Fisheye Magazine n° 24

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NOUVELLES BMW MADE 4 MORE.

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SÉRIE 4. Le plaisir de conduire



Édito MAIS POURQUOI LES ANIMAUX ?

© Romain Challand

Benoît Baume, directeur de la rédaction

Paradoxalement, en nommant notre magazine Fisheye, nous nous étions fait trois promesses. Ne pas faire de numéro spécial nu, noir et blanc, ou orienté vers la photo animalière. Les médias traditionnels de la photographie labourant avec acharnement ces sillons synonymes de bonnes ventes en kiosque. Mais l’époque a changé et, quels que soient les thèmes abordés, les ventes sont devenues difficiles pour une bonne partie de la presse photo, sauf pour nous qui sommes en croissance depuis notre naissance en 2013. Nous nous sommes donc adaptés. Et Fisheye a déjà réalisé un hors-série sur le noir et blanc, No Color, qui a connu un vif succès, sans tomber dans les poncifs du genre. Se posait la question animale qui revenait avec insistance. Surtout depuis qu’une des collaboratrices de Fisheye a fait l’acquisition d’une boule de poils dénommée John Ford (ci-contre). Cela a généré un grand débat sur la place de nos amis les bêtes sur les lieux de travail, un coin lui étant désormais réservé. Au-delà de la boutade, nous nous sommes demandé si nous étions obligés de traiter de la représentation du règne animal à travers les éternels brames du cerf et autres oiseaux rares photographiés au 600 mm ? Fisheye est avant tout un magazine de société qui traite du monde à travers le regard des auteurs. Et il nous est apparu assez évident que les travaux d’artistes engagés dans la représentation des bêtes avaient des choses nouvelles à nous raconter. Des propos qui nous parlent avant tout de nous, les humains, et de la manière dont nous projetons sur les animaux nos peurs, nos faiblesses et nos organisations sociales. Dénicher les auteurs partout à travers le monde a été un délice, une vraie chasse au trésor qui nous a permis de trouver de jolies pépites, drôles, bouleversantes ou inspirantes. Nous vous livrons le regard de Fisheye sur la photographie animalière contemporaine : des points de vue assumés porteurs de messages forts. Nous inaugurons une première également en confiant la couverture à un auteur de renom, William Wegman, qui ne peut être qualifié d’émergent. Son travail à nul autre pareil et son style si particulier nous ravissent toujours autant, et sa gentillesse dans nos échanges a renforcé notre choix. L’approche de l’été est aussi l’occasion de célébrer l’anniversaire de Fisheye par une fête devenue désormais traditionnelle. Nous vous donnons rendez-vous sur nos réseaux sociaux pour l’annonce du lieu et de la date de ce moment qui sera plus que jamais festif et surprenant. Vous pourrez aussi retrouver notre premier ouvrage qui a connu des débuts tonitruants avec près de 400 exemplaires vendus en trois semaines. Dépêchez-vous, il sera bientôt épuisé. Je pourrais aussi vous parler de notre galerie à Paris avec l’exposition de Stéphane Lavoué prolongée jusqu’au 20 mai, de celle des Rencontres d’Arles qui ouvrira ses portes cet été, ou de notre festival de réalité virtuelle qui monte en puissance avec des films d’auteur incroyables à expérimenter également à Arles. Mais je vous laisse découvrir tous ces instants qui forment désormais le cœur de notre projet de média alternatif et toujours farouchement indépendant, grâce à votre soutien et votre fidélité. Il ne se pose désormais plus qu’une question : à quand un numéro sur la photo de nu ?


instantanés

P. 10

T E N DA N C E

Sous la surveillance des images P. 13

Les carottes sont crues

André Gunthert L’image qui ne devait pas être montrée

VO I X O F F

P.  18

MÉTIER

Chasseur de têtes Schneck, casteur sauvage

P. 16

Jean-Christophe Béchet Le blues des artistes français

P.  2 0

P O RT R A I T

Jacques Rocher « J’aime renverser les utopies »

P.  2 2 — D O S S I E R

Bestiaire moderne

© Jérôme Bonnet / Modds. © Robin Schwartz, courtesy of The Aperture Foundation, NYC.

CLIC-MIAM

P. 14

I M AG E S S O C I A L E S


sensibilité

agrandissement

P.  4 5

EXPOSITIONS

PRIX

Vu d’ailleurs P.  4 8

FOCUS

Talents à la sauce hollandaise ÉV ÉNEMENT

P.  5 4

P O RT F O L I O

Photo London Aux frontières du réel

P.  9 6

P O RT F O L I O D É C O U V E RT E

P. 56

P. 93

New Voices In Black Cinema Ou l’importance du cinéma afro

Sony World Photography Awards 2017 Nos coups de cœur

P. 52

A RT V I D É O

Tractor Boys Martin Bogren

Kyotographie en fleurs

H I S TO I R E

P. 10 4

Les grandes histoires de héros ordinaires mise au point

labo

P. 10 6

M U S I Q U E

Caisse de résonance

P.  6 3

P O RT F O L I O

Modds, l’école de la French touch

ÉCONOMIE

P. 70

Adobe, révolution en stock

P. 81

CAMÉR A TEST

P. 10 8

Transformer son reflex en sténopé

Photothèque

P.  8 6

Panorama

É D U C AT I O N

P. 78

Photographie in Bloo

Une photo, une expo

P.  8 8

The Slayer

P H OTO M O B I L E

Les applis font peau neuve

P. 127

FLASH

S H O P P I N G AC C E S S O I R E S

P. 124

AG E N DA

TIPA Awards 2017 Les 40 vainqueurs

Votre ville n’aime pas les SDF

P. 12 2

LIVRES

A P PA R E I L S

POLITIQUE

P. 12 0

Une Chambre en ville P.  8 4

P.  118

Pentax KP Une bonne grosse personnalité

P. 75

Triptyque d’un rêveur solitaire

E N A PA RT É

P R I S E E N M A I N

P. 116

Rendez-vous divergents

AT E L I E R P H OTO

ÉDITION

La Gacilly révèle trois nouveaux talents

N U M É R I Q U E

P.  8 3

P. 112

Une affaire de femmes

Jefferson Flower power

© Noriko Yabu. © Martin Bogren / VU’. © Vincent Bousserez. © Dolorès Marat.

EXPOSITION

É V É N EMENT

P. 12 8

COMM UNIT Y

Tumblr des lecteurs

P.  9 0

V R

Les réalités virtuelles de Fisheye 360

P. 111

C H RO N I Q U E

P. 13 0


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Ours

Contributeurs

RÉDACTION Directeur de la rédaction et de la publication Benoît Baume benoit@becontents.com Rédacteur en chef Éric Karsenty eric@becontents.com Directeur artistique Matthieu David matthieu@becontents.com

Martin Bogren

Bénédicte Jeandeaud

Né en 1967 en Suède, Martin Bogren a développé dans les années 1990 une approche personnelle de la photographie documentaire. Il a suivi le groupe The Cardigans, ce reportage a constitué le cœur de son premier livre. Dans les séries suivantes, la fuite de l’ennui et la découverte d’un ailleurs seront sa ligne de conduite. Distingué par de nombreux prix, Martin Bogren fait partie de plusieurs collections, et depuis 2017, son travail est distribué par l’agence VU’. Il signe dans ce numéro le portfolio Découverte avec un étonnant sujet sur les Tractor Boys, réalisé dans la banlieue sud de Malmö.

Après dix années passées dans le monde de l’entreprise, Bénédicte a décidé de changer de vie et de se consacrer à l’exploration humaine à travers l’écriture. Une collaboration régulière avec Libération l’a confortée dans le récit de voyage, puis dans le journalisme au long cours. Depuis, elle publie ses reportages dans la revue Ultreïa !, Le Monde des religions, La Vie, Sport & Style, etc. Pour la rubrique Éducation de Fisheye, elle fait un détour par l’école Bloo, à Lyon, qui dispense des cours de photographie depuis cinq ans.

Graphiste Maxime Ravisy max@becontents.com Secrétaire générale de la rédaction Gaëlle Lennon gaelle@becontents.com Secrétaire de rédaction Anaëlle Bruyand anaelle@becontents.com Rédacteurs Marie Abeille marie@becontents.com Marie Moglia moglia@becontents.com Daniel Pascoal daniel@becontents.com Anaïs Viand anais@becontents.com Community manager Lucie Sordoillet lucie@becontents.com

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Ont collaboré à ce numéro Jean-Christophe Béchet, Anaïs Carvalho (Dans ta cuve !), Carole Coen, Julien Damoiseau, Maxime Delcourt, Jacques Denis, Gwénaëlle Fliti, André Gunthert, Jessica Lamacque, Sylvain Morvan, Mathieu Oui, Marion Poitrinal PUBLICITÉ Directeur commercial, du développement et de la publicité Tom Benainous tom@becontents.com 06 86 61 87 76 Chef de publicité Joseph Bridge joseph@becontents.com 06 64 79 26 13 Directeur conseil et brand content Rémi Villard remi@becontents.com SERVICES GÉNÉRAUX Directeur administratif et financier Christine Jourdan christine@becontents.com

RETROUVEZ NOS OFFRES SPÉCIALES D’ABONNEMENT PAGE 126 LIVRE DISPONIBLE EN LIBRAIRIE ET SUR FISHEYEMAGAZINE.FR/PHOTOBOOK/VOL.1

Comptabilité Christine Dhouiri compta@becontents.com Photo de couverture : William Wegman, Cross Training, 2005. Silver Gelatin Print. © William Wegman

Responsable des opérations spéciales Joseph Bridge joseph@becontents.com Service diffusion et abonnements Christelle Flament cflament@becontents.com Fisheye Gallery Jessica Lamacque jessica@becontents.com Assistée d’Ella Strowel Marketing de ventes au numéro Otto Borscha de BO Conseil Analyse Média Étude oborscha@boconseilame.fr 09 67 32 09 34 Impression  Léonce Deprez ZI « Le Moulin », 62620 Ruitz www.leonce-deprez.fr Photogravure  Fotimprim 33, rue du Faubourg-SaintAntoine, 75011 Paris Fisheye Magazine est composé en Centennial et en Gill Sans et est imprimé sur du Condat mat 115 g Fisheye Magazine est édité par Be Contents SAS au capital de 10 000 €. Président : Benoît Baume. 8-10, passage Beslay, 75011 Paris. Tél. : 01 77 15 26 40 www.becontents.com contact@becontents.com

Dépôt légal : à parution. ISSN : 2267-8417. CPPAP : 0718 K 91912. Tarifs France métropolitaine : 1 numéro, 4,90 € ; 1 an (6 numéros), 25 € ; 2 ans (12 numéros), 45 € Tarifs Belgique : 5,20 € (1 numéro). Tarifs Suisse : 8,50 CHF (1 numéro). Abonnement hors France métropolitaine : 40 € (6 numéros). Bulletin d’abonnement en p. 126. Tous droits de reproduction réservés. La reproduction, même partielle, de tout article ou image publiés dans Fisheye Magazine est interdite. Fisheye est membre de


Panasonic France 1-7 rue du 19 mars 1962 - 92230 Gennevilliers RCS Nanterre : B 445 283 757 Succursale de Panasonic Marketing Europe GMBH Siège social : 43 Hagenauer Strasse, 65203 Wiesbaden (Allemagne) - Wiesbaden HRB 13178.

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20 avril

18 juin

17

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Ouvert du mercredi au dimanche inclus, fermé lundi, mardi et jours fériés.

© Martial Cherrier

MARTIAL CHERRIER BODY ERGO SUM

Exposition présentée dans le cadre du Mois de la Photo du Grand Paris


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Quoi de plus classique qu’une carotte ? C’est pourtant souvent dans la simplicité que l’on s’épanouit le plus, comme en témoignent le duo du Studio Furious et le chef étoilé Kei Kobayashi. Texte : Marie Moglia – Photo : Studio Furious

Les carottes sont crues Studio Furious C’est la cuisine qui a réuni Thomas Weil et Quentin Weisbuch, les deux comparses du Studio Furious. « Nous nous sommes rencontrés il y a quelques années dans une agence où on laissait une cuisine à la disposition des employés. C’est pendant nos pauses déjeuner que nous avons commencé à nous amuser en créant des repas. » Ils ont la passion du burger et montent le blog Fat & Furious Burger, qui fait naître leur atelier de création graphique et photographique. Aujourd’hui, ils travaillent pour des domaines aussi variés que le luxe, la beauté ou la

mode. « Mais la cuisine reste au cœur de notre ADN », précisent-ils. Avec cette image réalisée pour une société de restauration, le duo s’est éloigné de la junk food pour faire dans le healthy, avec un aliment classique et inspirant : la carotte. « Ce jeu de fléchettes au carotène représente l’efficacité de l’entreprise qui nous a commandé le visuel. La carotte est un légume super graphique qui offre une belle variété de couleurs. » Et qui fait mouche, aussi bien en photo que dans un bon plat !

