Friture mag N°20

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n°20 hiver 2013

Culture et

(in)dépendances

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AGRICULTURE

Vers une nouvelle PAC MUsée

Rodez sort du noir

47 Initiatives culture

rurales

24 61 Billets de LE DOSSIER

collage Herbot

Culture

6€


ed to

Culture partout, financements nulle part « La Culture, c’est ce qui répond à l’homme quand il se demande ce qu’il fait sur la terre ». Dans les années 50, Malraux veut donner sa réponse à l’existence de l’art face à un monde qui commence à être dominé par la machine. « Nous croyons savoir depuis quelques siècles que l’œuvre d’art survit à la Cité et que son immortalité s’opposerait à la misérable survie des dieux embaumés, or ce qui apparaît c’est la précarité de la survie artistique, son caractère complexe ». On peut considérer que son empreinte a été déterminante en France pour placer la culture au-dessus des dieux, de la modernité et de la mort : Maisons de la culture, création de l’avance sur recette pour le cinéma, de l’Inventaire général du patrimoine culturel, défenseur infatigable du rayonnement (exception ?) de la culture française dans le monde... le ministre de l’art piloté par l’Etat se plaçait à l’époque dans une démarche d’« Education populaire». L’art pour tous afin de « rendre accessibles les plus grandes œuvres au plus grand nombre d’hommes ». Pari gagné ? Cinquante ans plus tard, nous avons tous la tête penchée sur nos ordinateurs, la télévision engloutit le temps libre, les galeries ferment une à une et bien malin serait celui qui comprendrait quelque chose à l’art contemporain. Mais dans le même temps il n’y a jamais eu autant de livres, de groupes de musique, de petits théâtres indépendants ou de festivals fleurissant sur les territoires.

Ce n’est pas à une analyse exhaustive de la place de l’art dans son époque à laquelle nous nous livrons ici, ce serait bien prétentieux et inutile, mais plutôt à une photographie, éphémère elle aussi, des moyens économiques mis à sa disposition sur un territoire. Financements publics, politiques culturelles des collectivités locales, élitisme/culture populaire, émergence du mécénat et des nouvelles technologies sont quelques-uns des thèmes que nous abordons dans ce nouveau dossier. Il est évident, que dans le sillage de Malraux, tous les responsables politiques, à tous les niveaux, utilisent la culture et lui allouent des moyens importants pour marquer de leur sceau leur passage aux affaires. « Capitale européenne de la culture », construction de Musées, soutiens aux festivals, saupoudrage des subventions ou véritable dialogue avec les acteurs, la ville est devenue le conclave actif de la vie artistique. Comme à notre habitude, nous essayons de dresser un « état des lieux » des différents circuits de financement ou de vision politique, sans oublier dans une seconde partie de donner la parole à celles et à ceux qui veulent vivre leur liberté de créer hors des sentiers balisés. Car la création est avant tout acte de liberté. A ce propos, Friture Editions a évolué cet automne et fonctionne désormais avec un site payant réservé aux abonné-e-s. Ce n’est pas pour nous une façon de rendre la lecture élitiste, mais plus prosaïquement de financer nos publications. Car sans pratiquement aucune subventions, notre petite équipe ne vit son indépendance que par ses abonnements, un peu de pub dans le magazine papier et de ses ventes. « Les artistes sont confrontés à une crise de l’emploi sans précédent et ce alors même que la pratique culturelle n’a jamais été aussi forte.» Nous dit un acteur culturel dans ce numéro. Nous ne pouvons qu’approuver.

Friture Mag est édité par Friture Editions 9, rue de l’Etoile 31000 Toulouse Contact rédaction : friturelemag@friture.net Responsable de la publication : Philippe Gagnebet Ont participé à ce numéro : Maylis Jean-Préau, Philippe Gagnebet, Ludo Simbille, Anne-Sophie Terral, Christophe Pélaprat, Philippe Serpault, Mathieu Arnal, Nicolas Mathé, Armelle Parion, Grégoire Souchay, Lise Valette, Christophe Abramovsky. Retrouvez tous nos chroniqueurs et journalistes sur www.frituremag.info Responsable iconographique : Herbot Mise en page : Alice Bousquet, Zhu Conception graphique : Sandrine Lucas Webmaster site internet : Ludovic Pierquet Imprimé chez Rotimpres 17181 Aiguaviva - Girone (Espagne) www.rotimpres.com - N°ISSN 1951-1558 - Commission paritaire 0510G89540

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sommaire Pages 4 et 5 : AVANT-PROPOS par Myrtille Visscher Pages 6 et 7 : Nouvelle – Les choix de Friture Mag Pages 8 et 9 : ACTUS – Spanghero, six mois après Pages 10 : ACTUS – L’ESS en plein dilemne Pages 12 ET 13 : ACTUS – Airbus et l’argent public

dossiers

Retrouvez tous nos articles sur www.frituremag.info

Page 14 et 15 : ACTUS – Les Pyrénées inondées d’Euros Page 17 : ACTUS – Kokopelli en Ariège Pages 18 et 19 : ACTUS – Vers une nouvelle PAC

Pages 20 et 21 : ACTUS – Le renouveau de la musique occitane DOSSIER CULTURE : L’ÉTAT DES LIEUX

Pages 24 ET 25 : GRAND ENTRETIEN – Franck Lepage-Gesticuleur

PageS 26 ET 27 : L’ÉTAT DES LIEUX – lettre ouverte aux responsables politiques Page 28 : L’ÉTAT DES LIEUX – La DRAC, mode d’emploi

Page 30 : L’ÉTAT DES LIEUX – Montpellier et ses équipements

PageS 32 ET 33 : L’ÉTAT DES LIEUX – Kulturewashing à Toulouse ?

PageS 34 à 37 : L’ÉTAT DES LIEUX – Soulages fait sortir Rodez du noir Pages 39 : REPORTAGE – Au temps des librairies Pages 40 et 41 : Pages ouvertes Pages 42 et 43 : Télex DOSSIER : LES POSSIBLES

Page 46 : LES POSSIBLES – Vilar et le peuple

Page 47 : LES POSSIBLES – Culture et territoires ruraux Page 48 : LES POSSIBLES – L’histoire d’Africajarc

Page 59 : LES POSSIBLES – Page ouverte : René Duran Pages 50 à 52 : LES POSSIBLES – Ici et là

Page 53 : LES POSSIBLES – Comment Utopia a construit son succès

Pages 54 et 55 : PAGES OUVERTES – Le mécénat, poule aux oeufs d’or ? Page 57 : PAGES OUVERTES – Portrait, Jean-Philippe Fedier

Pages 58 et 59 : LES POSSIBLES – Internet change la donne

Page 60 et 61 : LES POSSIBLES – La musique qui dure des cafés-culture Page 62 et 63 : Livres, les choix de Friture Mag

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avant propos – PaR Myrtille Visscher–


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initiatives - les choix de friture Média des possibles dans le Grand Sud

Avez-vous vu Nino ?

Nino Ferrer, il était une fois l’homme Du 15 novembre au 16 février. Médiathèque José Cabanis à Toulouse, salle d’exposition (rez-de-jardin), atrium (escalier) et coursives des étages. «Il était une fois l’homme...» : ainsi la Médiathèque José Cabanis de Toulouse a-t-elle intitulé cette exposition inédite qu’elle consacre à l’auteur-compositeur-interprète Nino Ferrer. Un hommage au père de «Mirza» et des «Cornichons», disparu il y a quinze ans à Montcuq, dans le Lot, où il vivait depuis 1976. Conçue directement avec et par la famille de Nino Agostino Arturo Maria Ferrari (dit Nino Ferrer), cette exposition retrace, à travers des objets et oeuvres encore jamais exposés, la vie d’un homme, et pas seulement celle du musicien. Elle réunit un nombre important de documents qui illustrent les différentes étapes de sa vie : son enfance d’immigré italien, les succès parisiens, puis les derniers albums, le Lot et la peinture.

Une fois encore le Musée International des Arts Modestes de Sète nous propose une exposition complètement hors normes : FanClub. Le Rock et la Pop Music ne sont pas morts et les seventies et les eighties ressuscitent parfois. Cette exposition, lancée par Hervé di Rosa (co-fondateur du MI-AM) est consacrée à l’univers tonitruant des musiques rythmées. Rassemblant les oeuvres d’artistes bruts, outsiders, contemporains ou d’illustres anonymes, FanClub explore l’univers et l’imagerie des fans de musiques rythmées, interrogeant leur rapport profane aux icônes pop et aux supports musicaux en constante évolution. Cette exposition sera l’occasion d’un croisement de publics diffé-renciés par l’âge, l’origine culturelle ou sociale, chacun détenant les codes de cette culture musicale exaltant les passions humaines.

Fan Club au MIAM de Sète

23, Quai de Lattre de Tassigny - 34200 SETE Du samedi 19 octobre 2013 au dimanche 16 mars 2014

A Toulouse, les 30 ans de la Maison de quartier Bagatelle La Maison de Quartier de Bagatelle est pour le quartier. C’est une association (loi 1901) gérée uniquement par des bénévoles, la plupart habitant-e-s du quartier. La Maison de Quartier se veut être un lieu de convivialité, de lien social, d’ouverture, militant et de parole libre. C’est un lieu indépendant de toute confession religieuse et de tout parti politique. Nous fonctionnons de manière autonome vis-à-vis de la Mairie, et en quasi auto-financement. Créée en 1973 par la mobilisation collective des habitant-e-s du quartier, elle doit son existence et son maintien grâce à la population. De nombreuses associations sont adhérentes et actrices de la Maison de Quartier. Des activités culturelles, politiques et associatives y sont donc proposées tout au long de la semaine. Toutes les infos : http://mqbagatelle31.toile-libre.org/

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Appel à auteurs FESTIVAL RAVENSARE

Oubliés de nos campagne

Du 2 au 5 juillet 2014 à Toulouse.

Fort de son succès en 2013, le Festival Ravensare a révélé 65 artistes durant cinq jours placés sous le signe de la découverte et de l’émotion. Danse, Musique, Arts plastique, Photographie, l’art s’exprime au pluriel ! Du 2 au 5 juillet 2014, le cadre privilégié du Jardin Raymond VI retourne sur les sentiers de la création en accueillant un plateau artistique de qualité. A l’origine de ce projet culturel, Kassam Baider directeur artistique oeuvre à la diffusion de l’art. Le Festival Ravensare rencontre des artistes d’horizons différents mais partageant des valeurs communes : exigence et créativité.

Habitats dispersés, souvent anciens et vétustes, difficultés de mobilité, d’accès à l’emploi, aux soins et aux aides, autant d’obstacles qui exposent le milieu rural au développement de situations de précarité. Compte-tenu de ce contexte, les personnes les plus fragiles se trouvent confrontées à un isolement géographique, psychologique et social dans lequel la précarité, souvent stigmatisée, est rapidement cachée et devient silencieuse, oubliée. Oubliés de nos campagnes, c’est une série de rencontres avec des hommes et des femmes, ruraux de souche ou néo ruraux, visages pluriels de cette précarité en milieu rural. Des moments d’intimité, de partage, que cinq photographes de l’agence MYOP présentent en images, en partenariat avec le Se-cours Catholique.

Comment participer ? Cies de danse, groupes de musique, photographes, plasticiens, sont conviés à partager et à confronter leur création dans cet événement qui s’est imposé à Toulouse comme le panorama de la scène émergente. Pour participer,* il suffit de contacter Le Tait Bleu à l’adresse suivante letraitbleu@gmail.com afin de retirer un formulaire d’inscription qui devra être retourné avant le 31 jan-vier 2014, date de clôture de la présélection. *(frais d’inscription 16 euros pour les artistes sélectionnés). Email : letraitbleu@gmail.fr Le Trait Bleu 1, rue Joutx-Aigues 31 000 Toulouse www.letraitbleu.com

Toutes les dates d’expositions : http://www.secours-catholique.org

Les délires de Plonk et Replonk Du 13 novembre 2013 au 11 janvier 2014. Ils sont un peu fêlés, sans douter. Ils l’assument, sans complexe. Plonk et Replonk, duo et fratrie suisse de fabricants de cartes postales absurdes, ont ac-corché une cinquantaine de leur pépites postales à l’Espace Croix-Baragnon, dans le cadre du festi-val Graphéine et du festival BD de Colomiers. 500 cartes glanées au fil des ans, données, achetées, collectionnés en Suisse d’abord, en partenariat avec les Emmaüs par exemple, ou à tout déplacement prétexte à glaner des cartes dont personne ne veut, comme Replonk s’est empressé de le faire au marché de Saint-Sernin lors de son séjour à Toulouse. « Parfois l’image fait tilt, on ajoute le texte et voilà. Parfois elles traînent 8 ans dans les archives avant d’être utilisées ».

Les rencontres d’Alter-Agro Pour la première fois cette année, la Fédération Régionale des Agriculteurs Biologiques (FRAB) de Midi-Pyrénées propose, du 25 novembre au 13 décembre 2013, un programme de rencontres tech-niques baptisé Alter-agro. Alter-agro, ce sont 40 rendez-vous gratuits sur les fermes biologiques du réseau FRAB Midi-Pyrénées de toute la région, pour permettre aux professionnels du milieu agricole de découvrir et d’échanger autour de techniques agricoles alternatives et performantes avec des experts techniques reconnus. La plupart des productions sont représentées, animales – bovins, ovins, volailles, etc. – comme végétales – grandes cultures, fourrages, maraîchage – mais aussi agroforesterie. Toutes les infos : www.biomidipyrenees.org

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Jusqu’au 11 janvier 2014 ESPACE CROIX BARAGNON 24 rue Croix Baragnon 31000 TOULOUSE


Société

Spangh chronique d’un bestiaire

Au commencement était le bœuf, vinrent ensuite clandestinement le cheval, puis le mouton. Le scandale sanitaire et économique qui a frappé la ville de Castelnaudary dans l’Aude en est aujourd’hui à son épisode judiciaire. Malgré la reprise de l’usine, il reste surtout les dindons de la farce, toujours les mêmes, sur le terrain, et les consommateurs. Retour sur une mauvaise fable alimentaire. – PaR Philippe Serpault –

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En 2009, Laurent Spanghero vend son usine pour l’euro symbolique à Lur Berri, et c’est la filiale Arcadie qui prend possession de l’abattoir attenant. En octobre 2012 est annoncée la fermeture de l’abattoir employant 85 salariés, et fournissant la moitié de la viande produite par Spanghero SA. L’opération, effective en décembre, s’était déroulée dans l’indifférence générale des élus, et l’apathie des éleveurs locaux comme des chambres consulaires. Même les salariés semblaient assommés par cette échéance. Le fournisseur principal disparaissant, il fallait bien compenser par de la viande venant d’ailleurs, ce qui était déjà en partie le cas. La machine à tricherie était en route, via des circuits européens surréalistes.

Genèse d’un échec

Illustration Musta Fior

La mèche s’allume le 30 janvier 2013 quand on détecte au Royaume-Uni la présence de viande chevaline dans des lasagnes en provenance de France. Par précaution, des tests surprises sont effectués chez Spanghero SA qui fournit la viande. Le 2 février, Lur Berri supprime la marque “la Table de Spanghero”, l’entreprise n’est alors plus tenue par les exigences et l’image de cette marque. Le 8 février, le monde entier apprend que du cheval de Roumanie se transformait en bœuf à son arrivée à Castelnaudary, plus de trois cents salariés risquaient alors leur emploi. L’entreprise encaissait là un coup qui risquait de lui être fatal, mais le président de Lur Berri refusait de changer la direction. D’ailleurs on ne parlait pas encore de redressement judiciaire. Les commandes avaient cependant repris, mais le 19 mars, on apprend que du mouton prohibé en provenance du Royaume-Uni se trouve dans les chambres froides de l’usine. L’effet ne s’est pas fait attendre, les commandes ont replongé et l’on a parlé

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ouvertement de redressement judiciaire, avant l’inévitable liquidation. C’est alors que Laurent Spanghero est revenu dans la partie. Certes, son nom faisait la une de la presse internationale, mais ce n’était plus du rugby, et tous les coups étaient permis. Celui-ci avait déjà été clair lors de son intervention à AgriTV en direct du Salon de l’Agriculture : « Lur Berri s’est disqualifié dans cette histoire, il doit rendre les clefs du camion », avait-il alors lancé. Au cours de cette même émission, Stéphane Linou, conseiller général de Castelnaudary, déclarait voir dans l’ancien rugbyman, « le seul repreneur plausible pour l’usine. » Dans la préparation de son projet de reprise, Laurent Spanghero aura connu une certaine réticence des pouvoirs publics locaux, lesquels lui refuseront toute rencontre. Stéphane Linou sera resté le seul élu ayant soutenu son projet : « Le sectarisme doit s’effacer devant l’emploi », justifie-t-il avant d’ajouter: « C’est l’occasion et le moment idéal pour réorienter vers les circuits courts un outil industriel, qui plus est, avec la volonté du candidat à la reprise. »

La partie de cache-cache des repreneurs Pendant ce temps, on entend parler à Castelnaudary d’un « projet des salariés », sauf que les salariés de l’entreprise ne semblaient pas vraiment au courant. En fait, il s’agissait de deux cadres de l’entreprise soutenant un repreneur, en l’occurrence le groupement coopératif Maïsadour-Delpeyrat allié à un spécialiste de la gastronomie du Sud-Ouest. Ce repreneur s’est dévoilé face à l’offensive de Laurent Spanghero, épaulé par l’avocat Christophe Lèguevaques, s’engageant à honorer la dette de l’entreprise. Celle-ci s’élevait à onze millions d’euros, et Maïsadour-Delpeyrat ne


hero : en économie libérale souhaitait pas l’honorer. Le lendemain de la date butoir pour déposer les offres de reprise, le secrétaire d’Etat à l’Agroalimentaire Guillaume Garot annonce avoir trouvé un repreneur, MaïsadourDelpeyrat, dans les colonnes de l’Usine Nouvelle, Thierry Blandinières, PDG de Delpeyrat, déclare : « Nous avons été mis autour de la table par le ministre Guillaume Garot, pour faire une offre aux côtés des salariés ». Face à cette situation pour le moins confuse, les clients potentiels refusaient de signer des commandes fermes. L’offre de Maïsadour-Delpeyrat n’a pas été jugée recevable par le tribunal, celui-ci la jugeant incomplète, faute d’avoir obtenu un abandon de créance de la part des banques.

l’occasion et le moment idéal pour réorienter vers les circuits courts un outil industriel, qui plus est, avec la volonté du candidat à la reprise Laurent Spanghero, et ses deux partenaires financiers, un promoteur immobilier de Narbonne, Jacques Blanc, et la société Investeam, pouvait donc revenir aux commandes de l’entreprise, mais la vindicte des élus locaux ne faisait que commencer, ceux-ci laissant entendre que le projet choisi ne serait pas viable. Dans une lettre ouverte au vitriol, Christophe Lèguevaques répond aux élus chauriens qui ont regretté la décision du tribunal de commerce par communiqué de presse. Ces trois élus, le maire

Patrick Maugard, et ses adjoints Philippe Greffier et Hélène Giral, n’ont pas souhaité s’exprimer dans nos colonnes. À la fin de l’été, la grande distribution est revenue avec les carnets de commandes. Laurent Spanghero s’était déclaré prêt à contractualiser avec des producteurs locaux : « Il faut préparer cela, je suis en contact avec la coopérative Arterris, nous y verrons plus clair au printemps 2014 », estime l’ancien rugbyman qui se dit modérément optimiste. Une centaine de salariés ont réintégré l’entreprise qui reste convalescente. La remontée en puissance se révèle plus lente que prévu: « L’entreprise va vivre, mais il reste à savoir sur quel périmètre ». Laurent Spanghero se veut prudent et pragmatique, et tranche à propos de la filière bio, évoquée lors de la préparation du dossier de reprise : « Je préfère d’abord consolider ce qui existe. » Entre la fermeture de l’abattoir et la création de la Lauragaise, il n’aura fallu que six mois pour mettre au jour les dysfonctionnements de l’industrie alimentaire financiarisée, et la nécessité d’une alimentation liée au territoire.

Le feuilleton judiciaire Dès le début de l’affaire, le groupe Findus, destinataire des lasagnes incriminées, a annoncé son intention de porter plainte contre X. La direction de la répression des fraudes indiquait alors qu’elle ouvrait une enquête pour identifier l’origine de la « tromperie ». En Roumanie, le ministère de l’Agriculture a également indiqué qu’il menait une enquête. Au début du mois de septembre, huit anciens cadres de l’entreprise ont été interrogés dans le cadre de l’enquête judiciaire. Parmi ceux-ci, le directeur général et le directeur du site ont été mis en examen, le premier a été placé en détention provisoire et le second laissé libre sous contrôle judiciaire. Ces deux personnes sont poursuivies pour, « escroquerie en bande organisée, tromperie sur une marchandise, tromperie sur l’origine française ou étrangère d’un produit, tromperie sur une marchandise entraînant un danger pour la santé de l’homme ou de l’animal, faux et usage de faux, altération des preuves d’un délit, introduction sur le territoire d’animaux vivants, de produits ou de sous-produits ou aliments pour animaux non conformes aux conditions sanitaires ».

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Société

L’Economie sociale et solidaire en plein

dilemme existentiel

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– Par Anne-Sophie Terral –

Fallait-il se développer, être mieux compris, plus visible, changer d’échelle ? Ou garder son âme à tout prix, sa qualité d’alternative, en devenant même plus restrictif, quitte à rester à la marge ? Le texte de loi-cadre présenté en juillet par Benoit Hamon a répondu : l’Economie Sociale et Solidaire s’ouvrira aux sociétés commerciales classiques, à condition qu’elles respectent un certain nombre d’exigences. Ces garde-fous sont les suivants : « la poursuite d’un but autre que le seul partage des bénéfices », mais aussi le respect de principes de gouvernance démocratique, l’encadrement des bénéfices et des salaires, et l’impartageabilité de réserves obligatoires. Mais peut-être faut-il revenir aux origines. L’économie sociale est apparue au XIXème, comme réponse aux ravages du capitalisme industriel. C’est de là que proviennent les fameux statuts historiques (mutuelles, associations, coopératives). Elle a été associée plus récemment à la très créative économie solidaire, nébuleuse d’initiatives allant du commerce équitable à la finance éthique, en passant par le tourisme solidaire, ou les entreprises d’insertion. Le tout, selon les chiffres le plus souvent cités, pèse 10% de l’emploi en France, 2,3 millions de personnes salariées, 215 000 établissements. En période de crise, le secteur est pris de plus en plus au sérieux avec ses emplois non délocalisables, ses entreprises plus pérennes à l’utilité sociale affirmée. De quoi aussi devenir de plus en plus perméable au monde de l’entrepreneuriat, qui voudrait bien s’y faire une place.

« Le statut ne fait pas la vertu » C’est ce leitmotiv, fréquemment déclamé par les entrepreneurs sociaux (par le biais du Mouves, récent mouvement regroupant ces entrepreneurs sociaux), qui a été entendu par les plus hautes sphères. Les arguments semblent imparables. Le scandale de la viande de cheval est issu d’une coopérative. Et rien n’empêche en théorie une coopérative de produire des bombes atomiques. Ferait-elle pour autant partie du champ de l’Economie solidaire ? Conclusion: les statuts ne font pas tout. « Nous sommes très satisfaits d’une loi inclusive », explique Jacques Dasnoy, délégué général du Mouves, « de nombreux jeunes entrepreneurs choisissent des statuts d’entreprises classiques mais partagent complètement

Un ministère, puis des Etats Généraux, une large consultation, avec à la clef, une loi cadre. Décidément, l’actuel gouvernement est aux petits soins de l’Economie Sociale et Solidaire, ESS pour les intimes. En tant que champ tout aussi prometteur que mal connu, il avait bien besoin d’un bon coup de projecteur. Pourtant, en ouvrant grand ses portes d’entrée aux entreprises classiques, au delà des traditionnelles associations, mutuelles, coopératives, et fondations, le cabinet de Benoit Hamon a heurté la sensibilité de ceux qui défendent les statuts avant tout. D’autres, au contraire, se félicitent d’un texte inclusif qui a le mérite d’apporter la reconnaissance à un secteur qui en manquait cruellement.

les valeurs de l’ESS ». Il ne fallait donc pas les écarter pour des questions techniques. Quitte à faire entrer n’importe qui ? « Non, Total ne pourra pas intégrer l’ESS », affirme-t-il, « car si on regarde la loi, il y a des exigences très claires demandées aux entreprises en terme de gouvernance démocratique, de partage des bénéfices, d’utilité sociale. C’est assez verrouillé ». Le Mouves met aussi en avant le besoin de visibilité d’un champ souvent mal connu, mal compris, « pendant longtemps, l’ESS a été dans le « pour vivre heureux, vivons cachés ». Le moment est venu de montrer qu’en temps de crise, elle peut se montrer offensive et ouverte ».

Une perte de sens politique? « Il aurait fallu réaffirmer la notion de statut et en plus, rajouter une charte pour combler l’insuffisance des statuts ! », poursuit à l’inverse Jacques Prades, responsable du Master « Nouvelle économie sociale » à l’université du Mirail à Toulouse. Pour lui, le texte est « un formidable retour en arrière ». On assisterait à une gigantesque dilution. On vide de leur sens politique des initiatives qui, avant toute chose, se sont constituées comme des alternatives au capitalisme. Selon lui, « tout part d’un but politique, qui ensuite a des retombées sociales. D’autre part, nous croyons fermement dans les démarches qui émergent de la société civile. Dans cette loi, c’est le contraire, on part du haut ». Des tartes à la crème ? Le texte, qui évoque une « économie sociale de marché hautement compétitive », en serait truffé. « Innovation sociale », « utilité sociale », « meilleure gouvernance », ces motsvalise qui peuvent vouloir dire tout et son contraire font craindre à certains un « social-washing » grandeur nature...Pour autant, fallait-il laisser l’ESS dans l’ombre, entre les mains d’initiés maniant des termes dont eux seuls connaissent le sens?

Un coup de projecteur sur l’ESS En marge de ces questions existentielles, depuis le dépôt du texte en juillet, nombreux sont ceux qui saluent l’effort de reconnaissance du poids et des atouts de l’ESS. Le texte prévoit d’ailleurs de nombreuses mesures concrètes saluées par les acteurs de terrain. Rémi Roux, gérant de la SCOP* Ethiquable, installée dans le Gers, à la fois membre

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des entrepreneurs sociaux et de l’union régionale des SCOP, insiste : « la possibilité du droit d’information des salariés en cas de cession d’entreprises est une très bonne chose. Tout comme la définition d’un statut de SCOP d’amorçage. Enfin, la redéfinition des Coopératives d’activités et d’emploi est aussi un vrai progrès, pour proposer une alternative au système individualiste de l’auto-entrepreneuriat ». Le texte prévoit aussi des voies de financements affinées, notamment par le biais de la BPI (Banque Publique d’Investissement). Reste à savoir ce qu’il restera de ces mesures après le passage devant les parlementaires. Le projet de loi, déposé le 24 juillet a été présenté en première lecture publique au Sénat les 6 et 7 novembre. *Une SCOP, société coopérative de production, est une société de forme SA ou SARL dont les salariés sont les associés majoritaires.

Le texte à la loupe Dans l’état actuel des choses, le texte prévoit ( entre autres ) : > une définition du périmètre de l’Economie sociale et solidaire, afin de mieux flécher financements publics et privés. > la création d’un droit d’information préalable des salariés pour favoriser les reprises d’entreprises en bonne santé par les salariés. > la création de la « SCOP d’amorçage », statut transitoire qui permettra aux salariés de monter progressivement en puissance au capital de leur entreprise. L’obligation pour les salariés de détenir d’emblée la majorité du capital social était un obstacle à la reprise d’entreprises sous forme de SCOP. > le développement des coopératives d’activité et d’emploi, qui regroupe des salariés-entrepreneurs désireux de tester une activité, en bénéficiant d’un accompagnement adapté. > la création de Pôles territoriaux de coopération économique, pour donner plus de visibilité aux territoires. > la réforme des titres associatifs pour créer de nouvelles voies de financement des associations.



Société On le sait, le mastodonte Airbus est le plus gros employeur de la région Midi-Pyrénées. Mais quid de la formation qui amène à travailler chez le seigneur des airs ? Et surtout qui paye ces formations et débouchent-elles systématiquement sur des embauches ? Enquête dans le monde merveilleux de l’aéronautique qui a les pieds bien sur terre lorsqu’il s’agit de profiter de l’argent public, qui coule à flots.

La fabrique publique de main d’œuvre Airbus - Par Ludo Simbille -

à

À la mission locale de Blagnac, ça ne désemplit pas. « Normalement on a 60 à 70 jeunes par conseiller en permanence, là on est au double », constate Michael Lout, conseiller d’insertion. Et le cœur de cible, moins de 26 ans sans qualification, sans diplôme, s’élargit. Tous ne partent pas en formation. Environ un tiers. Depuis plus d’un an une quarantaine de jeunes en permanence veulent accéder à une formation aéronautique. « La grande majorité veut son indépendance, un CDI quel que soit le domaine. Et sur l’aéronautique, ils ont beaucoup communiqué. »

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Illustration Musta Fior

« Y’a aucun préjugés chez Airbus ». Du bout des lèvres, on évoque toutefois quelques réticences discriminatoires à l’embauche.

« Les besoins s’envolent » titre la presse à l’unisson. 5000 emplois en 2012, 1100 postes à pourvoir en 2013. Dans le sillage des commandes d’A350, Airbus a besoin d’embaucher et le fait savoir. À l’envie sont déclinés depuis deux ans les manques de main-d’œuvre ouvrier qualifiés et bac+… Les géants du ciel peuvent compter sur un allier de choix, la Région Midi-Pyrénées. Pas moins de 140 M€ sur 2011-2015 dédiés aux formations1 nécessaires aux entreprises via le Plan Régional de Développement des Formations Professionnelles. Les treize organismes publics et privés de formations répondent ainsi à des appels d’offres selon plusieurs critères (prix, qualité pédagogique, locaux, matériel). 7,3M€ en 2013 pour que les 936 stagiaires deviennent peintre, soudeur, chaudronnier, ajusteur monteur, câbleur, mécanicien système, opérateur en matériaux composites, intégrateur cabine. Martin Malvy, son président, parle de « plan régional lourd ». Public visé : chômeurs longue durée, habitants de ZUS, écoliers de la 2ème chance. Les titulaires du Parcours Orientation d’Insertion

sont prioritaires pour rentrer en formation depuis janvier 2013. Du BEP plutôt que du BAC. Problème : les constructeurs de l’aviation ne trouveraient pas assez de bras. D’aucuns y voient même un risque de ralentissement de la filière Donc, on fait jouer à plein « l’accélérateur de compétences » ! « Anticiper les besoins, former en conséquence », Manpower pense avoir trouvé le remède à cette « grande inadéquation ». Sauf que les besoins exprimés ne sont que des prévisions. Ce sont des secteurs en « dents de scie », à flux tendus, admet A. Chamorro, fort de ses quatorze ans d’expérience à l’AFPA. Ce qui crée un décalage lorsque les programmes


Les géants du ciel peuvent compter sur un allier de choix, la Région Midi-Pyrénées. Pas moins de 140 M€ sur 2011-2015 dédiés aux formations nécessaires

de commandes ne sont pas à l’heure. Alors comme Friture s’inquiète pour Airbus et ses copains, on essaie de comprendre les raisons de cette « pénurie ».

Aerodiag Faut dire qu’on ne s’improvise pas as du ciel comme ça. Avant d’être sélectionné par un organisme de formation, de faire son stage en entreprise pour obtenir son certificat de qualification paritaire de métallurgie (CQPM) ou professionnel inter-branches (CQPI), jeunes et chômeurs doivent suivre tout un processus dans le monde des sigles et des dispositifs. L’intéressé doit d’abord découvrir sa vocation par un « projet professionnel personnalisé »., condition sine qua none pour que la formation soit financée par la région. « Elle va pas investir 10 à 20 000 € [coût individuel moyen pour 900 heures], sans être sûr que ce soit la bonne personne », note un formateur. Ensuite, « Aérodiagnostic » est le passage obligé. Séance collective de tests psycho-techniques organisée par Pôle Emploi. Maths, français, lecture de plan en 3D... Le tout minuté et sanctionné par un barème. En tout, 75% réussissent les tests et 30 à 50% entrent en formation, jauge M. Lout. L’aéronautique demande des gens autonomes. « C’est normal vous avez des vies entre vos mains ». Stéphane 2, lui, a décroché la timbale. Il vient de signer son CDI chez Airbus. Au bout de dix mois de chômage, il suit une formation de chaudronnier avec le GRETA au lycée E. Montel. « Tout le monde cherchait des chaudronniers et personne ne voulait le faire. Alors s’il y a du taf à l’arrivée… » Déjà titulaire d’un BEP tourneur-fraiseur, il effectue son stage dans la boîte-mère et obtient son CQPM. Mais Stéphane doit patienter dix-huit mois de plus en intérim avant de passer titulaire. Le travail temporaire est le passage obligé pour tout prétendant au bus des airs. Aucune embauche directe n’est faite par Airbus. Les sous-traitants eux engageraient après trois ou quatre mois de Randstad, Manpower et consort. « L’intérim est l’unique porte d’entrée sur les chaînes d’assemblage. C’est anormal, l’intérim n’est pas fait pour ça, mais c’est difficile car l’issue peut-être positive », peste un représentant de CGT Airbus. Stages puis intérim sont donc déterminants pour espérer bricoler autour des oiseaux d’aciers. Sorte de période d’essai plus ou moins longue durant laquelle le futur employeur observe. Et là le savoir-être joue tout autant, voire plus, que le savoir-faire. 80% de l’embauche se juge au comportement, estime A. Chamarro. Un collègue de Stéphane, « pas trop sérieux,

trop en retard » s’est vu signifier sa non CDI-sation au bout de seize mois d’intérim. De fait, certains formés auraient du mal à se plier aux « codes » de l’entreprise. « Plus la personne est éloignée de l’emploi, plus c’est difficile de l’insérer dans l’entreprise », résume une formatrice d’un organisme public 3. Inemployables chômeurs... Airbus est peutêtre trop exigeant, dit-on. Un conseiller d’insertion : « Y rentrer c’est la roulette russe. Même nous on a du mal à avoir des contacts ». À suivre le directeur de recrutement d’Airbus, M. Butterbach, il suffirait d’avoir « de fortes compétences techniques, un esprit innovant et international » 4. Des gens posés, calmes, réfléchis. Et les rebuts du marché du travail ne correspondent pas à ce profil ? « Y’a aucun préjugés chez Airbus ». Du bout des lèvres, on évoque toutefois quelques réticences discriminatoires à l’embauche. Elles seraient plutôt le fait de certains « anciens », tuteurs de stagiaires, peu habitués à avoir des collègues extra-européens. Qu’ils côtoient pourtant sur le site car embauchés par des sous-traitants. Sous couvert d’anonymat, un syndicaliste airbusien parle de « boîte monochrome » mais qui tend à se diversifier. Ne serait-ce que pour une vitrine sociale, la direction n’a aucun intérêt à ce genre de pratiques 5. Toujours est-il que la promesse d’un salaire après les heures d’apprentissage n’est pas toujours au rendezvous. On dit qu’Airbus et consort ont déjà beaucoup embauché et qu’ils ne pourront pas absorber l’ensemble des formés. Formerait-t-on trop ? Tout dépend des secteurs. La Région indique 73% d’embauche à la sortie des centres de formation.6 « Quand je demande à quoi cela sert de former des gens s’ils ne doivent pas trouver du travail, on m’a déjà répondu : mieux vaut qu’ils soient en formation que rester seuls chez eux », se désole une chargée de formation.

La Région un cabinet de recrutement ? « Les entreprises ne veulent pas courir le risque de manquer de main-d’œuvre au bon moment. Mais ils en font prendre aux pouvoir publics » analyse-t-elle. La Région revendique noir sur blanc vouloir « satisfaire les besoins de l’entreprise ». « On est des fournisseurs de matières premières », s’amuse le conseiller de mission locale. La Région ne se transforme-t-elle pas en cabinet de recrutement pour Airbus & co ? Les mauvaises langues supputent que les pouvoirs publics déroulent le tapis rouge au mastodonte vu son importance sur l’économie locale. Ce que dément Jeanine Loïd,

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vice-présidente régionale. « On veille à ce que les demandes soient réelles » 7. Du côté des formateurs on préfère voir les réussites individuelles, les formés « très loin de l’emploi » à qui « on a mis le pied à l’étrier » et qui désormais sont de « vrais professionnels ». A. Chamarro : « On peut pas dire que la région bosse pour les patrons. Après, on est dans une économie capitaliste. C’est plus complexe que ça. Je peux vous expliquez en cinq minutes mais vous ne comprendrez peut-être pas ». La région reste cependant sur ses gardes et devrait sortir à la fin de l’année un rapport faisant le bilan financier et humain de l’argent investi dans ses formations. Reste à savoir si ce rapport sera rendu public. (1) GRETA, AFPA, AFPI, ADRAR, DERICHBOURG, ARPADE, et autres sigles (2) Les prénoms sont modifiés. (3) D’après l’enquête « Besoin de main d’œuvre 20013 » de Pole Emploi, 78% des causes des difficultés de recrutement, le profil inadéquat des candidats (manque d’expérience, diplômes, motivation) (4) Le Monde, 20/06/2011. (5) En janvier 2012, la cour de cassation condamne Airbus à verser 18 000 euros d’indemnités pour discrimination à l’embauche en raison de l’origine d’un intérimaire qui candidatait pour un CDI. Un accord est signé en 2011 entre syndicats et direction du groupe EADS sur l’égalite de traitement, la lutte contre le racisme et la promotion des salariés issus des ZUS. (6) Pour une proportion à peu près autant de CDI et de CDD. Le Diagnostic Régional Emploi Formation Midi-Pyrénées recense 24121 stagiaires en 2009, dont 12% sont demandeurs d’emplois, soit 2895 stagiaires. On sait qu’à six mois 55% d’entre eux ont un emploi salarié. Ils sont donc environ 1592. Rapportés au nombre de 238 900 chômeurs (chiffres 2013) en midi-pyrénées, on obtient une part de 0,67 %. Soit environ 0, 67% des chômeurs en sortent grâce à une formation. à ceux-là, on doit ajouter ceux qui s’installent à leur compte. Le calcul n’est pas fiable mais donne un ordre d’idée. (7) Elles sont basées sur des études du Cariforef et des tables rondes entre acteurs. Des partenariats Constructeurs Pole Emploi existent. Un rapport interne à la Région sur l’efficacité de ces formations sera rendu prochainement.


écologie

Inondations

dans les Pyrénées, une catastrophe à 350 millions d’euros Saint Béat, Lourdes, Barèges, Cauterets, sont des communes dont les noms ont fait la une de l’info à partir de la fin juin, et pendant une semaine en raison des inondations provoquées par l’action conjuguée des fortes pluies et de la fonte des neiges. Depuis, plus grand chose, sinon rien, mais pas seulement au sujet des médias; les sinistrés attendent encore des réponses de la part des compagnies d’assurance. - Par PHILIPPE SERPAULT -

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« La séance “je me roule dans la boue”, c’est bien ici ? » Il fallait bien garder le moral pour ces bénévoles qui se donnaient rendez-vous à chaque entrée de vallée pour sauver ce qui pouvait encore l’être. Les réactions spontanées de ce genre n’ont pas manqué pour les vallées sinistrées des Pyrénées, tant que la médiatisation nourrit la mémoire avant que celle-ci ne soit sollicitée par ailleurs. Ponts et routes emportés, réseaux d’assainissement détruits, prairies disparues, ce fut le constat monotone effectué par les pouvoirs publics au tout début d’un été qui semblait avoir passé son tour. Comme pris de furie contre on ne sait qui, les torrents se sont déchaînés, emportant tout sur leur passage. Juste après les inondations, Le ministre de l’Agriculture est venu constater les dégâts. Stéphane Le Foll a notamment proposé d’utiliser les jachères pour le fourrage et de solliciter les fonds consacrés aux calamités agricoles. Puis ce fut la ministre de la Réforme de l’Etat, de la Décentralisation et de la Fonction publique qui s’est rendue dans les HautesPyrénées afin d’examiner l’avancée des travaux de reconstruction après les crues de juin. Maryse Lebranchu devait confirmer le déblocage par l’Etat d’une enveloppe de 9,5 millions d’euros d’aide aux collectivités locales dont certaines ont dû emprunter pour payer les premiers travaux.

Vagues d’annonces, indemnisations au compte-goutte La Haute-Garonne, les Hautes-Pyrénées, les Pyrénées-Atlantiques puis les Landes ont dû faire face à la colère des éléments, et à une réponse rapide de mesures d’urgence. Les quatre départements cumulent 184 communes déclarées en état de catastrophe naturelle, les arrêtés préfectoraux ayant été pris au plus

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tard au début du mois de juillet. Les premiers chiffrages faisaient déjà état de plusieurs dizaines de millions d’euros d’un département à l’autre, tandis que la Fédération française des sociétés d’assurances avançait fin juin un premier chiffre global pouvant aller jusqu’à 350 millions d’euros pour les quatre départements du Sud-Ouest, des estimations qu’elle jugeait alors « très approximatives. » Les dommages les plus importants ont été recensés sur les infrastructures publiques. Les collectivités territoriales, donc les contribuables, sont donc appelées à payer un lourd tribut aux débordements des éléments. Chaque préfecture recense encore à ce jour les dégâts et les aides qu’il convient d’apporter aux collectivités. Cela dit, au cours d’une visite interministérielle dans les Landes, l’inspecteur général de l’administration Michel Casteigts fait remarquer incidemment : « Les inondations touchent souvent des zones où l’urbanisation a pris le pas sur la nature. » Un constat qui met en évidence une artificialisation grandissante des sols qui limite d’autant l’infiltration des eaux. Dès le mois de juillet, la région Midi-Pyrénées a adopté six dispositifs d’intervention en direction des communes et des entreprises situées dans le périmètre reconnu en état de catastrophe naturelle dans les départements des Hautes-Pyrénées et de la HauteGaronne. À ce jour, quatre-vingts dossiers, présentés par des collectivités et des entreprises de ces deux départements, ont été pris en charge par la Région qui annonce devoir porter son effort « à environ 15 millions d’euros. » Du côté de l’Aquitaine, le conseil régional a adopté des mesures d’aide aux agriculteurs des Pyrénées-Atlantiques et les Landes sous forme de prêts de trésorerie à taux zéro, ce qui aurait concerné environ un millier d’exploitations sur les deux départements sinistrés. Globalement, la situation du patrimoine


agricole est encore en cours d’évaluation. Des aides d’urgence au transport de fourrage ont été votées au niveau régional, comme au niveau des conseils généraux. Les chambres d’agriculture ont également mobilisé sur ce point sur les départements voisins non impactés par la catastrophe. Il reste que, pour bon nombre d’agriculteurs, le problème concerne également le substrat. Des prairies ont tout simplement été emportées et des terres ont été rendues stériles en raison du lessivage opéré par les crues. Le chiffre de soixante hectares de terres rendues inutilisables a été avancé en juillet. Dans les Landes, les sylviculteurs de peupleraies ne sont pas intégrés dans le dispositif consacré aux pertes de foncier. Dans tous les cas, la remise en culture s’annonce longue.

Des campings en zone rouge Le secteur touristique enfin a subi les conséquences des inondations dans les seuls départements de HauteGaronne et des Hautes-Pyrénées. Les campings et hôtels, touchés de plein fouet par les intempéries, n’auront pas été en mesure d’assurer l’ensemble de leur service au cours de la saison estivale. En HauteGaronne, les deux campings de Saint-Béat ne rouvriront pas, tout comme celui de Fos, selon une décision de l’Etat. « Ces campings au bord de la Garonne et se trouvent en zone rouge pour le risque inondation », justifie le souspréfet de Saint-Gaudens, et si les autorités ont fermé les yeux jusqu’alors, « la situation au plan juridique est aujourd’hui radicalement différente.» Il n’est plus question de prendre à nouveau le moindre risque. « S’il n’y a pas de camping à Saint-Béat, le village est mort », répond le maire de la commune. Comme un mauvais présage, le bar du Soleil est toujours fermé, et compte tenu de la somme de travaux, le gérant ne sait pas

Une évaluation évolutive Les premières estimations des dégâts des inondations n’ont guère évolué et les préfectures restent particulièrement prudentes sur ce point, quand elles acceptent de répondre. Il a été fait état de 76 millions d’euros dans les Hautes-Pyrénées et 14,7 millions d’euros en Haute-Garonne. La préfecture des Pyrénées-Atlantiques annonce 7 millions d’euros sur les infrastructures et 370 biens privés endommagés ou détruits, qu’ils soient habitations ou bâtiments commerciaux. Pour les Landes, les services de l’État avancent le chiffre de 3 millions d’euros d’aide aux collectivités. Du côté des entreprises, les dommages se chiffreraient à près de 6,5 millions d’euros en Haute-Garonne, mais les estimations sont encore en cours. Les dommages aux particuliers restent globalement encore inconnus. Comme mentionné plus haut, les compagnies d’assurance ont émis un premier chiffrage de 350 millions d’euros dès juin, depuis, tout le monde attend, y compris les assurés. L’association des maires de Haute-Garonne dispose de près de 600 000 euros de dons venus de collectivités, d’associations ou de particuliers. Du côté des agriculteurs, les autorités estiment le montant du préjudice subi à 15 millions d’euros dans les Hautes-Pyrénées et 5 millions d’euros en Haute-Garonne. Pour ce qui est du département des Landes, le fonds de calamités agricoles pourrait venir prendre le relais en raison d’une météo particulièrement pluvieuse du premier trimestre. De passage à Saint-Béat (Haute-Garonne), le peloton du Tour de France a décidé de renoncer à l’ensemble des primes qu’il devait toucher ce jour-là. Cette décision, prise à l’initiative de l’Union Nationale des Cyclistes Professionnels (UNCP), a permis de récolter environ 50000 euros.

s’il pourra rouvrir. Seuls trois ou quatre commerçants ont repris leur activité. Dans les Hautes-Pyrénées, la chambre de commerce et d’industrie a évalué plus de 550 entreprises et près de 3000 emplois qui ont été atteints directement ou non et s’avèrent menacés. Comme pour toute catastrophe naturelle, le reflux s’avère souvent amer, une fois que la vague de solidarité se tarit. Peut-être faudra-t-il un jour cesser de faire croire à tous les acteurs économiques et à la population que le risque zéro n’existe pas.

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écologie Kokopelli est un dieu amérindien. Le dieu de la fertilité. L’association française du même nom ne l’a pas choisi au hasard. Comme la figurine sacrée, représentée le plus souvent dansant la flûte au bec, la petite association donne le tournis aux grands semenciers. Au rythme d’un discours bien trempé et de procès qui remettent la question du droit de semer librement sur le devant de la scène. Rencontre avec d’inlassables militants-semeurs, tout juste installés en Ariège après 7 ans dans le Gard. – Par Anne-Sophie Terral –

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Kokopelli, les semeurs d’autonomie

Sur de longues étagères, des dizaines de boites, de bas en haut. A l’intérieur, des graines. Au total, 2200 variétés différentes. De la tomate rouge cochabamba au melon vert sweet granite, en passant par la courge maxime. A première vue, nichée dans la verdure, l’association Kokopelli n’a pas vraiment l’air de menacer l’ordre mondial. Et pourtant, fraîchement installée au Mas d’Azil, en Ariège, la petite structure (11 salariés) bouscule les habitudes des grands semenciers. De quoi l’entraîner devant les tribunaux régulièrement. Le dernier procès en date est celui qui l’oppose au semencier Baumaux, pour concurrence déloyale (voir encadré). Car encore faut-il rappeler que les semences ne peuvent pas être utilisées librement et que tout est verrouillé dans un catalogue officiel. Exit toutes les variétés qui n’y apparaissent pas, dont la commercialisation est interdite depuis 1949. «Militant». L’adjectif est affiché sur les paquets de thé vendus, les livres en présentation, mais aussi haut placé dans le discours d’Ananda Guillet, jeune directeur technique, pas encore policé par un conseiller en communication. «Nous sommes des militants», explique-t-il, «sur le marché de la semence, on ne représente rien. Mais les idées que l’on véhicule sont très puissantes. Nous prônons l’autonomie semencière. L’autonomie tout court même. Un savoir immense s’est perdu, qui consistait à mettre de côté une partie de sa récolte pour en faire de la semence. Le génie des multinationales a été de faire oublier tout ça en quelque décennies».

petits mais teigneux Oublier ? Pas vraiment puisque la résistance est en marche, depuis la création de l’association en 1999. Derrière les étagères, les semences bio reçues en vrac sont réparties. Il faut les peser, les mettre en sachet. Puis elles sont distribuées et vendues, soit en boutique, soit par internet, le plus souvent à des particuliers. En saison (de décembre à mars), entre 300 et 400 colis sont expédiés tout les jours. En Ariège, l’association a aussi fait l’acquisition d’une ferme de 15 hectares, qui servira à

la production pour le programme «Semences sans frontières», distribuées gratuitement en Afrique, Asie, Amérique Latine, dans les zones qui en font la demande. Cette ferme sera aussi un lieu de formation pédagogique aux méthodes de l’agro-écologie. La tâche est immense. Et sur le terrain juridique, la position de l’association tranche avec celle d’autres associations de défense de l’environnement, qui militent pour l’entrée de nouvelles variétés au catalogue officiel. Kokopelli réclame tout simplement que les semences anciennes et nouvelles appartiennent au domaine public, soient librement reproductibles, et sortent du champ d’application de la législation sur le commerce des semences. Quant aux procès ? Même s’ils mettent en danger l’association, ils ont au moins le mérite de faire parler de la question, «sans cela, les gens pensent que l’on exagère», explique Ananda Guillet, «là au moins, ils voient que non, qu’il y a un vrai problème. Et puis, on est petits mais teigneux. Sans oublier tous les citoyens qui sont derrière et qui nous soutiennent». Contact Kokopelli en Ariège : 22 Cap de l’Ourm 
09290 le Mas d’Azil

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Kokopelli réclame tout simplement que les semences anciennes et nouvelles appartiennent au domaine public


écologie

Une PAC

plus verte, plus juste ou plus bidon ? On va réformer la PAC en 2014. Oui, la Politique agricole commune, celle qui fixe les grandes orientations de l’agriculture européenne. Derrière des termes barbares, inaudible à tout lecteur n’ayant jamais mis les pieds dans le purin, la PAC se traduit par des conséquences directes sur l’agriculture de nos régions. Tour d’horizon en Midi-Pyrénées. - Par Maylis Jean-Préau -

La PAC quésaco ? Un peu d’histoire ! Les origines de la Politique agricole commune remontent aux lendemains de la seconde guerre mondiale. En 1957, le Traité de Rome instaure la création d’un marché agricole commun, mais la PAC ne sera vraiment mise en place qu’en 1962. Son but principal: relancer la production de denrées alimentaires sur un continent dévasté par les deux guerres mondiales. Pour garantir l’autosuffisance de la Communauté européenne, il faut moderniser les exploitations, restructurer la production et surtout l’augmenter. On doit à la PAC la hausse des revenus des agriculteurs, grâce à la mise en place de prix garantis, tout comme le productivisme à outrance, le remembrement et ses conséquences mortifères sur les territoires. L’histoire de la PAC est marquée par de grands tournants. Dès les années 70, l’offre devient supérieure à la demande sur certains produits, comme le lait. Or, exporter des denrées financées coûte très cher. Entre 1980 et 1992, le budget de la PAC est multiplié par trois! Pour ralentir la production de certaines filières, l’Europe met en place des restrictions, à l’image des quotas laitiers. En 1992, face à la pression internationale et à celle du secteur agroalimentaire pour ouvrir les marchés, l’Europe entame une baisse des prix garantis sur certains produits: les céréales chutent de 35% et la

Le Gers et les Haute-Pyrénées perdent ainsi une trentaine d’éleveurs laitiers chaque année

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viande bovine de 15%. Afin de limiter le manque à gagner pour les agriculteurs, des aides compensatoires sont mises en place. En 1999, rebelote. Nouvelle baisse des prix et augmentation des aides compensatoires. La dernière réforme d’envergure date de 2003 et accouche du DPU (Droit à paiement unique). Les agriculteurs se voient attribuer pour chaque hectare un DPU, calculé par rapport aux aides versées entre 2000 et 2002. Certains, peuvent ainsi toucher 500€ ou plus par hectare contre 120€, voire beaucoup moins, pour d’autres. Après plusieurs années de négociation les États membres, le Parlement Européen et la Commission ont enfin tracé les grandes lignes de la PAC pour la période 2014-2020. Celle-ci donne une assez large marge de manœuvre aux États qui négocient en ce moment son application sur leurs territoires.

Une politique moins inégale ... et pourquoi pas l’égalité ? Tout le monde le dit, même la FNSEA, cette nouvelle PAC est plus juste! Tel un Robin des bois du XXIe siècle, notre ministre de l’agriculture a décidé de donner moins aux fermiers les mieux dotés pour mieux redistribuer. «En 2019, lorsque la réforme aura été entièrement mise en œuvre, les 20 % des plus gros bénéficiaires des aides en France toucheront 48 % des aides, au lieu de 55 % aujourd’hui», explique fièrement le ministère. En effet, certaines exploitations bénéficiant d’un DPU très élevé touchaient jusqu’à présent des aides importantes, alors qu’elles sont elles-mêmes très rentables.


l’agriculture n’est-elle pas de produire plus que de faire de l’écologie ? ».

La difficile situation des zones de montagne Les agriculteurs des Pyrénées peuvent souffler. « Le dispositif d’indemnité compensatoire de handicap naturel va être revalorisé, c’est un point positif. Nous attendons de voir ce que vont donner les négociations au niveau national sur la prime à l’animal, qui permettrait le maintien des troupeaux », explique Sarah Fichot, chargée d’étude à l’association des Chambres d’agriculture des Pyrénées. L’agriculture de montagne est l’une des moins bien loties de la PAC. Ses « systèmes à l’herbes » bénéficiant d’un DPU très faible, autour de 100€ par hectare. Pourtant, alors que le nombre de structures agricoles ne cesse de diminuer (moins 24% au niveau national), les systèmes d’exploitations pastorales montrent une meilleure résistance (moins 14% dans le massif des Pyrénées) et mériteraient une plus grande considération.

Un coup de pouce aux jeunes agriculteurs

Des disparités qui seront donc gommées par la nouvelle PAC ... mais pas complètement. Pour ne pas déstabiliser les mieux dotés d’hier, la convergence des aides ne sera que de 70% et un filet de sécurité leur permettra de ne pas perdre plus de 30% de leurs subventions. « Et pourquoi pas une convergence à 100% ? Ce qui revient à dire que chaque agriculteur touche le même montant par hectare, s’interroge Judith Carmona, de la Confédération Paysanne. La France n’est pas allée au bout, pourtant l’Europe lui donnait cette possibilité ». En réalité, l’inégalité des aides accentue les différences de revenus entre agriculteurs. Ainsi, le revenu moyen d’un agriculteur en Midi-Pyrénées est de 20 000€ par an contre 100 000€ en Champagne Ardennes. « Le rééquilibrage des aides sera légèrement favorable à la région qui va recevoir 907 millions d’€ d’aides annuelles de la PAC », assure pour sa part Vincent Labarthe, viceprésident du conseil régionale de Midi-Pyrénées en charge de l’agriculture. Autre mesure phare, la surprime attribuée aux 52 premiers hectares, censée donner un coup de pouce aux petites exploitations et notamment aux éleveurs.

Une mesure qui devrait être bien accueillie en MidiPyrénées où la surface utile moyenne des fermes est de 48 hectares. Mais la surprime, ayant provoqué la colère des céréaliers et de la FNSEA, qui la considère comme une « mesure sociale », verra ses effets limités.

Tout le monde le dit, mEme la FNSEA, cette nouvelle PAC est plus juste

Une PAC plus verte ?

C’est la grande nouveauté de la réforme agricole! La PAC encourage désormais le verdissement des exploitations. Dans les faits, 30% des aides directes seront conditionnées à des pratiques culturales obligatoires: au minimum trois cultures sur une exploitation et 7% des terres arables dédiées à la conservations de haies, de jachères et autres réservoirs écologiques. « C’est la première fois qu’une réforme de la PAC prend en compte le verdissement », remarque Vincent Labarthe. Si la Confédération paysanne se dit satisfaite du doublement du budget de l’agriculture BIO, elle regrette des conditions de verdissement peu contraignantes... « C’est déjà pas mal, lance un céréalier de Haute-Garonne, la première vocation de

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Le constat est marquant. En Midi-Pyrénées, on compte un jeune qui s’installe pour quatre qui partent. « Le nombre d’éleveurs est en train de diminuer fortement. Le Gers et les Haute-Pyrénées perdent ainsi une trentaine d’éleveurs laitiers chaque année », regrette Étienne Barada, président des Jeunes Agriculteurs (JA) de Midi-Pyrénées. Face à cette problématique, la PAC a décidé d’accorder un supplément d’aide directe aux jeunes agriculteurs pendant les cinq premières années suivant leur installation. Une mesure qui ne solutionne pas tout. En dehors des 430 installations aidées en 2012, la région compte de plus en plus d’installations hors JA, qui ne sont donc pas concernées par la mesure. Quand on apprend que le revenu moyen de la ferme en Midi-Pyrénées est légèrement inférieur aux aides qu’elle reçoit de la PAC, on réalise que l’avenir des 47 000 agriculteurs de la région est en train de se jouer. Si elle est plus verte et plus égalitaire, la PAC 2014-2020 a aussi ses délaissés. « Les toutes petites fermes qui pratiquent la polyculture et les maraîchers, qui ont pourtant déjà perdu beaucoup d’hectares et représentent de nombreux emplois, sont les plus grands perdants, remarque Judith Carmona. Cette réforme aurait pu aller plus loin, mais on sent que le soutien à l’agriculture productiviste est encore d’actualité ».


CULTURE

Les nouveaux

troubadours Après Claude Sicre et les Fabulous Troubadours, le désert ? Pas faux si l’on écoute la radio et les grands média traditionnels, mais loin d’être vrai quand on creuse un tant soit peu. A Toulouse et dans les environs, la culture occitane se porte bien, merci pour elle. Les projets sont nombreux et une nouvelle génération, à l’aise avec la tradition, est en train de la moderniser le plus naturellement du monde. Pour eux, pas besoin de long discours sur le renouveau occitan, ils le pratiquent au quotidien. - Par NICOLAS MATHé-

par des vieux punks, des tradeux de l’Ariège ou des mecs branchés que des familles. Avec aussi l’envie de mettre en avant la nouvelle scène occitane, faire débarquer en centreville une musique répertoriée campagne. J’ai voulu décloisonner tout ça », explique Jérémie Courault, alias Djé Balèti, musicien d’origine niçoise, initiateur du concept des bals de la Dynamo. Mise en sommeil faute de temps et d’énergie, l’expérience n’aura duré que deux ans mais elle aura été riche en enseignements. Alors qu’on ne voyait rien venir depuis la percée des Fabulous Troubadours et de Massilia Sound System, elle aura montré que la culture occitane est plus que jamais vivante. Mieux, il suffit de pousser les portes de deux lieux emblématiques de l’occitanisme à Toulouse pour se rendre compte que les projets fourmillent. Aucun n’a encore attiré les projecteurs comme ont pu le faire leurs illustres prédécesseurs mais une génération de trentenaires à l’érudition occitane impressionnante est assurément en train de reprendre le flambeau.

