Alpes Magazine Tyrol

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Avant toute chose, il y a ce nom, dont la simple évocation éveille immédiatement les plus belles images de la mythologie alpine. Le Tyrol et ses cimes accrochées au ciel. Le Tyrol et ses chalets. Le Tyrol et ses coutumes. Quoi qu’on en dise, le mystère Tyrol reste intact...

// Texte : Fabienne Bachelard. Photos : Marc Chatelain.

De vallée en vallée, le Tyrol déroule invariablement ses paysages à la douce harmonie.

© 7876239_Ludwig Mallaun / Mauritius / Photononstop

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LECHTAL ET TANNHEIMERTAL

Lechtal et Tannheimertal

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L’amour de la terre natale Même si les Tyroliens revendiquent haut et fort leur “tyrolitude”, cela ne les empêche pas de composer avec une multitude d’entités à l’identité fortement marquée. Les vallées de Lech et de Tannheim, seulement séparées de quelques kilomètres, sont à l’image de ce paradoxe : régionalistes mais aussi farouchement attachées à leurs particularismes locaux... Voyage au cœur d’un Tyrol fier de ses origines. i proches et si loin ! Dans le Tyrol, le réflexe “autochtone” est comme une seconde nature. On y est bien sûr Tyrolien. Mais on y est aussi habitant d’un village, d’une vallée. Réflexe identitaire typiquement montagnard ? Certainement, mais ici les différences sont parfois étonnantes. La question des dialectes, couramment parlés dans la vie de tous les jours par les jeunes et les moins jeunes, est emblématique. Ainsi, tandis qu’un habitant de la Lechtal dit Schopf pour décrire les innombrables petites granges essaimant la montagne, son voisin de la Tannheimertal dit Stadl. Bien sûr, ce n’est qu’un exemple parmi

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Le fond de vallée très plat de la Lechtal rappelle les anciens lacs glaciaires qui précédèrent les pâturages.


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LECHTAL ET TANNHEIMERTAL tant d’autres, chacun ayant son parler propre lui donnant à s’inscrire dans une histoire, un groupe, une famille au sens large du terme... Récit d’un périple au fil de deux vallées n’aimant rien de moins qu’affirmer sans complexe leur esprit d’indépendance.

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à vaches. Ce coin de montagne, enserré entre les Alpes de l’Allgäu et les Alpes de la Lechtal, à quelques encablures de la Bavière, sonne vrai. Dans les villages traversés, pas de grands complexes immobiliers, de galeries de commerces ou de lotissements de chalets neufs. Encore moins de pentes hérissées de pylônes. De prime abord, Dans le cœur profond du Tyrol l’endroit n’a pas été dénaturé par les méfaits du Après les paysages ouverts et riants du Vorarlberg, tourisme de masse, même si les infrastructures d’accueil ne manquent pas. Toni Hammerle, l’entrée dans le Tyrol par la Lechtal détonne un peu. La lumière devient soudain plus profonde, patron de l’hôtel Neue Post à Holzgau, nous apporte un éclairage opportun : « Sur les 12 villes tonalités plus sourdes. La route par laquelle lages que compte la vallée, nous avons en tout une nous pénétrons longe le Lech, la rivière éponyme centaine de kilomètres de pistes. » Finalement, rien ayant donné son nom à la vallée et à son parc de bien nouveau sous le soleil : la Lechtal n’ayant naturel, mais encore au massif montagneux et pas subi de plein fouet la fièvre de l’or blanc, à la station de ski voisins (Lech, dans le Vorarll’atmosphère qui y règne est restée villageoise. berg). Ce cours d’eau couleur bleu glacier remarquablement préservé, dévale ainsi d’un rythme De la Lechtal Et, pour ne rien gâcher, les tarifs pratiqués sont soutenu les 60 kilomètres en amont de Reutte, à la Tannglobalement loin d’être exorbitants. le chef-lieu et centre économique de la région heimertal, Au gré de la rivière, sur ce sillon uniforme qui entre façades serpente entre les montagnes, les aficionados de l’Ausserfern. peintes en du plat peuvent s’en donner à cœur joie. Mais, Ici, le Tyrol a un visage plus rude que ce à quoi trompe-l’œil l’on pouvait s’attendre : une vallée étroite et et églises de après avoir jeté un coup d’œil sur les nombreux impeccablement plane, des sommets abrupts en style baroque paravalanches qui tout là-haut veillent telles des rococo, un forme de hautes pyramides de part et d’autre, patrimoine qui sentinelles, la sévérité des sommets alentour se rappelle soudainement à notre bon souvenir. Il une végétation dense majoritairement constituée signe l’identité d’épicéas et quelquefois entrecoupée de champs du pays. est vrai qu’ici, la vie des anciens n’a pas toujours été facile et, en raison de faibles rendements agricoles, _ Randonnée _ beaucoup de familles sont parties dès le XVIIe siècle chercher Lacs d’altitude à la taille lilliputienne du travail loin, jusqu’en Hollande parfois. Toni Hammerle La Tannheimertal, déjà décrite en 1846 3 heures. Ce restaurant d’altitude propose raconte : « À l’époque, il y avait comme “la plus belle vallée d’alti- des spécialités tyroliennes et une magnitude en Europe” par l’écrivain voyageur fique vue sur les alentours (possibilité de le double d’habitants et pas de la place pour tous. Certains de ceux Ludwig Steub, offre une palette étoffée couchage). Puis, redescendre jusqu’au lac qui avaient émigré ont gagné de chemins de randonnée. Celui qui mène de Traualpsee et l’alpage d’Obere Traualpe, jusqu’au Landsberger Hütte, à 1 810 mè- qui jouxte l’eau. Anita Müller y sert des beaucoup d’argent et, revenus tres d’altitude, donne à voir certains des assiettes de casse-croûte roboratives et le au pays à la retraite, ils y ont fait bâtir de belles maisons aux plus beaux points de vue de la région, fameux “Kaiserschmarren”. Sympathique, façades décorées de peintures. » avec en particulier le passage à proximi- la présence des petits cochons qui gambaAdmirablement conservées, té de deux de ses lacs emblématiques. À dent en toute liberté autour de l’alpage... Tannheim, prendre la télécabine pour mon- Enfin, rejoindre le lac de Vilsalpsee par le ces façades aux motifs opulents, ter jusqu’au Neunerköpfle. Emprunter en- chemin n° 425. De là, retour à Tannheim dont la plupart représentent des scènes religieuses, sont sursuite les chemins nos 30 et 31 jusqu’à Obere en 1 heure.  tout présentes à Hägerau ou à Strindenalpe. Continuer sur le chemin Holzgau. Et Toni Hammerle de n° 421 (Saalfelder Höhenweg) et passer le Durée : environ 5 h 30. rajouter en souriant : « Il fallait Gappenfeldalpe, à 1 902 mètres d’altitude. NIVEAU : moyen. avant tout montrer aux autres Continuer jusqu’au Landsberger Hütte en qu’on était devenu riche ! »

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LECHTAL ET TANNHEIMERTAL Dans ces villages hors du temps, le tourisme est certes présent, mais il reste, somme toute, confidentiel

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À l’écart des circuits touristiques traditionnels du Tyrol, la Lechtal a su conserver une belle simplicité alpine. Dans ces villages où le temps semble s’être arrêté, le tourisme est certes présent, mais il reste, somme toute, confidentiel. D’ailleurs, les multiples fermes qui jalonnent l’espace paysager sont révélatrices d’une autre réalité bien palpable : le secteur agricole a conservé une place essentielle. Une visite dans la ferme de la famille Kerber, à Holzgau, nous donne la pleine mesure de la capacité d’adaptation des agriculteurs tyroliens. Comme c’est le plus souvent le cas, les troupeaux sont réduits à 10, 15, voire 20 vaches. Markus, l’un des fils de la famille âgé de 29 ans, explique : « Nous vendons notre lait à la coopérative et nous élevons quelques chevaux. Notre mère, elle, s’occupe des chambres d’hôtes. » Parallèlement, Markus est mécanicien, tandis que son frère Hubert, qui gère aussi l’exploitation, est plombier. Voilà donc ces fermiers « nouvelle tendance » qui ont une double, voire une triple activité, qui travaillent en famille... et qui ont fait le choix du bio, à l’instar de quelque 19 000 exploitations autrichiennes – faisant du pays l’un des premiers producteurs agricoles bio de l’Union européenne et ayant banni les cultures OGM de son territoire. de belles brunes En remontant vers Reutte, nous faisons une halte par la plus petite commune du pays, Gramais, qui, avec ses 50 habitants, n’en compte pas moins une école et une église puis, à un saut de montagne, par Bschlabs, dont les vieux chalets de bois enrubannés de géraniums sont parmi les plus anciens de la région... Quelques lacets de route plus loin, également adossée au flanc des Alpes de l’Allgäu, la Tannheimertal s’étale largement entre les sommets. Vallée là encore rectiligne, comme tracée au cordeau, dont le paysage semble infiniment ouvert. Des chambres d’hôtes à la ferme, où l’on fabrique et vend parfois du fromage, le Bergkäse, ponctuent le décor. Dans les champs paissent

L’école du bois et de dorure d’Elbigenalp et la brasserie artisanale Höf Bräuhaus à Tannheim. Partout en Autriche, les métiers artisanaux sont valorisés.

d’indolentes Tiroler Grauvieh, robustes laitières à la robe tirant sur le gris, ou des Braunvieh (brunes des Alpes, race d’origine suisse), au pelage marron mordoré. On nous explique que, l’été, ces dernières emmontagnent dans les alpages de la vallée gérés de manière collective, précise-t-on encore. Même si l’omniprésence agricole marque le paysage alentour, Tannheim fait penser, avec son habitat resserré autour du bourg, à une paisible petite ville. Comme un leitmotiv, des hôtels, parfois imposants, invariablement tenus par des familles du cru. La station est surtout tournée vers le tourisme estival et les dizaines de randonneurs qui, le matin de notre visite, empruntaient le télésiège du Neunerköpfle, nous donnent un aperçu de cette véritable passion nationale des Autrichiens pour la marche en altitude. Arrivés à bon port, nous profitons de la vue sur les sommets de Rot-Flüh et Gimpel, arrondis comme un improbable dos de chameau, ainsi que sur le lac Haldensee, belle goutte d’eau bleu noir enchâssée dans la montagne. De là, on se rend tout à coup mieux compte des aménagements liés au ski alpin : 45 kilomètres de pistes répartis sur les six villages de la Tannheimertal. Et l’on prend la pleine mesure de ce Tyrol plus secret. Ces fous de tyroliens Non loin, la Bavière pointe ses sommets. Les relations avec les Allemands, perçus comme de très proches cousins, semblent au beau fixe. Et si ces derniers raffolent de l’Autriche pour les vacances, nombreux sont aussi ceux qui viennent y travailler. Hartmut Kunz, Berlinois d’origine, habite à Tannheim depuis trente ans. Gérant de la galerie d’art Augenblick, cet ancien reporter de guerre parle avec une certaine tendresse de sa région d’adoption : « J’ai fait le tour du monde et après m’être posé quelques mois ici pour prendre du recul, je n’en suis jamais reparti. » Avant de poursuivre : « Ici, on ne ferme pas sa voiture, on ne cherche pas de place de parking... Vous savez, après toutes ces années, je continue à penser que la vie est belle avec ces fous de Tyroliens ! »

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Alpbachtal

Une si délicate vallée...

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Entre ses paysages pimpants, ses montagnes aux courbes douces et ses chalets à galeries proprets, la vallée de l’Alpbach n’en finit pas de cumuler les bons points. Incursion dans ce Tyrol enchanteur qui n’aime rien de moins que séduire... Et où il fait parfois bon aller audelà de la carte postale.

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ans le Tyrol, les images d’Épinal ont souvent la vie dure. Ce n’est un secret pour personne. Et puisque, ici, chacun semble vouloir contribuer à perpétuer la légende, on est en droit de se demander si tout cela ne serait pas, au fond, qu’une histoire un peu factice, un conte pour touristes en mal d’authenticité. Le folklore autrichien façon montagne de charme ne serait-il qu’un jeu ? Bien sûr, le style local a été copié partout dans les Alpes, mais il n’en reste pas moins que le Tyrol a des choses à dire. Ici, le respect des coutumes n’est pas un vain mot. Y compris chez les jeunes générations qui continuent de porter haut le flambeau de la tradition héritée de leurs aïeux. La vallée de l’Alpbach, à michemin entre Innsbruck et Salzbourg, est la parfaite incarnation du charme tyrolien, mais elle ne se contente pas d’être une vitrine. La vie montagnarde y a gardé sa part de vérité. Souvent à mille lieux des clichés. On arrive dans l’Alpbachtal par l’étroite vallée de

Alpbach est “le” village tyrolien par excellence et sert très souvent de décor naturel à des feuilletons télévisés de type “soap” version allemande.


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ALPBACHTAL des poires, que l’on ne manque jamais de vous offrir lors d’une visite. À Alpbach, les Margreiter, tout comme les Moser, sont légion, et la coutume locale veut qu’on remplace le nom des villageois par celui de leur chalet, afin de les distinguer plus facilement. Alors qu’il broyait des pommes dans sa cave, Joachim “Leirer” – puisque c’est ainsi qu’on l’appelle – nous a expliqué qu’il vendait directement à la ferme son eau-de-vie et son jambon fumé maison. Comme le font d’ailleurs beaucoup d’agriculteurs qui proposent lait, fromages, charcuterie, pots de confiture, jus de fruits, miel – des produits également distribués en magasins qui portent le label de qualité Forum Umwelt Leben. Un petit verre de schnaps plus tard et nous prenons congé de nos hôtes, non sans avoir salué d’un Pfiat di (au revoir en dialecte local, à prononcer Pfirrt di) l’arrièregrand-mère de la maison qui, à 96 ans, a conservé un beau visage de montagnarde encadré de tresses épinglées en chignon. Sous le toit des Leirer, dans cet immense chalet vieux de quatre cents ans, ce ne sont pas moins de quatre l’alpbachtal est peut-être moins générations qui vivent réunies. la structure connue que ses vallées voisines, mais Incontestablement, familiale reste l’un des piliers de elle est aussi plus secrète la société autrichienne.

l’Inn qui, on ne peut que le constater, voit son espace vital très occupé par l’activité humaine. Bien sûr, derrière les montagnes qui bordent l’autoroute ultrafréquentée venant d’Innsbruck – l’un des axes principaux irriguant l’Autriche –, on imagine aisément les trésors qui se cachent. Et justement, au-delà de la vallée du Ziller, il y a celle l’Alpbach, qui débute juste avant les Alpes de Kitzbühel. Peut-être moins connue que ses illustres consœurs, mais aussi plus secrète. Après avoir quitté la petite ville de Brixlegg, nous nous enfonçons dans le décor et après le passage de gorges un peu sombres, le paysage s’ouvre tout à coup. Comme un pan de décor, qui se dévoilerait derrière un rideau, nous nous retrouvons en pleine carte postale made in Austria. Côté couleurs, il y a d’abord ce vert intense qui saute aux yeux. La végétation panachée – beaucoup de résineux, quelques feuillus – est typique de la moyenne montagne. Nous nous trouvons à 1 000 mètres d’altitude et l’exposition plein sud confère une belle clarté aux sommets alentour, 40

entre crêtes douces d’un côté et monts vallonnés à l’assise large de l’autre. Cette petite vallée fermée qui court tout le long du torrent de l’Alpbach vit en grande partie du tourisme. Station familiale de sports d’hiver – avec 50 kilomètres de pistes de ski alpin et 100 kilomètres de pistes de ski nordique –, Alpbach est un lieu de villégiature estival prisé, qui a déjà reçu le prix envié de “plus beau village d’Autriche”... Après l’hiver, la vie ne s’arrête pas et l’activité agricole y est sûrement pour quelque chose. Leo Meixner, responsable marketing à l’office de tourisme, constate : « Pour nous, le tourisme est primordial. On vient de toute l’Autriche et même de l’étranger pour travailler ici, surtout dans l’hôtellerie ou la restauration. L’agriculture a, elle, permis de préserver nos paysages. » Et il n’est qu’à regarder les nombreux champs pâturés autour de soi pour se rendre compte que l’espace est resté ouvert. Le jour de notre visite, Joachim Margreiter était en train de fabriquer du schnaps, ce digestif à base de fruits, le plus souvent des pommes ou

Les meilleurs outils pour entretenir le paysage demeurent les vaches… Les Tyroliens sont à la tête de petits troupeaux dont ils vivent bien.

glockenturm, ou petit clocher À Alpbach, le long des routes qui serpentent dans la montagne, les chalets plus que centenaires comme celui des Leirer sont légion, et c’est certainement ce qui contribue à rendre l’endroit si attachant. Avec leurs doubles balcons ouvragés, leurs fenêtres à petits carreaux, leur toit bordé d’un feston dentelé, ils sont de précieux témoins. Dotés d’une structure en madriers emboîtés les uns dans les autres, un peu à la façon des jeux de construction pour enfants, tout de bois vêtus, ils ont acquis avec les années une patine cuivrée. Les toits recouverts de tavaillons ne sont, eux, plus guère nombreux, même si un détail caractéristique du Tyrol y subsiste : le fameux Glockenturm. Un petit clocher dressé sur la toiture de la ferme qui abrite une cloche, protégée sous un petit toit circulaire en forme de chapeau chinois, qui avait pour fonction de rythmer les heures et d’avertir les membres de la famille de celles des repas. Et puis, partout, il y a ces greniers et ces granges à foin qui viennent compléter le décor,

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le tyrola su s’imposer en champion incontestable de l’accueil touristique et de l’hospitalité touchantes évocations de la si rigoureuse vie pastorale d’antan. l’âme des “Almen” Sur le chemin du restaurant d’altitude de la famille Bletzacher, nous traversons plusieurs hameaux aux chalets impeccablement fleuris, d’où rien ne dépasse. Depuis le Zottahof, la vue plongeante sur le village est superbe. Nous sommes dans une des Alm d’Alpbach, ces fermes d’alpage proposant le couvert d’où l’on redescend parfois en luge, l’hiver, après avoir mangé. Mme Bletzacher, grand-mère à l’énergie communicative, nous explique : « Ici, nous avons 18 vaches, contrairement à un simple Hütte (refuge) qui se trouve aussi en altitude, mais où l’on ne fait que de la restauration. » Ainsi se sustente-t-on, dans les dix auberges de montagne que compte Alpbach, de spécialités simples et revigorantes comme l’incontournable Tiroler Gröstl, à base de pommes

Ce que nous prenons, à tort, pour du folklore n’est que l’expression d’une identité et d’un amour de la montagne. Sur la terrasse d’un refuge ou d’une buvette d’alpage, il n’est pas rare que l’humeur se fasse soudainement joyeuse.

de terre, oignon et œufs. Il est parfois possible de dormir dans ces fermes d’alpage. Elles font intimement partie du décor – elles sont plus de 500 dans tout le Tyrol –, et démontrent au passage à quel point le pays a su s’imposer en champion de l’accueil touristique et de l’hospitalité. Autre jalon du décor, le patrimoine religieux, qui imprime de son empreinte le Tyrol. L’Alpbachtal ne fait pas exception à la règle. Églises aux longs toits effilés, oratoires, chapelles, croix, statues pieuses, calvaires... partout les monuments religieux nous rappellent la toute-puissance du catholicisme dans un pays qui ignore la séparation de l’Église et de l’État. Même si, selon plusieurs interlocuteurs croisés, la fréquentation des offices dominicaux commence à lentement s’effriter, la vie des gens reste fortement marquée par la prégnance de la foi. Pour preuve, cette procession dominicale croisée à Alpbach, à laquelle de nombreux enfants et jeunes gens habillés en

Souffleurs de verre dans la plus petite ville d’Autriche Rattenberg, à quelques encablures de l’Alpbachtal, le costumes traditionnels participaient. Dirndl, longue jupe de coton froncée à la taille, tablier, boléro ajusté, corsage à manches bouffantes pour les femmes. Culotte de cuir ou de velours à bretelles croisées, chemise blanche, veston taillé dans du loden pour les hommes. Le gros ceinturon en cuir qui amène la touche finale est, de son côté, encore fabriqué dans le village de Reith. Brodé avec des plumes de paon, chacun de des costumes, nécessite plus de 150 heures de travail. Après avoir repris le flambeau familial, Georg Leitner est l’un des derniers artisans spécialisés à vivre de cette activité : « Chacun a son propre costume pour le dimanche et les jours de fête. » Avant d’ajouter : « Ce que j’aime par-dessus tout dans ce métier, c’est le fait d’être indépendant et de pouvoir aller grimper ou skier quand j’en ai envie ! » Parlez avec les Tyroliens et vous vous rendrez vite compte que la passion de la montagne n’est jamais bien loin...

