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LABORATOIRE D’ART MODERNE

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VERT CHLOROPHYLLE

VERT CHLOROPHYLLE

LA B ORAT OIRE D ’ AR T MODERNE

Sortir du cadre, casser les codes et inventer, tel était le leitmotiv des nombreux artistes latinoaméricains, pionniers de l’Abstraction géométrique, puis de l’art lumino-cinétique, qui s’installèrent dans le Paris des années 1940-1950. De l’audace, le collectionneur Jean Cherqui n ’ en manqua pas non plus en rassemblant quelque quatre mille œuvres de cette « niche » artistique, longtemps méconnue en France. Un audacieux pari aujourd’hui salué par des galeries et musées du monde entier.

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LIGNES DE FORCE

PAGE DE GAUC H E Jean Cherqui et son petit-fils Mathias Chetrit devant Illusory Perspectives, une installation commandée à Thomas Canto, suite à son exposition au Centre Pompidou, en 2016-2017.

PAGE DE DROITE Une sculpture, 1972, de Rosette Bir, une artiste française dont Jean Cherqui a racheté le fonds d’atelier à sa mort, en 1992.

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AVAN T- GARDE LAT INA

PAGE DE GAUC H E 1, 4. Dans la collection lumino-cinétique de Jean Cherqui, des œuvres nées de l’imagination de Gyula Kosice, Martha Boto, Carlos Cruz-Díez, Frank Malina ou Alberto Biasi dans les années 1960. 2. Dans son bureau de collectionneur, des pièces rares comme Cardinal, huile sur carton de Carmelo Arden Quin, Paris, 1949. 3. Avec Vidéo (en bas, à droite), l’artiste pionnier abolissait le cadre rectangulaire dès 1938, à Montevideo.

PAGE DE DROITE Jean Cherqui et Colette, son épouse, sont tombés amoureux de l’œuvre d’Arden Quin : « Enfin, l’essentiel pouvait être dit avec un alphabet relativement réduit parvenant à une géométrie épurée, sensible et ludique, un art sans effets, dont l’effet nous fut sidérant ». Au premier plan, une œuvre monumentale de Rosette Bir, 1971.

AR T EN RICOC H E T S

PAGE DE GAUC H E Des œuvres luminocinétiques des années 1950 et 1960 comme celles d’Hugo Demarco s’allument et s’éteignent en cliquetant comme des flippers.

PAGE DE DROITE Autour du Vitamin bar, très 2001 : l’odyssée de l’espace, de James Irvine, les tunnels de lumières en Leds et miroirs de Falcone, nom d’artiste de Mathias Chétrit, un clin d’œil aux avions fabriqués dans les hangars à côté des laboratoires Cherqui.

COU P S DE C Œ UR

PAGE DE GAUC H E Dans l’ancien entrepôt des laboratoires Cherqui, s’est installé un dialogue permanent entre les œuvres collectionnées par son grand père et les créations de Mathias Chetrit, entre abstraction et figuration. PAGE DE DROITE 1. En bon entrepreneur, Jean Cherqui parle de « niche » pour définir le cœur de sa collection : l’abstraction géométrique d’Amérique latine et l’art lumino-cinétique. Mais il s’autorise 20 % de coups de cœur éclectiques comme pour Tensio Structure Modulaire, 1998, de Giancarlo Caporicci, PVC et élastique. 2. Varietal Urbanus female, 2007, de Choe U-ram, une fleur métallique qui s’ouvre et dont on voit battre le cœur. 3. Supercordes, 2005, de Benoît Lemercier, sculpture en acier peint. 4. Fractal flowers, 2004, installation de Miguel Chevalier.

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P LAN ÈT E LUMI È RE

PAGE DE GAUC H E Jean Cherqui rencontre le Bolivien Gastón Ugalde à une Biennale de Venise et le persuade de réaliser cette accumulation de cinq mille ballons de foot en tissages traditionnels.