CLIC

studiofurious.com

Kei Kobayashi « Ce qui m’intrigue dans cette image, ce sont ces cibles touchées par les carottes. Comme si elles poussaient au cœur de l’assiette. » Ce sont parfois les aliments les plus simples qui font la grande cuisine. Celle de Kei Kobayashi par exemple. Ce jeune chef japonais, qui a obtenu une deuxième étoile au guide Michelin en février dernier, est un prodige du végétal. Ses assiettes épurées et graphiques exaltent la noblesse de ce qui vient de la terre. « C’est un produit que j’aime

particulièrement ­t ravailler », explique-t-il. Il compose ses plats comme un photographe ses images. Quelle cuisson, quelles couleurs, quelles formes, quelles saveurs pour révéler le légume ? « Je dis souvent que je “parle” à chaque produit avant de le travailler. Cette image montre bien que chaque légume, que chaque carotte est unique. »

MIAM

Kei 5, rue Coq-Héron, 75001 Paris. www.restaurant-kei.fr


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I N S TA N TA N É S

PORTRAIT

Il est dur de manquer son sourire lumineux et son timbre de voix amical dans les principaux événements photo de France. Jacques Rocher ne s’intéresse pas au huitième art par opportunité, c’est bien en amoureux et en passionné qu’il a créé le festival de La Gacilly qui marque cette année une belle 14e édition autour de l’Afrique et des animaux. Rencontre avec un rebelle idéaliste. Texte : Benoît Baume – Photo : Jérôme Bonnet / Modds

Jacques Rocher « J’aime renverser les utopies »

L’adresse ne s’invente pas, elle a été créée spécialement pour le groupe Yves Rocher : 7, chemin de Bretagne, à Issy-les-Moulineaux. Dans les locaux tout neufs du siège, où Jacques Rocher s’occupe, entre autres choses, de la fondation, l’ambiance semble bien studieuse en cette fin d’après-midi. Le bureau est spacieux, mais simple. Rempli de photos et de références à l’écologie, ses deux passions. Les livres photo, les matières végétales et la vue sur la Seine rendent l’ambiance presque bucolique. Il nous reçoit la veille de son anniversaire, qui marque le passage d’une décennie. « Je suis né à Rennes, mais j’ai vécu à La Gacilly [dans le Morbihan, ndlr], immergé dans la nature une grande partie de ma jeunesse. Je menais mes aventures ethnophotographiques, armé de ma mob et de mon Zenit 24 x 36. J’ai toujours eu la passion de la photo. » Refusant de devenir ou de se qualifier de photographe lui-même, « car j’aime trop la photographie pour cela », Jacques Rocher marche à l’instinct : « Je me souviendrai toute ma vie de cette rencontre avec Sebastião Salgado dans la péninsule du Kamtchatka, alors que je m’y trouvais avec Vincent Munier [photographe animalier français]. Nous avons discuté ensemble et nous avons décidé d’aller planter des arbres chez lui, au Brésil, et lui, de venir exposer à La Gacilly. » Cette pensée et cette action non linéaires, non attendues, font partie du caractère intime du personnage. Jacques Rocher a quitté les études très jeune pour rejoindre la société familiale « sur le terrain », il en est parti également très vite, à 25 ans, pour monter sa société de production vidéo, Blue Eyes, avant de revenir chez Yves Rocher, de créer la fondation, qu’il dirige toujours, et de prendre en charge les sujets de développement durable et d’écologie. « J’aime me définir comme un planteur d’arbres. J’ai signé une convention à l’ONU avec Wangari

Muta Maathai [prix Nobel de la paix en 2004], elle avait planté 40 millions d’arbres. J’ai dit que je voulais suivre le mouvement, et on m’a pris pour un doux rêveur. Aujourd’hui, nous avons un objectif de 100 millions d’arbres ; nous en sommes à 65 millions. J’aime bien renverser les utopies. Je me suis rendu sur la quasi-totalité des sites où nous avons reboisé dans le monde. » LA FORÊT DES PHOTOGRAPHES

Et, bien sûr, il y a La Gacilly, dont sont originaires son père et sa mère, dont il est maire depuis 2008, et où il a créé le festival en 2004. « L’été précédent, nous avions organisé un parcours dans un labyrinthe végétal. Cela avait eu un grand succès. Avec Auguste Coudray [président du festival], nous nous sommes dit qu’il fallait créer un événement photo qui jouerait sur des espaces intérieurs et extérieurs. Et ce sont bien ces derniers qui ont remporté la plus grande adhésion. » Dans sa volonté d’amener la culture au-delà des métropoles, dans ce village de Bretagne, avec un souhait de gratuité et d’accessibilité pour tous, car les expositions se découvrent en marchant dans la rue et les jardins, Jacques Rocher a réussi son pari fou. En 2016, son festival a accueilli 400 000 visiteurs de juin à septembre. « On me disait que notre petit village était un peu comme les grilles du jardin du Luxembourg, mais c’est beaucoup plus. Contrairement à un musée, même gratuit, ici, il ne faut franchir aucune porte. » Ce festival est aussi l’occasion de poser la question de la relation de l’homme à la nature. Un combat que Jacques retrouve dans l’engagement des photographes. « Notre capacité à détruire est tellement immense : je pense au travail de Pierre Gleizes sur la surpêche, ou de Daniel Beltrá sur les marées

« Contrairement à un musée, même gratuit, ici, il ne faut franchir aucune porte. »

noires, cela me bouleverse. » Arrivant parfois en capacité limite d’accueil certains week-ends, le festival devra se développer par des workshops et autres médiations qui permettront de faire passer une démarche au-delà des photos. « Nous avons su construire une crédibilité auprès des photographes. Ils sont tous contents et surpris des tirages, de la scénographie et du rendu quand ils arrivent au village. Alors qu’au départ, il était même compliqué d’expliquer où se trouvait La Gacilly sur une carte. » Attentif aux symboles, Jacques Rocher a créé une « forêt des photographes » dans laquelle il plante un pommier au nom de chaque auteur exposé durant le festival. Fasciné par les images d’arbres, il a soutenu le travail de Pascal Maitre sur les baobabs et rêve d’aller voir les pins Bristlecone dans les White Mountains, aux États-Unis, les espèces les plus vieilles au monde, âgées de 5 000 ans. Évidemment, ce festival a un coût. D’autant plus que tous les photographes exposés sont rémunérés, un point assez rare pour être souligné. La moitié du budget vient du groupe Yves Rocher, 30 %, d’autres partenaires privés, et 20 %, de financements publics. Un combat que Jacques Rocher mène aussi bien en interne qu’en externe avec sa fidèle équipe. Il serait dur de parler de Jacques sans évoquer Gaëlle, sa rayonnante épouse et mère de ses trois enfants. « Je l’ai connue à Paris, elle avait 17 ans, et moi, 22. Gaëlle était comédienne et liée au monde de l’art, ce qui nous a tout de suite rapprochés. » Un souvenir qui remonte à presque quarante ans et qui lui redonne instantanément le sourire, éclairé par son regard azur. Jacques Rocher est impliqué dans le monde de l’entreprise, de l’écologie et de la photo. Il est parfois dur à classer. Mais il faudrait être aveugle pour ne pas voir en lui un humaniste follement engagé dans un combat pour la nature et les photographes, héritier d’une passion plus que d’un patrimoine, alors que tant d’autres à sa place auraient privilégié leur super yacht et leurs intérêts à court terme. Mais ça, définitivement, ce n’est pas Jacques Rocher.



