Fisheye n°22

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N° 22 janvier-février 2017

Festival

LES DÉCOUVERTES DE CIRCULATION(S)

Économie

AGENCES PHOTO EN RÉSISTANCE

Culture

LE MUSÉE NIÉPCE MENACÉ

Musique

RENAISSANCE À LA NOUVELLE-ORLÉANS

Focus

KOLEKTIF 2 DIMANSYON À HAÏTI

Histoire

LA FACE CACHÉE DE VIVIAN MAIER

www.fisheyemagazine.fr

PHOTOGRAPHES & POLITIQUES

#fisheyelemag

N° 22 janvier-février 2017

BEL. : 5,20 € I CH. : 8,50 FS

JEUX DE POUVOIR

TÊTE D’AFFICHE QUI ES-TU, JOHN HAMON ?

BOXE CLARESSA « T-REX », LA REVANCHE À COUPS DE POING



Édito 2017 : L’ANNÉE DES POSSIBLES BENOÎT BAUME, DIRECTEUR DE LA RÉDACTION

© ShutterStock / AlexAndru nikA.

En regardant dans le rétro, 2016 nous semble comme un grand mouvement sans fin, une sorte de passage réussi dans l’hyperespace, même si tout n’était pas maîtrisé. Fisheye a pris un envol définitif après trois merveilleuses années. Vous êtes de plus en plus nombreux à vous abonner, à nous lire et à nous suivre sur les réseaux sociaux. Ce que nous arrivons à créer avec vous autour des auteurs photographiques contemporains trouve un écho bien plus large que nous ne l’aurions pensé. Désormais, avec notre galerie située dans le 10e arrondissement de Paris (venez nous voir !), notre site, nos réseaux sociaux, notre cousin Lense.fr, nos soirées (qui déchirent), nos lectures de portfolios, nos partenariats, et bientôt notre version digitale en anglais, nous essayons de multiplier les points de rencontre. En voyage en Chine, quelle a été notre surprise de savoir que nous étions suivis, là-bas aussi, avec une véritable attente. En 2017, nous allons continuer à vous proposer de nouvelles expériences, à réinventer les médias, et à garder une tension positive autour de la création. Vos contributions sont essentielles à ce projet. Donc n’arrêtez pas de nous solliciter. Nous sommes parfois longs à répondre, mais vos messages ne sont jamais vains. Cette année sera aussi celle de l’élection d’un nouveau président, d’une campagne à l’issue incertaine, et d’excès inévitables liés à l’image. C’est à travers ce prisme que nous avons réalisé un dossier sur les rapports sulfureux entre photographes et politiques. Un moment de cristallisation qui peut influencer durablement les opinions et que nous devons aborder sans naïveté. Une vraie somme pour que, le 7 mai prochain au soir, nous ne prenions pas une grande claque dans la figure en nous apercevant trop tard que, après les États-Unis, le blond peroxydé sévira une deuxième fois. Ce numéro s’arrête également sur la nouvelle édition de Circulation(s), sur un voyage à Lianzhou au pays de tous les possibles photographiques, à la Nouvelle-Orléans de nuit, et dans les boîtes de nuit de jour. La photo est inestimable, car elle photographie le réel, en tout cas un point de vue sur le réel. Merci de nous aider à garder un regard large, c’est tout l’esprit de Fisheye, ainsi que celui de l’équipe qui rend ce projet réalisable au quotidien et qui se joint à moi pour vous souhaiter une très belle année, aussi surprenante que créative.


instantanés

P. 8 The Steidz, l’art du renouveau

P. 11

P. 12 I M AG E S S O C I A L E S

CLIC-MIAM

Divines sardines

P. 18 P O RT R A I T

André Gunthert La photographie, intensificateur d’expérience

Patrick Le Bescont Un parcours en Filigranes P. 14

VO I X O F F

Jean-Christophe Béchet Se souvenir de Louis Stettner P. 16 MÉTIER

Dramaturge d’espace Jean-Christophe Ponce, scénographe

P. 2 0

— DOSSIER

Photographes et politiques

Jeux de pouvoir

© The STeidz. © emmanuel PierroT. © Jérôme BonneT / moddS. © Cyril BiTTon / FrenCh-PoliTiCS Pour LE MONDE.

T E N DA N C E


agrandissement

labo

P. 49 EXPOSITIONS

P. 53 FOCUS

Vu d’ailleurs

Kolektif 2 Dimansyon, autoportrait d’Haïti

P. 8 9 CAMÉR A TEST

Julien et Vincent Vidéo test

P. 5 8

sensibilité

P O RT F O L I O

À la force des poings

P. 10 3 A RT V I D É O

Romain Tardy, l’art post-Internet P. 10 5 P O RT F O L I O D É C O U V E RT E

After Party François Prost

P. 112 P. 93 AT E L I E R P H OTO

P. 6 6

Fabriquer son manchon

Lianzhou : la Chine sans complaisance

PRISE EN MAIN

Nikon D500 : rapide et nerveux

mise au point

P. 9 6 S H O P P I N G A P PA R E I L S

P. 7 3 PAT R I M O I N E

MUSIQUE

La Nouvelle-Orléans, bande-son d’une renaissance P. 116 P O RT F O L I O

A Couple of Them Elsa Parra & Johanna Benaïnous

Les meilleurs boîtiers de 2016 par le Labo Fnac

Descente dans les entrailles de la Terre

Histoires d’auteurs et de cimaises P. 114

P. 9 4

F E S T I VA L

CIMAISES

P. 12 2 P. 9 8

S H O P P I N G AC C E S S O I R E S

P O RT R A I T

Tête d’affiche

Party hard

P. 126 P. 10 0

P H OTO M O B I L E

2017, année nostalgique

ÉDITION

« Une invitation à se perdre, à dériver » P. 12 8 H I S TO I R E

La face cachée de Vivian Maier P. 13 0 LIVRES

© zaCkary CanePari. © raPhaël dallaPorTa. © marie aBeille.

Photothèque P. 132 AG E N DA

P. 78 C U LT U R E

Quel avenir pour le musée de Chalon ? P. 8 0

P. 8 4 É D U C AT I O N

Espace Saint-Cyprien : initiateur de rencontres P. 8 6

ÉCONOMIE

Agences photo : la résistance s’organise

M É C É N AT

Le patrimoine de la maison Guerlain

Panorama P. 135 FLASH

Une photo, une expo P. 13 6 COMMUNIT Y

Tumblr des lecteurs P. 13 8 C H RO N I Q U E


Contributeurs

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Raphaël Dallaporta

Laëtitia Guillemin

Zackary Canepari

Le travail photographique de Raphaël Dallaporta, né en 1980, couvre un large champ des préoccupations humaines. Il a travaillé en étroite collaboration avec des démineurs (Antipersonnel), des juristes (Esclavage domestique), des médecins légistes (Fragile) ou des archéologues (Ruins). Il nous présente ici son étonnant travail sur la grotte Chauvet Pont-d’Arc, qui fait l’objet d’une publication aux éditions Xavier Barral.

Après avoir étudié la photographie à l’EHESS et Paris-VIII, Laëtitia Guillemin a enseigné à l’université de Paris-I, et continue de donner des cours aux étudiants de Gobelins L’École de l’image. Elle collabore au Monde diplomatique en qualité de rédactrice photo, organise des expositions et des tables rondes. Elle est aussi cofondatrice du festival Circulation(s) et vice-présidente de l’Association nationale des iconographes. Elle signe dans le dossier de ce numéro l’article « L’œil sur la presse ».

Né en 1979 aux États-Unis, Zackary Canepari est un photographe et cinéaste indépendant dont la carrière a commencé en Inde en 2007. Il a ensuite fait équipe avec le cinéaste Drea Cooper et a réalisé avec lui une série de films documentaires sur la Californie, en 2010. Depuis 2015, il a entrepris un travail sur la ville de Flint, dans le Michigan, à travers l’histoire de Claressa Shields, double médaillée olympique de boxe féminine. Publié aux éditions Contrasto, ce reportage est à retrouver dans la rubrique Agrandissement.

Elsa Parra et Johanna Benaïnous Elsa et Johanna forment depuis trois ans un duo inséparable. C’est à New York qu’elles se sont connues et qu’est né leur projet A Couple of Them, exposé au festival Circulation(s) et présenté ici en portfolio.

François Prost François Prost est un directeur artistique parisien. Né en 1980 à Lyon, il a étudié le graphisme à Bruxelles. Depuis, il a travaillé pour Kenzo, Lacoste, et Canal+ notamment. Il se consacre à la photo durant son temps libre et vient de remporter la deuxième édition des Fidal Youth Photography Awards avec sa série After Party qui porte sur les façades des boîtes de nuit à la lumière du jour. C’est le portfolio Découverte de ce numéro.

Née à Bayonne, Elsa Parra a étudié un an aux Beaux-arts de Rueil-Malmaison, avant d’intégrer la section photo de l’école d’arts visuels de La Cambre, à Bruxelles. Deux ans plus tard, en 2012, elle rejoint les Arts décoratifs en section photo et vidéo. En 2014, elle part à New York pour étudier à la School of Visual Arts, où elle rencontre Johanna.

Johanna Benaïnous est originaire de Bretagne. Avant de s’installer à New York, elle a étudié à l’École supérieure des beaux-arts de Paris, dans l’atelier d’Éric Poitevin. Elle a commencé la photo lorsqu’elle était ado, avec un vieil Olympus numérique basse définition. Elle ne s’est jamais arrêtée depuis, la photo étant devenue pour elle « une évidence ».

Ours RÉDACTION Directeur de la rédaction et de la publication Benoît Baume benoit@becontents.com Rédacteur en chef Éric Karsenty eric@becontents.com Directeur artistique Matthieu David matthieu@becontents.com Graphistes Alissa Genevois alissa@becontents.com Maxime Ravisy max@becontents.com Secrétaire générale de la rédaction Gaëlle Lennon gaelle@becontents.com Secrétaire de rédaction Anaëlle Bruyand anaelle@becontents.com

Rédacteurs Marie Abeille marie@becontents.com Marie Moglia moglia@becontents.com Daniel Pascoal daniel@becontents.com Hélène Rocco helene@becontents.com Community manager Lucie Sordoillet lucie@becontents.com Ont collaboré à ce numéro Jean-Christophe Béchet, Anaïs Carvalho (Dans ta cuve !), Dorian Chotard, Julien Damoiseau, Maxime Delcourt, Jacques Denis, Sofia Fischer, Gwénaëlle Fliti, André Gunthert, Jessica Lamacque, Sylvain Morvan, Mathieu Oui, Marion Poitrinal

PUBLICITÉ Directeur commercial, du développement et de la publicité Tom Benainous tom@becontents.com 06 86 61 87 76 Chef de publicité Joseph Bridge joseph@becontents.com 06 64 79 26 13 Directeur conseil et brand content Rémi Villard remi@becontents.com SERVICES GÉNÉRAUX Directeur administratif et financier Christine Jourdan christine@becontents.com Comptabilité Christine Dhouiri compta@becontents.com

Service diffusion, abonnements et opérations spéciales Joseph Bridge joseph@becontents.com Fisheye Gallery Jessica Lamacque jessica@becontents.com Assistée d’Ella Strowel Marketing de ventes au numéro Otto Borscha de BO Conseil Analyse Média Étude oborscha@boconseilame.fr 09 67 32 09 34 Photo de couverture : Pierre Morel. Journée « Remue-méninges » du Parti de gauche organisé sur le campus étudiant de SaintMartin-d’Hères, en périphérie de Grenoble (Isère) le 24 août 2012, en présence de Jean-Luc Mélenchon.

Impression Léonce Deprez ZI « Le Moulin », 62620 Ruitz www.leonce-deprez.fr Photogravure Fotimprim 33, rue du Faubourg-SaintAntoine, 75011 Paris Fisheye Magazine est composé en Centennial et en Gill Sans et est imprimé sur du Condat mat 115 g Fisheye Magazine est édité par Be Contents SAS au capital de 10 000 €. Président : Benoît Baume. 8-10, passage Beslay, 75011 Paris. Tél. : 01 77 15 26 40 www.becontents.com contact@becontents.com

Dépôt légal : à parution. ISSN : 2267-8417. CPPAP : 0718 K 91912. Tarifs France métropolitaine : 1 numéro, 4,90 € ; 1 an (6 numéros), 25 € ; 2 ans (12 numéros), 45 € Tarifs Belgique : 5,20 € (1 numéro). Abonnement hors France métropolitaine : 40 € (6 numéros). Bulletin d’abonnement en p. 134. Tous droits de reproduction réservés. La reproduction, même partielle, de tout article ou image publiés dans Fisheye Magazine est interdite.

Fisheye est membre de



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I N S TA N TA N É S

TENDANCE

Qu’est-ce que l’art contemporain aujourd’hui ? C’est cette question que The Steidz explore depuis son lancement il y a un an. Un bel objet à la croisée de la presse magazine et de l’édition, et une vraie bouffée d’air frais.

THE STEIDZ, L’ART DU RENOUVEAU

C’est un projet qui est né sur les bancs de l’école. Celle où Maxime Gasnier a étudié le journalisme. Au départ, The Steidz était un blog. « J’avais très envie de créer mon propre webzine, puis le webzine s’est transformé en magazine », raconte le jeune homme, aujourd’hui rédacteur en chef de la revue. Il aura fallu une rencontre pour concrétiser le projet, car Maxime n’est pas seul à la tête de ce petit navire. Sébastien Maschino est directeur de publication. Le premier gère la maquette et la production, le second la communication et le commercial. Porté par une campagne de financement participatif sur KissKissBankBank, le duo a donné naissance, il y a un an, au premier numéro, tiré à 500 exemplaires. The Steidz intrigue et se fait remarquer, notamment par sa charte graphique léchée derrière laquelle on sent la fraîcheur d’esprit de Maxime. C’est jeune, beau et audacieux. Audacieux dans la démarche comme dans la ligne éditoriale – décrypter l’esthétique contemporaine à travers la mode, l’édition, la photographie ou le design. Car le contexte économique de la presse n’est pas favorable à l’apparition de nouveaux supports. Maxime et

Sébastien se sont lancés avec 4 600 euros. Aujourd’hui, ils ne se rémunèrent pas. C’est pourquoi le temps est un facteur important. The Steidz est une revue annuelle qui se décline sur un site web à l’esthétique épurée, faisant écho à la charte graphique du magazine. « On accorde une importance énorme au visuel, explique Maxime. On recherche des images fortes. » La curation est pointue et rigoureuse. Dans le deuxième opus, on retrouve par exemple les travaux de photographes tels que Jessica Wohl ou le duo italien Scandebergs. Une dizaine de journalistes contribuent à l’élaboration de chaque magazine, qui propose ainsi une pluralité de regards sur le paysage de l’art contemporain. Le deuxième numéro, lancé le 15 septembre 2016, a été tiré à 8 000 exemplaires – une belle progression en un an. Vendu au prix de 15 euros, The Steidz est une aventure prometteuse. www.thesteidz.com

© The STeidz.

TexTe : Marie Moglia


ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE DE LA PHOTOGRAPHIE

JOURNÉE PORTES OUVER -T E S

› Master | nouveau concours et inscriptions en ligne jusqu’au 27 février

› Doctorat, unique en Europe, « Pratique et théorie de la création littéraire et artistique », spécialité photographie › Programme international de résidence de recherche et de création › Formation professionnelle continue › VAE

Samedi 4 février 2017 — 10h à 18h

© Camille Kirnidis

16 rue des arènes BP 10149 13631 Arles Cedex

04 90 99 33 33 ensp-arles.fr Facebook : École-nationale-supérieure-de-la-photographie


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DOS S IER

PO LITIQ UE

Photographes & politiques

JEUX DE POUVOIR

© SébaStien Calvet.

SÉBASTIEN CALVET. MONTAGE D’IMAGES TÉLÉ DE FRANÇOIS FILLON ET ALAIN JUPPÉ LORS DU DÉBAT DE LA PRIMAIRE DE LA DROITE, LE 24 NOVEMBRE 2016, « COMME S’IL S’AGISSAIT DE FIGER LE DISCOURS POLITICO-MÉDIATIQUE POUR LE PROPOSER ENSUITE À L’ANALYSE DE CHACUN », PRÉCISE SÉBASTIEN CALVET, POUR LE SITE LES JOURS.


DO S S IER

PO LITIQ UE

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Photographes et politiques ont toujours eu des relations ambivalentes. Les questions du pouvoir de l’image et de l’image du pouvoir n’en finissent pas de les opposer. Et les services de communication s’évertuent à domestiquer les pratiques photographiques pour tenter de maîtriser leur discours. Nous avons cherché à savoir comment s’organise ce poker menteur dont on ne voit que la partie imagée. Les regards d’une douzaine d’auteurs nous ont servi de guides dans cette enquête, qui nous a conduits dans des rédactions, print et web, et sur les réseaux sociaux. Une façon de décrypter comment, de l’information à la propagande, les images tentent de prendre le pouvoir sur nos consciences.


DOS S IER

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PO LITIQ UE

TEXTE : L A ËTITI A GUILLEMIN

L’œil sur la presse Les services photo de la presse papier comme ceux des sites internet réfléchissent à leur manière de représenter la politique à la veille des prochaines élections. Visite guidée au cœur des rédactions.

Dans quelques mois, nous devrons nous rendre aux urnes pour élire un nouveau président de la République, puis les députés de l’Assemblée nationale. De meeting en meeting et de bains de foule en plateaux télé, l’image héroïque du candidat est mise en scène pour séduire et convaincre les futurs électeurs. L’ère du storytelling à la française, amorcée en 2007 par Nicolas Sarkozy, a redéfini les représentations de la politique en racontant des histoires construites de toutes pièces par les communicants. Comment la presse parvient-elle à se démarquer de ce système ? Reportage ou mise en scène, témoignage ou illustration, quelle stratégie visuelle les rédactions photo adoptent-elles ?

« La vigilance des services de communication est plus importante aujourd’hui qu’à la précédente campagne de 2011. C’est plus difficile de sortir des “tentacules” de la com’. Les accès qu’on donne ou non aux journalistes conditionnent les images du journal », explique Isabelle Grattard, chef du service

PHOTO DE MARC CHAUMEIL, AVEC FRANÇOIS HOLLANDE À L’IMAGE, PUBLIÉE DANS LA CROIX, LE 6 JUIN 2016.

© la Croix. / marC Chaumeil / FrenCh-PolitiCS.

L’EXPÉRIENCE DES PHOTOGRAPHES


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PO LITIQ UE

T E X T E : S OF I A F I S C H E R

À la recherche de l’Insta décisif Dans l’exercice du storytelling politique, les réseaux sociaux offrent aujourd’hui une plate-forme puissante aux communicants pour véhiculer une image plus intime des candidats. Loin des codes de connivence et de proximité développés dans d’autres pays, notamment aux États-Unis, la France reste dans un registre très institutionnel. Portrait d’une image politique numérique à inventer. Pages Facebook, comptes Twitter et Instagram : le numérique s’est installé dans le paysage politique comme un instrument incontournable de la représentation partisane. Mais comme toutes les techniques, le storytelling est agnostique, il est ce qu’on en fait. En France, où le contrôle de l’image reste absolu, les hommes politiques s’enlisent dans une communication descendante. Visites officielles, communiqués de presse, traditionnel cliché de réunion de dernière minute à bord du TGV et immuable triptyque visite de lieux/ poignées de main/discours. Bien loin d’un Barack Obama érigé en modèle de narration sur les réseaux sociaux, dînant en tête à tête avec sa femme, ou ajustant sa cravate face au miroir avant un discours à la Maison-Blanche. Souvent salué pour

sa communication hors pair, le président des États-Unis (11 millions de followers sur Instagram) a tissé un récit photographique oscillant entre humanisation et iconisation. Une innovation en termes de communication politique qui aura imposé à ses successeurs de maîtriser les mêmes codes. UNE IMAGE INGRATE ET CONTRÔLÉE

La force du récit photographique du compte Instagram de Barack Obama ? Le côté publicité Canada Dry. Les mouvements semblent fluides, les situations crédibles, l’expression naturelle. L’image entre dans l’espace intime du président. En France, impossible de prendre un homme politique sur le vif. « Après six mois de campagne,

quand je regarde mes dossiers, ce sont les mêmes foutues photos sans intérêt qui se répètent à l’infini », raconte Édouard Elias, qui a suivi Alain Juppé durant toute la primaire de droite. « Nous n’avons jamais eu accès à quoi que ce soit d’intime. » Il se souvient du jour où il a tenté de photographier le candidat alors qu’il nouait sa cravate. « Je me suis fait rembarrer : il m’a prié de ne pas le prendre pendant qu’il s’habillait. » Impossible aussi de photographier le maire de Bordeaux dans sa maison de campagne. « Je voulais faire un truc en extérieur, montrer le côté familial, décontracté. » Mais comme toujours, il se heurte à un non catégorique. « C’est simple, les hommes politiques bloquent l’accès aux photographes en amont. La question de ce qui sera publié ou non ne se pose même pas, puisque

l’accès est strictement contrôlé. » Un ancien membre de l’équipe de communication de Juppé confirme : « Ça a été une campagne numérique désastreuse. En même temps, quand on a un candidat qui dit que les réseaux sociaux “sont la poubelle de l’univers” [propos tenus par le maire de Bordeaux en octobre dans le JDD, ndlr], on imagine bien la marge de manœuvre laissée à ses communicants. » UNE COMMUNICATION GUINDÉE

Pourtant, l’outil est puissant. Il permet aux personnalités politiques de maîtriser l’information et l’image qui circulent, en donnant l’impression de relâcher un peu le contrôle. Mais surtout, cela permet d’avoir un lien avec le destinataire final et de se passer

CAPTURES D’ÉCRAN DES PUBLICATIONS SNAPCHAT DE NICOLAS SARKOZY PENDANT LA CAMPAGNE POUR LA PRIMAIRE DE LA DROITE ET DU CENTRE. L’ANCIEN PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE FUT LE PREMIER, AVEC BRUNO LE MAIRE, À FAIRE CAMPAGNE SUR CE RÉSEAU SOCIAL.


