espaces Orientation
scenari alternatifs
LANGAGE MATERIEL
philo.
Théorie sur Malte
objets d’aménagement
Plans
extensions
Théorie générale
art préhistorique ornement
construction
Données sur Malte
toiture ?
dynamique des formes
Matière Répertoires de formes
portes et passages
133
matériaux internes / externes
cas par cas structure des plans
DISTRIBUTION des espaces
scenari alternatifs
course solaire
Plans
logique transformative
SYNTHèSE
construction
Orientation
topographie
répartition des sites
Diagrammes solaires
Théories Données sur Malte
Cartes
géologie des sols
ornement
Matière objets d’aménagement
Répertoires de formes
formes géologiques remarquables
portes et passages
Ensuite, viennent les cartes et plans que nous avons retravaillés afin de les étudier thème par thème, de faire apparaître graphiquement le discours (ce qui est parfois plus efficace qu’un paragraphe).
La méthode d’analyse des documents et
de constitution des répertoires consistait en une étude systématique de l’ensemble du corpus et des paramètres de manière exhaustive, même quand aucune conclusion significative ne s’y rattache. Car l’important, dans ce papier, est de considérer la corrélation des paramètres étudiés, sans pour autant affirmer détenir toutes les réponses.
134
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d o cu m e n t s d o cu m e n t s
s o u r c e s & p r o d u i t s
S u p p o r t d ’é t u d e d u p l a n s d e s t e m p l e s :
Par Hamelin de Guettelet, travail personnel
d’après Trump, domaine public. Ces documents, présentés ici, mentionnent des indications concernant la chronologie des différentes parties des complexes et la localisation de certains objets.
Ils ont été utilisés comme base pour produire
les documents p. 4, 5, 33, 38-39(avec d’autres sources), 41 (en haut à droite), 42, 103 (avec l’aide d’autres sources), 104 et 107 (silhouettes en haut redessinées schématiquement en vectoriel), 108 à 111, 120, 121.
Les documents p. 122 à 127 ont été entièrement
redessinés par moi, en reprenant l’information fournie.
138
Autres documents composés sur base d’une ou
paysage. Fonds de carte topographique : Esri World
plusieurs sources :
Topographic map ; niveau du fond marin : d’après carte issue de l’article de Martyn Pedley, The Calabrian Stage, Pleistocene highstand in Malta: a new marker for unravelling
p. 14 : a. frise chronologique trouvée sur le site de
the Late Neogene and Quaternary history of the islands,
Marek Líška, 2D Museum visit – Transparency: Literal
fig.10, ln. Journal of Geological Society, https://jgs.
and Phenomenal, https://ceramicliska.wordpress.com/
lyellcollection.org/content/168/4/913/F10
tag/transparent/
annotations : d’après plans des temples.
b. carte du centre méditerranéen, assemblage de deux
p. 71, 73 : dessins vectoriels, personnels, d’après vues
calques différents d’Esri World Topographic Map (relief
Google Street View.
et eau) + dessin vecoriel personnel. p. 83-85 : carte géologique retravaillée d’après : p.50-51 : carte de la néolithisation. Fond de carte :
fond de carte principal : Continental Shelf
FineArtAmerica, West & East Mediterranean Sea 3d
Department, Geological Map of the Maltese Islands,
Render Topographic Map Neutral ; dates par région :
https://continentalshelf.gov.mt/ ; niveau du fond marin
d’après carte issue du livre de Jean-paul Demoule,
: d’après carte issue de l’article de Martyn Pedley ;
La révolution néolithique dans le monde, CNRS éditions.
emplacement des sites : Google Maps.
p. 54, a : carte topographique de la Sicile, Wikimedia
p. 58, et 60 à 65 : a. petite carte de malte. Fonds de
Commons (changement de couleur de l’eau).
carte d’après : Google Earth, Esri World Topographic Map (topographie ombrée) ; niveau du fond marin :
p. 54, b : carte du centre méditerranéen, assemblage de
d’après carte issue de l’article de Martyn Pedley
deux calques différents d’Esri World Topographic Map (relief et eau) + dessin vecoriel personnel.
b. captures d’écran satellite de Google Earth, annotées.
p. 56-57 : carte de l’archipel de Malte, fond de carte
p. 114 : dessin vectoriel, personnel, d’après vue de
: Esri World Topographic Map, ajout de couleur et
Google Street View.
d’emplacements de lieux explorés sur Google Maps et Google Street View.
p. 116 : photo aéerienne de Hagar Qim, annotée.
p. 67 : graphiques synthétisés personnellement d’après les informations chronologiques de Heritage Malta, et études climatiques de Belinda Gambin et Christopge
Liste des documents présentés tels quels, au
Siart (voir notes de bas de page)
maximum recadrés :
p. 69 : frise chronologique personnellement réalisée, d’après les informations de Heritage Malta et Bradshaw
p. 30 et 33 : croquis de crâne surmodelé et extrait du
Foundation (voir notes de bas de page)
plan du Göbekli Tepe issus du livre de Klaus Schmidt, 2015, Le premier temple, Göbekli Tepe, CNRS éditions.
p. 69 ; et p. 70, 72, 74-76 partie haute : petites cartes de Malte. Source du fond de carte topographique :
p. 32 : plan de la Grotte Chauvet issu du livre de Jean
Wikimedia Commons ; source de l’emplacement des
CLOTTES (sous la dir. de) et. al., La grotte chauvet, l’art
sites : d’après carte de Hamelin de Guettelet.
des origines, 2001, éditions Seuil, Paris, 224 pages.
p. 70, 72 74, 75 partie basse, et p. 77 : cartes du
p. 33 : plan de la Grotte de Lascaux issu du livre de
139
Norbert AJOULAT, Lascaux : le geste, l’espace, et le temps,
dello Stato, Roma.
2004, éditions du Seuil, Paris, p. 31. p. 80 : carte de répartition des obsidiennes issue d’un p. 52 : carte des différentes «impressa» du centre
article de Jean Vaquer, 2017, (fond de carte : DAO Muriel Gandelin).
Méditerranéen, issue des diaporamas du cours de Fabbio NEGRINO (voir Bibliographie)
p. 81 : Vella Clive, The lithic toolkit of the Late Neolithic
p.53 : dessins de Francesco Giarrizzo, issus du livre de A. Taramelli 1919, Fortezze, Recinti, Fonti sacre e Necropoli preromane nell’Agro di Bonorva (Prov. di Sassari), ln. Monumenti Antichi dei Lincei, XXV, fig 44 et 45 pp. 102-103 + fig ? p. ?
pp. 85-102.
Ta’ Hagrat, Malta, 2009, Origini XXXI, Nuova Serie IV,
p. 99 : portion de figure d’après Caroline MALONE, Manipulating the bones : eating and augury in the Maltese temples, 2018, ln. Ritual, Play, and Belief in Evolution and Early Human Societies, publié par Colin Renfrew, Iain
p. 56 : dessin de pirogue de la Marmotta, issu de l’article
Morley, Michael Boyd, Cambridge University Press, p. 201.
de Maria Antonietta FUGAZZOLA DELPINO et Mario MINEO, La piroga neolitica del lago di Bracciano (“La
Outils de calcul du diagramme solaire : https://www.
Marmotta 1”), 1995, ln. Bulettino di Paletnologia Italiana,
sunearthtools.com/
volume 86, nuova serie IV, istituito Poligrafico e Zecca
c r é d i t s P HOTOS
Couverture : photomontage d’après trois
p. 11 : photographie de la façade d’Hagar Qim trouvée
images, dont une photographie de Xiaohua Zhao,
sur http://www.ourancientworld.com/.
The Mirrored Night (reflet du ciel étoilé dans le lac de sel de Uyuni, Bolivie), une illustration en fractal art
pp. 12-13 : photo de la statue géante de Tarxien,
de la simultanéïté quantique et un photographie d’un
«Tourism Media».
fragment de la façade des temples méridionaux de Hagar Qim.
p. 24 : photographie aérienne des temples de Tarxien issue du livre de T. ZAMMIT, The Neolithic Temples of
Aucune des nombreuses photos n’a été prise
Hal-Tarxien Malta, 1927, Malta.
personelllement. Certaines sont des captures de Google Street View, mais pour beaucoup la source
p. 25 : photographie d’une façade des temples de
est difficile à identifier parce qu’elles sont largement
Ggantija par «Libre Voyageur», trouvée sur https://
utilisées par les sites de voyage et de tourisme.
www.librevoyageur.com/que-faire-a-malte. p. 32 : photographie de Patrick Aventurier, La
p. 8 : photographie de l’autel orné d’Hagar Qim par
fresque des lions restituée dans la Grotte Chauvet 2
Shamus O’Reilly, Don’t let the door hit you on the way
Ardèche, https://www.grottechauvet2ardeche.com/.
out, flickr.com p. 51, vue aérienne de Choirokoitia. Photo de Thomas p. 10, phorographie de l’île de Fifla par Tim Hulsen
Sagory, Neolithic site of Khirokitia, flickr.com
and Miaomiao Zhou, The island of Filfla in the Mediterranean Sea, http://www.ourtravelpics.com/
p. 64 : photo centrale de la Cathedral Cave prise par
photo/malta/474/
Brian Azzopardi.
140
i m p r imé à Lyon, France. éco l e n ati o n al e s u p é ri e ure d ’a rchi tecture d e lyon, 2020