long de l’Inn, est cette cité dont la taille tient dans un mouchoir de poche et qui fut longtemps disputée par la Bavière et le Tyrol. Ses maisons aux hautes façades colorées et décorées de stuc ont le visage quasiment inchangé de l’architecture de la Renaissance. En effet,

au XVIIe siècle, après l’épuisement des mines de cuivre et d’argent qui avaient fait la fortune de la ville, il n’y eut plus aucune nouvelle construction. Aujourd’hui, avec ses quelque 400 habitants répartis dans trois rues piétonnes, il est difficile d’imaginer que cette cité semblant s’être endormie fût si prospère. Mais également influente, puisqu’on y contrôlait aussi l’espace fluvial. Après l’exploitation des mines, elle devint pourtant la capitale de la verrerie, une autre grande spécialité de l’artisanat tyrolien. De nombreux ateliers, où le verre est soufflé, taillé et gravé, sont toujours en activité. Rattenberg s’enorgueillit ainsi du titre de ville de la verrerie, alors qu’une école réputée, spécialisée dans l’apprentissage du travail du verre –la seule d’Autriche – se trouve non loin de là, dans la cité voisine de Kramsach.

Dans les ateliers de la maison Kislinger, on continue à souffler le verre selon des techniques immuables.


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La ville à la montagne

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Étonnante Innsbruck qui ne peut s’empêcher de lorgner vers l’azur ! Entourée de part et d’autre par des sommets se dressant tels des remparts, la capitale du Tyrol serait-elle plus montagnarde que citadine ?

© 710013127_ Alamer / Iconotec / /Photononstop

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’arrivée à Innsbruck est saisissante. Non loin du centre, il y a d’abord ces crêtes dentelées à la minéralité brute se découpant dans le ciel qui donnent à la ville un air altier. D’un côté, la Nordkette, avec sa face abrupte ponctuée de paravalanches. De l’autre, le Patscherkofel, avec sa rondeur bonhomme, qui ne saurait pourtant faire oublier qu’elle est la montagne symbole des jeux Olympiques de 1964 et 1976. Capitale historique et culturelle, centre administratif et estudiantin, la ville la plus peuplée du Tyrol – 130 000 habitants – ressemblerait presque à Grenoble, et dans ses ruelles, on se sent vite happé par ce concentré subtil d’histoire et de modernité, de jeunesse et de dynamisme... L’Inn, après s’être abreuvée de tous les torrents descendus des vallées tyroliennes depuis la région de l’Engadine en Suisse, imprime de son rythme soutenu la vie d’Innsbruck (qui

Capitale du Tyrol, ville estudiantine, Innsbruck possède un très beau centre ancien, mélange de styles gothique, Renaissance et baroque.


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L’inn, tout droit descendue de la région de l’engadine en suisse, abreuve la cité de ses eaux blanches comme neige. signifie littéralement “pont sur l’Inn”). Les eaux de la rivière, blanches comme neige, finiront par aller se jeter dans le Danube, en Bavière. Pour tout dire, Innsbruck donne envie d’inspirer une grande bouffée d’air frais, ce qui est plutôt rare pour une ville, convenons-en. Avec ses 23 000 étudiants, elle dégage une impression diffuse de vitalité, tout en restant largement imprégnée du passé. Ainsi fut-elle façonnée, entre autres, par Maximilien von Habsburg. Très attaché à la cité, il en fit le centre de son empire... au point d’y laisser quelques plumes. Symbole incontournable de cette magnificence, le Petit

Le Baroque rococo se caractérise par une exubérance de décors en stuc. À droite, le “Bergisel”, le tremplin de saut olympique d’Innsbruck redessiné en 2002 par l’architecte angloirakienne Zaha Hadid.

Toit d’or, oriel aux 2 657 tuiles dorées, faisant office de loge d’honneur. Le dernier empereur ne s’en tiendra pas là. Il commandera, entre autres, le fastueux mausolée de la Hofkirche, mais l’ironie de l’histoire fera qu’il n’y sera jamais inhumé. À la suite d’un conflit avec les commerçants d’Innsbruck, excédés par les dépenses non honorées de sa Cour, l’empereur demandera à être enterré non loin de Vienne. C’est finalement son petit-fils, Ferdinand Ier, qui finira de faire couler les 28 impressionnantes statues de bronze – les “bonshommes noirs” comme on les surnomme –, représentant

la parentèle des Habsburg. « Regardez à quel point les détails des coiffures, des parures, des bijoux sont travaillés. C’est un témoignage de la Renaissance d’une valeur inestimable pour les historiens », commente Élisabeth Grassmayr, guide du patrimoine de la ville. L’irrévérence populaire se niche parfois dans les endroits les plus inattendus – précisons que l’un des bonshommes, Rudolf von Habsburg, est l’objet de l’attention de certaines dames. « En touchant son entrejambe, elles veulent s’assurer d’une vie amoureuse épanouie... Enfin, surtout les Italiennes », nous chuchote en souriant notre guide. Élisa-

