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INTRODUCTION
from Les Silos (part1)
by Eva Aizpurua
La France a été, grâce à ses fronts de mer, une grande puissance maritime, notamment lors de l’essor du commerce maritime et la période d’industrialisation. Ces événements ont beaucoup profité aux pays pourvus de bords côtiers. Les littoraux ont constitué la base des puissances historiques mondiales, et sont aujourd’hui animés par des organismes portuaires importants. La révolution industrielle a été le commencement d’un phénomène historique qui se poursuit de nos jours et qui a profondément marqué une grande partie de l’humanité. Les mutations récentes des économies et des activités maritimes, les évolutions des rapports de forces entre les grandes puissances, la place désormais réduite des marines de guerre dans les stratégies de défense nationale et européenne ont entraîné, dans les pays Européens, d’importantes restructurations de leurs espaces portuaires. En France cette ère de désindustrialisation a commencé dans les années 1970 et n’a cessé de se poursuivre, faisant apparaître dans le paysage des espaces portuaires en friche. Comment, pourquoi et pour qui garder un tel patrimoine ?
« Tout bâtiment est mortel. Le temps qui passe affecte l’enveloppe, mais plus encore l’usage.»1
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Malgré l’extinction de l’activité industrielle en ces lieux, les contenants restent et témoignent de l’activité industrielle passée, c’est le cas des silos à grains. En 1962 (loi André Malraux) puis plus tard en 1984 (loi André Chastel) les lois font évoluer la conception du patrimoine architectural en pointant du doigt la nécessité de le sauvegarder et incite à la rénovation se fondant sur le dépassement des principes d’une logique de préservation sélective. Laissées longtemps à l’abandon et sans intérêt, avant d’être finalement rasées, les friches portuaires ont dû attendre une révision des lois avant d’être sérieusement considérées et soumises à un autre destin fatal que celui de la démolition. Quand et comment la prise de conscience d’un potentiel patrimonial industriel s’est manifestée aux yeux des français ?
L’évolution de la législation sur la protection du Patrimoine Historique et esthétique Français donne un nouveau souffle aux friches industrielles portuaires en France qui font l’objet de restructurations urbaines croissantes. Cependant les infrastructures au cœur de ces friches se retrouvent confrontées à un paysage urbain différent de celui dans lequel elles sont nées. Elles se présentent alors comme des objets uniques à intégrer dans une société qui a évolué. Construits dans une logique purement fonctionnelle à leur époque, avec les défis techniques que cela suppose, ces bâtiments souvent monumentaux (silos, bunkers, bases sous-marine, halles etc.) doivent dépasser leur brutalisme apparent pour révéler leur aptitude à se transformer. Quelles sont les stratégies d’intégration des infrastructures industrielles pour le réaménagement des espaces portuaires aujourd’hui ? Comment composer un ensemble homogène dans un paysage urbain qui mélange deux échelles différentes, à savoir celle de l’industrialisation et celle de l’habi-
1Propos de Patrick Bloche
Adjoint à la maire de Paris dans Un bâtiment, combien de vie? Francis Rambert, février 2015 tat (échelle domestique) ? Y-at-il une échelle de référence ? Si oui, laquelle ? Sur quelle échelle doit-on se baser : celle du silo, il faut donc s’adapter à ces objets uniques ou au contraire, celle de l’habitat, dans ce cas il faut adapter les silos aux futurs projets ?
De cette monumentalité est né le terme de « cathédrales industrielles» ou «châteaux de l’industrie» définissant ces architectures puissantes par définition. En dehors de la protection, c’est aussi la question du devenir de ce patrimoine qui se pose : Qu’adviendra-t-il des « cathédrales » du travail et du considérable patrimoine architectural, encore mal connus, hérités de l’ère industrielle ?
Ces ex-lieux industriels participent à la dynamique de reconquête des friches et présentent autant d’espaces capables qui se prêtent à de nouveaux scénarios. Quelles sont ses possibilités de valorisation et la nouvelle place qu’ils peuvent tenir dans le monde actuel ?