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il suffit de pousser les portes de deux lieux emblématiques de l’occitanisme à Toulouse pour se rendre compte que les projets fourmillent

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Dans les locaux de Radio Occitanie, on retrouve ainsi deux des trois membres de Ministéri del Riddim, groupe issu du « T’inquiètes Sound System », collectif à géométrie variable dans lequel ont évolué Lou Davi ou Djé Balèti. Guillaume Gratiolet, alias Master G, le DJ, anime la matinale de Radio Occitanie. Mourad, chanteur originaire de Rodez, a rejoint le groupe en 2011. « Je ne parle pas l’Occitan mais je suis ancré dedans depuis mon enfance. En fait, ce sont les Occitans qui sont venus me

Jusqu’à l’année dernière, le dimanche soir en passant à la Dynamo, on pouvait assister (et même participer) à des scènes étonnantes. Dans cette salle de concert plutôt branchée du centre-ville toulousain, on voyait des gens de tous âges, enfants, personnes âgées, danser en ronde comme lors d’un bal de plein air à la campagne. « L’idée était de faire un vrai bal populaire autant fréquenté

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« En parlant de son quartier, avec le patois de son quartier, Bob Marley est Si les nouveaux troubadours travaillent au renouveau occitan, sur le terrain de leurs expérimentations, ils constatent tout du moins un devenu universel » regain d’intérêt. Un intérêt que Guillaume Gratiolet inscrit dans un

chercher », rigole-t-il. Hocine, le troisième larron, vient de Mazamet, dans le Tarn. Ensemble, il mélangent les langues (occitan, arabe, berbère, français, anglais) et les styles. « Hocine est spécialisé dans le hip-hop, par exemple, mais on ne sample pas n’importe quoi. On cherche des trucs du coin et la montagne noire, d’où il est originaire, est truffée de poètes occitans, on va naturellement vers ça, on réadapte des textes de troubadours en hiphop ou en reggae », explique Guillaume. Le collectif Dètz, lui, tient ses quartiers dans un bureau de l’Ostal d’Occitània. A l’initiative d’un groupe de jeunes diplômés passionnés d’audiovisuel, le projet a démarré en 2010 à l’Estivada de Rodez, afin de couvrir en vidéo le festival. Aujourd’hui, via le site www.detz. tv, le collectif a élargi son champ d’exploration et s’est transformé en un laboratoire d’expérimentation vidéo en Occitan. On y retrouve des chroniques culturelles, des interviews et de nombreux délires. « Le but est de combler le vide médiatique en ce qui concerne l’Occitan. Tout en décomplexant le rapport à la création audiovisuelle, on essaye d’avoir un regard nouveau et plein d’humour sur la culture occitane. On est vraiment dans l’expérimentation et dans l’audace », avance Caroline Dufau, l’une des deux salariées de l’association avec Valentin Belhomme. Ainsi, à l’image des Y’a Bon Awards, Dètz organise depuis deux ans les Cogordas Awards, récompensant les dérapages sur les langues et cultures minorisées. Le collectif s’est également trouvé un bien curieux sponsor avec la Banana del Segalar, un type de banane issue de cette région entre Tarn et Aveyron mais qui, poussant droit, nécessiterait une machine afin de la courber. « C’est typiquement ce qu’on aime faire, on a tourné des vidéos en jouant sur les codes et l’image du Patois avec des vieux en béret. Ça marche à fond », s’amuse Valentin Belhomme.

mouvement plus global, et très occidental, de retour aux racines. « Quand tu recherches l’histoire de l’endroit ou tu es né, dans le coin tu tomberas forcément sur l’Occitan », résume-t-il. Effectivement, tous sont unanimes pour dire que les valeurs que l’on accole généralement à la culture occitane ne lui sont pas propres et se retrouvent dans de nombreuses cultures régionales. Joie, vivre-ensemble, ouverture...Le constat que dresse en contrechamp cette nouvelle génération d’occitanistes est celui d’un pays centralisé qui a construit son roman national en faisant la guerre aux différences, un pays obnubilé par la monoculture, la mono-religion et qui a toujours autant de mal à intégrer et à admettre le pluralisme. Un climat qui transforme le simple lecteur des nombreux trésors que recèle la littérature occitane en un militant malgré lui. Pas étonnant, donc, de retrouver dans leurs discours des affinités avec la Jamaïque. « En parlant de son quartier, avec le patois de son quartier, Bob Marley est devenu universel, l’Occitan doit servir à échanger avec les autres », explique Valentin Belhomme. « Et quand on voit les réactions qu’il y a eu quand les annonces du métro sont passées en Occitan ou encore celle des vieux paysans qu’on a pratiquement forcé à abandonner leur langue, on se dit quand même que ça sera long », lance Caroline Dufau. Mais le temps est généralement du côté de ceux qui l’abordent avec sérénité. Lors de la dernière grande manifestation occitane, la figure tutélaire Claude Sicre résumait bien la pensée de ses successeurs. Il brandissait une pancarte sur laquelle il avait inscrit : « on ne demande rien, on a tout ». Effectivement, cette génération qui redoute comme la peste l’enfermement ne rêve pas d’une Occitanie puissante et conquérante mais simplement que l’on arrête de s’étonner de les voir être ce qu’ils sont.

« On ne demande rien, on a tout » Chacun à leur manière, Djé Balèti, Ministéri del Riddim ou les membres du collectif Dètz sont les nouveaux promoteurs de la culture occitane. Pourtant, chez eux, point de drapeaux ni de banderoles. C’est peut-être le point commun de cette nouvelle génération qui, sans être dans la revendication, simplement en s’exprimant en Occitan, a envie d’assumer pleinement sa double voire multiple identité. D’ailleurs, la plupart ne se considère pas comme des héritiers. « A la base, je n’ai rien à voir avec l’Occitan, assure Djé Balèti. Je m’y suis intéressé en arrivant à Paris après avoir grandi à Nice, comme une sorte de réaction à la réputation de merde que l’on colle à cette ville. C’est venu aussi par la musique, je jouais du blues en anglais mais j’avais besoin de quelque chose de plus intime. J’ai alors découvert l’espina, un instrument traditionnel, ainsi que le Nissarte, le patois niçois, et j’ai compris ce que ça voulait dire d’ « être d’un endroit » ». Caroline Dufau, elle, a eu beau baigner dans cette culture, elle raconte la même histoire. Un exode au Québec à vingt ans. Beaucoup d’ardeur à expliquer qu’elle n’était pas de Paris et la prise de conscience de posséder une vraie culture. Un déclic qui l’a poussée a apprendre la langue . La langue, c’est à l’école des Calandrettes que Valentin l’a apprise. Il a même poussé jusqu’à la licence d’Occitan : « il y avait ce côté « je connais une culture qu’on apprend pas à l’école ». L’Occitan, c’est notre underground à nous mais ce n’est pas une fin en soi, c’est un moyen ».

photo Myrtille Visscher

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Doss er

Culture L’ état des lieux

Billets de

culture

A Rodez, la municipalité mise sur un artiste pour démultiplier son rayonnement, faire venir les touristes et développer sa notoriété, donc son activité économique. A Toulouse, Montpellier ou Marseille, des millions d’euros sont dépensés pour décrocher le fameux label « Capitale européenne de la culture ». Et dans ces villes, on ne communique plus désormais que par le fameux mot-sésame. L’art serait-il devenu un simple acteur économique, un simple mot-slogan pour sauver la face d’une économie folle et destructrice ? En donnant la parole largement à Franck Lepage, grand critique des différentes politiques culturelles actuelles, nous entamons ce dossier avec une voix polémique. Non seulement parce que dans l’art, au-delà de tous débats, la prise de parole et la contradiction sont vitales, mais bien parce que nous sommes dans une époque qui n’ jamais connu autant de foisonnement et qui dans le même temps semble perdre tous ses repères. Qui finance la culture ? Pourquoi et dans quel objectif ? Les acteurs sont-ils en bonne santé, toujours révoltés, récupérés ? Les territoires ruraux ont-ils une nouvelle fois oubliés, la culture peut-elle les sauver ? Beaucoup de questions et nous l’espérons quelques réponses. Parce que ce brave type qui dessinait des aurochs dans sa grotte de Lascaux doit bien se marrer de nous voir tous devenir des «Homo-économicus».

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Lepage Nous sommes tous bercés par le flot mélodieux et tranquille de la culture. Mais, n’y a-t-il pas là un subterfuge savamment entretenu par le pouvoir pour rendre apathique le peuple ? La culture n’est-elle pas l’outil de dépolitisation des intellectuels, des artistes et des citoyens, empêchant toute transformation sociale ? Franck Lepage, ancien directeur de MJC, créateur des « Conférences gesticulées » et ministre de la culture du fictif alter-gouvernement, pense la culture au sens de l’éducation populaire de l’immédiat après-guerre. Franck Lepage est l’un des fondateurs de la coopérative d’éducation populaire Le Pavé. Militant de l’éducation populaire, il a été jusqu’en 2000 directeur des programmes à la Fédération française des Maisons des jeunes et de la culture et chargé de recherche associé à l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire. En évoquant la mémoire de Christiane Faure, il aborde de façon critique le rôle de la culture dans la société avec un spectacle intitulé Inculture(s) 1 - L’éducation populaire, monsieur, ils n’en ont pas voulu..., qu’il a joué une centaine de fois lors de « conférences gesticulées » entre 2006 et 2009. En 2010, Franck Lepage crée, sur le même dispositif mêlant conférence et oneman-show, Inculture(s) - 2 dans lequel il traite du rôle de l’enseignement.

Vous avez une définition de la culture qui change de l’acception habituelle. Faut-il avoir une analyse historique pour saisir le concept de culture ? C’est vrai, car pour moi la culture, c’est l’ensemble des stratégies qu’un individu mobilise pour résister à la domination. Aussi, pour comprendre pourquoi la culture est un outil de résistance, il faut remonter à la Révolution française, c’est-à-dire au début de la société industrielle. Au XVIIIème siècle, avec la société industrielle naissante, la propriété mobilière appartient aux marchands. Certes, ils s’enrichissent, mais ils ne peuvent pas avoir le pouvoir parce que l’Aristocratie domine. Elle a le pouvoir, mais ne travaille pas. Avec la Révolution, la richesse mobilière va dégager la richesse immobilière. En d’autres termes, la bourgeoisie va virer l’Aristocratie. La révolution ce n’est qu’une classe qui chasse l’autre. Avec la société industrielle une nouvelle classe émerge : les prolétaires. Pour l’essentiel, il s’agissait de paysans pauvres déracinés des campagnes. Ils se retrouvent dans un tissu urbain et avec un statut social proche de l’esclave. Ils connaissent des conditions de travail inhumaines et beaucoup meurent prématurément. Ces gens-là n’ont plus de culture. Ils n’ont plus de repères identitaires ou communautaires, en fait tout ce qui fait la culture. C’est pour ça que la question culturelle se met en place à ce moment-là et elle est absolument centrale. Les ouvriers vont se poser des questions de nature culturelle. Ils vont se demander qui ils sont, quelles sont leurs valeurs. A la moitié du XIXème siècle, Karl Marx réalise son fameux questionnaire sur les enquêtes de conscientisation pour la classe ouvrière : qui sommes-nous, qu’est-ce que nous vivons concrètement ? Nous sommes au cœur de la question culturelle. A la fin du XIXème siècle, Jules Ferry met en place la soidisant école laïque, dans laquelle il est expressément dit que le but est la soumission des prolétaires. Ceux-ci doivent apprendre la résignation et le respect des riches… Les ouvriers vont alors se demander s’ils doivent mettre leurs enfants à l’école de la bourgeoisie, une école qui ne transmet pas les valeurs de la classe ouvrière. Au tournant du siècle, à partir de 1905, des universités populaires vont voir

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le jour. L’éducation populaire devient une branche dans le mouvement ouvrier, elle devient visible : ce sont tous les cercles ouvriers et de bourses du travail. Avec 1936 arrive les congés payés et la question des loisirs. Le mouvement ouvrier va s’organiser autour de nombreuses associations de culture ouvrière et de loisir. La création du ministère de la culture va institutionnaliser la culture avec un grand « Q », comme vous le dites dans votre conférence gesticulée. Pourquoi s’éloigne-til des principes de l’éducation populaire énoncés à la Libération ? Le concept de ministère de la culture a été inventé dans trois Etats totalitaires, l’Union Soviétique de Staline, l’Allemagne d’Hitler et l’Italie de Mussolini. Tout cela est normal, puisque un Etat totalitaire contrôle toujours le sens d’une société. En d’autres termes, si l’Etat dicte la culture, alors on est dans un Etat totalitaire. Au sortir de la guerre, en France, avec un Parti communiste à près de 25%, les instructeurs de l’éducation populaire pensaient récupérer le concept totalitaire de ministère de la culture en l’adaptant à une démocratie. Leurs intentions étaient généreuses, car ils voulaient en faire un ministère de l’éducation populaire, c’est-à-dire de la vraie culture dans laquelle on aurait travaillé les rapports sociaux, le syndicalisme, le féminisme, le mouvement social, la vie associative, et les artistes. Ils ont perdu ! En 1959, De Gaulle crée le premier ministère des affaires culturelles avec Malraux à sa tête et la philosophie n’a rien à voir avec l’éducation populaire. En réalité, Malraux n’est qu’une marionnette mise au service de la droite. Il est juste l’incarnation d’une droite très dure qui vient des fonctionnaires rapatriés de la France d’outre-mer. En fait, ce sont ces fonctionnaires coloniaux qui ont fait le ministère de la culture. Cette droite-là va fabriquer un ministère de la culture totalement anti-populaire basé sur la promotion du génie humain et d’abord du génie français. Il n’y a rien de plus anti-populaire. C’est un ministère du génie, juste de l’art pour l’art, inaccessible au commun des mortels.


– propos Recueilli par Christophe Abramovsky –

Vous avez incontestablement une dent contre l’art contemporain. Pensez-vous que l’art contemporain nous détourne des principes d’une culture populaire et d’une analyse en termes de rapports sociaux ? Bien sûr ! Il faut d’abord avoir une vision historique et géopolitique. Dès 1945, la culture va devenir un enjeu central. A Berlin, juste après la guerre, les Soviétiques mettent en place une maison de la culture. Ils ont une longueur d’avance sur les autres pays. Et du coup, les intellectuels occidentaux ont tous le regard tournés vers l’Union Soviétique, car tout intellectuel veut changer le monde… C’est là que la CIA invente l’art contemporain. Cet art ne dit rien et n’est simplement qu’un jeu de formes neutres. Comme le déclare un ancien directeur de la CIA : « L’opération de désinformation la plus réussie de toute l’histoire de la CIA est le financement de l’art contemporain en Europe ». En effet, pour détourner tous les intellectuels européens de la menace communiste, la CIA va ainsi mettre en place un système de financement de la culture qui ne parle pas des rapports sociaux. Stravinski va par exemple en bénéficier. Elle va les entraîner vers un combat sans enjeu qui s’appelle la culture, qui est un jeu de transgression permanente, mais jamais de subversion. Pour promouvoir une culture qui n’est que de la liberté d’expression totalement dégagée des enjeux de société, elle va financer le narcissisme artistique. Et ça va marcher. Plus on enlève du sens et plus on dit que c’est ça la liberté. Cette vision de la culture va gagner et la vision d’une culture plus engagée va s’effondrer en France. La culture est donc une entreprise de dépolitisation des rapports sociaux. C’est fait au nom des grands principes, comme toutes perversions. L’art qui parle vraiment de la vie des gens, ce n’est pas de l’art, c’est du réalisme socialiste. Pensez-vous que le paradigme de la démocratisation culturelle soit un leurre pour abandonner la lutte des classes ? C’est sa principale fonction. Et d’ailleurs, paradoxalement, les communistes ont une responsabilité écrasante dans l’abandon de la culture ouvrière. En 1934 déjà, quand un front commun antifasciste se met en place, les communistes vont déclarer qu’il n’y a pas de culture ouvrière, mais une culture universelle confisquée par la bourgeoisie et qu’il faut la rendre au peuple. C’est le paradigme de la démocratisation culturelle qui se met en place avec le mythe de Jean Villard. En fait, sans le savoir, le Parti communiste s’aligne sur la définition bourgeoise de la culture. Quand dans les années 80, les socialistes inventent la politique de la ville, ils dépolitisent totalement la question de la lutte des classes dans les quartiers populaires. Le discours dominant devient celui de la participation, du lien social, de la cohésion sociale. C’est l’idée qu’il ne faut plus se fâcher entre riches et pauvres… Et ça marche aujourd’hui encore. Le socio-culturel devient la culture des pauvres, qui sert à empêcher

l’énonciation du conflit social. Autre exemple intéressant. En 1971, les soviétiques ont un problème de pénurie de blé et ils vont négocier avec les Etats-Unis. En pleine fausse guerre froide, il y a des accords secrets pour que les Etats-Unis fournissent en blé l’Union Soviétique. En même temps, l’ambassade américaine organise un coup extraordinaire : elle pousse des artistes dissidents russes à faire une exposition d’art contemporain. La police évidemment interdit l’exposition. Et, preuve que la culture est un enjeu central, les américains négocient pour que l’exposition soit autorisée… Elle le sera ! Vous refusez l’assimilation entre l’art et la culture. En quoi l’art nous empêche de penser les questions sociales ? Quand on dit culture, tout le monde entend art. L’avantage avec l’art, c’est que ce n’est pas dangereux pour le pouvoir, ça ne le remet pas en question. L’art ne peut avoir que lui-même pour objet. C’est la mort de la culture. En 1965, au congrès

Si je deviens ministre, je crée un ministère de l’éducation populaire d’Argenteuil, le Parti Communiste déclare que l’œuvre d’art est « inquestionnable ». Tout est dit. Les artistes sont souverains, ils ont le droit de faire ce qu’ils veulent. Le Parti Communiste est en fait, une fois encore, le jouet de la CIA. Donc avec la culture, on va promouvoir l’art, le beau. La totalité de la gauche est tombée dans le piège. Elle va faire croire à tout le monde que la démocratie, c’est l’art. Alors si tu attaques la culture comme je le fais, c’est irrecevable. En 1981, quand la gauche arrive au pouvoir, elle va faire plus fort que Malraux : l’artiste va être propulsé à des niveaux jamais atteints… Il y a deux ans, j’ai été invité par la Parti Communiste à des assises sur l’art et la culture. Déjà, sur la plaquette de présentation, il n’y avait que des ateliers sur l’art. Quid de la culture. Je leur ai posé trois questions : leurs positions sur la suppression du baccalauréat, qui ne sert en fait qu’à empêcher les classes populaires d’accéder aux études supérieures. Ne s’agit-il pas là d’un enjeu culturel ? Je les ai interrogé sur le rôle du management participatif dans l’entreprise, qui à coup de langage flingue les métiers. Est-ce que le management c’est de la culture ? Enfin, j’ai demandé si le Parti Communiste envisageait de dénoncer explicitement

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l’art contemporain comme escroquerie nationale et détournement d’argent public, ne servant qu’à François Pinault pour défiscaliser ses millions en achetant trois bouts de moquette, le tout sous le haut patronage de l’Etat. Mes questions ont fâché tout le monde ! En fait, il faudrait à la gauche un courage considérable pour casser cette assignation, art et culture. Il faut redire à la gauche que la culture c’est les rapports au travail, le management, les rapports de production et les rapports sociaux. Il faut refaire de l’éducation populaire. Dans l’alter-gouvernement, vous supprimez le ministère de la culture, pour en faire une direction de la culture transversale à tous les ministères. En réalité, la culture n’est rien d’autre que de l’éducation populaire. Oui, en quelque sorte ! Si demain je suis au gouvernement, je débaptise le ministère de la culture. Je le rebaptise immédiatement pour ce qu’il est c’est-à-dire un secrétariat d’état aux beaux-arts… et je rajoute un ministère de l’éducation populaire. Dans l’alter gouvernement, j’étais ministre de la culture. D’abord ce ministère est supprimé, il n’existe plus comme administration spécifique, il devient une direction de la culture dans tous les autres ministères. Il devient, par exemple, la façon de vulgariser les politiques de santé et les questions médicales qui touchent toute la société… La culture c’est la dimension transversale de tout cela, ça n’est pas un champ à part. Si tu mets la culture dans un bocal, tu la tues ! Et puis le ministère de la culture devrait être le lieu où l’on se bat notamment contre le management qui est une escroquerie majeure, poussant beaucoup de gens au suicide. Le ministère de la culture devrait interdire qu’on appelle « démarche qualité » ce qui est en fait une démarche pour davantage de productivité. Il devrait y avoir là un délit d’escroquerie. Ce serait simplement un ministère qui s’attacherait à la culture, qui travaillerait le langage, non pas pour le surveiller, mais pour interdire les dérives du genre « croissance négative » pour signifier la récession économique, « plan de sauvegarde de l’emploi » pour parler de licenciement collectif… Ce serait un ministère qui s’attacherait au travail des représentations. Il devrait permettre à tout un chacun de faire de la politique, de comprendre le monde dans sa complexité. Dans mon ministère, il y a une direction de l’action politique, parce que la culture, c’est d’abord ça. Nous, aujourd’hui, quand on fait une conférence gesticulée, on refait de la culture, on se reparle de choses qu’on vit concrètement, on cherche à analyser les systèmes de domination, à démonter les rapports sociaux… La culture ce n’est rien d’autre que de développer pour tous, individuellement et collectivement, le pouvoir d’agir ici et maintenant.


Lettre ouverte aux élus et responsables de politiques culturelles – Par L’association ARTfactories / Autre(s)pARTs –

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Les rencontres nationales In Vivo organisées à Mix’art Myrys à Toulouse par l’association ARTfactories/ Autre(s)pARTs les 31 mai et 1er juin 2013, à l’occasion de la sortie de l’ouvrage éponyme consacré aux lieux d’expérimentations du spectacle vivant, ont soulevé un certain nombre de questions qui nous semblent essentielles aujourd’hui. Par cette lettre nous souhaitons porter ces questions sur la place publique, et interpeller les responsables nationaux et territoriaux. Il est en effet, non seulement nécessaire, mais aussi urgent de revisiter les fondements de l’action publique en matière culturelle. Ceci pour tenter d’appréhender et d’accompagner la période de profonde mutation que nous vivons, cette « crise de sens » qui va bien audelà des seules problématiques artistiques et culturelles. Conscients de notre responsabilité d’acteurs culturels, mais aussi de citoyens dans ce « grand chantier » à entreprendre, nous souhaitons partager avec nos élus le besoin et l’intérêt de se saisir de ces questions complexes... Dans un contexte d’accélération du phénomène de métropolisation connecté au mouvement global de mondialisation, la France discute actuellement le cadre législatif de l’Acte III de sa décentralisation. Or, de nombreux lieux d’expérimentation artistique et culturelle, qu’ils soient ou pas membres de notre

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association, qu’ils figurent ou non dans IN VIVO, sont dans leur grande majorité nés au cours des précédentes étapes de cette réorganisation de l’action publique. Ils sont les “enfants de la décentralisation”. C’est pourquoi nous souhaitons insister auprès des pouvoirs publics sur la nécessaire intégration des enjeux culturels dans toutes les politiques publiques et particulièrement celles d’aménagement du territoire. Afin de dépasser les seules visions économiques qui structurent aujourd’hui majoritairement les relations et les mobilités au sein de nos territoires, il s’agit ici de participer à la fabrication des nouveaux espaces de la vie sociale avec les citoyens et depuis leurs expériences sensibles, mais aussi à partir de leurs envies et de leurs projets. Dans ce processus, nos lieux d’expérimentation artistique et culturelle sont déjà à la croisée de nombreuses dynamiques (esthétiques, culturelles, sociales, politiques, économiques, écologiques, urbanistiques, etc...) et doivent jouer un rôle d’intermédiaire et de catalyseur. Certes, nous déplorons la baisse régulièrement dénoncée des financements publics dédiés aux arts et à la culture ainsi que la persistance des redistributions inégalitaires entre opérateurs. Mais les difficultés ne sont pas que financières. Fort du constat d’un affaiblissement du politique sur tous les territoires, l’enjeu actuel est de reconnaître et d’accompagner une époque de transition historique à la fois pour le rapport à l’art et à la « chose publique ». Cette époque est caractérisée par le foisonnement, la diversité et l’évolution perpétuelle des initiatives et pratiques, ainsi que par une appréhension de moins en moins évidente de cellesci par les pouvoirs publics. Dans ce contexte, nous considérons comme un risque majeur que les politiques culturelles soient de plus en plus guidées par des logiques de marketing territorial (facteur d’exclusion et réification de la vie sociale) et de distraction visant une cohésion sociale artificielle. Concevant la recherche permanente comme l’état normal des pratiques artistiques et considérant également que l’innovation dans ces espaces-projets n’est


Membre d’ARTfactories / Autre(s)pARTs :

232U Théâtre de chambre - Aulnoye-Aymeries / 3bisF - Aix-en-Provence / ABI/ABO [art be in/ art be out] (Projet LieuX) - Lyon / Banlieues d’Europe - Lyon / BlonBa - Bamako (Mali) / Cité maison de théâtre - Marseille / Chantal Lamarre - Loos-en Gohelle / Claude Renard - Marseille / Collectif 12 - Mantes-La-Jolie / Compagnie Black Blanc Beur - Trappes - Paris / Compagnie Hendrick Van Der Zee - Loos-en-Gohelle / Cos­mos Kolej - La Gare Franche - Marseille / COUAC - Toulouse / Cyclone Productions - Ile de la Réunion / Culture Commune - Loos-en-Gohelle / Emmetrop_L’Antrepeaux - Bourges / Gare au Théâtre - Vitry sur Seine / KompleXKapharnaüm Villeurbanne / L’art de vivre - Comptoir de la Victorine - Marseille / La Fabrique Pola - Bordeaux / La Hors De - Lyon / La Parole Errante - Montreuil / La Grainerie -Toulouse / Laurie Blazy - Caen / Jacques Livchine - Le Théâtre de l’Unité - Audincourt / Le Bruit du Frigo / La Luna - Nantes / Les pas perdus - Comptoir de la Victorine - Marseille / L’Usine - Toulouse / Mains d’OEuvres - SaintOuen / Melkior Théâtre - La Gare Mondiale - Bergerac / Mix ’Art Myrys - Toulouse / Nicolas Frize - Les Musiques de la Boulangère - Paris / Ophélie Deschamps - Paris / Philippe Foulquié Marseille / Philippe Henry - Maître de conférences en Études Théâtrales - Université Paris 8 / Ramdam - Lyon / Système friche Théâtre - La Friche La Belle de Mai - Marseille / le TNTManufacture de Chaussures - Bordeaux / Viesàvies - Arras / Zutique Productions - Dijon/ Cie Sîn - Montpellier.

pas seulement artistique, mais concerne aussi la gouvernance, le modèle économique, l’hybridation des usages, les relations à l’altérité, les ancrages dans l’espace et le temps, etc. Nos lieux d’expérimentation permettent un renouvellement des formes et des fonctionnements tant de l’art que de la vie sociale. Hélas, leurs réalités, diverses et changeante, sont encore difficilement reconnues au travers des codes et des institutions actuels. On y construit pourtant au quotidien de nouvelles « façons de faire » (de l’art notamment) mais aussi d’autres visions du « rôle de l’art », et même d’autres usages de l’art. De ce fait, ces espaces constitués sur un principe de liberté deviennent alors plus que légitimes, ils sont indispensables. Or, ici comme dans l’ensemble de la société, sous couvert d’efficacité ou de sécurité, les contraintes deviennent de plus en plus inhibantes, sclérosantes. Pour préserver leur fonction et leur(s) identité(s), il faudra enfin accepter collectivement de ne pas savoir exactement ce que ces lieux font, qu’ils ont besoin des temps d’incertitudes, de recherches, de moments où le nombre ne fera pas le succès. Il faudra prendre le risque de l’expérimentation. Ce constat posé, nous nous permettons de formuler plusieurs propositions :

1 - Réseaux
 Il convient de créer ou recréer des espaces pérennes, réguliers et systématiques de réflexion croisée réunissant les acteurs culturels, les différents niveaux de Collectivités territoriales, l’État, ainsi que des chercheurs, au niveau local et national. Ces conférences permanentes et paritaires, pour être efficaces et répondre aux enjeux transversaux, devront être interservices. Au niveau national, il pourra s’agir d’une nouvelle mission interministérielle, ou encore d’une mission confiée à un collectif de réseaux associatifs en prise avec ces réalités via leurs membres. Dépassant les seuls aspects techniques et financiers, cette mission contribuera à la construction d’espaces où échanger sur les orientations et le contenu des projets à accompagner et soutenir, mais aussi sur les enjeux de politiques publiques correspondant aux territoires d’implantation.
Ce dialogue devra également être impulsé par les pouvoirs publics entre réseaux d’opérateurs issus de la société civile et réseaux de

structures publiques ou conventionnées, sur la base d’une considération réciproque (et des moyens nécessaires à la réciprocité souhaitée).
De notre côté, ceci implique par ailleurs de pouvoir pérenniser, voire développer, la structuration interne de nos propres réseaux (au niveau national et international). Cette mise en réseaux doit également pouvoir se traduire par le « faire ensemble », c’est-à-dire permettre la circulation d’œuvres et d’usagers –artistes et autres–, entre les lieux se reconnaissant dans les valeurs défendues par notre association.

2 - Soutien Pour faire sens, il nous semble important que les soutiens mobilisés pour ces projets émanent de crédits de droit commun, et inscrits dans la durée — c’est-àdire au fonctionnement et non pas uniquement aux projets — dans le cadre de conventions d’objectifs et de moyens pluriannuelles et pluripartites, négociées entre tutelles et opérateurs. Ainsi, de telles lignes de financement pour ces lieux d’expérimentation devront pouvoir exister sur chaque territoire, mais aussi au niveau des DRAC, accompagnées d’une réflexion croisée pour à la fois définir et évaluer cette politique ainsi que les projets identifiés. Cette démarche, qui s’appuie sur la reconnaissance de la singularité des projets et de la spécificité du rapport de chacun à leur territoire, s’oppose donc au principe de labellisation classique, que nous avons toujours refusé. De tels financements devront par ailleurs permettre un effet levier, tout en garantissant la diversité des expériences soutenues, et ainsi lutter contre la standardisation des politiques culturelles.

3 - Maîtrise d’usage Ces aventures, autoconstituées et défendues depuis de nombreuses années par des citoyens, sont installées dans des lieux réinvestis ou neufs — souvent des friches urbaines. Durant ces étapes de relogement ou de réhabilitation de bâtiment, l’expérience acquise par les équipes à l’initiative desdits projets doit être largement mobilisée. Cette notion de « maîtrise d’usage » est pertinente et efficace sur le plan de l’architecture des lieux à investir, sur celui de la localisation de ces bâtiments dans leur environnement urbanistique et humain mais aussi, plus largement, dans la conception

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même des projets où les usagers et les destinataires de ces projets doivent pouvoir être associés.

4 - Conventions et cahiers des charges Dans cette même logique, ces équipes associatives qui répondent aux missions de service public dont elles se sont autosaisies, doivent être associées pleinement et systématiquement à la rédaction des cahiers des charges et conventions qui les lient aux partenaires publics, ainsi qu’aux processus qui permettront de rendre compte de l’activité des lieux et des projets qui y prennent forme, selon des indicateurs non-normés, en continu ou a posteriori.
Il est par exemple indispensable de produire des cadres législatifs, des moyens et des modalités d’évaluation adaptés pour valoriser les fonctions multiples remplies par ces « lieux de culture », et ainsi permettre l’évolution même de cette notion dans les politiques publiques. Ces espaces d’expérimentation, constitués d’ateliers de recherche esthétique et de construction, de jardins partagés, de cafés, de garages, de lieux de vie pour des équipes artistiques, etc... sont et doivent pouvoir rester des lieux dédiés à la création artistique, mais aussi à la fête, au travail social, et à toute initiative créant de la socialisation.

POUR ALLER PLUS LOIN www.artfactories.net


La Drac,

Rapide histoire de l’institution Jusque-là très centralisée sur Paris, André Malraux, alors ministre d’Etat chargé des Affaires culturelles, décide de favoriser un embryon de décentralisation culturelle. Cela passe par la circulaire du 23 février 1963 qui entérine la création d’un Comité régional des Affaires culturelles (Crac) à l’échelon régional. Six ans plus tard, les premières directions régionales voient le jour dans cinq Drac expériementales, en Alsace, Corse, Ile-deFrance, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Rhône-Alpes. Leur généralisation s’étend sur l’ensemble du territoire hexagonal et est officiellement entérinée suite au décret du 3 février 1977 par Françoise Giroud. Le réseau est totalement achevé sous le ministère de Jack Lang, qui parallèlement crée en 1982 les Fonds régionaux d’art contemporain (Frac) et le Fonds régional d’acquisitions des musées (Fram). En 2010, les Drac fusionnent avec les services départementaux de l’architecture et du patrimoine.

mode d’emploi Depuis 1977, les directions régionales des affaires culturelles (Drac) représentent le ministère de la Culture et de la Communication dans chaque région de France. Elles sont chargées de mettre en œuvre, au plan local, la politique culturelle définie par le gouvernement sous l’autorité des préfets et exercent une fonction d’aide, de conseil et d’expertise scientifique auprès des partenaires culturels et des collectivités territoriales. En MidiPyrénées, le nouveau directeur régional souhaite accentuer ce rôle auprès des intercommunalités, après les élections municipales.

N – Par mathieu arnal –

Nommé le 1er juillet dernier à la place de Dominique Paillarse parti à la retraite, Laurent Roturier est le nouveau directeur régional des Affaires culturelles. Comme son prédécesseur, il doit faire face à une baisse du budget de la Culture de 2%, (7,26 milliards d’euros contre 7,4 milliards l’an passé) soit dans la moyenne des économies budgétaires d’un Etat dont le retour au sacro-saint équilibre des comptes publics est reporté aux calendes grecques. Ce sont les grandes institutions culturelles qui devront se serrer la ceinture, les moyens alloués aux Drac restent pour leur part inchangés. Ainsi, Laurent Roturier conserve une enveloppe d’un peu plus de 30 millions d’euros pour faire fonctionner ses services, avec un leitmotiv : travailler davantage en synergie avec les intercommunalités et les villes moyennes. Dans un souci constant de déconcentration et de décentralisation, il pourrait faire de cette phrase de François Mitterrand sa maxime -« La République a eu besoin d’un pouvoir concentré pour se faire et aura besoin d’un pouvoir déconcentré pour ne pas se défaire »« Il faut savoir identifier les ressources culturelles des territoires et favoriser les lieux d’intervention comme les établissements scolaires, les maisons de retraite… L’outil intercommunal est la meilleure réponse pour répondre aux besoins des habitants. Après les élections municipales de mars 2014 qu i va aussi concerner la désignation des conseillers communautaires, suite à la

réforme des modes de scrutin et la loi du 17 mai 2013 (acte III de la décentralisation), nous expérimenterons avec une quinzaine d’intercommunalités de la région ». Parmi ses priorités, le directeur de la Drac vise les actions en direction de la jeunesse à travers l’éducation artistique et le parcours culturel ainsi que le patrimoine. Par ailleurs, il formule le souhait de constituer un pôle circassien synergique d’envergure nationale, voire internationale, entre le Centre d’innovation et de recherche circassien (CIRC) d’Auch, la fabrique des Arts du Cirque et de l’Itinérance de la Grainerie de Balma et le Centre des arts du cirque du Lido de Toulouse. Côté théâtre, Odyssud, le TNT et le théâtre Garonne restent conventionnés tout comme certaines compagnies. Elles sont choisies après délibération d’un comité d’experts (dont les membres sont nommés par arrêté du préfet de région sur proposition du directeur régional des affaires culturelles) qui rend un avis consultatif sur l’intérêt artistique des activités de création de ces structures qui sollicitent une aide. Les décisions de subventions sont prises après l’instruction menée conjointement par les services de la direction régionale des affaires culturelles, des avis exprimés par le comité d’experts ainsi que des appréciations portées par l’inspection de la création et de l’évaluation. L’aide débloquée à la création varie alors de 50 à presque 100 000 euros.

Critique du « système » Drac Figure de la scène locale toulousaine depuis plus de 45 ans, le comédien et metteur en scène JeanPierre Beauredon dénonce une certaine connivence. « Je ne crache pas dans la soupe car j’ai été aidé à plusieurs reprises mais le comité d’experts, c’est un comité de mange-merde qui ne se renouvelle pas. Certains membres, tel que Jacky Ohayon, par ailleurs directeur du théâtre Garonne, y placent leurs petits copains. Alors qu’ils devaient être conventionnés pour trois ans, ils sont toujours là depuis plus de 15 ans. Je pense à la Compagnie 111 qui tourne dans le monde entier et qui n’a plus besoin de cette aide, et qui comme d’autres,

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fait barrage à de nombreux jeunes qui débutent dans le métier, qui ont du talent, de l’enthousiasme mais qui n’arrivent pas à obtenir trois francs six sous. Etre reconnu par la Drac, c’est quand même quelque part une reconnaissance, et c’est plus facile d’aller chercher d’autres subventions lorsqu’elle est la première à mettre la main au pot ». De son côté, l’écrivaine et co-directrice de l’association culturelle Graphites, Hélène Duffau, à la tête du projet « Ecrire l’Europe.com », * (NB) est très circonspecte quant à la lenteur administrative de l’institution. « Quand la Drac met un temps fou pour donner 10 000 euros (entre le dépôt du dossier en 2009 et le déblocage toute fin 2010), avec la Société Française des Auteurs de l’Ecrit (SOFIA), société de perception et répartition des droits (SPRD), qui reverse une partie de sa collecte sur des financements d’action culturelle, on a récolté 70 000 euros. En outre, elle dénonce une politique culturelle dévoyée à la rentabilité et au service de l’Etat. « On m’a souvent interpellé sur le fait que le projet s’adressait à peu de bénéficiaires et qu’il devait quelque part répondre à des attentes donc nous ne sommes plus des acteurs mais des opérateurs culturels ». Un glissement somme toute dangereux vers une appétence consumériste qui viendrait supplanter la préoccupation artistique et in fine la réflexion culturelle. NB : *action qui s’inscrit auprès de jeunes de Midi-Pyrénées, qui travaillent leur représentation de l’Europe à travers des ateliers d’écriture et de littérature contemporaine (comme levier au développement de l’identité européenne, du sentiment européen), menés par un écrivain français et un écrivain correspondant européen…

Budget 2013 de la DRAC Midi-Pyrénées

Le budget total alloué cette année à la DRAC Midi-Pyrénées est de 31 133 000 euros (20 888 000 euros de frais de fonctionnement et 10 245 000 euros d’investissement), auxquels il faut ajouter 3 090 000 euros de Dotation générale de décentralisation (DGD) pour les médiathèques. Dans le détail, le programme création (Fonctionnement : 12 613 000 euros, investissement : 1 865 000 euros), celui alloué au patrimoine (Fonctionnement : 2 500 000 euros, investissement : 8 380 000 euros), la transmission des savoirs et démocratisation de la culture (Fonctionnement : 4 993 000 euros) Livre et industries culturelles (Fonctionnement : 782 000 euros)



La barrière culturelle de

Montpellier - Par Nicolas Séné -

À Montpellier, l’offre culturelle reste élargie entre lieux d’exposition gratuits et festivals prestigieux qui font rayonner la ville sur le plan international. Mais l’accès à la culture dans les quartiers populaires est plus problématique.

La gratuité dans le centre-ville L’accès gratuit à la culture est une pratique courante impulsée par la ville. Ainsi, dans le centre, l’offre du Musée Fabre, proposant une tarification sociale, est complétée par plusieurs lieux gratuits. Pour la photographie, à deux pas de la place de la Comédie, le Pavillon populaire donne à voir pas moins de quatre expositions par an réalisées spécifiquement pour le lieu. Sous la direction de Gilles Mora, la pédagogie est de mise avec des outils adaptés au plus grand nombre (livrets, affichage sur place, visites guidées). Juste à côté, l’espace Dominique-Bagouet, défini comme un « lieu d’art et de patrimoine », expose des peintres languedociens. Il complète le Musée Fabre qui, depuis sa rénovation, s’est tourné vers l’international. L’art régional souffrait donc d’un manque de place. Dans l’Écusson, place est faite à l’art contemporain. D’abord, avec le Carré Sainte-Anne, une église dévouée à l’exposition. Ici, les oeuvres prennent une autre dimension. La Galerie Saint-Ravy, lovée sur la place du même nom, donne vie à la jeune création. Sa programmation d’une vingtaine d’expositions annuelle est mise en place par une commission d’artistes et de professionnels sous l’égide de l’adjoint à la culture. La petite dernière est La Panacée qui a ouvert ses portes en juin dernier. Ce centre de culture contemporaine abrite à la fois de la production, de l’expérimentation et des expositions. C’est aussi le seul équipement culturel en France à avoir une résidence universitaire.

Le prestige des grands festivals Les festivals ont participé à la reconnaissance de Montpellier au-delà des frontières. Le Festival Radio France pour la musique classique, Montpellier Danse ou encore les Internationales de la guitare sont désormais largement médiatisés. « Dans le modèle montpelliérain de type frêchien (1980-1990), on est plus dans le registre du rayonnement que de la solidarité territoriale », analyse Emmanuel Négrier, directeur de recherche au CNRS (CEPEL, Université de Montpellier 1). Auteur de « Festivals de musique(s) : un monde en mutation » (1), il analyse la sociologie des publics de festivals. « Il y a plusieurs points qui distinguent Montpellier d’autres villes comme Aix-en-Provence ou Lyon : le recours à la

gratuité et une pratique tarifaire qui reste modérée. Et cela a un impact sur un public qui ne participe pas à ce genre de manifestations. » D’après lui, « le gros du problème, c’est la barrière symbolique où les gens s’auto-excluent. » Alors, « les opérateurs mettent en place des tarifications spéciales en accord avec des structures sociales comme Culture du coeur ou les centres sociaux ». L’universitaire avance aussi la délocalisation de spectacles dans les quartiers comme action positive. « Certes, vous n’allez pas transformer tous les habitants de La Paillade en férus de théâtre de rue. Mais en allant faire des spectacles dans le quartier, plus d’habitants y auront accès. Il faut comprendre qu’un Pailladin qui passe la porte de l’opéra, c’est symboliquement d’une très grande violence pour lui. Alors, plus vous délocalisez les spectacles, plus ça a de résultat ». Mais la conjoncture affecte aussi le déroulement de ces grands festivals. Ainsi, l’année dernière, le Festival Radio France n’a pas organisé le concert gratuit de clôture qui avait lieu dans le quartier Antigone. Pourtant, c’était un bon exemple d’accès à la musique classique pour tous et qui connaissait un succès populaire.

Les quartiers populaires, les oubliés de la culture ? Y aurait-il une culture à deux vitesses à Montpellier ? Du côté de La Paillade, la situation est complètement différente d’un centre-ville offrant de nombreux lieux gratuits. Nourdine Bara, comédien et auteur (2), habite le quartier depuis toujours. Avec « les copains du quartier », il participe à favoriser l’accès à la culture par divers moyens. Les Agoras, qui se passent le dimanche, où un thème est débattu, le Festival motif d’évasion, les Drive-in (projections de cinéma en plein air où les spectateurs sont assis dans leurs voitures) ou encore un vol en Montgolfière. « J’ai le sentiment que cette ville ne fait pas le partage de ce qu’elle propose comme culture. Je ne vois rien venir à La Paillade », explique Nourdine. Il prend ensuite l’exemple du théâtre municipal Jean-Vilar : « C’est une ambassade du théâtre dans le quartier ! Il n’attire personne, c’est donc à la ville de se poser la question car il doit entrer en contact avec son environnement ». « J’essaie d’interpréter une politique culturelle et dans les quartiers, j’ai la sensation d’un mépris. Et tu peux vite alors glisser au fait qu’on ne serait pas assez évolués, dépourvus de sens poétique. J’y vois la pire des déconsidérations

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quand on te refuse la culture. C’est la plus grande injure. Mon avis n’est pas tranché mais pour le moment, le « non tu ne peux pas comprendre » est ma lecture des choses ». Il a donc monté son propre théâtre, accolé au centre commercial, fait de tentures provenant de couvertures des habitants. Fils de maçon, sa démarche culturelle est intimement liée à son histoire : « ça m’intéresse de prendre le public du quartier comme point de mire. Il est entre moi et ce que j’ai à dire. Et c’est bien plus fort, plus utile et plus poétique ». Sans subvention, sa structure poursuit ses actions d’accès à la culture dans un quartier qui connaît bien d’autres problématiques sociales. Mais, pour Nourdine, « les réponses par la culture sont autant de contre-coups assez efficaces. » (1) « Festivals de musique(s) : un monde en mutation » - Éditions Michel de Maule - 24€ (2) « Le tour de toi en écharpe » - Éditions Domens


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Toulouse ou l’art du Kulturwashing ? - Par Ludo Simbille -

Au cas où ça vous aurez échappé Toulouse est une « ville-culturelle ». Cirque, théâtre, cinéma, musique, sciences, la ville rose arrose ses administrés de bouillon de culture à toutes les sauces. 3000 événements à l’année. Une orgie de près de 300 « rendez-vous » par mois. Le tout enrobé du label urbanistique Toulouse Métropole. Même décoiffée par la Marseillaise de son diadème « capitale européenne de culture 2013 », la miss Toulousaine aspire à « construire ensemble la métropole de demain ». Véritable projet d’ancrage territorial ou Kulturwashing, simple marketing urbain d’une ville marque ?

« illustration Isabelle Cochereau

« So culture, So Toulouse ». Le slogan de l’office de tourisme ne s’y trompe pas. So What ? Complète malin le Collectif urgence d’acteurs culturels (Couac). Créée lors des municipales de 2001, cette association sert de mise en réseau de structures, de laboratoire d’idées et de veille autour du culturel. Cet automne, ses membres organisaient une série de rencontres-débats. « Qui fait la culture ? Avec qui et pour qui ? Depuis 2008, quels changements ? » 1 L’heure du bilan donc. Cinq ans après que la nouvelle mairie PS de Pierre Cohen se soit orientée plein cap vers la « Culture ». L’idée est de construire une politique cohérente de vie culturelle, jusque-là inexistante ou trop fragmentée. Symbole fort, Nicole Belloubet, l’élue à la culture est nommée première adjointe, nous sommes en 2007. Depuis elle a rejoint la Région puis le Conseil constitutionnel. Héritière du projet Toulouse capitale enculturée 2013, la Ville lance en 2008 un processus de concertation-consultation. Les fameuses « Assises de la culture ». Un moment inédit d’échanges, d’idées entre 2000 professionnels, associatifs et citoyens. « C’est tout à leur honneur, car peu évident à mettre en œuvre. Il y avait une telle chape de plomb, un tel passif qu’ils ont ouvert la boîte de pandore » lance Mélanie Labesse, coordinatrice des relations publiques au Couac. Beaucoup d’espoirs, beaucoup d’attentes. Beaucoup d’acteurs du milieu culturel s’en servent de tribune. « Qui vient à ces concertations ? demande Hafid El Alaoui, président de la Maison de Bagatelle. Un truc d’initiés ». Ce que confirme Mariette Sibertin-Blanc, maître de conférences en aménagement-urbanisme à l’UT2. Peu de présence d’habitants, contrairement à d’autres assises. Pourtant le Couac a tenté d’assouplir le dispositif. « On a essayé de jouer un rôle de conseil, de méthodologie, de casser la frontalité entre élus et des gens qui viennent entendre, explique Fred Ortuno, un des coordinateurs ressource. Ça a été très difficile à mettre en place parce que la configuration ne s’y prêtait pas ». Participer n’est pas décider. « A l’évidence, les décisions se prennent ailleurs, poursuit la géographe. C’est ce que Pierre Cohen avait annoncé dès l’introduction des assises ». Mars 2009 sort le projet dit « Culture en mouvement ». Quatre axes présentés : Toulouse, métropole « solidaire », « créative », « équilibrée » et « participative ». Parmi les objectifs principaux, celui de rééquilibrer le maillage du territoire par les équipements culturels sur la ville, structurer les filières créatives. Vaste programme. Peut-être un peu trop ambitieux. « Il faudrait un sacré portage politique pour faire aboutir tous les projets », lancent les animateurs du Couac. L’aboutissement est brouillé. Des actions très précises, plus ou moins liées aux Assises mais une vision d’ensemble

- Par Maylis Jean-Préau -

Il y avait une telle chape de plomb, un tel passif qu’ils ont ouvert la boîte de pandore 32


peu lisible. En décalage avec la réalité. « De la poudre aux yeux », résume-t-on. Beaucoup de frustrations.

Culture à deux vitesses A commencer côté finance. Avec 23 % du budget municipal, le Capitole caracole en tête des métropoles les plus dotées en capital. Toulouse riche mais peut-être pas Toulouse « équilibrée »… Nicky Tremblay, co-fondatrice de Dell Arte en sait quelque chose. Une association d’insertion par la culture implantée au Mirail. « On a bataillé des années pour obtenir un financement de droit commun (hors politique de la ville). On est une des seules associations, les autres sont apparentées “cultures urbaines”». Ce qui dénote une « une hiérarchisation claire, une fracture géo-sociale » entre un centre-ville dit culturel et des périphéries dites socioculturelles. Difficile de faire reconnaître certaines activités non affiliées à la direction culture de la mairie, considérées hybrides. Festives, sociales, culturelles. Jeu, sport. Une participante au débat du Couac évoque des barrières administratives. Les « subventions arrivent après les événements ». Du fait d’un mode de financement au projet ou au label. Jamal El Arch n’observe aucune évolution dans les subventions. Son association Echanges Savoir et Mémoire Active (ESMA) vient juste de perdre un salarié et d’obtenir un local après plusieurs années d’attente. Ou des subsides exceptionnelles. ESMA animait un atelier photo pour douze jeunes filles sur le quartier de Bellefontaine. 2 000€ pour les appareils, le développement, le montage, la constitution de l’expo. Dérisoire. Comparé aux plus de 200 000 € de l’éphémère Grande Expo Reza, du nom de la star mondiale de la photographie venue faire le prof à cinquante jeunes avant l’ouverture de la Maison de l’image au Mirail. Autre cas d’école, celui du champion de boxe européen, Christophe Tiozzo venu ouvrir son académie à Basso Cambo. « Tous les élus sont venus faire leur cinéma autour, pour créer de l’emploi pour les jeunes », se souvient Hafid. Dommage que le travail éducatif d’autres clubs de boxe ne mérite pas autant d’égards, regrette-t-il.2

« On fait venir des artistes de l’extérieur sans stimuler les dynamiques existantes », résume le membre d’ESMA. On se souvient de la polémique Rio loco sans locaux. C’est pas faute d’avoir une réserve d’artistes ici-bas. Ni faute de moyens. Les grosses têtes de gondoles accaparent les pépettes. Rio Loco (1, 2M€), Marathon des mots (400 000€), Orchestre du Capitole (36 M€), 14 juillet (1M€). « Culture bling-bling » dit-on. Le gros contre le petit. De l’événementiel au détriment d’actions de terrains au long cours ? Culture à deux vitesses (voir encadré) ? Pas forcément opposables selon des membres du Couac. « Est-ce qu’on prend à Pierre pour habiller Paul ? » demande Fred. « La ville de Toulouse peut à la

fois financer de tels événements et avoir un soutien à l’existant ». En identifiant les postes budgétivores ou en revenant sur 10% du budget partagé par 90% des acteurs culturels, l’idée est lancée dans le débat du Couac. Or « il n’y a pas eu d’arbitrage symbolique fort dans ce sens », regrette Mélanie. Au contraire, la reconduction du contrat (mirifique) de Tugan Sokhiev à la tête de l’orchestre du Capitole, fait grincer des dents.

Equipement et « quartier prisé » Même ambiguïté autour du maillage du territoire par de grands équipements culturels. Métronum à Borderouge, Quai des savoirs, Maison de l’image à la Reynerie, les quartiers s’équipent à gros budgets. Au risque de cloisonner le territoire avec une discipline par quartier. Tout dépend de l’art et la manière. Que la Grainerie, L’Usine, Myrys, squats à l’origine, qui émergent de la société civile aient leur espace paraît légitime. Pas comme ces coquilles vides « dessinées dans un bureau » dont le contenu se décidera par un appel à projets. Tous ne sont pas à loger à la même enseigne. La Médiathèque Grand M’ de Bellefontaine, par exemple. « On est pour à 300% parce qu’elle est accessible et qu’elle répond directement à une utilité », explique Nicky Tremblay. Malgré certaines réserves, « Il y avait une vraie demande d’une médiathèque de proximité » qui compte parmi les lieux les plus fréquentés, analyse Mélanie. Rien à voir avec la Maison de l’image de la Place Abbal.3 « Aucune demande forte n’émanait des acteurs de l’audiovisuel » d’un tel pôle centralisateur. Ni des habitants, à croire plusieurs échos. Hafid El Alaoui, lui, milite pour des lieux moins grandiloquents plus propices aux rencontres, aux prises de paroles. Nécessité pour que les riverains se les approprient. Peu d’informations, beaucoup d’interrogations. « C’est quoi l’enjeu de cet équipement situé dans ce quartier ? » 4 apostrophe au débat Isabelle Dario, réalisatrice. Un document du conseil de développement de l’agglomération toulousaine (Codev) répond : « Face au lac et à proximité immédiate du métro, (un équipement culturel) permettra de créer une nouvelle centralité, attirant ainsi les habitants de Toulouse et de l’agglomération dans ce quartier » . Au nom de la mixité sociale, le maire démolit les tours, réhabilite l’immeuble ancien et l’espace public. En vue d’attirer une population plus aisée sur le Mirail. Après que Bouygues & consort en aient fait « un quartier prisé ».5 La culture avec un grand Q - comme dirait F. Lepage - en tant que moteur d’embourgeoisement 6 ? « C’est sûr qu’on fait pas tout ça pour les pauvres. C’est de la culture plutôt classes moyennes. Y’a des enjeux immobiliers » observe Jamal. Y’a aussi vers la Gare Matabiau, précise-t-il. En effet. Eurosudouest et sa LGV ne sauraient tarder, pour en finir avec « l’absence de TGV qui contrarie l’ambition régionale d’attractivité » que diagnostiquent les experts.

Horizon 2023 Voilà qui devrait sortir la ville en brique de « son repli provincial vers une ouverture à la métropole européenne » tel que le souhaite le projet culturel 2008-2014. 3ème ville de France d’ici dix ans, la capitale midi-pyrénéenne et ses 6800 nouveaux habitants annuels doit faire face à de véritables enjeux démographiques et urbains. Toulouse « attractive ». Equipements d’envergure, festivalisation, industries créatives ne servent-ils qu’à une ville vitrine ? « Ils ne font pas ça pour la beauté de l’art, souffle un président de MJC. En terme d’image pour la ville, les rendezvous réguliers ont beaucoup moins de retombées qu’un événement ». Cependant, l’enjeu principal réside moins dans le marketing urbain, à suivre la chercheuse du Mirail, que dans une véritable territorialisation du projet culturel: intégrer les diversités culturelles et sociales d’une zone aussi vaste et contrastée que Toulouse.7 « Sinon ils n’auraient pas fait Novela, plutôt destiné aux toulousains, mais un festival d’art contemporain médiatiquement plus visible ». Cette fête de la connaissance sert aussi de faire-valoir aux boîtes locales. A l’instar de Digital Place, un cluster d’entreprises numériques, partie prenante de la fête. Créateurs et créateurs d’entreprises se confondent. C’est le sens des Pépinières d’entreprises rattachées aux structures « cultureuses ». Les deux permanents du Couac eux aussi font entendre leur voix au Codev. Pour penser le culturel à l’échelle d’une communauté urbaine. Horizon 2023. Savoir « qui sont ces nouveaux arrivants. A quelles classes sociales appartiennent- ils ? » « Comment faire naître un sentiment d’appartenance commune dans une agglomération ?» « Que signifie culturellement être de Blagnac, de Balma ou de Tournefeuille ? » Vivre entre périphérie et ville-centre. Les Fabulous Trobadors chantaient « ma ville est le plus beau park, sa vie pleine d’attraction (...) Vous pourrez pas parquer mon park ni zapper sa population… ». (1) Faute de budget plafonné depuis 2008, le Couac va perdre ses deux salariés permanents. Il continuea sa vie sous une autre forme. Du moins pour un temps. (2) En 2011, la mairie lui versait 30 000€ de subventions. 25 000€ en 2010. Les autres clubs varient entre 5000 et 12 000€. (3) Financé initialement par des crédits d’Etats dans le cadre du GPV, ce projet a été orienté dans un second temps vers de l’image. Des fonds européens ont été obtenus. (4) Edité dans le cadre de la candidature de Toulouse au titre de « capitale culturelle 2013 ». www.codev-toulouse.org/spip. php?article67 (5) Source :Weka.http://www.weka.fr/actualite/collectivitesterritoriales thematique_7845/mixite-toulouse-veut-attirer-unepopulation-plus-aisee-dans-un-quartier-sensible-article_9337/ (6) Lire Anne Clerval, « Paris sans le peuple : la gentrification de la capitale », La Découverte, 2013. (7) C’était l’objet en avril 2013 d’un colloque entre experts et élus : « Culture et action internationale des collectivités territoriales »

Culture et Culture A réduire la culture à l’artistique, « l’éducation populaire est portée disparue ». Constat amer dressé par certains sur la conception municipale. Exit les terroirs, exit les modes de vies. Exit l’esprit critique. Exit la formation politique. Vive le folklore, la consommation de spectacle ou la démocratisation culturelle ? Il subsiste « une ambition politique attribuée à la culture », tempère Mariette Sibertin-Blanc. Comme le Parcours culturel gratuit en temps scolaire. Mais elle admet que « l’aspect plus subversif, plus anthropologique, plus exploratoire artistiquement parlant de la culture est ici peu identifiable ». Il n’y a qu’à voir le la répression réservée aux nouveaux squats ou bars toulousains. L’institutionnalisation tant reprochée au Ministère de la culture demeure le « piège » pour les collectivités territoriales. D’autant qu’il y a urgence au vu du contexte actuel, insiste Jamal El Arch. Sécurisation, peur de l’autre, repli identitaire. « Au delà de la culture, les inégalités grimpent ». Il préconise un travail sur la mémoire populaire, les rapports sociaux, les échanges entre cultures, les quartiers pour fournir des outils à la compréhension du monde. A la limite une mairie ne devrait pas s’occuper de contenu culturel, poursuit-il. Plutôt assurer les conditions à ce qui émerge. Ilyabien Toulouse«Solidaire»... La prof de danse de Dell Arte

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POUR EN SAVOIR PLUS www.couac.org Ne ratez pas leur dernière rencontre Mardi 3 décembre 2013. Salle Osète, espace Duranti, 6 rue du LieutenantColonel Pélissier (métro Capitole).


Rodez, chef lieu de l’Aveyron, perché sur sa butte, à quelques pas du plateau de l’Aubrac. Vous ne connaissez peut être pas encore, et pourtant, bientôt peut être « le monde entier » viendra découvrir la petite ville de 27 000 habitants. Peut-être, car la cité vit un changement colossal. Un gigantesque musée d’art contemporain en l’honneur du peintre vivant le plus renommé au monde est en construction au cœur de la ville : le musée Soulages. - Par Grégoire Souchay -

I

Il était une fois, à Rodez, un maire qui aimait la culture et qui connaissait le travail d’un artiste contemporain mondialement célèbre, Pierre Soulages. Celui-ci, outre ses qualités artistiques, avait le bon goût d’être natif de la ville. « Ma première rencontre avec Pierre Soulages date de 1978 », raconte Marc Censi, maire de droite de 1983 à 2008. « Je suis tout de suite tombé en admiration devant le travail de l’artiste sur le noir et la lumière ». Alors, une fois aux affaires, Censi va « travailler au corps » Soulages pour faire naître l’idée d’un lieu en son honneur à Rodez. On ne parle pas encore d’un musée. Car les élus des huit communes environnantes « ne voyaient pas forcément l’intérêt d’une telle ambition ». Il faut donc dégainer pour les convaincre des arguments économiques et touristiques : « Nous n’allons pas continuer à voir passer 12 millions de touristes dans l’Aveyron, quand 300 000 s’arrêtent à Rodez ! » s’exclame Censi. Sauf que, pour capter ce flux, il faut repenser complètement et très rapidement l’aménagement du foirail, cet immense espace au centre-ville de Rodez. Au programme donc, un musée d’art contemporain au milieu d’un grand jardin public, un centre des Congrès, assorti à un cinéma, un parking souterrain et une salle des fêtes rénovée, le tout à quelques pas des autres musées de la ville (Fenaille et Denys-Puech) et du centre historique. « C’était un grand projet cohérent, avec des atouts économiques indéniables », continue à penser Marc Censi.

Pour quelques millions de touristes de plus Cela n’empêche pas des voix discordantes de se faire entendre : tandis qu’à gauche, on pointe la « mégalomanie du projet », à droite, dans le propre camp du maire, certains rechignent à dépenser vingt millions pour le musée d’art contemporain. Là encore, les arguments économiques font mouche : « des centaines d’emplois créés, de l’activité pour la ville toute l’année ». Progressivement, l’idée fait son chemin. Le 13 septembre 2005, après de longs mois de discussions, Pierre et Collette Soulages procèdent officiellement à la donation de 500 pièces de l’artiste à l’Agglomération du Grand Rodez, avec l’engagement de construire un musée dédié dans les cinq ans. Le label « Musée de France » est attribué dans la foulée et le 6 juillet 2006, le Conseil de l’Agglomération vote à l’unanimité en faveur du projet. Dans la ville, la population ne se manifeste pas par un enthousiasme débordant, c’est peu de le dire. Au café de la Paix, aux abords du

Le musée qui va faire sortir Rodez

du

noir

centre-ville, dans un bar plus rock que baroque, je rencontre René Duran. Ecrivain, poète, chroniqueur dans la feuille de chou locale, Le Nouvel hebdo, il fut à l’initiative des premiers débats contre le projet : « il fallait voir comment on nous l’a présenté : un projet gigantesque bouleversant tout le centre-ville avec un coût énorme et tout ça pour des expositions d’art contemporain, sacrément peu accessible au public. Forcément, c’était mal perçu. » Sentiment confirmé par Jean-Claude Leroux, ancien responsable de l’association des Amis du Musée Soulages. « Ceux qui, comme moi, défendaient le projet culturel dès le début étaient très rares. Soulages lui-même gardait une certaine méfiance envers la ville qui, comme il le soulignait, ne l’avait jamais accueilli ». Pour les plus initiés, c’est sa femme Colette qui a eu un rôle prépondérant dans sa décision.

2008 : Le maire passe, le musée reste Puis vinrent les municipales de 2008. Marc Censi, élu sortant, choisit de se retirer de la vie politique. La ville vit alors un changement d’époque. Pour la première fois depuis 55 ans, la mairie passe à gauche et Christian Teyssèdre, du PS, l’emporte. Mais du passé, pas de table rase. Le musée est là, ficelé, l’appel d’offre auprès des architectes est lancé. Et forcément, comme l’explique Ludovic Mouly, alors président PS

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de l’Agglomération, « dire non au projet à ce momentlà aurait été irresponsable. Nous avons cherché à réorienter l’ensemble vers une dynamique culturelle plus populaire ». Le projet de centre de Congrès est abandonné au profit du multiplexe – auquel on ajoute une discothèque – et de la salle des fêtes. Et pour le musée : banco. Une équipe catalane, RCR Arquitectes, est choisie au terme d’un concours rassemblant les plus grands architectes mondiaux, afin de travailler à l’intégration du musée dans le paysage, selon le souhait de Pierre Soulages lui-même. Enfin, en juin 2009, le Conseil d’Agglomération approuve l’investissement de 21,4 millions d’euros (hors taxes) pour le réaménagement du foirail et la construction du musée. (voir encadré) Depuis, les travaux, malgré deux ans de retard, suivent leur cours et le musée longtemps hypothétique est sorti de terre. Il se dresse, imposant sur un flanc de la butte, avec ses tons ocre et noir, grand parallélépipède planté au cœur de la ville. 2500 personnes ont pu visiter le chantier, dont le Président de la République lui-même, en compagnie du conservateur, Benoît Decron, qui ne ménage pas ses efforts pour faire découvrir le travail de l’artiste. Mais qu’en est-il de la population ? Que va-t-elle faire de ce musée ? Car comme l’affirme le conservateur, « un tel projet ne peut se concevoir sans la population de la ville qui l’abrite ».


L’aéroport sur une route semée d’embûches À priori ça pourrait sembler tout bête. Une liaison Ryanair régulière de Rodez à Londres, Bruxelles et Dublin et 150 000 passagers en 2012. Et pourtant, l’aéroport de Rodez-Aveyron a le fâcheux inconvénient d’être situé sur la commune de SallesLa-Source, qui fait partie de la Communauté de Communes de Conques-Marcillac. Résultat, aucune ligne de bus régulière ne fait la jonction entre l’aéroport et le centre-ville. Et le problème n’est pas réglé car le syndicat des taxis locaux fait pression pour éviter que ne s’installent des transports en commun concurrents. Les moins fortunés seront-ils condamnés à venir de l’aéroport à pied ?

Rodez est une petite ville où il n’y a pas de débat esthétique, artistique. Avec Soulages, que vont devenir les créateurs locaux ?

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Questions Les habitants : « Une bombe pour réveiller la ville » Or justement, il suffit de discuter quelques minutes au marché du bourg pour constater combien le musée Soulages ne fait toujours pas l’unanimité : « Non, je n’aime vraiment pas ». « Qu’on en finisse », « ils feraient mieux de brûler » et « mettre les sous dans les poches des gens », « on s’en fout royalement », « on dirait un blockhaus ». Comme le résumait un élu avec humour, « le principal problème du musée, c’est Rodez et les ruthénois ! ». Encore ce vieux conservatisme catholique rouergat ? René Duran nuance : « La ville change. On n’a plus cette séparation si franche entre les bas-quartiers populaires et le centre historique bourgeois ». Lui s’est opposé au musée Soulages car « copier de la surenchère architecturale et urbanistique n’est pas forcément voué au succès ». Il s’inquiète aussi : « Rodez est une petite ville où il n’y a pas de débat esthétique, artistique. Avec Soulages, que vont devenir les créateurs locaux ? ». En sillonnant le centre, je découvre le tout nouvel office de tourisme estampillé « In Rodez », le nouveau slogan anglo-compatible de la ville. Au coin de la rue, je me faufile dans la boutique d’optique de Claire Méravilles. Dans son magasin, un étage entier a été aménagé pour des expositions temporaires. « Cela a permis à pas mal de petits créateurs de démarrer », raconte-t-elle. Forcément, on lui demande ce qu’elle pense du musée Soulages. « Au départ, je n’étais pas convaincue. Certes c’est un grand peintre mais le projet est quelque peu surdimensionné ». Avec le temps, elle voit aujourd’hui ce projet « plutôt comme une chance pour la ville, quelque chose d’un peu extraordinaire qui fait bouger les lignes ». Quelques foulées de plus et me voilà sur un autre versant de la colline sur laquelle est perché le bourg. Devant moi, la Menuiserie, splendide bâtisse de bois verni, décorée et colorée. Jeanne Ferrieu, son animatrice, m’accueille à bras ouverts. « C’est une ancienne menuiserie reconvertie en lieu associatif et culturel. C’est un endroit ouvert qui respire la vie et qui accueille les artistes sans préjugés ». En atteste ce costume bizarre fait de plumes de pintades, « c’était une performance », explique-t-elle. À l’étage inférieur, Zefrino, un créateur venu du Mozambique,

travaille au milieu de masques tous plus étranges les uns que les autres. Dans un anglais approximatif, il me désigne l’une de ses créations avec fierté : « j’ai fait don d’un de ces masques au musée ». Pour Jeanne, « le musée est une chance incroyable, une bombe qui tombe sur la ville pour la réveiller ».

La ville : à deux heures de tout, au milieu de nulle part Je retourne dans le centre-ville en quelques minutes. Devant moi, la cathédrale se dresse, imposante, tandis que sur la place d’Armes, les travaux prennent encore du retard, l’entreprise De Lima qui fournit les nouveaux pavés se trouvant en rupture de stock. Plus loin, près du Foirail, on coupe les arbres aux abords du futur musée, « un sacrilège, des arbres centenaires », maugrée-t-on derrière moi. On sent bien que malgré les efforts, tout n’est pas au point. Il y a toujours un esprit de village, un peu rude, dans cette petite ville de campagne, qui reste quand même très isolée. « Nous sommes à deux heures de Toulouse, Clermont et Montpellier et au milieu de nulle part », résume Ludovic Mouly, ex-président de la Communauté d’Agglomération du grand Rodez [note]. Justement, comme l’explique Guilhem Serieys, jeune élu Front de Gauche au Conseil Régional, « c’est en partie de cet isolement que Rodez tire son développement. La ville est trop loin pour être absorbée par la métropole toulousaine. » D’où l’implantation ancienne de la Bosch, première entreprise du département avec 1200 salariés. Selon les données de l’Agglomération, le taux de chômage reste très faible (5,2%) et le PIB par habitant est le deuxième de la région après Toulouse. Revers de cet isolement, le tourisme, lui, ne décolle pas. Malgré la classification comme Grand Site MidiPyrénées, Rodez reste encore dans l’ombre du viaduc de Millau et des autres pôles touristiques du département (Conques, lacs, plateau de l’Aubrac ou gorges du Tarn). Ainsi, pour une capacité d’accueil de 200 000 lits sur le département, le pays ruthénois n’en compte que 35 000. « Tout cela sera réglé d’ici peu », promet Ludovic Mouly. Mais d’autres problèmes

Soulages a réussi à faire jaillir la lumière de cette couleur noire. Pourquoi n’en serait-il pas de mEme

avec ce musée ?

Très cher musée

21,5

millions d’euros (hors taxes), c’est le coût total estimé pour le musée. On le sait, le budget d’un équipement culturel n’est pas comparable avec un budget classique. « On ne construit pas des musées pour être rentable », confiait le conservateur du musée Soulages. Ce qui n’empêche pas de savoir qui le finance, comme le détaille le compte rendu du Conseil d’Agglomération du 13 décembre 2011 : > l’Etat : 4 millions, dont 3 au titre du contrat de projet Etat-Région, sur cinq ans. > la Région Midi Pyrénées : 4 millions, dont 3 au titre du contrat de projet Etat-Région, sur cinq ans. > le Département de l’Aveyron : 4 millions. > l’Agglomération du Grand Rodez : 9,5 millions. Quant au budget de fonctionnement annuel, il est évalué à 1,2 millions d’euros, des négociations étant toujours en cours pour une éventuelle participation de l’Etat. Ca, c’est ce qui est publiquement annoncé. Car dans le même compte-rendu, on trouve une ligne d’autorisation de dépenses de 26 millions d’euros pour le musée, plus en phase avec les estimations externes à celles de la municipalité. Comble de malchance, en décembre dernier, le département de l’Aveyron revoyait son financement de 4 à 2 millions d’euros. Enfin, ce budget ne couvre que les travaux du musée Soulages auxquels il faut ajouter la rénovation de la salle des fêtes (7 millions), le multiplexe de cinéma et le parking souterrain (21 millions) et le réaménagement du foirail.

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questions

à Benoît Decron, conservateur du musée Soulages Quelle est la démarche artistique de Soulages ? Picasso disait « c’est quand je ne cherche plus que je trouve ». La démarche de Soulages a été de dire « c’est ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche ». C’est la base de l’art abstrait. Et il ne faut pas croire que cela soit inaccessible. J’ai vu des personnes peu familiarisées avec l’art contemporain fondre en larmes devant une œuvre de Soulages. Pourquoi un tel musée à Rodez ? D’abord parce que Soulages a ses racines à Rodez. Ensuite, toute son œuvre résonne de cette terre. Rien que l’architecture du musée en témoigne : les tons ocre et sombres ne sont pas sans parenté avec la roche du Rouergue. Le musée a été pensé pour se fondre dans le paysage, en lien avec la nature environnante et le jardin du Foirail. Enfin, on ne mesure peut être pas l’ampleur des donations successives réalisées par l’artiste. Non seulement il y a les œuvres, mais également toutes les autres pièces, outils, matériaux qu’il a utilisé. On retrouvera par exemple dans le musée tous les procédés de fabrication des vitraux de Conques. Que répondez-vous à ceux qui disent ne pas aimer la peinture de Soulages ? Je leur dis : « soyez curieux ». Il faut accepter les règles pour entrer dans le jeu de l’art qui exige un certain effort. Je comprends tout à fait que l’on puisse rester insensible devant certaines œuvres. L’art appartient à ceux qui le regardent. Mais nous mettons justement tout en œuvre pour ouvrir l’accès à son œuvre. Car le travail de Soulages est un véhicule pour aller ailleurs et tendre vers l’universel. Et cela, nous pouvons tous le ressentir.


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purement logistiques se posent : l’aéroport éloigné (voir encadré), l’autoroute A75 entre Clermont-Ferrand et Montpellier qui évite soigneusement la ville... Même pour le train la situation est compliquée. Exemple : pour venir de Toulouse à Rodez, pas d’autre choix qu’un TER avec changement obligatoire à Carmaux et 3 heures de trajet pour 150 km. Et ne parlons pas de relier Montpellier, avec un seul trajet quotidien en bus via Millau. « Il n’y a pas un restaurateur qui accepte d’ouvrir après 21 heures, où mangeront les riches touristes londoniens ? » s’amuse René Duran. Rodez by night, ce n’est pas encore ça. À l’Agglomération, on me certifie que des discussions sont en cours et que le projet va créer jusqu’à 300 emplois directs dans le secteur touristique « sans parler de tous les emplois induits dans le reste de l’économie », insiste Fabrice Geniez, le vice président de l’Agglomération chargé de la Culture. Mais si l’ambition de rassembler le monde entier est sincère, les infrastructures n’y sont pas et pour l’instant la ville n’est pas encore prête à accueillir les « estrangers ». Reste que dans tous les services de l’Agglomération on attend ardemment l’ouverture. « On n’a plus le choix, il faut y croire maintenant », confie un de mes interlocuteur à la Mairie. La création dépasse désormais ses propres créateurs. Tout a été mis dans ce grand projet de réaménagement de la ville mais personne ne sait ce qu’il en sera ensuite. « C’est un pari sur l’avenir », nous avertissait Jeanne Ferrieu. Un pari fou, pour une ville qui peut l’être beaucoup moins. Les festivités de « L’Année d’avant » (comprendre, l’ouverture du musée) viennent de démarrer avec des conférences et des animations pour tenter d’approcher l’œuvre, du moins pour ceux qui auraient la curiosité de s’y pencher. Et ils ne sont pas si nombreux.

L’énigme de la médiation culturelle La critique artistique, souvent facile dans ce genre de projets, est néanmoins incontournable, que ce soit pour le bâtiment mais aussi pour l’œuvre de Soulages, obscure à bien des titres. Fabrice Geniez

en convient : « moi le premier, la première fois que j’ai vu du Soulages, je n’ai pas compris ». Mais il insiste : « les ruthénois doivent être les premiers ambassadeurs du musée et tous les efforts sont faits dans ce sens ». Ainsi, Benoît Decron, conservateur du musée, me présente en détail toutes ses actions dans les écoles et lycées. Il assure que « le musée pourra être ouvert gratuitement un dimanche par mois et accessible aux moins de 18 ans. » Aux côtés du musée, on trouvera un restaurant Bras, du nom du grand chef étoilé aveyronnais, avec un menu gastronomique accessible - promet-on - aux petits budgets. Là encore, la bonne volonté est là, mais elle ne suffit pas, comme le rappelle Jean-Louis Roussel, chargé de la culture à la mairie d’Onet-le-Château, commune voisine qui s’est dotée d’un théâtre flambant neuf. « Nous avons enfin les outils pour mettre en place une vraie dynamique. La question centrale, c’est qu’il n’y a toujours pas de politique culturelle globale et de vision cohérente d’avenir ». Une anecdote à cet égard : si l’Agglomération dispose bien d’un vice-président à la Culture, elle n’a toujours pas reçu la délégation de pouvoir en la matière. Comme si les élus de l’Agglomération se considéraient encore comme « incompétents » pour organiser une politique culturelle d’envergure. C’est finalement Marc Censi, l’ancien maire, qui résume le mieux la situation. « L’enjeu central c’est de convaincre. Soulages peut être un échec si nous n’arrivons pas à correctement faire cette médiation culturelle, c’est à dire ce pont entre le monde de l’art, de la culture et les publics ». Et Benoît Decron de conclure, sous forme de boutade : «Contrairement à l’évidence qui veut que le noir soit sombre, Soulages a réussi à faire jaillir la lumière de cette couleur noire. Pourquoi n’en serait-il pas de même avec ce musée ? » Réponse en mars 2014 pour l’ouverture officielle. Note : L. Mouly a démissionné au début de l’été pour un travail au sein de l’entreprise GDF Suez. Il a été remplacé à la tête de l’Agglomération du Grand Rodez par Christian Teyssèdre.

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Le musée Guggenheim de Bilbao : l’exemple à suivre Tous ces projets de grands musées dans des villes moyennes ne sortent pas de nulle part. C’est Bilbao, en pays basque espagnol, qui a lancé le concept avec la construction du musée Guggenheim, en 1997, sur une ancienne friche industrielle. Et ce musée d’art contemporain, aussi célèbre pour ses collections que pour son architecture, est une vraie réussite. Le budget de 150 millions a été remboursé en six ans seulement, le nombre de visiteurs annuel dépasse les 1,3 millions, là où 500 000 étaient attendus. Le musée a également permis de créer 45 000 emplois dans cette ancienne région industrielle sinistrée. Et avec une contribution de 1,5 milliards au PIB régional, les élus locaux peuvent bien dire que « la culture n’est pas une dépense, mais un moteur du développement économique ». Alors le musée fait des émules, toutes les grandes villes du monde veulent leur propre Guggenheim. Sauf que la spéculation est plus au rendez-vous que la création artistique. A Las Vegas comme à Berlin, les musées ont depuis fermé leurs portes. Tandis que le plus grand de tous les musées est en construction à Abou Dhabi (Emirats Arabes Unis), la liste des projets annulés, elle, ne cesse de s’étendre : Salzbourg (Allemagne), Tokyo, New-York, Rio (Brésil), Guadalajara (Mexique), Taiwan, Helsinki (Finlande). Et à Rodez ?


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La librairie survit. La région Midi-Pyrénées vient d’accorder, le 26 septembre dernier, une aide de 26 000€ à douze librairies indépendantes, réparties sur l’ensemble de la région. Et pour cause, la réalité économique pèse lourdement sur ces passeurs de culture. Mais pas question pour eux de se victimiser : la librairie indépendante est loin d’avoir fait lire son dernier mot.

Libre à tout prix,

la librairie

- Par Cyrine Gardes -

D

Drôle d’attitude silencieuse et respectueuse quand on entre dans une librairie. C’est que des centaines d’ouvrages qui vous regardent, ça impressionne. En prendre un, puis un autre, le feuilleter, se laisser porter par les titres mis en avant sur les tables, ne pas trouver ce que l’on cherche, trouver ce que l’on ne cherchait pas... 120 librairies indépendantes permettent encore de flâner entre les livres, en MidiPyrénées. Mais pour combien de temps encore ? À l’échelle nationale, ce sont environ 200 librairies qui ferment leurs portes tous les ans. Des coûts qui explosent, une vente en ligne en pleine expansion, une culture qui s’industrialise. Les libraires de la région évoquent leurs problèmes... et leurs espoirs.

De la liberté et de l’indépendance « Dans ce qui fonde la culture, le livre est non seulement la production économiquement la plus importante, mais encore le lien symbolique et l’objet le plus pertinent de la transmission, des savoirs, des lieux de la création. ». C’est ce qu’écrivait Christian Thorel dans nos colonnes, au mois d’avril. Il est le directeur d’Ombres Blanches, une librairie indépendante historique à Toulouse. Fondée dans les années 60 et comptant à ce titre parmi les plus anciennes, elle n’a jamais cessé d’exprimer sa préoccupation pour le livre et pour le métier de libraire. Le livre numérique ou E-book pour les intimes menace le livre tel qu’on l’a toujours connu. Amazon, et les autres vendeurs dématérialisés se taillent d’énormes parts de marché dans le domaine des biens culturels, désormais considérés comme de quelconques produits marchands. Et c’est ce que font aussi depuis longtemps les Fnac, les Virgin, les Leclerc, proposant autant d’ouvrages que de disques durs externes, ou de boîtes de thon. Régulièrement débattus, souvent combattus, ces thèmes sont présents dans tous les discours de libraires, petits et grands. Car si Ombres Blanches étonne par sa taille, ses rayons, ses étages, la librairie indépendante peut aussi tenir dans deux locaux.

C’est le cas et le choix des Frères Floury, gérants de la librairie toulousaine du même nom. Forts de leurs 17 000 ouvrages, ils ont fêté cette année leurs quinze ans d’existence : petite conférence, cocktail réunissant quelques 150 personnes, dont quelques officiels invités « par politesse ». Les mots d’Éric Floury sont parfois durs, mais le métier de libraire est un sport de combat, animé par une vive passion pour la culture et, surtout, pour la liberté. « On n’a de comptes à rendre à personne par rapport à nos choix. On est dans la subjectivité totale. Et une librairie, c’est un des rares lieux encore véritablement libres : tout le monde peut passer la porte, quelque soit son obédience ». Dans la librairie indépendante, il n’est pas d’actionnaire extérieur qui puisse faire bouger, au gré du marché, une ligne éditoriale préalablement définie. La proximité est le maître mot du métier : « on laisse le choix à atteindre la création », continue Éric Floury, défenseur d’une diversité culturelle qui, pour lui, est indispensable au citoyen et à sa formation. Dans les hypermarchés de la culture, on trouve de tout et toujours la même chose, ce que les libraires indépendants appellent du « formatage ». Éric Floury ne nie pas les difficultés : « c’est un système purement déficitaire, on fait des concessions énormes de vie, il y a une réalité économique ». L’argent, dit-il, ça n’est son truc, mais il faut bien vivre.

La librairie, aussi en milieu rural Lautrec, dans le département du Tarn, presque 2000 habitants. Depuis 2010, le café Plum, librairie hybride, secoue la vie culturelle du village : « On répond à une véritable demande... Les gens, ici, en ont marre de devoir aller jusqu’à Albi ou Toulouse pour chercher leurs livres ! », explique Maïwenn Aubry, gérante du lieu. Suivant l’exemple d’autres initiatives en zone rurale comme la librairie-tartinerie de Sarrant (Gers), la librairie dispose d’un fonds de 3500 ouvrages à portée généraliste et propose un service de restauration. En milieu rural, la librairie doit souvent multiplier

Une certaine jungle Amazonienne... Qui n’a jamais eu la tentation de commander un livre depuis chez soi, confortablement installé dans son fauteuil ? En seulement quelques clics, Amazon se charge de tout. Mais dans l’ombre de ses hangars aux allures industrielles, une réalité sociale se cache, sur laquelle Jean-Baptiste Malet, jeune journaliste, a enquêté. Comment ça se passe chez Amazon ? C’est l’usine, c’est là où tout se matérialise. L’entrepôt fait 40 000 mètres carrés. Moi, j’étais « piqueur », je travaillais de nuit : on réalisait des colis à la chaîne, on marchait plus d’un kilomètre, on avait un scanner pour les produits mais il permettait aussi de contrôler tout ce qu’on faisait dans l’entrepôt et notamment, notre productivité. La fatigue était énorme, après des nuits comme ça, on n’est plus bons à rien. Qu’est-ce que le livre pour Amazon ?

les activités pour exister, alors, forcément, le métier évolue. Et difficile de se faire reconnaître comme tel, par les pairs comme par certaines maisons d’édition, lorsqu’on fait aussi du service entre midi et deux ! Pourtant, ces activités sont un réel soutien pour la librairie : « C’est de la médiation culturelle : une personne qui n’est pas du tout familiarisée avec le livre peut venir boire un Ricard et repartir finalement avec une BD ! », affirme Maïwenn, avec un air de vécu. A la campagne, la concurrence avec Amazon est très rude et c’est une véritable victoire que de réussir à fidéliser les lecteurs. Rien ne remplacera le libraire, nous dit Maïwenn, et surtout pas un écran ! « Notre force, c’est de réussir à établir une relation de confiance, de faire des recherches avec les lecteurs, d’échanger... ». Le défi n’est pas simple dans ces régions perçues comme désertes et au sein desquelles l’offre culturelle n’est résolument pas ce qu’elle est en milieu urbain. La librairie indépendante, en ville comme à la campagne, apparaît comme lentement agonisante. Mais le principe de réalité (économique) auquel elle semble succomber ne saurait la coincer dans un misérabilisme paralysant. Chez les libraires, ces modestes érudits, il y a un esprit d’initiative en constant mouvement et un violent désir d’aller de l’avant. La librairie indépendante n’a pas fini d’empêcher la culture de tourner en rond. D’autant que début octobre, les députés ont adopté à l’unanimité la proposition de loi interdisant les frais de port gratuits pour les livres vendus par correspondance et expédiés directement au domicile des acheteurs. Une lueur d’espoir ?

C’est une marchandise comme une autre ! Il n’y a qu’à voir comment les livres sont rangés, on trouve absolument de tout dans l’entrepôt, les ouvrages d’extrême-droite sont mélangés avec des essais humanistes... Amazon cherche seulement à faire du profit, la multinationale bénéficie de montages fiscaux pour payer le moins possible et s’installe dans des zones à fort taux de chômage pour faire passer la précarité de ses emplois. C’est donc loin d’être un libraire... Ce n’est même pas du tout une librairie. Moi, je suis bibliophile : j’ai voulu mener cette enquête quand j’ai vu à quel point les librairies indépendantes allaient mal. Amazon, c’est une usine à vendre ; acheter chez Amazon n’est pas seulement un choix individuel sans conséquence. C’est un choix de société. Titre de l’ouvrage : En Amazonie. Infiltré dans le meilleur des mondes. Auteur : Jean-Baptiste Malet- Éditions : Fayard, 2013.

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Michel Batlle, né le 3 avril 1946 à Toulouse, est un artiste peintre et sculpteur français.

PROFESSION, ARTISTE

Il

y a dans la vie deux sortes de destins, ceux qui ouvrent les pistes et ceux qui suivent les pistes déjà ouvertes. La plus part des humains recherchent leur « homme ou femme du destin » comme le dit si bien le grand écrivain Kourouma. Ils, elles, recherchent celui ou celle qui leur donnera la solution pour leur raison de vivre, de croire, de s’engager… Pour cela, il y a les religions avec un dieu et des saints. Il est tout à fait naturel de chercher sa voie lorsqu’on est jeune. Je me pose souvent la question de savoirs quels ont été les éléments qui dans ma petite enfance m’ont donné le goût et le désir d’être différent des autres, d’être un défricheur, engagé dans une pratique qui serait l’art. J’ai parait-il dessiné à peine ais-je pu tenir un crayon, les images qui m’ont marquées étaient les tapisseries et vases chinois et leurs idéogrammes que mes grands-parents avaient dans leur appartement et le dictionnaire Larousse avec ses reproductions sépia des chefs-d’œuvre de l’art, car j’ai vécu ma petite enfance très souvent chez eux. On disait toujours de moi « ce petit sera artiste ». Je ne me suis jamais dit « tu seras artiste » puisque je l’étais déjà et que j’en avais conscience. Il me semblait déjà que c’était le moyen d’être un être différent et d’avoir une vie plus héroïque que celle de tous ceux qui m’entouraient. Je ne voulais pas être esclave de ce que la société imposait à la majorité de ses sujets ! Je n’ai jamais pensé que le fait d’être artiste était un travail, pourtant j’ai beaucoup travaillé, mais jamais je ne l’ai fait à contre cœur ni en passant que je travaillais. Dans la langue espagnole œuvre et travail ont un même mot « obra », pour moi faire des œuvres c’était œuvrer. Par la suite les artistes des années 60 ont fait la distinction et n’ont parlé que de leur « travail » ou de leur « boulot » ce qui était pire, voulant n’être ni plus ni moins que des ouvriers de l’art, mais des ouvriers qui pourraient vendre cher ! Pour le coup ils ne voulaient pas qu’on désacralise totalement leur « boulot » !

Pour ce qui est de travailler, je peux dire que j’ai travaillé, parfois jour et nuit quand j’avais vingt ans. Je n’avais et n’ai jamais eu de complexe vis-à-vis des grands artistes de l’histoire de l’art ils étaient différents de moi, c’était tout. Je ne sentais pas supérieurs, tout était une question d’époque, j’aurais été peintre à l’époque romane, j’aurais fait des fresques dans les églises ou sculpté des chapiteaux, à la Renaissance j’aurais été un polyvalent comme maintenant, lorsque je revendique le terme d’ « artiste généraliste ». Je pensais que je pouvais être une sorte de Picasso, dépasser les autres artistes, quitte à ce que les choses ne tournent pas comme je l’imaginais, jouer à quitte ou double, quitte à perdre ! C’est ce qui arriva, au bout d’un certain temps je ne pouvais plus croire à ce milieu de l’art, tout n’était que théâtre, supercherie, escroquerie historique ! Vers mes trente ans j’avais fait le tour de cette situation et de mes rêves d’artiste-héro, je devenais artiste maudit ; plus le temps passait et plus je me marginalisais, essayant quelques come-back, mais c’était trop difficile d’abandonner son travail pour celui

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de la communication et des petits fours dans les vernissages en vue. Ce n’était pas ce que j’avais imaginé de l’art et n’avais aucune envie de participer à ces marchandages, je ne serai pas un domestique de quelque pouvoir qui soit. Un jour peut-être, on pourrait voir plus clairement ce que j’avais mis en route, ce que j’avais lancé dans une époque où l’avant-gardisme était notre religion. Ce que j’avais fait avant les autres. Je continuais avec entêtement comme si je ne savais faire que cela, de l’inutile peinture et sculpture, sans cesse me demander « à quoi ça sert » et continuer bêtement à pénétrer à l’encre ou au feu les traits de mes visages, ces « monstres ordinaires » que sont les êtres humains ! Etait-ce le courage ou l’obsession de continuer avec mes concepts toujours d’actualité mais inefficaces pour ces temps où l’art était devenu ornemental ? C’était cela ma façon d’être héroïque, foncer sur une route qui revenait sur elle-même sans pouvoir profiter du paysage ! J’avais pourtant confiance en moi, je croyais à ma force créatrice mais ne faisais rien pour le démontrer. J’avais toujours l’impression de n’être qu’un des éléments de ma multiplicité, ne voulant pas me battre pour la réussite sociale mais pour les idées que véhiculaient mes œuvres. Dans le même temps, les spécialistes qui déclinaient en boucle une petite idée avaient le vent en poupe, j’étais à contre-courant, moi l’universaliste ! Pour celui ou celle qui cherche son « homme du destin », il faut que l’être soit vraiment fragile. J’ai eu bien sur des admirations étant jeune, Picasso, Pollock, comme pour d’autres, des écrivains majeurs ou des vedettes de la chanson. Mais il ne faut pas que ça dure car il n’existe pas d’être supérieur, chacun, chacune a ses propres qualités, son génie, créateur ou dévastateur. Si je me promène dans un grand musée, je ne vois pas d’artistes supérieurs mais de simples collègues qui résolvaient des problèmes de formes et de couleurs. Le XX ème siècle aura été un siècle de grandes découvertes ou plutôt de grandes libertés dans les arts, les jeunes artiste de ce vingt et unième siècle ne le savent pas assez. Depuis on dit que tout a été fait, ce n’est pas vrai. Ce siècle précédent ne doit pas être vu comme une bibliothèque dans laquelle on va pêcher des idées mais un exemple de forme de pensée qui incite à chercher là où nous ne sommes allés. Il y a toujours à faire et à découvrir, sans le nouveau l’art n’existe pas. Mais au fait, c’est quoi l’art ? Tout simplement la suite de l’histoire de l’art. Depuis les Années 80, le nombre d’artiste s’est multiplié par cent. C’est en partie ce que désiraient certains avantgardistes du futurisme russe qui souhaitaient que tout un chacun puisse s’exprimer, puisse créer. Cette situation de grande diffusion des arts a fait que l’art est partout et nulle part. Qu’il y a très peu d’idées nouvelles et seulement des redites; les artistes pensent faire de l’art mais pour la quasi majorité ils ne font que des remakes, de la culture. Car on a confondu art et culture !


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en bref

L’intermittence renégociée en fin d’année

108.000 personnes ont bénéficié d’au moins une journée d’indemnisation au titre de l’intermittence en 2011. Les intermittents représentent deux tiers des effectifs salariés du spectacle. Les métiers artistiques dans leur ensemble (artistes de spectacles, techniciens de spectacles, auteurs, plasticiens, photographes, designers...) représentaient en 2008, 334.000 personnes, en hausse de 94% par rapport à 1990, soit un nombre équivalent à « la production automobile », selon le rapport du député Gille. La rapport de la mission parlementaire sur le régime d’assurance‑chômage des intermittents du spectacle a été adopté à l’unanimité et publié mercredi 17. Il en ressort 27 recommandations qui pour la plupart sont en phase avec les orientations de la CGT spectacle. Le député Jean-Patrick Gille, rapporteur de la mission, invite à « dépasser les polémiques » sur le sujet et estime qu’une approche «strictement comptable» « ne peut suffire à guider la décision ». « Il faut maintenir un soutien efficace à un secteur porteur d’emplois non délocalisable et en forte croissance ». Le rapport chiffre le coût des règles spécifiques d’indemnisation des intermittents inférieur au milliard d’euros avancé par la Cour des Comptes. Un chiffrage alarmiste pourtant « régulièrement brandi par les détracteurs du système ». Ainsi, en se basant sur des chiffres de l’Unedic, le surcoût réel des annexes 8 et 10 de l’assurance chômage se monte à 320 millions d’euros, par rapport à ce que coûterait un passage des artistes au régime général. Par a illeurs, les députés reconnaissent que « les conditions d’affiliation au régime de l’intermittence sont plutôt restrictives par rapport au droit commun ; le montant et la durée de versement des prestations semblent, en revanche, plus avantageux ». « Le rapport met à raison l’accent sur l’apport économique des secteurs du spectacle et de l’audiovisuel, se félicite la CGT Spectacle. Il tord le cou aux chiffrages fantaisistes sur le déficit des annexes La Fédération Cgt du Spectacle ne ménagera pas ses efforts pour que les pouvoirs publics reprennent à leur compte ces recommandations afin d’améliorer les droits des artistes interprètes et auteurs, des techniciens, des ouvriers et des réalisateurs afin qu’ils puissent vivre décemment de leur métier. »

Le Cluster culturel Ma Sphère mutualise pour soutenir l’innovation Rien de tel que de mutualiser les moyens, pour ne pas rogner sur la qualité en temps de crise. L’association Ma Sphère, créée en mars 2012, rassemble 14 structures de la filière professionnelle des musiques actuelles en Midi-Pyrénées, dans un souci d’économie d’échelle et de plus grand rayonnement. Il prend la forme d’un espace de travail commun, pour faire de l’accompagnement artistique à la sauce économie sociale et solidaire. Principe numéro un : « remédier au morcelage et à la précarisation de l’emploi par l’utilisation d’un groupement d’employeurs ». Parmi ses objectifs, la volonté de soutenir les pratiques interdisciplinaires croisant les arts et la technologie. La Fédération des Labels Indépendants de Midi-Pyrénées (FLIM), le collectif Avant Mardi, le festival Convivencia, ou encore Antistatic, font partie des membres de ce cluster, qui place Internet au coeur de ses usages. Ma Sphère prévoit notamment de se rapprocher de la Mêlée numérique et de la Maison de l’image.

De l’air pour le crowfounding

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Le gouvernement a proposé cette année trois modifications juridiques. La première concerne la création d’un statut de conseiller en investissement participatif, qui, à condition d’obtenir un agrément de l’Autorité des marchés financiers, n’aurait pas besoin de disposer de fonds propres. A l’heure actuelle, il faut avoir 750 000 euros en caisse pour se lancer dans une telle activité. La deuxième simplifie les démarches en cas d’appel public à l’épargne. Pour les levées de fonds comprises entre 100 000 et 300 000 euros, il suffira d’un document de trois ou quatre pages pour présenter le projet et son modèle économique. La troisième proposition bouleverse le monopole des banques sur les prêts rémunérés. Les banques ne seraient plus les seules à pouvoir prêter de l’argent moyennant intérêts, à condition de ne pas dépasser 300 000 euros par projet, et 250 euros par personne et par projet. Dernière annonce, le lancement par BpiFrance d’un site internet compilant les projets présentés par les différentes plateformes de financement participatif.

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– Par FRITURE MAG –

Christophe Abramovsky, «gesticuleur populaire» en conférences

Journaliste à Friture Mag, il a lancé depuis cette année une série de ses conférences sur le thème du travail. « Je me suis longtemps demandé si dans le monde du travail d’aujourd’hui, nous n’avions pas aussi de nombreux petits Eichmann qui appliquaient les ordres, sans jamais les remettre en cause, dans une sorte de servitude volontaire. Christophe Dejours analyse ainsi le processus de banalisation du mal en œuvre dans le travail, un processus sournois qui nous conduit doucement vers un nouveau totalitarisme, phase ultime du néo-libéralisme » annonce-t-il sur son site et sur lequel vous trouverez toutes les infos nécessaires et les dates à venir (www.christophe-abramovsky.fr). C’est de l’éducation populaire qui mélange de l’autobiographie, du contenu théorique, de l’analyse à l’appui d’une démonstration et de la gesticulation scénique. Au final, cela fait de ce spectacle, à la fois un moment divertissant et à la fois un moment de réflexion. Tout cela est servi dans un dessein hautement politique visant l’action collective.

Conférence Gesticulée – Café « Chez ta mère » – Toulouse 28 novembre 2013 @ 20 h 00 min - 22 h 00 min « Communiquer avec les médias » 16 décembre 2013 - 20 décembre 2013 Formation « repenser le travail pour agir » 19 mars 2014 - 21 mars 2014

Le Métronum, une salle

La nouvelle salle toulousaine destinée doublée d’un studio pour les aux musiques actuelles, groupes émergents qui ouvrira ses portes en janvier 2014 à Borderouge, innove. Le Métronum se veut un lieu moderne, adapté aux nouvelles exigences de la scène, de plus en plus liée au multimédia. Au-delà de la salle de concerts de 600 places où se produiront des groupes émergents, ce lieu constituera un laboratoire. Il disposera d’une «Music box», à l’image de la Mix box créée en plein coeur de Paris, équipée d’une scène modulable et d’un plateau technique, permettant la captation de concerts, des showcases ou encore des tournages... Le Métronum, pour sa part, offrira aux groupes un lieu de résidence, mais aussi de répétitions. Equipé de caméras et de matériel audiovisuel, il pourra être réservé pour des captations vidéo, destinées par exemple à des clips. Le tout accessible aux associations ayant peu de moyens. Hervé Bordier, le directeur de Rio Loco, en assurera la ligne artistique.

Des plasticiens volants de leurs propres ailes Dans un courrier adressé à Friture Mag, les « Plasticiens Volants » tiennent à préciser au sujet de leur fonctionnement que l’association a : « bénéficié via la Communauté de Communes Tarn et Dadou lors de notre installation dans une ancienne mégisserie à Graulhet, d’une subvention européenne pour la réhabilitation et la dépollution du site, en 1999, l’achat ayant été financé par un emprunt remboursé par l’activité de la compagnie depuis. