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SEPTEMBRE-NOVEMBRE 2012 N°
BELGIQUE-FRANCE
SORTIR DES VIOLENCES CONJUGALES LIBYE
LES FEMMES, D’UN PRINTEMPS A L’AUTRE RENCONTRE
MARIE-JO CHOMBART DE LAUWE
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ÉDITO
C
omme partout ailleurs sur notre planète, on oublierait parfois que les femmes existent au “pays des droits de l’Homme”. Et pourtant, depuis longtemps, depuis toujours peut-être, des femmes ont refusé cette mise sous le boisseau, si facile à l’aune des qualités dites féminines : la modestie, la discrétion, l’effacement, l’acceptation des tâches subalternes, ingrates, sans honneur et sans gloire, mais qui usent les yeux, le dos, le corps et le cœur, qui ôtent le temps et le goût du plaisir, si peu fait pour les femmes. L’invisibilité, au fond, leur conviendrait. Mais les femmes sortent du silence. De plus en plus. Certes, pas encore toutes, car pour beaucoup, le chemin reste encore long, avec de multiples obstacles et la peur, toujours prégnante, qui les empêche d’exister au grand jour. Des femmes quittent un monde de violences alors qu’elles croyaient ne jamais pouvoir le laisser derrière elles. Auprès d’autres femmes, elles ont été comprises, acceptées avec leur histoire, malgré la honte et la culpabilité dans lesquelles les avait enfermées un auteur d'actes inhumains et dégradants. Elles se sont saisies de cette solidarité pour reprendre en main leur destin, pour enfin vivre ou revivre, en savourant la liberté conquise. Parmi ces femmes abattues qui se relèvent, certaines n’ont connu de leur vie de couple que les injures, les coups, les viols à répétition, parce qu’il faut bien qu’il y ait un maître à bord et le rappeler de temps en temps, c’est normal. D’ailleurs, qui s’en soucie ? “Des femmes Tout se passe dans un monde clos. En parler nuirait à la bonne marche des quittent un monde familles et donc de la société. Et puis les femmes sont habituées, rien de bien grave en somme. de violences Mais voilà, il y a celles qui un jour en ont eu assez et qui ont commencé à briser alors qu’elles silences. Les féministes des années 1970, dans leur combat pour l’égalité, croyaient ne jamais les ont découvert l’ampleur d’un phénomène méconnu, parce qu’occulté. Ce sont pouvoir le laisser les femmes qui subissaient cette violence, qui ont décidé de la reconnaître, de derrière elles.” la nommer et d’en sortir. L’aide, le soutien, la solidarité nécessaires sont venus d’autres femmes, car quand on naît femme, on comprend vite qu’on n’a pas tout à fait les mêmes chances, ni les mêmes droits. Elles ont ouvert des lieux d’accueil, d’écoute, d’hébergement. Elles ont influé sur les politiques publiques, mis en place un numéro d’appel gratuit et anonyme “Violences conjugales - Femmes Infos Services”, qui deviendra quinze ans plus tard le 3919. Et tant d'autres victoires, passées ou à venir. Oui, les femmes combattent, résistent. Elles inventent chaque jour des moyens d'avancer dans l’adversité. Les exemples sont nombreux, dans les luttes pour la dignité et un futur meilleur, d’énergies mises au service de causes sans gloire qui mériteraient l’admiration de toutes et tous : femmes anonymes ou reconnues, qui un jour ont dit non à la violence d’un mari, d’un frère, d’un groupe ou d’un État. Il est essentiel de tout faire pour sortir de l’ombre et du silence les actes de ces femmes admirables, souvent héroïnes du quotidien. Chaque pas vers la reconnaissance de leur courage et de leur dignité est un pas dans l’Histoire.
Maryvonne Bin Heng, Présidente Françoise Brié, Vice-présidente Fédération nationale Solidarité Femmes
N° 1 ‑ SEPTEMBRE/NOVEMBRE 2012 3
SOMMAIRE
LONGUE DISTANCE L’actualité des femmes en résistance à travers le monde
REPORTAGE D’AILLEURS La lutte des Libyennes, d’un printemps à l’autre
RENCONTRE Marie-Jo Chombart de Lauwe, Grand’Croix de la Légion d’honneur
REPORTAGE D’ICI Vous ne pouvez pas rester comme ça, Madame...
ALENTOURS L’actualité d’ici des femmes engagées
PLEIN CADRE Isabelle Janin, soif de culture(s)
PHOTOGRAPHIES / En Une : Pierre-Yves Ginet ; Page 7 : UNHCR, Michal Osmenda/Creative Commons Attribution, Béatrice Brunel ; Page 12 : Rodrigo Abd/AP/SIPA ; Page 13 : Saeed Khan/AFP PHOTO, Daniel Berehulak/Getty Images/AFP ImageForum ; Page 21 : Lucile Chombart de Lauwe ; Page 40 : Thomas Samson/AFP ImageForum, CFFB ; Page 41 : Pierre-Yves Ginet ; 4e de couverture : Keystone-France. Extraits du magazine trimestiel “Femmes en résistance”, n°1, paru en décembre 2012 - Date de bouclage : 23 novembre 2012. Edité par l’association Femmes ici et ailleurs : 20, rue de la Rize — F-69003 Lyon - Tél. 04 37 43 02 35 - Présidente : Nathalie Cayuela Dépôt légal : décembre 2012 - ISSN en cours. Numéro de Commission paritaire en cours. Prix de vente France métropolitaine : 5,90 euros. Abonnement 1 an France métropolitaine : 23,60 euros. Ce magazine contient un bulletin d’abonnement à “Femmes en résistance”. Magazine imprimé en France par IDMM - 6A, rue des Aulnes - 69410 Champagne-au-Mont-d’or Directrice de la publication : Nathalie Cayuela / Ont participé à ce numéro : Nathalie Poirot, Anaïs Boisson, Lucie Canal, Léopoldine Garry. Rédaction : femmesenresistance.infos@gmail.com / Abonnements : femmesenresistance.magazine@gmail.com
Fan page Femmes en résistance magazine
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http://femmesenresistancemag.com
LONGUE DISTANCE
DES FEMMES DU MONDE EN RÉSISTANCE
TUNISIE
Égales ! Pas complémentaires !
SOMALIE
Mama Hawa récompensée
Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés a décerné le 18 septembre sa distinction Nansen 2012 à Hawa Aden Mohamed, pour “son œuvre humanitaire exceptionnelle en faveur des réfugiées et déplacées somaliennes”. Depuis vingt ans, les sècheresses et les guerres ont contraint plus de deux millions de Somaliens à fuir certaines régions. Hawa Aden Mohamed, plus connue dans sa ville de Galkayo sous le nom de Mama Hawa, est une ex-réfugiée, rentrée au pays en 1995 pour créer un programme d’éducation visant à aider les déracinés. Depuis son ouverture, en 1999, le Centre d’éducation pour la paix et le développement a accompagné plus de 215.000 personnes. Des espaces où les femmes victimes de violences peuvent trouver sécurité, protection et débouchés ont été mis en place. Le Centre soustrait aussi à la rue de jeunes déplacés pour les empêcher de tomber sous la coupe des groupes armés. Mama Hawa milite enfin vigoureusement pour les droits des femmes et, en particulier contre les mutilations génitales féminines. Son action est inspirée par la conviction que l’éducation est à la base de tout. “Sans cela, on n’existe pas véritablement.”
ROYAUME-UNI
We want sex equality Part 2
Depuis longtemps, la Ville de Birmingham versait le même salaire, à poste équivalent, à tous ses employé-e-s. Mais, dans les faits, un système parallèle de bonus ne s’appliquait pas aux salariées des corps de métiers majoritairement féminins, à l’inverse de leurs homologues des branches “masculines”. Le 27 avril 2010, 5.000 personnes, principalement des femmes, portaient l'affaire devant les juridictions régissant les relations salariées. Leur recours était finalement rejeté en appel, de nombreuses plaignantes ayant quitté leur travail depuis plus de six mois, excédant donc la durée de prescription prévue au Code du travail britannique. Un groupe de 174 salariées saisissait une autre juridiction et le 24 octobre 2012, la Cour Suprême rejetait l'appel de la municipalité de Birmingham. Les femmes du groupe “Abdulla”, du nom de la première sur la liste, toucheront une compensation atteignant 2 millions de livres (environ 2,5 millions d'euros). Leur action permettra aussi aux travailleurs britanniques d’intenter un procès à leur employeur jusqu’à six ans après la fin de leur contrat. Des milliers d'ex-salariées du pays seraient concernées.
Les Tunisiennes le répètent : rien ne les fera regretter la dictature de Ben Ali. Toujours est-il que les droits des femmes sont une préoccupation majeure, depuis les élections de 2011. Le gouvernement de Hamadi Jebali, issu du parti islamiste majoritaire Ennahda, donne et reprend, au gré des pressions locales et internationales. Pour le premier anniversaire de l'Assemblée constituante, le 23 octobre 2012, nombre de femmes étaient dans la rue pour crier leur colère. Quelques semaines auparavant, une patrouille contrôlait un couple dans une voiture. Deux policiers violaient la jeune femme. À la suite de son dépôt de plainte, le ministère de l’Intérieur niait les faits et accusait le couple d'attentat à la pudeur. Des centaines de manifestantes investissaient alors des artères de la capitale, devant les bureaux de police ou le tribunal, plusieurs jours durant, forçant les autorités à incarcérer les coupables. Les mois passés ont également vu l'épilogue d'une bataille législative remportée par les féministes. Le 1er août, le projet de Constitution publié stipulait que la femme tunisienne est “complémentaire” de l'homme, formulation visiblement inspirée de la charia, conformément aux souhaits d'Ennahda. Le tollé a été général dans le pays et le 24 septembre, le texte a été modifié pour revenir à l'égalité. À chaque tentative de retour en arrière, les femmes font entendre leur voix. Amira Yahyaoui, blogueuse et activiste, ne semble pas surprise de cette situation : “On ne peut pas parler de la révolution au passé, elle n'est pas terminée. Nous devons continuer à nous battre. En matière de droits, l'égalité femmes-hommes est un principe universel, il n'y a pas de spécificité identitaire ou religieuse qui tienne.”
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REPORTAGE D’AILLEURS
Le 3 mai 2011, une femme devant le tribunal de Benghazi, symbole du soulèvement de la ville. Sur les murs, les portraits des “martyrs” tués par les forces de Kadhafi. Pour les Libyen-ne-s, ce “V” de la victoire porte le slogan des rebelles : “Nous vaincrons ou nous mourrons”. Benghazi
Le 15 mai 2011, une femme cuisine pour les combattants et les réfugiés du conflit, dans le bastion rebelle de Benghazi. Le 25 août 2011, pendant que les combats font rage en Libye, à l'hôpital central de Tripoli, une équipe médicale s'affaire autour d'un rebelle blessé par balle à la tête. Tripoli
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REPORTAGE D’AILLEURS
LA LUTTE DES LIBYENNES, D'UN PRINTEMPS À L'AUTRE
LA LUTTE DES LIBYENNES,
d’un printemps à l’autre Texte de Najla el-Mangoush et Pierre-Yves Ginet Najla el-Mangoush, avocate libyenne, activiste des droits humains est l'une des premières révolutionnaires du 17 février 2011, à Benghazi. Infatigable militante, animatrice de nombreux ateliers citoyens, elle est à l'initiative de quelques mouvements qui ont fait date dans son pays.
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n février 2011, la Libye se soulevait. Aujourd’hui, les femmes occupent davantage la scène. Mais la rue appartient toujours aux hommes. La mixité, si nécessaire et si efficace il y a quelques mois, n’est plus qu’un émouvant souvenir. Les droits des femmes sont toujours ignorés, les violences domestiques ou les viols se règlent souvent par des accords entre familles et les crimes d’honneur restent nombreux. Pourtant, l’espoir était de mise. Car tous en Libye s’accordent à reconnaître le rôle capital des femmes dans la chute de Kadhafi. Hana el Gallal, révolutionnaire de la première heure et directrice du Centre libyen pour le développement et les droits humains, se rappelle de ces mois de lutte : “Il y avait des femmes et des hommes ensemble, tous les blocages culturels ou religieux avaient disparu. Nous nous serrions les coudes pour nous sauver du massacre et avancer : hommes, femmes, vieux, jeunes, riches, pauvres. Cette communion était exceptionnelle et c’est ce qui a fait notre force pour réussir l’impossible.”
autres terrains. Certaines informent les rebelles sur les positions des troupes gouvernementales, collectent de l'argent pour financer les armes ou passent des munitions aux postes de contrôle. D'autres transmettent des informations à la population locale et aux médias internationaux, accompagnent des journalistes, assurent la sécurité des ressortissants étrangers et parfois même celle de leur quartier en l’absence de la police. Des Libyennes s'occupent des soins aux blessés dans les hôpitaux ou improvisent des cliniques de fortune chez elles.
Dès l’origine, l’engagement des Libyennes est crucial. Le 15 février 2011, les familles des victimes de la prison d’Abou Salim manifestent à Benghazi. En 2008, ils ont appris le massacre des leurs, morts parmi les 1.270 détenus politiques exécutés le 29 juin 1996. Depuis l’annonce de leur disparition, chaque semaine, quelques dizaines de personnes, dont une majorité de mères, sœurs, épouses ou filles de disparus, investissent les trottoirs pour demander justice, crier leur hostilité au régime, sans que la population n’ose les soutenir. Mais ce soir de février 2011, par internet, grâce à l’élan des révolutions voisines, la voix des femmes d’Abou Salim hurlant “Debout ! Debout Benghazi !”, face au quartier général de la police, fait le tour de la ville en quelques heures. Dans la nuit, les premiers heurts opposent des jeunes aux forces kadhafistes. Le 17 février, la population prend la rue, des milliers de manifestants investissent le tribunal de la ville, lieu symbole de l’insurrection libyenne. Pendant les mois de guerre qui suivent, la ligne de front est aux hommes. Rares sont les Libyennes qui prennent les armes. Mais les femmes sont omniprésentes sur tous les N° 1 ‑ SEPTEMBRE/NOVEMBRE 2012 13
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RENCONTRE AVEC...
MARIE-JO CHOMBART DE LAUWE
PAR LUCILE CHOMBART DE LAUWE, SA PETITE-FILLE, PHOTOGRAPHE
Le 11 novembre 2012, Marie-Jo Chombart de Lauwe a été décorée de la Grand'Croix de la Légion d'honneur. Onzième femme à être élevée à ce rang, elle rejoint notamment Geneviève Anthonioz-de Gaulle et Germaine Tillion. Résistante de la première heure, elle a connu la déportation, à Ravensbrück. Là-bas, ne cessant jamais la lutte, elle a notamment œuvré pour sauver les nouveau-nés du camp. Après la guerre, chercheuse au CNRS et membre de la Ligue des droits de l’Homme, Marie-Jo Chombart de Lauwe s'est engagée contre la torture en Algérie, contre les enfants dans la guerre et combat toujours le négationnisme et l’extrême droite. Elle a contribué à l’adoption par l’ONU, en 1989, de la Convention internationale des droits de l’enfant. Présidente de la Fondation pour la mémoire de la déportation, ses prises de parole appellent à la vigilance et à l’action collective. N° 1 ‑ SEPTEMBRE/NOVEMBRE 2012 21
Vous ne pouvez pas rester comme รงa, Madame... REPORTAGE DE PIERRE-YVES GINET
