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L’hôtellerie des sentiments
from Cosy Mountain #55
IL FAUT RECONNAÎTRE QU’ON L’A PORTÉE AUX NUES, L’AUTRE, L’HÔTELLERIE DE LUXE, DÉSINCARNÉE, ARROGANTE, DÉFÉRENTE, AU MANAGEMENT VERTICAL … COMME TOUT CELA NOUS PARAÎT
DÉPASSÉ AUJOURD’HUI, TELLEMENT ANNÉES 80 ! COMME LES
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CARTES DE CRÉDIT PLATINUM, LES PRIORITY LANE DANS LES
AÉROPORTS, LES TAPIS ROUGES DEVANT LES JETS, OU LES ENTRÉES
RÉSERVÉES, BADGÉES V.I.P. HAPPY FEWS ET AUTRES MÉDAILLES
EN TOC. D’UNE AUTRE GÉNÉRATION, AUTANT DIRE D’UNE AUTRE
VIE !
PAR NOËLLE BITTNER
Aujourd’hui, ces hochets ne nous font plus illusion. Ce que l’on aime, c’est être étonné, surpris, enchanté. Que l’endroit où l’on vient se poser pour une nuit, trois ou sept, nous raconte quelque chose, réveille nos émotions, nos sens, nos sentiments. Récemment, une amie me racontait qu’ils avaient eu envie d’un hôtel comme ça pour passer Noël et avaient trouvé un hôtel moins luxueux que leur standard habituel, dans une petite station, mais si chaleureux, si familial (avec la photo de famille des hôteliers en carte de bienvenue) qu’ils avaient vraiment ressenti l’esprit de Noël !
Donner à ressentir ce n’est pas donné à tout le monde. Dans l’hôtellerie, il faut que le courant circule entre hôteliers et clients, par l’attention que les uns dispensent aux autres. À quoi tient cette attention ? Principalement... à faire plaisir ! Elisabeth Lefebvre, la créatrice des magazines Côtés Sud/Est/Ouest, me confiait récemment combien il était rare aujourd’hui de chercher à faire plaisir, à surprendre par des attentions, préparer une jolie table, envoyer un petit mot manuscrit…
Est-ce être accueilli à l’hôtel comme on accueille ses amis à la maison ? Pas sûr !
On veut se sentir bien, ailleurs, dépaysé, mais surtout pas se sentir « comme à la maison » ! Une tarte à la crème, un refrain qu’on nous a servi partout pendant des lustres. J’adore mon chez moi mais quel intérêt y aurait-il à se déplacer, à avaler des kilomètres pour se retrouver « comme à la maison » !
Il me semble que cette nouvelle hôtellerie, plus sensible, plus variée, moins identitaire poursuit le même but que nous, dans nos vies, que l’on cherche à rendre plus personnelles, moins sensibles à l’opinion.
Aujourd’hui, c’est le mot « expérience » que l’on décline sur tous les tons. Quand l’endroit y met du contenu, c’est parfait. Me viennent à l’esprit deux adresses, deux exemples, l’un en France, en Savoie, l’autre en Suisse, dans le Val d’Anniviers. A priori, aucun point commun. Sinon une même envie de faire plaisir qui se manifeste très différemment dans les deux endroits. Voici comment, vu des coulisses.
“ Ce que l’on veut aujourd’hui, c’est être étonné, surpris, enchanté. Que l’on vienne se poser pour une nuit ou sept, on aime que l’endroit nous raconte une histoire, parle à nos émotions, réveille nos sensations. ”
Le salon de musique, bar de courtoisie, bibliothèque avec ses livres anciens autour de l’histoire de la région.
Petit château au dessin naïf avec sa tour pointue, entre les lacs d’Annecy et d'Aix.
Au Château Brachet
Reprise par un homme d’affaires suisse qui s’en occupe personnellement et passionnément, la maison était abandonnée depuis des décennies. Proche des thermes d’Aix les Bains elle avait une histoire directement liée à la vie thermale du siècle dernier. Le 8 avril 1890, lit-on sur une petite plaque vers la roseraie, la reine Victoria vint prendre le thé avec Lady Virginia Somers, qui louait la maison au docteur Léon Brachet. Certes l’événement n’a pas changé la face du monde, mais de cette petite note, notre ami suisse a tiré un fil… un fil qui s’est ramifié, partagé entre trois historiennes du patrimoine qui ont retissé l’histoire complète du lieu et de son environnement à l’époque où l’on allait prendre les eaux en grand équipage, où l’on descendait à ses risques et périls dans les gorges du Sierroz (aujourd’hui fraichement aménagées et balisées pour la promenade) et où une jeune aristocrate anglaise (grand tante de Virginia Woolf) avait eu l’extrême originalité de séjourner à l’année.
C’est cette passion pour l’histoire qui fait de Château Brachet un lieu à part. Bien qu’entièrement refait jusqu’aux moellons, l’endroit raconte son histoire mieux qu’il ne l’eût fait dans son jus ! Tentures Braquenié, papiers peints panoramiques, parquets point de Hongrie, moulures, baignoires anciennes, chaque chambre porte le nom d’un ou d’une habituée du château autrefois, son histoire est contée dans un livret édité pour votre plaisir et sous la petite bibliothèque qui aurait pu être la sienne, avec ses livres anciens, une méridienne attend que vous vous posiez… Cette re-création tout en raffinement, ce confort qui caracole sur la crête du luxe (peut-être le meilleur lit de votre vie), petit-déjeuner à la hauteur, un chef gourmand de nature, ces attentions, ces surprises (la gourmandise du soir offerte dans un mini globe de verre) tout ceci fait que vous avez envie de revenir, reprendre ce livre, déchiffrer ces lettres dans la vitrine. Non, vous n’oublierez pas le chemin de Château Brachet (en plus d’être une parfaite étape avant d’atteindre les pistes fraiche et reposée).
D Codage
Une Table Sinc Re
On ne veut plus de ces amuse-bouche façon traiteur, le faux chic des buffets pour 100 personnes sur des nappes en viscose drapées. On préfère mille fois l’œuf mayo (maison la mayo) au simili caviar. Le rustique bigorneau au surimi de crabe. La truffe râpée crue sur la pomme de terre cuite sous la cendre à la sauce truffée sur le filet de bœuf.
On veut des produits reconnaissables, avec un petit twist qui peut venir de très loin.
Le chef de Château Brachet est tombé dans la marmite tout petit, en regardant sa mère et sa grand mère cuisiner. L’électricité comme papa ? Pourquoi pas la cuisine comme maman ? Avec sa carrure de rugbyman et son accent du sud-ouest, Bertrand Jeanson, notre gentil colosse, entame un tour du monde d’Hyatt en Inter Continental, de Lourdes à l’île Maurice et de Tahiti à l’île de Marlon Brando. Heureux de revenir en France dans un petit bijou où il peut jouer des produits locaux, « il y en a tant ! » et leur donner un petit twist exotique, comme son foie gras au pain d’épices et à la vanille de Tahiti, « la meilleure du monde ».
Chambre Sissi
Se réveiller avec un petit nuage rose qui sort de la Dent du Chat en face de son lit. Car on trône à hauteur de vue dans ce lit de crème fouettée, si haut perché, tant de couches de douceur superposées, six oreillers pour soi (on ne vous en retire pas quand vous arrivez seule !). L’éclairage en position veilleuse jusqu’à l’aube dans le couloir, et en position « coq » pour un réveil tamisé… La méridienne alanguie sous le portrait de Sissi par Winterhalter et la petite bibliothèque d’ouvrages anciens. Ressentir, c’est boire son café dans la haute tasse à l’oiseau bleu en porcelaine de Delft. Plonger la petite cuillère dans la confiture d’abricots de l’été, juste acidulée comme il faut. Plus tard, longer la grande allée en trainant les pieds dans les feuilles de platanes. L’automne est déjà bien avancé, ce soir c’est dîner de chasse. Le rituel : s’asseoir puis déchirer l’enveloppe scellée d’un cachet de cire pour découvrir le menu.
Lit superlatif, salle de bains à la grandeur victorienne sertie dans le marbre. Chaque chambre a sa méridienne, un meuble au charme oublié à redécouvrir.
Claude et Anne-Francoise Buchs, 26 ans consacrés avec bonheur à leur Bella Tola. Assiettes imaginatives dans les boiseries d’époque.
Le spa, comme un jardin d’hiver, avec une belle flambée dans la cheminée.
Au Bella Tola
Repris il y a 26 ans par Anne-Françoise et Claude Buchs, le Bella Tola est un monde à part. Hôtel historique classé, perché dans le petit village de Saint-Luc, il embellit d’année en année sans rien perdre de son charme. « 26 hivers à me creuser la tête pour renouveler la deco du sapin de Noël ! Le dernier, c’était sur le thème des ex-voto. Je fais ce que j’aimerais trouver, moi, en arrivant quelque part, raconte Anne-Françoise. Ce qui me surprendrait, me mettrait à l’aise. Je considère que nos clients (dont la majorité reviennent d’année en année) et nous, sommes comme une communauté d’affection. Le challenge c’est quand un nouveau client arrive, agressif, arrogant avec le personnel, je l’accueille comme si de rien n’était, je lui fais « la thérapie des sentiments », une attention, un petit cadeau, un pré-dessert qu’on pose sur sa table avec une parole gentille, trois jours après, c’est un agneau ! Je sais que si j’hésite à faire ce geste, pfft ! l’instant est passé, je ressens comme un manque, jusqu’à ce que je trouve l’occasion de me rattraper. Ca aide d’être une famille, c’est dans sa famille qu’on apprend la générosité, la gentillesse, pas à l’école hôtelière ! Le manager qui rentre diner chez lui le 31 décembre, je peux comprendre, mais dans une famille d’hôteliers, on ne fait pas ça. Il faut être généreux et sincère. Que ça vienne du cœur. Il y a un monsieur âgé qui vient de Sion pour deux semaines chaque année, c’est pas loin Sion mais il me dit : « ici, je suis tellement dépaysé ! » Il est très en demande d’attention et toute la journée il essaye de retenir, d’accaparer la personne qui le sert ou qui passe… Comment on gère cela ? On se relaie tous, comme avec un grand-père !
Il faut se renouveler sans cesse, et surprendre. La carte de bienvenue c’est bien mais tout le monde le fait. Alors, je cherche... Et si on ouvrait un tiroir… et il y a une bouillotte, glissée dans une housse faite dans un ancien drap monogrammé en lin … peut-être que ça rappellerait à quelqu’un un souvenir ? 6
Instants bénis
Passer de la couette au balcon, du chaud abri au petit soleil piquant de janvier où chaque cheminée de chalet laisse son sillage de feu de bois.
Descendre avant que tout le monde ne s’éveille dans la grande salle à manger au parquet qui craque, lever les yeux sur les oiseaux qui se poursuivent au plafond depuis deux siècles, la jatte de müesli vient d’arriver, les oranges s’empilent devant l’antique pressoir à main, que tout change… pour que rien ne change !
La vue plein sud sur une kyrielle de sommets jusqu’au Cervin. Petite pièce du temps jadis avec ses souvenirs et mobilier d’époque. Dès l’entrée une jungle de plantes, bouquets, fleurs imprimées entourent le canapé comme un calice.