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INTÉRIEUR

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LES GOUVERNANTES

de Anne Serre - Pavane onirique

Court roman aux allures de conte, paru en 1992 et réédité ce printemps, Les Gouvernantes condense à lui seul l’éclat singulier de l’œuvre qu’a construite Anne Serre au gré de ses nouvelles et de ses romans, couronnée en mai 2020 par le Prix Goncourt de la nouvelle pour « Au cœur d’un été tout en or », au Mercure de France.

TEXTE : JEAN-JACQUES VALES, LIBRAIRIE ALINEA

Éditions Champ Vallon

Au vieux monsieur qui les observe à la lunette, elles offrent la déhiscence de leurs étoffes, et les courtisans qui, la nuit venue, se risquent à sauter les grilles, se désignent comme proie à leur appétit charnel. « Quand il aura tout donné, qu’il sera épuisé, alors elles le laisseront. Il sera comme un nourrisson, nu sur le vert Une belle demeure hors sauge de la prairie, et elles, elles auront du temps au milieu d’un des souvenirs pour les soirs d’hiver lorsqu’il parc immense, de jeunes est si long, si désespérant d’attendre garçons qui s’égayent épris derrière les fenêtres l’arrivée d’un étranger ». de leurs trois jolies et ©Sandrine Roudeix De tels déduits, il arrive que naisse un fraîches gouvernantes et enfant, et la maternité, ambiguë (mais sous le regard du couple de propriétaires, M. et Mme Austeur et nous baignons dans un conte, rappelons-le, dans une fiction leur ribambelle de petites bonnes. Laura, Inès et Eléonore magnifique) s’affranchit des conventions. sont entrées au service des Austeur « un beau jour », choisies et retenues toutes trois pour leur élégance, pour l’espiègle Le récit, comme pouvait l’être l’Alice de Lewis Carroll, attention qu’elles portent aux jeunes enfants dont elles est exempt de repères, on ne saura ni quand ni où tout cela s’occupent, et pour leur goût de la fête. Dès leur arrivée, et une se passe, rien ne sera dit sur l’origine ou la condition des jeunes fois franchies les grilles du parc, il semble que le passé de chacune femmes, de leurs maîtres et des jeunes garçons. On ne saura se soit résorbé dans le clos, le capiton et les boiseries de la belle rien hormis que d’autres parcs et d’autres demeures jouxtent demeure, sitôt qu’une vie nouvelle faite de jeux et de promenades la propriété, que parfois des fêtes s’y donnent où les lumineuses circonscrites aux bosquets du parc s’est offerte à elles trois, gouvernantes, si promptes à la gaité mais confrontées devenues centres solaires du lieu et de ses maîtres. aux lisières du monde qui les a faites souveraines, voient leur éclat se ternir. Car en filigrane, Anne Serre explore les âmes Avec son verbe précieux, tranché, parfois ironique, l’imaginaire -celles des gouvernantes, celles du couple Austeur- avec subtilité, d’Anne Serre nous fait spectatrices et spectateurs d’un rêve, dont et son imaginaire débridé pourrait être une représentation, il faut accepter qu’il s’affranchisse, comme les songes qui peuplent sublimée, des ressorts et désirs qui nous animent. nos nuits, de certaines barrières morales, la première étant Les Gouvernantes est un objet littéraire, huis-clos au goût l’omniprésence du regard distant, la seconde celle d’un érotisme étrange et déroutant. À une époque où les librairies regorgent d’un aplomb certain : parfois, à travers les grilles du parc, leur de récits de vie et d’autofictions crûment documentés, la lecture grâce suscite des désirs dont elles jouent avec une leste élégance. se doit d’être ici un consentement au plaisir de l’envoûtement. ●

« LES GOUVERNANTES » EST UN OBJET LITTÉRAIRE, HUIS CLOS AU GOÛT ÉTRANGE ET DÉROUTANT

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