REPORTAGE D’ICI
De l’urgence à l’indépendance, pour sortir des violences conjugales
“
Vous ne pouvez pas rester comme ça, Madame”. Policiers, interlocutrices de la ligne téléphonique “Écoute violences conjugales”, des refuges pour femmes battues ou des associations de soutien aux victimes, toutes et tous prononcent souvent cette phrase, après avoir entendu les témoignages de celles qui vivent la violence conjugale. Le problème concernerait une femme sur six en Belgique, de tous âges et toutes classes sociales confondues. Des épouses, des compagnes, la plupart tombées un jour amoureuses, qui ont partagé un quotidien, des projets, des rêves. Des femmes qui ont donné beaucoup pour ce dessein, pour “leur homme”, leurs enfants. Aux premières insultes, aux dénigrements naissants, puis lorsque l’emprise de leur conjoint a pris de l’ampleur, elles se sont accrochées, ont plié pour ne pas abandonner. Elles ont nié la vérité aux premiers gestes de violence, aux premiers coups, s’isolant petit à petit de leurs proches, puis de l’extérieur. Devenues plus dépendantes, affaiblies, subissant parfois l’inacceptable, ces femmes ont malgré tout rassemblé leurs forces et sont parties. Avant de revenir, en pensant qu’il avait changé, que ses promesses étaient sincères. Pour essayer encore. Mais le plus souvent, pour s’enliser davantage dans la honte et la culpabilité, perdre toute énergie, jusqu’à ne plus pouvoir survivre ainsi. Face à ce fléau, ces femmes ne sont pas seules. Les lois et l’appareil judiciaire ont progressé, même si beaucoup reste à faire. Les forces de police ont évolué pour répondre plus efficacement à la problématique. Quelques avocats savent intégrer les processus de violence à leurs plaidoiries, devant les tribunaux, pour les divorces ou les gardes d’enfants. Mais surtout, des associations possèdent une expertise exceptionnelle, en matière de lutte contre les violences conjugales et d’assistance aux victimes. Selon les cas, ces organisations apportent tout ou partie de l’aide nécessaire. Basés à Bruxelles, Liège et La Louvière, les trois collectifs pour femmes battues de la Communauté française, pionniers dans ce combat, sont les plus complets. “Solidarité femmes et refuge pour femmes battues”, à La Louvière, par exemple, offre toute la palette des apports possibles : un accompagnement dans la durée, pour des femmes vivant toujours, au départ, au domicile conjugal, avec notamment l’élaboration de scénarios de protection ; mais surtout un hébergement d’urgence, adapté aux femmes seules ou avec enfants, dont plus de trois mille personnes ont bénéficié depuis trente ans. Leur première préoccupation est la mise en sécurité des victimes, avec une solution logistique complète, envisageable pour des femmes souvent démunies sur le plan financier. Le refuge aide les hébergées à se reconstruire sur le plan psychologique, en les amenant à comprendre toutes les formes d’agressions subies, le cycle répétitif des violences, en travaillant avec elles sur l’estime de soi, souvent anéantie. Des activités spécifiques destinées 26 N° 1 ‑ SEPTEMBRE/NOVEMBRE 2012
aux enfants, victimes directes ou collatérales de la situation, sont également développées. Le centre offre aussi une rupture avec l’isolement dans lequel trop de femmes étaient confinées, avec un appui collectif essentiel. Enfin, hébergées ou non, toutes les personnes soutenues par l’association peuvent bénéficier d’un appui sur le plan juridique et social, d’un soutien pour leurs recherches d’emploi, de logement ou leur réinstallation. Ces dernières années, dans le sillage de ces trois collectifs, d’autres services ambulatoires dédiés aux femmes victimes de violences ont vu le jour sur le territoire de la Communauté française. Parmi ces structures récentes, les conseillères de “Violences conjugales, ça vaut pas l’coup”, à Namur et Sambreville, proposent aussi un “coaching permanent”. Plutôt complémentaires de “Solidarité femmes”, elles répondent aux victimes ayant besoin d’être ponctuellement davantage “portées”, pour sortir de la violence de leur compagnon. Force de ces associations, leurs intervenantes font preuve d’un engagement personnel hors normes. Elles ont ce combat chevillé au corps. Quelques-unes ont vécu cette expérience, de l’autre côté de la barrière. Toutes partagent d’abord la conviction que la violence conjugale est un mal social dont il est possible de sortir. Individuellement, lorsque l’on est victime, en s’appuyant sur les structures existantes qu’il conviendrait de développer. Les associations abondent d’exemples de femmes sorties de ce néant et ayant trouvé le bonheur. Mais aussi collectivement, en instaurant enfin une “tolérance zéro” sur le plan judiciaire ; en prenant pour cibles tous les types de violences et notamment les violences psychologiques, les plus désastreuses et les plus répandues aujourd’hui ; et bien sûr, en mettant davantage l’accent sur la prévention et la sensibilisation, dès le plus jeune âge, pour combattre tous les comportements violents et les stéréotypes sexistes. Mais ces défenseures des droits des femmes pensent également qu’il est nécessaire de changer le regard porté sur celles qui tentent de sortir de la violence conjugale. Comprendre à quel point cette maltraitance est au début comme un gaz inodore et invisible, répandu par un être aimé. Voir combien le cliché de la “victime soumise et passive, faible de caractère” est erroné. Appréhender le courage indispensable pour faire face à la peur, se lancer dans le vide au niveau affectif, social, financier, tout en pensant à protéger ses enfants. Une force qu’il faut savoir chercher très loin, quand on a vécu des années d’humiliations, de contrôles, d’injures, de harcèlement et parfois de coups. Car comme le souligne Josiane Coruzzi, directrice du refuge de La Louvière : “Nous les accompagnons. Nous ne changeons pas les vies. Ce sont ces femmes qui les changent !”.
REPORTAGE D’ICI
VOUS NE POUVEZ PAS RESTER COMME ÇA, MADAME...
En dehors des repas collectifs, c’est dans ces pièces que les hébergées passent la plupart de leurs journées. Les femmes échangent sur leurs expériences, se conseillent et, au fil du temps, une véritable solidarité et une dynamique s’installent. La Louvière
Pages précédentes : Au refuge de La Louvière, Emilie Delmotte travaille au soutien psychologique des hébergées. Elle accompagne les femmes pour les aider à extérioriser leurs émotions et les amener à prendre conscience de l’anormalité de ce qu’elles ont subi. La plupart des personnes suivies sont d’une grande fragilité, souvent étouffées par des sentiments de honte et de culpabilité, fruits d’années de destructions d’un conjoint manipulateur. La Louvière N° 1 ‑ SEPTEMBRE/NOVEMBRE 2012 27
ALENTOURS PROSTITUTION
Osez, messieurs ! À la veille de la Journée internationale contre les violences faites aux femmes, le réseau Zéromacho - des hommes contre la prostitution, a réaffirmé sa position abolitionniste en lançant sa première grande campagne : “Osons la masturbation, les plaisirs, le désir, le sexe… Refusons la prostitution...” Cette réponse est dirigée vers les personnes qui ne voient dans le système prostitueur qu’une dimension sexuelle ou que les prostituées n’existent que pour répondre aux prétendus “besoins irrépressibles” des hommes. Les activistes rappellent aussi que l'immense majorité de ces femmes sont victimes de réseaux de proxénètes. MIDI-PYRÉNÉES
L’égalité, vecteur d’innovation Dans le cadre de l'Eurorégion, qui regroupe Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon, la Catalogne et les Baléares, le 26 novembre, était organisée à l'Hôtel de Région, à Toulouse, une rencontre sur le thème “De la petite enfance jusqu’à la vie professionnelle : l’égalité comme vecteur de l’innovation sociale”. Deux cents personnes ont participé aux conférences et tables rondes. La journée s'est achevée par une synthèse, vantant les avantages d’une société plus équilibrée en matière d’égalité femmes-hommes.
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DROITS REPRODUCTIFS
L’IVG remboursée à 100 % !... 38 ans après Il aura fallu 38 ans de combats et d'abnégation aux associations luttant pour les droits des femmes pour, enfin, arriver à cette loi proposée par le gouvernement et entérinée par l'Assemblée nationale. Le 26 octobre 2012, les députés ont voté le remboursement à 100 % des interruptions volontaires de grossesse par l'assurance maladie à toutes les femmes, accédant ainsi à cette revendication très ancienne des féministes, en première ligne desquelles les militantes du Planning familial. La décision prendra effet en 2013. Jusqu'à cette date, la prise en charge est de 75 % pour les femmes majeures. Elle est déjà intégrale pour les mineures. Le débat parlementaire sur la question a été apaisé, très loin de l'ambiance nauséabonde qui régnait dans l'hémicycle, fin 1974, lorsque Simone Veil défendait la dépénalisation de l'IVG. Là, seuls six élus de la Droite populaire ont proposé de supprimer cet article de loi. Reste maintenant à adresser la difficulté d'accès à l'IVG, le manque de centres étant criant sur certains territoires, les délais allant jusqu'à cinq semaines, contre cinq jours recommandés. Ce même jour, les députés ont également donné leur accord pour un amendement de Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, prévoyant que la contraception soit remboursée à 100 % pour les jeunes filles de 15 à 18 ans. Leurs pilules n'étaient jusque-là prises en charge qu'à 65 %. Cette mesure concernera plus d'un million de personnes. Quelques jours avant ce vote, Carine Favier, Présidente du Planning familial, dans une lettre ouverte, rappelait à la ministre que la contraception gratuite et confidentielle pour toutes les mineures, sans limite d’âge, en centre de planification, était un droit inscrit dans la loi depuis 1974. Pointant le manque de centres notamment en milieu rural et en zone périurbaine, elle soulignait la difficulté d'accès à une contraception véritablement gratuite et anonyme pour les mineures et la nécessité d'étendre le dispositif à toutes les mineures, mais aussi à tous les jeunes au-delà de 18 ans sans couverture sociale autonome, sans mutuelle, ou voulant garder la confidentialité. PARITÉ
Trouble de l’élection Avant les élections du 14 octobre, en Belgique, qui ont vu la victoire des nationalistes du N-VA, les féministes ont voulu prévenir plutôt que guérir. Composé d’une cinquantaine d’organisations de femmes et de membres individuel-le-s, le Conseil des femmes francophones de Belgique (CFFB) a lancé une campagne autour de la parité, afin d'alerter le public sur la faible représentation des femmes dans les organes de pouvoir et d'inciter la population à voter sans a priori sexiste. Le CFFB a notamment pointé qu'avant ces élections, seulement 9 % des Bourgmestres étaient des femmes, la palme étant à la province de Namur avec une seule élue. Contacté au téléphone, le CFFB n'est pas encore en possession des données post-électorales. Celles-ci ne seront connues que vers la mi-décembre, après que les élu-e-s aient prêté serment. Mais le pessimisme semble de mise et les militantes redoutent, aux vues des résultats bruxellois, un recul de la parité dans le Royaume.