Pour faire face à ce qui est devenu obsolète, démolir fut longtemps une évidence, jusqu’au jour où elle fut contestée, laissant la place à l’hypothèse de la conservation. Ce n’est ni plus ni moins l’idée que l’on se fait de la modernité, elle-même en lien avec la prise de conscience des évènements marquants des périodes précédentes : Révolution Française, Guerres Mondiales, très dévastatrices, autant humainement que matériellement. C’est aussi parce qu’on a beaucoup démoli, qu’aujourd’hui on s’est mis à vouloir beaucoup conserver. Plusieurs pen- sées se sont succédées avant d’en arriver à l’idée que nous avons de la reconversion aujourd’hui. Depuis le XVe siècle l’intérêt de la préservation-transformation des bâtiments est théorisé par Leon Battista Alberti (constructeur de la Renaissance) dans son traité «L’Art d’édifier»2 . La pensée moderne s’est principalement construite sur la nécessité de démolir pour bâtir, de débarrasser pour aménager. Cette conception a aussi permis à Haussmann de remodeler Paris dans la seconde moitié du XIX° siècle puis au début des années 1920 à Le Corbusier de proposer le Plan Voisin à Paris. Il s’agissait d’un nouveau plan urbain dans lequel il rêvait d’ériger des tours de quarante étages au cœur de Paris en se débarrassant des vieilles pierres, sans intérêt à ses yeux à l’époque, et si précieuses pour nous aujourd’hui (cette nouvelle urbanité inspirera plus tard les politiques de reconstruction des centres-villes anciens dans l’après-guerre). En 1982, lors de la XIIème Biennale de Paris, Jean Nouvel cherche ce dialogue renouvelé entre histoire et modernité, rappelant qu’« être moderne, c’est avoir le sens de l’histoire»3
« Le mouvement de transformation ne part pas de la table rase pour l’érection de grands bâtiments, mais part plutôt d’un paysage urbain qui va être requalifié et sur lequel on va porter un regard qui va avoir une certaine tendresse. Et cette espèce de relation aimante envers ce qui existe a quelque chose d’assez délicieux dans la transformation urbaine. »4
2De son titre d’origine «De re ædificatoria» en latin, ce livre est un traité d’architecture écrit par Leon Battista Alberti en 1452 et paru en 1485.
3 Propos de l’architecte Jean Nouvel en 1982 lors de la XIIème Biennale de Paris.
4 Propos de Dominique Perrault recueillis par Francis Rambert à la Cour de justice des communautés européennes à Luxembourg, le 11 décembre 2013, Un bâtiment, combien de vie? Francis Rambert, février 2015
Si autrefois la modernité signifiait de tout raser pour rebâtir neuf, depuis quelques décennies, cette conception de la modernité s’épuise. L’illusion que seule la nouveauté est séduisante ne fait plus recette. L’air du temps a changé : plutôt que de démolir pour reconstruire, faire vivre ce patrimoine implique donc de le transformer. Le « déjà-là » et le « faire-avec » s’imposent à tous, c’est une autre façon de penser la modernité qui s’installe dans les champs de l’urbanisme et de l’architecture. Aujourd’hui se présentent à nous deux enjeux majeurs :
D’une part l’empreinte environnementale du fait des activités de l’Homme : Pour toute ville qui se développe et se modernise, densité et compacité sont synonymes de sobriété carbone. Ce point est un levier majeur pour lutter contre l’étalement urbain comme le rappelle le dernier rapport5 du GIEC6 : toute action effectuée émet du carbone. Guillaume Meunier, architecte DPLG depuis 2007 et spécialiste environnement depuis 2009 souligne : «la superstructure représente environ 20% du bilan carbone de la matière ». La prise en compte des émissions de carbone fait changer d’ère la construction. Dans les domaines de l’architecture et de l’urbanisme, à chaque moment de la production d’un matériau jusqu’à sa pose sur un chantier : les chutes, le gaspillage, la mise en déchetterie, le transport, parfois la réaction chimique (pour le ciment, par exemple) il y a émission de gaz à effet de serre. La reconversion a mis alors en évidence le fait que le patrimoine industriel d’abord méconnu et inintéressant devient finalement un potentiel exploitable intéressant pour l’environnement. Mais qu’est-ce que cela signifie. Comment gérer l’habitabilité de ces bâtiments tout en contribuant à maintenir celle de la Terre ?