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T E X T E : J E A N - C H R I S T OP H E BÉ C H E T

Le président et le photographe Dans notre Ve République, le portrait officiel du président est une institution. Placardé dans toutes les mairies, il peut être acquis pour moins de dix euros auprès de la Documentation française. À première vue sans grand intérêt, ces images sont pourtant, depuis 1974 et l’élection de Valéry Giscard d’Estaing, de formidables révélateurs de la personnalité de ceux qui nous gouvernent et de leur relation à la photographie. le monde politique et son image. Pour son portrait officiel, il choisit un auteur déjà célèbre : Jacques-Henri Lartigue. Lartigue est un dilettante, spécialiste des prises de vue inattendues et poétiques. Mais c’est surtout un amateur qui brise les codes des professionnels, tout en restant dans les limites de la bienséance. C’est aussi un aristocrate comme veut l’être Giscard d’Estaing. Vite fait, bien fait, au reflex 24 x 36, à main levée, Lartigue cadre en largeur ! Du président, on ne voit que le visage, décentré sur la gauche, avec pour arrière-plan le drapeau tricolore.

PORTRAIT OFFICIEL DE VALÉRY GISCARD D’ESTAING, PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE (1974-1981).

C’est déconcertant, moderne et coloré ! Le président est (presque) un homme comme les autres, et Giscard accepte volontiers cette petite irrévérence. CÔTÉ JARDIN OU CÔTÉ BIBLIOTHÈQUE

En 1981, François Mitterrand est l’homme de la « Force tranquille ». Il fait appel à Gisèle Freund, grande figure du milieu culturel parisien. Elle a photographié Jean Cocteau, James Joyce, Colette… Mitterrand veut s’inscrire dans cette lignée, comme un homme de lettres. Il prend la pose, assis dans la bibliothèque de l’Élysée, un livre à la main, tel un écrivain. En 1995, Jacques Chirac veut incarner la rupture. Il est l’homme de terrain et de terroir, celui qui sort des intérieurs feutrés. La photo se fera donc en extérieur, côté jardin. Helmut Newton est, paraît-il, pressenti, mais c’est finalement la jeune Bettina Rheims qui sera retenue. Elle fait partie de l’entourage des Chirac. Le président se sent en confiance, et la portraitiste conçoit une image à la fois simple et bienveillante, en plein air, cadrée en hauteur. Les mains sont cachées, Chirac les a gardées dans le dos.

PORTRAIT OFFICIEL DE FRANÇOIS MITTERRAND, PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE (1981-1995).

EN 2017, LA PHOTO OFFICIELLE SERA PEUT-ÊTRE PRISE AVEC UN SMARTPHONE ET DIFFUSÉE SUR INSTAGRAM… En 2007, Nicolas Sarkozy est élu. Il n’a pas beaucoup d’amis dans le milieu culturel. Sur les conseils de Cécilia, sa femme, un photographe people est retenu : Philippe Warrin. Le numérique a remplacé l’argentique, et Warrin utilise un nouveau moyen format numérique (un Mamiya) pour faire le portrait de Sarkozy. Le président décide de retourner dans la bibliothèque, d’une part pour trancher avec Chirac – devenu son ennemi –, et d’autre part

© la doCumentation FrançaiSe. Photo JaCqueS-henri lartigue. © la doCumentation FrançaiSe. Photo giSèle Freund.

On glissera rapidement sur les portraits de Charles de Gaulle (1959) et Georges Pompidou (1969). Le premier est signé Jean-Marie Marcel, et le second, François Pagès, photographe de Paris Match. Les deux sont similaires : on y voit un « monarque » républicain, muni de ses décorations, devant une bibliothèque. Les photographes ne sont alors que de simples exécutants dont personne ne connaît le nom. Tout change en 1974 avec Valéry Giscard d’Estaing. L’homme veut être le Kennedy français, renouveler


DO S S IER

© la doCumentation FrançaiSe. Photo bettina rheimS. © la doCumentation FrançaiSe. Photo Jean-marie marCel. © la doCumentation FrançaiSe. Photo PhiliPPe warrin. © dila-la doCumentation FrançaiSe. Photo raymond dePardon.

PORTRAIT OFFICIEL DE JACQUES CHIRAC, PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE (1995-2007).

pour montrer que, contrairement à ce que l’on croit, Sarkozy est aussi un homme de lettres. Mais l’opération de communication échoue. La photo est trop retouchée, trop artificielle, à l’image des drapeaux français et européen qui semblent coloriés à la main. Le kitsch affleure et le portrait de Sarkozy illustre au final à la perfection le « bling-bling » de sa présidence.

sociaux. Pourtant, cette photo est en harmonie avec l’esprit politique du moment, comme avec le style du photographe. Les deux refusent l’emphase et les effets, les deux privilégient l’apparente neutralité du regard documentaire. Dans quelques mois, nul ne sait qui sera le nouveau président. Mais on est sûr que son portrait officiel sera encore une image symbolique, riche

503120432 affiche Validé JO

PO LITIQ UE

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PORTRAIT OFFICIEL DE CHARLES DE GAULLE, PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE (1958-1969).

PORTRAIT OFFICIEL DE NICOLAS SARKOZY, PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE (2007-2012).

de commentaires et d’interprétations. Car on le voit bien depuis 1974, le couple président-photographe représente une entité signifiante. Tout parle : le choix du photographe, son matériel de prise de vue, le décor retenu. En 2017, la photo officielle sera peut-être prise

avec un smartphone et diffusée sur Instagram… ou, au contraire, faite à la chambre grand format, comme un retour à l’ordre et à la tradition républicaine. Quoi qu’il en soit, tout fera sens. La photographie du président reflète l’air du temps et de la société.

DES CHOIX SYMBOLIQUES

En 2012, nouvelle rupture ! François Hollande veut être un président normal. Il lui faut donc une photo naturelle. Après quelques conciliabules secrets (le couple Hollande-Trierweiler compte beaucoup d’amis parmi les photographes en vue), le portrait officiel est confié à Raymond Depardon. Le choix est symbolique : Depardon est un reporter issu de la France rurale. Hollande doit se démarquer de Sarkozy, il quitte de nouveau la bibliothèque et opte à son tour pour le côté jardin de l’Élysée. On retrouve ainsi l’atmosphère du portrait de Chirac. Pur hasard ? Pas sûr, quand on sait que Chirac et Hollande s’apprécient, notamment en raison de leur attachement à la Corrèze. Sarkozy avait fait appel à un photographe équipé d’un appareil ultramoderne et onéreux. Depardon, lui, reste fidèle à l’argentique. Après avoir réalisé les premières vues au Leica 24 x 36, il décide d’utiliser un vieux Rolleiflex bi-objectif 6 x 6 muni d’un objectif légendaire, un grand-angulaire Schneider de 55 mm. La photo sera donc carrée (c’est une première), avec un point de vue un peu « maladroit » qui sera critiqué et caricaturé sur les réseaux

PORTRAIT OFFICIEL DE FRANÇOIS HOLLANDE, PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE (2012-2017).

1/6/2012


AGRANDISSEMENT


AG RAN DISSEMENT

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EXPOSITIONS

Repère auquel on s’accroche ou souvenir poétique, le paysage est à l’honneur de deux expositions monographiques qui incitent à l’évasion. Les deux autres manifestations témoignent de la société contemporaine en Italie et en Australie, avec un regard acerbe et critique. texte : Marie MogLia et HéLène rocco

VU D’AILLEURS LETIZIA BATTAGLIA : JUST FOR PASSION

ROME EXPOSITION COLLECTIVE : OUR LANDS

SYDNEY

Du 21 janvier au 18 juin 2017. www.artgallery. nsw.gov.au

Loin d’être uniquement la photographe de la Mafia, la Sicilienne Letizia Battaglia est aussi témoin de la société italienne depuis quarante ans. Née en 1935 à Palerme, l’artiste s’est mariée à l’âge de 16 ans avant de quitter son époux et de changer de vie. Durant trente ans, elle a suivi les mafiosi, puis s’est engagée en politique pour lever l’omerta et contrer l’emprise de la Cosa Nostra. Exposées au musée national MAXXI, ses 250 photos en noir et blanc, empreintes de civisme et d’éthique, retracent autant les protestations milanaises dans les années 1970 et les atrocités attribuées à la Mafia que les processions religieuses, les femmes Jusqu’au et les petites filles coquettes de 17 avril 2017. www. Sicile. On (re)découvre avec émotion fondazionemaxxi.it l’œuvre magistrale de celle qui fut l’une des premières femmes photojournalistes d’Italie. L’exposition rétrospective voyage à travers le monde – elle était présentée précédemment au Centre méditerranéen de la photographie de Bastia.

© Letizia BattagLia, courtesy L’artista. © Destiny Deacon.

LETIZIA BATTAGLIA, GERACI SICULO, 1980.

En Australie, la question aborigène reste encore un tabou. Avec Our Lands, la Art Gallery of New South Wales met en lumière les conflits, les tensions et les luttes politiques qui sous-tendent les débats sur les droits des terres dans le pays. Pendant critique de Sentient Lands, présenté depuis octobre dernier dans le même lieu, cette exposition regroupe les travaux de six artistes d’origine aborigène. Côté photo, Brenda L. Croft dévoile le quotidien de ce peuple, tandis que Destiny Deacon livre un travail mélancolique, drôle et acerbe, dans lequel elle oppose la vision fantasmée des Aborigènes à leur vie réelle. Pour le volet pictural, Daniel Boyd réinterprète les portraits des grandes figures de l’histoire australienne, Djambawa Marawili perpétue les traditions avec ses peintures sur écorces, et Gordon Bennett conteste les stéréotypes raciaux, tout comme Gordon Hookey et ses œuvres figuratives. Tous puisent dans leur culture pour attirer l’attention, avec justesse, sur le manque de reconnaissance de leur peuple.