Des origines de la photographie à aujourd’hui, les hommes se sont régulièrement essayés à saisir les animaux. Que ce soit dans un but scientifique, comme Eadweard Muybridge qui décomposa le galop d’un cheval, ou pour des raisons documentaires ou artistiques. Reprenant le flambeau des premiers hommes qui dessinèrent des bêtes sur les parois de leurs cavernes, les photographes n’ont cessé d’immortaliser le règne animal. On pourrait s’amuser à parcourir l’histoire de la photographie en suivant ces clichés à la trace, mais ce n’est pas le parti pris de ce dossier. Au-delà des chasseurs d’images de tout poil qui parcourent les cinq continents en mode safari, nous avons privilégié des auteurs contemporains qui renouvellent avec malice, tendresse ou cruauté notre relation avec les animaux.


© Éric Pillo, courtesy galerie Dumonteil / Ourson et grotte, série In situ.

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« J’ai commencé cette série peu après le décès de ma propre mère. Ça a été le déclic. Ce projet est donc un hommage que je lui rends, aussi bien qu’à ma fille pour le temps que nous passons ensemble. Il s’est transformé en une belle aventure. » Robin Schwartz a toujours vécu avec des animaux. Depuis 2002, elle n’a cessé de photographier sa fille Amelia et ses

compagnons. Animaux domestiques, sauvages ou exotiques, tous ont un jour fait partie de l’entourage de la fillette. Âgée de 3 ans au début de la série, Amelia est aujourd’hui une adolescente de 17 ans. D’année en année, d’image en image – plusieurs milliers au total –, son regard calme, grave et inchangé est comme un repère au milieu de cet univers presque surréaliste.

Robin Schwartz et sa fille ont créé un conte. Un univers intime et poétique, où il y a peu de limites entre l’homme et l’animal. Les portraits de Robin sont intenses et émouvants. Ils révèlent les rapports uniques et affectifs qui existent entre Amelia et les animaux. « Ma fille est très douée avec eux. Elle les traite avec gentillesse, respect. Elle est forte,

courageuse, et peut les apaiser très facilement. » Sans ce lien incomparable, Robin n’aurait jamais pu capturer les clichés singuliers, réunis dans un très beau livre édité par Aperture, Amelia & the Animals (2014). Quant au projet lui-même, « il s’enrichit toujours plus, au fur et à mesure que ma fille grandit. C’est devenu son aventure ».

CI-DESSUS : ROBIN SCHWARTZ, TRUNK SNIFF. CI-CONTRE À GAUCHE : ROBIN SCHWARTZ, FEEDING FLAT.

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© Robin Schwartz, courtesy of The Aperture Foundation, NYC.

PAGE DE DROITE : ROBIN SCHWARTZ, ROOQUE AND NIKKY NILLA BEAN.


D O S S I E R — PA G E 2 5


D O S S I E R — PA G E 2 6


« Pour moi, la photographie, ce n’est pas que prendre des photos, c’est un médium artistique. » Ces mots sont ceux d’un homme qui a commencé la photographie à 16 ans et qui a tout fait pour devenir artiste. À raison, tant Tou Yun-Fei, 41 ans aujourd’hui, semble avoir réussi son pari, lui qui a intégré une école d’art aux États-Unis, lui qui a longtemps travaillé en tant que photojournaliste, lui qui, surtout, s’est rendu célèbre pour ses images qui témoignent des derniers moments de la vie de chiens trouvés dans des chenils publics de Taïwan. Pourquoi ? Comment ? Tou Yun-Fei s’explique : « J’étais présent quand ces chiens ont été abandonnés, et en discutant avec le personnel, je savais l’heure exacte de leur mort. Je n’avais plus qu’à calculer le nombre d’heures et de minutes avant qu’ils ne soient euthanasiés. C’est ce qui m’intéresse : montrer que leur destin est prédéterminé par le système, que

TOU YUN-FEI, SÉRIE MEMENTO MORI.

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© Tou Yun-Fei.

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www.yunfeitou.photoshelter.com

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l’on ne voit pas les animaux comme nous, mais comme “les autres”. Voilà pourquoi je ne photographie que des chiens : parce qu’ils symbolisent au mieux, selon moi, la métaphore de l’autre. » Voilà sans doute également pourquoi les chiens de Tou Yun-Fei ont tous quelque chose d’humain – un sentiment renforcé par l’angle de la prise de vue, le grand format des tirages et le soin extrême apporté à chaque portrait. Après tout, si la série Memento Mori reste à ce jour le seul projet exposé par le photographe taïwanais, c’est aussi parce qu’il a passé plus de trois ans dessus, se rendant deux à trois fois par semaine dans les chenils publics, photographiant plus de 1 000 chiens, pour finalement n’en exposer qu’une petite dizaine. Un travail méticuleux qui ne manque pas de fasciner par sa puissance et par la mélancolie qui s’en dégage. D O S S I E R — PA G E 2 7


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AG R AN DIS S EMENT

ÉVÉNEMENT

La troisième édition de Photo London, foire internationale de photographie, se tient cette année du 18 au 21 mai. Entre réalité virtuelle et installation expérimentale, esquisse d’un programme en mutation. Texte : Gwénaëlle Fliti

Photo London À Londres, Somerset House s’apprête à accueil- Thresholds (visible jusqu’au 11 juin), est une vraie lir du 18 au 21 mai Photo London, le rendez- machine à remonter le temps créée par l’artiste vous des galeristes, éditeurs, collectionneurs, Mat Collishaw, en collaboration avec la galerie artistes et passionnés de photographie. Peu avant Blain|Southern. L’installation promet au public une l’ouverture, Michael Benson anticipe : « Si nos immersion dans l’exposition historique d’un des étoiles s’alignent et que le soleil brille, alors 2017 pionniers de la photo, William Henry Fox Talbot. sera une excellente édition ! » Plus sérieusement, UN SENTIMENT D’ÉMERVEILLEMENT le codirecteur du salon ne compte pas seulement sur le hasard pour offrir à Londres une foire internationale à sa hauteur. Son programme, monté Grâce à de minutieuses reconstitutions avec son binôme Fariba Farshad et leur comité numériques, les visiteurs se retrouvent de curateurs, Michael y croit ! Un programme projetés en 1839, date à laquelle le scientifique placé sous le signe de la réalité virtuelle (VR) qui britannique dévoila ses photogrammes pour la première fois à la King Edward’s fait une entrée remarquée dans cette School (Birmingham), devant la troisième édition. Et ce, au travers de MAT COLLISHAW, THRESHOLDS mine ébahie des spectateurs. deux projets immersifs. Le premier, EARLY TEST VISUALISATION.

