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D. Empreinte environnementale et nouveaux critères d’habiter
from Les Silos (part1)
by Eva Aizpurua
Nous sommes conscients que nous subissons depuis quelques années les conséquences de nos modes de production et de consommation, et le réchauffement climatique fait partie des manifestations induites (dérèglement climatique). Parmi ces bouleversements on retrouve notamment l’épuisement de nos ressources naturelles. Face à ce constat indéniable et universel nous pourrions remettre en cause chacune de nos actions et réfléchir autrement sur nos modes et moyens de production pour aboutir à des choix et des habitudes les plus durables possible.
“Et si Certaines évolutions sont irréversibles, il est important aussi de comprendre que toute action sur le climat aujourd’hui aura un effet à très court terme : il n’y a pas d’inertie climatique à proprement parler, mais une inertie politique et une inertie de nos infrastructures. Dit autrement, « chaque kilo de Co2 compte” 33
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Aux vues du CO2 émis par nos matériaux de construction on peut se demander s’il est possible de réhabiliter bas carbone ?
Comme nous l’avons évoqué plus haut : toute action effectuée émet du carbone. Dans les domaines de l’architecture et de l’urbanisme cette affirmation est valable à chaque moment de la production d’un matériau : de son extraction jusqu’à sa pose sur un chantier le matériau émet du gaz à effet de serre (GES), donc du carbone. C’est ce que l’on appelle le carbone gris ou le carbone de la matière. Après avoir pris conscience de ces informations, la réhabilitation nous parait comme la solution majeure face à cela, mais si nous nous jetons sur cette solution nous le faisons trop précipitamment et nous ne connaissons pas réellement les avantages qu’elle apporte. Essayons alors de nous pencher sur le sujet de façon plus détaillée en prenant comme indicateur cette notion principale : le poids carbone.
Il existe deux principaux pôles de consommation : le carbone de la matière et le carbone de l’énergie. A titre d’exemple deux types de bâtiments différents34 :
- La Tour Montparnasse : construite dans les années 1970 la tour a presque 50 ans. En la réhabilitant nous pourrions diminuer sa consommation énergétique. Sa réhabilitation avec des matériaux plus performants pourrait diviser sa consommation par 10 soit passer de 900 à 150 kg eqCO2/m2 35 Cependant l’effort fourni sur l’énergie se répercutera sur les matériaux.
D’une manière un peu générale et si l’on n’y prête pas attention, entre un bilan de matière que l’on alourdit pour améliorer la performance énergétique et un bilan énergétique qui diminue de fait, on peut tomber
33Extrait de CONSERVER ADAPTER TRANSMETTRE, Éditions du Pavillon de l’Arsenal, octobre 2022
34 Les deux exemples suivants sont extraits de CONSERVER
ADAPTER TRANSMETTRE, Éditions du Pavillon de l’Arsenal, octobre 2022
35 eqCO2/m: équivalent de CO2 par m2 à l’équilibre. intérieurs presque autant chacun c’est à dire 20% et 20%
- Les habitats d’urgence tels que les projets d’architectures expérimentales réalisés entre 1920 et 2020 par divers architectes, proposent la construction d’habitats légers avec notamment des économies de moyen, une rapidité de mise en œuvre, une modularité, flexibilité et évolutivité etc. Le tout répondant à des ambitions écologiques de frugalité telles que la maîtrise du cycle de vie, l’autonomie énergétique et les diminutions des émissions de gaz à effet de serre. Cependant si les projets donnent lieu à des constructions utilisant moins de ressources, produisant moins de déchets, demandant moins de temps de montage et moins d’espace etc ils utilisent certes moins de matière mais cela se répercutera sur la consommation d’énergie pendant la durée de vie du bâtiment.
Le poids carbone comprend alors: les matériaux employés et la consommation énergétique du bâtiment pendant sa durée de vie. Si pour chaque mètre carré que l’on construit, on émet 1,5 tonne eqCO2, ces émissions sont réparties à 50% dans la matière et 50% dans l’énergie. D’après le GIEC. En construisant «bas carbone», on peut presque diviser par deux le bilan des émissions sur 50 ans, c’est à dire passer de 1,5 t eqCO/m2 à 750 kg eqCO2/ m2.
- La façade compte pour un peu moins, environ 10%
- Les lots techniques30 %.
Concernant la matière, ne pas reconstruire la structure primaire représenterait alors un gain de 20% d’émission de CO2 sur l’ensemble des émissions dans une construction. En se basant sur une émission de 1,5 t eqCO par mètre carré construit, en conservant le gros œuvre du bâtiment nous économisons près de 300 t eqCO/m2 de notre empreinte carbone.
Concernant l’énergie, selon l’ancienneté du bâtiment les émissions de carbone liées aux consommations énergétiques varient : pour un bâtiment neuf (ou bien réhabilité) ces dernières peuvent aller jusqu’à 200 kg eqCO2/m2, pour un bâtiment datant des 50 dernières années elles peuvent monter jusqu’à 750 kg eqCO2/m2 et enfin cette quantité peut tripler si le bâtiment est plus ancien encore.
Chiffres extraits de CONSERVER ADAPTER TRANSMETTRE, Éditions du Pavillon de l’Arsenal, octobre 2022
- La superstructure (le gros œuvre) représente environ 20% du bilan carbone de la matière
- Les fondations incluant la voirie et réseaux divers (VRD) et les lots
En plus du choix à réaliser entre l’effort de la matière par rapport à l’effort énergétique et vice versa, s’ajoute la question de la temporalité. Comme dans le domaine financier, calculer le temps de retour sur investissement permet de savoir à partir de quel moment l’investissement initial est rentabilisé par rapport à un autre. Du point de vue du carbone, il s’agit de déterminer à partir de quand l’investissement en matière permettra une économie d’énergie. Si l’investissement de matière permet un gain énergétique au bâtiment visible après 50 ans, peut-on considérer que le projet est rentable ?
La structure primaire du bâtiment et sa façade sont deux éléments importants d’émission de carbone. La forme d’un bâtiment, sa complexité ou sa compacité sont en corrélation stricte avec son impact, de même qu’une façade vitrée augmentera la consommation énergétique du bâtiment (autant dans la nature du matériau qu’est la vitre que dans sa performance isolante thermique).
Jusqu’à récemment les architectes et ingénieurs étaient seulement soumis à des réglementations thermiques, désormais les acteurs du domaine font face à une nouvelle approche de la construction, un changement drastique où la règlementation s’élargit et concerne également la consommation énergétique et l’empreinte carbone.
Enfin si l’on souhaite aller plus loin que construire bas carbone, on peut utiliser la programmation elle-même pour inciter et encourager les habitudes du bas carbone. Par exemple réaliser un parking vélos plutôt qu’un parking voiture influera et encouragera l’habitant à minimiser son empreinte. C’est une façon, inconsciente et indirecte, de sensibiliser à ce précepte.
“ (..) des façades plissées pour se protéger, épaisses pour réguler, des cheminées pour ventiler, des jardins pour tempérer, de grandes hauteurs sous plafond pour rafraî- chir, des espaces traversants pour aérer, des casquettes pour abriter, des stores pour ombrager, des réservoirs pour stocker, des patios pour éclairer… tout un vocabulaire bioclimatique oublié par la modernité ici reconstruit dans une pluralité de matériaux privilégiant les filières sèches pour réduire les nuisances, les matériaux bio et géo-sourcés (pierre, chanvre, terre, paille…) pour diminuer l’impact et le recours au réemploi d’éléments directement déconstruits sur site ou déposés à côté pour moins prélever de ressources tout en participant à la re-naturation de la ville en désimperméabilisant ce qui était bitumé et végétalisant ce qui était minéral.”36
Cet extrait met en avant le fait qu’il existe divers moyens pour répondre à une durabilité et performance énergétiques dans le domaine de la construction et ils se traduisent par des dispositifs simples et passifs plutôt que des systèmes électriques ou numériques.
