7 minute read

DÉBAT

Next Article
INTERNATIONAL

INTERNATIONAL

TRANSITION

GARE AU GREENWASHING

Advertisement

« Verdir » sans fondement pour valoriser son image, voilà l’essence du greenwashing. La transformation écologique en montagne a tout intérêt à s’en prémunir pour s’opérer avec efficacité et ne pas prêter le flanc. Plaidoyer pour une transition dans la vérité et regards croisés.

Textes : Cécile Ronjat - Illustrations : Anne Bosquet

GREENWASHING, DE QUOI PARLE-T-ON ?

En 2013 déjà, face aux dérives observées, l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME) publiait un guide anti-greenwashing, sous-titré « petit guide d’auto-évaluation des messages de communication ». C’est dire si la tendance à l’écoblanchiment, pour donner une image faussement écologique à des entreprises, à des services ou des produits, ne date pas d’hier. En montagne, espace naturel par définition, le greenwashing est tout sauf un ami qui vous veut du bien. Le changement climatique et l’urgence à se mettre collectivement en mouvement, oblige à une transition dans la vérité. « Je ne suis pas inquiète » avoue d’ailleurs Camille Rey Gorrez, directrice de l’association Mountain Riders à l’origine du label Flocon Vert, « ce qu’il peut rester de greenwashing relève d’actes involontaires, par manque de conscientisation des enjeux. Mais il y a un tel besoin de transparence, qu’il va de toute manière disparaître ».

DES ENJEUX PRESQUE « SCHIZOPHRÉNIQUES »

Pour autant, si l’on a pu verser dans le greenwashing, par ignorance aussi, l’on connaît aujourd’hui les apports du ski au désenclavement des territoires de montagne, rappelle Nathalie Saint-Marcel, directrice adjointe du Cluster Montagne. Pire encore, l’ennemi sournois du greenwashing serait d’opposer écologie et économie, acteurs vertueux et protagonistes inconscients. « Je ne suis pas pour une vision aussi manichéenne. C’est beaucoup plus nuancé. Nous sommes tous pétris de paradoxe. » Une vision partagée par Michaël Ruysschaert, directeur général de l’Agence Savoie Mont-Blanc, « c’est un sujet presque schizophrénique, car nous parlons de tourisme durable alors que nous comptons les deux plus grands domaines skiables du monde ». Preuve que le sujet est complexe par nature.

ACCULTURER L’ÉCOSYSTÈME

S’approprier les enjeux de la transition, tout en se prémunissant des pièges de l’écoblanchiment, demandera de l’acculturation de la part des acteurs de la montagne. « C’est sur ces thématiques que nous les accompagnons » explique Nathalie Saint-Marcel, « les études d’impacts écologiques des projets, et les méthodologies de contrôle sont une évolution récente sur laquelle il faut progresser en continu. » Les garde-fous du greenwashing : dire, faire et mesurer Transiter dans la vérité nécessite de la transparence, de paroles et d’actes. « La transparence c’est déjà de dire

que la transition sera difficile et douloureuse, il y aura des fracas, et tout l’enjeu sera de les atténuer. » précise Camille Rey Gorrez. Communiquer clairement sur sa stratégie environnementale, développer des outils de pilotage, mesurer les résultats, s’appuyer sur l’implacabilité du discours scientifique, sont autant d’arguments à opposer à l’écoblanchiment. C’est dans cette optique que s’inscrivent les 16 éco-engagements de Domaine Skiable de France. « Nous avons pris du chiffrable et du quantifiable pour ne pas tomber dans l’accusation de greenwashing » précise Alexandre Maulin, président de Domaines skiables de France (DSF), qui vise la neutralité carbone en 2037.

UN POUR TOUS ET TOUS POUR L’INTELLIGENCE COLLECTIVE

S’il y a bien une affirmation qui désormais fédère dans le grand débat de la transition c’est celle de l’action partagée. Il y a tout à gagner à s’appuyer sur l’intelligence collective et sa diversité de points de vue pour reformater durablement les modèles sans prêter le flanc à l’écoblanchiment. Derrière, se cache la notion de gouvernance. « Le changement de business model demande du courage, notamment décisionnel. On touche du doigt l’enjeu de la gouvernance » explique Armelle Solelhac fondatrice de l’agence Switch Consulting. Débat dans le débat, la gouvernance est néanmoins un sujet essentiel.

« Les études d’impacts écologiques des projets, et les méthodologies de contrôle sont une évolution récente sur laquelle il faut progresser en continu. »

NATHALIE SAINT-MARCEL,

DIRECTRICE ADJOINTE DU CLUSTER MONTAGNE

« Co-construire c‘est donner des rôles aux uns et aux autres, avec des attributions et des périmètres de prise de décision. » rajoute Camille Rey Gorrez. Il n’y a pas à douter que l’écosystème de montagne a dans ses rangs les talents pour jouer collectif et éco-construire un avenir durable. « C’est notre vision » rappelle d’ailleurs Nathalie Saint-Marcel en évoquant le manifeste du Cluster pour une montagne vivante, innovante, bienveillante, accueillante et bas carbone.

PRISE DE CONSCIENCE

Enfin, prendre conscience que tout ne peut pas être 100% vert, ne serait-il pas le dernier argument à opposer au greenwashing ? « Toute activité humaine a un impact » rappelle Nathalie Saint-Marcel. A l’évocation de l’hydrogène, se pose la question de sa production renouvelable, du transport et du stockage, à celle du photovoltaïque, du cycle de vie et du recyclage des panneaux. La directrice de Mountain Riders alerte : « ce ne sont que des technologies en remplacement d’autres. Elles sont intéressantes bien sûr, mais elles doivent s’intégrer dans une stratégie pensée à l’échelle du territoire, si l’on ne veut pas simplement répéter le passé. Le vrai parent pauvre de la transition en montagne, ce sont les moyens humains. »

REGARDS CROISÉS

JÉRÔME CAVIGLIA,

DIRECTEUR D’ATÉMIA « Alerter sur le greenwashing lorsque que l’on parle de transition est important. D’une part la population a atteint un niveau de conscience élevé sur les sujets environnementaux, et, d’autre part, il y a une urgence à agir. Ces deux facteurs obligent à une prise de parole, mais peuvent aussi ouvrir la porte à une survalorisation du discours, par peur d’être jugé coupable. Il y a donc tout intérêt à agir avant de communiquer : avancer sur des actions structurelles mesurables, être transparent et factuel, et continuer d’innover et coconstruire. La transition passera forcément par une phase chaotique où il faudra ramener de l’apaisement dans le débat et apprendre à travailler ensemble. La coopération est d’ailleurs un des garde-fous du greenwashing. Transiter, c’est aussi changer de perspectives et apprendre à faire mieux avec moins. Je crois plus en la valorisation du progrès (bien-être, santé…) que des indicateurs économiques, tout simplement parce que la croissance infinie dans un monde fini n’est plus possible. Il y a pourtant un vrai optimisme à imaginer l’écosystème de demain et fédérer autour de leviers d’action. On ne prêtera jamais le flanc au greenwashing en faisant du sujet de la transition un moyen d’agir plutôt qu’un outil marketing. »

NATHALIE SAINT-MARCEL,

DIRECTRICE ADJOINTE DU CLUSTER MONTAGNE « La transition dans la vérité c’est déjà admettre ses propres contradictions et dépasser le stade des injonctions. Toute activité humaine a un impact, et on ne fera pas de business sur une planète morte. Tout l’enjeu est de s’inscrire dans un process d’amélioration continue pour dessiner la voie d’un futur plus sobre, innovant, bienveillant, bas carbone mais économiquement nourricier. Faire mieux avec moins, se parler, s’écouter, accepter les écueils, panacher les solutions car il n’y a pas d’ingrédient magique, c’est de cela dont il s’agit. On a 10 ans pour essayer de ralentir l’emballement climatique, puis 20 ans pour tenter de faire mieux. »

CAMILLE REY GORREZ,

DIRECTRICE DE L’ASSOCIATION MOUNTAIN RIDERS « Si l’on assume sa responsabilité en reconnaissant ce qui fonctionne ou pas et que l’on mesure ses résultats, alors le greenwashing n’existe plus. Ça commence par-là : oser dire et sortir de sa posture de revendication pour construire ensemble. La transition est une affaire de gouvernance partagée où l’on accepte de laisser de la place à l’autre. On n’a plus le choix que d’agir collectivement dans une dynamique d’anticipation positive des « fracas », car il y en aura. Je crois qu’il faut accepter de parler de sobriété et de décroissance, et sortir de la logique d’opportunité. Au regard de l’urgence climatique, la décennie à venir sera déterminante. »

ARMELLE SOLELHAC,

FONDATRICE DE L’AGENCE SWITCH CONSULTING « J’ai plutôt bon espoir pour la transition qui s’opère, tout en sachant que ce sera difficile et progressif. Le changement de business model demande du courage. On touche du doigt l’enjeu de la gouvernance. Il y a de plus en en plus de maturité sur ces sujets du fait d’une nouvelle génération d’élus entretenant une autre relation à la politique, à la démocratie, à la RSE et au développement durable. L’économie n’est plus le seul juge de paix. La capacité à réinvestir dans le territoire, à magnifier les patrimoines et les savoirfaire sont aussi des indicateurs forts. Pour transiter durablement chaque massif devra trouver sa propre voie qu’il s’agisse d’une logique servicielle, d’un tourisme d’espace, d’hyperspécialisation, d’hybridation des pratiques et des habitats, ou encore de ré-enchantement. »

Le changement climatique et l’urgence à se mettre collectivement en mouvement, obligent à une transition dans la vérité.

This article is from: