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L’accueil des exilé.e.s : une question architecturale ?

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Anthropocène

Anthropocène

L’accueil des exilé.e.s : une question architecturale ? oui !

S’il est évident pour tous que l’accueil des exilé.e.s est une question politique, en cela qu’elle dépend de positions politiques : libre échange supposé exister dans l’Europe, définition des frontières européennes, beaucoup de lois qui influent sur l’accueil possible, dépendance financière des associations vis à vis de l’État, repose des questions de souveraineté,

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Si la dimension économique de cette question semble aller de soi, car accueillir demande de dépenser de l’argent pour acheter nourriture, locaux, ou payer de la main d’œuvre,

Si la nature idéologique de cette question est également indéniable, car la réponse dépend de la définition par chaque pays et chaque individu des termes réfugié.e, demandeur.se d’asile, étranger.ère et d’autres,

S’il semble naturel de considérer cette question philosophiquement, en se demandant quand considère-t-on qu’un.e exilé.e est un.e réfugié.e? Fuir la mort qu’apporte la famine ou celle qu’apporte la guerre, est-ce équivalent ? Est ce que toutes ces morts sont bénéfiques car la planète ne peut pas tous nous accueillir ?

Et si la présence d’exilé.e.s pose enfin directement des questions citoyennes, urbaines en mettant en exergue l’impossible assimilation de l’altérité dans nos villes actuelles,

Elle semble à priori ne pas être une question d’architecte.

Peu à peu, les migrants, seuls ou en groupes, arrivent au pôle com’. Timidement, ils piochent dans les affaires mises à leurs dispositions. Puis, font la queue pour aller prendre leur douche. Il est 13h passé. En haut, des voix résonnent, ça semble être animé.

fig 5. Bricolage à l’université

Pourtant, la notion même d’accueil se rapporte à celle de mise en sécurité, donc à l’action d’abriter et à l’abri lui même. Or que signifie concevoir un abri, ce Lieu où l’on peut se mettre à couvert, se protéger du mauvais temps ou d’un danger 8 , tout en incluant leurs dimensions politique, symbolique, philosophique ? Faire de l’architecture.

Mais toute proposition de conception d’abris pour ces nouveaux arrivants ou ces passants se heurte à des contradictions de ce type: construisons des logements pour les français pauvres avant de s’occuper des étrangers. Avant même que leur qualité architecturale ne puisse être sujette à débat. Il semble que n’importe quel abri convienne à ceux qui ne sont pas chez eux.

On se demande SI nous devons accueillir, ou COMBIEN nous pouvons accueillir alors que la véritable question serait COMMENT nous devons accueillir.

Existe-t-il des architectures accueillantes et d’autres excluantes ? Le caractère accueillant d’une architecture dépend-il de la spatialité de celle ci ou du nom qui lui est donné ? La localisation d’un lieu d’hébergement est-elle indifférente, pourvu que ce lieu existe ? Quelle que soit leur forme, un «camp», ou un «centre de réfugiés» peuvent-ils être accueillants ? NON. L’acte de bâtir ne suffit pas, et même un bâtiment construit pour accueillir peut être excluant.

Dans les villes touristico-capitalistes que sont les métropoles

françaises d’aujourd’hui, la forme, le nom, l’image, le logo, la marque sont pleinement signifiants. Une architecture qui se veut accueillante doit adopter les codes, le langage de ces villes-produit, et le droit à la dignité doit être considéré au même plan que le besoin physiologique d’une température suffisante. Un cercueil, si grand et chaud qu’il puisse être n’est pas un abri convenable. De même pour une bulle. Pas plus qu’un centre d’accueil situé à l’extérieur du périphérique ne peut être qualifié de lieu «d’accueil», puisqu’il matérialise directement la mise à l’écart et le regroupement des exilés hors des lieux habités par les citoyens «locaux».

Alors Où accueillir ?