D’autre part la prise de conscience de nouveaux critères d’habiter : Ces dernières décennies nous avons été confrontés à de réels changements climatiques : nuits tropicales, inondations, avec un risque croissant de crues décennales, tempêtes, sécheresses, canicules etc. La multiplication de ces phénomènes extrêmes a eu des conséquences sociales notamment lors de la crise sanitaire 2019, et a souligné la nécessité de repenser l’habitat. Transformer les bâtiments questionne les normes, dont on sait qu’elles prolifèrent et s’appliquent strictement, sans laisser beaucoup de marge à l’interprétation et à l’intelligence architecturale.
« Les bâtiments anciens fournissent, dans le cas de leur transformation en appartements, la preuve que nous pouvons habiter autrement, que nous le méritons, ou plutôt que nous le devons quand il y a tant de bâtiments singuliers qui réclament d’être investis et présentent l’avantage d’offrir des alternatives aux lieux communs qui s’appliquent à la production des logements. »7
Ces constats indiquent alors que la transformation doit pouvoir conjuguer soutenabilité environnementale et utilité sociale. A la prise
5 Le dernier rapport d’évaluation rédigé par le GIEC fait parti des 6 rapports qui traitent, analysent et synthétisent les données scientifiques, techniques et socio-économiques relatives au réchauffement climatique
6GIEC : le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat, évalue l’état des connaissances sur l’évolution du climat, ses causes, ses impacts
7 Propos de Dominique Perrault recueillis par Francis Rambert à la Cour de justice des communautés européennes à Luxembourg, le 11 décembre 2013, Un bâtiment, combien de vie? Francis Rambert, février 2015 de conscience de la valeur patrimoniale de ce qui a déjà été bâti s’ajoute alors la nécessaire sobriété imposée par le nouveau régime climatique et environnemental. Une nouvelle attention se porte sur les projets architecturaux : celle due aux futurs usagers des bâtiments, mais aussi, et c’est plus nouveau, aux emprunts (que l’on souhaite à tout prix minimiser) faits à la nature pour permettre à ces architectures de perdurer.
Mais comment démontrer qu’il est possible d’allier défense du patrimoine, qualité de vie et performance environnementale ?
Face à cette question les réponses sont variées, avec des projets singuliers et iconiques. Les études de cas illustreront des façons d’aborder cette reprogrammation de la ville dans une démarche de sobriété et de qualité architecturale, via un travail de couture urbaine.
Dans un premier temps nous étudierons de près le silo à grain : le contexte de sa genèse, ses usages et fonctions, son influence, ses utilisateurs et son public pour comprendre la période de « vie » du bâtiment et comment celle-ci a été rythmée et quelles aventures le bâtiment a traversé.
Au travers de quatre études de cas européennes nous découvrirons les différentes façons dont la reconversion du silo à grains a été abordée. Enfin nous récapitulerons par le biais de 7 indicateurs le gain que permet cette transformation.
I.CONTEXTE DU SILO A GRAINS
A. Naissance du silo à grains, une architecture inscrite dans une réalité économique.
a. Genèse et évolutions du silo
La silhouette mystérieuse du silo dissimule une technique passée et un principe de base consistant à la conservation des céréales (blé tendre, blé dur, orge, maïs, seigle, avoine, sorgho, et riz). Ce besoin a été présent dans nos sociétés les plus lointaines et très vite on lui identifie deux techniques de conservation : en atmosphère confinée dans des silos souterrain, et en aération et manipulation dans les greniers à blé. Ces deux formules sont très anciennes et finiront pas cohabiter l’une avec l’autre.