DESTINY DEACON, OVER THE FENCE, TIRÉE DE LA SÉRIE SAD & BAD, 2000.


t n e i t a p e t brigit regardez-voir e h c n a m i d le 0 0 : 0 0 5 23: 1

le magazine de la photographie


AG RAN DISSEMENT

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FOCUS

Comment recadre-t-on ce qui a déjà été cadré mille fois ? En commençant par changer le point de vue derrière le viseur. C’est en tout cas le pari du Kolektif 2 Dimansyon et de sa revue Fotopaklè, de son nom créole. L’occasion de découvrir une Haïti photographiée par elle-même. TexTe : Sofia fiScher – PhoToS : KoleKTif 2 DimanSyon

Kolektif 2 Dimansyon Autoportrait d’Haïti

Commençons par une vérité énoncée par Dumas Maçon dans le premier éditorial de Fotopaklè : il était urgent que ce collectif voie le jour. Parce que les images qui nous viennent du pays caraïbe oscillent trop souvent entre chaos et cocotiers. La photo haïtienne est soumise soit à la recherche du beau – du sourire éclatant à la plage immaculée en passant par des paysages stupéfiants –, soit à la représentation du chaos qui règne sur l’île – troubles politiques, pneus qui brûlent, misère noire, cérémonies vaudoues… Quand l’actualité s’impose, avec son lot de préjugés, l’étranger vient photographier l’île. Puis

repart. En résulte un album national pris au piège d’une imagerie manichéenne, accusant de graves lacunes. Entre le blanc-sable éclatant et le noir-misère, toute une gamme de gris attend d’être documentée, archivée, immortalisée, transmise. UN FRANC REGARD DE NOUS SUR NOUS

Janvier 2010. Quand le sol se met à trembler à Haïti, des hordes de photojournalistes étrangers sont dépêchées pour témoigner du désastre de l’île. Pour les jeunes photographes sur place, c’est le déclic. « Haïti se résume au 12 janvier

2010 pour beaucoup d’étrangers, explique Georges Harry Rouzier, membre du Kolektif 2 Dimansyon. On s’est dit que les Haïtiens devaient aussi donner leur regard sur le pays. » C’est à Port-au-Prince, deux ans plus tard, que le projet prend forme dans les locaux de la Fondation connaissance UN GARÇON HAÏTIEN et liberté (Fokal, pour RAPATRIÉ PORTE DU BOIS les habitués), où se reRÉCOLTÉ DANS LA FORÊT DOMINICAINE. LES RAPATRIÉS trouvent régulièrement SE RISQUENT À CETTE écrivains, artistes, ci- EXPLOITATION ILLÉGALE PARCE QU’ELLE REPRÉSENTE PARFOIS néastes et intellectuels. LA PRINCIPALE SOURCE DE Ce lieu d’agitation est LEURS REVENUS.


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AGR A N DIS S EMENT

P O RT FOL IO

Double championne olympique de boxe féminine à 21 ans, Claressa Shields incarne la revanche sociale, elle qui est issue d’un milieu populaire de Flint, ville sinistrée du Michigan. Focus sur une cité, une famille et une jeune femme qui a la carrure d’une Cassius Clay. TexTe : Éric KarsenTy – PhoTos : ZacKary canePari

À la force des poings Claressa Shields est une figure emblématique de l’Amérique. Alors que son père est en prison durant ses premières années et que sa mère abuse de drogues, Briana, sa jeune sœur, traîne dans les rues et glisse du mauvais côté. La famille vit à Flint, dans le Michigan, une ville durement frappée par la crise de l’industrie automobile, qui a vu sa population réduite de moitié, son taux de chômage doubler la moyenne nationale, et où 40 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Mais à 11 ans, Claressa s’initie à la boxe et, à 17 ans, elle décroche la première médaille d’or de boxe féminine qui fait son entrée aux JO de Londres. Une médaille qui la propulse sous les feux des projecteurs et bouscule son parcours. C’est juste avant ce titre olympique que le photographe Zackary Canepari découvre l’histoire de Claressa en épluchant la presse sur le Net. À la recherche d’une histoire sur un jeune athlète, et intéressé par la situation singulière de Flint, il rencontre la boxeuse et comprend tout de suite qu’il tient là bien plus qu’une histoire sur le sport. Le parcours de la combattante est celui d’une famille en déroute, dont le photographe rendra compte à travers ses images. On fait ainsi connaissance avec Briana, sa sœur de 18 mois sa cadette, de Peanut, son très jeune frère, mais aussi de Jason, son coach qui assure le rôle de deuxième père, et d’autres personnages encore. Zackary Canepari et son complice Drea Cooper racontent l’histoire de Claressa dans un film, T-Rex, mais le photographe élargit le propos à la ville de Flint dans le livre Rex, qui vient d’être publié aux éditions Contrasto. Au printemps, l’aventure va s’enrichir d’une websérie, Flint is a place, avec sept épisodes centrés sur les deux sœurs, sur un centre de rééducation pour jeunes délinquants, sur le bal de fin d’année de l’école où Claressa a étudié, et sur d’autres volets qui nous racontent le contexte de cette histoire américaine. Ce destin est exceptionnel à plus d’un titre, puisque Claressa a décroché une seconde médaille d’or aux Jeux de Rio, et qu’elle vient de gagner son premier combat professionnel, le 19 novembre dernier. Elle est aujourd’hui installée en Floride avec son jeune frère, Peanut, qu’elle tente de protéger, tandis que sa sœur, Briana, est restée à Flint où elle a eu un second enfant. Toujours solidaire avec sa famille, Claressa

entame une carrière professionnelle pleine de risques et de défis qu’elle entend relever avec force, tant la boxe féminine concerne encore peu de monde. Un chemin semé d’embûches qui l’oblige à choisir entre des combats professionnels rémunérés lui interdisant (à ce jour) la voie olympique, et des combats amateurs lui permettant de prétendre à une prochaine médaille. Mais Claressa entend changer les règles à coups de poing, un prochain combat qui s’annonce difficile.


POUR ALLER PLUS LOIN : www.canepariphoto.com t-rexthefilm.com www.flintisaplace.com www.contrastobooks.com

CLARESSA CHERCHE LE CALME À FLINT, DANS LE MICHIGAN, TROIS JOURS APRÈS AVOIR REMPORTÉ LA MÉDAILLE D’OR DE BOXE FÉMININE AUX JEUX OLYMPIQUES DE LONDRES, EN 2012.


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AG RANDIS S EMENT

FESTIVAL

Dans une ville rurale de 500 000 habitants, à près de cinq heures de voiture de Canton, une histoire est en train de s’écrire avec la photo. Savant mélange de photographes chinois et étrangers, le festival a mis en exergue une vision critique de la société de consommation, et un musée majeur sera inauguré dans un an. Apprêtez-vous à retenir le nom de Lianzhou. TexTe : BenoîT Baume

Lianzhou Foto: la Chine se regarde sans complaisance la Granary, un des deux très beaux espaces du une référence fondatrice dans le champ de la festival. On a remarqué Li Zhengde, Kurt Tong et photographie documentaire. Eric Pickersgill nous Ouyang Shizhong (voir p. 68), mais aussi Wang impressionnait de nouveau avec Removed où il Ningde qui a été salué quelques semaines plus montre, par leur absence, la place prise par les tôt lors de Paris Photo avec ses images de traces smartphones dans nos vies. Enfin, dans le cadre de censures accumulées qui reconstituent des de cette grande exposition thématique, le très photos célèbres. Le fantasque Denis jeune Namibien Max Siedentopf, Darzacq montrait sa série Hyper, qui travaille dans l’atelier d’Erik déjà bien connue en Europe, et qui LI ZHENGDE MÈNE UN TRAVAIL Kessels à Amsterdam, se positionne, CRITIQUE DEPUIS DIX ANS a fait sensation en Chine. Il était avec ses travaux conceptuels très SUR LES NOUVEAUX RICHES aussi très appréciable de voir un audacieux, comme un futur grand DE LA VILLE DE SHENZHEN, QUI CONNAÎT UNE DES PLUS nouvel accrochage de Camden par de la scène artistique. Le subtil et FORTES CROISSANCES Jean-Christian Bourcart, qui reste DU PAYS. inspiré Christian Lutz savait, lui,

© Li Zhengde.

Le soin apporté au catalogue, la finesse de la charte graphique, le faste de la cérémonie d’ouverture… Lianzhou Foto a compris que son rayonnement local n’avait de sens que dans un écho mondial. Pour sa 12e édition, les choses ont été faites en grand : plus de 70 expositions, des collectifs invités, des soirées de présentation des photographes, des moments d’échanges. Dans une ville qui n’a pas encore été touchée par la mondialisation, avec une absence appréciable des grandes enseignes internationales, le thème 2016 « As Entertaining as Possible » avait une résonance particulière. Notamment à


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© KurT Tong.

SÉRIE IN CASE IT RAINS IN HEAVEN DE KURT TONG, DANS LAQUELLE IL RÉPERTORIE DES PAPIERS MORTUAIRES BRÛLÉS POUR AIDER LES DÉFUNTS LORS DE LEUR RÉINCARNATION. TRADITIONNELLEMENT D’ORDRE SPIRITUEL, CES OFFRANDES ONT DÉVIÉ CES DERNIÈRES ANNÉES VERS DES OBJETS REPRÉSENTANT DES BIENS DE CONSOMMATION, COMME DES SACS DE LUXE, DES CARTES DE CRÉDIT OU DES VOITURES, MAIS AUSSI DES PROSTITUÉES, DU VIAGRA, DE L’ECSTASY OU DE L’ÉQUIPEMENT DE CASINO.

encore nous charmer avec Insert Coins, série vue dans les festivals de Sète, Perpignan et Vevey. Ce photographe n’a pas fini de faire parler de lui. DÉFENDRE SES CHOIX

Mais le plus surprenant n’était pas forcément là. L’exposition Yet Another Gaze réunissait les dix photographes taïwanais les plus à la pointe du moment, dans une qualité globale très forte. Notamment Memento Mori de Tou Yun-Fei, qui a travaillé pendant trois années dans un centre d’euthanasie pour chiens. Il réalise des portraits des animaux, juste avant leur mort, d’une humanité saisissante. Lo Sheng-Wen mène, lui, un projet d’une maturité rare autour des ours blancs en captivité. Cette présence taïwanaise, sujet sensible s’il en est en Chine, comme Donald Trump l’a récemment rappelé en reconnaissant un statut à l’île dissidente, montre l’ouverture d’esprit de ce festival. Dans un pays où la censure du Parti communiste est une réalité, la fondatrice et directrice, Duan Yuting, a su gagner la confiance des autorités locales tout en n’acceptant depuis plusieurs années aucun compromis majeur sur les expositions. « Nous n’étions


MISE AU POINT


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PAT R I M O I N E

Le nouveau travail de Raphaël Dallaporta nous plonge dans un espace-temps riche de 36 000 ans d’histoire. Une immersion dans la grotte Chauvet Pont-d’Arc, en Ardèche, qui se traduit visuellement par des panoramas morcelés, fascinants et intrigants. Visite guidée. TexTe : MaThieu Oui – PhOTOs : RaPhaël DallaPORTa

Descente dans les entrailles de la Terre L’atelier de Raphaël Dallaporta, dans le quartier de Belleville à Paris, offre un volume impressionnant. Ce vaste espace aux murs blancs est éclairé par une grande verrière qui élève le regard jusqu’à six mètres de hauteur. Dans cet antre calme et lumineux, le photographe nous a donné rendez-vous pour évoquer son dernier travail : une plongée dans l’obscurité de la grotte Chauvet. La conversation

s’engage autour de L’Inappropriable, fruit d’un concours lancé par l’Association pour la mise en valeur de la grotte Chauvet Pont-d’Arc et le ministère de la Culture. Ce livre-objet réunit deux volumes dans un coffret cartonné : le premier propose une série de vues panoramiques en noir et blanc, le second regroupe cinq textes de différents experts – philosophe, conservateur, historien d’art… Deux tomes

« sollicitant les deux hémisphères de notre cerveau, celui dédié à l’écrit et celui dédié à l’image », afin de tenter de cerner le mystère de ce site de l’art pariétal, situé en Ardèche et découvert en 1994. Inspiré par la maquette rigoureuse des éditions Zodiaque – créées dans les années 1950 et connues pour leurs publications sur l’art roman –, le livre de photographies impressionne


