Petit Manuel pour la Transition Energétique

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Comment accompagner la transition énergétique ? ------------------Recueil d’initiatives en Provence-Alpes-Côte d’Azur Petit manuel pour ceux qui souhaitent accompagner le changement de comportements

------------------projet de : n u


Les propos recueillis n’engagent que les contributeurs ayant participé à cette initiative. Un projet soutenu par :


Introduction Pour se déplacer, se nourrir, se chauffer, se vêtir, nous utilisons de l’énergie en permanence. La croissance relativement récente de la population et de la consommation est liée à l’abondance d’énergie bon marché, provenant en majeure partie des « énergies fossiles » (pétrole, charbon, gaz). La dépendance de nos sociétés à ces énergies pose un double problème. D’une part, ces énergies sont non-renouvelables, disponibles en quantité limitée et sont de plus en plus difficilement extraites. D’autre part, leur utilisation provoque l’accroissement du phénomène d’« effet de serre » et cause le changement climatique que nous vivons. Le seul progrès technique, solution « miracle » parfois avancée, ne peut permettre à lui seul de répondre aux défis à venir. Les bouleversements économiques, sociaux et environnementaux engendrés par l’accélération du changement climatique imposent une modification de notre consommation d’énergie : il s’agit bien d’enclencher une transition énergétique. Qu’est-ce que la transition énergétique ? Elle désigne le passage d’un système énergétique qui repose essentiellement sur l’utilisation des énergies fossiles, épuisables et émettrices de gaz à effet de serre (que sont le pétrole, le charbon et le gaz), vers un bouquet énergétique donnant la part belle aux énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique. Dans ce Petit Manuel la définition de la transition énergétique retenue est celle de l’association negaWatt qui part du principe que l’énergie la moins polluante est celle qu’on ne consomme, et donc, ne produit pas. « La transition énergétique consiste d’abord à réduire les besoins par la sobriété dans les usages individuels et collectifs de l’énergie (réduire les emballages, éteindre les vitrines des magasins ou des bureaux la nuit, limiter l’étalement urbain, etc.). L’efficacité permet ensuite de diminuer la quantité d’énergie nécessaire à la satisfaction de ces besoins (isoler les bâtiments, améliorer les rendements des appareils électriques). La priorité peut enfin être donnée aux énergies renouvelables qui peuvent remplacer progressivement les énergies fossiles et nucléaire.*» Les enjeux de la transition énergétique sont de plus en plus pris en compte par les pouvoirs publics. Les Lois Grenelle et leur déclinaison régionale en Provence Alpes-Côte d’Azur avec le Schéma Régional Climat Air Energie (SRCAE) ainsi que la récente Loi de Transition Énergétique pour la Croissance Verte (LTECV) en témoignent. Il s’agit désormais que l’ensemble des acteurs de la transition (entreprise, citoyens, associations, collectivités territoriales) s’en saisissent et notamment les citoyens. Pour tenter de répondre au besoin d’une implication citoyenne dans les objectifs de la transition énergétique en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, France Nature Environnement ProvenceAlpes-Côte d’Azur a mis en place le projet « Groupe Régional d’Action Citoyenne pour l’Energie » (GRACE), soutenu par le Conseil Régional. Dans ce cadre, le Laboratoire d’Idées et d’Actions réfléchit sur le changement de comportement vers la transition énergétique en région ProvenceAlpes-Côte d’Azur. * https://www.negawatt.org/

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Le labo d’idées et d’actions À l’origine de cette publication, le Laboratoire d’Idées et d’Actions se veut un espace de partage, d’échanges et de production de réflexions sur la question du changement de comportement. Il a pour objectif d’apporter des éclairages sur les freins et leviers au changement citoyen et de définir des actions et méthodes pour faciliter la participation citoyenne dans la transition énergétique. Les participants sont des chercheurs de différents domaines (sociologie, psychologie sociale, sciences de l’éducation..), des professionnels de terrain des champs de l’éducation populaire, de l’économie sociale et solidaire, du développement durable, et plus généralement, toute personne intéressée par le sujet. La force du Laboratoire réside dans la diversité des approches, des regards sur la transition énergétique unis par la même vision des objectifs du changement. La transition énergétique doit être la voie qui permet aux hommes de renouer, à la fois entre eux et avec l’environnement. Etre en transition, pour le « Labo », répond à un impératif de bienêtre, pour aujourd’hui et demain, et apporte une réponse pour une meilleure équité et une plus grande justice sociale. Au fil des mois, la démarche du Labo, marquée par l’ouverture, l’écoute, l’expérimentation, l’acceptation des imprévus et la pluralité des angles de vue s’est précisée ; elle s’incarne dans ce document.

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14 initiatives régionales Comment accompagner les citoyens dans le changement de comportements pour aller vers une transition énergétique ? Quels sont les freins et leviers à ce changement ? Pour aller au-delà des bonnes intentions en matière de transition énergétique et répondre à ces questionnements, l’équipe de France Nature Environnement ProvenceAlpes-Côte d’Azur et le Labo ont recueilli les témoignages de quatorze expériences régionales, universitaires, associatives, entrepreneuriales ou publiques qui interrogent les quotidiens. Il ne s’agit pas d’un recueil des alternatives en région Provence-Alpes-Côte dAzur mais d’un outil à destination de potentiels porteurs de projets et des décideurs politiques qui s’engagent sur un projet de transition énergétique Les initiatives recueillies traitent d’accompagnement au changement, d’agriculture et d’alimentation, de démarche de concertation, d’éco construction, d’économie sociale et solidaire, d’énergie renouvelable ou encore de recyclage en Provence-Alpes-Côte dAzur. Elles sont portées par des associations, des entreprises, des collectivités ou des universitaires, visent des publics divers (grand public, personnes sensibilisées ou non, consommateurs, collectivités, etc.) et couvrent des territoires variés. Les expériences rassemblées ont été recueillies de deux manières : soit elles ont été rédigées par l’initiateur de l’action ou de l’étude ; soit elles sont le fruit d’entretiens menées avec les porteurs de projets. Dans les deux cas, les réflexions ont été menées en lien avec la grille d’analyse construite par le Labo (en annexe). Le choix des initiatives retenues est nécessairement partial et limité. Elles ont été sélectionnées car leurs initiateurs avaient comme objectif une action bénéfique pour l’environnement ou agissaient sur le changement de comportement. La diversité des textes, tant sur la forme que sur le fond, fait état d’un panorama de projets qui touchent au changement de comportement et à son application concrète, menée par des actions de terrain dans la transition énergétique.

Ce Petit Manuel est construit de telle manière qu’il est possible de lire chaque partie indépendamment les

unes des autres, de s’arrêter et de reprendre plus tard sans perdre le fil. Une synthèse des quatorze contributions ouvre la publication. Pour plus d’objectivité, elle a été réalisée par une personnalité extérieure au Labo, Marie-Paule Pelassy Keime, consultante en développement durable. A la suite, se trouvent les quatorze contributions. Enfin, « Regards croisés sur le changement en ProvenceAlpes-Côte d’Azur » propose le regard du Labo sur les clés du changement de comportement. Ce texte, qui présente des réflexions et propositions, est destiné aux futurs porteurs de projet, aux collectivités publiques et administrations et à toute personne intéressée par le changement de comportement vers la transition énergétique. P.3


SOMMAIRE INTRODUCTION

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L’ESSENTIEL P.5 LES CONTRIBUTIONS

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FILIERE PAYSANNE - Jean Christophe ROBERT

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Entreprise PROMECO’H - Rémy CARRODANO

P.24

BOUCLETIK - Gil DOAT

P.28

ENERCOOP PACA

P.33

ENERGIE PARTAGEE - Arno FOULON

P.40

ASSOCIATION SEVE-LA ROUE - Bruno MONTEL

P.43

REPAIR CAFÉ MARSEILLE - David BOURGUIGNON

P.48

ECO-QUARTIER DE VOLONNE - Sandrine COSSERAT

P.53

EXPERIENCE DE DEMOCRATIE LOCALE - Mathieu LEBORGNE

P.57

ASSOCIATION AU MAQUIS - Eric GAUTIER, Fanny STAUB

P.68

ATELIER DES ORMEAUX - Patrick HAMARD

P.73

EDUCATION A LA CITOYENNETE ET AU DEVELOPPEMENT DURABLE

P.83

Michel FLORO, Alain LEGARDEZ, Jean-Luc FAUGUET ENGAGEMENT ET REPRESENTATIONS SOCIALES Christophe DEMARQUE, Fabien GIRANDOLA, Grégory LO MONACO CITOYENNE EN TRANSITION - Céline PARMEGGIANI

P.91 P.98

REGARDS CROISES SUR LE CHANGEMENT

P.104

GLOSSAIRE

P.116

BIBLIOGRAPHIE

P.119

ANNEXE

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L’apport du Labo d’idées et d’actions


L’essentiel

Synthèse réalisée par Marie-Paule Pélassy Keime consultante As’Terre (Action et Stratégie pour la terre - Conseil en développement durable)

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Présentation des contributions Des domaines variés Dans ce Petit Manuel, 14 initiatives régionales qui œuvrent pour le changement de comportement dans la transition énergétique ont été rassemblées. Ces « contributions » ont des formes juridiques et des fonctionnements variés, elles traitent de thématiques multiples et, enfin, elles touchent des publics et des territoires divers, toujours en lien avec la transition énergétique. Les contributeurs ont en commun d’exprimer des leviers et freins à l’évolution des pratiques. Si leurs démarches concernent un thème précis, les porteurs de projet ont, en majorité, une approche globale et transversale de la transition énergétique. La thématique principale des initiatives est ainsi bien souvent le prétexte à aborder d’autres domaines.

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Des publics et des territoires diversifiés Dans les contributions, la cible finale de l’action menée pour le changement de comportement concerne fréquemment l’individu directement. Par exemple FILIÈRE PAYSANNE cherche à engager le consommateur dans un achat conscient en faveur d’une agriculture paysanne et locale. Les démarches menées s’appuient également sur des groupes de personnes pour la gouvernance, à l’image du collectif qui a donné naissance à la monnaie locale LA ROUE. Certains contributeurs s’adressent à un public ciblé, comme BOUCLETIK qui agit uniquement pour des entreprises de transport routier, ou l’ATELIER DES ORMEAUX pour des salariés en insertion professionnelle. En revanche, d’autres initiatives concernent plusieurs publics à la fois comme ENERCOOP qui fournit de l’électricité issue d’énergies renouvelables à des foyers individuels, des collectivités et des entreprises. Les contributions concernent des territoires d’échelles variables, du local au global.

→ Sphère individuelle et familiale : Céline PARMEGGIANI s’exprime sur son expérience personnelle.

→ Quartiers : REPAIR CAFÉ utilise plusieurs lieux d’accueil dans différents quartiers de Marseille. → Communes : La COMMUNE DE VOLONNE lance une démarche de concertation pour l’aménagement d’un éco-quartier. → Bassins de vie : FILIÈRE PAYSANNE ou LA ROUE travaillent avec des partenaires géographiquement les plus proches possibles (100 km environ). → Régions : ENERCOOP PACA, ÉNERGIE PARTAGÉE, BOUCLETIK, entre autres, œuvrent à cette échelle de territoire ; → National : certaines expériences régionales sont rattachées à une organisation nationale, comme ENERCOOP et ÉNERGIE PARTAGÉE. → Echelle globale : La contribution des sciences de l’éducation concerne le citoyen européen. Les théories du changement s’appuient sur des références internationales même si des expériences très locales sont relatées.

Leviers et freins au changement de comportements Dans le cadre des initiatives pour la transition énergétique présentées dans ce document, plusieurs leviers et freins principaux au changement peuvent être relevés. Il s’agit de conférer du sens au changement, d’écouter et d’informer le public, de permettre des espaces d’expression et de placer la convivialité au cœur du projet. Le rôle des actions concrètes, de l’exemple, la nécessité de s’adapter et de s’opposer aux normes dominantes ressortent également de ces 14 initiatives régionales.

Trouver du sens, des motivations et des bénéfices : des préalables au changement ? Donner du sens au changement

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Une personne confère du sens à son changement lorsqu’elle le relie à des valeurs, des idéaux comme lutter contre le changement climatique, protéger la nature, agir pour les autres, etc. L’association ÉNERGIE PARTAGÉE constate que la motivation des projets citoyens d’énergie renouvelable est souvent sociétale : celle


de la construction d’un monde meilleur. Les expériences conduites par le LABORATOIRE DE PSYCHOLOGIE SOCIALE confirment qu’un individu qui prend conscience des valeurs profondes du changement s’engagera davantage dans la durée. Les initiatives présentées ici cherchent à écouter, entendre ces représentations sociales et les prendre en compte pour communiquer et engager le changement de pratiques auprès des citoyens et des décideurs. Les porteurs de projet ont également besoin de donner du sens à leur changement. Ainsi, les motivations de ces personnes sont fondées sur des valeurs et des convictions personnelles : protection de l’environnement, solidarité, envie d’agir, prise en compte des générations futures, etc. Éric GAUTIER et Fanny STAUB (AU MAQUIS) expriment de profonds engagements sociaux et environnementaux ; ils essaient de travailler le plus possible en accord avec leurs convictions. Pour faire avancer le projet et accompagner les personnes dans la transition énergétique, les initiateurs de projet ont besoin d’énergie, d’enthousiasme mais également de patience. La posture active et impliquée permet de faire bouger les lignes, d’innover, de mobiliser, de s’adapter, ou encore de rebondir après un échec. Sandrine COSSERAT, maire de VOLONNE, fait part de sa forte implication personnelle à expliquer, écouter, défendre ses convictions et essayer de dépasser les obstacles pour faire émerger un éco-quartier dans sa commune. Elle reconnait également qu’il faut beaucoup de patience pour mener un tel projet à son terme.

Les leviers puissants des bénéfices économiques Les bénéfices économiques attendus par le public peuvent devenir moteurs dans la démarche de changement. BOUCLETIK propose des actions concrètes d’économies d’énergies aux transporteurs routiers, qui voient ainsi dans ce changement un gain économique immédiat, primordial dans ce secteur en crise. Pour PROMECO’H, les gains énergétiques futurs motivent les propriétaires à investir dans l’écoconstruction. Plusieurs projets essaient de proposer des prix adaptés pour permettre à un public à faible pouvoir d’achat d’accéder à des produits de qualité. Par exemple, l’AMAP mise en place par CÉLINE PARMEGGIANI possède un tarif et des modalités adaptés aux étudiants. Certaines épiceries de FILIÈRE PAYSANNE ont mis en place un juste prix selon le revenu ; le but de la démarche est également de proposer une rémunération correcte des producteurs agricoles. Enfin, en privilégiant l’achat de produits et services locaux, ces démarches de transition énergétique maintiennent ou créent des emplois locaux, elles cherchent à dynamiser l’économie locale. Toutefois, le critère économique n’est pas le seul ressort du changement, notamment pour le public militant. Si les services d’ENERCOOP restent 15% plus chers que ceux du fournisseur historique d’électricité, EDF, (même si l’écart se réduit d’année en année), la satisfaction d’agir en accord avec ses valeurs l’emporte sur la question du coût chez les adhérents de la coopérative.

Le levier des bénéfices individuels : santé, confort, bien-être, compétences Mieux manger pour une meilleure santé, accéder à un confort énergétique dans son habitat, réparer ses objets cassés, sont des exemples de motivations individuelles. Offrir un service au public pour contribuer à son bien-être et l’aider à changer, est la finalité première de plusieurs démarches (FILIÈRE PAYSANNE, REPAIR CAFÉ, BOUCLETIK, PROMECO’H). Les personnes peuvent aussi être motivées pour apprendre à faire (jardiner, réparer, construire …) pour acquérir de nouvelles compétences. CÉLINE PARMEGGIANI témoigne ainsi des compétences de gouvernance acquises et du bénéfice intellectuel tiré de ses expériences collaboratives ou associatives. Enfin, nous le verrons, la convivialité, le lien social sont également des bénéfices retirés par les participants aux différents projets.

Savoir et s’exprimer / Expliquer et écouter : un grand pas pour changer ? P.9


Le caractère technique et complexe de la transition énergétique, sa pluralité de sens, rendent difficile l’appropriation du terme par le public. Un public peu sensibilisé à la question comme des personnes déjà engagées dans une démarche de changement, peuvent éprouver des difficultés à saisir tous les enjeux de la transition énergétiques et se sentir dépassés. La conséquence est bien souvent un manque d’expression des citoyens sur ces questions. A contrario, le public visé peut également ne pas envisager toute la complexité des problèmes, comme c’est le cas pour la problématique d’épandage des boues de stations étudiée par le sociologue Mathieu LEBORGNE. Le public peut également ne pas vouloir s’exprimer par manque d’habitude, si la parole ne lui est jamais donnée, et par crainte de se tromper, d’être mal jugé, rapporte l’équipe d’AU MAQUIS. L’enjeu, pour les porteurs de projets est d’une part, d’informer et d’expliquer au public la démarche du projet et, d’autre part, de créer des espaces de discussions qui permettront la participation et l’adhésion des personnes au projet.

Informer et expliquer pour s’approprier le projet Apporter des informations précises et plus généralement, expliquer le sens et les conséquences d’une démarche, sont des clés pour permettre aux citoyens de penser leur transition. Par exemple, des informations techniques précises ont été données aux citoyens par des experts pour expliquer la démarche d’éco-quartier de la COMMUNE DE VOLONNE. Cette approche de transparence a permis de lever les blocages dus à des méconnaissances techniques qui intimidaient le public. A la question, « le public a-t-il connaissance des enjeux que pose de la transition énergétique ? », les avis divergent. Pour une partie des contributeurs, le public a conscience des enjeux. En effet, les médias et les réseaux sociaux apporteraient des informations suffisantes sur les enjeux, sur le bienfait ou la nécessité de changer. Dans les actions présentées, l’information intervient alors principalement pour expliquer la démarche de changement. Ainsi, d’après Rémy CARRODANO de PROMECO’H, les informations tirées de la télévision sur les matériaux de l’écohabitat aident à convaincre le public de les utiliser ; les personnes ont conscience des enjeux de la construction durable. Rémy CARRODANO prend néanmoins le temps d’expliquer son concept, de partager ses expériences avec tous les niveaux d’interlocuteurs, y compris élus, banquiers, professionnels de la construction et services d’urbanisme. Pour ces porteurs de projet, l’absence de changement de comportements s’expliquerait alors, non pas par le manque d’informations, mais par le manque de services adaptés. Cependant, d’autres initiateurs de projets estiment qu’il est nécessaire d’expliquer les enjeux au public. Pour provoquer un changement, Bruno MONTEL, de l’association SEVE LA ROUE informe le public de l’impact d’une monnaie locale sur l’économie sociale et solidaire locale. Dans tous les cas, une information claire sur la démarche et sur son intérêt pour répondre aux enjeux posés apparaît nécessaire au cours d’un projet.

Permettre un espace de parole pour l’expression libre et la participation aux décisions La psychologie du changement (LABORATOIRE DE PSYCHOLOGIE SOCIALE) démontre que des citoyens qui se sentent écoutés, respectés et libres dans leur parole seront plus à même de changer leurs pratiques. En accordant au public un espace d’écoute, les initiateurs de projet prennent en compte les interrogations, les doutes, les souhaits ou les désirs de leur public. Pour favoriser ce dialogue, les porteurs de projet se montrent ouverts à l’autre, ils respectent ses idées ; instaurant ainsi un climat de confiance. L’association AU MAQUIS met en confiance un public qui n’a pas l’habitude de s’exprimer. Les membres de l’association construisent et adaptent les projets en fonction des besoins exprimés par les habitants. Les actions sont alors co-construites, les décisions partagées et le changement peut s’initier. Dans les projets de concertation, l’écoute bienveillante, qui tient compte des avis du public, même et surtout s’ils sont différents, est primordiale. Par exemple, la MAIRIE DE VOLONNE organise des forums pour informer les citoyens et pour que les divergences et les oppositions au projet puissent s’exprimer. P.10


Sandrine COSSERAT tente de mettre ainsi en œuvre un processus participatif dans lequel les gens se sentent écoutés, respectés et pris en compte. Enfin, la participation aux décisions peut être facilitée par la nature et l’organisation de la structure à l’origine d’un projet de transition énergétique. Ainsi, la majorité des initiatives présentées proposent au public de s’exprimer au sein des instances de gouvernance. La prise de parole peut être facilitée par le choix d’une structure associative ou coopérative. Par exemple, ENERCOOP, à travers son statut de Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC), invite ses clients à devenir sociétaires : ils auront alors la possibilité d’exprimer leur avis et de prendre part à la vie de la coopérative. De même, la monnaie locale LA ROUE est née d’un collectif qui considère que l’écoute des membres de l’association est indispensable pour recueillir les critiques, les remarques et les prendre en compte.

La convivialité et l’échange au coeur du changement de comportements Au-delà des bénéfices individuels, l’envie de changer est souvent motivée par l’altruisme : elle est tournée vers l’intérêt collectif. Force motrice dans de nombreuses démarches, le bénévolat, le don de son temps pour une cause collective, incarne cet engagement désintéressé. De plus, le public attend ou recherche de la convivialité, des échanges et des rencontres. L’altruisme peut ainsi dissimuler un besoin de « faire corps » avec les autres, de se rencontrer, de partager. Les initiateurs de projet ressentent une forte demande du public de partager ses idées, ses problèmes, ses oppositions et ses rêves. De ce fait, ils intègrent très souvent des temps et des lieux de partage dans leurs démarches. Les services proposés deviennent prétexte à la rencontre par le biais d’une épicerie paysanne, d’un jardin partagé, d’un forum ou même d’une réunion d’information. Si l’outil numérique est incontournable pour se faire connaître, partager des informations, communiquer avec les partenaires du projet, il reste cependant un simple outil et le contact physique, l’opérationnel, le concret, les rencontres réelles et non virtuelles sont bien plus souvent cités que le numérique. A titre d’exemple, le partage des compétences et les échanges de savoirs réciproques pour réparer des objets sont au cœur du concept du REPAIR CAFÉ, mais les personnes impliquées y recherchent principalement un espace convivial de rencontres. Dans son parcours de citoyenne en transition, CÉLINE PARMEGGIANI, a créé ou participé à la création de nombreux projets en faveur de la transition énergétique (AMAP étudiante, jardin partagé, mouvement des colibris, épicerie paysanne). Dans chacun de ses projets, un espace de convivialité a été pensé. Enfin, les personnes à l’initiative des projets recherchent également cette convivialité dans leur travail. Ainsi, Fanny STAUB et Eric GAUTHIER d’AU MAQUIS apprécient de travailler avec des personnes qui ne sont pas de simples collègues mais des personnes « qu’ils aiment ». La relation à l’autre est centrale pour les porteurs de projet rassemblés ici.

Montrer des exemples, partager des expériences : ancrer le changement par le concret ? L’exemple, l’expérience et le concret facilitent le changement. Apprendre en faisant, faire avec quelqu’un, découvrir une nouvelle manière de faire, percevoir le changement sur autrui sont des demandes du public. En réponse à ces attentes, tous les contributeurs accordent une grande importance à la valeur de l’exemple et de l’expérience du concret ; ils s’en servent comme leviers pour motiver le public et engager le changement. La théorie du changement (LABORATOIRE DE PSYCHOLOGIE SOCIALE) affirme que le témoignage d’une expérience présentée à une personne ou un groupe (lors d’une exposition par exemple), permet de motiver individuellement ou collectivement, car les personnes ne se sentent plus seules à agir. L’échange et le partage avec un groupe amplifient les changements et les rendent plus durables. Pour ENERCOOP, tout P.11


comme pour la monnaie locale LA ROUE, les adhérents deviennent ambassadeurs auprès du public et ont valeur d’exemple pour ceux qui envisagent de s’impliquer dans l’association. Pour Arno FOULON d’ÉNERGIE PARTAGÉE, faire remonter des expériences aux futurs porteurs de projets permet de compléter l’apport de connaissances théoriques et de les motiver. Dans les entreprises de transport, Gil DOAT présente des exemples de mesures d’économie d’énergie appliquées chez d’autres transporteurs routiers afin de les inciter à les imiter. Afficher les moyens techniques à mettre en œuvre et les résultats économiques espérés peut décider une entreprise à changer. Les expériences relatées par le LABORATOIRE DE PSYCHOLOGIE SOCIALE montrent que le changement est également favorisé par un ancrage dans la réalité quotidienne. AU MAQUIS insiste notamment sur l’importance du travail manuel qui, d’après eux, devrait être davantage valorisé dans l’éducation, au même titre que les connaissances intellectuelles. L’association précise que le concret, « montrer comment faire autrement », permet d’enclencher le changement. De plus, la peur du public à s’exprimer est souvent vaincue par le partage d’un travail manuel en commun car dans l’action, le regard de l’autre n’est pas aussi intrusif et la personne se sent moins jugée. Des actes concrets amènent du lien entre des personnes qui n’étaient pas forcément amenées à se rencontrer et qui, pourtant, vont construire ensemble un projet sur un territoire.

S’adapter, innover, dépasser le modèle dominant : un état d’esprit de transition ? Etre flexible, innover et changer d’état d’esprit Les contributeurs insistent sur la nécessité d’être flexible dans leur cadre de référence et de s’adapter aux circonstances. Lorsque la démarche s’inspire d’une charte, les porteurs de projet se donnent une marge de manœuvre pour adapter leur initiative. ÉNERGIE PARTAGÉE s’appuie sur un concept national et une charte qui proposent un cadre à la fois précis et suffisamment large pour laisser la possibilité à chaque groupe local de s’approprier le projet. Face à un refus, un obstacle ou un échec, CÉLINE PARMEGGIANI a dû s’adapter lors de ces différentes étapes de citoyenne en transition. Après le refus de réaliser un jardin étudiant, elle poursuit la dynamique engagée de rapprochement des étudiants avec l’agriculture et l’alimentation locale et crée alors une AMAP étudiante. Certaines démarches locales se basent sur des concepts novateurs, tel que le REPAIR CAFÉ de Marseille qui s’appuie sur le concept de Martine POSTMA venu des Pays Bas et permet également une grande souplesse dans l’interprétation du cadre de mise en œuvre du projet. L’innovation, pour l’entreprise d’écoconstruction PROMECO’H consiste à associer au bâtiment une philosophie de l’habitat : l’écohabitat qui vise à harmoniser les rapports entre l’habitat, l’environnement et les êtres humains. Dans l’éducation à la citoyenneté (ECOLE SUPERIEURE DU PROFESSORAT ET DE L’EDUCATION), l’innovation introduit des enseignements non formels (savoirs et actions d’un territoire) dans l’éducation formelle (plus universelle). Beaucoup de porteurs de projets estiment que le champ environnemental sur lequel ils travaillent est un prétexte pour aller plus loin dans la démarche de transition énergétique. Ainsi, en adoptant une monnaie locale comme LA ROUE, le public change sa posture car il prend l’habitude de privilégier les achats de biens et services locaux et donc de développer l’économie locale et les circuits courts. L’entrepreneur PROMECO’H, lui, suggère que l’écohabitat questionne d’autres thèmes, comme la mobilité, le tri des déchets, le partage de lieux et de services avec ses voisins : tout un état d’esprit différent !

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Enfin, la volonté de mettre en œuvre un processus collaboratif ascendant, c’est-à-dire qui part de la base, des citoyens, représente un changement d’état d’esprit qui peut faciliter voire initier un changement. Les concertations à VOLONNE et sur le plateau de Valensole permettent aux citoyens de se placer dans l’état d’esprit des décideurs et de mieux comprendre la complexité de la prise de décision, l’intérêt du projet et de questionner leur propre rapport au changement. Cela représente également une manière de s’affranchir de la norme qui impose souvent les décisions par le haut.


Le poids de la pensée dominante : un frein au changement ? Les normes dominantes, « majoritaires », qu’elles soient culturelles, économiques ou sociales, représentent des freins au changement de comportement dans la transition énergétique. Les normes culturelles ou sociales, les pratiques familiales peuvent limiter le changement. Ainsi, CÉLINE PARMEGGIANI conserve des habitudes alimentaires liées à sa famille et peine à en changer malgré sa volonté (par exemple ne pas manger de viande pendant les fêtes). Elle réalise la difficulté à se vêtir « local et solidaire » (difficulté à trouver des productions locales à prix accessibles) et à se passer de sa voiture qui représente pour elle un certain confort, de la liberté, et une certaine efficacité face à une l’offre de transports en commun insuffisamment performante. À travers d’autres relations (amis, relations militantes, professionnels, etc.), elle découvre d’autres manière d’envisager le monde, elle monte différents projets en faveur de la transition et envisage des changements concrets : changer de banque, changer de mutuelle, de fournisseur d’électricité pour des structures plus solidaires. Notre société est caractérisée par la surconsommation ; la consommation représente une norme dominante qui oriente les pratiques et comportements individuels. Or, pour consommer toujours plus, il faut produire plus et à faible coût. Les industries se sont donc adaptées, elles ont standardisé et mondialisé leurs productions afin de répondre à ce désir de grande quantité à bas prix. La surconsommation s’oppose donc aux valeurs défendues ici par de nombreux contributeurs : la consommation de produits locaux et durables dans des commerces territorialisés. Le changement de comportement voulu par les initiateurs de projets en faveur de la transition énergétique est ainsi freiné par cette norme pour plusieurs raisons : par habitude (par exemple, la norme dominante dicte la pratique sociale d’acheter dans un supermarché), par manque d’offres locales et, enfin, par des difficultés économiques de certains publics à investir dans des alternatives. FILIÈRE PAYSANNE cherche à promouvoir les productions agricoles locales, mais cette initiative se heurte au fait qu’une grande partie de la population a l’habitude de s’approvisionner au moins cher. L’association s’emploie donc à faire que le bio soit plus accessible pour tous, contre la pensée dominante selon laquelle « consommer bio c’est cher ». Son fondateur, Jean-Christophe ROBERT cherche à démontrer que s’approvisionner localement est possible sans diminuer la diversité de l’offre alimentaire. De même, le concept REPAIR CAFÉ crée une économie locale de la réparation en marge d’un système consumériste qui jette et remplace plus qu’il ne répare. REPAIR CAFÉ montre que réparer ses objets à moindre frais et leur donner une seconde vie est possible. Enfin, face à la construction classique, PROMECO’H doit apporter des informations sur les nouveaux concepts ou matériaux ; il doit expliquer aux banquiers que la construction d’une maison bioclimatique est certes plus onéreuse à l’achat mais que le gain sur la facture énergétique sera plus important sur le long terme. Dans l’économie classique, le concept de la finance éthique sociale et solidaire n’est pas ou peu intégré. ÉNERGIE PARTAGÉE, qui accompagne des projets citoyens de production d’énergie renouvelable a développé un outil financier d’investissement citoyen : l’argent pour les projets ne provient pas d’une banque classique mais des citoyens ou des pouvoirs publics. De même, comment s’approprier une monnaie locale comme LA ROUE ? Pour convaincre, il faut dépasser les habitudes (échanger des euros en roues, aller chez les commerçants qui les acceptent) et les normes de l’économie classique. Enfin, AU MAQUIS et les démarches de concertation présentées dans ce Petit Manuel envisagent des démarches de co-construction des décisions qui diffèrent des pratiques dominantes. L’association interroge en premier lieu le public pour faire émerger un projet et celui-ci est adapté en fonction des attentes exprimées par les habitants d’un quartier. En outre, AU MAQUIS dénonce les projets qui se disent participatifs et imposent en réalité un projet qui n’a pas été pensé avec le public dès la conception. Nous l’avons vu, il existe de nombreux leviers pour agir sur le changement de comportement. Mais comment accompagner ou être accompagné sur de tels projets ? Les initiatives régionales rassemblées dans ce document nous fournissent quelques pistes. P.13


Accompagnement au changement Ecoute et connaissance des étapes du changement : les outils-clés de l’accompagnant pour engager un changement individuel durable ? Issu des méthodes mises en œuvre pour accompagner les personnes aux prises avec les addictions au changement de comportements, le concept d’entretien motivationnel est présenté par Patrick HAMARD, coordinateur de L’ATELIER DES ORMEAUX (atelier et chantier d’insertion). Cette démarche fournit d’intéressantes clés pour comprendre et agir sur les comportements à travers l’écoute, d’une part, et la connaissance des étapes du changement d’autre part. A L’ATELIER DES ORMEAUX, Patrick HAMARD pratique des entretiens motivationnels pour accompagner les salariés à changer d’activité professionnelle et à s’insérer sur le marché de l’emploi. Ces techniques se basent sur l’écoute et l’empathie via un discours libre et des questions ouvertes. L’accompagnant facilite le changement mais ne le provoque pas, il laisse la liberté de changer à son interlocuteur. Il collabore, il apporte des connaissances et des exemples, encourage sans contrôler, il peut recentrer la personne sur son objectif principal mais il la laisse formuler seule son plan d’action. L’accompagnant entre dans le cadre de références de la personne accompagnée pour lui permettre d’évoquer ses raisons personnelles à changer, ses motivations. Cela se fait avec empathie (comprendre son effort de démarche intérieure et sa disponibilité au changement), confiance mutuelle, respect des divergences et des questionnements. L’accompagnant joue également sur la dynamique de groupe, dans l’échange, le partage. Dans les initiatives rassemblées dans cette publication, ces attitudes sont également très souvent mises en avant comme levier au changement. Dans sa contribution, Patrick Hamard propose de mieux comprendre la psychologie du changement. Il s’arrête d’abord sur la notion d’ambivalence, centrale dans la psychologie du changement. L’ambivalence se définit par « le conflit engendré entre les tendances qui favorisent et celles qui s’opposent au maintien ou à l’arrêt d’un comportement donné. […] L’existence d’un certain degré d’ambivalence est tout à fait normale et accompagne les décisions de la vie quotidienne. » Le rôle de l’accompagnateur est de déceler l’ambivalence dans le changement de comportement visé et d’accompagner la personne à réduire ce conflit interne en actant le changement.

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A partir des travaux des psychologues DiClemente et Prochaska, il présente également les étapes complexes de la psychologie du changement qui ancrent un changement dans le quotidien : 1. Le stade de pré-contemplation ou pré-intention : la personne n’a pas encore considéré la possibilité de changer ou n’a pas encore identifié son problème comme étant réellement un problème. C’est souvent l’entourage qui identifie le comportement problématique. 2. Le stade de contemplation ou d’intention : caractérisé par l’ambivalence, dans ce stade, la personne prend plus ou moins conscience du problème mais hésite face au changement. 3. Le stade de détermination ou de préparation : la personne a la volonté de changer, une action devient alors possible. C’est un stade particulièrement instable avec une possibilité de passage au stade d’action ou de retour au stade de contemplation. 4. Le stade d’action : Le changement est effectif, qu’il s’agisse d’une rupture ou d’une amélioration du comportement problématique. 5. Le stade de maintien d’action ou de consolidation : Le changement commence à s’installer dans la durée.


6. Le stade de rechute : Si la phase d’ambivalence n’est pas suffisante en durée et en réflexions, une rechute (ou abandon du changement) est encore possible. Chaque initiateur de projet qui vise à faire changer le public gagne à connaître ces différentes étapes.

Représentations sociales et communication engageante : des théories de psychologie sociale pour rendre un message de changement plus efficace ? La contribution du LABORATOIRE DE PSYCHOLOGIE SOCIALE (LPS) d’Aix-Marseille développe, à l’appui de plusieurs expériences, des cadres théoriques intéressants pour les acteurs de terrain investis dans la transition énergétique. Les théories de l’engagement et des représentations sociales offrent la possibilité d’un impact direct sur les comportements. Dans l’argumentation engageante, la cible de la communication devient un acteur et non plus un simple récepteur. Le principe est d’obtenir d’une personne ou d’un groupe de personnes un acte préparatoire qui l’engage personnellement, comme signer un bulletin d’engagement à faire un geste pour la planète qui sera affiché lors d’un événement. En parallèle de cet acte préparatoire, une communication persuasive, par exemple, une campagne d’affichage sur la maîtrise énergétique, est menée. Les études conduites à l’échelle individuelle et collective montrent que la communication engageante permet d‘obtenir des changements d’opinion, de transmettre de l’information de manière plus efficace et impacte les comportements dans des actions de protection de l’environnement et des causes d’utilité sociale. Pour le LABORATOIRE DE PSYCHOLOGIE SOCIALE, s’intéresser à l’énergie et à la manière dont les personnes y attribuent du sens suppose de prendre en compte les raisonnements et les significations qu’elles construisent à son propos. La théorie des représentations sociales permet de mettre en lumière le sens que les individus, ou les groupes sociaux donnent à un concept ainsi que les valeurs qu’ils associent à ce concept, l’énergie par exemple. La construction du sens donné à l’énergie est le fruit d’interactions sociales et elle est sujette à influence médiatique ou informationnelle, c’est pourquoi, on parlera de « représentations sociales ». L’identification des représentations sociales, c’est-à-dire ce sur quoi repose les opinions, croyances, attitudes et valeurs que nous attribuons à un sujet, confère la possibilité de saisir les pratiques sociales. En les comprenant, il devient alors plus facile de lever les freins à l’adoption de tel ou tel comportement, puisque nous saurons sur quel levier agir. En amont de toute démarche, cette étape d’identification et de dépassement des représentations sociales devrait être construite avec la population concernée par le projet. Ces théories confortent ainsi les porteurs de projet, par exemple l’association AU MAQUIS ou la MAIRIE DE VOLONNE, qui ont suivi cette voie et se servent des informations recueillies pour bâtir des actes engageants.

Soutien des collectivités : quel rôle dans le changement ? Pour mener à bien leur projet, les porteurs de projet ont besoin de personnes (ou structures) « ressources », motivées pour soutenir leur projet. Il peut s’agir de soutiens politiques ; aider à faire connaître le projet, montrer que la collectivité est en accord avec la démarche ; d’aide logistique comme la mise à disposition de salles ou de moyens matériels, d’espaces de communication dans les publications, les portails web, les salons ; et enfin, d’aides financières durables nécessaires pour initier et pérenniser les initiatives. P.15


Un soutien politique La MAIRIE DE VOLONNE et le conseil de développement lié au Parc Naturel Régional du Verdon sont deux exemples d’institutions qui ont organisé de manière tout à fait volontariste des démarches de concertation, pour un éco-quartier d’une part, et pour un problème d’épandage des boues de stations d’épuration d’autre part. Le soutien de la commune de Lauris (84) a également été important dans la création du Café Villageois d’AU MAQUIS. Néanmoins, les institutions ne montrent pas toujours des soutiens à la hauteur des attentes des initiateurs de projet. L’éco-constructeur PROMECO’H a constaté une frilosité (peu d’intérêt ou d’enthousiasme) de certains maires et services d’urbanisme pour lancer un projet d’habitat collectif avec des critères bioclimatiques. FILIÈRE PAYSANNE considère que les collectivités territoriales témoignent dans le discours d’un intérêt pour les productions alimentaires locales mais dans les faits tardent à concrétiser cet appui. Pour l’association SEVE LA ROUE, l’engagement des collectivités est réel mais il reste en-deçà de ce qu’elles ont la capacité d’impulser. Par exemple, elles pourraient souscrire à la monnaie locale elles-mêmes, ou encore verser une partie du salaire des fonctionnaires en roues ce qui amènerait un véritable changement d’échelle pour cette monnaie locale et dynamiserait l’économie locale. Des lieux de rencontre sont recherchés dans la plupart des projets et la mise à disposition par les collectivités territoriales d’espaces d’échange permet d’assurer durablement la bonne marche du projet.

Le soutien financier Les collectivités territoriales et les agences de l’Etat sont des financeurs très importants pour les projets de changement de comportements vers la transition énergétique, et ce, d’autant plus que les aides fournies permettent une action sur le long terme. FILIÈRE PAYSANNE a ainsi sollicité le Conseil Régional Provence-Alpes-Côte d’Azur pour participer au financement de la plateforme d’approvisionnement local, de même que LA ROUE. L’Etat, via les aides de l’ADEME1, accompagne la transition énergétique : BOUCLETIK finance ainsi ses ateliers « bilans carbone » sur la réduction de la consommation de carburant auprès des transporteurs routiers. Le système financier classique est perçu comme peu enclin à prêter pour des projets novateurs. Or les pouvoirs publics sont en capacité de soutenir ces initiatives auprès des financeurs. Rémy CARRODANO de PROMECO’H est le témoin d’échecs de projets de construction de maisons bioclimatiques par des particuliers du fait du refus des prêts par les banques qui ne prennent pas en compte les gains d’énergie à long terme dans l’analyse économique du projet. De même, face à l’impossibilité de se voir prêter des fonds, plusieurs projets ont fait appel à des systèmes d’investissement citoyen et de financement participatif.

Lieu de vie, lieu d’action, exemples venus d’ailleurs : changer dans et grâce aux territoires ? Dans les deux projets de concertation présentés dans cette publication, les limites des territoires pressenties sont bien circonscrites. Les citoyens de ces territoires se sentent concernés par les problématiques car celles-ci sont ancrées dans leur territoire de vie. C’est le cas des habitants de VOLONNE qui se mobilisent pour l’aménagement de leur éco-quartier et des services qu’ils utilisent (école, maison de retraite, centre social…). De même sur le plateau de Valensole, l’épandage des boues de stations sur leur territoire les concerne et les implique dans le débat. La motivation à s’impliquer et à changer est donc appuyée par la proximité avec le territoire. De plus, le public peut s’inspirer d’exemples venus d’autres territoires, de concepts venus d’autres pays ou régions (REPAIR CAFÉ, monnaie locale, …). Mais appliquer un exemple passe par des adaptations locales.

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Agence De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie


Il faut alors revenir à son territoire après en être sorti. La contribution de l’ESPE Aix-Marseille montre ainsi qu’il est possible de territorialiser un enseignement, de l’enrichir ou de le valider en sortant de son territoire (déterritorialiser) avant de revenir sur son territoire pour le mettre en œuvre (reterritorialiser). Enfin, la demande pressante de la société au monde éducatif est de donner aux élèves des moyens d’un changement de comportements vers des valeurs et des actions éco-citoyennes. Le laboratoire de sciences de l’éducation de l’AMU fait part de la première étape de réflexion pédagogique sur les liens entre éducation et territoire. Michel FLORO et les auteurs associés expliquent que l’enseignement formel, le plus enseigné à l’Ecole, a un caractère universel (le même pour tout territoire) tandis que l’enseignement non-formel transmet les savoirs ancrés dans les territoires (dimension géographique, économique, symbolique et espace de conscience collective). Le territoire donne un contexte à l’éducation : il permet l’action, il fait participer l’élève aux savoirs locaux. Dans ce territoire peut alors se développer une intelligence territoriale. L’alliance « éducation / territoire » permet de trouver un langage commun adapté à chaque territoire, de faire prendre conscience de l’action citoyenne.