Des travaux sont publiés dès le premier quart du XIXème siècle hérités des observations antérieures.
En 1842 Joseph DART, négociant en grains, et Robert DUNBAR, ingénieur, introduisent la notion de « grain elevator » dans le port de
Buffalo (État de New York). Une machine consistant à mécaniser et accélérer le transbordement des navires à ceux des canaux afin de réduire la durée de leur immobilisation à quai, évitant alors les coûts supplémentaires à quai, et d’importants coûts de main-d’œuvre liés à la manipulation des sacs.
Les deux techniques de conservation vont faire naitre deux écoles, chacune au nom de celui qui la théorise au milieu du XIXème siècle :
- Doyère qui a expérimenté la conservation en atmosphère confinée (1853)
- Huart, négociant en grain à Cambrai, qui inventa le grenier Huart, où la conservation se fait par agitation et ventilation (1854).
Même s’il n’est pas à l’abri de connaitre d’autres perfectionnements, l’invention d’Huart fait vite l’unanimité, car elle réunit pratiquement toutes les conditions nécessaires à la conservation des grains à savoir : économie d’établissement, faible dépense d’entretien, capacité considérable, mouvement périodique ou continu de toute la masse du grain, ventilation, nettoyage, entretien d’une température basse, dessiccation progressive et préservation des insectes et des animaux rongeurs.
Le silo fait l’objet de recherches innovantes là où le besoin s’en fait ressentir, c’est à dire dans un premier temps en Amérique, Canada et Argentine principalement. Étant des grands exportateurs ces derniers avaient besoin de centraliser rapidement, après la récolte, le blé de leurs cultivateurs, et de pouvoir l’expédier le plus rapidement encore.
Aussitôt que l’idée naît à Buffalo, elle se répand sur le continent américain d’abord sur les ports puis dans les terres le long des voies ferrées. Face à la progression du commerce maritime l’Amérique organise la commercialisation de céréales dans son intégrité, cherchant à se perfectionner sur tous les fronts : collecte de grains le long des chemins de fer et mécanisation des magasins pour accélérer encore la vitesse de chargement des wagons avec des objectifs concernant tous les acteurs de la filière (producteurs, exportateurs, transformateurs). Cette organisation fait apparaitre deux catégories de silos : celui des terres (silos ruraux ou de transit) et celui des ports (silos terminaux ou de collecte). Si ce modèle a rapidement été adopté sur tout le continent américain, ce n’est pas le cas de l’Europe. En 1887, quelques années avant ·le développement soudain des silos modernes en béton armé, on remarque que les Européens utilisent les greniers à grains à planchers superposés alors contrairement aux américains. En France ce sont les minoteries qui servent a l’entassement et conservations du grains en sacs ou parfois même en vrac (sans sacs). En plus du travail a manuel que cela représentait la conservation dans ces conditions n’était pas optimale pour la qualité du grain. Comme vu plus haut l’elevator nait du perfectionnement des outils de leviers, mais en France cet outil n’est pas rependu. Dans les magasins les plus anciens l’élévation du grain se fait manuellement et au moyen de poulies.
Paul Pouzin est le premier à évoquer de la nécessité d’allier à ce grain elevator un élément permettant le stockage des céréales. Car si les pays exportateurs n’en présentent pas le besoin, pour les pays importateurs tels que la France il s’en fait ressentir. L’émergence d’une conscience permis de se rendre compte que le modèle du silo devrait s’adapter aux pays dans lequel il servait, dissociant les pays exportateurs des pays importateurs.
Devenue un business international, la réduction du coût du grain devient un leitmotiv pour tous les acteurs associés au stockage. Les propositions d’innovations continuent alors de faire surface cherchant toujours la meilleure installation.