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É D U C AT I O N

Depuis une trentaine d’années et en toute discrétion, l’Espace Saint-Cyprien, à Toulouse, forme, fédère et dynamise une importante communauté de photographes. Visite guidée avec Ingrid Coumes-Marquet, coordinatrice, et Arno Brignon, l’un des animateurs. texte : Éric KArSenty

Le ciel est plutôt gris au-dessus de la Ville coordinatrice de l’atelier de photographie. Rose ce samedi après-midi, et un petit cra- Elle nous fait visiter les lieux. Laboratoires chin vient même rafraîchir l’atmosphère. argentique et numérique, studio, espace d’exBien au chaud, les huit stagiaires inscrits position, salles de réunion… Installé dans une au week-end d’initiation numérique restent ancienne école, l’Espace Saint-Cyprien est une concentrés devant leurs écrans, appliquant à la structure municipale qui abrite, dans deux lettre les consignes de Jean-Luc Aribaud, l’un bâtiments, plusieurs départements : danse, des six animateurs photographes arts plastiques, billard et, bien de l’Espace Saint-Cyprien. « C’est sûr, photographie. Cette activité UN APRÈS-MIDI AU un des stages les plus demandés », rassemble chaque année plus de LABORATOIRE ARGENTIQUE confie Ingrid Coumes-Marquet, EN ACCÈS LIBRE, JUIN 2016. 500 adhérents autour de stages,

de conférences, d’ateliers et de projections qui s’adressent à différents publics, et à des prix modiques. Les séances d’initiation constituent souvent la première étape des curieux de photographie qui peuvent, en un week-end, découvrir les rudiments du huitième art. Ils prolongent généralement leur expérience avec un atelier à l’année en fonction de leur niveau (perfectionnement, confirmé, recherche), soit trente sessions de trois heures avec l’un des animateurs, et

© Arno Brignon / SignAtureS. © eSpAce SAint-cyprien / MAirie de toulouSe.

L’Espace Saint-Cyprien, initiateur de rencontres


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É D U C AT I O N

DÉCOUVERTE DE LA PRISE DE VUE EN STUDIO AVEC ARNO BRIGNON, MARS 2015.

À CHORNOMORSK PRÈS D'ODESSA, HORS DE LA ZONE DE CONFLIT, LES JEUNES APPRENNENT L’UTILITÉ DU FLASH EN CONTRE-JOUR.

seize de labo. Depuis trois ans, l’équipe a initié un atelier Projets qui, en neuf samedis dans l’année et neuf séances de labo, accompagne les photographes dans des projets personnels (editing, conseils…). Enfin, chaque lundi soir, il est possible de prendre rendez-vous pour une session personnalisée d’une heure avec l’un des animateurs, pour 5,50 euros – le même prix que pour les « tickets » donnant accès au labo, où la chimie est offerte. En plus de ces stages, l’atelier de photographie organise également des workshops thématiques avec des photographes invités, qui permettent aux passionnés de poursuivre leur initiation. On a pu y rencontrer Stéphane Lavoué, Juliette Agnel, Richard Dumas, Dolorès Marat, Ulrich Lebeuf, Philippe Guionie, Flore-Aël Surun ou Philippe Grollier. Mais victimes de leur succès, ces workshops qui accueillent entre

huit et douze stagiaires sont limités à un stage par personne, car ils sont pris d’assaut dès l’ouverture des inscriptions en septembre. On trouve aussi des conférences, des projections et des expositions, autant de rendez-vous qui rassemblent une communauté très active, qu’Ingrid Coumes-Marquet et son assistante, Hélène Roger, fédèrent sur le Facebook de l’Espace Saint-Cyprien. DES EXPÉRIENCES QUI LAISSENT DES TRACES

Les activités de l’atelier sont aussi dirigées vers les scolaires, avec des actions originales, comme pour les visites contées qui s’adressent à des enfants de maternelle. Une conteuse professionnelle imagine une histoire à partir de photos exposées dans le centre et la raconte aux bambins. « Ces expériences laisseront

des traces dans les esprits des tout-petits », confirme Ingrid. Tout comme le projet réalisé avec le collège Clémence-Isaure, situé à côté de l’Espace Saint-Cyprien. Né d’une discussion avec une enseignante de classes de 3e en difficulté, le travail autour de l’image de soi élaboré avec l’atelier a permis de réaliser un diaporama, un livret, une exposition dans l’enceinte de l’établissement scolaire, et deux jours de présence sur la place du Capitole pour expliquer l’opération dans le cadre de la Journée des droits de l’enfant. « Un moment fort et émouvant dont tu sais qu’il va rester quelque chose », explique la coordinatrice. « Moi, j’ai appris la photo à l’Espace SaintCyprien », nous confie Arno Brignon, l’un des animateurs photographes, qui mène par ailleurs une carrière d’auteur. Sans être un centre de formation – comme l’ETPA, célèbre école toulousaine de photo et de game design –, cet atelier est un lieu d’échanges, de rencontres et de transmission assez unique dans le paysage photographique. Initié en 1987 par Frédéric Ripoll dans le prolongement du Château d’eau (la première galerie consacrée à la photographie en France, fondée par Jean Dieuzaide en 1974), il a su fédérer un grand nombre de photographes et travaille VISITE CONTÉE AVEC CÉLINE en bonne intelligence MOLINARI ET UNE CLASSE DE PETITE ET MOYENNE avec les manifestaSECTION DE L’ÉCOLE tions photographiques MATERNELLE MOLIÈRE DE TOULOUSE, OCTOBRE 2016. qui dynamisent la ville : le Château d’eau, les festivals Manifesto et MAP, le programme Résidence 1+2… Une structure singulière que d’autres villes lui envient – même si l’an dernier, le budget des prestataires (les six animateurs) a été réduit d’environ 30 % – et qui envisage de s’ouvrir à des partenariats privés. « Il faut que ça dure », concluent Arno et Ingrid en préparant la suite d’un programme suivi par de nombreux fidèles. Espace Saint-Cyprien Atelier de photographie 56, allées Charles-de-Fitte 31300 Toulouse Tél. : 05 62 27 65 45


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Dans sa boutique phare des Champs-Élysées, la maison Guerlain présente régulièrement des expositions. Ces événements constituent la partie visible et contemporaine de l’attachement du parfumeur aux différentes formes de création. TexTe : Marion PoiTrinal

Guerlain joue la carte du patrimoine et le lieu d’exposition de cette richesse. On 1930, ou Maxime d’Angeac et Andrée Putman pourrait s’étonner de voir ainsi cohabiter dans pour sa première grande rénovation en 2006. un même lieu une activité commerciale et une Depuis 2013 et une nouvelle rénovation par programmation culturelle. Pourtant, le bâtiment Peter Marino, l’entreprise a pris le parti d’habiter commandé par la famille à Charles cette maison et d’y développer une Mewès, l’architecte du Ritz, a été, programmation culturelle aussi LE MAGASIN SE dès son ouverture en 1914, investi, TRANSFORME EN GALERIE, dense que protéiforme. COMME ICI AVEC LES décoré et réinterprété par les plus Élisabeth Sirot, directrice du patriÉCRANS INCURVÉS grands artistes et décorateurs comme moine, et Ann Caroline Prazan, direcDIFFUSANT DES FILMS HD RÉALISÉS PAR DES Jean-Michel Frank, Christian Bérard, trice du marketing parfum et direcÉTUDIANTS DE L’ÉCOLE Alberto Giacometti dans les années DES GOBELINS, EN 2015. trice artistique du 68, ont travaillé de

© Marie abeille. © igor genesTe. © Coll. guerlain.

L’histoire de Guerlain pourrait être racontée comme une longue fréquentation du parfumeur avec les artistes, affichistes, designers, sculpteurs et architectes qui ont marqué leur époque. Les Guerlain sont des collectionneurs avertis et leur univers inspire depuis longtemps les créateurs. Le fonds patrimonial du parfumeur, qui fait l’objet d’un recensement exhaustif et systématique depuis 2006, recèle plus de 15 000 œuvres. La boutique du 68, avenue des Champs-Élysées constitue la partie visible


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concert pour faire entrer en résonance les valeurs patrimoniales de l’entreprise et les expressions artistiques les plus novatrices. C’est ainsi que, chaque année, la maison Guerlain accueille, en marge et sous le patronage de la Fiac, une exposition associant les plus grands artistes avec ceux en devenir. Le parfumeur organise par ailleurs, depuis trois ans, un concours de nouvelles destiné aux auteurs n’ayant encore jamais été publiés. Les textes primés paraissent chaque année dans la collection des Abeilles de Guerlain aux éditions du Cherche Midi. En 2017, le thème du concours est le toucher. Côté street art, c’est JonOne qui s’est installé en janvier 2016 au 68, puis en octobre au sein de l’expo Fiac.

DE HAUT EN BAS

ŒUVRE RÉALISÉE PAR VIK MUNIZ POUR L’EXPOSITION DE 2016.

FLACON MITSOUKO EN ÉDITION LIMITÉE RÉALISÉ PAR LE CÉRAMISTE JAPONAIS ARITA.

FAÇADE DE LA MAISON GUERLAIN AU 68, AVENUE DES CHAMPS-ÉLYSÉES.

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« AVEC LIU BOLIN, VIK MUNIZ, JONONE ET BIENTÔT D’AUTRES ARTISTES, LE FONDS PATRIMONIAL S’ENRICHIT SANS PERDRE SON IDENTITÉ. »

mythe de la Petite Robe Noire en produisant des films en haute définition (12K) projetés sur des écrans courbes disposés en arche. La deuxième exposition, consacrée aux matières premières, était placée sous le parrainage de photographes VALEURS PATRIMONIALES et vidéastes dont les œuvres étaient de nouveau ET EXPRESSIONS ARTISTIQUES prêtées par la MEP. Vik Muniz signait la pièce La photo n’est pas en reste dans cette pro- centrale en matières naturelles, et des films en grammation. On y trouve également des réalité virtuelle donnaient à voir la récolte du expositions symboles de ce désir d’associer jasmin en Inde et la récolte du miel sur l’île histoire, création contemporaine et recherche. d’Ouessant, où l’on retrouve les abeilles noires, Accompagné par Jean-Luc Monterosso, le direc- une espèce protégée dont le parfumeur utilise teur de la Maison européenne de la photographie les productions. « La volonté de notre président, (MEP) qui assure le commissariat et ouvre les Laurent Boillot, est que cet engagement auportes de sa prestigieuse collection, Guerlain près de la photo soit pérenne. Chaque œuvre a déjà programmé deux événements en 2015 commandée rejoint le patrimoine Guerlain en et 2016, qui ont permis à des milliers de visiteurs même temps qu’elle figure à part entière dans de découvrir gratuitement des classiques, des l’œuvre du photographe. Avec Liu Bolin, Vik œuvres de référence et des visions plus récentes. Muniz, JonOne, et bientôt d’autres artistes, le Durant ces événements inédits, la boutique sait fonds patrimonial s’enrichit sans perdre son se faire oublier pour se transformer en véritable identité », précise Élisabeth Sirot. écrin. Le salon privé, qui met en valeur la ma- Guerlain entretient depuis longtemps d’exceljeure partie des vintages, offre des conditions lentes relations avec les artistes célèbres ou de luminosité, d’hygrométrie et de température en devenir qui participent à ces expositions, dignes d’un musée. L’« avenue », et les échanges sont féconds. Ces qui conduit les visiteurs de l’enderniers permettent aux artistes trée au restaurant de l’entresol et de se nourrir en toute liberté de VISIONNAGE DES FILMS VIRTUELLE RÉALISÉS expose parfums et cosmétiques, EN RÉALITÉ l’histoire du parfumeur pour en EN INDE ET SUR se transforme naturellement en L’ÎLE D’OUESSANT. 2016. renouveler à chaque fois l’image. galerie éphémère. La première exposition, construite autour du thème de la Petite Robe Noire, avait rassemblé, pour la partie historique, des vintages de Diane Arbus, d’Henri Cartier-Bresson et de Mario Giacomelli, entre autres. Le photographe chinois Liu Bolin avait assuré la partie contemporaine en réalisant une œuvre originale, où il se fondait dans une composition de roses au bras de son épouse. Des étudiants de l’école des Gobelins avaient, quant à eux, exploré le


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C AMÉRA TEST

Deux potes passionnés d’images et de concerts nous parlent captation vidéo, ergonomie et stabilisation. TexTe eT phoTo : Marie abeille

Julien et Vincent Vidéo test

Julien, 22 ans — Ce Grenoblois est un touche-à-tout. Après un bac scientifique, il a intégré une école préparatoire en commerce, puis l’école supérieure de commerce Kedge basée à Marseille, Bordeaux et Paris. Après un an et demi dans la cité phocéenne, Julien a rejoint, en janvier 2016, la spécialisation « Industries culturelles » du campus bordelais. Passionné de concerts, il a créé le blog Little World Music (LWM) en 2012 avec un groupe de potes amateurs de musique et s’est mis à la vidéo pour l’occasion. Devenu en 2013 une association loi de 1901, LWM a été l’occasion pour nos deux testeurs de se rencontrer et de participer à de nombreux concerts et festivals dans la région de Grenoble puis, plus récemment, de Paris, où Julien vit actuellement pour suivre un stage chez Deezer en tant qu’assistant chef de projet. www.littleworldmusic.fr Vincent, 21 ans — Vincent a grandi dans la région de Grenoble, à Villard-Bonnot, où il a passé un bac STI2D (Sciences et technologies de l’industrie et du développement durable) avant de changer radicalement de voie. Passionné de vidéo depuis la montée en puissance du phénomène GoPro au début des années 2010, il a opté pour un DUT MMI (Métiers du multimédia et de l’Internet) à Chambéry, et a effectué son stage de fin d’études dans la boîte de production audiovisuelle Woow Your Life, dans le 15e arrondissement de Paris. Diplôme en poche, il a commencé une licence pro TSI (Techniques du son et de l’image) à la rentrée 2016, formation qu’il a dû rapidement abandonner face aux différentes missions que lui propose la boîte de prod de son ancien stage. Vincent vit et travaille aujourd’hui à Paris, en tant que monteur, assistant postproduction et graphiste pour Woow Your Life. Facebook et YouTube : Vincent Rocco Vidéos

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PRISE

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Successeur d’un D300 de belle renommée, le Nikon D500 représente le nec plus ultra dans la famille des reflex à petit capteur APS-C. Mais derrière une fiche technique impressionnante, à qui se destine cet appareil dont le tarif rivalise avec celui d’un reflex full frame ? TexTe eT phoTos : Jean-ChrisTophe BéCheT

Nikon D500: rapide et nerveux

Comment définir un appareil photo expert ? Répondre à cette question devient de plus en plus difficile, tant les fiches techniques se sont étoffées, et les pratiques, individualisées. Longtemps on a cru le petit capteur de type APS-C (format 24 x 16 mm environ) réservé aux débutants. Le plein format, hérité du film argentique, semblait s’imposer comme le plus naturel pour tous les photographes avisés et exigeants, pros comme amateurs. Le 24 x 36 permet en effet d’utiliser ses objectifs habituels sans aucune conversion de focale, un 28 mm reste ainsi un grand-angle, alors qu’il devient une focale normale (l’équivalent d’un 43 mm) quand il est associé à un capteur APS-C. Depuis deux ans, les cartes ont été redistribuées avec l’arrivée sur le marché d’hybrides à petit capteur (format APS-C et 4/3) capables de rivaliser en qualité d’image avec des reflex haut de gamme plus volumineux. Certains professionnels, notamment dans le reportage, ont alors abandonné le format 24 x 36 pour se tourner vers des appareils Fujifilm ou Olympus. Les spécialistes du reflex, Canon et Nikon en tête, se devaient de réagir. En plus de leur gamme 24 x 36, qui reste la lignée aristocratique, il leur fallait réactualiser leur famille APS-C en proposant un modèle survitaminé. Canon a ouvert le bal avec un EOS 7D Mark II de belle facture, et Nikon a embrayé avec ce D500 muni de l’essentiel des fonctionnalités pros dans un châssis compact et relativement léger (760 g). Pour bien démontrer la puissance de ce D500,

Nikon a même choisi de présenter ce reflex à 2 200 euros comme le petit frère du Nikon D5, la star du moment, qui affiche un poids de 1 240 g et un prix de 7 000 euros ! PREMIERS CONTACTS PROMETTEURS

En prenant en main un D500, j’avais forcément cette comparaison en tête. Je l’ai vite oubliée… Certes, la définition est la même (20 millions de pixels dans les deux cas), l’obturateur propose la même amplitude (de 30 s à 1/8 000 s), le système AF Multicam de 153 points est de même génération, et la séquence rafale à 10 images/s du D500 tient la comparaison avec les 12-14 vues proposées par le D5. De plus, la mémoire tampon du D500 a été fortement étendue avec une capacité qui peut atteindre les 200 vues en format RAW-NEF ! Bref, sur le papier, ce D500 est vraiment un petit D5, mais au niveau de l’ergonomie, de la fabrication, du confort d’utilisation et des petites différences qui font les grands écarts, il existe un fossé entre ces deux modèles, un peu à l’image de l’écart de prix… Il ne faut donc pas présenter ce D500 pour ce qu’il n’est pas, ses qualités intrinsèques sont largement suffisantes pour

éviter de lui attribuer des filiations hasardeuses. Il s’agit d’un reflex compact, bien dessiné, muni d’un excellent viseur, et remarquablement doté en fonctions multiples et diverses. Les jurys des prix Tipa (dont Fisheye fait partie) et Eisa l’ont d’ailleurs élu comme le meilleur reflex expert de l’année 2016. Une double récompense plutôt rare. Bien sûr, la volonté de Nikon de mettre tout son savoir-faire dans un appareil de taille modeste conduit à rendre l’approche du boîtier assez complexe. Le mode d’emploi détaille les multiples réglages sur 408 pages ! Les nikonistes historiques se contenteront d’aller chercher l’explication de certaines touches personnalisables, et ils se promèneront dans les menus déroulants sans trop d’inquiétude pour calibrer l’appareil à leur usage. En effet, ce D500 conserve le principe d’utilisation de la plupart des reflex Nikon, avec l’accès direct à certaines fonctions essentielles (ISO, correcteur et mode d’exposition, type de mesure, balance des blancs, qualité d’image, formatage de la carte mémoire…), et un accès plus ou moins caché à d’autres. Comme d’habitude, il faudra un long apprentissage pour maîtriser les différents réglages proposés par un système autofocus aussi complexe qu’efficace. Il faudra aussi s’habituer au pilotage tactile d’un écran arrière inclinable (de 8 ou 3,2 pouces, avec environ 2 359 000 pixels), et à la fonction Snapbridge qui est actuellement la priorité de Nikon. Il s’agit de faire communiquer sans fil, en faible consommation Bluetooth, son boîtier avec


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PRISE

EN

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LES « PETITS » CAPTEURS APS-C COMME CELUI DU NIKON D500 ONT AUSSI L'AVANTAGE D'ACCROÎTRE LA PLAGE DE NETTETÉ, AUSSI APPELÉE PROFONDEUR DE CHAMP. CELA PERMET, COMME ICI, À F/18, D'ÊTRE NET DEPUIS LES ARBRES AU PREMIER PLAN JUSQU'À LA FERME AU LOINTAIN. PHOTO PRISE AVEC UN 24 MM F/2,8, À F/18, AU 1/500 S À 400 ISO, AVEC UNE SOUS-EXPOSITION DE - 1 IL.

ses autres périphériques. Ce dialogue sans fil, qui est devenu un must sur des appareils grand public, est-il aussi pertinent sur un appareil où l’on travaille souvent en format RAW non compressé, et où les gigas d’images s’accumulent vite ? Ce sera à chacun de répondre… Pour ma part, sur le terrain, j’ai déjà suffisamment à faire pour saisir l’instant décisif, trouver le bon angle, peaufiner le cadrage, dompter un appareil complexe et gérer une alimentation (qui tient d’ailleurs ici plutôt bien le coup !) sans chercher à transférer mes images en temps réel. Mais là encore, à chacun ses usages, et le gros point fort de ce D500 est de permettre de se focaliser sur les quatre ou cinq fonctions essentielles pour soi, et d’oublier les autres. UNE IMPRESSIONNANTE QUALITÉ D’IMAGE

d’exposition, trop proche de la touche ISO quand on a l’œil au viseur. La mémorisation de l’exposition, via le nouveau joystick intégré, m’a aussi semblé moins intuitive que sur les modèles précédents. En revanche, ce joystick est d’une redoutable efficacité pour piloter les différents points AF qui couvrent la quasi-intégralité du champ ; voilà un des avantages concrets de la vision « rétrécie » procurée par le capteur APS-C. J’ai aussi regretté que les deux compartiments de carte mémoire ne soient pas dans un même format de type SD – Nikon continue de promouvoir les cartes XQD, peu fréquentes, ce qui est encore un motif de complexité et d’investissement supplémentaire. Au rayon des regrets et petites frustrations, j’ai aussi trouvé la fabrication un peu légère pour le prix, et le déclencheur trop sensible. Avec sa rapidité et sa nervosité, le D500 nous pousse à multiplier les prises de vue (surtout si on shoote

Sur le terrain, je dois avouer que je me suis bien amusé avec ce petit reflex rapide et nerveux. Je l’ai associé sans souci avec de vieux objectifs Nikon. La qualité d’image est magnifique, les 20 millions de pixels permettent d’envisager de puissants recadrages ou des tirages grand format jusqu’au 60 x 90 cm. La sensibilité ISO, qui était encore il y a quelques années le talon d’Achille des reflex APS-C, permet de flirter avec les 6 400 ISO sans perte notable de qualité. Bien sûr, Nikon fait le fier-à-bras en annonçant des sensibilités maximales de 51 200 ISO, extensibles à 1,6 million, mais ce n’est pas très raisonnable. Et c’est quand même le reproche que l’on pourrait faire à Nikon (et aux autres) : à force de trop en promettre et de jongler avec des données aussi étonnantes que farfelues, on finit par ne plus savoir où se trouve la vérité. En revanche, la promesse d’un GRÂCE À SON VISEUR OPTIQUE BIEN DÉGAGÉ (SANS DOUTE LE MEILLEUR autofocus performant dans les DE LA GAMME APS-C !), LE NIKON D500 PERMET DE CADRER PRÉCISÉMENT ET DE basses lumières (- 4 IL dans la CONSERVER DES LIGNES BIEN DROITES. zone centrale, et - 3 IL dans AVEC LE 35 MM F/1,8 (QUI FAIT ICI OFFICE DE FOCALE « NORMALE »), IL FORME UN les autres) est tenue ! Dans KIT D'UNE BELLE EFFICACITÉ. PRISE DE la pénombre, le Nikon D500 VUE RÉALISÉE À F/13, AU 1/640 S À 400 ISO, AVEC UNE CORRECTION D'EXPOSITION photographie des ambiances DE - 1,33 IL. et des couleurs que notre œil ne voit pas. Au final, après 15 jours d’utilisation intensive, j’ai fini par dompter cet appareil fougueux. J’ai choisi de rester en mesure centrale pondérée et de sous-exposer mes vues d’environ 0,7 IL (le D500 produit à mon goût des images trop claires…). J’ai souvent pesté contre la petite taille de certaines touches, notamment le correcteur

à 10 images/s), et on se retrouve ensuite devant des milliers de photos à trier et sélectionner ! Mais toutes ces critiques restent secondaires, tant ce Nikon D500 démontre la puissance des reflex experts à capteur APS-C. En qualité d’image et en performances générales, ils n’ont pas à rougir de la comparaison face aux hybrides à viseur électronique. On y gagne en clarté de visée, en repos de l’œil et en autonomie de batterie. À l’usage, le D500 est clairement destiné aux amateurs de vitesse et de longues focales, donc aux photographes animaliers et sportifs en priorité. Les contemplatifs se replieront plutôt, pour le même prix, sur le Nikon D750, moins rapide, peut-être moins moderne, mais doté d’un capteur plein format 24 x 36 de 24 millions de pixels. L’essentiel est d’avoir le choix entre plusieurs appareils de grande qualité et d’opter pour celui qui correspond le mieux à sa personnalité.


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APPAREILS

LABO

Créé en 1972, le Labo Fnac propose des tests scientifiques sur les produits high-tech à destination du consommateur. Depuis fin novembre 2016, ce laboratoire indépendant a désormais son site d’information dédié qui regroupe des tests, des infographies et du rédactionnel pour guider le consommateur dans ses achats. Voici les appareils les plus performants de l’année, passés au banc d’essai.

LES MEILLEURS BOÎTIERS DE 2016 PAR LE LABO FNAC TexTe eT sélecTion : Marie abeille

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Canon EOS-1D X Mark II

Nikon D5

LA NOTE DU LABO FNAC :

LA NOTE DU LABO FNAC :

PPPPP

PPPPP

Le chef de file des boîtiers pros par Canon a tout pour lui. Rapidité, sensibilité, enregistrement 4K, système AF de compétition : l’EOS-1D X Mark II est le nec plus ultra de la team rouge. Seule ombre au tableau, selon nos experts du Labo Fnac : une gestion des couleurs approximative. Pour le reste, il n’a pas volé sa place dans cette page, on vous le garantit.

Ah ça ! On ne pourra pas dire que 2016 n’a pas commencé en beauté avec ce choc des titans et l’annonce du renouvellement des références pros chez les meilleurs ennemis du monde de la photo. Contrairement à l’auteur de ces lignes, le Labo Fnac est impartial et a tranché : le D5 s’en tire un poil mieux que son concurrent, notamment grâce à une excellente gestion des couleurs lors du passage en tests. Mais, au-delà des chiffres, tout ceci est avant tout une question de sensibilité. Alors, team jaune ou team rouge ?

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Fujifilm X-T2 LA NOTE DU LABO FNAC :

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Canon EOS 5D Mark IV LA NOTE DU LABO FNAC :

PPPPP On attend toujours vos dons pour que la pauvre journaliste en charge de ces pages puisse se débarrasser de son 5D Mark II et couler des jours heureux avec la version IV. Du côté du Labo Fnac aussi, l’EOS 5D Mark IV s’en sort bien, notamment au niveau de la qualité d’image et de la montée en sensibilité qui fait honneur aux 30 millions de pixels de son excellent capteur. Toujours un peu frileux concernant le rendu des couleurs qui ne répond pas aux standards du laboratoire, mais qui a déjà séduit plus d’un photographe.

PPPPP On passe son design cool rétro, le Labo Fnac n’ayant pas encore trouvé le moyen de mesurer l’esthétique de façon neutre (bouhhh). Soyons concrets : si le X-T2 tabasse niveau définition, rapidité et autofocus, il déçoit un poil sur la colorimétrie et la montée en sensibilité. Pas de quoi fouetter un chat non plus : il remporte tout de même les fameuses cinq étoiles, l’honneur est sauf.

labofnac.com

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Nikon D500 LA NOTE DU LABO FNAC :

PPPP Une étoile de moins que ses petits camarades, ce n’est pas non plus la fin du monde quand on y pense. Car rappelons tout de même que, sous ses airs de mini-D5, le D500 est un reflex APS-C. Avec un capteur plus petit à définition égale (20 millions de pixels), il est normal que le D500 n’encaisse pas les montées en sensibilité avec la même aisance que le D5. Le Labo Fnac souligne néanmoins les qualités qui en font un boîtier incontournable de 2016, à savoir une réactivité à toute épreuve et une ergonomie au top.


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SENSIBILITÉ


S ENSIBILITÉ

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ART VIDÉO

Formé aux Beaux-Arts de Paris au début des années 2000, Romain Tardy est un des artistes français qui réinventent les arts numériques, à mi-chemin entre le mapping, le VJing, la scénographie et les installations visuelles. Pour Fisheye, il s’explique. TexTe : MaxiMe DelcourT

© ROMAIN TARDY.

Romain Tardy, l’art post-Internet Le jeune trentenaire français aux lu- et terminera la semaine avec une conférence nettes stylées est de ces artistes que à Bruxelles, où il réside depuis plus d’un an. l’on dit toujours sur le feu. Et pour cause, C’est aussi dans la capitale belge que Romain son emploi du temps est chargé. Lorsque Tardy a basé son studio. « Je suis arrivé à nous le rencontrons en novembre, à peine Bruxelles pour plusieurs raisons, explique revenu d’un workshop organisé avec des Romain. La première, c’est que j’avais besoin étudiants à Barcelone, il est de passage à d’espace afin d’expérimenter sur des projets Paris pour bosser sur la scénographie d’un plus imposants. La deuxième, c’est que le prix défilé, sera le lendemain à Lille pour son de l’espace est moins cher ici qu’à Paris, ce qui projet OX (scénographie qui matérialise me laisse le temps de réfléchir, d’essayer et de sous forme graphique et numérique la ne pas être uniquement dans la recherche de musique, transformant chaque l’efficacité, un élément très imporrythme en émotion) dans le cadre tant d’un point de vue artistique. La du festival Les Nuits électriques, troisième, c’est que Bruxelles est une OX, DE ROMAIN TARDY.

ville qui me permet de me déplacer facilement, ce qui est toujours pratique, étant donné que je suis amené à travailler dans tout un tas de villes différentes. La quatrième raison, enfin, c’est parce qu’on ressent ici une énergie, un enthousiasme et une horizontalité dans les rapports qui font du bien. » EN QUÊTE D’ESPACE

Il est vrai que, ces dernières années, nombre d’artistes européens, notamment français, se sont installés à Bruxelles. Les arts numériques y sont moins financés qu’à Paris ou Berlin, mais


A Couple Of Them E L S A PA R R A & J O H A N N A B E N A Ï N O U S

On pourrait croire qu’elles se connaissent depuis toujours. Mais leur amitié est née il y a seulement trois ans, à New York, sur les bancs de la très renommée School of Visual Arts. Elsa Parra et Johanna Benaïnous ont tout de suite accroché. Leur duo est comme une évidence. Il les inspire, les stimule. Dans une interview qu’elles nous avaient accordée pour notre site web, les jeunes femmes confiaient : « Nous sommes dans une sorte de mouvement constant. » Leur série A Couple

Of Them, présentée à Circulation(s), est née comme un geste. Elle interroge notre rapport aux autres, questionne la subjectivité de notre regard. C’est aussi une expérience humaine entière puisqu’Elsa et Johanna y sont tour à tour modèles et photographes. Une performance photographique qui compte plus de 100 portraits. Les personnages qu’elles incarnent sont des êtres en inertie, ils errent, livrés aux caprices de notre jugement. Ils sont un peu, dans un sens, le reflet de nous-mêmes. Marie Moglia

POUR ALLER PLUS LOIN www.elsa-and-johanna.com Circulation(s), Festival de la jeune photographie européenne, du 21 janvier au 5 mars 2017. Le Centquatre, à Paris (75). www.festival-circulations.com



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S EN S IB I LITÉ

ÉDITION

Installées à Barcelone depuis 2012, les éditions Anómalas viennent de publier Al borde de todo mapa, de Juanan Requena. Situé entre livre d’artiste et livre « industriel », cet objet inclassable déploie sa poésie comme une carte dont on ne peut qu’imaginer ce qu’elle représente… TexTe : Éric KarsenTy – PhoTos : Marie abeille

« Une invitation à se perdre, à dériver » Juanan Requena, photographe espagnol, est un drôle d’alchimiste qui a déjà publié de nombreux livres d’artiste, carnets et journaux intimes façonnés à la main, combinant des images et des mots, mais aussi des cordes, du bois et toutes sortes de matières. À la demande des éditions Anómalas, il vient de publier son premier livre « industriel », tiré à 1 500 exemplaires dont chacun conserve néanmoins son caractère unique. Un ouvrage singulier, aux multiples entrées, qui se découvre en tournant les pages, en les dépliant, en soulevant des images. Un objet aussi mystérieux que poétique, qui nous a séduits. Fisheye Comment est née l’idée de cet ouvrage ?

Juanan Requena Ce livre est né de la page blanche, du silence comme point de départ. C’est l’aboutissement de beaucoup de soirées à revisiter d’anciennes idées pour les appréhender différemment. Je me suis laissé une totale liberté, sans contrainte de temps. J’ai lentement mûri mes partitions pour en sortir une chanson qui me plaisait. Quel est le projet de ce livre ? La structure de ce livre recèle de nombreuses clés pour se représenter le monde. Le lecteur est invité à appréhender le changement comme seule possibilité pour saisir le mystère de la vie, la possibilité d’être une chose ou une autre, et l’importance du chemin fait. Il y a trois niveaux de narration : un questionnement visuel, une

philosophie du quotidien, et un appel à un lecteur complice. Dans ce dernier niveau, le lecteur est invité à intervenir jusqu’à découvrir la clé de toutes les formes d’expression proposées. C’est une espèce de puzzle inachevé, construit avec précision, mais ouvert à l’interprétation libre, voire chaotique. La fabrication est très soignée. Combien de temps vous faut-il pour réaliser un exemplaire ? Il faut, pour chaque exemplaire, faire preuve de beaucoup de patience, modifier chaque photographie une par une, chercher de nouvelles correspondances et ajouter de nouvelles significations. Faire que chaque livre soit unique d’une manière engagée, tout en soignant les


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Al borde de todo mapa, de Juanan Requena. Éd. Anómalas, 35 €, 80 pages. Il existe aussi deux autres éditions limitées : l’une avec un tirage de tête, en dix exemplaires (130 €) ; et l’autre avec cinq tirages de tête, en cinq exemplaires (500 €). Ouvrage réalisé avec la participation de la Comunidad de Castilla-La Mancha et de l’Escola Internacional de Fotografía Grisart. www.thereyouwere.tumblr.com émotions, pour finalement m’en détacher. Je termine chaque livre à la main. Cela implique qu’il est toujours vivant : je le réinvente chaque fois, les possibilités sont inépuisables. Images qui se découpent, se recomposent, se dévoilent… le système à lectures multiples offre une grande liberté au lecteur et augmente les approches. Est-ce votre volonté ou celle des éditeurs ? Toutes les étapes du livre sont le fruit de ma collaboration avec les éditeurs. L’un des points essentiels dans la réalisation de cet ouvrage a été le plaisir que nous avons pris à discuter de chaque choix menant vers l’objet final. L’idée de combiner dans le livre une partie fixe et l’autre mobile était présente dès le départ. Tous les autres aspects ont été travaillés ensemble. Ce livre modulable semble faire écho à l’idée d’une carte routière évoquée dans le titre. S’agit-il d’un road movie poétique ? Le livre est une rencontre et une invitation à se perdre, à dériver. C’est une carte à l’envers,

elle se présente sans mode d’emploi. Elle contient une réflexion sur la vie quotidienne : tout dépend du point de vue, des circonstances personnelles… Une carte qui part d’une idée que j’avais notée il y a longtemps : celle de décrire deux endroits à partir d’un même endroit, deux trajets à partir d’un même trajet, deux voyages à partir d’un même voyage… Et de tout combiner comme s’il s’agissait d’un jeu de miroirs. Un livre comme une carte qui donne envie de la parcourir sans savoir où elle mène. En quoi cet ouvrage se singulariset-il de vos livres précédents ? Il constitue l’aboutissement de mes travaux précédents, il a été réalisé d’une façon plus précise et avec plus d’intensité. C’est mon premier livre produit en offset, c’était un défi et un rêve à la fois. Quand les éditions Anómalas m’ont proposé d’éditer cet ouvrage, je me suis demandé si j’allais être capable de passer du livre d’artiste au livre « industriel » sans perdre les particularités de mon langage… Ce sont justement ces premiers questionnements qui nous ont permis de lancer la recherche. Ce livre a été impulsé par ce défi.

LES SINGULIÈRES ÉDITIONS ANÓMALAS L’aventure des éditions Anómalas, créées en 2012 à Barcelone, est d’abord celle de deux amis : Montse Puig et Israel Ariño. La ligne éditoriale met en avant la photographie, et particulièrement celle qui laisse une place à l’imagination du lecteur. « En général, nous aimons la photographie qui suggère plus qu’elle ne raconte », précisent-ils. Au rythme d’environ six livres publiés par an, surtout des jeunes auteurs espagnols, chaque projet est pensé comme « un objet singulier où la forme et le contenu doivent s’imbriquer ». Une conception qui les conduit à préférer réfléchir aux projets d’une façon individuelle, loin de l’idée de collection, et à travailler avec différents graphistes. Développant les éditions limitées avec tirages de tête pour financer plus rapidement les coûts de fabrication, les éditeurs sont agréablement surpris du succès de Al borde de todo mapa, de Juanan Requena, dont les 1 500 exemplaires se sont écoulés en à peine trois mois, au point d’envisager une prochaine réimpression. Diffusés en France par Anagram Books depuis 2017, les ouvrages des éditions Anómalas sont aussi à retrouver sur leur site. www.edicionesanomalas.com


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LIVRES

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TexTe : Éric KarsenTy – PhoTos : Marie abeille

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A – Beckmann / N’Thépé

OLIVIER AMSELLEM / ÉRIC REINHARDT Différent des habituelles monographies d’architecte, cet ouvrage donne la priorité à l’approche photographique à travers le regard d’Olivier Amsellem. On y découvre les créations d’Aldric Beckmann et de Françoise N’Thépé, l’une des équipes les plus singulières et les plus prometteuses de la jeune architecture française, dont l’agence a été créée en 2002. Plusieurs projets non réalisés sont évoqués sous la plume de l’écrivain Éric Reinhardt. Éd. Loco, 39 €, 152 pages.

B – Based On a True Story

ARNO BRIGNON Arno Brignon signe ici un très beau livre, qui marque au passage la naissance d’une nouvelle maison d’édition, Photopaper. Fruit d’une résidence dans le Couserans, en Ariège, le livre explore la notion de territoire en associant plusieurs sources d’images. On y trouve les sténopés d’Arno Brignon, des photos d’archives collectées sur place, ainsi que des clichés réalisés par les habitants au cours de stages animés par le photographe, qui publie aussi un journal de bord aussi sensible que ses images. Éd. Photopaper, 40 €, 162 pages. En vente sur www.photopaper.fr

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C – President Hotel

LAURENT WEYL President Hotel nous plonge dans l’histoire du Vietnam en explorant un bâtiment construit par l’armée américaine dans les années 1970, au cœur de Saigon, et dont il ne reste aujourd’hui qu’une carcasse promise à la démolition. Près d’une piscine abandonnée sur le toit ou d’une boutique improvisée dans les coursives, les derniers habitants ressemblent à des fantômes naviguant parmi les strates du temps, sous le regard attentif de Laurent Weyl. Éd. Sun/Sun, 39 €, 176 pages.

D – French Archives

HARRY CALLAHAN Harry Callahan, le célèbre photographe américain connu pour ses paysages du Middle West et les portraits amoureux de sa femme Eleanor, a séjourné en France, à Aix-en-Provence, à la fin des années 1950. Ce livre regroupe une partie de son œuvre méconnue, où son noir et blanc délicat est superbement mis en valeur par une impression soignée de l’ouvrage. Coédition MEP/Actes Sud, 35 €, 144 pages.


S ENSIBILITÉ

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LIVRES

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E – Factory : Andy Warhol

STEPHEN SHORE « À la fin de mon séjour à la Factory,  j’ai découvert que le fait d’être simplement  en contact avec Andy et de l’observer  m’avait fait réfléchir différemment  à ma fonction en tant qu’artiste. J’étais  devenu plus attentif à ce que je faisais », confie Stephen Shore. Ce livre présente une vision inédite de la Factory, que le photographe a commencé à fréquenter dès l’âge de 17 ans. Éd. Phaidon, 49,95 €, 192 pages.

F – Infra-mince

IMAGE, POUVOIR ET POLITIQUE La 10e édition de la revue éditée par l’École nationale supérieure de la photographie (ENSP) est consacrée à l’image politique. On y retrouve d’intéressantes contributions, comme celle de Nicolas Giraud – « De l’image du discours au discours de l’image, Jacques Chirac et la représentation du politique » – ou encore celle du photographe Sébastien Calvet. Un prolongement bienvenu du dossier de ce Fisheye ! Coédition ENSP/Actes Sud, 19 €, 96 pages.

G – One Last Goodbye

JEHSONG BAAK Immersion dans le New York de la fin des années 1990 par un photographe atypique, qui nous entraîne dans une errance aussi nostalgique qu’autobiographique. Jehsong Baak nous fait partager, par ses images âpres et émouvantes, ses dérives et ses rencontres, dans un noir et blanc chaloupé. Un très beau livre accompagné d’un journal, en anglais, qui nous rappelle The Lines of My Hand de Robert Frank. Éd. Wonderlust Press, 50 €, 128 pages. En vente sur www.wonderlustpress.com

H – Tropique du cancer

ULRICH LEBEUF Les histoires d’amour finissent mal en général, et celle que nous conte ici Ulrich Lebeuf ne fait pas exception. C’est justement sa rage et sa colère que le photographe a cherché à exprimer à travers un ensemble de Polaroids sur lesquels il est intervenu. Des images très personnelles de son ex-amoureuse qui nous livrent aujourd’hui, après leurs « mauvais traitements », une tout autre histoire. Éd. Charlotte Sometimes, 24 €, 80 pages.


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S EN S IB I LITÉ

COMMUNITY

Tumblr des lecteurs

Cont nous inuez à e vos phnvoyer otos, Fish faire eye adore de décou nouvelles ver te s: m becon oglia@ tents .com

ABELCEZAR.TUMBLR.COM

Abel vit et travaille à Marseille. Il présente sur son Tumblr un très beau travail autour de l’espace. Un grand silence habite ses images volontairement sous-exposées. Il y a une forme de tension, de tristesse profonde dans ses paysages, extrêmement touchante et délicate.

JESSICASHEILAPHOTOGRAPHY.TUMBLR.COM

Jessica est une photographe canadienne, à l’aise aussi bien en studio que dans la rue, et très influencée par l’esthétisme du surréalisme. C’est d’ailleurs comme ça qu’elle définit la photographie, comme un art surréaliste. Il y a donc une étrangeté très marquée dans ses images, qui reflètent une certaine vision du monde empreinte de nostalgie, d’incompréhension et de solitude.

MATHILDE-GUIHO.TUMBLR.COM

C’est avec beaucoup d’enthousiasme que nous avons découvert le Tumblr de Mathilde. Dans l’e-mail qu’elle nous a envoyé, elle emploie des mots très justes et très beaux pour nous présenter sa démarche. Mathilde a fait des études de sociologie, c’est durant son cursus qu’elle a découvert la photographie. Elle parle « d’envoûtement » et confie qu’elle a trouvé dans ce médium « une réelle force de langage. Ce langage, c’est vers l’humain que je veux le porter ».


S ENSIBILITÉ

COMMUNITY

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LUCAS-KOZAK.TUMBLR.COM

Nous avons découvert le travail de Lucas à travers une série récente, baptisée Nancy. Un projet au long cours à travers lequel il explore la banlieue de cette belle ville de Lorraine. Ses images invoquent une tension presque palpable, dans un milieu urbain banal, classique. Lucas cherche dans l’ordinaire un point de rupture.

MATHIASRCH.TUMBLR.COM

Lorsqu’il nous écrit, Mathias ponctue ses réflexions de points de suspension. La photo est pour lui un moyen de combler ses pauses. C’est aussi le lien entre ses multiples inspirations. Il le reconnaît lui-même : « La photographie est pour moi une traduction de textures impalpables. Je suis attiré par les objets, les espaces hors du temps. En suspens. »

DAUTRESMONDES. TUMBLR.COM Ce Tumblr est né d’une rencontre et d’une impulsion. Celles de Paul et Béa. Il y a un an, le couple a décidé de quitter la vie parisienne pour parcourir l’Amérique du Sud : le Brésil, l’Uruguay, l’Argentine, le Chili, la Bolivie, le Pérou… La photographie leur permet de saisir d’autres réalités, « d’autres mondes ».


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