L’importance de s’inscrire dans la durée et du temps long ! Il n’est pas inutile de rappeler que le changement individuel et collectif prend du temps. Un temps qui manque souvent à l’accompagnant au changement pour se réorienter, s’adapter et pour que la démarche de changement soit durable. Le temps passé en amont du projet est primordial : pour expliquer, comprendre et faire comprendre, analyser la situation, avoir les avis en retour, laisser s’exprimer les publics… La MAIRE DE VOLONNE explique l’importance du temps de consultation du public en amont d’une démarche démocratique. Il existe des durées incompressibles pour chaque étape d’un projet qui se consolide au fur et à mesure. Par exemple, FILIÈRE PAYSANNE a pris le temps de faire son étude de faisabilité détaillée, d’écouter attentivement son public pour créer, adapter ses services et les faire durer. Les porteurs de projet semblent unanimes sur ce point : pour bâtir son projet et le mener à bien, il faut du temps. Le changement de comportement est un processus long.

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Les contributions

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Filière Paysanne Jean-Christophe ROBERT Pour le développement d’une agriculture et d’une alimentation locale Créée en 2009, Filière Paysanne répond aux besoins de consommateurs à la recherche de solutions d’approvisionnement auprès d’une agriculture locale, favorisant ainsi une économie locale et éco responsable. Ses objectifs sont :  • Le développement de l’agriculture et de l’alimentation locale  • La solidarité économique et la relation humaine de qualité entre les producteurs, les transformateurs, les distributeurs et les consommateurs d’une même filière alimentaire  • La sensibilisation et l’information de toutes et tous, sur les différents aspects de notre avenir alimentaire collectif  • Le dialogue et la coopération avec l’ensemble des institutions concernées par cet enjeu1

Les étapes de mise en oeuvre des projets d’épicerie et de plateforme Un cheminement personnel qui amène au projet Après un BTS agricole et souhaitant travailler dans la transition alimentaire et agricole, Jean-Christophe ROBERT devient producteur de châtaignes en Ardèche. Sensibilisé à la question de la transition, tant dans ses orientations professionnelles que personnelles, il s’approvisionne alors pour sa consommation alimentaire en produits locaux dans un point de vente collectif géré par les producteurs ardéchois, mode de consommation correspondant à son éthique. Son expérience de travail sur le développement d’un produit innovant sur le « boulgour » de châtaigne (grosse semoule de la taille d’un grain de riz), pour lui redonner sa fonction d’aliment de base, avec tout un réseau de producteurs, de transformateurs et de distributeurs entre l’Ardèche, la Lozère, le Gard et les régions de Lyon et de Marseille, lui donne le goût de participer à cette dynamique, de contribuer à la construction d’une filière paysanne.

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A son arrivée à Marseille en 2002, constatant que les solutions d’approvisionnement en produits locaux ne lui convenaient pas, lui vient l’idée de créer un point de vente collectif. Les échanges avec des producteurs locaux ainsi que sa posture d’écoute, l’orientent vers un autre projet, celui d’ « épicerie paysanne ».

Un modèle de départ À partir de 2008, la décision de monter ce projet d’épicerie paysanne est prise. L’objectif et l’intérêt sont de favoriser les commandes de produits locaux et leur accessibilité au public, afin de maintenir la production locale. FILIERE PAYSANNE a été la structure matrice de la première épicerie créée en 2010, pour son portage juridique pendant deux ans et demi. La volonté de la faire évoluer vers un statut de SCOP (Société Coopérative et Participative) s’est concrétisée en 2013 et a été portée par les salariés et partenaires de FILIERE PAYSANNE. Ainsi, l’association propose un modèle de départ, avec le souhait de permettre la diversité. A chaque porteur de projet de faire ensuite selon ses critères et envies. Filière Paysanne a ainsi accompagné le développement d’autres épiceries paysannes avec « l’épicerie d’Adèle » à Marseille, créée en 2013, « Pays’en ville » à Aix en Provence en 2014 et « Les Pissenlits » à Marseille en 2015.

La plateforme La Plateforme Paysanne Locale (PPL) a pour fonction d’assurer la collecte, le transport et la livraison de produits issus de l’agriculture du territoire (département des Bouches du Rhône et départements limitrophes), pour approvisionner commerçants et restaurateurs indépendants, ainsi que la restauration collective de Marseille et ses alentours. Le projet est né en 2012, suite à l’identification d’un manque lié à l’approvisionnement des magasins de détail (type épiceries paysannes), pour la restauration privée, la restauration collective, et pour soutenir des paysans fragilisés et la dynamique locale des commerces de proximité. L’idée était de proposer un projet qui repose sur l’existant et soit complémentaire à celui de la SCOP « Epice », une plateforme de distribution de produits alimentaires biologiques, locaux et issus du commerce équitable à destination des professionnels. Le projet de créer une plateforme paysanne locale d’approvisionnement en produits frais sur Marseille prend forme, après deux réunions avec une cinquantaine de structures regroupant une partie des acteurs Marseillais spécialisés dans la restauration, la distribution et la commercialisation de produits frais en « circuit court ». Le conseil régional a financé l’étude de préfiguration qui a été portée par l’APEAS (Agence Provençale pour l’Economie Alternative et Solidaire). 2013 fut la phase opérationnelle avec la mise en place d’un comité de pilotage, en intelligence collective, composé de FILIERE PAYSANNE, de la SCOP Epice, d’un doctorant en géographie, de la SARL Terroir Bio et d’un producteur aubagnais. Ce comité a lancé la plateforme paysanne locale, demandé des financements à la Région, et créé une association de préfiguration, avec l’objectif de devenir par la suite une SCIC (Société coopérative d’intérêt collective) ou une SCOP. Depuis 2014, la plateforme livre les cantines scolaires de l’agglomération d’Aubagne et du Pays de l’Etoile en fruits et légumes bio. L’objectif de ce projet est ainsi de contribuer à un changement global. L’alimentation devient le prétexte à organiser une relocalisation, développer une vision plus concrète et plus globale, sanitaire et démocratique. A travers la plateforme, « c’est développer le lien avec les producteurs, optimiser le coût énergétique, rationaliser la logistique… cela ramène l’alimentation dans la sphère politique et donc dans le dialogue avec les élus.

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Freins et leviers observés Leviers La forte motivation de Jean-Christophe Robert fut un réel moteur dans la réalisation de ce projet, devenu concret grâce à un accompagnement par Inter-Made2 pour la réalisation des études d’opportunité, de portabilité et de marché liées à la création de l’épicerie paysanne. La réussite du projet tient aussi beaucoup à sa cohérence avec des besoins identifiés. D’après Jean-Christophe Robert, les services proposés par les Epiceries Paysannes viennent satisfaire un véritable besoin, le fondateur des épiceries paysannes l’affirme : « je savais que ça marcherait, je n’avais pas de doutes. » Les solutions proposées par Filière Paysanne sont nourries de valeurs humanistes : la convivialité, le faire ensemble, les rencontres. Les fortes valeurs humaines portées par Jean-Christophe Robert et leur mise en pratique sont de véritables « outils » du changement, rendant efficients ses projets. Pour démarrer, Jean-Christophe Robert a donc consacré beaucoup de temps à faire du lien et à faire connaître son projet. Écumant les différents lieux d’échanges et de débats, les projections de films liées à ces thématiques, il y présentait la démarche de Filière Paysanne et de l’épicerie, donnant ainsi une visibilité au projet. Un « éco festival » a été réalisé en 2009 à Marseille, sur le Cours Julien, en lien avec le marché paysan et d’autres acteurs mobilisés autour de la transition alimentaire. Différents stands, débats, animations dans une ambiance très conviviale et festive ont permis de développer tout un réseau de soutien au projet et sa connaissance auprès du public. « Si vous avez envie que ça marche, parlez en, devenez acteur du projet de son développement, responsabilisez les gens. Je leur confiais autant de graines, et ils allaient semer dans leur terreau ».

Partage de valeurs et vision globale « Changer le monde en partant de l’assiette », c’est l’idée de contribuer à une transition en partant de ce qui est de plus essentiel : l’alimentation. « Prendre en main le destin de nos intestins », c’est le slogan qu’aime à répéter Jean-Christophe Robert et la base de son projet. Ce projet participe aussi à la lutte contre les inégalités sociales, avec l’idée de rendre accessible, à la fois en terme géographique, d’horaires et sur le plan économique des aliments de qualité et locaux. Ainsi, une double tarification, initiée par l’épicerie de Solid’Arles, est une idée testée à l’épicerie d’Aix-en-Provence, sur des critères de revenus, en partenariat avec des acteurs sociaux. « Avec l’acte alimentaire, on conditionne des choses beaucoup plus globales : la façon dont on pense, dont on fonctionne, dont on construit le monde dans lequel on vit. […] cet enjeu alimentaire est presque un prétexte à faire évoluer une globalité ». L’approche systémique nourrit particulièrement la réflexion de Jean-Christophe Robert. Cette capacité à voir loin, globalement, intègre les différents systèmes : culturels, économiques, politiques, sociaux, etc. C’est cette vision globale et l’envie de réunir un collectif qui aille dans la même direction qui ont poussé Jean-Christophe Robert à fonder l’association et à en assurer un rôle de coordination. Pour lui, « c’est la notion de ‘faire ensemble’ qui fait fonctionner ». D’autres leviers sont importants à souligner. Ainsi, le fait que le marché soit adéquat entre la demande et l’offre est un vrai levier pour accompagner vers la transition, indique-t-il : P.21


« La réalisation du projet est une réponse à un besoin collectif, il n’y a plus de sensibilisation à ‘faire’, à proprement parler mais un service proposé : une facilité d’accès à une alimentation de qualité. » De plus, la mise en œuvre fluide de ce projet ambitieux tient beaucoup au fort investissement du porteur de projet, à la préparation soignée de l’étude de faisabilité, à l’écoute attentive d’un public, d’un système, d’un marché et enfin à la conscience aigüe de l’intérêt collectif, de la nécessité de durabilité : « La capacité du porteur de projet initial de privilégier la pérennisation de l’outil plutôt que la recherche de contrôle, avec un intérêt collectif et durable a réellement permis de développer cette dynamique d’essaimage. » À la question du travail engagé pour sensibiliser les consommateurs, Jean-Christophe Robert répond que « le principe de réalité s’en charge » : les actualités alertent sur des problématiques liées à la santé, ce qui touche beaucoup les publics, mais aussi sur des sujets d’économie (délocalisation, d’affaiblissement de l’économie, de chômage). La proposition de créer une épicerie paysanne, qui privilégie le local, avec une confiance dans le travail des producteurs, apporte ainsi des réponses à ces inquiétudes. « Les gens viennent d’eux-mêmes car ils trouvent une solution concrète, le bouche à oreille fonctionne très bien […] Quand ils trouvent une offre qui leur facilite la vie, qui réponde à cet intérêt pour une alimentation saine et qui apporte une valeur éthique, ils s’en saisissent. […] Les gens sont de plus en plus convaincus. Mais il faut leur proposer des solutions, c’est par ce biais là qu’on peut changer la société de manière effective et efficace. » Certaines épiceries demandent une adhésion à leur clientèle, ce qui permet de s’engager, et de prendre conscience de la démarche. D’après le créateur de FILIERE PAYSANNE, « Adhérer, ça crée un déclic, les clients voient bien qu’il y a une dynamique associative derrière. »

Freins Bien qu’une forte implication et motivation personnelle soient indéniables, certaines difficultés se font ressentir sur le portage de la première épicerie. Jean-Christophe, alors bénévole, porte à bras le corps ce projet. Mener un projet ambitieux en étant seul porteur de projet peut s’avérer être un frein. De plus, il constate que le statut associatif peut amener des difficultés à faire en sorte que les salariés soient dans une réelle co-décision. Les freins importants observés durant ces mises en œuvre viennent en grande partie de la précarité du porteur de projet liée au statut de bénévole et plus récemment à un « contrat aidé ». Le financement de Filière Paysanne par les porteurs de projet d’épiceries n’est pas encore envisageable. Les porteurs de projets ne sont pas suffisamment avancés dans leur développement économique pour contribuer au financement de l’association. Filière Paysanne réfléchit donc à d’autres sources de financements, comme la prestation autour de l’accompagnement, notamment auprès des collectivités, le développement d’une offre de formation, avec le souhait d’arriver à s’autofinancer. La formation professionnelle pourrait également être une source de financement.

Des solutions concrètes et un besoin de voir loin, ensemble, pour accompagner le changement Acteur très dynamique, force de propositions, Filière Paysanne a par exemple participé à l’atelier de concertation de mise en place de la Métropole d’Aix-Marseille. L’association a fait des propositions très structurantes : un projet alimentaire métropolitain. Elle a également contribué au projet législatif relatif à l’ancrage territorial de l’alimentation. P.22


L’association propose ainsi des solutions concrètes, viables, durables, contribuant à la création d’emplois. C’est à travers la mise en place de ce type d’initiatives que les citoyens peuvent être « accompagnés » dans la transition, en trouvant des services, des réponses à leurs besoins. Jean-Christophe Robert l’affirme : « Les freins ne sont pas liés à un manque de volonté de la part des citoyens. »

© Filière paysanne

© Filière paysanne

« Une des difficultés est de travailler avec des acteurs dont la vision n’est pas toujours à la même échelle», constate-t-il, et les leviers prennent naissance dans la forte envie de contribuer à un réel changement de société. Pour cela « il est absolument nécessaire d’avoir une vision globale et à long terme », conclut-il.

http://filiere-paysanne.blogspot.fr/ Inter-Made est une structure qui aide à la création et au développement d’entreprises au service des territoires avec un impact social et environnemental http://www.inter-made.org/ 1 2

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Entreprise PROMECO’H Rémy CARRODANO Eco promoteur, précurseur, Rémy CARRODANO travaille depuis longtemps à sensibiliser la population et les élus pour qu’ils s’engagent dans la transition énergétique. Il créé la société PROMECO’H en 1998, dont l’objectif est de construire des maisons bioclimatiques à énergie positive.

Promouvoir l’éco-habitat A une période où sont signées les premières négociations et actions internationales en matière de réduction de gaz à effet de serre, Rémy CARRODANO envisage la construction d’habitats bioclimatiques à énergie positive. Ces maisons tendent vers une autonomie énergétique en produisant plus d’énergie qu’elles n’en consomment. « C’était avant le Grenelle. On était encore sur le protocole de Kyoto1, on avait tous les ingrédients pour se lancer, il fallait aller vers une performance énergétique dans l’industrie, le tertiaire, dans l’habitat, les transports », précise-t-il. C’est dans ce contexte, en 2002, que l’ADEME le soutient dans le cadre de l’innovation technologique dans le bâtiment et de la performance énergétique. Il utilise, entre autres, des « monomurs », une brique creuse en terre cuite qui offre une isolation thermique naturelle de Haute Qualité Environnementale (HQE), des capteurs solaires, les premiers doubles vitrages, des réducteurs de consommation pour l’éclairage public dans le lotissement, des récupérateurs d’eau de pluie… Sa volonté de participer à la transition énergétique est le moteur de son entreprise. « La société PROMECO’H s’inscrit dans une démarche et une philosophie de l’habitat et de son environnement qui réunit la performance énergétique, l’utilisation des énergies renouvelables et de matériaux sains, le tri sélectif des déchets, la santé, le bien-être. Elle tend vers une perspective qui vise à harmoniser l’être humain et son habitat afin de répondre aux besoins vitaux et immédiats, aux habitudes et aux manières d’habiter. »

Freins au développement de l’éco-habitat

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Pour Rémy CARRODANO, habiter une maison saine avec un confort thermique, ce qu’offre l’habitat bioclimatique, est un souhait partagé par tout un chacun. Détenir ce privilège permet une prise de conscience et une participation à la transition. D’après l’éco-promoteur, l’accès à ce type d’habitat amène à changer ses comportements liés à la consommation énergétique. Les accédants à ce type d’habitat n’ignorent pas l’ossature bois de leur logement, la toiture végétalisée, les capteurs solaires, etc. Pour autant, le frein d’accès à la propriété est réel, souligne Rémy CARRODANO. Malgré une forte volonté de promouvoir ce type de logement, la difficulté d’accès freine le changement d’habitudes des citoyens qui pourraient en bénéficier.


Un frein économique « Aujourd’hui les gens qui cherchent une maison vont volontiers vers une démarche environnementale. L’obstacle c’est le prix, les finances, le crédit, etc. La spéculation foncière est très forte. Il faut compter 1500 euros le mètre carré pour une maison bioclimatique donc ce n’est pas simple d’acheter. Le coût de l’immobilier a beaucoup augmenté en 20 ans. » Le premier frein à l’accès à la propriété est son coût. Les banques ont des critères très rigides concernant l’acceptation des crédits. Proposer un crédit plus long aux clients désireux d’accéder à un logement bioclimatique et leur expliquer que la réduction de leur facture énergétique leur fera même gagner de l’argent est impossible à faire entendre par les banques, explique Rémy CARRODANO. « C’est un autre calcul, pour faire accepter ça, c’est inimaginable, ils [le système bancaire] sont formatés dans leur système de prêt. Un premier frein, c’est celui-là, économique ! ».

Un manque de motivation politique Rémy Carrodano est formé pour organiser des visites des projets réalisés par sa société. Sa mission consiste aussi à informer le banquier, le notaire et l’élu, qui communiquent ensuite sur ces logements. Il souligne l’importance du soutien des élus afin de promouvoir de tels programmes de construction sur leur commune. « Pour pouvoir surmonter les obstacles, intellectuels, financiers, économiques, le soutien de la politique locale est indispensable », affirme-t-il, fort de sa propre expérience d’élu local. Au début des années 2000, lors de ses présentations de projets auprès d’élus, un seul maire est intéressé par sa démarche. « C’est la vision à court terme et le manque de connaissance qui rendent fragiles les implications politiques, explique-t-il. Les services d’urbanisme n’étaient pas encore formés à l’époque, la notion d’habitat durable ou d’éco aménagement n’était pas encore ancrée. La transition est un réel changement de paradigme et il faut du temps pour modifier les états d’esprits […] On me répondait que j’étais trop en avance. » Rémy Carrodano donne l’exemple de pays plus avancés sur le sujet : « En Scandinavie, dans leur mode de vie, ils circulent plus en vélo, les élus installent des pistes cyclables, c’est dans les mœurs. Ici, les décideurs n’ont pas cet esprit. Même avec les lois et la COP 212 où l’on demande aux grands décideurs de s’engager, ça ne change pas. » Il précise que dans d’autres pays, notamment dans les villes de Brighton, Dublin et Copenhague, des cahiers des charges « développement durable » existent et que toute opération se soumet à ce document strict : « C’est une motivation politique. A Brighton, ils sont allés loin, avec des espaces partagés. Ce sont des obligations respectées par les policiers qui vérifient la conformité des permis selon le cahier des charges Développement Durable de la commune. »

Le critère de rentabilité, un frein au changement « Des programmes immobiliers sans critères écologiques, sans capteurs solaires, continuent de fleurir comme il y a 30 ou 40 ans, s’indigne l’éco-promoteur. Après la COP 21, comment peut-on réaliser des programmes comme ça ? Les permis, ce sont les maires, les présidents des intercommunalités qui les signent et bientôt ce sera la Métropole d’Aix-Marseille ! » Pour lui, le critère de rentabilité prend une importance trop grande et surpasse celui de l’écologie. « J’ai vu des promoteurs qui m’ont dit que tant qu’ils ne seraient pas obligés de faire de l’éco habitat, ils ne le feraient pas », affirme-t-il.

Un frein culturel Selon lui, le problème dépasse le niveau des acheteurs, il est politique et culturel. Ce qui est important, c’est le changement de regard nécessaire à l’accompagnement du changement de paradigme. « C’est d’avoir dans l’esprit que l’habitat du futur, ce n’est plus l’habitat des anciens. Aujourd’hui, poursuit-il,

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ces habitats peuvent comporter des garages pour des voiture électriques, des jardins en permaculture3 autonome en énergie, et dépassent ainsi la seule fonction initiale d’habiter […] Pour les professionnels du bâtiment qui ont travaillé toute leur vie dans la construction en béton, c’est très difficile de reformater leur esprit dans l’écoconstruction. ». Il précise qu’un travail important de sensibilisation auprès des architectes et des décideurs est à réaliser. Les obligations patrimoniales (caractéristiques architecturales du patrimoine local) peuvent être un frein au développement de ces éco-habitats et le souci « d’avoir une architecture apparente plus qu’une architecture intérieure » est fort, remarque t-il.

Quels leviers ? La publicité Rémy Carrodano constate la puissance de la publicité à la télévision qui convainc nettement plus facilement le client potentiel. Des campagnes publicitaires sur le monomur lui montrent que le « vu à la télé » fonctionne. Les clients « croient » ainsi en la véracité des propos publicitaires plus qu’en ceux du commercial ou du promoteur pourtant formés à ces outils. « Ces supports (la télévision, la publicité) pour convaincre les gens sont indispensables. Les gens reçoivent trop d’informations toute la journée, pour pouvoir les convaincre lors des rencontres. Ensuite, c’est une démarche individuelle qui fait changer. Les convictions et la motivation sont un levier, provoquent une confrontation à la tradition familiale. La jeune génération est plus ouverte, voyage, il y a une démarche personnelle de recherche de renseignements », observe Rémy Carrodano.

De l’utilisation des fonds publics et des investissements « Il faut recycler l’argent de la finance vers une économie « socialement verte » et changer de distributeur d’argent public vers des éco-projets socialement responsables à tous les niveaux ! » propose Rémy Carrodano pour un changement effectif.

Travail de formateur et expérience personnelle L’ouverture d’esprit et la curiosité, moteurs du changement

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Rémy Carrodano est formateur dans un lycée professionnel pour des formations liées à la structure bois/habitat et aux nouveaux métiers « verts ». Son expérience auprès des jeunes lui montre qu’ils ont conscience de la pollution et des changements environnementaux : « On est en plein changement. En tant que formateur, oui, j’observe ça. On arrive un peu comme des veilleurs, on fait un travail de sensibilisation, d’information, avec une liste d’arguments écologiques, économiques, de santé…. Le frein au changement est surtout politique, économique, malheureusement ». Il observe aussi que les jeunes de ces lycées professionnels n’ont pas d’autre vision que leur ville, Marseille. Il s’attache alors à leur ouvrir d’autres horizons, notamment en leur proposant des stages dans d’autres départements, à développer chez eux un autre état d’esprit, deux éléments moteurs de changement pour lui, comme il l’a expérimenté personnellement. En effet, issu d’une famille d’immigrés italiens, travaillant sur les chantiers navals de La Ciotat, Rémy Carrodano connaît la difficulté de vie des ouvriers, le manque de sécurité sur les chantiers. Il décide de ne pas prolonger la tradition familiale. Il explique que la découverte d’autres horizons, de rencontres ont fortement contribué à son ouverture d’esprit :


« Il faut s’ouvrir au monde, rencontrer, acquérir et échanger des connaissances pour changer les mentalités et les comportements ! » Il développe sa sensibilité à l’environnement au cours de voyages et de randonnées, et « l’amour de la montagne » lui fait prendre conscience « de la beauté de la nature et des enjeux qu’il y a autour ». « J’ai rencontré des gens formidables, qui ont le même esprit, les mêmes valeurs. Dans les refuges, on est en phase avec la nature, ça créé une ferveur » Son expérience en tant qu’éducateur en environnement a également nourri son envie de participer au développement de l’écologie et confirme la nécessité de s’ouvrir au monde : « J’amenais des jeunes des quartiers de Marseille en colonie de vacances, ils se construisaient des souvenirs, ils voyaient autre chose que leur quartier. Dans les années 80, il y avait encore des fonds sociaux pour faire ça, on pouvait faire partir les jeunes une semaine, un mois ! Aujourd’hui, ils n’ont plus de fonds, c’est un échec politique, culturel et social. »

La volonté politique et le pouvoir citoyen comme leviers au changement Citoyen respectueux des institutions, Rémy CARRODANO s’interroge sur la politique actuelle, il espère que davantage d’élus s’engagent enfin réellement dans ces démarches de transition. « Aujourd’hui, on est beaucoup de citoyens à penser à sortir du jeu institutionnel, à se grouper entre nous, se réunir entre professionnels, à créer un réseau et faire nous-mêmes les projets, récolter des fonds, réaliser des éco-quartiers, de l’habitat participatif […]. Il y a une défaite des institutions et du politique, qui ne répondent plus à la demande des citoyens […]. On peut pourtant faire les choses, c’est une volonté politique », estime Rémy CARRODANO. A la question du pouvoir citoyen comme réponse à la réussite d’une transition énergétique, Rémy CARRODANO répond que le pouvoir citoyen existe bel et bien : « C’est primordial d’affirmer que les citoyens ont du pouvoir, car s’ils en prennent conscience, tout peut basculer vers un monde meilleur».

Le protocole de Kyoto, accord international, est conclu en 1997 pour rentrer en vigueur en 2005. Il fixe des objectifs chiffrés juridiquement contraignants de réduction des émissions de gaz é effet de serre des pays développés, http://www.developpement-durable.gouv.fr/ 2 21e conférence des parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, tenue à Paris en 2015 « La permaculture est un système de conception basé sur une éthique et des principes qu’on peut utiliser pour concevoir, mettre en place, gérer et améliorer toutes sortes d’initiatives individuelles, familiales, et collectives en vue d’un avenir durable.» David Holmgreen 1

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BOUCLETIK Gil DOAT Boucletik propose aux collectivités territoriales et aux entreprises, un accompagnement dans la mise en place d’une stratégie de développement durable au sein de l’organisation. Gil DOAT, son fondateur, traite principalement des questions de transport de marchandises et de déplacement des personnes. Il livre ici les clés de son accompagnement pour réduire les émissions de CO2 de ces organisations. Gil DOAT a créé l’entreprise BOUCLETIK1 afin de « remettre du sens et de l’éthique dans les projets de développement durable des organisations », principalement pour tout ce qui concerne l’activité transport de marchandises et déplacement de personnes. Fort d’une expérience professionnelle dans une entreprise de transport, c’est également avec une formation complémentaire, le master « Développement Durable et Organisations » que Gil DOAT découvre des points de détails inconnus du grand public, qu’il s’attache aujourd’hui à transmettre dans ses projets. Gil DOAT observe que le développement durable est une notion de plus en plus entendue et galvaudée et que les organisations n’ont pas toujours les moyens pratiques de l’intégrer dans leur fonctionnement. « C’est avec une conscience des conséquences de la non prise en compte du développement durable, en identifiant les coûts et des pistes d’actions possibles que les entreprises, les collectivités, les associations, peuvent mettre en place des stratégies adaptées », précise t-il. L’objectif est de « convaincre les organisations de réduire leurs émissions de CO2, ainsi que leur consommation de carburant, effort que ces structures s’attachent toujours à réaliser pour leurs transports ou leurs déplacements sans attendre des principes de développement durable », explique Gil DOAT, qui ajoute que « l’objectif de BOUCLETIK est surtout de travailler sur d’autres motivations : les effets sur le social et sur l’environnement en apportant des réponses appropriées à partir d’une analyse précise de chaque cas. »

Des ateliers de sensibilisation Avec un partenariat ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie) et une expertise technique, l’entreprise organise, avec le bureau Garrulus Consulting (Nicolas Rogier), des ateliers de sensibilisation et des formations, soutenus également par une subvention du Conseil régional.

Avoir conscience des enjeux pour changer L’objectif de ces ateliers est de responsabiliser les participants, de les amener à se sentir concernés par le développement durable et à en comprendre le sens. « C’est par la prise de conscience que nous devenons responsables et que nous pouvons passer à l’action », explique Gil DOAT. P.28


BOUCLETIK s’attache à s’adapter toujours au contexte, à l’environnement et au partenaire. L’entreprise invite des acteurs très locaux, concernés par la problématique proposée. Pour exemples, à Arvieux, un village du Queyras, l’atelier a porté sur l’accessibilité des transports de marchandises en lien avec les déplacements dans les vallées reculées des Alpes, en partenariat avec le Parc Naturel Régional du Queyras. A Cavaillon, le sujet traitait de la problématique d’approvisionnement et de distribution des fruits et légumes, au Port d’Arles, de la question multimodale entre le fleuve et la route. Toujours dans une posture d’écoute et d’adaptabilité, le principe est « de montrer les enjeux et d’apporter des pistes concrètes aux organisations ». Les ateliers sont participatifs avec le souci de sensibiliser au fait que le développement durable est amené à devenir un élément structurant des stratégies de toute organisation. Ces espaces d’échange permettent ainsi de convaincre les participants d’aller plus loin dans leurs démarches et de mener une réflexion sur le sujet. « Le secteur du transport est un secteur en grande difficulté […] Il est nécessaire de contrer l’argument qui considère que ces problèmes ‘écologiques’ sont des problèmes de ‘riches‘, que les entreprises n’ont pas le temps de penser à des problématiques qui ne les concernent pas... » explique Gil DOAT. BOUCLETIK s’attache à montrer que tous ces enjeux les concernent bien, qu’il s’agit de bon sens. Pour Gil DOAT, « tout le monde est entraîné dans une machine économique qui nous a fait oublier ce bon sens, l’idée est de dépasser cette barrière. »

Des leviers au changement Un bénéfice au changement de comportements : la réduction des coûts Un des leviers au changement, explique Gil DOAT, est « la prise de conscience du bénéfice obtenu à faire des économies en mettant en œuvre des pratiques de bon sens ». En effet, « développer un ‘mieux vivre ensemble’ permet des économies car cela génère moins de gaspillage en ressources […] C’est un coût de licencier, de recruter, de former… » Si un secteur en difficulté comprend que ‘c’est maintenant qu’il faut faire des économies’, pour continuer à vivre de manière durable, ce même secteur peut observer le bénéfice à changer de stratégie.» Les ateliers proposés permettent de définir comment une réduction des coûts est envisageable, sans réduire le niveau social ou environnemental de l’organisation. Ils expliquent ainsi la nécessité d’intégrer les trois volets du développement durable pour assurer la pérennité de l’organisation : économique, environnemental et social. « Le déclic de la réduction des coûts fonctionne avec tout le monde », affirme Gil DOAT. Il attire cependant l’attention sur le fait de ne pas dévoyer le discours : il faut réduire la pression économique de l’entreprise mais cela ne peut pas être l’unique but. Le travail de ces ateliers est donc de montrer comment ramener aux mêmes niveaux les trois volets du développement durable. « L’enjeu est de convaincre de l’importance de réaliser des économies pour améliorer le sort des personnes et de l’environnement, car si les entreprises sont dans une situation florissante, elles ne voient pas l’intérêt de réaliser des économies », explique l’entrepreneur.

Créer du lien A la suite de ces ateliers, l’idée est d’accompagner les entreprises pour développer leur démarche. Un bulletin d’information est envoyé tous les trois mois à toutes les organisations rencontrées.

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Tous les destinataires sont affichés afin que tous prennent connaissance du fait que d’autres entreprises sont aussi concernées par le sujet. Pour l’entrepreneur, « c’est un grand levier de montrer qu’on n’est pas tout seul ». Il observe que cette « technique » engage aussi des personnes à se contacter et échanger par ce biais.

Adopter une vision à long terme « Le travail participatif sur le croisement des trois volets du développement durable amène à démontrer que ne considérer que le seul enjeu économique est une vue à très court terme pour une stratégie durable de l’entreprise. Ainsi, considérer la dimension sociale permet de voir plus loin, et ajouter le volet environnemental allonge la vision et assure une pérennité de l’entreprise », affirme Gil DOAT. « C’est adopter une vision à long terme qui permet le changement de comportement ». Cependant, le frein au changement réside dans la pression économique que subissent les entreprises qui se trouvent alors hors du champ du développement durable. La difficulté, affirme Gil DOAT, réside également dans la sensibilisation des dirigeants d’entreprise dont le profil a évolué depuis 50 ans vers une préférence très marquée pour le court terme : « Il y a 50 ans, le patron d’une entreprise connaissait le métier de l’entreprise, il y a 30 ans, les patrons sont devenus des commerciaux et les services ‘marketing’ ont fleuri. Il y a 20 ans, les patrons sont devenus des financiers, avec une pression sur les coûts et donc sur les salariés, sur la vente, sur les commerciaux et les collaborateurs avec le but d’engranger de l’argent à court terme. Malheureusement, l’objectif des financiers est souvent beaucoup trop court-termiste et ne peut pas être compatible avec une vision à long terme de l’entreprise. »

Le programme "Objectif CO2" des transporteurs Le programme "Objectif CO2" porté par l’ADEME Le programme « Objectif CO2 » porté par l’ADEME Ce programme a pour visée la réduction des émissions de gaz à effet de serre, dont le CO2, et des consommations d’énergie du transport routier de marchandises et de voyageurs. « Ce programme conjugue : - une Charte d’engagement volontaire, qui se focalise sur le progrès et l’amélioration continue, en se basant sur un objectif de réduction et un plan d’actions personnalisé ; - un Label, qui valorise le haut niveau de performance environnementale atteint par la flotte de véhicules routiers et des autres modes utilisés (fer, fleuve, mer, air) par l’entreprise2. » BOUCLETIK et Garrulus Consulting ont été pendant trois ans chargés par l’ADEME d’animer la Charte sur la région PACA : 26 entreprises ont été accompagnées. En moyenne leurs engagements ont porté sur une réduction de 8% par an de leurs gaz à effet de serre, donc de 8% leur carburant, par des actions qu’elles n’avaient pas mis en place avant, avec l’aide de BOUCLETIK. Ces réductions représentent plus de 16 000 tonnes de CO2 pour plus de 5 000 litres de carburant. En ce qui concerne le Label, Gil DOAT, premier auditeur au niveau national, a testé et audité avec Nicolas Rogier quatorze entreprises pilotes. Il a également étudié le référentiel et formé les auditeurs habilités.

La pression du marché Ce sont les entreprises déjà engagées dans des actions de réduction d’émissions de CO2 qui demandent à avoir le label. Le rôle de l’auditeur est de vérifier que la démarche mise en place en permet l’obtention. P.30


La motivation d’obtention du label est la reconnaissance. Cette reconnaissance, précise Gil DOAT, dépend aussi de la communication que l’ADEME réalise sur la mise en place de ce label et de la manière dont le marché l’accueille. La demande du label répond à une demande du marché économique et elle est en même temps intégrée dans une démarche de durabilité environnementale. En effet, une entreprise qui a le label consomme moins de carburant, donc diminue ses coûts, maintient ses prix plus longtemps et ainsi garantit une durabilité.

L’exemplarité Après les entreprises pilotes, aujourd’hui ce sont au total 49 entreprises qui sont labellisées. « Si les collectivités et les entreprises montrent l’exemple en faisant appel à des entreprises labellisées, avec cet impératif dans leurs cahiers des charges, ce sera un vrai levier au changement pour les entreprises, pour leurs collaborateurs et donc pour les citoyens, insiste Gil DOAT. Pour arriver à ces démarches, il est aussi nécessaire que plus d’entreprises soient labéllisées pour respecter la concurrence. »

L’implication des collaborateurs d’une entreprise dans la démarche de développement durable L’un des critères de l’audit est de s’assurer de la connaissance de la démarche de l’entreprise par tous les collaborateurs. Gil DOAT observe que la sensibilisation des collaborateurs est un vrai levier au changement et qu’il reste un travail important à réaliser sur ce sujet. Il raconte l’exemple de l’information transmise par une simple affiche à l’entrée d’une entreprise qui présente la démarche. Les salariés sont habitués et ne voient pas l’affiche ou ne se sentent pas concernés. Pour les mobiliser, « il faut aller à leur rencontre, connaître leurs compétences et leurs intérêts pour le sujet, les impliquer dans la démarche. » « Ces sujets doivent être portés par tous les collaborateurs. S’ils sont tous au courant, ça crée une pression des salariés sur ce sujet, ils peuvent alors questionner leur entreprise, et ça crée une obligation d’avancer sur le sujet, explique Gil DOAT. La transparence et l’obligation de maintenir l’information sont deux principes fondamentaux pour générer un changement au sein de l’entreprise. Pour l’entreprise, les bénéfices peuvent alors être une occasion d’impliquer des collaborateurs concernés par le sujet, une manière de rendre plus fiers les collaborateurs de leur entreprise car travailler pour un transporteur qui réalise ces efforts est gratifiant ».

Formations : la connaissance et la vision globale « Celui qui est ignorant est excusable, celui qui sait n’a plus d’excuses. A la fin de cette formation, vous n’aurez plus aucune excuse ! » Gil DOAT aime démarrer ses formations par ces mots, pour insister sur l’idée qu’une méconnaissance des enjeux n’incite pas à faire des efforts. Au contraire, il explique que « permettre à chacun d’être à un niveau supérieur de connaissance amène à agir en conséquence, à proposer des solutions, se sentir acteur, responsable et impliqué au sein de son entreprise. » Gil DOAT cite un exemple en prenant pour travail de base une situation concrète dans laquelle sont les stagiaires : lors d’une formation, les stagiaires disposent tous de bouteilles d’eau en plastique, dont celles qui sont entamées sont systématiquement remplacées par de nouvelles après la pause du midi. Les bouteilles entamées sont jetées. L’exercice proposé aux stagiaires est le suivant : « vous êtes la directrice du développement durable de la société, vous êtes responsable de l’eau pour les formations, quelles solutions proposez- vous pour améliorer d’un point de vue social et environnemental la gestion de l’eau ? » Les stagiaires proposent de remplacer les bouteilles par des carafes à remplir et d’ajouter des filtres pour une meilleure qualité (la formation se déroule au Maroc). Le travail du formateur est de les amener à pousser leur réflexion plus loin. Il les alerte sur le risque d’un

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manque de considération ressenti par des stagiaires ne disposant plus de bouteille individuelle mais de carafe. « Vous faites des économies sur les bouteilles, ça sert à quoi ? À grossir le portefeuille de l’actionnaire ? Pourquoi ne pas suggérer à l’entreprise de creuser des puits dans des villages où il n’y a pas d’eau ? Et dans cette situation, les gens seront fiers de se lever pour aller chercher de l’eau car ils participent à la démarche de creusement de puits. » L’idée est de montrer qu’une bonne stratégie et compréhension des enjeux se réalise avec une vision globale des choses et qu’être dans la responsabilisation, conscient des enjeux impliqués permet le changement de comportement. « La connaissance permet de faire un déclic sur un certain nombre de sujets », assure Gil DOAT.

Dialogue et responsabilisation « Pour arriver à faire changer les habitudes, il faut arriver à dresser des passerelles, montrer les relations entre tous les sujets, comprendre ce qui se passe quand on agit sur quelque chose. » Pour chaque formation, la méthode utilisée allie dialogue et responsabilisation. Gil DOAT observe que cela fonctionne : avec les étudiants, à travers le master dans lequel il intervient ; avec les salariés d’entreprises, à travers les ateliers de sensibilisation et les audits pour le label de réduction du CO2. « Les gens sont contents de comprendre, de savoir et ainsi se sentent en mesure de mettre en place de nouvelles pratiques liées à la transition énergétique. »

Les 14 premières entreprises de transport labellisées CO2 lors du lancement du programme Le Cercle des Armées à Paris le 18 mai 2016

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© Gilles Doat

© Gilles Doat

Les Transports Marino lors de l’adhésion à la Charte CO2

http://www.boucletik.com/ ADEME, programme objectif CO2, http://www.objectifco2.fr/


ENERCOOP PACA La réappropriation citoyenne de l’énergie Enercoop PACA est la coopérative régionale d’Enercoop, un fournisseur coopératif d’électricité d’origine renouvelable, créé en 2005 par des acteurs reconnus de l’écologie et de l’économie sociale et solidaire (Greenpeace, les Amis de la Terre, Biocoop, la Nef…). Enercoop propose une offre 100 % « verte » et s’approvisionne auprès d’un réseau de producteurs indépendants d’électricité d’origine renouvelable (hydraulique, éolien, photovoltaïque, biomasse). Cette offre s’adresse aussi bien aux particuliers, qu’aux professionnels et collectivités. La coopérative Enercoop PACA a été créée à Marseille en 2013 et compte aujourd’hui plus de 300 sociétaires et près de 3000 consommateurs en région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Virginie Gallon Bervoets, responsable communication d’Enercoop PACA, nous livre quelques clés de cette initiative.

Comment Enercoop a-t-elle vu le jour ? Quel besoin ? ENERCOOP a été créée il y a plus de dix ans à l’occasion de l’ouverture à la concurrence du marché de l’électricité en France, et donc à la fin du monopole public d’EDF. L’objectif était de proposer aux consommateurs une véritable alternative avec une offre écologique et éthique. Ecologique, parce que l’offre Enercoop propose une électricité garantie 100 % renouvelable à ses consommateurs et travaille dans une logique de circuit court par le biais de contrats directs avec des producteurs indépendants (une centaine en France). Ethique, parce que l’offre ENERCOOP s’appuie sur un statut coopératif qui garantit une gouvernance démocratique du projet et permet à chacun de s’impliquer dans le projet et de prendre part aux grandes décisions.

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Le discours d’Enercoop Aujourd’hui encore 75 % de l’électricité produite en France est d’origine nucléaire. Malgré la richesse en ressources renouvelables dont notre territoire bénéficie, la France a fait le choix d’une énergie dont nous sommes dépendants, qui est dangereuse, polluante et chère. Les centrales nucléaires produisent des déchets radioactifs dont la durée de vie peut dépasser le millénaire. L’impact des radiations sur l’environnement proche, sur la santé des hommes et celle de la nature est scientifiquement avéré. Et c’est sans parler des risques de catastrophes nucléaires, à l’image de Tchernobyl ou plus récemment de Fukushima. 10 ans après la création d’ENERCOOP, les enjeux liés à l’accélération du réchauffement climatique rendent nécessaire et urgent d’opérer rapidement une véritable transition énergétique en France et plus largement dans tous les pays industrialisés, ce qui signifie : sortir des énergies fossiles, réduire la part du nucléaire dans notre mix électrique et développer les énergies renouvelables. ENERCOOP souhaite contribuer à construire un nouveau modèle énergétique qui repose sur une consommation maîtrisée et responsable d’énergie renouvelable. Le mouvement de l’eau (l’hydraulique), le vent (l’éolien), les rayons du soleil (le solaire), la décomposition organique (la biomasse) sont autant de sources d’énergie au potentiel inégalable. Inépuisables, elles présentent peu de risques pour l’environnement et sont faiblement émettrices de gaz à effet de serre.

La vision d’Enercoop Elle s’appuie sur le scénario négaWatt qui plaide pour une transition énergétique ambitieuse passant par : - un apprentissage de la sobriété dans nos consommations d’énergie, - un travail sur l’efficacité énergétique de nos équipements, - un développement décentralisé des énergies renouvelables. Avec un modèle visant à impliquer les citoyens, au plus près des territoires, et de façon décentralisée, dans la gouvernance et les décisions stratégiques des coopératives, le Réseau Enercoop porte un véritable projet de transformation sociétale dans le domaine de l’énergie.