Dans l’intérieur d’une réhabilitation, les lots architecturaux du second oeuvre doivent participer à l’effort de décarbonation et le réemploi est très préconisé ici. Dans un immeuble de bureaux, par exemple, il est tout aussi efficace d’installer des faux planchers et faux plafonds de réemploi.
La réflexion questionne alors le réemploi puis la frugalité, qui doit guider chacune de nos actions dans le secteur du bâtiment. On en arrive à remettre en question les normes et 64
36 Extrait de CONSERVER ADAPTER TRANSMETTRE, Éditions du Pavillon de l’Arsenal, octobre 2022 règlementations concernant l’équipement des bâtiment en lots architecturaux. Car effectivement dans quelles mesures est-il impératif d’installer des faux plafonds et faux planchers dans les bureaux ?
Construire en 2023 pourrait impliquer une ré-évaluation des règlementations concernant les équipements des bâtiments notamment pour redonner un sens à leur installation de tous ces équipements. Construire en 2023 c’est peut-être dissocier confort et praticité avec qualité et empreinte carbone.
Le temps où les architectes prônaient le “form follows fonction”37 est révolu au dépend de la nouvelle ère de construction vantant maintenant le “form follows carbon”.
De plus parmi les optimisations figure l’absence de création de surface au profit de la densification. Avec elle la réduction et le partage des espaces sont d’autres moyens indissociables participant à l’économie de consommations d’énergie.
Le cas du silo est un parfait exemple prouvant qu’il est possible de faire le lien entre l’ancienne et la nouvelle ère de construction : créée à partir de son usage, sa forme complexe n’est pas optimale pour une économie liée aux consommations énergétique du bâtiment, cependant il dispose d’une structure primaire colossale qui elle, rappelons-le, représente une grande part d’émission de CO2. Enfin l’infrastructure marque par sa verticalité qui surplombe ses abords, et répond alors au principe de densification au profit de l’étalement urbain. Le désavantage de celui-ci est qu’il implique l’usage de beaucoup de matériaux car il s’étend à “l’horizontal”.
C’est en quelque sorte le principe des Tanji coréens. Ces derniers se présentent comme un ensemble de tours identiques, à l’image des HLM que l’on connait en France, mais ils s’en différencient car ils sont constitués de logements de luxe. De plus, les logements bénéficient de nombreux services de proximité : gardiennage, services de réparation et d’entretien, supermarchés, équipements sportifs, aires de jeux pour enfants, écoles maternelles, maisons de retraite… Même s’ils sont bien entretenus les immeubles marquent le paysage urbain coréen par leurs dimensions colossales. Autre exemple : dans la culture japonaise les quartiers caractérisés par ces immeubles de commerces notamment dans les quartiers de Tokyo tels que Shibuya, Akihabara ou Harajuku.
Dans ces deux cultures où les villes sont très denses, la verticalité est une réponse et solution à la densité. La verticalité fonctionne aussi bien pour un programme de logements que pour des activités commerciales et autres services de proximité.
Après avoir étudié les différentes sources de notre empreinte carbone et les possibilités de réponses sous divers formes et moyens, comment l’infrastructure du silo pourrait répondre à une habitabilité respec- tueuse de la Terre tout en remettant en question nos logements standardisés controversés depuis la crise ?
37 En français «La forme suit la fonction» est un principe de conception architecturale énoncé par Louis Sullivan, associé à l’architecture et au design industriel de la fin du XIXe et du début du XXe siècle en général, qui stipule que la forme d’un bâtiment ou d’un objet doit principalement être liée à sa fonction ou à son objectif.