PAGE DE DROITE Une œuvre de la Milanaise Grazia Varisco, pionnière de l’Op Art, présente, elle aussi, à Venise en 1964 et 1986.

En 1967, Jean Cherqui est un scientifique, un pharmacologue accompli. C’est aussi un rapatrié d’Algérie, qui doit refaire sa vie à Paris à 40 ans passés . Et un collectionneur d’art éclectique, qui prend le chemin des galeries et musées parisiens, encouragé par son beau-frère, Lulu Seroussi, dont l’épouse Natalie vient d’ouvrir une galerie, rue Quincampoix. C’est elle qui lui fait découvrir l’Abstraction géométrique latino-américaine. Jean Cherqui a le déclic. Il sait que les tenants européens de ce courant, les Mondrian, Albers, Kandinsky ou Arp, sont déjà intouchables. Mais l’Abstraction géométrique latino-américaine reste accessible à un collectionneur privé, et Carmelo Arden Quin, créateur du mouvement Madí, vit à Paris. Quand ils se rencontrent, en 1977, c’est le coup de foudre. Rapidement intégré à l’avant-garde parisienne des années 1950, l’artiste uruguayen a côtoyé Arp, Dewasne, Jacobsen, et surtout Picabia et Vantongerloo qui l’ont beaucoup inspiré. Jean Cherqui va frénétiquement collectionner son travail. Avant de s’intéresser à Gyula Kosice, l’autre grande figure Madí, puis aux pionniers latino-américains de l’Abstraction géométrique, comme de l’art lumino-cinétique, dont beaucoup sont à Paris depuis la fin des années 1940. Il multiplie les voyages en Argentine et au Chili, rencontre les spécialistes de « sa » niche, encore méconnue en France. Dans les années 1990, Jean Cherqui vend ses laboratoires, crée sa fondation : l’Institut Jean et Colette Cherqui, et installe ses collections dans les garages et les espaces de stockage qu’il a conservés à Aubervilliers. Une ancienne rampe de livraisons mène à ce qui pourrait être un appartement des années 1970, si une Ferrari customisée par José Franco n’était garée au milieu.

Joyeuse, frondeuse et hors cadre, la plus importante collection de tableaux de Carmelo Arden Quin est au mur. Il faudra attendre 2010, et l’exposition « Géométrie Hors Limites » à la Maison de l’Amérique latine, pour que les Parisiens découvrent cette collection et sa contribution à l’histoire de l’art du XXe siècle. Jean Cherqui a aujourd’hui 92 ans, et il se réjouit de voir « ses » artistes activement soutenus par les grandes galeries new-yorkaises et reconnus par les musées internationaux. Voir une œuvre d’Arden Quin lui ayant appartenu au côté des chefs-d’œuvre de Josef Albers et Mondrian à la Tate Modern l’enchante : « quelle joie de voir cette œuvre de notre petite niche entre ces deux monstres ! ». Mathias Chetrit, son petit-fils, l’a rejoint et fait souffler un vent nouveau sur la fondation. De son propre aveu, la démarche curatoriale et les conditions de conservation peuvent faire tiquer certains conservateurs classiques. « Mais c ’ est le luxe d’une collection privée, dit-il. On vit avec ces œuvres, on les touche et je tiens à cette approche informelle. » Il n’est pas si loin le temps où il jouait à cache-cache au cœur de la collection, et ce n’est pas un hasard si lui aussi crée des œuvres-hommages aux pionniers de l’art lumino-cinétique. Mathias aimerait ouvrir la fondation à un public plus large. Il imagine des happenings avec d’autres galeries, des interventions d’artistes. En attendant, il reçoit surtout les galeristes et commissaires d’exposition intéressés par les œuvres dont son grand-père veut se séparer. Jean Cherqui vend pour mieux acheter, étoffer une collection qui compte cinq mille œuvres entre Paris, Londres, New York et Buenos Aires. Depuis douze ans, Mathias accompagne ce grand-père extraordinaire sur les salons du monde entier. Adresse page 208

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