Quel public et pourquoi ? Le projet Enercoop s’adresse à tous les consommateurs d’électricité, qu’ils soient des particuliers, des professionnels ou des collectivités. Aujourd’hui ENERCOOP compte 15 000 sociétaires et près de 35 000 consommateurs en France, dont 3000 professionnels et une centaine de collectivités. ENERCOOP PACA compte environ 1000 sociétaires, 3000 clients et 250 professionnels. Enercoop s’est engagée depuis deux ans dans une politique de changement d’échelle et vise 150 000 clients en 2020. ENERCOOP PACA poursuit la même dynamique et ambitionne 10 000 clients à l’horizon 2020. Historiquement ENERCOOP a séduit un public très militant, notamment parce que le projet a été fondé par des associations et structures engagées comme Greenpeace, Les amis de la Terre, Biocoop, La Nef... mais aussi en raison de son positionnement tarifaire : à l’origine ENERCOOP était 40 % plus cher que le tarif réglementé d’EDF – aujourd’hui cet écart a fortement diminué et n’est plus que de 15 % (les tarifs Enercoop n’ayant pas évolué en 10 ans tandis que le tarif réglementé ne cesse d’être réévalué à la hausse par l’État en raison de l’explosion des coûts de production du nucléaire). Le développement actuel de la coopérative, en pleine croissance, passe par la prise de conscience d’un nombre toujours plus grand de citoyens. Il ne s’agit plus seulement de militants écologiques convaincus, mais de citoyens tout simplement sensibles à la question environnementale, qui souhaitent contribuer à leur échelle à la protection de la planète et au développement de moyens de production d’énergie renouvelable. ENERCOOP ambitionne donc aujourd’hui de s’adresser à un public large et souhaite, P.34


au-delà de l’augmentation du nombre de ses consommateurs, participer à la sensibilisation du public à la question de la transition énergétique.

Quel territoire ? ENERCOOP existe sur tout le territoire français (métropolitain) depuis sa création en 2005. A partir de 2010, le projet a commencé à essaimer en région par la création de coopératives régionales. Il en existe 9 aujourd’hui (en plus de la coopérative historique basée à Paris). C’est dans ce cadre qu’est né ENERCOO PACA en 2013. La coopérative provençale couvre toute la région PACA telle que délimitée sur le plan administratif : Alpes de Haute- Provence, Alpes Maritimes, Bouches du Rhône,Hautes-Alpes, Var, Vaucluse. Les bureaux d’ENERCOOP PACA sont installés à Marseille, mais la coopérative tient à garder un lien fort avec les territoires qu’elle couvre notamment par le biais de son réseau d’ambassadeurs bénévoles, 85 personnes formées pour jouer le rôle de relais dans tous les départements et permettre de faire connaître Enercoop au plus grande nombre. ENERCOOP a fait le choix de créer des coopératives régionales pour être au plus près des enjeux des territoires : - Avoir un lien de proximité avec ses consommateurs et sociétaires : les coopératives régionales sont d’abord des espaces de dialogue où chacun peut venir s’informer, échanger, discuter, et ainsi participer à la mise en œuvre de solutions énergétiques adaptées à leur territoire. C’est tout le sens de l’organisation d’Enercoop en SCIC qui permet à chacun de devenir sociétaire et de décider de l’avenir énergétique de sa région. Ce statut vise à créer du lien entre les différents types de sociétaires (c’est le sens du multi-sociétariat), à permettre une réappropriation citoyenne de l’énergie, et aussi d’un point de vue énergétique, à recréer du lien entre production et consommation locale producteurs…, dans une logique de circuit court. - Travailler avec les producteurs : les coopératives accompagnent la transition énergétique de leur territoire en soutenant des projets citoyens de production. Elles nouent des contrats d’approvisionnement avec des producteurs de leur région, pour certains sociétaires de la coopérative, et rapprochent ainsi la production de la consommation. - Soutenir la maîtrise de l’énergie : consommer mieux, c’est aussi consommer moins. Les coopératives favorisent la mise en place de services de maîtrise de la consommation d’énergie et proposent aux différents acteurs de la région des solutions adaptées à leurs besoins. - Militer : c’est aussi au sein de coopératives à taille humaine que se réunissent les différents acteurs de la transition : sociétaires, producteurs, consommateurs... Présents lors des différents événements ou rassemblements dans la région (comme les Journées de la Transition, Alternatiba...), les militants prennent part au débat sur les questions environnementales et portent le projet ENERCOOP.

Place du changement de comportements des publics cibles dans le projet Le changement de comportements est au coeur du projet ENERCOOP pour de nombreuses raisons : - le choix d’ENERCOOP s’inscrit dans une démarche globale de transition citoyenne ou consom’action, qui consiste à modifier ses habitudes de consommateur pour construire une société plus écologique, sociale et humaine. - le projet ENERCOOP s’appuie sur le triptyque de l’association négaWatt (sobriété, efficacité, renouvelables) et encourage ses consommateurs à réduire leurs consommations d’électricité, notamment par la P.35


mise en place de formations Dr Watt ; en ce sens, le choix d’ENERCOOP s’inscrit dans une démarche plus large de prise de conscience de l’importance de la question énergétique. Changer de fournisseur est un premier pas. De nombreux consommateurs ENERCOOP sont par ailleurs très économes en énergie. Nombreux sont aussi ceux qui souhaitent installer des moyens de production d’énergie sur leur maison ou qui s’engagent dans des projets citoyens de production comme les centrales villageoises. L’idée phare du projet ENERCOOP, c’est de permettre une réappropriation citoyenne et locale de la question énergétique. L’opacité vis-à-vis des choix énergétiques du pays ont conduit au désintérêt des citoyens et des collectivités pour la question, ainsi qu’à leur participation limitée dans la prise de décision. Chez ENERCOOP, nous pensons que l’énergie est avant tout une affaire de citoyenneté. Les coopératives ont pour but de mettre en relation producteurs et consommateurs dans une démarche de circuit court. Elles permettent aussi à chaque personne de devenir sociétaire et ainsi d’avoir une voix sur la gestion de l’électricité qu’elle consomme.

Le changement de comportements est-il un besoin/désir du public ? Le projet Enercoop rencontre aujourd’hui de plus en plus une attente du public qui correspond à un désir de changement : changement de société, de modèle économique, social, énergétique…

Une prise de conscience croissante du public sur la question environnementale Des événements comme la COP21 ont mis la question du changement climatique sur le devant de la scène et les citoyens ont tous pris conscience de la nécessité d’agir. Ils attendent donc des réponses de la part des gouvernements pour lutter contre le dérèglement climatique, mais sont aussi de plus en plus nombreux à penser que le changement viendra d’en bas, des citoyens qui agissent déjà sans attendre, au travers de multiples initiatives dans le domaine de l’alimentation, du transport, des déchets, de l’énergie… Le succès inespéré de films comme Demain montre que le public est en attente de solutions concrètes et prêt à passer à l’action. L’heure n’est donc plus au catastrophisme pour alerter l’opinion sur les dangers du changement climatique. Le succès du film montre que le public est davantage motivé au changement quand on lui parle de solutions positives qui marchent, quand on lui donne de l’espoir à travers des alternatives qui existent déjà et qu’il est possible de déployer à plus grande échelle.

La contrainte accélère-t-elle ou ralentit-elle le changement ? En application de la loi NOME1, les sites professionnels, dont la puissance souscrite est supérieure à 36 kVA, avaient pour obligation de quitter au 1er janvier 2016 les tarifs réglementés d’EDF pour une offre de marché. Cette contrainte législative a fortement incité les professionnels à rechercher un nouveau fournisseur d’électricité et à comparer les différentes offres du marché. Si la plupart du temps, le critère prix a été le plus déterminant dans ce choix, cette période a permis à certains professionnels plus sensibles à la question environnementale de se poser la question de la provenance de leur énergie et d’envisager le passage chez un fournisseur vert. ENERCOOP a connu un accroissement important des souscriptions de consommateurs professionnels sur cette période ce qui démontre qu’une contrainte légale peut accélérer le changement. P.36


Faut-il des récompenses pour amener au changement ? Il n’y a pas de récompense directe à passer chez ENERCOOP hormis la satisfaction personnelle d’avoir fait un choix qui aura un impact positif sur la planète ! C’est toute la difficulté de la motivation au changement dans le secteur de l’énergie ! Un client qui consomme des produits alimentaires bio a, en plus de la satisfaction de faire un geste pour la planète, un bénéfice direct sur le plan gustatif et sur le plan de sa santé. Mais une ampoule alimentée par ENERCOOP éclaire autant qu’une ampoule alimentée par un autre fournisseur. D’ailleurs, l’électricité qui sort de la prise quand on est chez ENERCOOP n’est pas non plus 100 % renouvelable puisque le réseau électrique français fonctionne comme un pot commun où tous les types d’énergie sont mélangés, puisqu’il n’y a qu’un seul et unique réseau pour tous les consommateurs, quel que soit leur fournisseur. Il est donc impossible de séparer les électrons verts des autres et de les tracer. La traçabilité pour un client ENERCOOP est financière : il a en effet la garantie que 100 % du montant de sa facture va aux énergies renouvelables et non à d’autres types d’énergie. Le bénéfice est intellectuel/psychologique : le consommateur ENERCOOP met en cohérence ses convictions et ses actes, et en ce sens, beaucoup de nos clients se disent soulagés au moment du passage à l’acte : ils y pensaient depuis longtemps, hésitaient… et voilà enfin, ils ont franchi le cap. C’est comme une petite victoire, on peut aussi parfois parler de fierté d’être chez ENERCOOP. En témoignent les nombreuses demandes de nos clients d’avoir des supports de communication pour afficher et partager leur passage chez ENERCOOP (T-shirts, auto-collants à apposer sur leur vélo, leur voiture, leur boîte aux lettres…).

Le respect du destinataire ENERCOOP est très vigilant depuis toujours à agir selon des principes éthiques, notamment par des pratiques commerciales non agressives. Aujourd’hui l’approche commerciale d’ENERCOOP s’apparente plus à un travail pédagogique d’éducation à l’environnement, et plus particulièrement de sensibilisation aux questions énergétiques. De nombreux conseils sont prodigués gratuitement au téléphone pour permettre aux consommateurs de mieux comprendre leur facture et de diminuer leur consommation. Les chargés de clientèle ENERCOOP n’hésitent pas à prendre le temps nécessaire pour que le public puisse bien comprendre le projet et choisir d’adhérer en toute confiance, motivé par la conviction qu’il agit pour la transition énergétique à travers son choix. La question du surcoût tarifaire n’est jamais masquée par exemple, mais bien au contraire toujours bien précisée pour ne pas induire en erreur les futurs consommateurs ou les mettre en difficulté en cas de budget limité.

Quelle prise en compte de la participation du public ? Le public est-il actif ou passif ? Dès l’origine, ENERCOOP a fait le choix de la forme juridique la plus appropriée à ses valeurs. De forme privée et d’intérêt public, le statut SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif) s’inscrit dans le courant de l’économie sociale et solidaire, système économique qui place l’homme, et non le capital, au cœur du projet. En choisissant un statut coopératif, ENERCOOP a intégré dès l’origine la notion de participation de ses bénéficiaires. C’est même l’un des piliers du projet. ENERCOOP PACA appartient aujourd’hui à ses 1000 sociétaires qui ont pris des parts dans le projet et peuvent ainsi chaque année faire entendre leurs voix lors des Assemblées Générales. La coopérative ENERCOOP PACA est même allée plus loin que le simple statut de sociétaire, en lançant P.37


dès sa création en 2013 un groupe d’ambassadeurs bénévoles constitué de sociétaires formés pour jouer le rôle de relais et soutenir l’équipe salariée dans le développement de l’activité. Aujourd’hui ENERCOOP PACA compte 7 salariés et 85 bénévoles répartis sur tous les départements. La participation active des sociétaires est au coeur du projet ENERCOOP. En 2016, ENERCOOP PACA a également inauguré une nouvelle formule avec des rencontres coopératives. Le principe : proposer 6 rencontres décentralisées, une par département, afin de rassembler les sociétaires qui le souhaitent pour un temps convivial d’échange et de formation. Les sociétaires peuvent, durant ces rencontres, poser de nombreuses questions et ainsi mieux comprendre le projet ENERCOOP.

Freins et leviers au changement Quel lien entre changement, normes et opinions dominantes (familiale, sociale...) ? Le choix de changer de fournisseur d’électricité (quel qu’il soit, ENERCOOP ou autre…) est aujourd’hui loin d’être spontané tant le monopole d’EDF reste omniprésent, 10 ans après l’ouverture du marché à la concurrence. En 2011, une étude indiquait que plus de 40 % des consommateurs ne savent tout simplement pas qu’ils peuvent changer de fournisseur d’électricité, sans changer de compteur, sans faire de travaux, mais simplement en quelques clics sur Internet. Le manque d’information du public sur ces questions reste très fort, et certaines habitudes de consommation, liées à la dimension rassurante du service public, sont encore bien ancrées dans les comportements. De nombreuses contre-vérités circulent par ailleurs sur les énergies renouvelables afin de les décrédibiliser : les énergies renouvelables coûtent trop cher, les factures augmentent à cause des énergies renouvelables, les énergies renouvelables ne créent pas d’emploi...etc.2

Formes de résistance et leviers utilisés pour y faire face ENERCOOP est confronté au quotidien dans le déploiement de son projet à la résistance au changement. Cette résistance est liée à de nombreux facteurs : - l’habitude : certains consommateurs ont le même fournisseur depuis des années, pourquoi changer ? Si ce fournisseur est EDF, il y a un attachement qui demeure face au service public même si celui-ci a disparu depuis 10 ans. - la peur : le consommateur s’inquiète d’avoir des problèmes, des coupures de courant s’il change de fournisseur, il a peur des mauvaises surprises. - la méconnaissance, l’ignorance, le manque d’information : ENERCOOP est peu connu et demeure un acteur tout petit face au géant EDF : le client se sent plus rassuré en restant chez l’opérateur historique. Beaucoup ne savent tout simplement pas qu’ENERCOOP existe car les moyens de communication d’ENERCOOP ne sont pas les mêmes que ceux de ses concurrents. Enfin, la plupart des consommateurs ne comprennent pas bien le fonctionnement de l’électricité et la différence entre les producteurs, les fournisseurs, les gestionnaires du réseau...

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Pour lever les freins, ENERCOOP PACA compte beaucoup sur la rencontre, l’échange, le débat. C’est pourquoi depuis deux ans la coopérative multiplie les participations à des événements sur le territoire de la région PACA : conférences-débats, festivals, foires bio, salons, animations dans des magasins Biocoop, Alternatiba, Journées de la Transition… Tous ces événements permettent à la coopérative de rencontrer le public, de faire passer son message, de défendre son projet, de convaincre. La rencontre physique est importante et facilite le passage à l’acte : les sociétaires présents en tant que bénévoles témoignent de leur vécu de consommateur, ce qui rassure (ils l’ont fait, je peux le faire aussi). Leur statut de bénévole est un plus : ils ne sont pas dans une posture de commercial qui chercherait à tout prix à vendre son produit, ils sont convaincus eux-mêmes du bien-fondé de leur choix et cherchent à le partager avec d’autres, à faire « tache d’huile ».

Les facteurs de modification

© Enercoop PACA

Comme dans de nombreux projets environnementaux, la prescription (par un proche, par les médias, par une personnalité) peut avoir un très fort impact sur le projet chez ENERCOOP. Aujourd’hui, les statistiques montrent que plus de 30 % des nouveaux souscripteurs ont connu ENERCOOP par une connaissance. Chaque personne qui montre l’exemple ou partage son choix joue donc un rôle important auprès de son entourage, un rôle d’ambassadeur, au sens large. Il peut s’agir d’un simple citoyen qui fait le choix de passer à Enercoop et en parle ensuite autour de lui, à sa famille, ses amis, ses collègues... Il peut également s’agir d’une personnalité qui affiche publiquement son soutien au projet et dans ce cas, le message est amplifié grâce aux médias, et on observe clairement un effet prescripteur auprès du public. Parmi les personnalités qui ont affiché leur soutien à ENERCOOP : Cyril Dion, réalisateur du film Demain ; Jean Paul Jaud, réalisateur des films Libres !, Nos enfants nous accuseront, … ; Guillaume Néry, plongeur en apnée ; des personnalités politiques comme Corinne Lepage, Emmanuelle Cosse, Julien Bayou, José Bové, Nicolas Hulot...

Loi NOME : Nouvelle Organisation du Marché de l’Electricité, loi du 7 décembre 2010. Elle a pour objectif de permettre une ouverture effective du marché, dans la mesure où EDF, opérateur historique du marché, se trouve alors en situation de quasi-monopole sur le secteur de la production d’électricité en France. 2 L’association négawatt a mis en ligne un site d’information pour décrypter le vrai du faux : http://decrypterlenergie.org/ De même que le CLER qui a publié une brochure sur ce thème : http://cler.org/IMG/pdf/enr-2015-bat3-web.pdf 1

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Energie partagée Arno FOULON ÉNERGIE PARTAGÉE accompagne des projets citoyens de production d’énergie renouvelable et d’économie d’énergie. Arno FOULON, animateur en région PACA explique les leviers du changement pour l’association : charte nationale souple, envie de changer le monde, bousculement des normes, etc.

L’association ENERGIE PARTAGEE Articulé autour d’une charte, le mouvement s’organise en deux structures complémentaires, une association de promotion et d’animation et un outil d’investissement citoyen1 : • L’association regroupe des personnes morales, groupements citoyens, collectivités locales et partenaires engagés dans la dynamique des projets d’énergies renouvelables locaux et citoyens. Elle a pour vocation de promouvoir le modèle d’appropriation citoyenne de l’énergie en vue de multiplier le nombre de ces projets. • ÉNERGIE PARTAGÉE Investissement SCA est le premier outil financier innovant d’investissement citoyen dans la production d’énergie renouvelable et l’efficacité énergétique. Cet outil permet à des porteurs de projets et des acteurs des territoires de compléter les fonds propres nécessaires au lancement d’un projet, et d’en garder la maîtrise citoyenne. L’objectif d’ÉNERGIE PARTAGÉE est la réappropriation de l’énergie, par les habitants, par les collectivités, par les territoires pour qu’ils bénéficient davantage des retombées économiques. ÉNERGIE PARTAGÉE vise également à rapprocher les lieux de production des lieux de consommation, faire participer concrètement les habitants aux entreprises qui vont produire cette énergie sur leur territoire pour qu’eux-mêmes soient sensibilisés. Cette implication conduit à mieux réduire sa consommation d’énergie, aux consommateurs à devenir des producteurs, à concevoir l’impact sur l’environnement de produire de l’énergie. La pédagogie est au cœur des projets soutenus et des actions de sensibilisation ont lieu dans les écoles sur les économies d’énergie.

Energie Partagée en région PACA

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A la question de la place du changement dans le projet, Arno FOULON répond que l’association n’induit pas directement un changement, mais permet à des porteurs de projet de favoriser


durablement un changement de société. « Le passage à l‘acte d’investir est un vrai changement de comportement : un noyau dur de personnes porte un projet, monte une entreprise coopérative qui va avoir besoin de capitaliser, d’avoir de l’argent, de faire en sorte que les retombées économiques soient le plus locales possible. Ces personnes vont être amenées à faire des levées de fond localement : convaincre un cercle beaucoup plus large que le cercle militant, à investir dans ces projets d’énergies renouvelables, en prenant des parts sociales dans les coopératives qui se montent », explique Arno FOULON. L’association n’a pas encore assez de recul pour apprécier la modification de consommation d’énergie des sociétaires, mais cet objectif est aussi au cœur du projet. Une première partie de travail de sensibilisation sur les territoires, de rencontre d’habitants et d’élus a été nécessaire pour faire émerger une première vague de porteurs de projets. Des entretiens, avec tous les acteurs de l’énergie, de l’Economie Sociale et Solidaire ont été réalisés pour mieux comprendre les différents acteurs et territoires en PACA et donner envie de faire des projets de territoire sur l’énergie. Le fait d’avoir un interlocuteur en PACA, territoire déjà en réflexion sur ces sujets, a permis au bout d’un an de faire émerger des porteurs de projets.

Une charte assez souple Dans son accompagnement, ÉNERGIE PARTAGÉE propose une charte, suffisamment précise pour une démarche commune mais assez large pour laisser à chacun une marge de manœuvre localement et une appropriation du projet d’après Arno FOULON. Les quatre points importants de la charte sont les suivants : l’ancrage local des projets ; la gouvernance démocratique et transparente ; la finalité non spéculative et l’écologie. « Ces valeurs permettent ainsi d’assurer à la fois un cadre commun pour éviter les dérives mais aussi un socle de valeurs. » Arno FOULON ajoute que les porteurs de projets donnent beaucoup de leur temps et de leur énergie. Ils portent ces valeurs autant qu’ils sont portés par elles. Ces projets se réalisent tantôt avec un fort objectif de développement local pour avoir des projets concrets d’entreprise avec une valeur sociale et environnementale, tantôt en s’appuyant sur un militantisme profond en faveur de la transition écologique et sociale. D’autres encore se développent sur l’éducation populaire, davantage tournée vers « le faire ensemble ». C’est donc « une diversité de projets possibles qui favorise cette démarche d’intérêt collectif ». « Se lancer dans un projet en ayant conscience de l’ampleur de la tache est difficile. Ils [les porteurs de projet] montent une entreprise coopérative qui vise à produire localement et de manière significative de l’énergie propre pour l’intérêt général, c’est très compliqué aujourd’hui », précise Arno FOULON qui s’assure que chacun prenne bien la mesure de l’engagement. Il ne suffit pas d’être sympathisant mais il faut avoir envie de devenir coopérateur. Pour vérifier que les conditions soient réunies pour se lancer, il présente la démarche et échange avec le groupe d’initiateurs afin qu’ils précisent leur envie collective, la vision qu’ils ont de leur projet, la place de l’argent, l’échelle de territoire à laquelle ils souhaitent travailler… Il les aide à affiner le sens dans lequel ils souhaitent aller ; il les accompagne afin « qu’entre eux ils négocient les fondamentaux de leur projet ».

Créer du lien, rencontrer d’autres porteurs de projets Le rôle d’ÉNERGIE PARTAGÉE est de mettre les porteurs de projets en capacité de mener leur entreprise en transférant les compétences d’autres initiatives réalisées. Pouvoir contacter d’autres porteurs de projets qui ont réalisé leur entreprise, organiser des visites de site, sont des outils précieux pour aider et motiver les groupes qui souhaitent se lancer. Ainsi, des conférences à distance sont mises en place où des porteurs de projets se présentent et peuvent échanger, ainsi que des moments de formation très utiles également pour avoir confiance et faire face aux réalités techniques, humaines, etc.

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Participer à la construction d’un monde meilleur Arno FOULON remarque que le « moteur » qui pousse ces personnes à opérer ce changement est la conscience d’un monde qui va très mal et le besoin de trouver des solutions en créant « un projet positif, plus motivant que de créer une résistance ». Le « bénéfice » que peuvent trouver ces citoyens en se lançant dans un projet de cette ampleur est bien la motivation à participer à la construction d’un monde meilleur, avec la mise en œuvre de projets attendus et souhaités par les politiques publiques, du niveau européen au niveau intercommunal qui s’engagent et proposent un cadre réglementaire.

Des normes économiques bousculées A la question d’éventuelles « normes » bousculées par ces projets, Arno FOULON répond qu’un changement de norme s’opère pour tout le monde : « On est quand même sur des exigences de rentabilité, on fait bouger beaucoup de normes, car ce n’est pas évident de créer une entreprise pour des militants ou pour des élus, d’avoir un raisonnement de modèle économique, de rentabilité, de retour sur investissement, même si on est sur des performances raisonnables. […] Parallèlement, on bouscule les milieux classiques de l’économie des entreprises, des banques, assurances… Des citoyens qui pilotent des entreprises économiques avec des sociétariats d’une centaine de personnes qui se réunissent en AG pour prendre des décisions et parfois avec leur collectivité, ça fait bouger les normes de tout le monde, culturellement, en France en 2016. » « Les collectivités peuvent légalement aujourd’hui investir dans des sociétés privées si elles produisent de l’énergie renouvelable, c’est nouveau2, précise-t-il. Parler d’argent, présenter son projet, sont des éléments difficiles qui créent des résistances ». L’accompagnement d’ÉNERGIE PARTAGÉE est alors nécessaire pour permettre la naissance de projet et indirectement, l’accompagnement de citoyens vers la transition à travers le partage d’expériences, les mises en relation, le transfert de compétence et la formation.

Le souhait d’appropriation de l’énergie d’un plus grand nombre pour une action solidaire

© Energie Partagée

Abordant la question de lutte contre les inégalités sociales, Arno FOULON précise que certains projets peuvent participer à la lutte contre la précarité énergétique, ou décider d’avoir des parts sociales accessibles (50€ par exemple). Toutefois, il ajoute que résoudre le problème des inégalités sociales n’est pas réellement un objectif que ces projets se fixent. « Les publics rencontrés ne sont pas des publics en difficulté. Mais à long terme, ce type de démarche peut amener à une plus grande appropriation des outils de production de l’énergie, de leur prix de vente, localement, et donc à une meilleure maîtrise du prix et de l’accès à l’énergie sur le long terme. Quand ces coopératives permettront de garantir un droit à l’énergie aux personnes les plus modestes, on pourra parler de solidarité à ce moment », conclut Arno FOULON.

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http://energie-partagee.org/les-projets/les-projets-citoyens/la-charte-energie-partagee/ Article 109 de la Loi sur la transition énergétique et la croissance verte (TECV) publiée le 17 août 2015


Association SEVE-LA ROUE Bruno MONTEL L’Association SEVE-LA ROUE (Système d’Échanges pour Vitaliser l’Économie) dont le siège est à Avignon, a été créée par des personnes désireuses de favoriser les activités et les commerces locaux à l’aide d’une Monnaie Locale Complémentaire, appelée La Roue. Celle-ci est destinée à maintenir et à renforcer les forces économiques locales, voire régionales.

Naissance d’une monnaie locale Provencale c

Qu’est-ce qu’une monnaie locale ?

« Une monnaie locale est un moyen de paiement qui ne peut être utilisé que sur un territoire restreint [...] Elle est mise en place par une association qui en assure la gestion avec l’aide d’un établissement financier. L’association fait adhérer des entreprises et des commerçants qui peuvent rejoindre son système. Ces professionnels doivent alors souscrire à une charte éthique qui intègre des notions de respect de l’environnement, des conditions de travail et plus généralement de respect de l’être humain. La monnaie locale prend la forme de coupons-billets. Le rendu de monnaie s’effectue avec des pièces en euros. Toutes les monnaies locales sont adossées à la monnaie nationale. Une unité de monnaie locale vaut un euro1. » Ces monnaies sont nommées « monnaies locales complémentaires » car elles fonctionnent en complémentarité de l’euro. La loi du 31 juillet 2014 relative à l’Economie Sociale et Solidaire reconnaît dans son article 16 les monnaies locales complémentaires comme moyen de paiement.

Les objectifs de l’association SEVE Les objectifs de SEVE-LA ROUE sont de favoriser les échanges entre producteurs et consommateurs locaux grâce à une monnaie locale complémentaire, la Roue, soutenant ainsi « les circuits courts ». Cette démarche permet une nouvelle économie qui améliore les échanges et qui, comme le souligne Bruno MONTEL, soit « résiliente », c’est-à-dire en capacité de s’adapter aux changements économiques et sociaux à venir. Elle offre une opportunité de développer une économie moins émettrice en gaz à effet de serre. En effet, « le consommateur, en allant vers des professionnels dans une démarche de transition dans leur production et donc avec une organisation avec moins de pétrole et de gaz à effet de serre, participe et fait fonctionner une économie pauvre en carbone », précise- t-il. Convaincre les professionnels d’utiliser la Roue afin de créer un fort impact sur l’économie du territoire est également un des objectifs de l’association. P.43


Le projet et son fonctionnement Le projet a démarré il y a quatre ans dans le Vaucluse. Aujourd’hui, le territoire concerné par la Roue comprend le Vaucluse, une partie des Bouches-du-Rhône avec Salon-de-Provence, une partie de Marseille, dans les Alpes de Haute-Provence avec Manosque, Digne, Forcalquier. Pour le professionnel, le rayon d’action est plus large que celui du particulier, ses fournisseurs pouvant être à 100 km. 450 à 500 utilisateurs et près de 250 professionnels participent à ce système d’échange et la masse monétaire, l’argent qui circule, est aujourd’hui d’environ 42 000 Roues. Une charte éthique permet d’assurer et de transmettre les valeurs portées par l’association : - Œuvrer pour une économie locale et régionale afin de permettre aux citoyens et aux entreprises locales de faire face à la dislocation économique et sociale et pour la relocalisation de certaines activités. - Favoriser la mutation de l’économie en valorisant l’économie réelle plutôt que celle basée sur la spéculation, afin qu’elle soit au service de l’être humain et de son environnement naturel. - Contribuer à une évolution de l’économie, permettant de répondre aux besoins de tous les citoyens et de concourir à l’équilibre des écosystèmes, grâce à une économie pauvre en carbone, en rejetant l’idéologie productiviste et le dogme de la croissance illimitée. - Inciter les entreprises et les consommateurs à mettre plus de conscience dans la façon de produire et de consommer pour une meilleure contribution au bien commun, en tenant compte des préoccupations éthiques. - Envisager le bien-être individuel comme indissociable du bien-être collectif.

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© Association SEVE LA ROUE

« La place du changement du comportement est au cœur du projet, faire changer les comportements d’achat des gens : pour que les personnes se réapproprient l’argent, choisissent où acheter, induisent un changement, précise Bruno MONTEL. Tous les publics sont concernés : personne publique, morale, structure institutionnelle, entreprise etc. C’est un groupe ouvert et un véritable levier d’éducation populaire. » Pour se procurer des Roues, il suffit de se rendre aux comptoirs d’échange, relais distributeurs qui sont assurés par des acteurs économiques du réseau. L’utilisateur peut ensuite se rendre chez tout acteur qui accepte la Roue. La Roue circule plus vite que l’Euro, aucune thésaurisation n’est possible, les utilisateurs doivent l’utiliser dans un temps imparti pour assurer cette circulation, l’objectif étant de redynamiser l’économie. Les euros collectés vont sur un fond de garantie, à la NEF , qui ne fait aucune spéculation. « La confiance dans le système repose sur ce système de valeurs. […] Si l’association décidait de faire machine arrière, comme elle détient l’équivalent sur le fond de garantie, elle est en mesure de restituer les euros. De plus, le fond de garantie peut être utilisé en partie pour aider des personnes à s’installer localement par exemple en agriculture biologique sur le territoire, ou avec un projet social ou culturel, » explique Bruno MONTEL.


Regard sur les leviers et freins au changement Les leviers observés L’écoute au coeur du projet « Le projet est né d’un collectif, l’écoute est donc indispensable », affirme Bruno MONTEL. Cela favorise le bon développement d’un projet, grâce à une adaptation permanente et l’acceptation de remarques et critiques.

Outils de sensibilisation et d’information mis en oeuvre L’association est présente dans différents événements où elle tient des stands informatifs, participe à des échanges et débats, à des festivals de cinéma. Les films Sacré croissance et Demain ont été, par exemple, de réels leviers déclenchant des adhésions, ce qui montre que donner accès à une information, à une meilleure connaissance des enjeux est un vrai levier au changement d’habitudes. La Roue est actuellement en vigueur dans un circuit de gens convaincus. Pour toucher de nouveaux publics, la communication autour de la démarche de l’association se fait par voie d’affichage, de presse écrite, de radio, précise Bruno MONTEL. Des collectifs locaux animent, échangent, vont à la rencontre des commerçants qui semblent proches de la démarche. Le professionnel qui accepte la Roue affiche alors la signalétique « Ici nous acceptons la Roue » , simple mesure qui permet au client de se questionner, et s’il est utilisateur, de disposer de l’information.

Des bénéfices comme leviers au changement SATISFACTION DE PARTICIPER À UN INTÉRÊT GÉNÉRAL Avoir le choix de sa monnaie, être assuré de consommer chez des commerçants ou prestataires engagés, savoir que son argent sert localement sont les premiers bénéfices que les utilisateurs peuvent retirer, explique Bruno Montel. Il observe en effet la forte satisfaction de personnes utilisatrices de la Roue de contribuer au changement de la société en aidant leur territoire : « La conscience d’aider vraiment son territoire est réelle car il y a un lien humain qui se met en place […] Avec la Roue, j’aide mon territoire [...] et mes euros récoltés vont permettre aussi d’aider des porteurs de projet locaux, qui seront eux-mêmes utilisateurs de la Roue et dont les projets vont peut-être permettre de créer des emplois, pour l’intérêt général. » Le fait que le projet de l’association SEVE contribue ainsi à l’emploi, la création d’entreprise étant encouragée avec la volonté de relocalisation et de vitalisation de l’économie locale, favorise le passage à l’acte chez les publics intéressés. CHANGEMENT DE POSTURE VIS À VIS DE L’ARGENT Un autre levier au changement de comportement du consommateur relevé est la démystification de l’argent : la Roue permet de lever les peurs liées à l’argent. D’après Bruno MONTEL, « il y a un aspect ludique, on a l’impression de jouer au Monopoly©, sans la spéculation ! ». La monnaie locale complémentaire répond également à la défiance de plus en plus de gens vis-à-vis du monde bancaire. Cette possibilité de se repositionner par rapport à l’argent, de comprendre à quoi il sert, comment il fonctionne, quel en est le sens, est un bénéfice très important « car les personnes changent alors complètement leur vision ».

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CONVIVIALITÉ Echanger ses euros contre des Roues donne l’occasion de passer un moment convivial et de rencontre. « Ainsi, la démarche d’aller échanger son argent devient une démarche sympathique, car elle entraine des discussions. La contrainte éventuelle de se rendre au comptoir d’échange est ainsi atténuée. La notion de lien social est très forte dans les objectifs de SEVE, explique Bruno MONTEL. Ce bénéfice important pour les professionnels comme pour les consommateurs montre que les gens sont en réelle demande de sociabilité.» Cette convivialité est un élément important et elle est pensée au sein de tous les événements organisés par l’association. BÉNÉFICES POUR LE PROFESSIONNEL Cette nouvelle monnaie d’échange induit des changements dans l’offre : les commerçants font évoluer leur gamme de produits vers des productions locales. Cela fidélise une clientèle. Bruno MONTEL explique que les commerçants sont aidés par l’association pour mettre en place des actions progressives, afin de s’améliorer sur des critères cohérents avec les valeurs de SEVE-LA ROUE. A leur initiative, des professionnels proposent parfois des offres promotionnelles pour les clients qui paient en Roue. « Observer que ce sont les commerçants qui s’emparent de cet outil est un vrai facteur de changement ! » affirme Bruno MONTEL.

Des opérations spécifiques pour toucher des publics élargis L’opération « passeport éco-citoyen » récompense des éco gestes. Mise en place grâce aux subventions de la Région, elle gratifie ainsi des personnes qui ont des « gestes vertueux » en Roue. Une seconde opération également financée par une subvention régionale, et destinée aux personnes qui se sentent moins concernées, est « La Roue en plus », ou « l’abondement ». Le principe est de donner 5% de pouvoir d’achat en plus lors des échanges euros/Roues. Cette opération va ainsi dans le sens d’une lutte contre les inégalités sociales. A travers des centres sociaux comme relais, la « Roue en plus » est proposée à des publics défavorisés, afin qu’ils puissent aussi découvrir d’autres modes d’achats, par exemple dans un magasin de fruits et légumes de production locale et bio. Elle leur permet également d’échanger avec d’autres publics et d’avoir le choix de leur monnaie. Le pari que se fixe l’association, c’est que les citoyens s’en emparent par la suite. « La Roue en plus, c’est un amorceur », lance Bruno MONTEL.

Les leviers à mobiliser Un faible soutien de la part des institutions Cependant, malgré ces subventions régionales, le soutien institutionnel reste faible. L’intérêt pour les collectivités locales de participer est pourtant une opportunité et serait un vrai levier au changement dans les habitudes de consommation des citoyens. La reconnaissance publique, par la Région, par les collectivités locales, est fondamentale pour rassurer, rendre légitime et développer à plus grande échelle la monnaie locale auprès des publics, souligne Bruno MONTEL. L’association souhaite donc communiquer davantage. En effet, les collectivités montrent un faible intérêt pour cet outil qui leur permettrait pourtant de soutenir l’économie locale. « Si la Roue était acceptée par les cantines scolaires par exemple, explique MONTEL, et faisait partie des subventions allouées, les circuits locaux se développeraient et plus de citoyens prendraient connaissance de la démarche. Les élus pourraient eux-mêmes recevoir une partie de leur rémunération en Roues, ainsi, une part de leurs dépenses serait forcément locales et cette cohérence avec le discours d’un soutien à l’économie locale serait mieux perçue par les citoyens ». Il ajoute qu’un levier très important serait également un déblocage au niveau du fonctionnement du Trésor Public, ce qui favoriserait l’action d’un élu local volontaire dans cette démarche.

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Un appel à soutien de la part des autres structures liées au développement soutenable Le soutien d’autres structures ayant du poids auprès des publics (associations, entreprises, etc.) liées à l’économie circulaire, à l’économie sociale et solidaire, à des valeurs de développement soutenable serait également un fort levier. En s’emparant de la Roue au sein de leur fonctionnement, ces structures sensibiliseraient leurs collaborateurs, fournisseurs, prestataires, etc., dans cette transition, ce qui n’est pas encore le cas aujourd’hui.

Une nécessaire appropriation collective

© Association SEVE LA ROUE

© Association SEVE LA ROUE

© Association SEVE LA ROUE

© Association SEVE LA ROUE

Il est donc très important que différentes structures s’emparent de la monnaie locale complémentaire, que différents produits soient ainsi proposés dans ce système pour réaffirmer l’identité d’un territoire, et ainsi par une plus grande diffusion de l’information, inciter un plus grand nombre de citoyens à modifier leurs habitudes de consommation pour une meilleure transition énergétique et sociétale. « Tout comme dans un écosystème, il est fondamental d’avoir une biodiversité », conclut Bruno MONTEL.

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Repair Café Marseille David BOURGUIGNON Les Repair Cafés organisent des ateliers participatifs de réparation des objets du quotidien. David BOURGUIGNON, co-fondateur du Repair café de Marseille, évoque ici l’importance de la convivialité, de la démarche d’entraide et de la réponse aux besoins des citoyens pour répondre aux enjeux de la transition.

Le Repair Café, un modèle pour accompagner le changement Le concept de Repair Café Le Repair Café1 est un concept né en 2009 aux Pays-Bas, proposé par Martine Postma, une journaliste néerlandaise. David BOURGUIGNON, co-fondateur du Repair Café Marseille, explique dans cette contribution sa démarche, son expérience et les freins et leviers au changement qu’il observe à travers cette expérience.

Réparer ensemble Le mouvement des Repair Cafés se décrit de la manière suivante : « Réparer ensemble, c’est l’idée des Repair Cafés dont l’entrée est ouverte à tous. Outils et matériel sont disponibles à l’endroit où est organisé l’événement, pour faire toutes les réparations possibles et imaginables. Vêtements, meubles, appareils électriques, bicyclettes, vaisselle, objets utiles, jouets, et autres. […] On y apporte des objets en mauvais état qu’on a chez soi. Et on se met à l’ouvrage avec les gens du métier. Il y a toujours quelque chose à apprendre au Repair Café. Ceux qui n’ont rien à réparer prennent un café ou un thé, ou aident à réparer un objet appartenant à un autre. On peut aussi toujours y trouver des idées à la table de lecture qui propose des ouvrages sur la réparation et le bricolage. […] Le Repair Café apprend aux gens à voir autrement ce qu’ils possèdent, et à en redécouvrir la valeur, et favorise un changement de mentalité, condition première à une société durable construite par tous. » Le service proposé par le mouvement Repair Café est ainsi dans la rencontre entre participants et réparateurs, en permettant aux amateurs et professionnels de participer bénévolement, en tant que réparateurs qui aident et conseillent les participants.

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La grande réussite de ces événements attractifs a donné lieu à la création de la Fondation Repair Café à Amsterdam (Pays-Bas). Depuis 2011, cette fondation fournit une aide de niveau professionnel aux groupes locaux voulant créer leur propre Repair Café, aux Pays-Bas ou dans d’autres pays. L’usage de la marque « Repair Café » nécessite le versement d’une somme très modeste auprès de la fondation. Une charte accompagne cette marque,


qui « offre un cadre assez lâche et une certaine liberté aux porteurs de projets et leur permet d’interpréter le concept à leur manière. » L’événement mêle le côté convivial et utilitaire, comme aux Pays Bas où il rassemble beaucoup de monde sur des durées longues, ou, comme à Marseille, où il prend la forme d’ateliers de courte durée (deux heures) rassemblant un petit nombre de personnes (5 participants pour 1 réparateur). Selon David BOURGUIGNON, « cette légèreté permet aussi l’accès à des lieux très variés et à un coût nul. »

Remplacer le système économique actuel, qui ne fonctionne plus Le souhait de Martine Postma, explique David BOURGUIGNON, c’est qu’un jour les Repair Cafés n’existent plus car le système économique actuel serait remplacé par un autre : « Le système actuel ne fonctionne pas : il crée du chômage, car la fabrication des objets ne se fait plus localement, et de la pollution, à cause des conditions déplorables de production et de la programmation de l’obsolescence des objets, par des moyens matériels ou logiciels. Ces objets ne sont plus utilisés et jetés rapidement ensuite. C’est un système à externalités négatives qui peut être remplacé par un système à externalités positives, où l’objet serait conçu et produit dans de bonnes conditions, sans générer de pollution, et dont l’usage serait en plus créateur d’emplois car il faudrait le maintenir et le réparer. » Pour le co-fondateur du Repair Café de Marseille, ce souhait est très difficile à réaliser car « cela impliquerait de changer en profondeur la chaîne de valeur de nombreux secteurs économiques, comme l’électroménager, et c’est bien sûr là que cela bloque, malgré le potentiel d’innovation dans le domaine de l’économie de la fonctionnalité que cela pourrait offrir aux industriels producteurs d’objets ». Il estime d’autre part que : « La France n’est pas le pays d’Europe avec le plus grand nombre de supermarchés et d’incinérateurs par habitant pour rien2 : le poids des lobbies de la grande distribution et du traitement des déchets, pour ne pas dire leur collusion avec les pouvoirs politiques, est énorme ».

Repair Café Marseille La démarche A Marseille, c’est face au constat d’absence de Repair Café que David BOURGUIGNON se saisit de cette opportunité fin 2014, dans le contexte d’un projet cofinancé par la Région PACA sur les communautés d’action dans la transition énergétique. En effet, le Repair Café est vu comme l’un des outils pour la mise en œuvre de cette transition : en réparant les objets, le Repair Café permet des économies d’énergie grise (l’énergie consommée par la production, l’usage et la destruction des objets du quotidien). David BOURGUIGNON estime que : « La facilité de mise en œuvre de cette démarche contribue à l’accompagnement au changement vers la transition énergétique. L’idée de génie de Martine Postma fut de créer une marque et un mode d’emploi simple, qui permettent aux porteurs de projets de s’emparer aisément du concept ». « Identifier clairement une initiative, grâce à une marque déposée, procédé employé traditionnellement par le commerce et l’industrie, est un point très important du mouvement des Repair Cafés », précise-t-il.