Face au besoin évident de trouver des lieux d’accueil, d’abris où les exilés puissent être - plus ou moins temporairement - en sécurité, plusieurs possibilités d’action s’offrent : réquisitionner des logements vacants, réquisitionner des locaux (bureaux, gymnases, universités, etc) vacants ou «semi-vacants» (utilisés le jour mais pas la nuit) - qu’il faudrait adapter à l’hébergement d’humains - construire des abris «communs» ou construire des abris «individuels» plus confortables que des tentes ?

La question des ESPACES À CRÉER ou exploiter est centrale, elle est politique mais aussi architecturale.

Les universités, une réponse ?

Cette année, de nombreux étudiants se sont mobilisés pour réquisitionner des locaux de leurs universités et y accueillir des exilés. Le point de vue selon lequel les universités seraient des lieux de prédilection pour cet usage est plus largement défendu par des intellectuels, qui rappellent que

L’université ne serait pas l’université si elle ignorait l’histoire, si elle ignorait la plus grave crise de l’asile et de l’accueil depuis la guerre. 9

Cependant, les universités sont des lieux souvent mal adaptés à l’hébergement. Il y a d’abord un manque de mobilier, un besoin d’aménagements légers ou même de locaux supplémentaires (tableaux blancs, bacs de tri de vêtements, laverie).

L’expérience démontre que ces lieux sont tout de même les plus prompts à permettre un hébergement spontané et quasi immédiat. Elles offrent en effet souvent de grands espaces (gymnases, salles de classe, ou même halls) souvent flexibles et qui ne sont pas utilisés en continu. Face à la nécessité - qui ne semble pas diminuer - d’accueillir fréquemment des individus, il semblerait que les universités soient amenées à remplir ce rôle encore quelques temps. Une réflexion d’architectes visant à rendre ces moments d’accueil moins problématiques - tant pour les usagers habituels des universités que pour les personnes accueillies - semble alors essentielle ; pour améliorer la flexibilité des usages de certaines pièces, ajouter des espaces

permettant d’accueillir les usages nécessaires à un hébergement correct - des laveries, douches et cuisines par exemple - qui pourraient en outre servir également en temps d’usage «normal» des universités.

Accueillir ou héberger ?

Accueillir - bien - une personne (ou un évènement par ailleurs) ce n’est pas seulement accepter son arrivée et faire avec, c’est recevoir favorablement. Cela passe notamment par l’espace ; un espace qui permet la présence d’une personne est bien différent d’un espace qui lui permet de se sentir reçue. Quelque soit la durée pendant laquelle une personne sera accueillie dans un espace, on peut dire que celuici doit lui permettre de l’habiter plutôt que le l’occuper, de se sentir bienvenue, de se sentir bien. Ce lieu doit être hospitalier, au sens de l’hospitalité Accueil, hébergement des pèlerins, des voyageurs, des indigents 10 .

Au vu de la qualité - déplorable - de l’accueil - s’il existe - réservé actuellement en France à la majorité des ex-ilé.e.s, qui sont ex-clu.e.s de la société par la langue et la culture qu’on ne partage souvent pas avec eux.elles et leur situation dans la ville : à l’ex-térieur quand ils.elles ne sont pas accueilli.e.s, ou comme dit précédemment avec d’autres ex-clu.e.s dans des hébergements différents des nôtres ; et aux vues des situations psychologiques de ces personnes, il est essentiel de tâcher de leur accorder, plus que l’accueil, l’hospitalité qui leur est dueen vertu des traités européens obligeant tout pays à protéger chaque être humain qui pose le pied sur son sol.

Après avoir tout fait - accords de Dublin, renforcement des frontières extérieures mais aussi intérieures à l’Europe, refus de secourir des bateaux qui ne seraient pas du bon côté d’une frontière maritime - pour que ces personnes posent les pieds partout sauf sur notre territoire, une fois qu’ils y sont parvenus c’est la moindre des choses que d’être fair-play et de leur accorder leur dû... En l’occurrence leur permettre de se (re)construire une vie à peu près décente, une estime personnelle, des cercles sociaux.

Pour appuyer l’utilité de l’architecture (c’est à dire d’une conception intelligente d’espaces), ce n’est pas vers un.e architecte que je me tourne mais vers un chef cuisinier.

En 2015, alors qu’il s’étonne de tout le gaspillage alimentaire causé par l’exposition universelle de Milan - dont le thème était précisément Nourrir la planète, présentant sous tous les angles l’état de la surconsommation, du gaspillage et de la mauvaise répartition des ressources alimentaires sur la planète - Massimo Bottura décide d’ouvrir un restaurant et d’y cuisiner les restes gaspillés sur le site de l’exposition pour les servir à des personnes exclues, qui n’ont pas le luxe gaspiller leur nourriture. Et il a immédiatement conscience que son utilité ici ne réside pas seulement dans le fait de nourrir des individus en optimisant des

restes, mais bien dans le fait de contribuer à amoindrir l’exclusion de ces personnes ; de les (ré)accueillir dans la société. Pour cela, accompagné d’autres chefs étoilés, il tient à porter le plus grand soin au goût et à l’aspect de sa cuisine ; mais aussi - et dirais je surtout - au lieu dans lequel elle est servie. David Rampello 11 le décrit ainsi : Quand on offre du pain, ce qui compte ce n’est pas seulement ce que l’on offre, mais aussi comment on l’offre. Nous voulons que dans ce lieu les gens se sentent accueillies et bienvenues. Pour cela nous avons voulu que la cantine soit un lieu beau, et même plus beau que ce que nous pouvions imaginer. Dans nos cœurs, toute l’équipe - décorateurs, artistes, designers, architectes et ingénieurs - a travaillé pour faire de cet espace le deuxième plus beau réfectoire de Milan après celui de Santa Maria delle Grazie peint par Leonardo de Vinci. 12

L’important pour ce restaurant ce n’est pas d’optimiser les flux pour pouvoir vérifier au mieux l’identité de ses usagers, ni de le rentabiliser en permettant l’accueil du plus grand nombre de convives en un service mais tout simplement de rendre agréable le repas qui y sera dégusté, de permettre aux personnes accueillies de manger, non pas comme des exilé.e.s ponctuellement toléré.e.s mais comme des êtres humains, des citoyen.e.s - pour certain.e.s peut être pas encore européen.e.s, mais des citoyen.e.s quand même.

Ce Refettorio n’est pas une soupe populaire, ni même un Restau du cœur, mais un restaurant multi-étoilé. Quels que soient ses clients. Massimo Bottura explique ainsi l’importance du soin à apporter à la salle des Refettori : La beauté ne fera pas la révolution mais la révolution aura un jour besoin de la beauté… Il ne s’agit pas de charité mais d’un projet culturel pour combattre le gaspillage [...] Nourrir la planète, ce n’est pas produire plus mais combattre le gaspillage et ses 1,3 milliard de tonnes de nourriture perdues chaque année. Comment le combattre? Avec la beauté … de l’imagination des chefs. Avec la beauté, on reconstruira la dignité.

La question de l’accueil des exilé.e.s appelle donc à des réponses et réflexions politiques, sociales, économiques, idéologiques, philosophiques mais aussi bel et bien architecturales. Elle demande de réinterroger la signification de l’accueil, et ainsi repenser les actions menées dans ce domaine, pas seulement quantitativement mais aussi qualitativement, en n’oubliant pas que les lieux d’hébergement ne sont pas les seuls lieux à penser comme des lieux d’accueil, mais aussi les lieux dédiés au repas, à l’hygiène, à la culture, aux relations sociales... Il est nécessaire de penser les villes elles mêmes pour les faire dévier de leur trajectoire toujours plus excluante.

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