La recette reste inchangée : tandis qu’au XIXe siècle, Talbot a mis en vedette le procédé photographique le plus novateur de son époque (le calotype), Mat Collishaw, lui, « vise à inspirer au public actuel un sentiment similaire d’émerveillement en utilisant la VR, soit la technologie visuelle la plus innovante disponible aujourd’hui », nous dit-on sur le site de la foire. Tout a été pensé pour que, derrière son casque, l’utilisateur s’y croie : décor d’époque, feu de cheminée qui crépite, vacarme des émeutiers qui manifestent pour s’opposer à la révolution industrielle, matérialisation des vitrines abritant les reproductions des premiers photogrammes de Talbot… Dans la même veine, dslcollection, collection privée d’art contemporain chinois, invite les visiteurs à parcourir son musée virtuel et à interagir avec les œuvres. Ce positionnement autour de la réalité virtuelle intrigue : est-ce l’avenir de la photographie ? L’image fixe ne se suffit-elle plus à elle-même ? Le but est-il d’impressionner le public ? « Voyons plutôt l’image en mouvement et la VR comme des dimensions différentes. Les photographes développent leur pratique en poussant sans relâche le médium dans ses retranchements », nuancent Fariba et Michael. Ces installations ont pour vocation d’attiser la curiosité des visiteurs, de les divertir, mais pas d’être vendues, du moins pas directement. « C’est d’ailleurs en cela qu’il sera intéressant d’évaluer les réactions », estime Michael. Selon Clémentine de la Féronnière, galeriste parisienne qui défend le tirage photographique en tant que support, il est évident que les collectionneurs commencent à développer un intérêt pour la VR, comme ce fut le cas pour la vidéo, l’art cinétique ou la performance. Si, l’an dernier, la galerie Timothy Taylor a joué les avant-gardes en exposant un travail de réalité virtuelle signé Shezad Dawood, notons que cette fois, hormis les deux projets cités, pas une des 87 galeries issues de 17 pays ne s’est risquée à présenter d’installation en VR. En revanche, la curation s’est concentrée sur du contenu « neuf ». Ce qui ne signifie pas que les travaux de « maîtres de l’histoire de la photographie » ont été mis de côté, mais plutôt que les talents émergents ont bien leur place au sein d’une telle foire. Discovery en est la preuve. Parmi les 16 galeries de cette section

© Mat Collishaw.

Aux frontières du réel


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dirigée par Tristan Lund, une seule parisienne : NextLevel avec son solo show de l’Américaine Liz Nielsen – artiste peu exposée en Europe, dont le travail s’articule autour de photogrammes aux couleurs chatoyantes. « PRENDRE DES RISQUES »

© Nobuyoshi Araki, courtesy Hamiltons Gallery. © Hanne Van der Woude, courtesy Van Der Miedan Gallery.

NOBUYOSHI ARAKI, FLOWERS, 2007.

HANNE VAN DER WOUDE, EGBERT WITH HAT, 2009-2015.

Dans le cas de Liz, l’idée n’est plus de « capturer le réel à proprement parler », analyse la galeriste Isabelle Mesnil. C’est une photographie « aux frontières de », qui bouscule les codes, qui évolue. « Au même titre que la réalité virtuelle », ajoute-t-elle. De même, la galerie Christophe Gaillard présente les travaux de trois femmes artistes incarnant Photo London la « nouvelle photographie », celle qui Du 18 au 21 mai 2017 associe le médium au Web, à la sculpture à Somerset House, ou à la 3D. Une proposition déroutante. à Londres. « Mais il faut bien prendre des risques », lâche le galeriste. Ce qui semble être le parti pris de Photo London. Il n’y a qu’à voir Image Atlas, cette œuvre montée sous la forme d’un index d’images obtenues via des moteurs de recherche et réalisée par Taryn Simon en collaboration avec le programmeur Aaron Swartz. Ou bien Looking for Langston (1989), film précurseur sur l’exploration du désir, que son cinéaste Isaac Julien revisite pour l’occasion au travers d’un nouvel ensemble. La foire se développe, se renforce. En attestent les premiers chiffres : cette année, 60 % des exposants reviennent pour la deuxième fois au moins. Et le taux de fréquentation devrait grimper : 40 000 visiteurs sont attendus, contre 35 000 l’an dernier. Du côté des ventes, la direction de Photo London reste discrète. Ceci dit, la galerie Christophe Gaillard se souvient d’avoir vendu pour environ 150 000 euros d’œuvres en 2016, et compte bien transformer l’essai cette année. Isabelle Mesnil de NextLevel, dont c’est la première participation, espère surtout rentabiliser son investissement. C’est pourquoi la galeriste a déjà repéré les collectionneurs intéressés par les créations de son artiste, estimées entre 5 000  et 30 000  euros. Autre stratégie, celle de Clémentine de la Féronnière qui prévoit d’afficher des tarifs sous la barre des 10 000 euros afin de rester accessible. Dans le centre de Londres, les œuvres finissent d’être accrochées sur les cimaises du grand bâtiment d’architecture néoclassique. À la fois « excités et légèrement nerveux », Fariba Farshad et Michael Benson se disent « déterminés à l’idée de faire de Photo London une destination phare pour quiconque est intrigué par les possibilités futures de la photographie ». www.photolondon.org


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S EN S IB ILITÉ

MUSIQUE

Une image et un titre : deux bonnes raisons d’aller au fond de l’idée d’un musicien pour lequel l’image, comme le son, est une affaire de sensibilité et de vibrations. Texte : Jacques Denis – Photo : Sylvain Gripoix