Lancement et communication Le premier Repair Café marseillais s’est tenu en octobre 2014 sur le campus de Luminy, et a immédiatement remporté un grand succès auprès des étudiants en proposant des ateliers de réparation de matériel informatique et d’électroménager. Organisés en coopération avec le CercLL, une association marseillaise dédiée à la promotion des logiciels libres, des ateliers réguliers se sont déroulés en 2015, à un rythme mensuel. Le collectif est tout de suite entré en contact avec les lieux et cafés associatifs marseillais, avec la volonté de coopérer avec des lieux ouverts au sujet proposé et acceptant d’héberger des ateliers sans compensation financière. Une fois les lieux identifiés, la communication sur le service proposé s’est faite majoritairement à travers des réseaux sociaux et le site web de l’association. P.49


Contrairement au principe d’organisation des Repair Cafés dans les pays du nord de l’Europe, qui sont des événements importants qui peuvent durer une journée, centrés sur un lieu unique l’organisation marseillaise est assez différente. Le participant ne fait plus partie d’un événement collectif et très visible qui occupe l’espace public, mais est plutôt convié à une « rencontre entre amis », avec le confort de ne pas être dans l’attente, de pouvoir découvrir des lieux variés (café, locaux associatifs, commerces, etc.) situés pas trop loin de chez lui.

Fonctionnement L’organisation d’un Repair Café implique une coopération entre un organisateur et un ou plusieurs réparateurs. L’organisateur crée une équipe de réparateurs qui devra fonctionner sur le long terme, aspect très important d’une équipe de bénévoles et qui participent ainsi au développement de l’initiative. L’organisateur est souvent lié au lieu d’accueil et connaît en général personnellement les réparateurs avec lesquels il collabore, dont la motivation principale est d’aider les participants à réparer. L’organisateur communique sur son atelier à l’aide de la plateforme web, point de rencontre entre participants et membres de l’équipe du Repair Café Marseille. L’information concernant chaque atelier est publiée sur le site web du Repair Café Marseille et sur les réseaux sociaux. Il s’agit d’une simple application de réservation de places. Ce mécanisme d’inscription offre un grand confort au niveau de l’organisation, mais David BOURGUIGNON constate que la démarche de s’inscrire sur un site web n’est pas évidente pour tout un chacun et qu’en sont exclus ceux qui n’ont pas accès à Internet, ou pour qui la procédure d’inscription est trop complexe. Les personnes concernées sont alors invitées à se rendre à un atelier où des participants peuvent leur expliquer la démarche, « un Repair Café dans un Repair Café ! », s’amuse David BOURGUIGNON. Le fondateur du Repair Café marseillais considère que pour les professionnels de la réparation, le Repair Café est une forme de provocation « on va réparer gratuitement », et en même temps une solution à leur problème de notoriété et de construction de relations pérennes avec leurs clients, car le grand public aujourd’hui ne sait pas toujours qu’un réparateur professionnel existe, et que son geste peut avoir une grande valeur. Pour cette raison, David BOURGUIGNON précise dés le départ le souhait d’installer une relation saine avec les réparateurs professionnels. Si la panne est trop complexe et/ou le temps de réparation trop long, le réparateur communique au participant les coordonnées d’un professionnel (qui peuvent être les siennes). Au sein du Repair Café Marseille, on évite de réparer les objets qui constituent le marché des professionnels (en particulier le gros électroménager).

La motivation des publics à se tourner vers cette démarche Quel public ? Les statistiques fournies par la page Facebook du Repair Café Marseille soulignent l’intérêt porté au sujet par les hommes de 30/40 ans et les femmes de 20/30 ans. « Du point de vue de la psychologie sociale, le bouton ‘J’aime’ est un bon indicateur d’engagement. La personne a fait l’effort de signifier aux autres qu’elle ‘aime’ la page », souligne David BOURGUIGNON. Mais, il constate que ce ne sont pas toujours les mêmes personnes qui témoignent de leur intérêt sur le réseau social et qui viennent ensuite aux ateliers. Cela tendrait à montrer qu’il existe plusieurs niveaux d’engagement, et qu’il demeure difficile de passer au niveau supérieur dans un contexte où il suffit souvent d’effectuer des déclarations d’intention pour prétendre agir. P.50


Les réparateurs sont plutôt des personnes plus âgés, voire des retraités. David BOURGUIGNON précise que l’engagement associatif a beaucoup changé en quelques décennies de société de consommation, et que les motivations ne sont plus les mêmes qu’autrefois. La question de temps disponible, que l’on estime pouvoir consacrer aux autres, entre également en jeu pour lui. Depuis 2016, le Repair Café Marseille est de plus en plus visible, et a accueilli de nouveaux membres dans l’équipe, notamment à l’aide d’outils comme le réseau Mobee3 plutôt connus à Marseille. « Le bouche-àoreille d’abord et la visibilité ensuite ont facilité notre développement », affirme David Bourguignon.

L’entraide au coeur de la motivation David BOURGUIGNON observe que les participants ne sont pas nécessairement des personnes issus de milieux alternatifs et sensibles à l’écologie. Il constate que la démarche de Repair Café n’est pas vue comme une activité « verte » mais comme de l’entraide, un retour à une forme « du bon vieux temps » où « l’on savait réparer les choses », où les objets avaient « encore » une valeur pour les consommateurs. Mouvement de la transition, le Repair Café n’est pas identifié comme tel par les publics : « Ce qui attire, c’est le côté pratique, on répond à un problème concret, et à un besoin d’entraide, on constate que pour la réparation de l’informatique, les personnes viennent aussi pour partager une forme de difficulté ressentie face à ces outils […] Pour le participant, une grosse partie du temps passé dans les ateliers est davantage consacrée à comprendre le problème rencontré qu’à réparer mécaniquement. » « La satisfaction des participants repose ainsi beaucoup sur la convivialité de l’atelier et la rencontre, au-delà du fait de repartir avec un objet réparé », précise-t-il.

Apprentissage et sociabilité Un des bénéfices pour les participants est aussi un sentiment d’apprendre quelque chose et de progresser. Le besoin de sociabilité est également un besoin constaté, notamment face aux nouvelles technologies. David BOURGUIGNON l’affirme : « On est dans une société qui produit (ou plutôt importe) des objets d’une complexité terrible et les gens sont démunis face à cela. Il faut se rendre compte qu’on a laissé de côté une grande partie de la population dans ce domaine […] On n’en prend pas toujours conscience, car on voit des personnes jeunes avec une facilité d’usage, mais toute une population économiquement précaire ou plus âgée est de ce fait en voie d’exclusion sociale. »

Les perspectives d’avenir Sensibiliser à l’école, un levier à mettre en place

© Repair Café Marseille

Le changement de comportement face aux objets, à travers une sensibilisation dans les écoles, est une idée en devenir, selon lui. Dans son optique, organiser des Repair Cafés avec des élèves de lycées techniques serait idéal. De plus, il lui apparaît qu’un engagement du système scolaire français à valoriser enfin le travail manuel et les expertises concrètes et à sortir de « l’obsession pour les savoir-faire intellectuels et les connaissances abstraites, qui se traduit dans les faits en un chômage important des jeunes » serait un important premier pas. David BOURGUIGNON illustre son propos en citant l’exemple de la Finlande qui, d’après lui, consacre une grande partie du temps scolaire aux travaux manuels et aux savoir-faire du quotidien, comme la cuisine ou le bricolage.

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L’entreprenariat comme facteur d’aide au changement de comportements Proposer un service, identifier les besoins « Je ne pense pas qu’on change les gens, je pense qu’on permet aux gens de changer en proposant un nouveau contexte qui rend l’ancien contexte obsolète. Ce sont les gens qui changent eux-mêmes […]. Plus qu’une démarche de changement de comportement, il s’agit donc d’entrepreneuriat : on repère un besoin insatisfait et on fournit une réponse inventive qui induira un changement de mode de vie. » Pour David BOURGUIGNON, les citoyens sont déjà dans le changement, principalement à cause de la contrainte économique forte, qui s’exprime par un besoin de réduction des dépenses, mais également du désir d’une consommation plus responsable. Le Repair Café leur permet « de concrétiser sous une forme particulière ce changement déjà effectif ». Le Repair Café est donc plus une démarche entrepreneuriale que de sensibilisation et pour David BOURGUIGNON, l’enjeu est davantage de savoir identifier des besoins et de partir de l’envie des citoyens, que de compter sur leur capacité à mettre en place des actions nouvelles. « Je pense que le changement se produira par la création d’entreprises qui auront du succès en transformant des systèmes de valeur en d’autres systèmes de valeur. Ça prend du temps et de l’énergie d’entreprendre, il faut mettre au point une proposition de valeur qui répondra à un besoin réel et créera par ricochet un nouveau système de normes pour la population », explique-t-il.

Créer des modèles pour assurer une transition citoyenne Un mode d’emploi David BOURGUIGNON insiste sur le fait qu’un modèle d’initiative bien pensé permet véritablement de mettre en œuvre une proposition de service qui accompagne le changement de comportements vers la transition énergétique. L’existence de ce « kit de changement », créé par Martine Postma, permet de « faire » plus facilement, « c’est un peu un produit associatif, il est facile de s’en emparer car cela a été conçu à l’avance dans ce but ». Selon lui, « pour aider les gens à réaliser la transition, il faut des modes d’emploi ». « Ce travail de conception d’un produit [le modèle associatif] est très important, c’est une voie d’avenir, les gens ont un mode d’emploi, il y a une charte, ce sont des produits de mobilisation citoyenne, pensés pour des ‘consomm’acteurs’ […] c’est par le biais de nouveaux modèles que l’on peut accompagner efficacement le changement », précise t-il. « Le changement, c’est la conséquence de la perception d’un besoin et de la fourniture d’une réponse appropriée », conclut David BOURGUIGNON.

http://repaircafe.org/fr/a-propos-du-repair-cafe Source : association Zero Waste France 3 Réseau social de bénévoles, d’organisations à but non lucratif – associations, ONG, établissements publics, collectivités territoriales… – et d’entreprises mécènes menant collectivement des actions d’intérêt général/ tous-benevoles.mobee.org 1 2

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Un éco-quartier à Volonne Sandrine COSSERAT Maire de Volonne Sandrine COSSERAT, maire de Volonne, située dans les Alpes de Haute-Provence, choisit d’évoquer la création d’un éco-quartier, projet d’aménagement urbain qui respecte les principes du développement durable1 tout en s’adaptant aux caractéristiques de son territoire. Dans cette démarche qui lui tient à cœur, de nombreuses actions relèvent de la transition énergétique.

La naissance de l’éco-quartier « J’aime beaucoup le terme de transition, qui n’est pas la révolution et qui questionne. Il y a de la méthodologie derrière, qui prend en compte les caractéristiques de chacun et les résistances », observe Sandrine COSSERAT. A Volonne, le projet d’EcoQuartier est en cours d’élaboration pour le cœur de village et comprend :  - Une petite unité de vie – résidence sénior  - Des logements sociaux  - Un jardin pédagogique  - Des aménagements publics propices à une dimension intergénérationnelle  - La rénovation thermique des bâtiments municipaux  - La mise en place d’un réseau de chaleur  - Une maison de santé  - Une relocalisation d’un local d’action sociale (CCAS) C’est à partir d’un projet d’urbanisme, où viennent se greffer de nouveaux services, que la volonté politique fut de réaliser un « écoquartier ». L’objectif, explique Sandrine Cosserat, est de « profiter de cette démarche pour réduire la consommation énergétique des bâtiments existants et pour créer de nouveaux ‘bâtiments intelligents’, ‘Haute Qualité Environnementale’ 1. » La commune souhaite également lancer une étude sur la gestion des déchets par toutes les parties prenantes (une vingtaine en tout), afin d’optimiser la gestion des déchets au sein du futur éco-quartier. Sandrine Cosserat insiste en effet sur la nécessité de remettre du lien entre les différents opérateurs (école, mairie, commerces, La Poste, la trésorerie, les professionnels de santé, la crèche,…..), chacun ayant ses propres circuits de revalorisation.

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La démarche participative comme levier au changement L’engagement de la commune et les moyens mis en oeuvre pour une démarche participative efficace Sandrine COSSERAT le répète : « Le premier levier au changement, c’est la volonté et les actions concrètes portées par le porteur de projet. » La démarche participative est l’outil principal mis en place dans le travail mené par l’équipe municipale. « La mise en place d’actions pour la transition énergétique est parfois complexe, explique Sandrine Cosserat. Les termes très techniques d’éco-quartier, réseau de chaleur, bâtiment intelligent, etc., peuvent intimider, bloquer les gens. C’est la raison pour laquelle ce travail de démarche participative est essentiel et porte ses fruits ». Elle remarque d’ailleurs que ce sont ces mêmes personnes qui au départ ne sont pas convaincues vont par la suite défendre ces concepts autour d’eux. Des instances de décision collective à travers un comité de pilotage, des espaces de dialogue et d’échange avec des réunions de travail, des forums ouverts, des actions d’information sur le projet et le processus participatif avec un bulletin d’information, des études pour approfondir et partager les connaissances, des outils pour la diffusion et le partage de l’information, tout est mis en œuvre avec beaucoup de conviction dans ce travail collaboratif. Sandrine COSSERAT, qui s’est beaucoup formée et informée sur le sujet de la transition et des démarches participatives, tient vivement à réellement associer les habitants de Volonne le plus en amont possible du projet en prenant en compte la légitimité et les divergences de points de vue de chacun. Pour cela, elle s’attache à donner un discours clair et convaincu : « il faut créer une approche où les gens se sentent écoutés, pour de vrai ». Les habitants sont informés des réunions publiques ou des actions mises en œuvre par voie d’affichage, par la presse, par mailing, par facebook… « Le mode de consultation est nouveau pour les habitants et c’est une véritable sensibilisation à une nouvelle forme de culture qui doit être réalisée », précise-t-elle. Fort de ce travail éducationnel, le résultat est positif. Sandrine COSSERAT précise que les réunions ont démarré avec dix personnes et qu’aujourd’hui, elles rassemblent une centaine de participants.

Convivialité

L’énergie dépensée pour organiser ces réunions en toute convivialité est importante et nécessaire : « il faut un cadre d’accueil, un petit bouquet de fleurs, un espace où tout le monde peut venir boire un verre, et que ce soit cohérent avec la transition, c’est une logistique, ça paraît des détails mais c’est la réalité, d’organiser, de faire la vaisselle, etc., il faut être motivé ! ».

Valorisation et écoute

La valorisation et l’ouverture sont de mise au sein des réunions publiques d’information : des « personnes ressources », extérieures à la commune y sont invitées. Elle constate que cela valorise d’autant plus les habitants qui font la démarche de participer.

Adaptation et bon sens

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Savoir s’adapter selon les besoins exprimés est aussi un des critères importants de la démarche. « Il y a des questions identitaires qui freinent, et c’est important cet espace de questionnements, en effet, c’est souvent du bon sens, et ensuite il faut cette flexibilité et savoir s’adapter. […] Parfois, on veut aller trop loin dans l’excellence et ça ne passe pas », précise-telle.


Sandrine COSSERAT reconnaît et insiste sur le fait que les craintes sont légitimes, elles doivent être étudiées pour en analyser le pour et le contre. « La transition énergétique, ça passe par une nouvelle façon de penser l’énergie », résume-t-elle.

Ecoute Ecouter et accepter les conflits sont aussi des qualités que prône Sandrine COSSERAT pour évoluer. « La politique ‘ du zéro vagues ‘ ne fait pas avancer et la crise qui fait tout exploser n’est pas de la transition », dit-elle. « Il faut assumer ses idées, aller vers une éventuelle crise et la mener avec bienveillance, la vivre, la traverser, et si on arrive à ça, on ressort fort. Si on pouvait apprendre aux personnes que les moments de crise ne sont pas négatifs et qu’on peut en tirer que du bon… »

Prendre le temps

Les étapes pour parvenir à une démarche participative efficace sont aussi de se donner et de prendre le temps suffisant. Il faut savoir perdre du temps pour en gagner ensuite et Sandrine COSSERAT met en avant ces passages incontournables : « Quand on est dans le changement, on est dans des périodes où il y a une phase d’expérimentation. On essuie les plâtres, tout ne fonctionne pas comme on a prévu, il y a toujours des réglages à faire. Il y a une période transitoire douloureuse, il faut analyser les problèmes et les résoudre […], il faut se donner le temps de l’expérimentation. » Respecter ces étapes, se donner les moyens de la réussite nécessitent beaucoup de travail. Des réunions sont organisées toutes les semaines. Les membres du conseil sont majoritairement présents, sans indemnité. Ils sont conscients de leur rôle et cet engagement prend du sens. « On répond à un besoin », ajoute la maire de Volonne.

Créer du lien social

A la question du besoin de recréer du lien, la Maire de Volonne répond que c’est bien un enjeu prioritaire. Elle a d’ailleurs « un adjoint au lien social ». Elle précise que le tissage du lien social « passe par le maintien des classes, de la trésorerie, de la poste, des professionnels de santé, de la crèche, par la rénovation d’appartements, car en termes de vitalité du village, les enjeux sont nombreux. » « Quand on crée des réunions, les gens se parlent, se connaissent mieux. Des collectifs se sont créés. La tranche d’âge des parents est assez mobilisée, et il faut savoir que le monde bouge beaucoup. Pour autant, c’est difficile de mobiliser car il y a des habitudes, des résistances. Et si les gens se fédèrent, même pour le contre, c’est bien aussi, car ils se sont fédérés, et ça c’est bien ! »

Les soutiens institutionnels et associatifs Sandrine COSSERAT précise que les soutiens, institutionnels, associatifs, sont fondamentaux pour que les démarches liées à la transition soient efficaces auprès des publics. En effet, de nombreux acteurs peuvent appuyer une initiative de transition énergétique : la Direction Départementale des Territoires qui accompagne la commune, le bailleur social H2P (Habitation de Haute Provence), le Sydevom de HauteProvence, un syndicat mixte départemental qui a pour compétence le traitement des déchets ménagers et les aide pour la mise en place du compost dans les cantines, le Smirtom, Syndicat Mixte Intercommunal de Ramassage et de Traitement des Ordures Ménagères, la Caisse d’Allocations Familiales qui soutient sur l’extension de la crèche, etc.

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Le fait d’être dans le cadre d’un Territoire à Energie Positive pour la Croissance Verte (TEPCV) où la commune a été retenue notamment pour son projet de jardins pédagogiques et la rénovation thermique des bâtiments publics est aussi d’un grand soutien. La Maire de Volonne précise également que d’autres acteurs comme France Nature Environnement Alpes de Haute-Provence, sont des soutiens importants. Des démarches telles que « le baromètre du développement durable », un questionnaire à l’usage des associations et des communes permet de questionner l’engagement des communes de la région en matière de développement durable et solidaire. Il s’agit de porter ensemble des actions concrètes.

Etre ouvert et convaincu pour accompagner le changement Sandrine COSSERAT n’observe que peu de freins dans sa démarche : « J’ai l’impression d’être dans un laboratoire quotidien, ma préoccupation c’est que ça fonctionne, donc je vois plutôt des leviers que de freins. » Elle se dit « une défricheuse, comme beaucoup d’autres acteurs dans la transition. […] Les défricheurs, il faut qu’ils aient une énergie décuplée pour démontrer que c’est intéressant. Ils doivent être ouverts, convaincus et faire beaucoup pour mobiliser les gens. Il faut démultiplier ces défricheurs et cela passe par l’éducation. Il faut former nos enfants à ces concepts là, et avoir confiance dans le fait qu’on est plus intelligents à plusieurs. »

© Mairie de Volonne

© Mairie de Volonne

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http://www.developpement-durable.gouv.fr/


Expérience de démocratie locale Mathieu LEBORGNE - Sociologue LA CONFERENCE CITOYENNE SUR LA QUESTION DE L’EPANDAGE DES BOUES DE STATIONS D’EPURATION SUR LE PLATEAU DE VALENSOLE (04) Paru dans «Territoires sociaux» , Juin 2016

A travers l’expérience d’une conférence citoyenne sur la question de l’épandage des boues de station d’épuration, Mathieu Leborgne, sociologue, propose un modèle de prise de décision collective et de participation applicable à la transition énergétique. « J’épands des boues sur mes terres mais je ne sais pas vraiment si c’est bien ou pas ; alors je suis venu pour m’informer »

« Plus j’en entends, plus je suis opposé à l’épandage »

« L’épandage, c’est la moins mauvaise des solutions, à l’heure actuelle. On n’a pas trouvé mieux et faut bien faire quelque chose de nos boues » « J’ai un gîte et les épandages gênent mon activité ; je suis contre mais il y a peutêtre des solutions »

© Mathieu LEBORGNE

Paroles de membres du Groupe de Réflexions et d’Echanges Citoyens

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PREAMBULE La démarche ici présentée est le fruit du travail et des réflexions (entre décembre 2011 et mai 2012) d’un groupe d’une quinzaine de citoyens volontaires et responsables, résidants des territoires du Verdon et intéressés par la problématique sensible de l’épandage agricole des boues de stations d’épuration. Ce groupe de citoyens sera, dans les lignes qui suivent, appelé le « GREC » : Groupe de Réflexions et d’Echanges Citoyen. Ce document vient tenter de mettre en forme une « parole citoyenne » de résidents qui se sont impliqués depuis décembre 2011 dans une démarche initiée par le Conseil de développement des territoires du Parc Naturel Régional du Verdon, à la demande du Parc du Verdon lui-même. De décembre 2011 à juin 2012, le GREC s’est en effet réuni à cinq reprises autour de la question générale : comment et quel avis peut-on émettre sur la question de l’épandage agricole des boues de stations d’épuration ? Chacune des réunions était centrée sur une thématique particulière constitutive de la problématique générale ; des intervenants, experts ou professionnels sont ainsi venus présenter au GREC soit un état des connaissances sur le sujet, soit leur propre expérience dans le domaine. Progressivement, la diversité des éclairages a permis de répondre à un certain nombre de questions mais aussi a ouvert la réflexion sur d’autres aspects du sujet. La complexité du sujet n’en est devenue que plus évidente et la modestie des propositions avancées que plus assurée. En d’autres termes, c’est bien à la manière d’une conférence de citoyens que le GREC a travaillé : après un certain nombre d’apports de connaissances issu de l’expertise, les membres du groupe expriment plus clairement leurs interrogations, voire leurs inquiétudes, sur le sujet. Les propos présentés ci-après se basent sur plusieurs éléments : 1. Des éléments de connaissance liés au champ de l’expertise : - Le dossier d’information sur les boues (intitulé « Les épandages de boues de stations d’épuration dans le Verdon »), rédigé par N.Delesalle, stagiaire de la commission eau du Parc du Verdon. C’est une photographie chiffrée des pratiques d’épandage sur le plateau de Valensole pour l’année 2010. - Le guide d’information sur les boues (intitulé « Les boues d’épuration domestiques. Réglementation et organisation des épandages »), document de synthèse issu du dossier d’information, à destination du grand public, édité par le Parc du Verdon. Les membres du GREC ont participé à la réalisation de ce document par le biais d’une lecture collective critique et de propositions d’amendements rédactionnels, - Les compte-rendus des entretiens réalisés par Mathieu Leborgne (cabinet « Territoires sociaux »), Nicolas Delesalle et Fatima Amaghnouj entre juillet et décembre 2011 auprès d’une vingtaine d’acteurs concernés par la filière des boues (producteurs, agriculteurs, élus, administrations, riverains, bureaux d’étude…), - Le contenu de la réunion publique organisée conjointement par le Conseil de Développement du Parc et le Parc du Verdon, le 19 octobre 2011 à Valensole, - Les apports de connaissances et échanges qui eurent lieu au cours des cinq réunions du GREC qui se sont tenues de décembre 2011 à mai 2012 et le rapport produit par le GREC. 2.

Des éléments de connaissance liés au champ de l’expérience :

Chaque membre du GREC est d’abord un citoyen, en tant que riverain, des territoires du Parc du Verdon. C’est à ce titre qu’il s’est d’ailleurs toujours présenté aux rencontres du GREC : « Habitant de… ». Cette compétence de citoyen en tant que riverain, éventuellement complétée par d’autres compétences d’ordre professionnel ou amateur, a constitué la base du second apport de connaissances lié à l’expérience de son territoire de vie : la connaissance des habitants des lieux, des paysages, des usages, l’attention à l’environnement local sont autant d’éléments pris en compte dans les propos qui sont rapportés cidessous. Cette diversité des expériences, des parcours, des savoirs académiques et des points de vue explique à elle seule la richesse des échanges qui eurent lieu au sein du GREC ; elle explique aussi toutes les nuances, débats et désaccords qui ont formé cette expérience citoyenne de six mois.

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Le document ci-dessous n’est donc pas monolithique : ce n’est pas un avis « Pour » ou « Contre » l’épandage des boues. Il reflète l’état des débats à un moment « T » d’une démarche et s’inscrit dans le cours d’un processus d’implication citoyenne dans un sujet qui touche espace privé et espace public local. Il n’y aura pas, au sein du GREC, de consensus précis sur la question qui se soit dessiné, outre le fait partagé de penser que le sujet mérite une attention particulière des gestionnaires et des pouvoirs publics mais aussi des élus et des citoyens au sens large ; qu’il s’agit d’un dossier technique multiforme, à haut niveau de complexité, dans un contexte scientifique dont les conclusions ne sont pas encore données sur nombre de points ; que, pour faire avancer le débat public, les avis qui pourraient être émis sur le sujet ne pourront l’être que de manière nuancée et argumentée. En d’autres termes, le document présenté ici sera d’une part un témoignage de ce qui est apparu au sein des membres du GREC comme un socle commun minimum de points de vue partagés et d’autre part, le témoin de différentes options qui ont émergé durant les rencontres du GREC.

Cette contribution est scindée en trois parties : 1. LE CONTEXTE : un rappel sur l’origine et les motivations de la démarche, 2. LES QUESTIONS : une première partie qui pose les bases d’un constat général argumenté sur la problématique de l’épandage des boues de stations d’épuration, constat qui aboutit à la rédaction d’un certain nombre de questions, interrogations, imprécisions qui persistent suite aux différentes présentations et échanges qui eurent lieu au sein du GREC. 3. LES PROPOSITIONS : une seconde partie relative aux propositions, suggestions dont les membres du GREC ont senti la pertinence au regard de leur niveau de connaissance de la question. Ces propositions/suggestions pourront concerner à la fois les questions strictement techniques et les questions liées à la gouvernance locale des boues.

Le contexte Le Conseil de développement prévu dans la charte du Parc Naturel Régional, a été mis en place en Juin 2009. Cette structure de démocratie participative, indépendante du Parc, porte la parole du territoire, auprès des élus. Suite à la réglementation de 1998, l’épandage des boues de station d’épuration est une pratique qui s’est fortement développée sur le territoire du Parc ; depuis quelques années, le volume exprimé en tonne de matière sèche épandues1 ainsi que les surfaces concernées sont relativement stables. Pourtant, la pratique continue de susciter de nombreuses questions et réactions : conséquences environnementales réelles, nuisances olfactives pour le voisinage, riverains, professionnels du tourisme, habitants, agriculteurs ainsi que les touristes, occasionnant des retombées économiques négatives. La question n’est donc pas qu’un sujet technique, mais aussi une problématique environnementale au sens large du terme (qui touche aux questions de cadre de vie) et une problématique sociale à part entière. C’est une question complexe, qui se heurte également à de nombreuses idées reçues. L’épandage des boues qui se pratique surtout dans le secteur du plateau de Valensole fait l’objet de la méfiance de différents acteurs, habitants, et élus. De nombreuses questions existent sur le sujet ; malgré cela, l’argumentaire technique apparaît souvent obscur et le manque d’informations sur ces pratiques soulèvent la suspicion. Récemment, des éléments de conflit plus forts sont apparus. La question devient également de plus en plus récurrente au sein même des instances du Parc. Ces éléments ont conduit le Parc à rechercher un positionnement plus clair de l’institution sur le sujet de l’épandage des boues. Afin d’être accompagné dans ce travail, et en complément d’une approche plus technique qu’il a mené au sein de sa commission « eau », le Parc a souhaité saisir le conseil de développement sur la question de la réception sociale de cette pratique agricole.

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Le Conseil de Développement du Parc a répondu favorablement à cette demande, considérant qu’il est de son rôle de permettre l’expression des citoyens sur un sujet d’actualité ayant trait à leur cadre de vie. Le rôle du Conseil de Développement a été un travail d’écoute des acteurs du territoire, ainsi qu’un travail de médiation permettant d’alimenter une prise de position politique de la structure Parc sur le sujet, de mener un travail d’écoute du ressenti de la population, et de mise en débat afin de laisser s’exprimer la parole voire les inquiétudes des habitants, mais aussi d’apporter de l’information, d’aider à une meilleure compréhension du sujet.

Les objectifs ont été multiples : - Identifier ce qui fait réellement problème ; - Apporter une information lisible et la plus objective possible pour permettre aux acteurs et habitants de se positionner en connaissance de cause ; - Rechercher à identifier d’éventuelles solutions à mettre en œuvre, avec les participants à la démarche (acteurs, habitants, agriculteurs, élus, techniciens, etc.) L’action a été scindée en trois parties : 1. Ecoute du territoire et identification des composantes du conflit (janvier/septembre 2011) : Dans un premier temps, le conseil de développement a écouté, au travers de plusieurs entretiens, toutes les positions a priori, et a cherché à comprendre les différents positionnements existants sur le territoire face à la question de l’épandage des boues. Il a recherché à identifier autant que possible les différentes composantes du conflit qui se développe autour de cette pratique (techniques : environnement, pollution, etc., mais aussi sociales : jeux d’acteurs, conflits d’usages, etc.). 2. Apport d’une information argumentée et objective adressée à tous les habitants et acteurs volontaires. Le Parc a apporté utilement des éléments techniques pour alimenter cette démarche. Une visite de station d’épuration et de champ épandu a été faite, une réunion publique d’informations et d’échanges a été organisée à Valensole, le 19 octobre 2011. Quel que soit le mode proposé, l’information apportée a été la plus objective possible et a permis de laisser la place à des positions différentes voire divergentes, le Conseil de Développement ne devant pas être perçu comme un instrument cherchant à faire accepter l’épandage des boues, ou au contraire faire le procès de cette pratique. 3. Identification d’éventuelles solutions à mettre en œuvre afin d’améliorer la réception sociale de la question des boues, émanant des citoyens à travers la constitution d’un groupe de réflexion. Celui-ci, basé sur le volontariat, s’est réuni six fois entre décembre 2011 et juin 2012, en différentes communes du Parc, prenant du temps de faire émerger une parole du territoire.

Les questions Les réflexions qui ont été menées au sein du GREC l’ont été à l’échelle du plateau de Valensole. Ce dernier, territoire de grandes cultures céréalières, est en effet la zone du Parc la plus concernée par les pratiques d’épandages (qui existent aussi, dans une moindre mesure, dans d’autres secteurs du Parc). Si l’épandage est synonyme, pour certains acteurs, d’amendement des sols, de solution technique pour l’élimination des boues d’épuration, il peut être pour d’autres déclencheur de perturbations dans l’espace public à certains moments de l’année (fin de l’été notamment, période d’épandage intense) et aussi à certains moments de la vie civique (élections par exemple). En d’autres termes, la présence cyclique de la question des boues dans l’espace public local est, à chaque fois, à l’origine de tensions, parfois vives, au moins de discussions souvent agitées. P.60


Si la question de la gestion des boues est du ressort des professionnels et des experts, elle « déborde » dans l’espace public et interpelle le citoyen : - par les odeurs que la pratique génère, d’abord ; - par les impacts potentiels, connus et moins connus, sur les sols et sur l’eau ensuite.

La place du citoyen avec ses inquiétudes Malgré ces débordements, il y a un sentiment partagé que le citoyen n’a pas beaucoup de possibilités d’expression, ni d’accès à une information compréhensible. S’il se tourne vers son maire, celui-ci lui répond que la commune n’a pas cette compétence et qu’il n’a aucun pouvoir. S’il se tourne vers l’administration, on lui répond souvent que des seuils existent et qu’ils sont respectés. Le riverain citoyen est en droit de se demander où finalement se trouvent les responsabilités dans un tel sujet, qui lui donne parfois l’impression de lui être imposé. Sujet, qui plus est, qui n’est pas anodin : des questions de santé publique sont en jeu. Aussi, de nombreuses questions se posent. Comment peut-on par exemple : - Etre sûr que les seuils soient effectivement respectés ? - Etre sûr que, si les seuils sont respectés, à long terme il n’y aura aucun impact sur le milieu ? - Comment sont choisis les éléments à analyser présents dans les seuils officiels ? Comment être sûr de la pertinence de ces choix ? - Avoir confiance dans des analyses de sol qui sont faites par les bureaux d’étude eux-mêmes rédacteurs des plans d’épandage ? - Pour les agriculteurs qui font épandre : comment être sûr que les boues qui arrivent sur leur champ sont bien celles décrites dans le plan d’épandage qu’il a signé ?

Des constats qui interrogent Quand on s’intéresse d’un peu plus près au sujet, on se rend compte : - que la majorité des boues épandues sur la partie bas-alpine du Parc du Verdon vient de l’extérieur (trois stations de grandes villes des Alpes-Maritimes : Antibes, Cagnes-sur-mer, Menton) ; - que la DDT 04 (direction départementale des territoires) n’a pas forcément les moyens suffisants pour mener sa mission de contrôle (que ce soit en termes d’analyses de sols ou de contrôle sur le terrain de la manière dont se déroulent les épandages : temps entre stockage et labour, surfaces épandues, …) ; - que les travaux de recherches dans différents domaines sont en cours et, pour l’heure, ils ne permettent pas de tirer de conclusions précises que ce soit au niveau des perturbateurs endocriniens présents dans les boues, des connaissances en microbiologie des sols, de la dynamique des eaux souterraines en milieu karstique où la circulation hydraulique est rapide mais plus lente dans les systèmes annexes ; - que si les épandages se font chez des privés, leur impact « externe » (odeurs) et « interne » (dans les sols) concernent donc aussi le public : et que malgré cela, les élus locaux ne sont pas concernés (la réglementation actuelle, datant de 1998, ne les inclut pas dans le système de gestion, outre le fait qu’ils sont récipiendaires des plans d’épandage relatifs à leur commune) ; - mais aussi que, concernant le plateau de Valensole en particulier, la problématique des boues n’est pas la seule à impacter le milieu local : la question délicate des métabolites du dichlobénil2 qu’on trouve encore aujourd’hui dans de nombreux captages du plateau de Valensole en témoigne. P.61


Défiance versus concertation Plus globalement, il existe un contexte de défaut de confiance - voire de défiance – de la part de nombreux citoyens vis à vis des acteurs du « système des boues » (que ce soit l’administration (DDT), la chambre d’agriculture, les bureaux d’étude, les grands groupes impliqués dans la filière (Veolia notamment), les agriculteurs qui épandent, les entrepreneurs gestionnaires de plateformes de compostage, les semouliers…). Comment faire pour que la communication entre tous les acteurs s’établisse, afin d’aller vers un climat de confiance ? Un des moyens est de faire se rencontrer ces différents acteurs pour qu’ils échangent entre eux. C’est la philosophie défendue par le conseil de développement (voir la réunion publique du 19 octobre 2011 à Valensole) et par les citoyens qui se sont engagés dans la démarche du GREC. Le GREC, par les rencontres qu’il a organisées, considère que c’est un premier pas dans le croisement des regards. Dans le même ordre d’idée, le GREC considère que la stratégie d’évitement qui consiste, pour le producteur de boues, à vouloir rester en dessous du seuil des 800 tonnes de matière sèche par an pour que son plan d’épandage ne soit pas soumis à autorisation (et donc à enquête publique) mais à simple déclaration, ne participe pas de cet esprit d’ouverture, de transparence et de concertation qu’il appelle de ses vœux.

Des citoyens responsables Le GREC est pleinement conscient que la filière de valorisation des boues d’épuration est, dans le contexte actuel de l’état des techniques notamment, un des moyens à disposition pour gérer « le problème des boues ». Il est pleinement conscient aussi que, si la solution de l’épandage est abandonnée, elle doit impérativement être remplacée par un autre mode de valorisation aux impacts sur les milieux sinon inférieurs, au moins équivalents. La technique de la déshydratation poussée qui commence à se mettre en place dans certaines grandes villes (notamment au sein du Syndicat Intercommunal Unifié du Bassin Cannois dans les Alpes-Maritimes) semble pouvoir, à terme, être un de ces modes3, bien qu’elle aussi non exempte d’impacts sur le milieu4. Sur un tel sujet, le citoyen aimerait par exemple pouvoir trouver les interlocuteurs adéquats qui lui fournirait une information précise et argumentée ; ce (ou ces) interlocuteur(s) devront être en mesure de suivre l’actualité extrêmement rapide de l’évolution des techniques dans le domaine, afin que le citoyen qui le souhaite soit lui aussi récipiendaire de ce niveau de connaissances actualisé. Pour l’heure, et dans le cadre règlementaire en vigueur qui régit les pratiques d’épandage, le GREC considère que la nécessité d’un suivi plus strict de la réglementation s’impose. Bien que la nature d’un tel suivi se heurte à l’écueil de son financement, le GREC reconnaît que des initiatives intéressantes ont été prises depuis que la réglementation en vigueur existe (1998). C’est par exemple, récemment, la rédaction par les services de la DDT d’un document de doctrine5 qui, à destination des bureaux d’étude, constitue non seulement un guide d’application de la réglementation mais aussi et surtout, un contrat tacite d’adaptation d’une réglementation nationale à un contexte local. Plusieurs points sont à noter qui contribuent à une volonté réelle, et soulignée par le GREC, d’amélioration des pratiques dans le département : - Ainsi, la dimension fortement touristique du département des Alpes de Haute-Provence est-elle mise en avant dans le document comme facteur d’attention à prendre en considération par les bureaux d’étude dans le choix des périodes d’épandage ; - Si dans la réglementation, il n’y a pas d’obligation de transmission à la CLE (Commission Locale de l’Eau) des plans d’épandage soumis à simple déclaration, le document de doctrine instaure cette nécessité d’information6 ; - Enfin, alors que la réglementation ne laisse pas de place à l’élu local dans le parcours technicoadministratif des plans d’épandages, le document de doctrine enjoint les bureaux d’étude à aller rencontrer en amont les élus locaux, au moins pour une première prise de contact. On ne peut parler ici de concertation mais d’une simple prise de conscience, par la DDT, qu’un maillon de la chaîne est manquant. P.62

Le document de doctrine date de 2010 : les préconisations qu’il avance mettront sans doute du temps


à être intégrées par les bureaux d’étude dans leurs pratiques. D’ici là, le GREC souhaite qu’une vigilance forte, de la part de la DDT et des élus des communes concernées, soit portée sur ces avancées. La partie qui suit reprend l’ensemble des propositions que les membres du GREC considèrent comme importantes au regard du contexte et des différents constats qu’ils ont pu faire. Il est à noter que ces constats ne se contentent pas d’une vision restreinte au seul cas du plateau de Valensole, ni du département bas-alpin. Les rencontres du GREC ont aussi été l’occasion de croiser les regards sur des expériences et des contextes autres, porteurs d’initiatives ou d’expérimentations qui méritent une attention particulière : on pense notamment à ce qui a été mis en place dans le département de l’Aveyron, sous la houlette conjointe d’une association environnementale « Action environnement » et d’une chambre d’agriculture très impliquée ; on pense aussi à certaines expérimentations mises en place autour et par une des plus grosses stations d’épuration d’Europe, celle d’Achères, en région parisienne, qui a mis au centre de ses préoccupations la question de l’insertion sociale de son activité dans les territoires environnants.

Les propositions Les aspects techniques Si les réflexions et questions du chapitre précédent se sont majoritairement basées sur la zone du plateau de Valensole, les suggestions et propositions présentées ici sont considérées comme valant à l’échelle départementale, au vu notamment des périmètres de compétences à la fois des DDT, des chambres d’agriculture mais surtout du rôle que la circulaire du 18 avril 2005 alloue à l’institution départementale quant à la mise en place de la diffusion de l’information auprès du public et de la concertation sur le sujet. Les propositions et suggestions du GREC concernent deux aspects du dossier : les aspects strictement techniques et les aspects sociaux ou liés, de manière plus générale, à la gouvernance locale possible des boues.

1 . Connaissance du milieu - Le plateau de Valensole, du point de vue du sol, est d’une extrême hétérogénéité. Une cartographie pédologique au 50.000ème du plateau existe (donnée rare dans le domaine), depuis les années 1960. La feuille de Digne a été réalisée au 100.000ème par l’INRA. Toutes ces données sont accessibles au public mais aussi aux bureaux d’études qui réalisent les plans d’épandage. La connaissance de ces données est nécessaire pour que les bureaux d’étude puissent décider au mieux de la localisation des parcelles les plus à même de recevoir des boues (de par leur pouvoir filtrant notamment). Sur une même parcelle, la nature du sol peut être très variée, perméable à certains endroits, imperméables à d’autres et donc rendre la compréhension des mécanismes de pollution très complexe. Certains membres du GREC pensent même que, au vu de cette très forte hétérogénéité des sols, toute pratique d’épandage ne peut avoir que des conséquences non prévisibles ni mesurables et donc s’opposent, par principe et sur cette base, à l’épandage. Sur la base des cartes existantes, d’autres membres du GREC suggèrent que les bureaux d’étude prennent au sérieux ces données et adaptent leurs choix de localisation d’épandage d’abord en fonction de ce critère pédologique. - Les captages des collectivités (ou publics) : un nombre important de captages sur le plateau de Valensole sont pollués. La majorité d’entre eux dispose de deux des trois types de périmètre de protection : le PPI (périmètre de protection immédiate, quelques ares autour du captage), le PPR (périmètre de protection P.63


rapprochée, parfois de plusieurs dizaines d’hectares) . Toutefois, il existe aujourd’hui encore dans le département des captages sans PPR, notamment les captages non recensés. Le GREC suggère : - que soient mis en œuvre les moyens nécessaires pour le recensement et la création de PPR (plans de prévention des risques) pour les captages publics qui n’en sont pas pourvus ; - que soit formellement interdits les plans d’épandage situés dans les périmètres de protection rapprochée des captages, ainsi que dans la même proportion, à proximité des sources, puits, et captages privés ; - Plus généralement, le GREC suggère de compléter, sur le plan scientifique et administratif (carte des sols, des zones humides, inventaire et PPR des captages publics, ainsi que l’inventaire des puits, sources et captages privés alimentant des propriétés non raccordées (ou encore non raccordables) à un réseau public d’alimentation en eau potable …), les informations livrées aux bureaux d’étude dans le document de doctrine

2 . Actualisation et accès aux données - Le dossier d’information sur les boues du Parc du Verdon : ce dossier d’information est une photographie des pratiques d’épandage sur le plateau de Valensole pour l’année 2010 (avec quelques chiffres de comparaison pour les années précédentes). En tant que tel, il peut être considéré comme rapidement obsolète. Cette matrice de travail devrait donc être soumise à actualisation annuelle, afin de constituer un outil de veille et de suivi des pratiques, par le Parc, en collaboration avec la chambre d’agriculture et la DDT 04. C’est la proposition que formule le GREC en direction des élus du Parc, au vu des moyens financiers que cette actualisation nécessiterait. Le GREC rapproche cette nécessité de suivi statistique avec la nécessité, déjà évoquée, de suivi de la connaissance relative à l’évolution de techniques dans le domaine. - L’accès aux données : le GREC considère qu’en l’état actuel, aucun effort n’est fait, de la part des acteurs en charge de la gestion et du contrôle des plans d’épandage mais aussi de ceux en charge de la diffusion de l’information au public, pour porter à connaissance de qui veut s’y intéresser des informations claires, précises et compréhensibles relatives aux plans d’épandage prévus et en cours sur les communes du territoire. Cette information synthétique, mise à disposition dans les mairies, devrait comprendre : - une cartographie claire des épandages prévus et en cours ; - les dates d’épandage ; - l’origine et la nature des boues ; - les résultats des analyses des boues et des sols. Ce travail est réalisé par l’équipe technique de la MESE à la chambre d’agriculture de Digne. Le GREC souhaiterait que la population puisse accéder à ces documents. Au vu de ce qui a été dit sur le niveau général de la connaissance scientifique dans certains domaines qui concernent les boues, les sols et l’eau (microbiologie des sols, impacts des perturbateurs endocriniens …), les membres du GREC ne peuvent que se positionner en faveur d’une politique : - de recherche accrue sur ces sujets, par le biais notamment de financements de travaux de thèse ou de missions confiées à des bureaux d’études spécialisés ; - de l’étude d’un projet en vue de raccorder l’ensemble (ou la majorité) des propriétés non encore raccordées à un réseau public d’alimentation en eau potable ; - ou pour les secteurs trop excentrés ou non raccordables, de l’étude pour une aide financière et assistance technique spécifique en vue de les équiper avec un contrôle sanitaire de surveillance à la charge des pouvoirs publics.

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Ce afin de préserver et garantir l’ensemble de la population rurale résidente sur le plateau de Valensole de tout risque de contamination par les eaux de surfaces ou souterraines.


3 . Surveillance et plans pilotes Au vu du mode de fonctionnement du « système des boues », de leur production à leur épandage, le GREC suggère qu’une surveillance particulièrement stricte par les institutions en charge des contrôles soit orientée : - au niveau de la production des boues : la qualité des boues au départ est une condition sine qua non d’une réduction des effets potentiellement nocifs en aval. Cette exigence de qualité devrait passer par une surveillance des boues en continu, notamment par le biais de dosages étendus à une liste de molécules considérées, par les scientifiques, comme polluantes ou nocives mais aussi une attention particulière au taux de siccité (responsable premier des odeurs). Cette surveillance doit permettre que les boues qui partent des centres de production (stations) soient conformes aux normes en vigueur. Cette surveillance a pour but central de rendre le producteur de boues encore plus responsable de son produit. ; - au niveau des épandages proprement dits : respect des lieux de stockage, des délais de stockage, des surfaces épandues… La DDT doit pour cela avoir des moyens accrus pour améliorer cette mission de contrôle, qu’elle ne peut mener à bien à ce jour ; - au niveau des analyses de sol, qui devront pouvoir être soit contrôlées de manière inopinée par l’administration, soit être faites par des laboratoires indépendants ; les résultats devraient aussi être rendus accessibles au public. Le GREC propose que soit mis en œuvre un « plan d’épandage pilote » sur le territoire du plateau : ce plan pilote ferait l’objet d’analyses plus nombreuses, plus précises et élargies à d’autres molécules que celles considérées officiellement, analyses menées conjointement par l’Etat et des laboratoires indépendants. Considérant ce qui a été dit sur l’extrême hétérogénéité de la nature des sols et du sous-sol, ces analyses devraient être faites en des points très précis de la (ou les) parcelle(s) concernée(s). Ce plan pilote devrait être financé en majorité par les producteurs de boue et réalisé en partenariat avec les universités ou les organismes de recherche. Il propose également que, dans le même esprit, soit mis en œuvre un « projet pilote de surveillance des eaux de surface et souterraines » au niveau de points d’eau stratégiques choisis (avec accords de leurs propriétaires) à proximité de sites d’épandage ou de compostage sur le plateau de Valensole (dans des périmètres proche et éloigné, certains en eau de surface et d’autres en eau souterraine). De la même manière, ce plan pilote ferait alors l’objet d’analyses spécifiques précises et élargies à certaines molécules autres que celles considérées officiellement ; analyses menées conjointement par l’Etat et des laboratoires indépendants.

Les aspects sociaux Ce que nous appelons ici « aspects sociaux » recouvre l’ensemble des propositions qui concernent la manière dont les acteurs locaux pourraient, d’une manière ou d’une autre, être impliqués dans le suivi, l’information voire les propositions liées au système de gestion des boues. On pourrait synthétiser cette seconde partie des propositions sous le vocable de « gouvernance locale des boues ». Le GREC propose le principe de la création d’un « Comité de Vigilance Boues » : ce comité de vigilance s’inspirerait de ce qui a été mis en place autour de la station d’Achères, en région parisienne. Il serait constitué de manière tripartite : usagers, professionnels et administrations. Ses missions seraient plurielles : - une vigilance olfactive dans le cadre d’un dispositif similaire à celui de la station d’Achères appelé « jury de nez » ; - un suivi citoyen relatif aux pratiques d’épandage observées sur le territoire, observations cadrées par l’ensemble des informations préalables que le citoyen aura eu (voir « A. Accès aux données ») : ces observations et remarques pourront être consignées et envoyées à l’administration de contrôle par le

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biais d’un site ou forum internet dédié au dépôt et suivi des observations. Le GREC propose une réflexion sur la mise en place progressive d’une gouvernance locale des boues plus ouverte à l’instar de ce que le département aveyronnais a pu mettre en place sur son territoire, depuis le début des années 2000, dans le cadre de sa « charte qualité des boues ». Destiné à mettre autour de la table un nombre important d’acteurs impliqués, à quelque niveau que ce soit, dans la filière des boues, ce mode de gouvernance a ainsi eu pour effet en Aveyron : - d’accorder une place importante et nécessaire aux élus locaux et notamment l’échelon départemental dans la démarche ; - d’être une force de propositions légitime et solide, notamment dans la capacité de suggérer, par le biais de cette charte, des choix d’origine des boues épandues (le département de l’Aveyron n’accueille que des boues issues du département de l’Aveyron) ; - de pouvoir discuter avec les industriels de l’agro-alimentaire sur la place des boues dans les productions. Ce type de dispositif permettrait aussi, par exemple : - de discuter de manière ouverte des possibilités d’engagements entre propriétaires et fermiers sur les choix ou non d’épandages (comme il se fait sur la commune de Gap par exemple); - de fournir un appui juridique et technique aux agriculteurs qui souhaitent s’engager ou non mais en toute connaissance de cause dans des pratiques d’épandage (signature d’un plan d’épandage, documents de référence, socle minimal de connaissances techniques, …); - de demander aux départements émetteurs de boues de prendre contact avec les acteurs de la charte pour échanger sur les modalités d’épandage ou non sur le territoire; - de réfléchir aux conditions d’une remise à plat de la logique financière et économique actuelle du circuit des boues par le biais d’une commission d’étude spécifique, avec projet de nouvelle répartition des coûts entre chacun des acteurs dans un réel souci de rééquilibrage et de justice économique. Cette commission pourrait inclure tous les acteurs de la filière (collectivités productrices des boues, industriels collecteurs et pré-transformateurs, entrepreneurs agricoles en charge de l’épandage, exploitants agricoles pratiquants l’épandage), à parité égale avec des exploitants non utilisateurs de boues (filière culture raisonnée et filière bio), des habitants des secteurs directement impactés par ces pratiques, un représentant du Parc Naturel Régional du Verdon, et avec le concours des pouvoirs publics.

CONCLUSION Cette expérience démocratique menée par les membres du GREC s’est achevée à la fin de l’année 2012. Leur rapport a été présenté aux élus du Parc du Verdon qui sont à l’origine de la commande faite au conseil de développement. Le travail du GREC était envisagé comme étant une « aide à la décision » pour des élus, de la part de citoyens engagés dans une démarche de démocratie participative. Pourtant, le fait de s’approcher de la sphère décisionnelle (en présentant les conclusions de la démarche devant des élus) a eu pour effet de « freiner » l’engagement de la quasi-totalité des membres du GREC : « nous ne sommes que de simples citoyens », « ce n’est que notre avis » furent des propos alors largement recueillis auprès des membres du GREC avant la présentation publique de leur travail. Cette valse-hésitation entre d’un côté la volonté de s’impliquer dans l’espace public sur des sujets sensibles qui touchent à la collectivité, et de l’autre la prise de conscience de ce que peut être une décision politique (à la fois de la difficulté de la prendre, de ce qu’elle engage en termes d’effets et de responsabilités) illustre bien la complexité du « métier » de citoyen. Elle illustre aussi ce qu’est concrètement la difficulté de la prise de décision politique dans un contexte d’incertitude (en l’occurrence) scientifique, tout en étant « pressé » par une opinion publique locale qui souhaite avoir une réponses claires et des décisions franches sur ces sujets. Cet exercice aura peut-être eu aussi le mérite de faire évoluer les regards sur « le métier » d’élu local.

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Pour finir, en termes pratiques, la démarche présentée ici a eu des effets concrets sur le mode de gestion des boues d’épandage sur les communes du plateau de Valensole, considéré comme territoire expérimental en la matière. Suite aux travaux du GREC et à leur propositions :


- le site internet du Parc du Verdon donne accès, à qui le souhaite, à des informations synthétiques et accessibles sur les calendriers, les lieux (les noms des agriculteurs propriétaires ne sont pas rendus publics) et les matières épandues. Ces informations sont le fruit, inédit, d’un partenariat signé entre le Parc du Verdon, la DDT 04, le CD04 et l’Agence de l’eau ; - une fois par an, ou en fonction de l’actualité autour des pratiques d’épandage, une rencontre sera mise en place avec l’ensemble des acteurs techniques et institutionnels concernés par la filière mais aussi avec les représentants du territoires (élus et conseil de développement du Parc du Verdon en tant que représentant des riverains du plateau) afin de partager les informations sur le sujet, les questions et/ou inquiétudes qui peuvent se faire jour, les évolutions techniques ou gestionnaires de la filière. C’est, par le biais de petites avancées à la fois techniques et démocratiques, que la politique locale se construit. C’est en tout cas la conclusion du rapport du GREC, qui ne manquera pas de souligner, immanquablement, que sans « la force de la volonté politique », les liens entre citoyens et décision publique ne resteront que des mots : « Les membres du GREC considèrent qu’ils ont rempli leur devoir de citoyen en prenant le temps d’échanger et d’apprendre sur le sujet complexe de l’épandage des boues d’épuration. Le fruit de leur réflexion est livré à la collectivité par l’intermédiaire des élus qui les représentent. C’est à ce titre que le GREC souhaiterait vivement que le présent document soit pris en considération, par les représentants locaux, à la hauteur des investissements qu’il a demandés. Tout en restant conscient que cette contribution ne constitue qu’un élément parmi un ensemble de facteurs (techniques, économiques, environnementaux, sociaux), les membres du GREC restent persuadés que nombre des propositions qui ont pu être faites ici sont raisonnables et raisonnées ; la difficulté de leur accomplissement (financier notamment) ne sera surmontable que par la force de la volonté politique qui répondra à ces sollicitations citoyennes. Le conseil de développement des territoires du Verdon considère qu’il a, grâce aux travaux du GREC, accompli ici ce qui relève de ses missions. »

L’unité « tonne de matière sèche épandue » est celle habituellement utilisée pour comptabiliser les boues. Elle ne doit pas faire oublier que les épandages concernent des boues plus ou moins sèches (parfois même liquides). C’est ce qu’on appelle le taux de siccité d’une boue. 2 Le dichlobénil est un herbicide puissant qui n’est, en théorie, plus utilisé aujourd’hui et depuis plusieurs décennies. La durée de demi-vie de ses métabolites est normalement de 10 ans ; or, on en retrouve encore parfois beaucoup dans certains captages du plateau, « sans qu’on sache trop pourquoi » conclut Vincent Vallès, hydrogéologue spécialiste du plateau de Valensole. 3 Les résidus issus de la déshydratation poussée peuvent par exemple être utilisés comme combustibles pour certaines industries ; on pense, dans les Alpes-Maritimes notamment, à certaines cimenteries qui se disent être intéressées. 4 Après déshydratation, il reste notamment des concentrations en ETM (éléments trace métalliques). Par ailleurs, pour l’épandage des granulés issus de la déshydratation, il est techniquement difficile d’appliquer une dose inférieure à 4 tonnes de matières brutes à l’hectare. Des essais sont en cours dans le Var. 5 http://www.alpes-de-haute- provence.pref.gouv.fr/telechargements/documents/environnement/loi_eau/ doctrine_epandage04.pdf 6 Dans le document de doctrine, le Parc naturel régional du Verdon fait lui aussi partie des organismes récipiendaires des plans d’épandage. 1

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L’association Au Maquis Eric GAUTIER & Fanny STAUB L’association Au Maquis est une association d’éducation populaire implantée à Lauris depuis 2012 et fondée par Éric GAUTIER, Fanny STAUD et Cat RYCHLINSKI. Elle développe des actions « pour semer des graines de changement avec tous les citoyens. »

La création de l’association Evolution personnelle « On passait nos journées à bosser dans des associations humanitaires de sécurité alimentaire et le soir on rentrait chez nous, on utilisait notre énergie nucléaire, en passant chez Franprix, où 95% des produits agricoles sont importés. Notre propre sécurité alimentaire n’était pas assurée non plus ! » C’est ainsi que Fanny et Éric prennent conscience de leurs propres contradictions et qu’un changement politique, sociétal, plus profond leur paraît nécessaire. Aller vers des espaces plus ouverts, dans un milieu rural, vivre leurs valeurs, leurs principes, ne plus mettre de frontière entre le professionnel et la vie personnelle sont des envies qu’ils mettent alors en œuvre.

Sortir de sa zone de confort La découverte du monde agricole est un déclic : « En ville, on avait peu conscience d’où venaient les produits qu’on consommait ». Connaître les pratiques agricoles, la différence entre le bio industriel et l’agriculture paysanne, ce qu’est un pesticide... leur permet de modifier des habitudes. « En se mettant dans une posture qui n’était plus notre zone de confort habituelle, on recevait plein d’informations qui pouvaient nous faire réagir, et nous donner cette envie de la transmettre », expliquent-ils.

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Sans expérience agricole, sans jamais « avoir mis les mains dans la terre », ils ont l’envie de proposer un lieu d’accueil autour de la ferme et de l’alimentation, de lier ces activités à leurs vies. C’est alors qu’ils commencent par se former au maraîchage. Une formation « éco paysan », qui transmet des valeurs écologiques, de transition, (production respectueuse de l’environnement, recherche d’autonomie énergétique, valorisation des circuits courts, gestion responsable des déchets, éco construction de bâtiments) fut un premier enseignement complètement nouveau et un véritable déclencheur. « On voit, on comprend, on se rend compte que c’est possible. Je peux le faire, on le fait ensemble, c’est convivial, on apprend plein de choses, en dix jours. Ca permet d’avoir une réflexion autour de plein de choses : sur le logement, combien coûte une maison, ce que ça représente en énergie grise derrière, etc. » Apprendre, engranger des connaissances permet une liberté d’action. C’est cela qu’ils essaient de transmettre car « à chaque nouvelle chose que tu découvres, il y a encore mille portes derrière à ouvrir ».


L’apprentissage passe aussi par des moments douloureux mais nécessaires pour comprendre, ajoutent Éric et Fanny : « C’est vraiment difficile de faire un hectare de maraîchage, ça prend du temps. Il faut le vivre pour comprendre. On était épuisé. C’est un métier très complexe : c’est de la biologie, de la logistique, de la botanique, du bricolage, de l’énergie, de la commercialisation… C’est accepter que tu ne maîtrises pas tout ».

L’approche sensorielle, la cohérence et l’exemplarité Fanny et Éric décident de trouver de nouvelles formes d’échanges, et notamment de travailler sur l’approche sensorielle. « C’est un marqueur de changement. On est souvent trop dans le mental, dans l’explication et la compréhension des choses, alors que vivre l’expérience de quelque chose, dans son corps, ça peut rester pour la vie ». Fanny constate sa propre incohérence dans son ancien métier : « je travaillais dans le commerce équitable. Et toute ces valeurs que je pouvais défendre pour des agriculteurs à l’autre bout du monde, je ne les appliquais pas au quotidien ». Pour Éric et Fanny, le changement passe d’abord par soi : « un vrai changement de vie, c’est quand on l’a vécu, que ce soit dans nos intestins ou dans nos mains. » Pour exemple, Éric explique sa découverte, à trente ans, du vrai goût d’une tomate. Fanny raconte comment elle apprend à construire une porte lors d’un chantier de construction : « On est forgé dans l’idée qu’on ne sait faire que le truc pour lequel on est formé. Avoir ressenti ce pouvoir-là, de construire une porte, ça m’a donné une force, et voir que c’était possible. » Ainsi, pour réaliser au mieux leur travail d’échange et de rencontre, ils insistent sur l’importance de faire et ressentir les choses, et de prendre le temps. Il s’agit de « voir ce qu’elles provoquent en soi, d’avoir le temps d’être attentif, d’observer que telle ou telle personne est intéressée par telle ou telle chose ». L’attention à soi et à l’autre, l’esprit collectif font partie des bases de l’association. « C’est dans une dynamique collective que chacun va apporter et trouver sa place. Cette dynamique collective est très importante. On doit apprendre à travailler ensemble », précisent Fanny et Éric. Ainsi, sur le même principe, l’association a démarré à trois, puis a été renforcée par des amis partageant les mêmes points de vue. « C’est important que le lien social qui nous unit soit assez fort et que les gens avec qui on bosse au jour le jour, on les aime, tout simplement ! ».

Des ateliers de sensibilisation citoyenne Le projet évoluant, pour diverses raisons, ils décident finalement d’aller rencontrer le public « où il est », au pied des immeubles et dans la rue plutôt que réaliser un accueil à la ferme. Sous formes d’ateliers de sensibilisation citoyenne dans l’espace public, l’association propose des animations interactives, ancrées dans la réalité. Ces animations abordent de nombreuses thématiques telles que l’alimentation, la paysannerie, le commerce équitable, les énergies et l’habitat, la solidarité internationale, la géopolitique, l’environnement, la biodiversité, la gestion des déchets, l’économie sociale et solidaire, l’entraide, les réparations, le bien-être, les cultures, l’auto-gestion, la coopération… A Aix-en-Provence, dans le quartier d’Encagnane, l’opportunité de créer un jardin par le biais d’un centre social, leur permet de mettre en place une méthodologie, aujourd’hui appliquée dans d’autres projets à Cavaillon ou à Apt.

La méthode ? Aller à la rencontre des gens L’équipe du Maquis passe beaucoup de temps à faire du porte-à-porte, à être « porteurs de paroles », une méthode d’animation de rue visant à recueillir des témoignages sur une question donnée et à les « porter »

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au public. « Mettre des noms sur des visages, pouvoir discuter, amener les gens à dire comment ils rêveraient leur monde et dégonfler des bulles de fausses croyances, d’être humain à être humain ». A Cavaillon, un premier porte-à-porte permet aux gens « de se livrer, parler de leurs rêves, leur réflexion, qu’ils ne diraient pas forcément en groupe ». Ensuite sont organisés des temps de partages collectifs, dans la rue. Pour ces temps : « On donne un rendez-vous et on rediscute de ce qu’on s’est dit. Il y a moins de gens qui viennent bien sûr, mais il y en a. » Puis, vient la phase de l’action, la création et le travail du jardin, absolument nécessaire. Au bout d’un an, « un nouveau porte-à-porte a permis à ceux qui n’osaient pas parler ou venir au jardin de venir et de s’exprimer, [y compris s’il s’agit] d’un mécontentement, qu’il faut prendre en compte. […] On peut donc expliquer le pourquoi du comment, recueillir leurs avis, leurs envies et considérer chacun. » Ce deuxième porte-à-porte permet de mieux connaître les gens et de créer des liens entre des voisins qui ne se connaissent pas, expliquent Fanny et Éric, car « on ne se rencontre pas dans ces espaces de vie ». Du coup, une dame étrangère qui avait des problèmes de français, a pu rencontrer un autre voisin qui parle la même langue qu’elle. Le projet dépasse alors l’atelier de jardin, qui finalement est un prétexte à une nouvelle sociabilité. « Le jardin est presque un prétexte à la rencontre. Au final, ces projets, c’est juste de la discussion, et c’est énorme ! » Le jardin est ainsi devenu un espace de discussions. L’association des habitants du quartier s’est aussi emparée de cet espace d’échange et a permis à davantage de personnes de s’exprimer et de faire part de problématiques liées aux logements. Ces démarches ont été médiatisées par la presse. « Ce contre-pouvoir permet d’enclencher un changement de pratiques. Depuis cet article et cette mobilisation, on a pu faire une réunion publique ! Ça a totalement changé le rapport de force ! » expliquent-ils avec enthousiasme.

Faire avec ses mains Un des grands principes de l’association est de « casser les frontières », entre l’aptitude intellectuelle et manuelle par exemple. Les travaux manuels présentent l’avantage de changer le regard et donc les habitudes. Pour Éric, « la personne est obligée de se concentrer sur ce qu’elle fait, et donc quand tu parles, t’as pas le regard de l’autre, en face à face, donc ça peut devenir intime, on ne se sent pas jugé, etc. on parle…ça libère beaucoup la parole. » Il pense que l’Education Nationale a un gros travail à faire par rapport à la valorisation du travail manuel, du « faire ». « Le travail intellectuel est mis en avant et on oublie que ce qui se réalise concrètement, c’est avec nos mains », insiste-t-il.

Incarner ses valeurs et vivre en cohérence

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L’association Au Maquis essaie de garder toujours pour principe la cohérence. Ainsi, l’équipe reste très attentive à interroger en permanence ses pratiques et à rester libre, tant dans son ingénierie que dans la réponse à des appels d’offres. Elle veille à ce que les propositions d’intervention s’appuient sur une méthodologie respectant les valeurs et principes de l’association. « Si on ne porte pas nous-mêmes la manière de fonctionner qu’on aime, avec les valeurs que l’on défend, comment peut-on dire aux autres de faire ce qu’on n’incarne pas ? », défendent-ils. Ainsi, l’association a eu à faire face à des propositions de projets dits participatifs, dont l’objectif est de faire avec les habitants d’un quartier, et dont la genèse est pourtant pensée en dehors des personnes concernées (habitants, élèves, etc.). Pour l’équipe du Maquis, cette approche ne peut permettre un résultat « participatif ». Attachée au principe d’autogestion, elle met beaucoup d’attention à cette démarche professionnelle car « c’est l’autogestion qui est la base du changement. » Le travail participatif mené est un vrai travail de concertation, construit au fil de l’avancée des rencontres et des discussions. « Si les quatre mois de concertation avec les habitants amènent au fait que les gens n’ont pas envie d’un jardin, alors on fera autre chose. Il faut se donner les moyens de faire en fonction et c’est difficile car le


fonctionnement général va dans l’autre sens : on écrit le projet, on demande la subvention, les objectifs sont déjà fixés et les résultats sont presque déjà écrits, avec les indicateurs etc. ! » L’originalité de l’association AU MAQUIS est aussi dans la volonté d’effacer toute hiérarchie et toute frontière entre le personnel et le professionnel. « Pour les salariés, on est payé au smic et on travaille plus de 65 heures par semaine. On revendique qu’il n’y ait pas de hiérarchie : c’est un choix. Et si ça ne nous va plus, on fera un autre métier. » Ainsi, beaucoup de choses sont transmises de manière induite. Le fonctionnement de l’association, ses valeurs incarnées transpirent dans leurs actions : « Quand on est payé deux heures à deux pour assurer les ateliers du mercredi à Cavaillon, on peut être quatre et rester plus longtemps car c’est sympa de prendre le temps avec les gens. Je n’ai rien de mieux à faire chez moi que faire du jardin avec les familles à Cavaillon, car je les aime, ajoute Fanny. Les enfants viennent tous les mercredis au jardin, sans portes et sans grillage. Ils ont besoin de se dépenser, ils sont curieux, ils viennent, ils repartent, ils reviennent. Des liens se tissent avec eux et avec les parents. »

Prendre le temps et en avoir conscience

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« Accompagner des gens dans une nouvelle manière de faire prend du temps, précise Fanny. Il y a le temps de la rencontre, il faut parfois vaincre ses peurs, s’habituer… Entre ‘ je consomme de l’activité de jardinage avec mes enfants ‘ et ‘ j’entreprends de jardiner ‘, ‘ je gère un espace de jardin collectif ‘ il y a tout un pas à faire. » L’association a pleinement conscience des freins et résistances qui peuvent émerger au sein d’un projet collectif. C’est avec une grande bienveillance et beaucoup de générosité qu’elle s’attache à observer et considérer ce qui se joue. Éric prend pour exemple des freins pouvant être vécus par les habitants d’un quartier participant à un projet commun : « ‘J’ai une timidité, j’ai des freins culturels, comment participer à un projet social d’un centre social ?’ Il faut repartir de tout ça et c’est très long, il faut laisser ce temps là aux gens. » La confiance du public s’installe grâce à la régularité du travail de l’association, de la rencontre et de la liberté accordée. « C’est vraiment ça le truc, on n’est pas « animateurs », on est là, c’est tout. Il y a des règles, et il n’y a pas de contrainte, on peut rebondir sur leurs envies aussi […] On a voulu construire une barrière en bois, et tout un groupe de gamins étaient fascinés par la scie. Scier, c’était génial ! raconte Éric avec enthousiasme. Et du coup, on a construit des bancs, des objets avec une autre association, et les gamins venaient couper les planches ! Des minots plus petits que la machine, avec le casque, on leur tenait la main et ils faisaient ! Ca libère beaucoup, ça déconstruit aussi des schémas pour les enfants qui voient que les femmes peuvent aussi manier une visseuse ! »

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Etre ouvert à "ce qu’il se passe" et laisser les projets naitre « Mettre des gens ensemble autour d’un truc, peu importe le sujet ; être médiateur pour mobiliser des gens à un même endroit ; ensuite se passe ce qu’il se passe », tel est le principe sur lequel se fonde cette équipe de l’éducation populaire, qui s’attache aussi à « repolitiser » chacun des sujets du quotidien. L’équipe d’AU MAQUIS revendique cette vision politique de l’ensemble des actions : « Quand on allume la lumière, c’est un choix politique, celui du nucléaire, quand on fait ses courses, chaque produit induit des choix politiques agricoles, économiques, industriels, pareil pour les vacances, chacun de nos achats décident du monde dans lequel nous voulons vivre. C’est donc à nous de décider et c’est ce qu’on essaye de transmettre aux gens. Le compost, c’est du quotidien, on propose un geste qui ne prendra pas plus de temps mais qui aura un impact énorme et les gens se sentent « utiles » à réaliser une action qui participe au respect de l’environnement. » P.71


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Au fil des rencontres, Éric et Fanny constatent que les personnes sont globalement conscientes des problématiques actuelles. La difficulté est plutôt de trouver par quoi amorcer quelque chose. Pour le compostage par exemple, « c’est un geste simple qui ne coûte rien, qui n’est pas engageant et qui permet de participer. » « La rencontre, le porte-à-porte, l’accompagnement, c’est notre démarche. C’est l’outil qu’on préfère, c’est ce moment où on va discuter avec les gens. Et s’il ne se passe rien, ce n’est pas grave. » Cette démarche est au cœur de toutes les actions entreprises par l’association AU MAQUIS et permet d’accompagner le changement de comportements. A Lauris, un temps de concertation organisé avec les habitants a permis de définir ce qui manquait. Le besoin exprimé fut de « pouvoir disposer d’un lieu pour se retrouver, où il y a du lien, ouvert tout le temps, où on peut venir avec son pique-nique. » « La mairie avait un projet de rénovation de moulin sur la commune, et on a proposé de réhabiliter le lieu, et le moulin, de créer de l’énergie renouvelable, et tout s’est enclenché avec le Café Villageois. C’est aussi une victoire de voir que la mairie a répondu positivement. On a démarré avec des structures légères, et de ce terreau, on construira le projet du moulin. » C’est ainsi qu’est né le Café Villageois, un café ouvert à tous, avec des ateliers d’éducation populaire, des activités, des concerts. Un projet citoyen, généreux, convivial, et qui participe pleinement à la transition énergétique.


Entretien motivationnel et accompagnement au changement d’activité professionnelle Patrick HAMARD Coordinateur de l’Atelier des Ormeaux Situé à Manosque, l’Atelier des Ormeaux accompagne l’insertion sociale et professionnelle de personnes sans emploi, rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières, à travers les activités-supports de la couture et de l’entretien d’espaces verts. Patrick HAMARD, son coordinateur, présente ici les méthodes qu’il met en œuvre pour accompagner au changement d’activité professionnelle. Une méthode transposable à l’accompagnement au changement dans tous les domaines, y compris celui de la transition !

Contexte de l’accompagnement au changement : l’insertion par l’activité économique Atelier et chantier d’insertion (ACI) : l’Atelier des Ormeaux Le travail d’accompagnement au changement que j’effectue au sein de l’Atelier des Ormeaux dans le cadre de l’Insertion par l’Activité Économique, cible les salariés de deux chantiers d’insertion professionnelle. Ceux-ci s’appuient sur deux supports d’activités bien distinctes : un chantier avec un support d’activité « Jardins, Espaces verts » composé de 15 salariés polyvalents et de 2 encadrants techniques et un conseiller d’insertion professionnelle accompagnant les salariés polyvalents. L’autre chantier s’appuie sur une activité « Couture ». Celui-ci est composé de 12 salariées polyvalentes, de 2 encadrantes techniques apportant les bases de la technique « couture ». Le même conseiller d’insertion professionnelle que pour les Espaces verts, accompagne les salariées du chantier couture pour leurs projets professionnels. Un travail de coordination des 2 chantiers est effectué par un coordinateur. Aucune qualification n’est requise pour être recruté sur l’un ou l’autre chantier. Un apprentissage et une formation sur le terrain sont apportés par 2 encadrants techniques sur les chantiers respectifs. Un des 2 encadrants techniques est le responsable technique et commercial du chantier. La production effectuée par les salariés est importante et nécessaire afin de répondre à l’exigence de 30% d’autofinancement. Les contrats de travail sont de 4 mois, éventuellement renouvelables et ne pouvant excéder 24 mois. P.73


Les contrats sont des CDDI, c’est-à-dire des CDD de droit commun avec des heures d’accompagnement d’Insertion professionnelle comprises dans les heures de contrats (d’où le « I » de « CDDI »). Les salariés ont eu pour la plupart, une activité professionnelle antérieure qu’ils ont dû arrêter pour des raisons différentes (licenciement économique pour certains, dépôt de bilan pour certains entrepreneurs ; pour d’autres, des problèmes de santé ne leur permettent plus d’exercer leur ancien métier. Certains jeunes, après une scolarité difficile, arrivent sur le marché de l’emploi sans qualification professionnelle. Pour d’autres enfin, des difficultés judiciaires ont stoppé leur ancienne activité professionnelle et dans le cadre judiciaire, l’accompagnement dont ils vont bénéficier sur le chantier est un tremplin, pour se réorienter professionnellement). L’activité professionnelle du chantier n’étant qu’un support, il s’agit donc d’accompagner les salariés, à un changement d’activité professionnelle. Pour ce faire, un temps régulier est consacré à l’accompagnement concernant ce changement d’activité professionnelle. Celui-ci doit permettre aux salariés de pouvoir sortir du chantier avec un projet professionnel et des démarches effectuées durant le temps du chantier. L’objectif de cet accompagnement est d’accéder à une qualification au sein d’un secteur de métiers choisi par le salarié. Parfois l’entrée en emploi direct s’effectue sans passer par la case formation ; la qualification étant envisagée ultérieurement par l’employeur. Les supports dont je m’inspire pour effectuer cet accompagnement particulier au changement d’activités professionnelles, sont divers et proviennent des différentes formations sur le changement effectuées tout au long de mon parcours professionnel. Cependant l’esprit et la démarche de la méthode de « l’Entretien Motivationnel » restent prédominants dans ce travail d’accompagnement au changement.

L’entretien motivationnel et l’accompagnement au changement Origines À l’origine, le concept d’Entretien Motivationnel fut élaboré dans les année 1980 par MILLER et ROLLNICK, avec pour objectif principal, l’accompagnement aux changements de comportements concernant les personnes aux prises avec les addictions (principalement l’alcool)1 2. Progressivement l’Entretien Motivationnel s’est élargi au domaine médical, principalement pour les problématiques de santé nécessitant un changement de comportements alimentaires ou autres (diabète, troubles du comportement alimentaire, éducation thérapeutique, etc.)3 Dans les années 2000, les professionnels socio-judiciaires se sont emparés de cet outil pour améliorer l’accompagnement des auteurs de violences conjugales et toute autre personne placée sous la main de justice pour laquelle un accompagnement au changement est nécessaire dans un parcours d’insertion afin d’éviter pour certains, une récidive4 5. La décennie suivante a vu apparaître des travaux relatant des expériences d’accompagnement à la réorientation professionnelle par les outils élaborés dans le cadre de l’Entretien Motivationnel6.

Définition

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L’Entretien Motivationnel vise à aider le sujet à identifier ses motivations propres au changement et à prendre une décision adéquate lorsqu’il est confronté à un comportement ou/et une situation qui lui pose problème. Par exemple, un salarié ne pouvant plus exercer son métier de maçon pour des raisons de santé, doit effectuer ce travail d’adaptation au changement. L’Entretien Motivationnel doit lui permettre d’identifier ses propres motivations au changement qui lui est imposé. Ce travail effectué dans le cadre de


l’Entretien Motivationnel pourra plus facilement lui permettre de prendre une décision plus adéquate à sa situation. D’après MILLER et ROLLNICK : « L’Entretien Motivationnel est une méthode de communication, à la fois directive et centrée sur la personne, qui vise l’argumentation de la motivation (intrinsèque) au changement par l’exploration et la résolution de l’ambivalence.7» En 2009, les deux auteurs complètent leur définition : « L’Entretien Motivationnel est une méthode de communication, visant un changement déterminé et centré sur la personne, qui permet de favoriser le changement en aidant la résolution de l’ambivalence par l’émergence et le renforcement du discourschangement. »

Les composantes de l’entretien motivationnel L’approche motivationnelle s’articule avec un certain nombre de concepts déjà existants : les notions d’ambivalence, de stades de changement et de balance décisionnelle.

L’ambivalence L’ambivalence est un phénomène central dans la psychologie du changement qui le définit par le conflit engendré entre les tendances qui favorisent et celles qui s’opposent au maintien ou à l’arrêt d’un comportement donné. Entrent ainsi en jeu, des motivations incompatibles où, ce qui est plaisant pour un système, est déplaisant pour un autre : la composante positive et la composante négative d’une attitude sont simultanément présentes, indissociables et en opposition. Souvent interprétée à tort comme une manifestation de trait de personnalité d’opposition ou comme expression de négation ou de mauvaise volonté, l’existence d’un certain degré d’ambivalence est tout à fait normale et accompagne les décisions de la vie quotidienne.

Le modèle de stades de préparation au changement de Prochaska et Di Clémente

L’identification et la résolution d’un problème spécifique nous font traverser un certain nombre de phases, de stades psychologiques :

Le stade de pré-contemplation ou de pré-intention : 1. La personne n’a pas encore considéré la possibilité de changer ou n’a pas encore identifié son problème comme étant réellement un problème. C’est souvent l’entourage qui identifie le comportement problématique. 2. Le stade de contemplation ou d’intention : L’ambivalence caractérise essentiellement cette phase. À ce stade, la personne prend plus ou moins conscience du problème mais hésite face au changement. Aller et venir entre les raisons pour changer et le raisons pour rester dans la même situation, tel est l’enjeu à ce niveau. 3. Le stade de détermination ou de préparation : La personne a la volonté de changer un comportement devenu nuisible pour elle. La balance penche en faveur du changement ; une action devient alors possible. C’est un stade particulièrement instable avec une possibilité de passage au stade d’action ou de retour au stade de contemplation. Il s’agit de trouver ici les meilleures stratégies pour mener à bien le changement visé. 4. Le stade d’action : Ici le changement est effectif, qu’il s’agisse d’une rupture ou d’une amélioration du comportement problématique. P.75


Le stade de maintien d’action ou de consolidation : 5. Le changement commence à s’installer dans la durée. Souvent les professionnels s’accordent pour parler de maintien après 3 mois de changement de comportement. 6. Le stade de rechute : Ce stade correspond à « un changement de décision par rapport à une décision de changement. » La rechute est souvent due à l’ambivalence encore présente et reflète le fait que la rupture et le deuil de l’ancien comportement ne sont pas encore complets. Elle peut être vue comme une tentative de vérifier s’il faut toujours maintenir la décision de rupture concernant le comportement antérieur. Changer un comportement est toujours difficile. Ce processus est évolutif et souvent émaillé de rechutes et de renouements avec le changement. De nombreux échecs sont liés à un manque de concordance entre les envies de changement des personnes et les différents projets envisagés (projets de soins pour certains, projets professionnels pour d’autres). Ces stades sont déterminants dans l’accompagnement au changement car il est important de tenir compte du stade où se situe la personne accompagnée. C’est le stade de changement où se situe la personne qui guidera l’intervention d’accompagnement.

La balance décisionnelle

MILLER et ROLLNICK se sont inspirés de JANNIS et MANN concernant l’image de la balance décisionnelle en l’intégrant à l’Entretien Motivationnel. D’un côté de la balance pèsent les éléments favorisant le « statu quo » et de l’autre, les éléments en faveur du changement. Les deux positions possèdent des points positifs et des points négatifs : il existe en effet, des bénéfices comme des pertes et un prix à payer à maintenir un comportement comme à modifier ce même comportement. Il s’agit de peser le pour et le contre des deux situations. Cette balance permet à la personne de lui fournir une image globale de la situation. Un travail important dans l’Entretien Motivationnel va être de faire ressortir chez la personne accompagnée, les arguments en faveur d’un changement. La motivation est ici considérée comme un processus interpersonnel, état transitoire et fluctuant que l’accompagnant peut orienter. Celui-ci doit être attentif au degré d’importance que revêt le changement pour la personne. La confiance dans sa réalisation et sa disposition à l’entreprendre sont les composantes essentielles du changement envisagé.

La construction de l’accompagnement : 4 processus mis en oeuvre dans l’entretien motivationnel On peut les représenter sous la forme de 4 marches d’un escalier.

La lère marche : l’engagement dans la relation Cette phase d’engagement en Entretien Motivationnel se concentre sur l’établissement d’une relation fondée sur la confiance mutuelle et sur une aide respectueuse. Plusieurs outils et techniques sont proposés par MILLER et ROLLNICK afin de faciliter cette première marche.

La 2ème marche : la focalisation

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Ce processus doit permettre de se mettre d’accord avec la personne accompagnée sur la direction visée par l’accompagnement. L’Entretien Motivationnel préconise de guider la détermination du cap à


viser, en prenant en compte les attentes de la personne. Il s’agit alors, par l’échange et la discussion, de s’accorder sur ce qu’il est souhaitable et réaliste de viser en terme de changement pour la personne. Dans le cadre des chantiers d’insertion, il est souvent nécessaire, dans l’accompagnement au changement de bien gérer cette phase de focalisation afin de ne pas laisser la personne sur des chimères de projets professionnels irréalistes.

La 3ème marche : la focalisation

Cette phase est très importante puisqu’elle doit permettre à la personne de verbaliser avec ses propres mots, ses propres arguments et motivations à changer. Il s’agit d’être attentif et à l’affût du discourschangement de la personne. Il est souvent en sous texte. Il n’est pas toujours exprimé très clairement car il est souvent contrebalancé par l’ambivalence vécue par la personne. Il ne s’agit pas de le créer pour la personne mais d’être très perspicace pour le faire émerger, s’il existe bien sûr. Cette phase est d’autant plus importante qu’il est primordial d’aider la personne à énoncer ses propres motivations et non uniquement les raisons extérieures qui l’amèneraient à devoir engager ce changement. Par ailleurs, il ne faut pas totalement ignorer les arguments contre le changement (ce qu’on appelle communément le « discours-maintien »), qui forment l’ambivalence de la personne. Il s’agit bien sûr, d’explorer cette ambivalence et d’aider la personne à la résoudre. Dans ce discours-changement, on peut distinguer deux formes exprimées de manières différentes : le discours préparatoire exprime davantage les désirs, les besoins, capacité de la personne (je voudrais, je pourrais changer, ce serait bien si...) et le discours de mobilisation (je vais changer, je commence à changer, j’envisage de...) exprime légèrement une avancée dans l’engagement au changement. En étant attentif au discours et à sa nature, l’accompagnant évaluera s’il est encore nécessaire d’aider la personne à résoudre son ambivalence et par quelles techniques, ou si le temps est venu de planifier des changements effectifs.

La 4ème marche : la planification La planification peut commencer lorsque la personne a exprimé des discours-changement versant vers la mobilisation. Il s’agira alors de renforcer cet engagement vers le changement et de formuler avec la personne un plan d’action. À cette phase, dans le cadre de l’accompagnement des salariés en insertion, sont évoqués les moyens que la personne pense mettre en œuvre ou les démarches qu’elle imagine pouvoir effectuer. Les informations et des suggestions peuvent être apportées tout en respectant l’autonomie de la personne.

Les objectifs et les principes de l’entretien motivationnel La perception de la personne et son libre choix constituent les principes de base de l’approche motivationnelle. 4 principes généraux sous-tendent la pratique de l’Entretien Motivationnel : empathie, révélation des divergences, « rouler avec la résistance », le sentiment d’efficacité personnelle.

L’empathie La communication empathique est une caractéristique fondamentale du style relationnel employé tout au long de l’Entretien Motivationnel. Il s’agit d’une écoute marquée par le respect du discours de la personne avec le désir de comprendre ce qu’elle a en tête. Il s’agit d’une tentative de percevoir les choses au travers des yeux de l’autre, en se mettant à sa place. ROGERS dont se sont inspirés MILLER et ROLLNICK, définissait l’empathie ainsi : « L’empathie ou la compréhension empathique consiste en la perception correcte du cadre de référence P.77


d’autrui avec les impressions subjectives et les valeurs personnelles qui s’y rattachent. Percevoir de manière empathique, c’est percevoir le monde subjectif d’autrui, comme si on était cette personne, sans toutefois jamais perdre de vue, qu’il s’agissait d’une situation analogue, comme si. La capacité empathique implique donc que par exemple, on éprouve la peine ou le plaisir d’autrui comme il l’éprouve, et qu’on en perçoit la cause comme il l’a perçoit, sans jamais oublier qu’il s’agit des expériences et des perceptions de l’autre. Si cette dernière condition est absente ou cesse de jouer, il ne s’agit plus d’empathie mais d’identification.8» Cette attitude nécessite l’acceptation, par l’accompagnant, du sujet tel qu’il se présente, avec l’envie de l’entendre exprimer ses points de vue et en particulier son ambivalence, ses contradictions et ses hésitations. Cependant, l’intérêt pour ce que vit la personne n’interdit pas l’expression d’un désaccord. Ce mode d’écoute prédispose la personne au dévoilement de ses craintes, aspirations et valeurs personnelles, constituant ainsi un riche matériel de travail partagé entre accompagnant et accompagné.