Fondeurs de cloches depuis 14 générations

« Tout dépend de la bénédiction de Dieu. » Ce sont les premiers mots inscrits dans le carnet de voyages de Bartlme Grassmayr, qui coula sa première cloche à Habichen, dans la vallée de l’Ötz, en 1599, après un périple de plusieurs années en tant qu’apprenti. La dynastie s’est

ensuite installée dans le quartier de Wilten, près d’Innsbruck, en 1836, où l’entreprise est toujours en activité. Plus de quatre cents ans après, les Grassmayr perpétuent la tradition et le savoir-faire, transmis de génération en génération. Si l’alchimie d’une cloche réussie réside dans son tracé, ce savoir se transmet de père en fils, raconte Élisabeth Grassmay entrée dans la famille par mariage. « Pendant des siècles, les Grassmayr ont aussi fabriqué des pots en métal, des pompes. Puis des extincteurs et, pendant les années de guerre, elle a survécu en coulant des canons » affirme-t-elle. La visite du musée permet de découvrir l’atelier des fondeurs et d’apprendre quelques subtilités relatives à la confection des moules en argile utilisés pour la coulée des cloches.

beth Grassmayr est un caractère, comme on dit. Cette femme toute menue qui bouillonne d’une énergie incroyable appartient à l’une des plus anciennes familles d’Innsbruck, spécialisée dans la fonte des cloches depuis le XVIe siècle. l’histoire comme leitmotiv Nous la suivons d’un pas alerte jusqu’à la Stadtturm, un beffroi édifié en 1358 surplombant le PetitToit d’or et la Helblinghaus, une maison ornée de pompeuses volutes rococo. « Innsbruck est à 570 mètres d’altitude et, à 900 mètres, il y a ce qu’on appelle le Mittelgebirge, des terrasses aplanies à l’époque glaciaire, où il est aujourd’hui très agréable d’habiter », poursuit Élisabeth Grassamyr. À nos pieds bat le cœur du vieil Innsbruck, un

quartier à la fois animé et populaire avec son chapelet de rues étroites et ses façades colorées façon stuc. Animé et populaire, comme la Riesengasse alternant les petits commerces de proximité et qui a gardé une charmante authenticité. En remontant un peu plus haut jusqu’à la Maria-Theresien-Strasse, un détour par l’arc de triomphe, édifié en 1765 lors du mariage de Leopold II et de Maria Ludovica d’Espagne, s’impose. Où l’on s’imprègne à nouveau de la montagne environnante, qui semble toiser la ville de toute sa superbe. Tandis que les cloches des « 37 églises d’Innsbruck, toutes issues de la fonderie familiale », commelepréciseÉlisabethGrassmayr, sonnent au loin. Malgré ce patrimoine historique prestigieux, Innsbruck n’a pourtant pas peur de l’avant-gardisme


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INNSBRUCK en matière architecturale. À l’image de l’Autriche tout entière, qui n’en finit pas de revisiter l’habitat contemporain. Le nouvel hôtel de ville, transformé par le Français Dominique Perrault – qui a notamment réalisé la Bibliothèque François-Mitterrand à Paris – est le symbole d’une reconversion réussie.

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design futuriste Sur le toit de ce carré de lumière tout en transparence, comprenant aussi une galerie commerciale, il faut venir trinquer au fameux 360°, l’endroit branché de la ville où l’on déguste un verre de vin sur une terrasse circulaire. Panorama somptueux à l’appui, comme au restaurant adjacent, le Lichtblick, décliné dans la même veine design. À deux pas de là, le passage de la Sparkassenplatz, avec son toit dépliant et ses installations lumineuses modernes, laisse place à la librairie Wiederin aux lignes minimalistes noires. Mais, le clou du spectacle, c’est

sans conteste les réalisations d’une des architectes actuellement les plus courues de la planète, l’Anglo-Irakienne Zaha Hadid. En effet, impossible de ne pas voir le tremplin de saut à skis du Bergisel qui domine

Riche d’un patrimoine historique prestigieux, innsbruck ne craint pas l’avant-gardisme architectural. Innsbruck. Suspendu au-dessus de la piste d’envol, un écrin de verre et de béton accueille une spectaculaire brasserie offrant un point de vue vertigineux. Impossible non plus de ne pas s’arrêter devant les stations du funiculaire de la Hungerburg, ouvertes fin 2007. Pensées comme « des formes organiques en verre imitant les glaciers », ces stations sont d’une pureté graphique absolue, évoquant même, pour l’une d’entre elles, les ailes et le nez du défunt Concorde. Voire un aigle royal. Par le funiculaire,

Coupoles en cuivre des églises baroques et rideau de perles de cristal “made in Swarovski”, le classicisme côtoie le modernisme le plus épuré.

Les joyaux du Tyrol

L’entreprise Swarovski a été créée en 1895 à Wattens, une petite ville non loin d’Innsbruck, par Daniel Swarovski, un inventeur originaire de Bohême venu s’installer en Autriche. Daniel Swarovski mit alors au point un procédé industriel de production qui rendait la taille du cristal rapide et précise. Aujourd’hui encore,

seuls ses héritiers maîtrisent l’intégralité de ce procédé et chaque employé de la maison ne connaît que la partie qui le concerne. Quant à la visite des ateliers, elle est tout simplement interdite au public. Ainsi, le secret de fabrication des cristaux reste-t-il savamment entretenu par la cinquième génération des Swarovski, à la tête d’un véritable empire : premier employeur du Tyrol, l’entreprise – également spécialisée dans la fabrication d’instruments d’optique et d’abrasifs – comptait, en 2008, 6 700 salariés en Autriche et 22 000 dans le monde. Mais, au-delà d’un secret de fabrication, le génie de la maison Swarovski aura certainement été de proposer à celles qui ne peuvent pas s’offrir des diamants, une alternative moins coûteuse. A Wattens, l’exposition “Kristallwelten” met en scène le cristal sous toutes ses formes (voir photo page de droite). Après la première salle, qui accueille le plus grand et le plus petit cristal au monde, des œuvres artistiques, le plus souvent avantgardistes, ont été réalisées par des artistes célèbres dont Keith Haring, Niki de SaintPhalle, Salvador Dali... Contact : 00 43 52 24 510 80.


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INNSBRUCK

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par le funiculaire, il ne faut que vingt minutes pour relier le centre-ville à la station d’hafelekar, à 2 256 mètres d’altitude il ne faut pas plus de vingt minutes pour relier le palais des congrès, en plein centre-ville, au téléphérique de la Nordkette menant aux stations de Seegrube puis d’Hafelekar, à 2 256 mètres d’altitude. Làhaut, le décalage entre la vue sur l’agitation urbaine et le calme imperturbable de la haute montagne est frappant. Le massif des Karwendel, à la blanche austérité, s’ouvre devant nous. Au-dessus de nos têtes, quelques choucas se laissent porter par le vent. L’endroit est incontestablement photogénique puisqu’il servit de décor à des films mythiques comme Sissi impératrice. D’ailleurs, on

y trouve encore le chalet du tournage de Geierwally, l’un de ces “Heimatfilm” – film de terroir – autrichiens des années 1950. Les sentiers de randonnée conduisant parfois jusqu’à des alpages ou des restaurants d’altitude sont nombreux. On y skie aussi, mais c’est compter sans les 285 kilomètres de pistes qui entourent encore la ville, répartis sur neuf domaines. Élisabeth Grassmayr nous explique : « De ce côté-ci, à la frontière avec la Bavière allemande, nous sommes sur les sommets calcaires des Alpes du Nord. Juste en face, du côté italien, ce sont les Alpes centrales qui

Une station du funiculaire de la ville dessinée par Zaha Hadid. Le style de cette architecte, première femme à recevoir le Pritzker, équivalent du Nobel en architecture, se reconnaît à ses entrelacs géométriques et ses sphères aérées.

débutent, avec des roches de type granitique et une végétation plus dense. » Innsbruck se trouve exactement à équidistance des deux pays : 38 kilomètres de l’Allemagne, 37 kilomètres de l’Italie... Un métissage entre Nord et Sud parfaitement intégré qui est certainement l’une des autres clés de la dynamique locale. Avant de retourner à la civilisation, on pense à ces Innsbruckois qui, ni une ni deux, se retrouvent skis aux pieds après avoir quitté leurs cours ou leur travail... Décidément, oui, Innsbruck semble bien être le seul endroit au monde où l’alchimie ville à la montagne paraît si évidente.


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