PLEIN CADRE ISABELLE JANIN
PLEIN CADRE
ISABELLE JANIN
soif de culture(s) Toujours en mouvement, dans sa tête, dans sa ferme, avec dans le Rhône : “Il y avait des tonnelles, des petits jardins. les autres, avec le monde… Pour Isabelle Janin, sauter J'aimais vraiment cet endroit, j’y passais tous mes étés.” dans ses bottes pour aller soigner ses moutons et ses Dans “ses” maisons de famille, la musique est omniprésente. vaches écossaises ou réunir ses copains, agriculteurs bios Le chant et le violon, la joie d’écouter Mozart... Être ou férus d’art contemporain pour monter un festival, c’est mélomane est une singularité sur ces terres agricoles. une seule et même chose. Avec la même conviction : tisser Dans son arbre généalogique, on trouve un aïeul canut, des liens entre l'urbain et le rural, transmettre l’idée que le ami d'Édouard Herriot, musicien et compositeur à ses sol est vivant et que nous devons préserver et valoriser sa heures et un grand-père marin et violoniste. De quoi se diversité. sentir enracinée sur la terre natale, tout en étant portée à Quand on l'interroge sur la difficulté d'être une femme des rencontres improbables et pourtant bien réelles. dans un milieu agricole très masculin, Isabelle hausse les “Aujourd'hui, dans la famille, il n'y a plus que moi dans épaules. Elle s’en fiche un peu d’être une femme. À 57 ans, l’agriculture..." Ses frères n'ont aucune attirance pour la elle est épanouie, mariée et mère de terre et l'élevage. D’ailleurs, leurs parents trois enfants. “Il y a de plus en plus les encouragent pas sur cette voie : “Un “J’ai cette grande ne d'agricultrices… Les choses nouvelles sont métier trop ingrat, et de plus, pas pour une chance, c’est un souvent inspirées par des femmes qui n'ont fille.” Devant le refus catégorique de son pas peur de bousculer les idées reçues”. père, la jeune femme suit des études de luxe de ne jamais laborantine, à Lyon, avant de rejoindre Biodevoir jouer à Moutons et vaches paissent à proximité de Mérieux. Ses premiers salaires lui serviront quelqu’un d’autre” à acheter... des moutons. la ferme où elle travaille et vit avec Claude, son époux. Les abords sont soignés, les “Nous sommes des enfants de mai 68, les chiens vous accueillent, un paon passe nonchalamment. babas cool, le Larzac, Creys-Malville. C'était dans l'air du La bergerie jouxte l’habitation. Nous sommes à Vernand, temps. J'ai acheté mon premier bouquin sur l'agriculture près de Fourneaux dans la Loire. Les amis sont nombreux bio, j'avais 17 ans.” Entre culture et agriculture, son cœur à venir saluer le couple et prendre des nouvelles avant de balance… Elle a déjà fondé, à 15 ans, avec ses ami-e-s du repartir à leurs occupations. village, une Maison des jeunes. Le groupe organise des acElle avait onze ans et se revoit comme si c’était hier : tivités pour la cinquantaine d’enfants de la localité. Les “J'étais devant la porte de l'étable de mon grand-oncle et je mercredis, parfois le week-end, pendant les vacances, ils me suis dit : je serai agricultrice". Dans la petite exploitation programment et animent durant plusieurs années des de son père, cheminot, Isabelle l'aide dès que possible, cours de théâtre, des concerts classiques ou folk, époque s’occupe des vignes et des ruches. Son grand-oncle, lui, oblige... possède une ferme coquette, près de leur village d’Éveux, N° 1 ‑ SEPTEMBRE/NOVEMBRE 2012 41
elles
ONT ÉCRIT L’HISTOIRE
THÉROIGNE DE MÉRICOURT (1762-1817) l’amazone de la Révolution française Dès la convocation des États généraux, Théroigne de Méricourt se précipite dans la tourmente révolutionnaire. Elle participe à la prise de la Bastille. Portant sabre et pistolets, elle conduit le 5 octobre 1789 le cortège qui se rend Versailles. Après neuf mois de détention dans une prison du Tyrol, la “Belle Liégeoise” reçoit un accueil triomphal à son retour à Paris, en janvier 1792. Elle est en première ligne, lors de l'invasion des Tuileries, le 10 août 1792. Le 25 mai 1793, l'amazone incomprise, liée aux Girondins, est dévêtue et rouée de coups par un groupe de Parisiennes. Sa raison chavire. Elle finit ses jours démente et internée. Cette icône oubliée de la République, native de Belgique, qui remettait en cause la suprématie masculine, inspira Delacroix pour son chef d’œuvre “La Liberté guidant le peuple”.