Développer les divergences

L’Entretien Motivationnel se veut intentionnellement directif dans les situations problématiques où le changement de comportement considéré est vécu comme souhaitable. Il s’agit là de créer dans la façon de voir de la personne, une divergence entre son comportement actuel et ses valeurs de référence ou ses objectifs personnels, afin d’augmenter de façon sensible, sa perception des inconvénients du « statuquo ». La « dissonance cognitive » ainsi provoquée ouvre la possibilité d’une réflexion sur de nouvelles alternatives. « La motivation au changement survient lorsque les gens perçoivent une contradiction entre ce qu’ils sont et ce qu’ils aimeraient être. Le travail motivationnel consiste à révéler ces contradictions et à être le partenaire extérieur du dialogue intérieur que la contradiction génère9 »

"Rouler avec la résistance" : éviter l’argumentation

Si l’on comprend que la résistance de la personne est un indicateur de dissonance dans la relation accompagnant-accompagné, tout plaidoyer en faveur du changement n’aura aucune chance de convaincre un sujet ambivalent. Une position persuasive, d’opposition, voire de lutte, est un signal fort qui doit conduire l’accompagnant à changer d’attitude ; autrement dit à « rouler avec la résistance » en utilisant l’énergie qu’elle contient pour avancer. Il s’agit plutôt d’inviter le sujet à prendre en considération de nouveaux points de vue et de l’amener à devenir acteur de ses problèmes pour trouver ses propres solutions.

Développer le sentiment d’efficacité personnelle Concept développé par BANDURA (1995), le sentiment d’efficacité personnelle réfère à la croyance des individus que leurs actions auront effectivement un impact sur une situation qu’ils désirent modifier. Or le crédit que s’accorde une personne quant à ses possibilités de mettre en œuvre et de réussir le changement est un facteur prédictif positif de la survenue de ce changement. Il s’agit véritablement d’un atout indéniable dans l’accompagnement au changement. L’encouragement qu’apporte ce sentiment d’efficacité personnelle est un puissant levier que l’accompagnant ne peut pas négliger.

Les techniques de l’Entretien Motivationnel 4 principales techniques en Entretien Motivationnel, sont pratiquées de manière régulière durant les entretiens qu’ils soient individuels ou collectifs : l’écoute réflective, les questions ouvertes, le renforcement et le résumé ou synthèse très succincte. P.78


L’écoute réflective

Elle n’est évidemment pas spécifique à l’Entretien Motivationnel, mais elle caractérise vraiment son style. Ne se différenciant d’une question que par une inflexion de la voix, le reflet est une affirmation qui renvoie, de façon dirigée, son propre discours à la personne accompagnée. L’écoute réflective se pratique avec un jeu de nuances qualitatives (répétition, reformulation, paraphrase, reflet des émotions) et quantitatives (reflet simple, amplifié, sous-évalué, double reflet). Cette écoute réflective laisse libre champ à l’accompagné concernant le contenu du discours tout en l’orientant dans le développement ou l’explication de son ambivalence, sa motivation et de son discours sur le changement.

Les questions ouvertes

S’opposant aux questions fermées appelant des réponses brèves et précises, les questions ouvertes favorisent l’exploration et invitent à développer un point de vue, permettant aussi de faire émerger les préoccupations de la personne. (Par ex. : « qu’est-ce qui vous inquiète dans votre situation actuelle ? » ; « ce choix de secteur d’activités semblent vous convenir, il fait appel à pas mal de compétences que vous possédez déjà, et pourtant, vous semblez perplexe ? » ; « comment aimeriez-vous voir évoluer les choses ? » ; « comment envisagez-vous la préparation à la sélection de telle formation ? »

Le renforcement

Ce renforcement se manifeste par des phrases destinées à valoriser la démarche. Il renforce ainsi le sentiment d’efficacité personnelle et l’estime de soi de la personne. L’ambivalence elle-même peut être intégrée dans le renforcement, l’accompagnant reconnaissant la responsabilité et la liberté de choix. Cela peut contribuer à faire baisser la résistance et à faire émerger le discours-changement.

Le résumé Il est très important car il permet d’accentuer un peu plus ce sentiment de liberté et de choix de la personne. En effet, de courtes et fréquentes récapitulations ponctuant l’entretien, permettent de travailler les 2 versants de l’ambivalence, de sélectionner les éléments motivationnels et de les faire réentendre à la personne, lui permettant ainsi de choisir celui vers lequel ses motivations intrinsèques le poussent. Elles autorisent aussi la personne à corriger ou à développer le tableau de synthèse présenté par l’accompagnant. J’utilise régulièrement le résumé à la fin d’une séance et au début de la suivante.

L’adaptation de l’Entretien Motivationnel dans le cadre de l’accompagnement professionnel au sein des deux chantiers L’accompagnement professionnel effectué sur les deux chantiers, à partir du modèle de l’Entretien Motivationnel, se décline en deux versants : celui de la dynamique de groupe au travers de collectifs et celui d’entretiens individuels réalisés sur le site de l’activité professionnelle de chaque chantier.

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La dynamique de groupe par les collectifs L’organisation des collectifs dans le cadre de l’Entretien Motivationnel Un chantier se réunit une fois par mois, un jeudi pendant 2 heures de 10h à 12h. Il est rare que le groupe soit au complet. En « jardins Espaces verts », sur 15 ou 14 salariés, 10 à 12 personnes sont présentes au collectif (l’absence du chantier peut être liée à un arrêt maladie ou à un temps d’immersion professionnelle au sein d’une entreprise d’accueil afin de valider le projet professionnel du salarié). Pour le chantier couture, sur un effectif de 10 à 12 salariées, le groupe pendant le collectif, oscille entre 8 et 10 salariées. Lors de ces collectifs d’Entretien Motivationnel, chacun présente, s’il le souhaite, son projet professionnel ou la difficulté qu’il a à amorcer le changement de pistes professionnelles. Des échanges ont lieu entre les salariés concernant les différents projets professionnels, échanges souvent motivés par un besoin d’éclaircissement et de précision du projet présenté. J’utilise ensuite divers outils destinés à évaluer ou à travailler sur les motivations au changement. Dans le cadre des formations à l’Entretien Motivationnel, l’AFDEM, permet une meilleure compréhension de ces outils. Plusieurs outils permettant de travailler sur la notion de motivation au changement, sont utilisés lors de ces collectifs et donnent lieu à des échanges. Si la méthode et les principes de l’Entretien Motivationnel, avec ses outils évoqués plus haut, sont utilisés et mis en pratique pendant les collectifs, je dois reconnaître que cette pratique n’est pas assez régulière. Je mesure en même temps, la difficulté que j’ai à maîtriser correctement la méthode.

La dynamique relationnelle dans le groupe L’expérience d’animation de plusieurs groupes au sein des chantiers d’insertion m’a amené à modifier l’animation que j’effectuais antérieurement. Auparavant, en reformulant lorsqu’une personne présentait sa problématique face au changement, je restais rivé sur elle. De temps en temps, je renvoyais au groupe demandant les divers avis. Des salariés m’ont fait remarquer qu’ils s’ennuyaient car mes animations pouvaient ressembler parfois à des séances individuelles successives. Tout en continuant à focaliser sur l’exploration des problèmes individuels, je préfère maintenant généraliser les problématiques, en reliant chacune d’entre elles aux autres personnes et en essayant de les explorer avec le groupe. En fait, il s’agit avec le groupe de s’éloigner d’une focalisation purement individuelle afin de faciliter les interactions au sein du groupe. Plutôt qu’un groupe centré essentiellement sur l’animateur où chaque participant ne communique qu’avec lui, il est préférable de connecter les participants à travers leurs expériences communes, de leurs difficultés ou de leurs attitudes face au changement. J’essaie de plus en plus de développer les liens et les interactions entre les participants : passer de l’exploration individuelle à l’exploration de groupe. Cependant je mesure les limites de mon animation.

Outils et questionnaires d’évaluation utilisés dans le cadre de l’Entretien Motivationnel Certains outils d’« évaluation de l’intention à changer », d’évaluation des différents degrés de motivation au changement sont proposés par l’AFDEM, d’autres sont focalisés sur des critères permettant de mieux apprécier la motivation au changement (par exemple l’importance que l’individu accorde au changement, la confiance qu’il a en ses capacités à changer et la priorité qu’il donne au changement). P.80


Echange en entretien individuel concernant les outils d’évaluation dans le cadre de ou des projets professionnels Dans le cadre des entretiens individuels, les outils utilisés en groupe sont repris pendant l’entretien et servent de support pour mieux cerner à quel stade de changement la personne se situe. Les freins au stade supérieur sont évoqués. Il s’agit en fait de mettre à profit les éléments positifs de la dynamique de groupe pour enrichir et en faire bénéficier le salarié lors de l’entretien individuel. C’est véritablement lors de ces entretiens que l’accompagnement au changement exprime un espace facilitant.

Conclusions et points de vigilance Les attitudes et le comportement attendu d’un accompagnant au changement Dans le cadre de l’Entretien Motivationnel, l’accompagnant ne produit pas le changement, il facilite plutôt le changement de comportement. Dans le cadre de son travail d’accompagnant, le changement ne lui appartient pas, il appartient à l’accompagné. Certaines attitudes de l’accompagnant sont comme des balises facilitant l’esprit de l’Entretien Motivationnel lors de ces entretiens.

L’évocation Conscient que la motivation au changement ainsi que la capacité d’avancer vers ce changement résident principalement au sein de la personne concernée, l’accompagnant travaille pour faire évoquer au patient ses propres raisons de changer.

La collaboration

Il s’agit véritablement d’une coopération entre l’accompagnant et l’accompagné. L’entretien se déroule entre deux partenaires égaux où les deux détiennent des connaissances qui peuvent se révéler utiles par rapport au problème abordé.

Autonomie et soutien

L’accompagnant encourage et soutient la perception qu’a la personne, du choix à faire. Cela en opposition à la tentative de contrôler ses comportements et ses choix.

Direction et objectif

L’objectif fixé, l’accompagnant reste concentré dans cette direction. Lorsque le contenu exprimé par l’accompagné s’écarte trop de l’objectif fixé au départ, l’accompagnant semble avoir une boussole qui lui permet de rediriger l’entretien sur l’essentiel fixé par l’accompagné. P.81


Empathie

Comprendre ou du moins faire l’effort de saisir le point de vue et la démarche intérieure de la personne accompagnée pour lui transmettre ce qu’il a compris est certainement une attitude facilitant l’esprit de disponibilité au changement de la personne.

Points de vigilance Je n’ai pas effectué les démarches et analyses nécessaires et sérieuses sur lesquelles, j’aurais pu m’appuyer pour évaluer les résultats suite aux entretiens motivationnels (en collectifs et en individuel) vécus sur les deux chantiers. J’ai pu tout de même remarquer un paramètre important : le temps. J’ai parfois l’impression que les résultats demandés (sorties durables, sorties de transition et sorties positives) sont encadrés par un temps trop court. C’est ce qu’il me semble, du moins pour certains salariés. Dans le cadre de la conduite d’Entretien Motivationnel, deux difficultés m’apparaissent : 1) La difficulté à repérer le discours-changement. En effet certains verbes et expressions (cf en III de ce document : « la construction de l’accompagnement », au paragraphe c : « la troisième marche de l’escalier »), peuvent faire penser que la personne exprime un discours-changement alors qu’il n’en est rien. Etant donné l’importance du discours-changement dans l’accompagnement au changement, j’identifie cette difficulté comme un point de vigilance ; c’est-à-dire nécessitant une attention particulière dans la maîtrise de cet élément. 2) La difficulté à être concentré sur l’accompagné et sa présence ainsi que sur les processus d’intervention et la capacité de réactivité durant l’entretien. L’écoute a besoin parfois d’être sélective à certaines phrases révélant des indices précieux pour mener à bien l’entretien. Concernant l’accompagnement au changement dans le cadre de la transition énergétique, il faut espérer que de nouvelles techniques de construction ou de fracture nécessiteront de nouveaux apprentissages qui n’en doutons pas, apporteront de nouveaux métiers au bénéfice des « sans travail ».

Miller et Rollnick, L’Entretien Motivationnel, aider la personne à engager le changement, 2013 Rollnick S., Miller W.R., Buttler C.C., Pratique de l’Entretien Motivationnel, Paris, 2009 3 Golay A., Comment motiver le patient à changer, 2009 ; Lacroix et Assal, L’éducation thérapeutique des patients, 2011 4 Brodeur N., Les stratégies de changement employés par des hommes ayant des comportements violents envers leur conjointe, mesure et analyse à partir du modèle transthéorique du changement, 2006 5 Laporte J., Contribution à la connaissance des auteurs de violences conjugales et de la prévention des actes de violences : les groupes d’auteurs de violences conjugales, 2010 6 Publications de l’AFDEM 7 Miller W., Rollnick S., 2002 8 Rogers C., Kinger G.M., Psychothérapie et relations humaines, Louvain, 1969, Volume I, p.106 9 Rollnick S., Miller W.R., Buttler C.C., Pratique de l’Entretien Motivationnel, Paris, 2009, pp. 54, 162 1 2

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Relations formel-non formel : pour un modèle européen d’éducation à la citoyenneté et au développement durable Michel FLORO, Alain LEGARDEZ & Jean-Luc FAUGUET Michel FLORO, Alain LEGARDEZ et Jean-Luc FAUGUET enseignantschercheurs en psychologie, sciences de l’éducation et sociologie à l’Ecole Supérieur de Professorat et de l’Education (ESPE) de l’Université d’Aix-Marseille proposent la transformation de notre rapport au savoir en renouant les liens entre école et territoire pour aller vers la transition. L’image que les médias donnent de la société actuelle, ressemble à une marmite en ébullition. Il semblerait que les crises, les tensions politiques et sociales se succèdent à tous les niveaux, national, européen, ou mondial, de la même façon que le climat se transforme1. L’avenir sera-t-il durable, sera-t-il soutenable ? Avec l’émergence de la notion de développement durable, dans les années 80, les questions vives de société engagent aujourd’hui, non seulement une nation mais l’humanité toute entière dans la construction d’une vision économique équitable, d’un environnement viable et d’un monde social vivable. Au-delà des études et des déclarations contradictoires et dramatisées, venues de tous les horizons, scientifiques ou non, cette agitation sociale transforme la vision ordinaire de nos certitudes. Dans ce concert de voix rarement harmonieux, l’éducation est appelée au secours pour éduquer dans l’urgence à une citoyenneté élargie à une écocitoyenneté, et à un développement durable. La mission de l’école est donc de former les citoyens à de nouveaux comportements. Mais la nouveauté, c’est qu’elle ne les maîtrise pas totalement, car ils sont le produit de questions vives en débat aussi bien au niveau social que scientifique2. Dans ce contexte, comment l’éducation peut-elle réagir, dans quel sens doit-elle évoluer ? La forme scolaire classique est-elle encore viable, vivable, équitable ? Ce texte pose la question en recherchant des éléments de réponse dans le domaine de l’éducation à travers une vision collective et élargie, d’un autre rapport au savoir.

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Education et territoire La proposition faite à l’école est d’ancrer les contenus qu’elle transmet, dans la réalité sociale contemporaine, en intégrant au formel scolaire, les processus éducatifs non formels ou informels développés hors d’elle-même. Cette proposition est partagée par plusieurs pays européens, dans le cadre d’un projet commun sur l’éducation à la citoyenneté et au développement durable3. Le but : chercher à construire une alliance entre l’école et le territoire. La première étape de ce projet, présentée ici, fait un état des lieux sur la façon dont chaque pays partenaire envisage une pédagogie qui pense les liens entre éducation et territoire, entre transmission formelle et non formelle ; entre savoirs scolaires et savoirs locaux.

Un lien à construire La nouvelle forme pédagogique qui émerge, s’appuie sur des savoirs ancrés dans un territoire local, des savoirs locaux endogènes, souvent non légitimés par l’institution, mis en perspective avec des savoirs généraux, légitimés par une construction scientifique. Mais inversement, la déterritorialisation de ces savoirs locaux est nécessaire, pour éviter qu’ils ne deviennent enfermant et réducteurs. Il s’agit d’une déterritorialisation relative4 dont la condition est le respect de l’enjeu éthique de l’éducation. Car les savoirs transmis prennent sens au niveau local, mais ils ont pour finalité d’éduquer un citoyen à la fois national, européen, humain, en prise avec un environnement au sens large, vivant et non vivant. Quelle est donc, la pertinence de cette alliance école et territoire en éducation ?

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Une approche par le territoire participe à la compréhension des faits d’éducation. Bien qu’il apparaisse comme une variable explicative souvent sous-utilisée, le contexte territorial n’est pas une réalité extérieure à l’élément que l’on cherche à comprendre (Lahire, 2012)5. En éducation, le territoire est une notion complexe qui renvoie d’abord à une construction humaine le plus souvent en réseau, à un tissage socio spatial effectué progressivement par des acteurs, habitants du lieu, qui se l’approprient pour en tirer une partie de leur identité collective. Pour le géographe, le territoire est une portion de surface terrestre appropriée par une collectivité humaine, un espace socialisé, qui permet de le penser en conscience (Brunet)6. La notion recouvre de multiples dimensions des sciences humaines et sociales où les aspects géographiques et spatiaux sont premiers. Mais d’autres flux la parcourent : celui de la sociologie, avec les travaux de Bourdieu et Passeron (1964, 1970)7 ; celui institutionnel, lié aux politiques éducatives territorialisées (Bressoux, 1994)8; celui de l’économie, qui intègre les éléments constitutifs du tissu territorial (Frémont, 1976)9 ; enfin celui des dimensions symbolique et rêvée, qui s’appuient essentiellement sur les représentations sociales du territoire. Un territoire alimente et s’alimente d’une conscience collective (Caillouette, 2007)10. Il est porteur d’un savoir, produit d’une expérience, et c’est par l’expérience des choses et des contenus, qu’un acteur pose des jalons pour en marquer les frontières. Nos qualités propres, nos formes d’expression, notre activité, nos pratiques définissent notre territoire, celui qui nous permet de vivre et survivre, mais aussi de nous développer. Si la connaissance accumulée sur et par un territoire constitue l’origine d’un mouvement qui nous permet de grandir, elle nous engage aussi à voir autre chose. Car le territoire ne prend de sens pour un individu que s’il est capable d’en sortir. Le lien éducation et territoire n’est pas un allant de soi. L’héritage de l’école de la république était censé être uniforme, isotrope présentant partout les mêmes propriétés. Ses caractéristiques sont multiples et complexes, et les travaux qui abordent la question mettent en évidence une approche collective, dans une relation en mouvement (Ormeaux)11. Car ce lien suppose l’interdisciplinarité pour comprendre les problèmes, un fonctionnement en réseau pour donner force à la réflexion, des équipes pluridisciplinaires pour croiser les points de vue. De ce fait le territoire, en tant qu’espace d’une dynamique sociale et humaine, présente de nouveaux enjeux et renvoie à la notion de territorialité (Le Berre, 1992)12. Les sciences de l’éducation, ont ainsi dégagé des facteurs contextuels impactant l’école qui ne dépendent ni de facteurs sociologiques (Bourdieu, Passeron, 1964, 1970)13, ni de facteurs institutionnels (Bressoux, 1994)14. Dans ce domaine, le territoire joue deux rôles


éducatifs qui ne correspondent pas à la même dimension : comme acteur (Feu, Soler, 2002)15, il est prescripteur de contenus dans sa dimension sociale et économique, renvoyant aux jeux de ses agents locaux ; comme contexte, davantage tourné vers sa dimension symbolique, et la notion de territorialité où il influe ponctuellement, et parfois globalement sur la chose éducative dans son ensemble.

Territoire et intelligence territoriale, et savoirs locaux En tant qu’acteur, le territoire participe à une relation éducative qui suppose de penser l’action comme un processus d’intelligence territoriale (Girardot, 2004)16. Pour une communauté, cette forme d’intelligence est à la fois un outil explicatif de son territoire, une voie pour acquérir les savoirs dont il est porteur, un moyen pour mieux en maîtriser son développement. Les technologies de l’information et de la communication, tournées vers une action collective, facilitent les processus d’apprentissage. Cette approche est une aide à la réalisation et à l’évaluation des projets de développement territorial durable, dont les actions ne sont pas jugées en fonction de la décision à prendre, mais de l’implication des acteurs dans le processus de gouvernance. La construction d’un tel type de réseau intelligent conduit à une vision globale des résultats attachés à un espace géographique ; à une diffusion de l’information tournée vers une culture du dialogue ; à une connaissance du jeu des acteurs territoriaux, de leur mode de gouvernance, dans le montage des projets et les prises de décision ; à un dispositif de régulation, susceptible d’ajustements méthodologiques permanents. Cette forme d’intelligence collective s’appuie sur des savoirs endogènes et des modes transmission non formels. Les savoirs dits aussi locaux ou autochtones désignent les ensembles cumulatifs et complexes de savoirs, de savoir-faire, de pratiques et de représentations. Ces savoirs sont perpétués et développés par des personnes ayant une longue histoire d’interaction avec leur environnement naturel. Ils participent des systèmes cognitifs qui incluent la langue, l’attachement au lieu, la spiritualité ou encore la vision du monde. Si ce type de savoir est difficile à déterminer il présente cependant des caractéristiques spécifiques. Il est lié à des pratiques sociales individuelles comme connaissance vécue qui présentent un niveau d’expertise avéré (Roué et Nakashima, 2002, 2003 )17 ; il est frappé au sceau de son histoire, comme partie intégrante de son héritage, (Hountondji, 1994)18; il est hétérogène et contraire à la standardisation (Keïta & Samaké 2008)19 ; son approche empirique permet d’identifier, de décrire et d’utiliser de nombreuses ressources naturelles avec lesquelles la société concernée est associée dans l’espace et le temps ; mais il est à la recherche d’une légitimité. En 2015 la COP 21 a eu pour préoccupation majeure de trouver des solutions pour freiner le réchauffement planétaire, en se penchant sur la transition énergétique. 2 Legardez, Simonneaux 2006 (coord.), (2006), L’École à l’épreuve de l’actualité. Enseigner les questions vives, Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), ESF éditeur 3 Ce projet intitulé School Territory Education Pedagogy, associe les Universités d’Aix Marseille ESPE, de Milan Bicocca, de Bologne, de Séville et de Locarno. 4 Deleuze, G. Guattari, F. (1980) Mille plateaux, Paris, Éditions de Minuit. 5 Lahire, B. (2012), Monde pluriel. Penser l’unité des sciences sociales, Paris, Seuil. 6 Brunet, R. (1993), Les mots de la géographie, Paris, La Documentation française. 7 Bourdieu P., Passeron J.-Cl. (1964), Les Héritiers. Les étudiants et la culture, Paris, Les Éditions de Minuit. (1970), La Reproduction. Éléments pour une théorie du système d’enseignement, Paris, Les Éditions de Minuit 8 Bressoux, P. (1994), « Les recherches sur les effets-écoles et les effets-maîtres », Revue française de pédagogie, Vol. 108, p. 91-137 9 Frémont, A. (1976), La Région, espace vécu, Paris, PUF (dernière éd. Flammarion 2009). 10 Caillouette J. et al. (2007), « Territorialité, action publique et développement des communautés », Économie et Solidarités, Vol. 38, n° 1, p. 9-23 11 Ormaux S. (2008), « Territoire et éducation : une relation en mouvement », Diversité, n° 155 : « Où vas-tu à l’école ? Les liens aux lieux », p. 43-45. 1

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La valorisation du savoir local dans le contexte des projets de développement ne prend pas toujours en compte les diverses connaissances autochtones dans leurs activités de planification, de suivi et d’évaluation (Dupré et al. 1991)20. Les savoirs locaux qui ont été négligés ou ignorés par la plupart des approches scientifiques modernes n’en présentent pas moins un regard complexe et contextuel sur l’environnement. Ce regard qui s’est développé durant des siècles, constitue un élément fondamental des cultures. Ignorer les savoirs endogènes dans les cours, peut être discriminatoire voire symboliquement violent. Un ensemble de travaux s’est développé dans ce sens, voir par exemple ceux de Moussavou21, ou sur la biodiversité (Floro, Barthes, Chalando, 2014)22. Les savoirs autochtones, (Aikenhead, 2006)23 ont une dimension identitaire liée aux enjeux de pouvoir et de justice sociale. Il est donc essentiel d’inviter les enseignants à prendre en compte ce type de connaissance endogène dans le rapport au savoir. Dans l’acte éducatif, les conceptions des apprenants autochtones demeurent fondamentales. De ce fait tout enseignement devrait privilégier des modèles participatifs pour accompagner les élèves dans l’explicitation de leur histoire, afin de transformer la vision sur eux-mêmes et sur les autres, et d’intégrer dans les enseignements ordinaires, une logique de légitimation de savoirs endogènes. Sur le plan anthropologique, le caractère patrimonial des savoirs locaux des sociétés traditionnelles oppose des savoirs endogènes intériorisés, ancestraux, venus de la tradition, aux savoirs exogènes venus d’ailleurs, de l’extérieur. Quand ces derniers ne respectent pas les pratiques autochtones qui s’opposent à la globalisation économique ou culturelle du développement, les enseignements deviennent conflictuels. Dans ce contexte les divers modes de transmission des connaissances entrent en jeu et ne peuvent se réduire au scolaire formel, mais rendre complémentaire formel et non formel. Le territoire comme lieu de savoir et producteur de savoirs a toujours été considéré par les pédagogues comme susceptible d’enseigner l’homme. Comenius au 16° siècle considérait que « la vie est une école pour chacun du berceau à la tombe ». Les liens entre une éducation formelle scolaire et des structures ou dispositifs d’éducation non scolaires non formels ne peuvent plus s’ignorer. C’est en particulier le cas dans la perspective d’un Enseignement Moral et Civique, qui suppose une citoyenneté active qui dépasse la simple action de voter.

Education à la citoyenneté et au développement durable en Europe, une alliance école et territoire Le projet européen d’éducation à la citoyenneté et au développement durable présenté, se fonde en partie sur une alliance entre école et territoire. Les résultats de l’analyse collective sur les liens réalisée à travers l’étude comparative des prescriptions nationales24 font émerger certaines caractéristiques partagées, liant éducation formelle et non formelle, comme autant d’éléments d’une pédagogie du vivre ensemble.

Vivre ensemble d’abord Pour tous les partenaires européens, l’éducation est une priorité nationale qui devient une priorité des politiques européennes, dans le but d’apprendre à vivre ensemble. Un des problèmes à résoudre en éducation est celui de faire cohabiter les différents points de vue, les communautés, les cultures, les identités, les confessions religieuses, les idéaux politiques, etc. Dans tous les cas la construction du rapport à la loi est première, car elle protège et permet la réalisation de cet objectif ; mais c’est une vision de la loi qui protège ces rapports. Des valeurs communes soutiennent des rapports bienveillants entre les individus, entre soi et les autres. Elles favorisent un autre regard porté sur l’élève différent ; la conviction de l’éducabilité de tous. De son côté l’éducation au développement durable/soutenable élargit le champ du vivre ensemble dans le rapport de l’individu à l’humanité et au vivant, tout en intégrant hétérogénéité et mixité sociale. P.86


Cependant la prise en compte des difficultés scolaires, est majoritairement posée dans les textes, en termes d’échec de l’élève et non d’échec de l’école, même si sur ce point il y a consensus entre partenaires sur le fait que la non réussite scolaire est aussi une question sociale, de conditions de travail et de vie.

La recherche des conditions d’un langage commun Le second point d’émergence découle du précédent. Il vise la recherche d’un langage commun qui facilite la transmission et le partage des idées. L’action demande un ancrage territorial relatif (Deleuze, Guattari) pour donner corps et sens aux savoirs. Cet ancrage apparaît dans un double mouvement à la fois local, contextualisé, et global qui suppose une déterritorialisation nécessaire à leur généralisation pour construire un sens commun et partagé : déterritorialiser les savoirs, pour les faire interagir, pour mieux comprendre la complexité du monde, avant de les re-territorialiser pour les passer au crible des réalités locales, leur donner une valeur éducative et non instrumentale. Une posture émerge, tournée vers la transdisciplinarité et l’interdisciplinarité qui demande de ne pas enfermer les savoirs dans une discipline. Ces savoirs éducatifs, garantissent la cohabitation malgré nos différences, interrogent la complexité du monde, et en s’extrayant des disciplines, s’associent pour apporter une réponse complémentaire aux autres. La mise en œuvre de ces principes intègre la dimension non formelle de l’éducation, comme lien entre des méthodes formelles parfois artificielles, nées dans l’école et celles non formelles qui vivent hors de l’école.

Le territoire complexe et pluriel comme richesse à conquérir Le troisième point conduit à une réflexion sur le territoire enseignant. Compte tenu de sa diversité et de sa multiplicité, il est analysé à travers ses caractéristiques physiques, humaines et sociales, avec ses phénomènes locaux et globaux. Les savoirs sont pris comme éléments significatifs, qui conduisent à le découvrir à travers les traces de la construction humaine. Ces savoirs non disciplinaires participent au développement d’une citoyenneté active et responsable et à la production d’une culture sans cesse en mouvement. Les connaissances sur l’environnement dans une perspective anthropocentrique visent l’exploitation et la conservation de l’environnement dont le patrimoine fait partie ; mais elles interrogent du même coup le rapport entre l’homme et la nature, un contrat naturel (Serre) qui suppose la domination du premier sur la seconde, puisqu’il se sent apte à la protéger. Le territoire est vu comme théâtre et scénario de l’activité humaine et à ce titre producteur de culture. Il est le résultat d’une interaction entre la communauté humaine et son environnement ; d’un côté il impacte l’identité de cette communauté, de l’autre il s’exprime comme résultat de l’action de l’homme25. C’est en ces lieux interactifs porteurs de savoirs historico-culturels, que se développe la personne actuelle de l’élève, futur citoyen.

Le Berre M. (1992), « Territoires », in BAILLY A., FERRAS R., PUMAIN D. (dir.), Encyclopédie de géographie, Paris, Economica (2e éd. 1995). 13 Idem p.2 14 Idem p.2 15 Feu J., Soler J. (2002), « Més enllà de l’escola rural : cap a un model integral i integrador de l’educació en el territori », Temps d’Educació, n° 26, p. 133-156. 16 Girardot J.-J. (2004), « Intelligence territoriale et participation », ISDM, n° 16 : « 3es Rencontres ‟TIC & Territoire”, Lille » (http://isdm.univ-tln.fr/articles/num_archives.htm#isdm16). 17 Roué M., Nakashima D. (2002). Des savoirs “traditionnels” pour évaluer les impacts environnementaux du développement moderne et occidental, Revue Internationale des Sciences sociales, Les savoirs autochtones, n°173, p. 377-388. DOI : 10.3917/riss.173.0377, Roué M., Nakashima D. (2003). Savoirs locaux : l’expertise écologique des Indiens, Sciences Humaines, Les savoirs invisibles, n°137, p. 28-31. 12

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L’élève comme sujet agissant : une démarche qui sollicite les sens des élèves et la prise de conscience d’une action citoyenne Le dernier point renvoie à une méthode d’éducation. Le sujet - personne éducable qui doit reconnaître et respecter les lois -, s’approprie son patrimoine, sa culture, son environnement par observation directe, à travers ses facultés perceptives mais aussi par sa conscience des choses. Conscience des causes et des conséquences de ses actes, conscience de participer à la société qui se développe dans une perspective locale, conscience de sa dimension humaine globale. Cette démarche s’inscrit dans une logique de développement durable, dans un système social complexe où l’élève a une responsabilité individuelle et collective. La transformation du comportement vise donc l’équilibre entre intérêt individuel et bien collectif, au fondement du sens de la citoyenneté, et passe par le débat et la parole. De ce fait la langue est à la fois moyen et objectif. La parole devient créatrice. Elle participe à la façon de penser et d’organiser le territoire, de le décrire pour le modifier et le faire évoluer. Elle participe au lien social qui permet de vivre, à la prise de conscience de la vie de la société, à l’élaboration de projets d’action qui impactent un contexte et dans une perspective locale et mondiale. La liberté de parole est un droit qu’il s’agit de protéger et d’encourager. Car c’est aussi par elle que s’enseigne le territoire. Il existe donc une complémentarité entre ces deux modes de transmission qui décrivent un dispositif éducatif global. Le tableau (1) suivant rend compte de façon synthétique des caractéristiques partagées par les différents partenaires distinguant les deux modes formel et informel.

Hountondji «Les savoirs endogènes : pistes pour une recherche», Codesria, 1994. Keïta & Samaké 2008 «Recherche sur le savoir local comme facteur de développement de la production agricole et une amélioration de la gestion des ressources naturelles». 20 Dupré et al. 1991 «Savoirs paysans et développement». 21 Moussavou, R. (2012), L’intégration des savoirs endogènes dans les cours de sciences au Gabon : Points de vue d’enseignants et d’enseignantes en formation (Doctorat). Université Laval, Québec. 18 19

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Quelques éléments proposés pour une démarche collective intégrant dispositifs formels et non formels En résumé, dans le modèle proposé, l’enseignement citoyen est à la fois objectif et moyen, il se réalise par l’action et pour l’action, dans un contexte local et global, selon une double transmission26 complémentaire formelle et non formelle qui couvre les deux champs l’école et la société.

Un modèle de sujet citoyen à éduquer par et pour l’action L’éducation à la citoyenneté - aujourd’hui en France « Enseignement Moral et Civique » - traverse les savoirs pour former un modèle de sujet citoyen : autonome, vertueux qui sait vivre avec les autres. Il a intégré un rapport à la loi comme outil pour aborder les rapports humains et pour accéder à la dimension éthique, la convivialité, le bien vivre, faisant de la diversité une ressource. Le sujet citoyen s’ancre dans une culture plurielle qui selon Bruner (1991)27, donne forme à l’esprit, pour apprendre à se connaître, connaître le monde dans sa pluralité et sa complexité en intégrant une démarche éthique de développement durable, dont les contenus renvoient à des problèmes sociaux réels. Il s’agit donc d’enseigner par et pour l’action. Enseigner par l’action, c’est considérer que la citoyenneté passe par la participation aux activités sociales, par des expériences des découvertes d’un territoire, par l’observation d’un territoire vécu et parcouru. L’action est éducative car elle résulte d’une interaction entre le milieu l’individu et la communauté humaine de vie, dans une perspective locale et globale. Si cette formation passe par l’action, hors de l’école, elle passe aussi par l’action dans l’école c’est-à-dire par l’étude. Les savoirs enseignés sont des outils éducatifs qui permettent de comprendre les éléments qui composent le monde en les mettant en relation, mais qui permettent aussi de porter sur lui un regard réflexif critique qui prépare l’action. Enseigner pour l’action c’est agir dans cette perspective critique en construisant des gestes et des postures citoyennes à la base d’une démarche interculturelle soutenable et durable, tournée vers des actions de connaissance et de valorisation du patrimoine, associant les territoires aux échelles locale et globale. L’objectif fondamental est de s’adapter aux transformations sociales par la médiation d’une citoyenneté active. Les caractéristiques des savoirs transmis conduisent à penser une action responsable.

Enseigner le loup dans un lycée agricole, à des enfants d’éleveurs, sans prendre en compte les savoirs, les positions ou les postures des parents d’élèves ou des élèves eux-mêmes peut rendre le cours symboliquement violent. Cf Chalando Floro, Barthes,(2014) Le loup en territoire alpin, une QSV complexe à enseigner in Vivre avec le loup 3000 ans de conflit, dir. J.-M. Moriceau, Ed. Taillandier. 23 Aikenhead, G. S. (2006a).Science education for everyday life.London : Teachers College Press 24 Un document commun a été rédigé sur ce premier point. L’étude des pratiques enseignantes sera abordée dans une seconde étape, avant d’envisager un modèle pédagogique commun et partagé. 25 Par exemple sous forme de paysage modelé par l’homme au fil des siècles. 26 La transmission ne renvoie pas à un modèle transmissif, mais à toute forme de transmission y compris les processus d’éducation collaboratifs, constructifs ou transformatifs-critiques qui engagent un individu social. 27 Bruner, J. (1991) Car la culture donne forme à l’esprit : de la révolution cognitive à la psychologie culturelle, Paris Retz. 22

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La richesse d’un territoire, la complémentarité de lieux multiples Le travail collectif a conduit à préciser le rôle du système éducatif comme moyen pour s’ouvrir à la connaissance des problèmes du monde, pour stimuler l’expérience citoyenne à la découverte de soi et des autres, où la société devient un objet de connaissance. Les objectifs d’éducation liés à ce modèle pensé collectivement, ne peuvent être atteints par et dans un même lieu éducatif. De ce fait tout repose sur la multiplicité des espaces vécus hors de l’école, où se posent les questions vives, initiées par les problèmes du monde ; des lieux riches de la diversité des modèles culturels, où se confrontent et se partagent les expériences sociales, où se construisent les valeurs de convivialité de civilité dans une société ouverte et démocratique sont multiples. Si l’école est un espace public où se construisent les rapports de confiance, elle ne peut rester seule pour accomplir cette tâche. En définitive, du niveau local au niveau européen et planétaire, l’idée forte est bien celle d’une société de la connaissance dans laquelle le savoir est éducatif et dans lequel inversement l’éducation ouvre les voies de l’accès au savoir. Il apparaît qu’un dépassement des obstacles sociaux ne peut se faire que par une action totale conjuguant tous les lieux d’éducation dans et hors de l’école, formels et non formels ; en pensant d’autres liens entre instruction et éducation, savoir et savoir-être, connaissance et attitude. Dans ce type de pédagogie, l’éducation citoyenne au développement durable joue deux rôles : comme outil d’interrogation des réalités et des difficultés sociales, comme modèle d’éducation collectif diversifié et multiple, par lequel l’élève apprend à devenir citoyen universel. Des groupements citoyens informels, où agissent des instances territoriales diverses et complémentaires, tournés vers la recherche et la compréhension des faits, sont des garanties pour construire une éducation éthique ancrée dans des réalités qui s’adressent à la fois à l’élève, au citoyen à l’habitant.

CONCLUSION Ce travail collectif dont l’objectif vise la construction d’un modèle d’éducation à la citoyenneté fait apparaître: - Premièrement l’importance de s’accorder sur ce qu’est un citoyen et où vont s’ancrer les valeurs qui orientent sa vie ; - Deuxièmement il fait ressortir l’importance des conditions du débat qui seul peut conduire à une action collective juste et éthique , - Enfin il montre la nécessité d’une co construction associant des dispositifs et des lieux éducatifs formel et non formel, complémentaires. L’école ne peut se passer d’un territoire, qui dans sa diversité peut être apprenant.

Michel FLORO (MCF Psychologie ; ESPE AMU ; Labo ADEF ; Référent développement Durable ESPE AMU ; Membre du RéUniFEDD ; Observatoire des Quartiers Sud de Marseille) Alain LEGARDEZ ( Professeur des Universités Emérite ; ESPE AMU ; Labo ADEF ; Président du RéUniFEDD) Jean-Luc FAUGUET (MCF sociologie ; ESPE AMU ; Labo ADEF ; Chargé de mission relations internationales ; P.90

Observatoire des Quartiers Sud de Marseille)


Engagement et représentations sociales, deux cadres théoriques pertinents pour favoriser la transition énergétique Christophe DEMARQUE, Fabien GIRANDOLA & Grégory LO MONACO Laboratoire de Psychologie Sociale S’interrogeant sur les moyens de changer les comportements, le Laboratoire de Psychologie Sociale de l’Université d’Aix-Marseille présente dans cet article deux cadres théoriques applicables aux porteurs de projets pour la transition énergétique : les théories de l’engagement et des représentations sociales. Réussir la transition écologique nécessite une modification de certaines de nos habitudes, notamment dans le domaine de la consommation d’énergie. D’après le Centre d’Analyse Stratégique (2013), l’énergie consommée au sein du foyer représente en effet le tiers de la consommation énergétique finale et le cinquième des émissions de CO² en France. S’ils ne sauraient être les seuls acteurs de cette transition, les individus ont donc un rôle non négligeable à y jouer. Dans cette perspective, la psychologie sociale dispose de cadres théoriques pertinents pour les acteurs de terrain investis dans la transition écologique. La littérature scientifique récente met ainsi en évidence l’utilité de cette discipline dans le champ de l’environnement (e.g. Gifford, 2014 ; Joule, Girandola, & Weiss, 2015), à la fois pour une meilleure compréhension de la pensée sociale associée à ces problématiques mais également, dans une perspective appliquée, pour identifier les freins et les leviers du changement des comportements. Attendre que l’information et l’éveil des consciences changent les attitudes et que de nouveaux comportements durables se mettent en place prend un temps considérable et paraît aujourd’hui trop incertain. Explorer aujourd’hui de nouvelles pistes d’actions ayant un impact direct sur les comportements semble donc nécessaire (Girandola, Bernard & Joule, 2010). Dans le cadre de cette contribution, nous nous centrerons sur deux cadres théoriques de référence pour le Laboratoire de Psychologie Sociale (LPS) d’Aix-Marseille : les théories de l’engagement et des représentations sociales. Nous montrerons plus spécifiquement l’intérêt du paradigme de la communication engageante au travers de plusieurs expériences de recherche-action portant sur la consommation d’énergie en Région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), ainsi que les limites de certaines démarches de

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terrain. Nous reviendrons ensuite sur la théorie des représentations sociales et montrerons comment son articulation avec l’engagement constitue une piste prometteuse pour l’avenir.

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Communication engageante et maitrise de l’énergie Le paradigme de la communication engageante permet de travailler à la fois sur la communication persuasive et l’engagement comportemental. Son principe, dans sa forme la plus simple, revient à obtenir d’un sujet un acte préparatoire avant de l’exposer à une argumentation persuasive (Joule, Girandola & Bernard, 2007). Ainsi, les questions à traiter ne sont plus, seulement, comme dans le cadre de la persuasion classique : « qui dit quoi, à qui, dans quel canal et avec quel effet ? ». Elles doivent être reformulées dans le cadre de la communication engageante : « qui dit quoi, à qui, dans quel canal, en lui faisant faire quoi, à quel niveau d’identification de l’action et avec quels effets cognitifs et comportementaux ? ». C’est la prise en compte de cette dernière question qui, en conférant à la « cible » un statut d’acteur, et plus seulement de récepteur, distingue une démarche de communication « engageante » d’une démarche de communication « classique ». Le recours au paradigme de la communication engageante permet d’obtenir des changements d’opinion, d’intention, une meilleure rétention des informations contenues dans le message, des effets comportementaux (promotion des comportements attendus) dans des actions de protection de l’environnement et de façon plus générale dans des actions au service de causes d’utilité sociétale (Girandola & Joule, 2012).

Recherche-action et communication engageante Les relations entre les individus et leur environnement impliquent des problématiques de différentes natures selon l’échelle spatiale considérée. Moser (2003) distingue quatre niveaux d’analyse, impliquant des aspects physiques et sociaux distincts (cf. Tableau 1). Tableau 1 Niveaux d’analyse socio-spatiaux (d’après Moser, 2003, p.17)

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Nous reviendrons sur des projets réalisés en Région PACA et menés au niveau I, mais également II et III pour souligner que l’engagement et la communication engageante ne portent pas uniquement sur l’adoption de comportements individuels dans la sphère privée, conçue comme une fin en soi, mais aussi comme un moyen d’impulser des dynamiques collectives, synonymes de changements de plus grande ampleur. NIVEAU I : Projet à l’échelle de l’habitat Le projet Sensomi s’est déroulé d’avril 2011 à juin 2013 en Région PACA. Il a impliqué plusieurs partenaires, dont Ankama, société française de jeu vidéo, et le LPS, réunis autour de David Bourguignon, coordinateur opérationnel du projet. Ce projet a eu pour objectif principal la mise au point d’un dispositif engageant d’un nouveau type : un jeu vidéo collaboratif en ligne, nommé Kwaan, développé spécialement dans le cadre de cette étude (cf. Demarque, Charles, Bourguignon, & Lo Monaco, 2013). Le premier objectif était de faire prendre conscience aux individus des effets de leur mode de vie sur leur consommation d’énergie domestique, puis de tenter de modifier durablement leur comportement. Nous sommes partis du constat de la nécessité de recréer un lien émotionnel positif entre les individus et la réalité physique de l’environnement terrestre, dont ils dépendent et dont l’énergie est sûrement l’aspect le plus abstrait. Dans Kwaan, les joueurs étaient collectivement responsables de la vie d’un arbre imaginaire. Leur consommation d’électricité effective devait avoir une influence sur l’arbre virtuel, et ainsi l’énergie consommée ne devait plus être considérée comme un aspect abstrait de la réalité. Notre objectif était donc de tester si cette « hybridation » (entre la virtualité et la réalité) était efficace pour modifier les comportements et les perceptions des joueurs. Dans le cadre de la théorie de l’engagement, le jeu apparaissait comme un support pertinent pour favoriser l’inscription dans un cours d’action. Par ailleurs, la dimension collective devait permettre de percevoir dans la durée ce que font les autres, ce qui devait réduire le sentiment d’être seul à agir et engager le joueur vis-à-vis des autres joueurs. 148 étudiants en psychologie de l’Université d’Aix-Marseille ont participé à l’étude. Des difficultés techniques n’ont pas permis d’avoir une version du jeu pleinement aboutie (pas d’effet visible des actions des joueurs sur l’arbre collectif) mais les résultats étaient malgré tout encourageants, bien que devant être considérés avec prudence. Ils ont montré, d’une part, un effet marginalement significatif du jeu sur les relevés de compteurs en situation d’engagement et, d’autre part, un effet positif du jeu sur la prise en compte des conséquences futures de leurs comportements chez les joueurs qui avaient réalisé des relevés de compteurs. NIVEAU II : Recherche-action dans les écoles primaires Une autre recherche-action (ALTENER) s’est déroulée dans onze écoles primaires des Alpes-Maritimes avec la collaboration d’élèves de 9 à 10 ans et leurs 700 familles pendant une année scolaire. Cette action a reposé sur plusieurs actes préparatoires, notamment : 1/ Lister les comportements à adopter ou modifier dans la classe. 2/ Lister les habitudes familiales qui pourraient être changées sans que cela ne gêne personne. 3/ Remplir avec l’aide des parents, afin de les impliquer, un long questionnaire sur le thème des économies d’énergie à la maison. A la fin de l’année scolaire, chaque enfant et famille étaient incités à s’engager par écrit à modifier une des habitudes (e.g. pour les enfants : prendre une douche plutôt qu’un bain ; pour les parents : ne plus prendre la voiture pour les courts trajets ou éteindre la veille du téléviseur). Ces engagements se sont concrétisés par la signature de deux bulletins d’engagement : celui de l’élève que l’enfant signait seul et celui de la famille que l’élève et ses parents signaient conjointement. L’année scolaire s’est terminée par une grande exposition, occasion de présenter aux familles les productions (affiches, films, photographies, CD-Rom…) réalisées par les élèves durant l’année scolaire pour protéger l’environnement et maitriser l’énergie. Le bilan de cette opération est très encourageant. Dans des proportions très élevées (voisine de 100% dans certaines classes), les élèves et parents d’élèves se sont engagés par écrit à réaliser des actes précis susceptibles de se traduire par une baisse de consommation d’énergie. En outre, cette dynamique a débouché sur des actions comme le remplacement d’ampoules à incandescence par des ampoules à basse consommation ou la mise en place du tri sélectif pour les papiers de classe. P.93


NIVEAU III : Recherches à l’échelle de villes Cette recherche-action1 avait pour but d’amener les habitants d’une ville à modifier leurs conduites dans le sens d’une meilleure maîtrise énergétique et à assurer la pérennité des nouveaux comportements. A des fins de comparaison, une démarche de communication persuasive a été testée dans une ville (ville A) et une démarche de communication engageante dans une autre ville (ville B). Ces deux villes, situées dans le sud de la France, avaient des configurations semblables en termes de taille (8000 habitants environ), de composition sociale, de conditions climatiques et d’environnement territorial.

La démarche de communication persuasive (ville A) Cette campagne, d’une durée de 3 mois, reposait sur la conception et la diffusion d’un ensemble de supports traditionnels de communication : affiches placées chez les commerçants et sur les panneaux municipaux, questionnaire distribué dans l’ensemble des boîtes aux lettres de la commune, brochure centrée sur des conseils pratiques simples permettant de mieux maîtriser l’énergie au quotidien. La campagne était relayée par un plan média.

La démarche de communication persuasive (ville B)

Cette démarche utilisait les mêmes outils de communications que dans la démarche de communication persuasive mais ajoutait une dimension de “communication de proximité” en mettant en place des formes de médiations dont le but était de créer l’acte préparatoire recherché. La campagne de proximité reposait sur l’implication d’intervenants extérieurs (une équipe de 3 chercheurs) et de “personnes ressources” : élus, responsables d’institutions locales, enseignants, animateurs d’associations, commerçants, etc. Le rôle principal des intervenants extérieurs consistait à animer un collectif de personnes ressources. Ce collectif coordonnait le plus d’actions possibles en faveur d’une meilleure maîtrise énergétique. Ces actions, pour la plupart préparées dans les écoles, le centre aéré, la Maison des Jeunes et de la Culture, étaient rendues visibles lors d’une journée de créations événementielles. Cette journée était l’occasion de diverses manifestations (exposition, théâtre, cinéma, etc.) et constituait l’occasion d’obtenir des engagements concrets de la part des particuliers. En effet, ces derniers étaient invités à signer un bulletin d’engagement renvoyant à des gestes à réaliser. Chaque engagement individuel était symbolisé par un soleil en papier, accroché sur un grand filet tendu sur la place de la mairie. Chacun pouvait donc suivre la progression du nombre d’engagements pris tout au long de la journée par les habitants. Concernant les consommations effectives, il semble que la campagne de communication engageante ait eu un impact plus marqué que la campagne de communication persuasive. En effet, durant l’année de l’intervention, la consommation annuelle moyenne par foyer a moins augmenté, rapport à l’année précédente, dans la ville B que dans la ville A (6% versus 14%).

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Globalement, ces recherches-actions montrent le rôle essentiel d’une communication engageante et des actes préparatoires. D’abord, ils rendent les individus sensibles, réceptifs aux informations ultérieurement diffusées dans les messages circulant dans toute campagne d’information et/ou de sensibilisation (e.g. affiches, autocollant, etc.). Ensuite, ces mêmes actes préparatoires augmentent la probabilité que les individus en acceptent d’autres plus coûteux conduisant, pour peu qu’ils aillent dans le même sens, à un engagement (e.g. signature d’une charte environnement) et au-delà, à un changement de comportement sur le moyen et long terme (cf. l’engagement comme source de changement à long terme, Girandola & Roussiau, 2003). Nous avons vu que ces changements peuvent se situer à différents niveaux spatiaux (espaces privés, de proximité et publics) et peuvent ainsi avoir des impacts significatifs pour les populations concernées. Bien que la majorité des études se centrent sur les changements individuels, nous pensons que cette capacité à impulser des dynamiques collectives constitue le futur des recherches sur l’engagement et la communication engageante. Se situer au plus près des préoccupations des populations concernées apparaît ainsi essentiel. Dans cette perspective, les travaux portant sur les liens entre l’engagement et la théorie des représentations sociales constituent une piste prometteuse dans le champ de la transition écologique. Nous présenterons donc rapidement cette théorie avant de revenir sur les résultats les plus encourageants.


La théorie des représentations sociales S’intéresser à la question de l’énergie et à la manière dont les personnes (individus ou groupes) y attribuent du sens suppose de prendre en compte les raisonnements et les significations qu’elles construisent à son propos. En effet, l’énergie, terme polysémique et flou pour les non spécialistes, peut être considérée comme un objet polymorphe teinté d’incertitude. Il n’en reste pas moins que, de par le lien que ce terme entretient avec les questions environnementales, la plupart des gens considèrent ce sujet comme étant important. C’est ainsi que, bien que nous n’ayons pas forcément de connaissance toujours précise sur ce qu’est l’énergie, sa maîtrise ou son économie, tout un chacun sera tout à fait capable d’avoir un avis, un point de vue, une opinion dès lors qu’il s’agira de répondre à une question ou de participer à une conversation sur le sujet. C’est donc également dans le cadre de ces conversations que seront conservées certaines informations alors que d’autres seront évacuées. Ces interactions sociales constitueront donc les occasions au sein desquelles le sens attribué à cet objet sera enrichi, modelé, sélectionné. Cette construction du sens, que l’on peut donc qualifier de « sociale », ne se fera pas non plus en dehors de toute influence médiatique ou informationnelle, la diffusion d’informations ne cessant d’aller crescendo autour de ces questions. On parlera alors, au sujet de ces significations construites dans et par le social, de représentations sociales (Moscovici, 1961) de l’énergie. A titre définitoire, ces représentations peuvent être considérées comme des univers d’opinions, ancrées dans le réel du fait qu’elles concernent des objets de la réalité quotidienne. Elles constituent en somme notre vision du monde, tirant sa légitimité du partage social dont elle fait l’objet. Ces représentations sociales vont également constituer des guides pour les pratiques sociales (Moscovici, 1961 ; Guimelli, 1995). Suivant cette logique, pour comprendre les pratiques sociales des individus, il est nécessaire d’accéder aux déterminants de ces conduites et donc d’identifier leurs représentations sociales (Jodelet, 1989 ; Abric, 1994). Ces représentations sont également qualifiées de théories naïves du sens commun. Elles opèrent suivant des logiques dont la rationalité est celle du sens commun et échappe, la plupart du temps, à la rationalité scientifique qu’elles peuvent également remodeler. Elles sont qualifiées de logiques parce qu’elles constituent des ensembles organisés d’opinions, de croyances, d’attitudes, de valeurs, etc. Dès lors, deux enjeux s’imposent. Il s’agit en effet de pouvoir en identifier le contenu (quelles sont les significations construites socialement ?) et l’organisation (comment ces significations sont-elles structurées ?). L’organisation structurale des significations associées à un objet peut être envisagée selon une théorie particulière : la théorie du noyau central (Abric, 1976). Cette théorie structurale (cf. Rateau & Lo Monaco, à paraître ; Rateau et al., 2011) suppose qu’une représentation sociale est structurée autour de deux instances majeures : la première est qualifiée de noyau central et rassemble les significations les plus abstraites et les moins contingentes. Ces significations sont les plus importantes et les plus impliquées dans la reconnaissance de l’objet. L’autre instance renvoie au système périphérique, qui contient les significations les plus contingentes, en lien avec la réalité et l’adaptation concrète de l’objet. L’intérêt de cette théorie repose ainsi sur sa capacité à distinguer les significations selon leur implication dans la manière de reconnaître et de penser l’objet. En outre, il existe un ensemble méthodologique (Rateau & Lo Monaco, 2013 ; Lo Monaco et al., sous presse ; Lo Monaco & Rateau, à paraître) apte à identifier le contenu de ces représentations et à en déceler la structure (c’est-à-dire identifier quelles sont les significations centrales et périphériques pour les personnes interrogées). Pour aller plus loin, la question de l’énergie appelle de facto une autre question qui renvoie à l’adoption de comportements éco-citoyens. Compte tenu de ce que nous venons d’évoquer, il apparaît donc opportun de s’intéresser par exemple à la question de l’énergie et de son économie, et ce, afin de pouvoir identifier les freins et les leviers pour une population donnée, dans un contexte donné ; de mettre au jour des variations dans la manière d’appréhender les économies d’énergie en fonction des caractéristiques des populations (en fonction de variables de type sociodémographiques) ; de rendre compte d’éventuels décalages entre P.95


la manière dont on anticipe le rapport aux économies chez les populations et leur manière de se situer face à cet objet ; de se donner les moyens d’accéder aux systèmes d’attentes et d’anticipations construits socialement dans des contextes spécifiques (e.g. quels sont les décalages potentiels entre ce que pensent les personnes sollicitées et la réalité de la situation ?). La promotion et l’incitation comportementales en lien avec les économies d’énergie implique également la question de la nouvelle technologie et de son acceptation. Or cela n’est pas sans poser de problème, toujours relativement à la question du sens et des attentes construites par les populations. Ces anticipations sont très peu souvent maîtrisées et peuvent être à la source de nombreux freins. Ce constat fait directement référence à ce que les ergonomes et les psychologues sociaux appellent l’acceptabilité (et non l’acceptation) des nouveaux dispositifs. Cette acceptabilité fait directement référence à la nécessité de prendre en compte la manière dont un dispositif est perçu (son utilisabilité, son adéquation perçue, son efficacité perçue). Elle suppose donc un ensemble de croyances que l’on se doit d’identifier afin de déjouer les freins préexistants, potentiellement à la source de l’absence d’utilisation d’un dispositif particulier ou d’adoption d’un comportement attendu. Toutefois, avant de parler de l’utilisation, il est également important de se questionner sur l’acceptation, qui ne doit pas être confondue avec l’acceptabilité. En effet, si la seconde suppose, comme on l’a précisé, de prendre en compte la manière dont un dispositif est perçu, la première renvoie à d’autres aspects davantage en lien avec le fait de se sentir concerné, d’accorder de l’importance à ce dispositif, ou encore de se sentir en capacité de l’utiliser. Tous les éléments relatifs à l’énergie, à sa consommation mais également à sa maîtrise et à son économie nous conduisent donc à plaider pour une approche psychosociale et socio-représentationnelle de ces questions, afin de pouvoir s’assurer des manières dont ces objets sont investis par les personnes directement concernées par les actions mises en place dans un domaine de plus en plus investi par les pouvoirs publics.

Vers une articulation entre engagement et représentations sociales Les représentations sociales constituent donc comme le notent Rateau et Moliner (2009, p. 8) une « toile de fond ». Dès lors, la question de la représentation de l’objet sur lequel repose l’étude d’un processus cognitif comme l’engagement se doit d’être posée. En effet, les travaux portant sur l’articulation entre les représentations sociales et la cognition sociale révèlent tout l’intérêt qui réside dans le fait de travailler en quelque sorte les processus sociocognitifs en les resituant relativement aux objets sur lesquels ils portent. Travailler selon une telle perspective permet d’étudier les régulations socio-représentationnelles et structurales des activités sociocognitives et donnent à de tels travaux une portée et une utilité contextualisées. Ainsi, plusieurs études ont montré que l’activation d’éléments centraux d’une représentation dans un (Eyssartier, Joule, & Guimelli, 2007) ou plusieurs (Souchet & Girandola, 2013) actes engageants entraîne des changements d’attitude et de comportement plus importants que l’activation d’éléments périphériques. Souchet et Girandola (2013) ont ainsi montré que l’étude des représentations sociales pouvait aider à identifier les actes préparatoires les plus pertinents pour obtenir les comportements attendus. Ces auteurs ont demandé aux participants, choisis au hasard, s’ils souhaitaient répondre à quelques questions au sujet des économies d’énergie (premier acte préparatoire) et d’écrire un court texte en faveur de ces économies (second acte préparatoire). Chaque acte préparatoire activait soit des éléments centraux (i.e., faire des économies d’énergie, c’est préserver l’environnement) soit périphériques (i.e., faire des économies d’énergie, c’est utiliser moins sa voiture) de la représentation. On leur demandait ensuite de tenir un journal de bord durant deux semaines, afin de noter toutes les actions d’économies d’énergie réalisées, et de le renvoyer au département de psychologie (requête finale). Comme attendu, les participants qui avaient réalisé des actes préparatoires liés à des éléments centraux (vs. périphériques) de la représentation sociale des économies d’énergies ont davantage renvoyé leurs P.96


journaux de bord. Ils étaient également plus nombreux à réaliser des économies d’énergies chez eux. Replacer l’engagement dans le contexte des représentations sociales fournit donc « un cadre sociocognitif élargi dans lequel le processus d’engagement bénéficie à la fois d’une plus grande signification sociale et d’une meilleure proximité avec la réalité quotidienne » (Eyssartier, Guimelli, & Joule, 2009). Dans ce contexte, Zbinden, Souchet, Girandola, & Bourg (2011) ont comparé l’efficacité de plusieurs stratégies de communication à l’articulation du paradigme de la communication engageante (Girandola & Joule, 2012) et de la théorie des représentations sociales. En situation de communication engageante, on fait précéder (parfois succéder) la réception d’un message persuasif par la réalisation d’un (voire plusieurs) actes préparatoire et/ou engageants (e.g., Michelik, Girandola, Joule, Zbinden & Souchet, 2012). Par exemple dans l’étude de Michelik et al. (2012), la moitié des participants lisaient un message en faveur de la protection de l’environnement (i.e., communication persuasive classique), l’autre moitié lisaient ce message puis signer une charte d’engagement en faveur du recyclage (i.e., une communication engageante). Les messages en faveur de la protection de l’environnement comprenaient soit des éléments centraux de la représentation soit des éléments périphériques de cette même représentation. Les résultats montrent, d’une part, que les participants placés en situation de communication engageante expriment la plus forte intention de participer au recyclage, d’autre part que l’activation d’éléments centraux dans le message débouche, à l’identique, sur l’expression d’une plus forte intention. Renforcer la communication engageante en activant les éléments de représentation centraux plutôt que périphériques semble ainsi offrir de prometteuses perspectives de recherches, tant théoriques qu’appliquées. En conclusion, dans la majorité des études présentées, les changements comportementaux attendus étaient pré-définis et les expérimentations développées afin d’atteindre ce but. Cela pose notamment la question de qui définit ce qui est « socialement souhaité » et de ce qu’est un but « socialement acceptable ». Dans les projets de recherche-action, il existe une vraie nécessité de co-développer ou co-construire davantage en amont la définition des buts avec les populations impliquées. On constate en effet que certains projets dans le champ de l’engagement reposent sur une approche descendante guidée par une demande institutionnelle, sans consultation préalable. Une approche centrée sur les représentations sociales permet justement une meilleure compréhension des échanges dynamiques au sein d’une population cible et, potentiellement, de ses attentes en termes de relations à l’environnement. Nous suggérons donc un travail plus approfondi à l’interface de ces deux champs sur le terrain. Cela implique également une réflexion sur « les indicateurs de réussite » d’un projet visant le changement. S’en tenir strictement à des mesures comportementales peut en effet s’avérer réducteur et l’intégration d’autres indicateurs, notamment de qualité de vie, apparaît de plus en plus nécessaire pour que la transition énergétique ne soit pas subie.

Cette recherche-action a impliqué le concours de plusieurs partenaires et notamment la Région Provence Alpes Côte d’Azur, l’ADEME, le CERFISE, Electricité de France, Gaz de France, Que choisir, CLCV. 1

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Céline PARMEGGIANI Citoyenne en transition Céline Parmeggiani a 32 ans et est très investie dans le mouvement de transition écologique. Elle raconte son parcours personnel d’engagement et les freins et leviers observés dans ses changements de comportements liés à cette implication

L’expérience de l’engagement et la prise de conscience de la possibilité d’agir L’engagement de Céline Parmeggiani a démarré à l’Université avec une participation active aux grèves étudiantes contre le « Contrat Première Embauche » en 2006 puis en s’impliquant dans le Réseau Universitaire sans Frontières et contre la loi relative aux libertés et responsabilités des universités. « J’étais militante contre un projet de loi, avec la conscience que j’étais avec d’autres et que si je n’ajoutais pas ma part, on n’arriverait pas à faire le poids. J’ai donc appris à travailler collectivement, à convaincre et débattre», raconte-t-elle. Elle observe alors qu’une grève politise les étudiants, sur le biais de la mobilisation et de la prise de conscience de pouvoir être acteur et que de « faire ensemble » est une vraie force : « l’intelligence collective, c’est un vrai levier au changement ». « Au fur et à mesure, pendant le mouvement de grève, je suis montée en responsabilité, impliquée dans le comité de lutte, puis dans le bureau du comité, dans le bureau de l’Assemblé Générale, ensuite représentante de l’université d’Aix dans les Assemblées Générales nationales et enfin au niveau international à Freibourg ! ». C’est la prise de responsabilités et la montée en compétences grâce à un développement de connaissances liées à son implication, qui lui permettent alors de se sentir capable d’être élue au Conseil d’Administration de l’Université en 2008. Suite à ce mouvement, la question de la démocratie interroge Céline Parmeggiani, alors représentante des étudiants au Conseil d’Administration de l’université. Elle constate le manque de poids des étudiants : bien qu’élus et proposant des textes travaillés collectivement, ils restent inconsidérés au sein des décisions prises par l’Université. L’écart entre la réalité à laquelle elle prend part et la retranscription dans la presse la choque également. Elle observe un manque de reconnaissance qui peut freiner des engagements et des changements de posture, et dont l’origine est hors de contrôle (médias, peur de l’université de perdre des soutiens financiers). Pour Céline Parmeggiani, cette expérience est cependant un vrai déclic, une prise de conscience : « J’ai compris que je pouvais être acteur de la société et qu’il ne fallait pas tout accepter les yeux fermés […] ; que l’on pouvait créer du nouveau avec l’existant, et fédérer.» Et c’est aussi une frustration : « Le fait de s’être organisé collectivement, ça avait changé les gens, leur regard sur la société, sur leur place dans la société. J’étais très frustrée de ne pas avoir pu plus changer les choses. Je me suis donc impliquée dans des projets concrets, de terrain via « Fac verte1 », un syndicat. » P.98


Mise en oeuvre de projet, cohérence, convivialité et "faire ensemble" Implication dans des projets universitaires Sensible aux questions écologiques et alimentaires, Céline est motivée par l’idée de créer un jardin potager étudiant. Une AMAP2 existe au sein de Fac Verte (la 1ère AMAP étudiante de France), elle s’investit alors dans ce projet et adhère à « l’AMAP Campus » à la cité universitaire de Cuques en 2008. « Je me suis rendue compte qu’on pouvait faire à la fois un projet concret qui amène des services, un changement de comportement, et ce travail de sensibilisation sur le plan politique. En proposant une AMAP, on a modifié le comportement alimentaire de 150 étudiants chaque année ! » s’enthousiasme-t-elle. Elle y redécouvre « le goût du pain », mange plus de légumes et constate que chacun se met à cuisiner. En parallèle, elle s’intéresse au végétarisme par le biais des rencontres.

Une forte implication Cet investissement demande du temps et de l’énergie pour sensibiliser de nouveaux étudiants : « Fin septembre jusque fin décembre, on tenait des stands pour sensibiliser les étudiants. Ils s’engageaient hors vacances, au mois Cet engagement « court » [adapté au planning universitaire et aux finances des étudiants] permettait de mobiliser. »

Adaptation, convivialité et information La réussite de cette démarche (évolution de 15 à 150 adhérents) et le changement d’habitudes par les étudiants tient à un véritable travail d’adaptation aux besoins et exigences de chacun (montant de 5 euros le panier et possibilité d’être à deux pour un panier), au souci d’informer au mieux, sans démarchage agressif, et à la convivialité du lieu. Céline ajoute que « les gens restaient des heures ! On a créé un vrai lieu d’échanges, d’animations, des soirées, pour amener les gens à se connaître, à échanger, l’AMAP répondait à un vrai besoin de sociabilité des étudiants en recherche de connaissances dans une énorme fac ». « C’est le plaisir étendu, au delà du goût, à travers un moment convivial, qui rassemble les gens. Utiliser le moment de convivialité et proposer un service nécessaire à la personne pour l’amener à aller plus loin dans sa démarche. Des visites de l’exploitation du producteur, des informations sur son travail […]ça permet de comprendre, de rentrer dans un cercle social et des valeurs communes se créent », précise-t-elle. « On accroche les gens grâce à une valeur plaisir qu’on a tous, puis on va réfléchir sur d’autres choses […] on a créé un journal, avec des recettes, des actus de Fac Verte, sur des enjeux écolo… ». Le volet « Informer » est très important dans la démarche du collectif.

Oser ! En 2009, en parallèle à l’AMAP, le collectif d’étudiants créé le « jardingue », un jardin potager laboratoire dont le but est d’expérimenter, transmettre et créer du lien, de faire en sorte que chaque personne qui entre dans le jardin ressorte en ayant appris quelque chose. Le projet est porté au départ avec le CROUS3 qui

« Fac verte – l’écologie universitaire », est une association née à l’initiative d’un groupe de Jeunes Verts suite à leur mobilisation en mai 2003 contre le G8. Elle promeut l’écologie dans le champ de l’enseignement supérieur. 2 Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne 1

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pouvait mettre à disposition un espace. Suite à une rétractation de ce dernier (peur du CROUS de perdre un terrain), ce sont les étudiants les plus convaincus qui résistent et après un communiqué de presse « Le CROUS refuse que les étudiants plantent des carottes », ils réalisent leur jardin, dans l’illégalité. Des repas partagés y sont organisés, avec toujours cette exigence de convivialité. A la fin de ses études en 2012, fortement engagée et pleine d’enthousiasme à participer au changement sociétal, Céline Parmeggiani s’implique dans le mouvement des Colibris4, en 2015 dans le mouvement Alternatiba5, processus de mobilisation de la société face au défi du changement climatique, puis dans le Collectif Climat du Pays d’Aix. Elle décide de changer de banque en 2013 pour le Crédit coopératif, banque coopérative et engagée dans des projets éthiques, de fournisseur d’énergie avec Enercoop6, qui participe au développement d’énergies renouvelables et choisit une assurance et une mutuelle militantes.

L’implication professionnelle : les leviers à la création d’une épicerie paysanne Un déclic : la rencontre En 2012, l’envie de créer une épicerie paysanne naît d’une rencontre avec Jean-Christophe Robert, co-fondateur du modèle économique des épiceries paysannes à Marseille, à l’occasion d’une présentation de son projet lors d’un événement « Fac Verte ». Céline Parmeggiani et son amie Nadège apprécient la démarche qui correspond à ce qu’elles recherchaient. Elles créent alors l’association « Pays’en ville ». « Entre temps, on s’était organisé grâce à Fac Verte pour créer un regroupement de personnes qui achetaient des achats groupés de produits bio en centrale d’achats […] Pour faire les courses, il fallait aller au supermarché, au marché, à l’AMAP et plus le groupement d’achat qui demandait des déplacements, de défaire des colis, etc. C’était énergivore et on se disait qu’une épicerie paysanne sur Aix-en-Provence serait idéale. » A l’époque elle constate que dans sa ville (Aix) : « les différents projets liés à l’alimentation bio s’adressent à une clientèle qui a les moyens et ça ne nous correspondait pas. L’idée était aussi de démocratiser cet accès. »

Un accompagnement nécessaire et des rencontres pour passer de l’envie au projet

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Un travail conséquent de deux ans, mêlant formations, rencontres avec d’autres porteurs de projets d’épiceries paysannes, apprentissage des différents fonctionnements et choix d’orientations, fut nécessaire pour réaliser ce qui leur semblait cohérent avec leur valeurs : un tarif pour les personnes aux minimas sociaux, une ambiance conviviale, un approvisionnement en direct, une autonomie sans être dépendant des subventions. Les porteuses de projet ont bénéficié d’un accompagnement par le Pôle d’Initiatives Locales d’Economie Solidaire de Marseille (PILES). Ce lieu d’information, de formation, de mise en lien et d’accompagnement autour du champ de l’économie alternative et solidaire leur a ouvert les portes de ce domaine et a été un véritable moteur dans leur motivation. Les deux amies ont également bénéficié d’un accompagnement par Inter Made7, qui aide à la création et au développement d’entreprises au service des territoires avec un impact social et environnemental. « Créer de l’emploi avec toutes les valeurs qu’on porte, rencontrer les réseaux locaux et structures qui gravitaient autour de l’Economie Sociale et Solidaire, découvrir les cafés associatifs etc.. ça a été une énorme école », raconte Céline avec enthousiasme. « Ça m’a amenée à m’interroger sur le reste, j’avais réfléchi sur l’alimentaire, et d’autres ont réfléchi sur d’autres thématiques. Génial ! Je me suis rendue compte que d’autres gens portent les mêmes valeurs sur d’autres thématiques, j’ai eu confiance. » C’est ainsi que naît le projet de l’association « Pays’en ville » avec « l’épicerie du Coing », cohérent avec les valeurs sociales, humaines, écologiques portées par Céline et Nadège et avec un lieu convivial et d’échanges.


La sensibilisation auprès des clients L’envie de transmettre « On a une grande chance car on peut vraiment choisir les producteurs avec qui travailler, on est assez proche des paysans pour nous livrer […] on travaille en priorité avec des producteurs de l’ADEAR8 et pas forcément en bio, mais qui ont une volonté de s’améliorer. On trouve ça vraiment intéressant de transmettre cette information. Pour les clients, le label bio est très rassurant. Notre travail, c’est de sensibiliser les gens au fait que le label garantit certaines choses et que d’exiger d’une personne de réussir tous les critères du jour au lendemain c’est trop […] C’est une démarche constructive et évolutive », ajoute Céline Parmeggiani.

La convivialité et un service porteur de valeurs Une enquête auprès de la clientèle montre que « c’est le mot ‘convivial’ qui ressort, alors que le mot « local » ne ressort pas », raconte Céline. « Les gens n’ont pas compris. Comme ce concept n’existe pas, dans la tête des gens, ça n’a pas encore d’existence propre. C’est un vrai travail à mener pour faire reconnaître les spécificités d’une épicerie paysanne. » « On propose un service original, porteur de valeurs. Il y a des gens qui s’obligent à sortir de leur périmètre pour venir, dans une démarche de soutien et aussi car notre service n’est pas offert ailleurs. Il y a le facteur prix et l’identification sur les valeurs qui incitent les gens qui viennent de loin. » Elle note aussi que l’effort réalisé pour garantir une transparence est apprécié et fait la différence avec les autres commerces alimentaires.

Retour d’expérience

Freins et leviers à son propre changement

Ce qui freine le changement La peur de perdre un confort de vie

Céline observe et analyse ses propres freins qui la ralentissent dans son changement : « J’ai encore des choses à changer. J’ai un gros frein au niveau de ma voiture, j’ai du mal à m’en séparer et

Centre Régional des Œuvres Universitaires Scolaires Créé en 2007 sous l’impulsion de Pierre Rabhi, Colibris se mobilise pour la construction d’une société écologique et humaine. http://www.colibris-lemouvement.org/ 5 Alternatiba est un mouvement de mobilisation de la société face au défi du changement climatique à la crise énergétique. Dans plus de quatre-vingt villes de France et d’Europe, des événements festifs Alternatiba ont été réalisés ou sont en voie de réalisation https://alternatiba.eu/ 6 Enercoop est un fournisseur français d’électricité d’origine renouvelable http://www.enercoop.fr/ 7 Inter Made est une couveuse d’activités solidaires http://www.inter-made.org/ 8 L’ADEAR est une association qui regroupe des paysannes et des paysans, pour majorité membres de la Confédération Paysanne, et d’autres acteurs du monde rural réunis par l’envie de partager leur expérience et leurs savoirs faire pour permettre de maintenir et d’installer des paysans nombreux et de faire vivre les valeurs de l’agriculture paysanne. http://adear13.org/ 3 4

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j’ai besoin de me sentir libre et autonome dans mes déplacements, côté pratique, je trimballe toujours plein de choses ! Auto partage (un système de location de voitures en milieu urbain) pourrait être une solution mais c’est encore mal implanté à Aix […] C’est la peur de s’appauvrir aussi, si je n’ai plus de voiture, je vais m’appauvrir au niveau de mon confort de vie et de ma liberté. »

Le budget Elle poursuit son auto-analyse vis-à-vis du secteur vestimentaire vis-à-vis duquel elle souhaiterait aussi changer d’habitudes. Limiter ses achats, favoriser la récupération, elle est d’autant plus sensible à la question des déchets qu’elle a une expérience professionnelle au sein d’une ressourcerie en 2013 « Je n’achète que si j’ai besoin, si je ne trouve pas ce dont j’ai besoin dans le secteur de l’occasion. J’ai besoin d‘avoir le choix, il faut que ça me corresponde. Il faudrait que je prenne le temps d’écumer tous les magasins de ‘seconde main’ mais je n’ai pas le temps ! » Alors elle se tourne, quand elle le peut, vers des créateurs qui font de l’upcycling (idée de transformer un matériau, quel qu’il soit, en objet qui a de la valeur.). L’offre en textiles et chaussures éthiques est encore mince et à un prix élevé. La question financière reste toutefois un frein. La priorité de son budget est allouée à l’alimentaire, précise t-elle.

La norme familiale A la question de la norme culturelle et familiale comme frein au changement, Céline acquiesce : « Pour tous les Noël, ma grand-mère italienne faisait des cappelletis à la main, dans le bouillon de poule, préparés pendant 3 semaines. Je ne me vois pas refuser ! » Céline explique qu’elle a franchi des étapes en réduisant sa consommation de viande (passée d’une consommation quotidienne à deux ou trois fois par semaine). Elle constate aujourd’hui les économies réalisées et relève des freins à arrêter complètement : « mon frein c’était la santé, j’ai vérifié que je n’avais pas de carences. Il y a aussi le plaisir et le côté identitaire et social, car dans ma famille, à Pâques le plat traditionnel c’est de la viande. Refuser, c’est difficile. Et puis c’est tellement bon ! »

Ce qui favorise le changement Le changement pour être en cohérence avec soi-même Pour elle, la volonté de changer s’opère mieux si la cause du changement correspond à quelque chose qui fait déjà écho en soi. Dans son cas, l’intérêt qu’elle porte au végétarisme l’a poussée à s’interroger, habituée à consommer de la viande quotidiennement. « Mes parents achètent un cochon chaque année, l’abattent et le préparent. Même petite, je rejetais ça. Du coup, je réalise que je ne peux pas manger quelque chose alors que je suis contre la démarche. »

L’importance du temps dans le processus de changement Accordant une grande importance à la question du temps dans un processus de changements, elle précise son besoin de « laisser infuser » : « J’ai une copine végétarienne qui m’a parlé de sa démarche il y a des années. Je pense que ce serait mieux d’arrêter de manger de la viande et je ne le fais toujours pas ! »

S’informer et se former « Ma nouvelle étape, c’est de manger de la viande qui a été préparée et abattue de manière éthique. » C’est l’accès à cette possible information et l’existence d’un service de production éthique qui lui permet de modifier son comportement alimentaire. En 2011, investie dans la co-organisation d’événements à l’université, des débats en projections de films et documentaires, elle approfondit sa connaissance des enjeux écologiques. Elle observe son changement P.102


d’habitudes personnelles cheminer : « J’ai beaucoup plus appris avec mon militantisme que sur les bancs de la fac », ajoute Céline, précisant que le fait d’agir en collectif, d’organiser des projections de documentaires permet l’autoformation et le passage à l’action. « Il y a toujours un truc en plus à explorer pour aller plus loin. A fréquenter des gens qui m’ont apporté leur expertise, leur point de vue, je me suis « co construite », j’ai gardé des choses et j’en ai jetées. »

© Céline Parmeggiani

© Céline Parmeggiani

© Céline Parmeggiani

L’éducation populaire est aussi un outil supplémentaire et nécessaire pour développer ses compétences, notamment avec la SCOP le Pavé9, avec qui elle a suivi deux formations. Ces volontés d’évoluer et de participer à une consommation responsable et cohérente sont grandement liées, selon elle, au développement de connaissances acquises à travers ses expériences professionnelles et militantes, et aussi via les réseaux sociaux : « ce que j’apprends par le biais du militantisme ou du travail, ça me permet d’évoluer. »

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http://www.scoplepave.org/ P.103


Regards croisĂŠs sur le changement

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Qui se cache derrière le Laboratoire d’Idées et d’Actions ? Les membres actifs Christophe DEMARQUE, Aix-Marseille Université (AMU), Maître de Conférences en Psychologie sociale et du travail Michel FLORO, Ecole Supérieure de Professorat et d’Éducation (ESPE) d’Aix-Marseille Université (AMU), Maitre de Conférences ; Observatoire des Quartiers Sud de Marseille Patrick HAMARD, Atelier des Ormeaux à Manosque, coordinateur Mathieu LEBORGNE, Sociologue Juliette LOQUET, Agence Locale pour la Transition Energétique (ALTE), chargée de communication et d’animation

Les participants ponctuels Christophe CASTANO, Agence Locale pour la Transition Energétique (ALTE), chargée de mission Kevin DINNAT, Atelier des Ormeaux, employé espaces verts Arno FOULON, Energie Partagée, animateur réseau régional Provence-Alpes- Côte d’Azur Laurène GIULIANI, FNE 13, chargée de mission Jean-Marie GLEIZES, Administrateur FNE PACA Fabien GIRANDOLA, AMU, enseignant chercheur en psychologie sociale Gregory LO MONACO, AMU, enseignant chercheur en psychologie sociale Jacky MARCHAND, Lycée des Iscles, infirmière Melenn MAUPU, ALEC, conseillère énergie Michèle PONCET-RAMADE, neurologue Justine PONCET, FNE 04, chargée de mission, animatrice réseau Montagne Provence-Alpes-Côte d’Azur Joseph WOLFERS, FNE PACA, directeur-adjoint

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L’apport du Laboratoire d’Idées et d’Action Expérience de réflexion transversale et transdisciplinaire, le Laboratoire d’Idées et d’Actions pose un certain regard sur le changement de comportements pour la transition énergétique. Pour les membres du « Labo », la transition énergétique doit combiner prise en compte des enjeux environnementaux et réaffirmation des liens entre les individus, d’équité et de justice sociale. A partir d’enseignements tirés des contributions, ce texte fait état d’une réflexion collective ; nous espérons qu’il constitue un apport aux interrogations que pose le changement de comportement vers la transition. Les expériences recueillies dans cette publication sont riches d’une grande diversité sur de nombreux aspects : les champs d’actions des projets, le public visé, le territoire considéré ou encore le parcours du porteur de projet. Que nous disent ces expériences des moyens d’accompagner le changement de comportements individuel, essentiel à la transition énergétique ? Quelles peuvent être les clés d’action ? Dans quelle direction le changement doit-il aller ? Pour le Labo, il n’existe pas de méthode « miracle » qui permettrait d’un coup de baguette magique d’initier un changement de comportements en faveur de la transition énergétique. Toutefois, à la lumière des expériences recueillies, certains leviers nous sont apparus primordiaux pour accompagner au changement. Il existe des clés dans le montage d’un projet pour accompagner le changement citoyen à un niveau individuel (Partie 1). Toutefois, le changement individuel implique une dynamique politique et collective (Partie 2).

Mobiliser le citoyen au niveau individuel Changer son mode de vie, sa manière de se déplacer, de s’alimenter, de se vêtir, de se chauffer ne se fait pas en un jour sous l’effet d’une action unique de sensibilisation. Le changement, dans quelque domaine que ce soit, nécessite de nombreuses étapes qui sont fonction de chaque individu, de la motivation au changement, des habitudes, etc. Ainsi, le changement est un processus non-linéaire. Il est la somme d’une suite d’étapes faite de retours en arrières, d’oppositions, d’ambivalences qu’il est pertinent d’explorer. A travers les contributions regroupées dans cette publication, le Labo entrevoit un cheminement de l’implication citoyenne. Ce parcours a pour point de départ le besoin du citoyen, l’état de ses questionnements et ses motivations à changer. La mise en œuvre du projet permet d’accompagner le citoyen à l’étape suivante de l’implication. Ainsi, un projet qui porte sur l’accompagnement au changement de pratiques doit venir proposer des solutions à des problèmes concrets que nous rencontrons au quotidien. Chacun des points abordés ci-dessous cherche à répondre à un besoin et à un état d’esprit du citoyen.

Cohérence et information : les deux pilliers d’un projet P.106


La cohérence Si, l’incohérence saute aux yeux, la cohérence, elle, ne se voit pas. D’après le Labo, être cohérent c’est mettre en adéquation les valeurs et les objectifs de l’action, les objectifs de l’action et les moyens, et enfin, les valeurs du projet avec le discours tenu, c’est-à-dire les messages transmis par le projet. La cohérence est un élément essentiel de la crédibilité d’un projet. Il ne s’agit pas d’être exemplaire en tout point mais de tenter d’être le plus en adéquation possible avec les valeurs défendues à la fois dans ce qui est fait et dans ce qui est dit dans l’initiative. Un élément de discours qui apparaît illogique, une action qui sonne faux au regard des valeurs défendues, au-delà de la question éthique de la cohérence, représente un risque de désaffection du public, qui ne croit plus au projet. AU MAQUIS, association d’éducation populaire qui développe des actions « pour semer des graines de changement », exprime bien l’importance de la cohérence pour la crédibilité du projet : « Si on ne porte pas nous-mêmes la manière de fonctionner qu’on aime, avec les valeurs que l’on défend, comment peut-on dire aux autres de faire ce que l’on incarne pas ? » L’association a eu à faire face à des propositions de projets se voulant participatifs, dont l’objectif est de faire avec les habitants d’un quartier, et dont la genèse est pourtant pensée en dehors des personnes concernées (habitants, élèves, etc.). Pour l’équipe d’AU MAQUIS, cette approche ne peut permettre un résultat « participatif » et ils refusent alors de s’engager dans le projet. Plus facile à dire qu’à faire, direz-vous ? La cohérence est un fil rouge pour le Labo. Parfois, le projet ou la personne s’en éloigne, mais elle est un guide pour se raccrocher aux objectifs et aux valeurs de l’action engagée.

L’information et la transparence Une initiative qui tend à bousculer le mode de vie des citoyens doit construire sa légitimité, par la transparence des informations (Qui gère la structure ? De quelle manière ? Qui finance ? En tant que citoyen, quel est mon rôle sur l’action ? Comment puis-je agir ?) et par l’écoute. Des informations claires sont une première étape pour abaisser les barrières rencontrées lorsqu’un projet nouveau est présenté. La visibilité et la pertinence des informations, la communication autour du projet permettent de répondre aux interrogations du public visé. L’association SEVE - LA ROUE s’est saisie de l’importance de l’information. Pour présenter La Roue, monnaie locale en Provence, l’association se rend dans différents événements, participe à des échanges, des débats, des festivals de cinéma afin d’informer et de sensibiliser les citoyens. De plus, il s’agit de partir des problématiques, des besoins des citoyens, dans une démarche ascendante d’informations. Sandrine COSSERAT, Maire de Volonne, s’appuie sur la démocratie participative pour penser l’éco-quartier en construction avec les habitants. En expliquant les différents termes, en partageant l’information, elle remarque que l’adhésion au projet augmente, y compris chez ceux qui y étaient réticents au début.

Trouver la bonne clé d’entrée pour aborder la transition énergétique Offrir un service positif, donner envie

La sensibilisation environnementale basée sur une communication très culpabilisante qui juge les effets P.107


de tel ou tel comportement (« ça pollue », « vous détruisez la planète ») a eu son intérêt pour porter à la connaissance du grand public la question des enjeux environnementaux. Toutefois, pour amener le changement effectif des comportements, elle apparait aujourd’hui limitée. Ainsi, c’est l’une des observations du Labo, les approches centrées sur les bénéfices à agir, le plaisir, le bien-être, permettent une implication du citoyen qui ne soit pas vécue comme un sacrifice. Il s’agit de proposer un service positif c’est-à-dire ne pas voir le « moins » (moins de biens, de chauffage, de viande par exemple) mais le « mieux » (plus de confort, une meilleure isolation, une meilleure santé). Le service positif permet de répondre à un besoin du citoyen, il lui offre la possibilité de percevoir réellement les bénéfices de son action. Gil DOAT de l’entreprise BOUCLETIK propose aux collectivités et aux entreprises d’accompagner la mise en place d’une stratégie de développement durable au sein de leur organisation. Pour les entreprises accompagnées, l’aide à la réduction des coûts de transports permet de réduire la pression économique qui pèse sur l’entreprise. Cela les incite d’autant à s’engager pour la transition.

Partir de "ce qui parle à chacun" L’idée de « transition énergétique » est perçue par une majorité du grand public comme une notion très technique, floue et peu compréhensible. De plus, pour la simplifier, elle est souvent réduite à la production d’électricité. Or, l’énergie entre en jeu dans tous les domaines de notre vie quotidienne. Plutôt que d’évoquer frontalement la transition, il s’agit d’abord de comprendre le rapport de l’autre à l’énergie, son mode de vie et de parler de ce que nous connaissons dans notre vie quotidienne. La complexité et la simplification rendent difficile l’appropriation individuelle de la notion et entravent alors la volonté de changement Ainsi, au lieu d’utiliser des termes vagues et techniques comme le développement durable ou la transition énergétique, l’alimentation, la santé, la convivialité, le plaisir, le bien-être sont des clés d’entrée efficaces pour accompagner au changement. Pour Jean-Christophe ROBERT, créateur de FILIÈRE PAYSANNE, il s’agit de « changer le monde en partant de l’assiette ». De plus, « avec l’acte alimentaire, on conditionne des choses beaucoup plus globales : la façon dont on pense, dont on fonctionne, dont on construit le monde dans lequel on vit. […] cet enjeu alimentaire est presque un prétexte à faire évoluer une globalité ». En proposant un approvisionnement en produits locaux, éco-responsables et le plus accessible possible financièrement, l’initiative contribue à favoriser une économie locale respectueuse de l’environnement qui participe elle-même d’une réduction de la dépense énergétique (transports, conditionnement, etc.) : la boucle est bouclée.

Question clé numéro 1 > Penser la transition positivement

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L’action s’inscrit-elle dans le quotidien du public ? Comment la transition énergétique est-elle abordée ? Par quelles clés d’entrée ? De quelle manière le projet peut-il améliorer la vie des participants ? Quels bénéfices le public peut-il tirer du projet ?

Pouvoir s’exprimer Ecoute, empathie P.108

Faire preuve d’empathie, écouter autrui sans jugement ni préconception, permet de comprendre les


motivations profondes de l’autre à changer et d’envisager d’agir sur celles-ci. Sans espace de parole libre, il n’y a pas de compréhension, pas de dialogue possible et donc pas de changement envisageable. L’écoute empathique permet de se mettre à la place d’autrui, de comprendre ses motivations et ses résistances au changement et donc de l’accompagner vers le changement désiré. Cette approche a permis d’instaurer un véritable dialogue au sein du Labo, qui a pourtant rassemblé des personnes d’horizons très divers.

Permettre l’opposition pour faire grandir le projet et laisser chacun exprimer ses motivations à changer Le projet doit permettre l’opposition, lui laisser la place de s’exprimer, qu’elle provienne du public visé, de l’équipe projet ou encore de partenaires, notamment car elle est source de créations. De plus, une action qui touche au changement de comportements nous place nécessairement face à nos propres ambivalences et contradictions qu’il faut parvenir à surmonter. Dans la vie d’un projet, des désaccords sont forcément rencontrés. L’opposition fait partie du changement. En effet, changer ses habitudes, ses pratiques, ou son mode de vie amène des résistances. Consommer local, changer de fournisseur d’électricité, réparer son électroménager, réduire les émissions de CO2 des transporteurs… ces actions viennent se heurter à des comportements pratiqués parfois depuis des années (« on a toujours fait ainsi », « c’est trop cher de manger bio », « trop compliqué de changer de fournisseur ») et provoquent donc des oppositions qui peuvent être violentes. Or, face à une opposition, une réponse lancée sur le même ton persuasif et se plaçant en opposition ne mènera vraisemblablement qu’à un conflit stérile argument/contre-argument. Il s’agit donc d’organiser le conflit. Comment et pourquoi permettre cette opposition ? La technique de l’Entretien Motivationnel présentée par Patrick HAMARD, coordinateur de l’Atelier et Chantier d’Insertion L’Atelier des Ormeaux et membre du Labo, nous livre quelques clés de réponse. Il s’agit d’« inviter le sujet à prendre en considération de nouveaux points de vue » et d’apprendre à « rouler avec la résistance » c’est-à-dire, non pas s’opposer mais écouter, comprendre et amener à envisager d’autres solutions. Cette approche implique de ne pas juger, d’accepter les avis divergents et de prendre sur soi. Le Labo en est convaincu : elle vous emmènera beaucoup plus loin qu’une dispute stérile et, surtout, elle permet au citoyen en transition de faire un pas de plus vers le changement.

Cas pratique numéro 1 i

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> Accompagner au changement... dans un diner de famille

Un banal dîner en famille. La conversation dérive de la météo (« désastreuse cette année », « beaucoup plus froide ») au changement climatique (« il n’y a plus de saisons »). L’un des convives, Jean, votre oncle, invective le gouvernement, affirme que le changement climatique n’existe pas et que la nature « a toujours su gérer les choses ». Il ajoute que, quand bien même, il y existerait un problème de changement climatique qui soit d’origine humaine « ce n’est pas lui, à sa petite échelle qui va changer les choses. » Vous n’êtes pas d’accord, et aimeriez amener l’oncle Jean à changer de position. Plutôt que de risquer de ruiner le dîner et de s’aliéner une partie de sa famille qui aurait préféré éviter le débat en réagissant au quart de tour, pourquoi ne pas changer d’angle d’attaque ? Essayez : respirez un grand coup et, dans un premier temps, écoutez les remarques de l’oncle Jean. Il s’agit de comprendre ses résistances au changement, ses freins. Dans un second temps, interrogez-le sur celles-ci, ainsi que sur ses motivations afin de l’amener à considérer un autre point de vue. Vous ne convaincrez sans doute pas votre famille immédiatement mais vous poserez les jalons d’une réflexion (et éviterez un conflit familial majeur au passage). P.109


De plus l’opposition peut être source de création et de renouvellement dans un projet. Le Labo considère qu’il est impossible de maîtriser totalement le processus de changement. L’état initial d’une situation est appréhendable mais les étapes intermédiaires et le résultat final du changement désiré demeurent flous. Dans ce processus, l’opposition a sa place car elle permet de faire évoluer le projet, elle est une force motrice de création et d’innovation. La discussion prévue, gérée et organisée autour de points de vue divergents permet l’émergence d’idées nouvelles. Elle provoque la recherche d’une autre solution, fruit des échanges, d’une « troisième voie » qui n’aurait pas été envisagée sans intégration de l’opposition.

Cas pratique numéro 2

> La chimie à la rescousse de la transition Prenez du chlore, élément chimique toxique et dangereux sous sa forme de gaz. Ajoutez du sodium, un métal alcalin dangereux car il est explosif au contact avec l’eau. Mélangez ces deux composés chimiques très dangereux. Qu’obtient-on ? Une super réaction chimique explosive ? En réalité, l’alliance de ces deux éléments permet d’obtenir quelque chose d’inoffensif et même d’essentiel au fonctionnement du corps humain : le chlorure de sodium, en d’autres termes du sel de table. L’issue de cette rencontre chimique, de ce changement, était incertaine, pourtant, quelque chose de positif en est sorti. De même, l’issue du processus de transition n’est pas maîtrisable. En revanche, intégrer des forces et des avis contraires peut permettre de créer quelque chose de neuf et de positif.

Passer à l’action Scier, semer, planter, participer à l’organisation d’une soirée cinéma, cuisiner... autant d’actions concrètes qui permettent de se sentir pleinement impliqué dans un projet. Les expériences régionales présentées nous apprennent à mêler dans un même temps l’action et la réflexion. AU MAQUIS cherche précisément à casser ces frontières entre l’aptitude intellectuelle et manuelle. Dans cette optique, jardiner, bricoler, cuisiner, sont des activités qui servent de support à l’échange et au changement de comportement. Des conversations se nouent autour d’actions concrètes, comme dans le cas de réparation d’électroménager lors d’un Repair Café, à la fois entre des personnes qui ne se seraient pas parlées sans le support de l’action et sur des sujets qui n’auraient pas été abordés autrement. De plus, l’action engage dans le changement. Le Laboratoire de Psychologie Sociale de l’Université d’Aix-Marseille nous enseigne que des actes concrets peu coûteux pour le public (en termes de temps, d’énergie ou de dépenses économiques) peuvent être un premier pas vers l’engagement. Ainsi, lors d’un événement de quartier, la signature par les visiteurs d’un bulletin d’engagement à effectuer un geste pour l’environnement constitue un « acte préparatoire », qui pose les jalons, dans le cadre d’une campagne de communication plus large, d’un changement plus structurant.

Cas pratique numéro 3

> Une réunion qui ne dit pas son nom P.110

Plutôt qu’une réunion classique (quelques tables, des chaises, une petite salle mal éclairée, un animateur qui guide la réunion et les autres qui écoutent silencieusement), pourquoi ne pas envisager un autre format de rencontre ?


Il est possible de discuter de l’actualité et de l’avenir d’une structure ou d’une action tout en jardinant ou en cuisinant, ou, a minima, en proposant un atelier manuel à la suite de la rencontre. Le travail manuel permet d’impliquer directement les participants dans le projet et d’installer un climat de confiance propice à l’échange. Enfin, cela peut permettre la réalisation d’actes engageants : planter une fleur qui symbolise l’engagement dans le jardin, signer une charte qui sera affichée à l’entrée du lieu, etc. Au minimum, penser à un petit quelque chose à boire et à manger pour clôturer la réunion

La convivialité au coeur des projets de transition énergétique En réponse à la consommation et à l’individualisme, les projets qui œuvrent pour la transition énergétique proposent un modèle de société fait de moments conviviaux, de fêtes, de repas partagés et d’échanges. Pour le Labo, la transition énergétique doit permettre de re-solidariser les individus entre eux (diminuer les intermédiaires, privilégier les échanges directs, partager, donner). Il nous appartient que la transition énergétique nous oriente vers plus de liens. La convivialité intervient à de nombreux niveaux dans le changement : - Elle permet l’émergence de projets et favorise l’émulation et donc la création : qui n’a jamais rêvé de changer le monde autour d’un bon repas entre amis ? - Elle est l’occasion de partager sur le sens et la nécessité du changement : la relation à l’autre, la dynamique collective (la comparaison, l’exemple de l’autre) font apparaître le changement comme possible et même souhaitable. - Elle incite au changement : le changement de pratiques (habitudes alimentaires, consommations énergétiques, etc.) est facilité au sein d’un groupe dont les normes en vigueur sont celles d’un cheminement vers la transition énergétique. La contrainte sociale pèse davantage sur les participants. Qu’elle soit envisagée ou non dès l’origine du projet, la convivialité est une clé de réussite, le Labo en est persuadé. Ainsi, dans les expériences rassemblées dans cette publication, elle répond au besoin de lien social des individus. Le REPAIR CAFÉ, qui met en relation des personnes qui ont un objet à réparer et des réparateurs lors d’ateliers, est exemplaire en la matière. Les participants ne perçoivent pas la démarche du REPAIR CAFÉ comme une activité « écolo» mais comme une forme d’entraide, un retour à une forme « du bon vieux temps » où « l’on savait réparer les choses », où les objets avaient « encore » une valeur pour les consommateurs. David BOURGUIGNON, co-fondateur du REPAIR CAFÉ Marseille explique que : « ce qui attire, c’est le côté pratique, on répond à un problème concret, et à un besoin d’entraide […] La satisfaction des participants repose ainsi beaucoup sur la convivialité de l’atelier et la rencontre, au-delà du fait de repartir avec un objet réparé. » Ainsi, la convivialité participe d’un projet, elle n’est pas le seul but, mais elle est toujours recherchée et peut même représenter le moteur d’un projet de transition énergétique. La convivialité, le lien social, sont à envisager dans tout projet qui touche au changement de comportement individuel vers la transition énergétique. Pour le Labo, il est absolument essentiel de « ne pas oublier l’humain » dans la transition énergétique. Le changement ne se fera pas par la seule technologie, l’engagement des citoyens est primordial. Or, pour réaliser cet engagement, nous devons y trouver un épanouissement facilité par une plus grande convivialité dans les actions menées.

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Question clé numéro 2 > La convivialité

• Un lieu pour se rencontrer a-t-il été envisagé dans le projet ? • Des espaces de dialogue et d’échanges ont-ils été pensés (café, discussion au comptoir, à la caisse) • Des événements conviviaux sont-ils prévus régulièrement ? • Comment le lien social est-il envisagé dans l’ensemble du projet ? • Une attention est-elle donnée à ce qui peut ternir les relations (posture de chef, absence de dialogue, etc.) ?

Impliquer l’ensemble des acteurs du changement Le travail réalisé dans ce « Petit manuel » vise à éclairer l’accompagnement au changement de comportements des individus vers la transition énergétique. Au regard des contributions, le Labo s’est étonné que nombre des freins mis en évidence par les porteurs de projet ne sont pas uniquement du ressort des citoyens, au niveau individuel, mais interviennent à une échelle plus vaste. Les problématiques soulevées relèvent d’interactions sociales au niveau du groupe, de la collectivité, elles interrogent les politiques publiques, le cadre réglementaire, ou encore le financement des projets. Ainsi, les initiatives qui agissent en faveur du changement de comportement individuel posent la question de l’implication des différentes échelles (groupe, collectivité, volonté politique, etc.). Si le changement individuel est essentiel pour aller vers une transition énergétique, il apparaît qu’un changement collectif, structurel, plus large est tout autant nécessaire.

Penser la transition énergétique dans sa globalité Dans ce « Petit manuel », le choix d’initiatives régionales très variées s’explique par la vision large de l’énergie et de la transition énergétique que porte le Labo. De plus, pour ses membres, la transition énergétique ne signifie pas simplement de penser le remplacement de nos sources d’énergies fossiles par des énergies renouvelables, ni de s’attacher à limiter la production et la consommation d’électricité, mais bien d’aller vers une plus grande sobriété dans notre consommation d’énergie. Seul cet usage conscient, parcimonieux et socialement acceptable de l’énergie dans toutes ses implications (transports, alimentation, logement, déchets, etc.) peut nous permettre de réussir la transition énergétique. De plus, comme vu plus haut, l’approche sectorielle par la consommation d’électricité, l’alimentation, la santé, les transports, etc., permet d’aborder la transition énergétique en axant sur ce qui est le plus pertinent pour son public, sur ce qui touche à son quotidien. Cette approche doit permettre de faciliter un changement sur l’ensemble des domaines qui touchent à la transition et donc à notre cadre de vie habituel. Une telle démarche permet d’entrer en douceur dans la transition mais elle offre surtout la possibilité d’aborder toutes les autres thématiques de la transition. Si une action vise à diminuer la consommation d’électricité dans le logement, alors l’initiative doit aussi être le prétexte à agir sur d’autres domaines (alimentation, transport, emploi, lien social, etc.) de la transition. Il nous faut mettre en œuvre l’approche par thématiques pour aborder plus globalement la transition énergétique. P.112


Comprendre le changement dans toute sa complexité Etre souple et adaptable pour compenser l’imprévisibilité ? Si structurer et organiser un projet est essentiel pour le développer et le présenter à des financeurs potentiels, une certaine souplesse doit être conservée. En effet, le changement ne va pas nécessairement être celui imaginé lors de la genèse du projet. Entre l’écriture d’un projet et sa mise en œuvre avec le public, de nombreux ajustements sont nécessaires. Or, si les limites et les étapes fixées à la définition du projet sont trop rigides, une adaptation sera difficile. De plus, un projet dont les étapes sont interdépendantes est davantage risqué, car si l’une des étapes échoue (manque de mobilisation du public, méthode inadaptée, manque de communication, etc.), c’est tout le projet qui s’effondre. Pour anticiper ces revirements, plusieurs solutions sont apparues envisageables au Labo. Dans l’écriture du projet, il est d’abord possible de définir des zones d’incertitude, c’est-à-dire des actions, des domaines, sur lesquels il n’est pas certain que le projet fonctionne comme prévu. Les limites du projet sont ainsi davantage extensibles et contraignent moins. Une autre possibilité nous est enseignée par le principe des chartes et des marques. La Charte d’Energie Partagée est ainsi un guide suffisamment précis pour une démarche commune mais assez large pour laisser une marge de manœuvre localement et une appropriation du projet.

Envisager le temps spécifique du changement Le changement de comportement est un processus et non un événement ponctuel. Les membres du Labo constate que la temporalité du changement citoyen est différente des temporalités politiques et financières. D’une part, il est possible de modifier ses habitudes et ses pratiques sans pour autant être dans une véritable dynamique de changement. Par exemple, à la suite d’une campagne de sensibilisation sur les économies d’énergie, une famille peut prendre la décision d’éteindre tous les appareils électriques en veille et de réduire les consommations énergétiques de son logement. Dans le cas où, six mois après l’action, les appareils restent à nouveau en veille la nuit, on considère qu’il ne s’agissait pas d’un changement effectif de pratiques mais d’une modification temporaire de comportements. La modification de comportements n’est pas un indice suffisant pour parler de changement effectif : ce sont les pratiques sociales et familiales qui doivent évoluer à moyen et long terme. La distinction entre modification et changement tient ainsi à ce que le changement implique une évolution continue, globale et durable des pratiques, une réflexion permanente sur les moyens d’atteindre la transition énergétique. Le Labo veut pointer ici toute la difficulté des projets qui visent réellement un changement pérenne des comportements pour la transition énergétique. L’action doit se dérouler sur le moyen ou le long terme pour s’assurer de son effet. De plus, le temps de l’engagement varie en fonction du degré d’implication du citoyen, des actions menées ; il est généralement long. L’accompagnement au changement, le montage d’un projet portent leurs fruits au bout de plusieurs années. Si le soutien institutionnel permet d’amorcer les premières phases d’accompagnement ; il doit pouvoir donner la possibilité d’aller jusqu’au bout du processus, d’assurer la continuité tout en laissant des marges d’adaptation pour le développement du projet, ainsi que des possibilités d’innovations.

La transition énergétique comme source d’innovation ? Encore trop souvent, la transition énergétique est perçue comme un retour en arrière : c’est le fameux « retour à la bougie » brandi par les détracteurs du changement. À travers les initiatives régionales présentées ici, nous remarquons au contraire que la transition est source d’inventivité car elle amène à penser autrement notre mode de vie. La transition nous pousse à proposer des innovations de natures diverses et pas

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uniquement techniques. Il faut alors faire vivre ces « inventions » à l’intérieur des territoires. La transition énergétique nous invite à réfléchir à de nouveaux moyens de s’organiser, de consommer, de construire. L’innovation se rencontre dans la gouvernance, telle la forme de coopérative d’ENERCOOP, elle intervient au niveau du concept lui-même, par exemple celui du REPAIR CAFÉ, de la méthode employée, comme la permaculture, ou encore socialement, en inventant de nouveaux métiers et de nouveaux modes de consommation, notamment l’AMAP étudiante à prix adaptés fondée par Céline PARMEGGIANI. Le mouvement vers la transition entraîne des modifications dans notre mode de vie qu’il serait dommageable de percevoir comme une restriction. Ainsi, consommer moins ne signifie pas supprimer tous les biens de consommation mais diminuer la surconsommation. La transition agit sur les excès de notre société, nous invitant à imaginer d’autres manières de voir et de faire. Enfin, il est important de rappeler que les innovations sont à adapter aux spécificités de chaque territoire et surtout, à faire vivre sur ces territoires, ce qui implique un temps d’adaptation. Toutefois, l’injonction à renouveler en permanence les méthodes et les concepts devient de plus en plus prégnante constate le Laboratoire d’Idées et d’Actions. Or, si les projets ont à peine eu le temps de se mettre en place, il parait contre-productif d’en changer, d’autant plus, si les méthodes engagées ont fait preuve d’efficacité. Cette injonction risque d’amener les personnes à l’initiative de projets de transition à s’épuiser à tenter de créer toujours plus de nouveauté. Des innovations perpétuelles sont extrêmement compliquées à mettre en œuvre et pour un résultat incertain : cela nous renvoie à la question du temps du changement, explicitée ci-dessus.

Des actions conjuguées de tous les acteurs pour aller vers le changement Les citoyens comme les personnes porteuses d’un projet ont besoin d’interlocuteurs fixes (associations, collectivités, entreprises, etc.) qui les accompagnent. Pour inscrire ce changement dans la durée, un accompagnement et un soutien de la puissance publique sont nécessaires sur le long terme.

La co-construction des projets Pour le Labo, le changement doit être impulsé par tous les acteurs de la transition : citoyens, associations, entreprises, pouvoirs publics. Cette action conjointe peut s’incarner dans une démarche de co-construction des projets. En amont et durant toute la durée de son action, l’initiateur de projet doit ainsi tenter de rassembler autour de son projet les citoyens, les entreprises, les associations et les collectivités de son territoire. Cette approche augmente les chances d’acceptabilité du projet (la capacité à être acceptée et appropriée par le public) et la réussite même du projet puisque les oppositions sont anticipées. Elle permet surtout d’intéresser à son projet, de bénéficier du point de vue de chaque acteur et de pouvoir faire grandir le projet dans ce cadre. L’association AU MAQUIS élabore ses actions dans cette optique : le Café Villageois se tient sur un terrain municipal et la programmation est élaborée avec des habitants de la commune de Lauris (84) et des associations ; les jardins partagés ont été créés avec des centres sociaux et des habitants, parfois la commune.

Le rôle fondamental de la puissance publique dans le changement

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L’énergie des porteurs de projets fait beaucoup mais elle n’est pas suffisante à elle seule pour permettre un changement de comportements qui réponde aux enjeux de la transition énergétique. La décision politique (soutien politique, logistique et financier au projet, action réglementaire) est un échelon essentiel dans l’accompagnement au changement de comportements des citoyens. Les collectivités territoriales peuvent intervenir de différentes manières pour accompagner les initiatives. D’abord, les collectivités territoriales peuvent apporter un soutien politique en reconnaissant la pertinence de l’initiative. Cet appui permet, d’une part, une visibilité accrue de l’initiative auprès du public, ce que


l’éco-constructeur Rémy CARRODANO réclame notamment. D’autre part, le simple fait de soutenir publiquement une initiative renforce son poids et lui donne un crédit de confiance. Par exemple, Bruno MONTEL de l’association SEVE-LA ROUE explique que si la Roue était soutenue par davantage de communes, les commerçants et les consommateurs s’en saisiraient davantage car ils seraient rassurés et confiants dans le projet. Le soutien peut également se matérialiser par une aide logistique, en mettant à disposition un local pour les réunions, ou en proposant un espace pour le projet, et par une aide financière durable pour le lancement et le maintien de l’action. Plus fondamentalement, les collectivités peuvent être à l’origine d’une démarche de changement, comme la mairie de Volonne qui a engagé la transition sur un quartier de la ville, ou intervenir de manière volontariste à d’autres niveaux : en privilégiant les circuits courts dans les cantines des écoles élémentaires et maternelles, en impulsant des projets urbains avec une plus-value environnementale, etc. Une collectivité qui s’engage dans le changement envoie un signal fort à l’ensemble du territoire. Les collectivités ont ainsi une importance notoire pour impulser de nouvelles pratiques par l’exemplarité de leur administration (isolation, réduction des déchets à la source, tri et recyclage, restauration collective respectueuse de la santé et de l’environnement, etc.). Enfin, les pouvoirs publics doivent créer les conditions pour aller vers la transition. Il leur faut poser le contexte favorable au changement qu’elles veulent voir sur leur territoire. A titre d’exemple, le projet d’une association qui s’intéresse à la qualité de l’air en ville et promeut les mobilités durables (vélo, marche à pied, transports en communs etc.) ne pourra aboutir que si des infrastructures, des moyens sont mis en place par les autorités compétentes. Dans cette optique, une collectivité qui crée des pistes cyclables envoie un signal incitatif à l’utilisation du vélo.

Repenser notre système éducatif ? Plusieurs contributions invitent à envisager un système éducatif différent. D’une part, il apparaît qu’un engagement du système scolaire français à mieux valoriser le travail manuel et les expériences concrètes est essentiel dans la transition. Les savoir-faire intellectuels et les connaissances abstraites sont les seuls reconnus à l’échelle de l’École. Ceux qui les maîtrisent trop peu ou pas du tout sont dirigés vers des filières courtes, techniques ou technologiques, jugés socialement moins valorisantes. Les savoir-faire manuels n’ont qu’une place résiduelle dans nos enseignements, or, nous l’avons vu, pour le changement, la réflexion doit se nourrir de l’action et vice-versa. Il faut parvenir à réduire le fossé qui s’est creusé entre les deux. De plus, ces savoirs intellectuels sont déconnectés des territoires comme l’explique les enseignants-chercheurs de l’ESPE d’Aix-Marseille. Par exemple, la géographie ou la géologie enseignée s’applique à tout le pays, ce qui est essentiel, mais il n’y a pas d’apprentissage spécifique ou d’adaptation locale (la vallée attenante à l’école, les spécificités du plateau local, les potentialités naturelles locales, etc.). La transition énergétique, elle, implique de trouver des solutions locales, territoriales et donc à replacer dans les lieux de vie les notions apprises de manière générale. Pour aller vers une transition énergétique efficace et socialement juste, le changement des comportements individuels, facilité par un certain nombre d’éléments mis en valeur ici, est essentiel. Toutefois, le travail du Laboratoire d’idées et d’Actions enseigne qu’une transition énergétique réussie ne peut se faire sans un contexte favorable, sans mettre en œuvre les conditions du changement qui se construisent à un niveau plus collectif (soutien public, services de transports en commun, de gestion des déchets, voiries, etc.). Pour le Labo, la transition ne pourra avoir lieu si les actions menées sont dispersées, réparties inégalement sur le territoire et dans le temps : une cohérence de l’ensemble des décisions est nécessaire.

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Glossaire

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A C

Acteur (social): personne physique ou morale qui peut agir dans l’espace social. L’acteur joue un rôle social c’est-à-dire que, dans une situation sociale précise, il se conduit en fonction des normes et valeurs intériorisées et du contexte vécu. Changement : passage d’un état à un autre, il est synonyme de modification et de transformation. Changement social : ensemble observable des mutations affectant tout ou partie des structures sociales et des comportements sociaux. (Jean ETIENNE, Françoise BLOESS, Jean-Pierre NORECK, Jean-Pierre ROUX, Dictionnaire de sociologie, 2005, Paris, Hatier) Changement climatique : La Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques, définit le changement climatique comme « les changements de climat attribués directement ou indirectement à une activité humaine altérant la composition de l’atmosphère mondiale et qui viennent s’ajouter à la variabilité naturelle du climat observée au cours de périodes comparables. » CCNUCC Changement de comportement : Le changement de comportement d’un individu est caractérisé par la modification d’une action et d’une façon de se comporter (Ajzen et Fishbein, 1980; cités dans Mc Cormack Brown, 1999a). Il s’agit d’un processus non-linéaire, cyclique et complexe. Comportement : ensemble de phénomènes observables de façon externe. Le comportement exprime une forme de représentation et de construction du monde (Bloch, Chemama & Depret, 1994, p.174) Intelligence territoriale : regroupement d’acteurs de terrain et création de réseaux, pour rendre une gouvernance territoriale plus équitable. Cet ensemble produit une stratégie qui permet une adaptation des solutions au territoire.

L N S P

Lien social : il rattache les individus et les groupes les uns aux autres et leur permet de vivre ensemble. Il peut s’agit de liens directs basés sur l’interconnaissance (lien conjugal, familial, relations amicales, relations de voisinage, etc.) ou de liens indirects tissés par la médiation d’institutions complexes (monde professionnel, associations, syndicats, partis, etc.) Normes : Modèles de conduite qui orientent le comportement des hommes en société. Il s’agit d’une obligation qui prescrit ou proscrit certains comportements. Son caractère obligatoire est justifié par la référence à des valeurs partagées par les membres du groupe. Sa violation induit des réactions de la part du groupe qui peuvent aller de la simple désapprobation jusqu’aux sanctions disciplinaires ou pénales. (Jean ETIENNE, Françoise BLOESS, Jean-Pierre NORECK, Jean-Pierre ROUX, Dictionnaire de sociologie). Socialisation : processus par lequel un individu intériorise les normes et les valeurs propres au groupe ou à la société dans lequel il vit. Projet : Dans le sens commun, le projet désigne « un but que l’on se propose d’atteindre », « ce qu’on a l’intention de faire et l’estimation des moyens nécessaires à la réalisation » et dans un troisième sens, un travail préparatoire. Le projet consiste en un ensemble d’activités comportant des dates de début et de fin, entrepris dans le but d’atteindre un objectif conforme à des exigences spécifiques. Le projet est aujourd’hui entré dans tous les domaines de notre vie (projet professionnel, pédagogique, personnel) Porteur de projet : personne à l’initiative d’un projet et qui suit les différentes étapes de sa création de la conception à la réalisation. Ce terme très générique a été ici utilisé pour désigner tous ceux qui ont mis en œuvre des actions.

T

Territoire : Le territoire est une organisation de l’espace terrestre par les hommes. La notion de territoire prend en compte l’espace géographique ainsi que les réalités politiques, économiques, sociales et culturelles. Il s’exprime par la relation forte que l’on entretient avec lui. (Claude Raffestin)

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Transition : Processus de transformation au cours duquel un système passe d’un régime d’équilibre à un autre » Bourg D. Papaux A. (dir.), Dictionnaire de la pensée écologique, article Transition, 2015 Transition énergétique : La transition énergétique désigne le passage d’un système énergétique qui repose essentiellement sur l’utilisation des énergies fossiles, épuisables et émettrices de gaz à effet de serre (que sont le pétrole, le charbon et le gaz), vers un bouquet énergétique donnant la part belle aux énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique. Dans ce document la définition de la transition énergétique est conforme à la démarche de l’association negaWatt qui part du principe que l’énergie la moins polluante est celle qu’on ne consomme/produit pas. « La transition énergétique consiste d’abord à réduire les besoins par la sobriété dans les usages individuels et collectifs de l’énergie (réduire les emballages, éteindre les vitrines des magasins ou des bureaux la nuit, limiter l’étalement urbain, etc.). L’efficacité permet ensuite de diminuer la quantité d’énergie nécessaire à la satisfaction de ces besoins (isoler les bâtiments, améliorer les rendements des appareils électriques). La priorité peut enfin être donnée aux énergies renouvelables qui peuvent remplacer progressivement les énergies fossiles et nucléaire. »

V

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Valeurs : idéaux collectifs qui définissent dans une société les critères du désirable (ce qui est beau et laid, juste, injuste, acceptable ou inacceptable). (Jean ETIENNE, Françoise BLOESS, Jean-Pierre NORECK, Jean-Pierre ROUX, Dictionnaire de sociologie) Elles orientent d’une manière diffuse l’activité des individus en leur fournissant un ensemble de références idéales (Dictionnaire critique de la sociologie, Raymond BOUDON, François BOURRICAUD, Paris, 1982, PUF)


Bibliographie

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ARTICLES ACCABAT Aurélie, LAURENTI Vanessa, « Sensibilisation du grand public à l’environnement, comment mieux comprendre les individus ? », Présentation lors des 9èmes rencontres régionales d’éducation à l’environnement en Languedoc-Roussillon, 2008 ALEC, Accompagner le changement, de la théorie à la pratique, Les dossiers de l’ALEC, décembre 2011, n°9 GIRANDOLA Fabien, JOULE Robert-Vincent, « La communication engageante », Revue électronique de Psychologie Sociale, n°2, 2008, pp41-51 JOULE Robert-Vincent, HALIMI-FALKOWICZ Séverine, MASCLE Christelle, « Psychologie sociale et demandes sociales : de la communication persuasive à la communication engageante », Faire Savoirs n°9, décembre 2010, pp65-73 MANG-JOUBERT Lara, « Produits et matériaux sains : l’impact des ateliers Nesting de WECF dans l’accompagnement aux changements de comportements des participants », Les chantiers Leroy Merlin, Source n°3, 2013 NATURE HUMAINE, « Quatre stratégies pour lever les résistances », Nature Humaine, La lettre n° 12, janvier 2014 NATURE HUMAINE, « L’écologie et les émotions », Nature Humaine, La lettre n°14, juillet 2014 NATURE HUMAINE, « La dynamique humaine du changement au cœur de vos stratégies d’actions (1ère partie) », Nature Humaine, La lettre n°15, janvier 2015 NATURE HUMAINE, « La dynamique humaine du changement au cœur de vos stratégies d’actions (2ème partie) », Nature Humaine, La lettre n°16, Avril 2015 MILLENAIRE (Centre de Ressources Prospectives du Grand Lyon), « Ecologie, de la sensibilisation aux changements de comportement », décembre 2009 MORMONT Marc, Pour une théorie de l’agir environnemental, Université de Liège, 2ème colloque international pluridisciplinaire EcoCitoyenneté, Marseille 9-10 novembre 2006

RAPPORTS, GUIDES ADEME, Changer les comportements, Faire évoluer les pratiques sociales vers plus de durabilité, septembre 2016 Centre Permanent d’Initiatives pour l’Environnement (CPIE), Aix-Marseille Université, Sensibiliser pour engager, guide méthodologique et pratique, décembre 2014 P.120


Groupe régional d’experts sur le climat en Provence-Alpes-Côte d’Azur (GREC-PACA), PACA, une région face au changement climatique, juin 2015 HAMON Viviane, Cécile CLOZEL, REGION PACA, « Etude sur l’évolution du secteur de l’information, la sensibilisation et l’éducation à l’environnement et au développement durable vers l’écocitoyenneté en région Provence-Alpes-Côte d’Azur », Rapport final-synthèse de la mission, décembre 2013

OUVRAGES BOUDON Raymond, BOURRICAUD François, Dictionnaire critique de la sociologie, Paris, 1982, PUF BOURG Dominique, PAPAUX Aurélien. (dir.), Dictionnaire de la pensée écologique, article Transition, 2015 ETIENNE Jean, BLOESS Françoise, NORECK Jean-Pierre, ROUX Jean-Pierre, Dictionnaire de sociologie, Hatier Paris, 2005, 3e édition HOPKINS Rob, Manuel de la transition, 2010, Ecosociété

SITOGRAPHIE •

Association Negawatt : https://negawatt.org/

• http://www.vie-publique.fr/ •

Site de la CCNUCC : http://newsroom.unfccc.int/

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Annexe

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GUIDE D’ANALYSE D’EXPÉRIENCES RÉGIONALES POUR LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE QUESTIONS INTRODUCTIVES Résumé de l’expérience proposée • Qui porte le projet ? • Contexte : à quel besoin le projet répond-il? • Quels publics sont ciblés et pourquoi ? • Quels territoires sont concernés par le projet ? • Sur le changement :

o Quelle était la place du « changement de comportement* » des publics cibles dans le projet ? o Ce sujet du changement est-il initialement prévu dans le projet ? apparaît-il dans les objectifs ? Dans les moyens ? Est il observé au cours du projet, en constat etc.. ?

APPROPRIATION DE L’ACTION PAR LE PUBLIC DESIR 1. Dans le projet, le changement de comportement est-il un besoin/désir du public ? Si oui, pourquoi le public a t-il eu recours à un porteur de projet ? SANCTIONS 2. Tel projet présente t-il des sanctions pour amener au changement ? La contrainte accélère ou ralentit-elle le changement? Si oui, lesquelles ?

BENEFICES/RECOMPENSES

3. Le projet présente t-il des récompenses pour amener au changement/ qui ont amené au changement ? 4. Le projet propose t-il des bénéfices à changer ? Implicites ou explicites ?

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5. Le bénéfice au changement était il uniquement individuel, touchait-il un cercle intime ? a. Touchait-il plus l’intérêt général ? 6. Ces niveaux de bénéfice étaient ils affichés auprès du public cible ?

LIBRE ARBITRE

7. Si le public a « changé », qu’est-ce qui a permis que la personne se soit sentie libre dans le changement proposé/acté…? b. Est ce parce que le projet était adapté sur la forme et sur le fond au public concerné ? Sinon, qu’est ce qui n’était pas adapté ? ECOUTE/RESPECT 8. La question de l’écoute : « Sommes-nous vraiment à l’écoute de la demande et des besoins de la personne ? De ses freins ? De ses moteurs ? De sa vision des choses ? Peut-on apprendre, améliorer notre écoute pour mieux comprendre notre public et l’aider à évoluer de manière plus efficace et pérenne ? Car comment entendre la demande, les freins, les moteurs et la capacité à changer des publics cibles si l’on n’est pas en mesure de les écouter ? » réflexions tirées de l’Enquête “enjeux écologiques et facteurs humains en Rhône-Alpes” Prise en compte par les acteurs de l’environnement des causes sociologiques, psychologiques et culturelles de la crise écologique, et des freins et moteurs au changement des comportements. La lettre Nature Humaine, 2010 9. Le projet intègre t-il le respect du destinataire ? (pas de moralisation, de mi vérité, de culpabilité, menaces etc.)

PRISE EN COMPTE DU PARTAGE PAR TOUS LES PUBLICS

PRISE EN COMPTE DE CRITERES SOCIAUX, CULTURELS

10. Le projet prévoit-il d’être confronté à des réactions, attitudes, critiques différentes et à une remise en question permettant une meilleure adaptabilité ? 11. Dans ce projet, l’accès au changement demande t-il des moyens financiers, intellectuels, culturels ? Est ce que tous les groupes sociaux peuvent participer? 12. Le projet vise t-il un changement de comportement du public par le biais de différents angles (prise en compte de sa connaissance du sujet, horizons sociaux, culturels etc.) ?

INTELLIGENCE TERRITORIALE

13. L’intelligence territoriale fait-elle partie de la construction du projet ? Si oui, est-elle un levier au changement.

c. Le projet permet-il le respect des avis différents ? permet-il la critique, la contradiction ?

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i. Si oui, ces prises en comptes facilitent-elles, encouragent-elles le passage au changement ?


PARTICIPATION DU PUBLIC

14. La participation active du public est-elle bien prise en compte dans le projet? 15. Le public est-il simple « récepteur »/passif ?

DURABILITE DU PROJET 16. A-t-il été prévu dans la conception du projet la possible évaluation de la durabilité du changement obtenu/ réalisé ?

CHANGEMENT D’ETAT D’ESPRIT

17. En quoi le changement de comportement qui a été visé/ciblé s’est-il accompagné d’un changement d’état d’esprit / de représentation vis-à-vis du projet / de l’enjeu ?

VISION GLOBALE

18. Comment l’action concilie-t-elle l’intérêt individuel et l’intérêt général ? a. Le projet mettait-il l’accent sur l’un ou sur l’autre ? visait-il l’un ou l’autre ? pourquoi ? 19. Comment imaginer que le projet puisse être démultiplié ? Y a t-il des freins et leviers à cette démultiplication ?

POLITIQUE PUBLIQUE

20. Quelle est la place de la puissance/volonté politique dans le changement de comportement que ce projet suscite ? 21. Mon projet intègre t-il les politiques publiques ?

IMPACTS

NORME

22. Le changement proposé ou visé allait-il à l’encontre d’une norme identifiée (norme familiale, sociale…) ? Contre les opinions dominantes ? si oui, lesquelles ?

a. Si oui, y a-t-il eu de la résistance au changement, et sous quelle forme ? quels leviers ont-ils été

utilisés pour faire face à ce changement ? 23. Lister les facteurs de modification de la « norme » s’il y en a eu. (changement de posture d’une figure dominante…). Est-ce que ce « changement de posture » a permis des changements de comportements ? SOLIDARITE 24. Ce projet peut-il contribuer, par le biais de la TE, à l’emploi des personnes en besoin ? 25. Le projet lutte t-il contre l’inégalité sociale ? P.125


Merci à tous ceux qui ont aidé ce projet à se réaliser. Réalisation graphique : Sophie Villeneuve Raphaëlle Jacques Coordination : Joseph Wolfers Animation et réalisation : Magali Gondal Clémentine Ronseaux Justine Poncet Laurène Giuliani © FNE PACA


Comment accompagner la transition énergétique ?

Comment accompagner la transition énergétique ?

10 clés à destination de ceux qui souhaitent accompagner le changement de comportement!

Assurer la Etre decohérent Connaitre son10 clés à destination ceux qui souhaitent accompagner le changement de comp transparence de public Assurer Etre cohérent Connaitre son l’information public

S’intéresser à ses besoins, Mettre en adéquation objectifs, ses représentations, ses moyens et messages valeurs. S’intéresser à ses besoins, ses représentations, ses valeurs.

transparen l’informa

Informer son public du mieux possible pour faciliter l’adhésion au projet Informer son public

Mettre en adéquation objectifs, moyens et messages

possible pour f l’adhésion au

Favoriser la Trouver la bonne Communiquer positivementCommuniquer convivialitéFavoriser clé la d’entrée Trouver la positivement

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Aborder la transition à travers Proposer des moments festifs à les aspects concrets de la la vietransiti Aborder S’attacher à décrire les son public. AmenerProposer à se des moments quotidienne bien-être, festifs à : santé,les aspects concre aspects bénéfiques du changement rencontrer S’attacher à décrire les et à échanger plaisir son public. Amener à alimentation, se quotidienne : sant aspects bénéfiques du changement

rencontrer et à échanger

alimentation,

Ecoute et Etre souple et Permettre Ecoute Etre souple et Permettre empathie l’expressionl’expression libre adaptable empath libre adaptable

Accepter de ne pas maîtriser Accepter deMénager ne pas maîtriser un espace de Ménager débat pour Se de mettre la placeSedemettre l’autreà la sans un espace débatàpour place d tout le changement tout le changement que les oppositions s’expriment jugement ni préconception que les oppositions s’expriment jugement ni préc

Accepter OserAccepter la le temps le Oser la Allier action Allier action co-construction du change co-construction et réflexion et réflexion du changement Le changement est

Le changement estdont un processus les temporalité Associer activités de terrain et dont lestoutes temporalités ne sont compati pas forcément Tenter d’intégrer au projet Associer activités de terraintemps et d’échange, de partage temps les personnes concernées forcément compatibles avec les polit Tenter d’intégrer au projet toutes d’idées temps d’échange, de partage temps politiques les personnes concernées d’idées

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