Caisse de résonance Au premier coup d’œil, ce qui attire, c’est la pochette. Un portrait en noir et blanc, avec un reflet inversé au second plan. En fait, l’image du photographe, Sylvain Gripoix. « J’aime le côté “mise en abyme”, le photographe dans la photo, dans la chambre noire… Un peu à la Hitchcock aussi, qui fait une apparition systématique et discrète dans ses films », sourit le pianiste Tony Paeleman, qui vient de sortir le disque en question. D’un coup, tout s’éclaire, son titre sonne absolument juste : Camera Obscura, un procédé vieux comme Hérode. « Ça parle du processus de composition, une sorte de transformation entre le ressenti que j’ai du monde extérieur et la manière de le retranscrire dans mes morceaux via des couleurs musicales, des ambiances, du rythme, des harmonies… » INTERFACE ÉMOTIONNELLE

À l’image de la pochette, le titre d’un album agit souvent comme un révélateur : il en dit déjà beaucoup sur ce qui se joue à l’intérieur. Il s’agit ici d’une intime introspection, de l’autoportrait sensible d’un musicien surdoué à l’œuvre protéiforme, qui rassemble ses idées à l’heure de publier, à 35 ans, son second opus sous son nom. « Ma chambre noire, c’est le coin de mon cerveau où ces moments d’improvisation, ces instants où je ne suis plus dans le contrôle, se révèlent, se transforment en musique. Une sorte d’interface émotionnelle pour parler en langue 2.0 ! » Les neuf thèmes – dont deux reprises, Roxanne de Sting et Our Spanish Love Song de Charlie Haden, soit deux bassistes – s’inscrivent parfaitement dans ce registre. Entouré d’un trio basse-batterie-saxophone, invitant au fil des plages quelques complices, l’érudit pianiste, formé au Conservatoire national supérieur de musique de Paris et engagé au sein de l’Orchestre national de jazz, déploie une large palette, de

la luxuriance au quasi-silence, sans jamais que l’on sache ce qui tient de l’écrit et ce qui relève de l’instantané. Voilà pourquoi il avait choisi de proposer ce portrait de lui : il voulait une image composée avec « pas mal de grain, un truc assez brut, assez cru ». Qu’une partie de son âme soit saisie. Le photographe Sylvain Gripoix lui a suggéré d’extrapoler l’idée de la chambre noire, comme un autre écho de lui-même. « Comme si c’était moi qui étais à l’intérieur de la boîte noire et que le monde extérieur se reflétait sur moi en inversé, explique Tony Paeleman. On a fait la séance chez lui avec un vieux projecteur de diapos qu’il dirigeait sur moi, avec un fond blanc, l’image à l’envers. On a fait pas mal d’essais avec différents fonds : des paysages urbains ou ruraux, des routes, des palmiers… » Finalement, ils sont tombés d’accord pour utiliser une photo de Sylvain se représentant Tony Paeleman, lui-même à Barcelone. Camera Obscura Camera ­Obscura est un clin d’œil (Shed Music/Absilone) amusé à son premier disque, qui s’intitulait Slow Motion : « Le www. rapport entre l’image et le son tonypaeleman.com me fascine. Dans cet album, ma réflexion était plus portée sur le rapport au temps qui passe, le mouvement, le fait d’accélérer ou de ralentir une image ou un son… Comme avec le cinéma, on peut établir des parallèles entre la musique et la photographie. Le cadre qu’on décide pour un morceau, la tonalité, les changements harmoniques, mélodiques. Si le résultat est très net, très précis, ou si on fait volontairement un effet de flou, de perspective… » Lui voit beaucoup de complémentarité entre ces deux arts, des connexions qu’il établit au quotidien. « Quand je compose, je pense souvent à des images, des souvenirs, un peu comme des clichés internes. Et vice versa, si je regarde un album de photos

CETTE IMAGE EST EXTRAITE DE LA SÉRIE QUI A ÉTÉ RÉALISÉE POUR LA POCHETTE DE L’ALBUM CAMERA OBSCURA, DU PIANISTE DE JAZZ TONY PAELEMAN.


sur une époque, une ville, un artiste, un courant artistique ou même des photos de vacances, des associations avec de la musique me viennent spontanément. » RESSERRER LA VISION

À ce jeu des correspondances, objectives et suggestives, le noir et blanc n’est, bien entendu, pas sans faire écho aux 88 touches du piano. « J’aime le côté intemporel que ça donne à une photo, ça lisse les époques, les modes. Comme si ça enlevait le superflu et resserrait la vision qu’on a de la photo. Et, en même temps, ça laisse une place plus grande à l’imagination, on peut recomposer les couleurs dans sa tête à

sa manière. » Sans aller jusqu’à tout repeindre, la bichromie en elle-même permet de travailler toutes les nuances de gris. « Il existe un parallèle avec les dynamiques sur un piano, avec les dizaines de niveaux de volume, de timbre, de nuances qu’on peut produire… » Plus on écoute Tony Paeleman, plus on perçoit que son choix ne doit rien au hasard. La photo, il l’apprécie d’ailleurs en amateur éclairé. « Il y a quelques années, j’ai acheté un Canon 600D et deux objectifs. J’ai essayé de m’y mettre, de regarder des tutoriels pour comprendre comment fonctionnaient ces concepts mystérieux de focale, d’ouverture, de temps de pose. » Et, pour cet album, le pianiste avait même envisagé de passer aux travaux pratiques : réaliser lui-même

les photos du livret, « de l’argentique plus vintage, avec un Canon AE acheté pour l’occasion et des pellicules Ilford Delta 3200. » Instant de pause, retour à la réalité du studio d’enregistrement. Ce musicien de jazz, comme la plupart de ses pairs, se projette dans les gros livres d’images des années 1950 et 1960, genre Herman Leonard ou Francis Wolff. Mais pas question de se laisser enfermer dans un style. « Les paysages ou les portraits, l’abstrait ou le reportage, la couleur ou le noir et blanc… Comme en musique, c’est plutôt une histoire de ressenti. » À l’instar des portraits de sans-abri signés Lee Jeffries qui l’ont bouleversé. Malgré tout, encore une affaire de noir et blanc, de fondu au noir aussi.


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S EN S IB I LITÉ

EN APARTÉ

Depuis 2010, La Chambre, structure associative installée à Strasbourg, soutient activement la photographie en développant ses activités autour de trois axes : exposition, médiation et formation. Texte : Mathieu Oui

Une Chambre en ville À un vol de cigogne des tours de la cathé- Diagonal – qui rassemble 18 structures de drale de Strasbourg, les vitrines du 4 place production et de diffusion de photographie d’Austerlitz donnent sur une grande espla- contemporaine. Le programme se poursuit nade arborée. Tout autour, de nombreuses aujourd’hui avec des œuvres des trois Frac de terrasses invitent les visiteurs à prendre un verre la nouvelle région Grand Est sur le changement au soleil, après avoir apprécié les expositions. politique, thème particulièrement d’actualité. Le premier semestre 2017 aura vu se succéder, Initié à l’origine par le collectif de photographes sur les cimaises de La Chambre et dans son strasbourgeois Chambre à Part en 1991, La espace de 100 m2, une large diversité de photos. Chambre a pris son indépendance en 2010. L’année a commencé par les fleurs de Françoise Développant une programmation de qualité avec Saur, première femme à avoir obtenu le prix une équipe d’une demi-douzaine de salariés, Niépce en 1979. En mars, ce sont les photos de l’établissement a produit une myriade de projets rue des années 1940 de l’Allemand de médiation, de formations, de proFred Stein qui ont été présentées, duction et de résidences… le tout en LA CHAMBRE DE STRASBOURG une exposition coproduite avec LORS quelques années à peine. Une tâche DE L’EXPOSITION PAPIERS, S’IL VOUS PLAÎT, 2016. trois autres membres du réseau difficile à mener à bien, comme en

témoigne le licenciement récent de sa directrice Solenne Livolsi par le conseil d’administration, dix-huit mois après son arrivée, pour différences d’appréciation dans la stratégie à déployer. RÉPONDRE AVEC L’IMAGE

En matière de formation, La Chambre propose un éventail de cours du soir, de stages d’initiation (la photographie culinaire est un succès) et de formations professionnelles. Pour le volet médiation, l’équipe s’est orientée vers des publics que l’on croise rarement dans ce type d’association : personnes âgées, adolescents, adultes en souffrance psychique, migrants… Pour appuyer les structures spécialisées, il s’agit


AG R AN DISSEMENT

© Alex Flores. © Judy Chicago / Collection 49 Nord 6 Est - Frac Lorraine, Metz (FR).

EXPOSITION Regards photographiques, collections des trois Frac de la région Grand Est, jusqu’au 11 juin 2017.

JUDY CHICAGO, ON FIRE (1969-2012).

de répondre à une problématique spécifique avec l’image : la mémoire avec les personnes âgées, l’estime de soi avec des adolescents, etc. Le matin de ce reportage, Nicolas Bender et Lore Apestéguy – les deux salariés en charge du public – retrouvent comme chaque jeudi un groupe de migrants afghans et tchétchènes pour un atelier sur la langue française. Les apprenants doivent représenter en photographie des verbes d’action et créer des phrases en assemblant une série d’images. « Ils font tout par eux-mêmes, insiste Nicolas Bender. Et même si le résultat n’est pas parfait, c’est le cheminement qui est important. » Une méthode atypique qui rend l’apprentissage du français plus ludique et permet de débloquer la parole. Pour chaque projet, Nicolas et Lore doivent trouver le financement adapté, par exemple en sollicitant l’Union européenne ou la Fondation de France. « Notre budget de 400 000 euros est autofinancé à 60 %, grâce notamment aux ressources générées par les cours du soir, ou grâce au soutien de notre club de mécènes », insiste Coralie Athanase, l’administratrice. Régulièrement, La Chambre réalise des missions photographiques pour des institutions comme EDF, la ville ou l’université de Strasbourg. Les images produites dans ce cadre font ensuite l’objet d’expositions qui peuvent être itinérantes. ARTISTES EN PERSPECTIVES

VISITE DE L’EXPOSITION TURBULENT TRANSITION, QUI A EU LIEU À LA CHAMBRE EN 2016.

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FOCUS

Cette année voit le renouvellement de Perspectives, un programme d’accompagnement professionnel de jeunes photographes, lancé en 2013. Cinq femmes artistes de la région ont été retenues pour bénéficier gratuitement, durant

18 mois, d’une série de rencontres avec des experts et d’un suivi personnalisé. Au programme : des ateliers professionnels sur l’image dans la presse, le statut fiscal des photographes ou les outils de communication. Ce jeudi, Rémi Coignet, auteur du blog Des livres et des photos et rédacteur en chef de la revue The Eyes, anime l’atelier « Construire un projet éditorial ». Budget moyen et seuil de rentabilité, choix des images et organisation d’une séquence, réflexion sur la maquette, liste des librairies où diffuser son livre… Les grandes étapes de fabrication d’un ouvrage sont abordées à l’aide d’exemples concrets. Le maître de stage a apporté dans sa valise une sélection de recueils puisés dans sa bibliothèque personnelle, aux formats variables, publiés par de grands éditeurs ou autoédités. L’intervenant insiste sur la nécessité de justifier les choix de mise en page et de graphisme, qui ne doivent pas être gratuits, mais servir le propos : « Chaque décision a un impact sur la personne qui regarde », insiste Rémi. À la fin de l’atelier, les échanges se prolongent autour des portfolios des jeunes artistes. Diplômée en juin 2016 de la Haute École des arts du Rhin (HEAR), Lola Maria Muller souligne l’intérêt de Perspectives face au manque de professionnalisation des études : « L’école ne m’a pas donné ces clés indispensables pour faire entrer mon activité artistique dans une réalité matérielle », souligne la jeune femme. Début juillet, les cinq photographes se retrouveront à Arles pour la semaine d’ouverture des Rencontres, où elles croiseront bon nombre des professionnels du programme. Une façon de mettre à profit leur enseignement et de prendre leur envol. www.la-chambre.org


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LIVRES

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Texte : Éric Karsenty – Photos : Marie Abeille

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A – Borderline CHARLES PAULICEVICH La collection Ceci est un essai, lancée par Granon Digital en 2012, est consacrée aux premiers livres de photographes. Ce nouveau carnet de 56 pages, dédié au travail de Charles Paulicevich et intitulé Borderline, interroge la frontière linguistique entre la Wallonie et la Flandre. Une ligne qui relie autant qu’elle découpe, et que le photographe a arpentée durant trois ans. Granon Éditions, 25 €, 56 pages.

B – « I am Aurore Colbert » said Marie Mons MARIE MONS C’est un livre étrange et inclassable qui nous raconte les trois mois passés par l’auteure dans un petit village des fjords de l’est de l’Islande où elle est devenue Aurore Colbert. Entre autoportraits et projections mentales, les images nous présentent « un dédoublement de la personnalité », analyse la photographe. « La personne que l’on croit être n’est autre qu’un amoncellement de valeurs faussement acquises, comme si ce double portait un jugement nouveau sur soi », précise-t-elle dans l’épilogue qui conclut l’ouvrage. Éd. ARP2, 38 €, 112 pages.

C – Mois de la photo du Grand Paris 2017 COLLECTIF Parce que personne ou presque ne pourra visiter les 96 expositions du Mois de la photo du Grand Paris, ce catalogue au format généreux donnant la priorité aux images sera un outil précieux pour découvrir la balade proposée par cette nouvelle édition. Et compte tenu de la pagination XXL, c’est plutôt une bonne affaire ! Éd. Actes Sud, 42 €, 552 pages.

D – Americandream

SYLVIE MEUNIER ET PATRICK TOURNEBŒUF Sylvie Meunier et Patrick Tournebœuf ont rassemblé ici un album de famille d’une époque, celle des années 19501960, aux États-Unis. Tout est parti d’une boîte chinée aux puces contenant une dizaine de photographies carrées prises après-guerre. Avec, sur chacune d’elles, la voiture comme objet du désir, véritable emblème de l’Americandream. Éd. Textuel, 32 €, 176 pages.


S ENSIBILITÉ

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LIVRES

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E – Autophoto. De 1900 à nos jours Road trip photographique à travers plus de 500 photos prises sur les cinq continents, du début du XXe siècle à nos jours, Autophoto propose une histoire croisée de l’automobile et de la photographie via les images de 90 auteurs. Ce magnifique catalogue accompagne l’exposition éponyme présentée à la Fondation Cartier jusqu’au 24 septembre 2017. À découvrir à fond la caisse ! Éd. Xavier Barral, 49 €, 464 pages.

F – Arktikugol,

charbon arctique LÉO DELAFONTAINE L’archipel arctique du Svalbard a bénéficié, en 1920, d’un statut permettant à l’Union soviétique d’y installer des enclaves qui furent peut-être les seules expériences de l’utopie communiste : ni argent ni chômage, gratuité des soins et des loisirs, autosuffisance alimentaire… Mais la balade de Léo Delafontaine dans ce monde révolu laisse filtrer une mélancolie douce et entêtante qui s’exprime à travers des images cadrées au plus juste et à la chromie délicate. Éd. 77, 40 €, 160 pages.

G – RCA, République centrafricaine WILLIAM DANIELS « C’est l’histoire d’un pays au nom étrange, que personne n’a jamais été capable de placer sur une carte, et qui a toujours vécu au bord du gouffre », explique le photographe en introduction. Un pays où il s’est rendu dix fois entre 2013 et 2016. Ses multiples reportages – distingués par plusieurs prix – ont été publiés dans la presse du monde entier. Ce livre en rassemble les images les plus fortes dans une mise en page sobre et efficace, et avec une superbe qualité d’impression. Éd. Clémentine de la Féronnière, 36 €, 104 pages.

H – Un peu plus que la vie OLIVIER DECK Écrivain avant d’être photographe, Olivier Deck compose, avec ce bel ouvrage aussi sobre que sombre, un recueil de poésie en images cueillies dans son quotidien. Une méditation « photopoétique » sur l’enfance et le paysage. « La matière première est ici et maintenant : la forêt des Landes, au seuil de ma maison », précise l’auteur qui referme le parcours avec une de ses nouvelles, Icare à l’envers. Éd. Contrejour, 35 €, 96 pages.


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S EN S IB IL IT É

C O MMUNITY

Continuez à nous envoyer vos photos, Fisheye adore faire de nouvelles découvertes : moglia@becontents.com

Tumblr des lecteurs CAROLINERUFFAULTPHOTOGRAPHY.TUMBLR.COM

Caroline Ruffault est une expatriée. Il y a trois ans, elle a quitté Paris pour rejoindre les États-Unis. Direction Austin, au Texas. Tout lui est étranger autant qu’elle est une étrangère. « J’ai ressorti un vieux boîtier et j’ai commencé à prendre des photos de ce qui m’entourait, de ce qui me semblait

un environnement très singulier, se souvient Caroline. J’aime les histoires, la poésie, les décors, les lumières bizarres et les cadres composés. » Progressivement, la photographe a évolué vers un univers intime et personnel, où la beauté et la tendresse côtoient l’essence fragile des gens dont elle tire le portrait.

EVAMERLIER.TUMBLR.COM

Pour Eva Merlier, la photographie est avant tout un échange, une rencontre. C’est surtout un langage. La jeune femme observe les autres avec une bienveillance profonde. Son rapport à l’image veut cultiver la diversité. Elle exprime aussi sa vision engagée de la beauté féminine en valorisant l’individualité et la différence. Eva est une photographe qui rassemble.


LOUISEBRUYERE. TUMBLR.COM On aime le grain épais des photos de Louise Bruyère. Celui-ci révèle une franchise, une spontanéité honnête. L’argentique est le terrain de jeu de la jeune femme, celui de tous les possibles. S’il y a quelques imperfections dans ses images, ce sont des détails touchants qui viennent enrichir ce qui s’exprime dans le cadre. C’est-à-dire une sensibilité artistique heureuse, épanouie.

GUR1SDRU1E.TUMBLR.COM

THE-ROOM-GOTHEAVY.TUMBLR.COM

Il y a quelque chose de dramatique dans les portraits tirés par Dalia Janian. Comme si la jeune artiste avait sorti son boîtier pour retenir l’impact d’un choc. Son talent est de créer un suspense, une tension, sans autre effet qu’un cadrage serré sur un visage. Elle est issue du cinéma – elle est aussi vidéaste.

« La photographie me permet de parler de la beauté, explique Dalia qui met des mots très justes sur son rapport à l’art. Je considère que l’art est un tout qui a trait à la vie. Je dois dire qu’il joue un rôle important dans la mienne. Il me permet d’exprimer tout ce que je ressens, sans passer pour folle. »

Les images sont crues, sensuelles, douces… Romy Alizée parvient à condenser toute la tension d’un instant charnel. La photographe exalte une sexualité libérée, assumée et puissante. À travers ses images, c’est presque une revendication. La force qui émane de ses photographies en noir et blanc est intrigante, fascinante. Le travail de Romy est d’ailleurs exposé jusqu’au 7 juin à La Compagnie (Paris 10 e).

MARIONBORNAZ.TUMBLR.COM

« Je suis arrivée tardivement à la photographie », nous raconte Marion Bornaz. La jeune femme a d’abord travaillé plusieurs années comme programmatrice et coordinatrice d’une salle de concert. « Je dirais que c’est plutôt la photographie qui m’a trouvée. Sans que je m’en rende compte, elle a pris de plus en plus de place dans ma vie. » L’univers de Marion est fait d’errances intuitives. « Je marche

beaucoup, sans savoir ce que je cherche, si ce n’est la volonté de perdre le contrôle du sujet. » Quelque chose d’inconscient se joue dans ses images, qu’elle oublie parfois pour ne les redécouvrir que longtemps après. « Cette distance me permet de recomposer des histoires mêlées de souvenirs et de fictions. D’extraire de mes photographies une substance nouvelle. »


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