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B. Concept

Tout comme les édifices religieux et les monuments antiques, les bâtiments industriels fascinent car ils mettent en scène l’époque à laquelle ils appartiennent. Cependant l’évolution des procédés de constructions se manifeste à travers les bâtiments et lorsque la société évolue, les bâtiments restent, marquent le tissu et le paysage et créent une rupture entre le passé et le présent. Les enveloppes conservées pour leur qualité exceptionnelle sont vidées de leur population et de leurs activités d’origine pour lesquelles elles ont été construites. Les infrastructures industrielles constituent un patrimoine architectural qui a été bâti pour répondre à des fins précises alors, comment faire face au temps qui passe ? Car celui-ci affecte l’enveloppe, mais plus encore l’usage.

Face à l’obsolescence de l’usage que faut-il faire lorsque la production a cessé dans un édifice fonctionnel, ou quand celui-ci n’a plus d’utilité ? Lorsque l’on souhaite transformer un bâtiment dont l’usage est obsolète, quelle stratégie faut-il choisir ? Quelles options de programmation et d’usage reste-til ? La recherche d’une réaffectation est toujours un sujet important car il s’agit de remplir un vide par un interprétation digne et convaincante.

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pour lequel il a été conçu ? La célèbre usine de turbines de la société électrique AEG est un des rares cas dans lequel le bâtiment est utilisé pour le même usage que celui pour lequel il a été bâti il y a 100 ans. Construite en 1909 à Berlin par Peter Behrens, ses abords ont changé, le bâtiment est aujourd’hui isolé et moins important qu’à son origine, cependant son usage est identique : on y fabrique toujours des turbines.

Mais ce n’est pas le cas de la majorité des patrimoines restant. Un grand nombre de splendides édifices de ce genre ont été reconvertis ou sont en attente de l’être.

Pour de tels bâtiments construits à des fins spécifiques n’y-a-t-il pas plus adéquat et réaliste que de lui trouver le même usage que celui

Le patrimoine industriel est souvent présent sous des formes monumentales car il est à l’échelle de l’usine et du traitement des produits en masse. En tirant parti de cette monumentalité ces bâtiments ont été renommés les « cathédrales du travail » ou « châteaux de l’industrie ». Ces noms nous évoquent les grandes dimensions ainsi que la solennité des bâtiments de production construits pendant la révolution industrielle de la seconde moitié du XIXème siècle au début du XXème. En cathédralisant ces infrastructures, nous avons renforcé le côté monumental et inculqué un coté solennel à ce patrimoine. C’est pourquoi leur requalification est dans un sens presque déjà pré-orientée. Dans celle-ci ce sont principalement deux usages que l’on retrouve souvent :

Tout d’abord, dans cette immensité de vide, les concepts développés pour une nouvelle affectation se caractérisent par une grande flexibilité et adaptabilité à d’autres planifications ultérieures, et la réponse que l’on retrouve le plus souvent est le projet culturel. C’est le cas d’un ensemble de constructions industrielles à Essen (Allemagne) datant de 1927-1932. Ce parc composé de divers bâtiments de salle des machines, de chevalements de mines, chaufferie, cokerie, laverie de charbon datant de 1927-1932 pour qui la transformation des bats s’est fait individuellement par différents architectes : Red Hot Design Museum l’ancienne chaufferie transformée par Norman Foster en 1997 ou la laverie de charbon par Rem Koolhass. Le programme muséal est aussi un moyen de donner vie aux anciennes constructions par le simple biais des visites, de l’attraction, et permettent la renaissance de ces ex-cathédrales du travail.

« Il s’agit donc de trouver un concept général qui laisse transparaître les traces du passé industriel et contienne en même temps des éléments neufs orientés vers le futur. Malheureusement, rares sont devenues les « têtes pensantes » de l’urbanisme qui, fortes d’une position bien arrêtée, se chargent de donner une impulsion à de tels projets. » 30

Sebastian Redecke, dans «Un bâtiment combien de vie?», soulève le fond du problème, la source de notre difficulté à requalifier ces bâtiments industriels. Nos réflexions se portent sur l’insertion d’un programme dans un contenant, or pour lui, l’idée forte serait « l’invention d’une nouvelle architecture à partir des anciennes structures, une architecture dotée d’une grande autonomie et d’une large capacité d’interprétation quant à sa nouvelle fonction. »

Ces ex-lieux industriels sont alors soit « culturalisés », soit utilisés à des fins autoritaires et institutionnelles. Les termes « cathédrales du travail » et « châteaux de l’industrie» mêlent deux types d’architecture : l’architecture industrielle et l’architecture de prestige. Cette dernière renvoie finalement aux cathédrales et châteaux construits à des fins royales initialement, qui témoignent d’un pouvoir disparu tels que les rois ou les princes. Si ces legs d’espaces ne sont pas remplis par des programmes ayant trait à la culture et aux loisirs culturels, ils sont remplis par des sièges d’institutions républicaines. Ces lieux gigantesques recouvrent un vide qui paraît sans limite et qui impressionnent aujourd’hui tout comme ils impressionnaient à l’époque. Mais d’où vient cette stupeur ?

Réintégrer un programme au service de la république dans ce genre de contenant participe à renouveler l’idée que l’on se fait du bâtiment. Les palais, les dorures, les ornementations, les dimensions intérieures démesurées contribuaient à impressionner et intimider à l’époque et cela continuera de se perpétuer si l’on reconvertit avec des programmes liés à l’autorité.

«En se référant au passé lors du choix de la réaffectation d’un bâtiment comment ne pas s’interroger sur l’influence de tels contenants sur nous, les contenus ? En agissant de la sorte nos dirigeants ne sont-ils pas tentés de croire que leur position de pouvoir est due ? L’autorité de la République est-elle servie par ce décor qui la représente de manière si grandiose ? Ces derniers n’entretiennent-ils pas des rapports innocents avec leurs puissants contenants ?» 31 patrimonial unique ne fait que consolider l’idée que nous devons être traité de façon particulière. L’architecture trouve cette tradition ségrégative, peu stimulante et ne jouant pas en faveur d’un rééquilibrage entre les différentes conditions urbaines. C’est la raison pour laquelle il a poussé son questionnement et a emmené des étudiants de l’ENSA Versailles dans sa réflexion, sous forme d’exercice pédagogique souhaitant étudier la possibilité d’habiter le patrimoine. L’exercice donne lieu à des projets très intéressants car le domaine domestique, très réglé, gagnait ici à se confronter à des situations atypiques. Une fois habités, rempli de chair, les bâtiments de forme singulière donnaient lieu à des situations originales remettant en question l’idée du collectif et de l’urbanité, devenant des châteaux habités. Ce genre de projets réactivent l’imaginaire.

En Allemagne, la république fédérale est installée dans un bâtiment contemporain. Les expressions architecturales modernes y sont stimulantes et capables d’impressionner sans pour autant tenir à distance.

Dans la majorité des cas, l’existant valorisable est transformé afin d’accueillir des programmes dédiés aux hautes fonctions, aux institutions, à la culture mais aussi à l’événementiel et à l’éducation pour la simple raison que le patrimoine réinvesti présente des dimensions démesurées. Mais finalement, à qui et à quoi sert la démesure ? N’a-telle comme unique rôle de servir ces programmes en particulier ? Au fur et à mesure des reconversions patrimoniales la ville tournerait en rond avec des programmes répétitifs et ne serait plus que culture et institutions.

A travers cet exercice l’architecte souhaite donner la preuve qu’il est possible d’habiter autrement et qu’il existe énormément de bâtiments singuliers qui réclament d’être investis, c’est le cas du patrimoine industriel.

Pour Dominique Lyon, le contenu joue un rôle indéniable sur le contenant. Être installé dans un bâtiment

Si l’exercice s’est fait à l’échelle de Paris, avec comme terrain de jeux une variété de monuments remarquables, l’issue est de donner un avant-goût de ce que cela pourrait être à l’échelle de la France, sur les bâtiments industriels. Ces architectures remarquables et uniques présentent l’avantage d’offrir des alternatives aux lieux communs qui pourraient tout à fait s’appliquer à la production des logements.

« Transformer les bâtiments questionne les normes, dont on sait qu’elles prolifèrent et s’appliquent strictement, sans laisser beaucoup de marge à l’interprétation et à l’intelligence architecturale. »32

Dominique Lyon à travers son exercice a prouvé que le passé des bâtiments a souvent guidé à tort nos choix concernant leur devenir. S’il est indispensable de donner une place au passé, il est aussi nécessaire de savoir l’éloigner quand l’ambiguïté qu’il recouvre risque de trop peser. Il est important de vivre avec son présent et d’adapter les projets d’aménagement à leur temps.

32Extrait de Un bâtiment, combien de vie? Francis Rambert, février 2015

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