L’architecte Emilie Vuigner, à la suite de ses déplacements dans les ports de Londres, d’Amsterdam et d’Anvers, édifie un magasin à grains à Paris pourvu d’un elevator auquel il ajoute l’idée d’y placer de godets et un distributeur horizontal. Avancée, déjà approuvée et utilisée en Allemagne dans les années 1887 mais qui ne se généralisera que plus tardivement en Europe.
On continuera à construire des magasins à sac après la Seconde Guerre mondiale en France, c’està-dire, bien après la construction des premiers silos de collecte des années 1930. Alors qu’il existe de très nombreuses solutions architecturales et techniques pour associer ces deux formules, stockage en sacs et stockage en cellules. Des esquisses de bâtiments apparaissent avec parfois le magasin qui jouxte le silo proprement dit, d’autrefois le magasin entièrement intégré à celui-ci, tant d’un point de vue fonctionnel qu’architectural, au sein d’un même corps de bâtiment. Certaines esquisses proposent de vastes espaces de circulation aménagés sous les cellules, munies d’un système d’ensachage fixe ou amovible, permettant le stockage temporaire et la manipulation des sacs, et ils traduisent un bon compromis entre le silo moderne américain et le magasin en sac de français, les deux formes de stockage.
Effectivement le système de sac ne disparait pas car il est pratique pour des petites livraisons occasionnelles entre agriculteurs, acheteurs, utilisateurs, transformateurs transportent. Le sac reste le plus petit dénominateur commun.
L’histoire de la technique et du principe de traitement du grain se rejoint rapidement d’un continent à un autre, ce qui n’est pas le cas des moyens employés car selon les pays le silo était utilisé à des fins différentes : en Amérique il était question de la manutention du grain, en France c’était son stockage et sa conservation.
Quel était ce principe de fonctionnement qui a fini par séduire et mettre d’accord le monde entier ?
b. Principes de fonctionnement
Dans la conservation des grains deux conditions permettaient la bonne conservation de celui-ci : la température et l’humidité, et face à cela la ventilation fut la solution universelle. Celle-ci permettait de refroidir et maintenir le grain à une même température relativement basse tout en les séchant progressivement.
Les magasins ou greniers à blé longtemps utilisés en Europe disposaient de planchers percés d’orifices qui permettent de faire chuter la matière au niveau inférieur pour la remuer et la ventiler.
Dans les magasins les moins élaborés, le remuage du grain s’effectue à la pelle et utilise une main-d’œuvre abondante et coûteuse. La masse de grains soumise à ventilation se retrouve divisée en trois zones. (Figures 1 et 2)
Comme vu précédemment l’entassement des masses de céréales se faisait dans des sacs ou en vrac (Figure 3):
- zone refroidie (grains déjà refroidis)
- zone de transition (grains en cours de refroidissement)
- zone à refroidir (grains encore chauds)
Comme on peut le voir dans la figure 2 les magasins à grains sont pourvus de fenêtres pour permettre la ventilation dans les étages. Ce système doit constamment être contrôlé : la ventilation ne doit pas être arrêtée tant que les grains aux étages supérieurs n’ont pas atteint la même température que ceux des étages inférieurs, soit la température proche de celle de l’air de ventilation. Celle-ci doit être maintenue à un degré précis (entre 5 et 7 degrés) et sans variation ni écart de température qui risquerait de dégrader le grain.
Tous ces phénomènes liés à la température, l’humidité et la ventilation nécessitaient d’être régulièrement contrôlés ce qui rendait le processus complexe. C’est pourquoi ce contrôle est réalisé grâce à l’intervention d’une main d’œuvre spécialisée et coûteuse, tant dans la phase de l’étude que dans celle de la gestion des installations.
L’apparition du « grain elevator» révolutionne la manutention du grain autrefois fait à la main. (Figure 4). Grâce à deux éléments nouveaux le traitement du grain est mécanisé : l’élévateur et le transporteur à bandes ou à chaines. L’élévateur permet le déplacement vertical des grains dans des petits sac fixés aux rails (godets). Le montage mécanisé est alors plus facile plus rapide, ils consomment et encombrent peu et permet d’aller plus haut. Le transporteur à bandes ou à chaines permet le déplacement horizontal du grain pour le distribuer ensuite vers les cellules de stockage. La mécanisation du déplacement du grain permet un travail continu avec une vitesse maintenue participant à l’amélioration du système de traitement de grains et notamment l’ensillage8. (Figure 5)
La substitution de l’Homme par la machine a permis une grande efficacité dans le traitement du grain et un soulagement notable pour les acteurs associés. Cependant l’intervention humaine est nécessaire pour l’une et l’autre des deux formules et demande beaucoup de vigilance et d’expérience.
Une fois dans les tubes bétonnés le grain n’est pas soumis à un système de ventilation c’est la raison pour laquelle il est indispensable qu’au moment du remplissage des silos, les grains soient bien secs, propres, et traités avec des insecticides de grande persistance d’action. Il est aussi nécessaire d’équiper les cel- lules de sondes thermométriques pour permettre un contrite permanent de la température des grains.
8Ensillage : procédé de conservation par le stockage dans un silo.
9 Le transillage est une action qui consiste à déplacer l’entièreté des grains d’une cellule de stockage à une autre.
10 Les as de carreau dans les silos en batteries cylidrique, les as de carreaux sont les espaces d’interconnexion entre les cellules. Ils sont non visibles car situés sous la galerie supérieure.
Dans de très rares cas il arrive de devoir faire un transillage9. C’est à dire lors qu’il y a détection d’un signe d’éventuelles dégradations (exemple : une variation brutale de température) le contenu d’un silo est transvasé dans un autre silo vide et propre permettant ainsi de ventiler et d’homogénéiser les grains. Cette action est coûteuse et abîme la manutention des silos donc tout est fait pour que cela arrive le moins fréquemment possible.
Dans la version aboutie du silo les équipements qui le composent sont les suivants :
- Les équipements de manutention (élévateurs, transporteurs, vis, pendulaires...)
- Les équipements de travail du grain (nettoyeurs, tamiseurs, séparateurs, calibreur, détecteur de poussière)
- Les capacités de stockage (cellules, boisseau as de carreau11) pouvant être équipées de silothermométrie.
- Les dispositifs complémentaires (ventilation, filtration, désinsectisation)
- Et éventuellement les installations de séchage (séchoirs).
Chaque groupe d’équipements appartient à une unité :
- Le transport du grain (transporteur, élévateur)
- Le nettoyage et/ou le tri du grain
(nettoyeur, calibreur,…)
- Le dépoussiérage de l’air (système d’aspiration de type filtre ou cyclone)
- L’aide à la conservation du grain (sondes de silothermométrie 11 et ventilation). (Figure 6)
Selon les configurations les silos présentent des caractéristiques différentes : des interconnexions, plus ou moins d’espaces appelés « surfaces soufflables » (passages entre la tour de manutention et les cellules, galeries enterrées…) etc.
- Silo plat : hangar équipé de la manutention dans lequel le grain est manipulé à l’aide d’un engin de manutention équipé avec godet de type chargeuse, ou bien grâce à une galerie de reprise.
- Silo comble. Généralement ces silos sont équipés d’une tour de manutention (ou élévateur extérieur) relié à un transporteur d’alimentation et d’une galerie de reprise enterrée dans laquelle se trouve un transporteur de reprise. Les cellules sont ouvertes sous les combles, endroit par lequel se fait notamment l’ensilage de grain par passerelle.
- Silo vertical : une tour de manutention et une cellule de stockage.
- Silo en batterie : caractérisé par leurs cellules ou les « as de carreaux » (Figures 7 et 8)
Architecturalement parlant l’usage et les fonctions qui lui sont associées se sont traduits par cette dernière version du silo vertical classique et lui donneront le nom de silo moderne que nous connaissons. Celui-ci se présente alors comme une infrastructure bétonnée avec différents unités des fonctions dans des corps de bâtiments différents : la tour de manutention, les cellules de stockage (pouvant atteindre entre 20 et 40 m de hauteur) et les galeries de reprises au-dessus et au-dessous des cellules (ces dernières sont parfois au sol et parfois enterrées).
11 La silothermométrie est la mesure de la température des grains et autres produits conservés dans des silos.
La dernière version du silo verticale classique est la version la plus optimale dans sa contenance et son efficacité de déplacement de grains. C’est aussi la version la plus intéressante car, dès lors qu’elle nait, cette silhouette du silo vertical classique est atypique et imposante et va devenir une marque inévitable dans le paysage urbain. Sans le savoir l’infrastructure du silo traversera les évolutions sociétales urbaines et continuera d’agir comme un marqueur urbain. (Figure 9)
Comme vu précédemment dans l’Histoire du silo, les pays d’Amérique organisent la commercialisation de céréales dans son intégrité et se procurent des silos dans les installations portuaires (silos portuaires1) et dans le milieu agricole (silo de transit2 et silo de collecte3 ou de proximité). Chaque silo répond à une fin précise et est caractérisé par des débits de manutention et des temps de fonctionnement différents: en 3 mois (pendant la moisson)
De ces expérimentations et ajustements conjoncturels en découle finalement le modèle presque universel : celui du silo moderne. Le principe du grain elevator a été révolutionnaire car il s’est trouvé parfaitement adapté aux besoins de la société dans la commercialisation du grain englobant la collecte, le stockage et la conservation. L’invention de Joseph DART et Robert DUNBAR a répondu à une nécessité technique et financière : accélérer le transbordement du grain entre les navires et réduire le coût de l’opération. Les économies sur les coûts de séchage combinés à la qualité supérieure des grains obtenus ont contribué à augmenter les revenus du producteur et la rentabilité de la culture. L’architecture finale du silo est donc sérielle. Chaque “version” imaginée du silo est le reflet de la volonté d’innover et de trouver la meilleure conception à chaque fois. Mais celui-ci peine à trouver une version universelle car il s’adapte au pays dans lequel il s’implante et au domaine qu’il va servir (commercial aux Etats-Unis et industriel en France)
12 Les silos portuaires sont définis comme ayant la capacité de décharger le grain depuis les bateaux, de l’engranger et de l’envoyer par chemin de fer ou camion, jusqu’à l’intérieur du pays, et d’exécuter le processus inverse, de façon simultanée et répétitive.
- Silos portuaires 12 : 200 à 1200 t/h13 en 12mois
- Silos de transit 14 100 à 300 t/h en 12 mois (3 mois en réception et 9 à 12 mois en expédition)
- Silos de collecte 15 : 50 à 200 t/h
La culture du silo est née et s’est installée aux États-Unis, elle s’est peu à peu répandue dans les pays industrialisés jusqu’à venir toucher le monde de l’art. Le silo intrigue les artistes-peintres, architectes, théoriciens, plasticiens et photographes, et la vision de l’infrastructure utilitaire change totalement.
14 Les silos de transit sont préparés pour recevoir le grain des silos de collecte qui leur sont affectés et réguler le trafic du grain jusque dans les grands centres ferroviaires des zones productrices et consommatrices.
15 Les silos de collecte ont pour fonction la collecte du grain dans les lieux de production, en le conservant jusqu’au moment de l’expédition vers un silo de transit, portuaire, ou encore de réserve. Ils sont conçus de façon à faciliter la réception du grain qu’apportent les paysans mais en même temps ils devaient être bien reliés pour faciliter l’expédition par et pour les industriels.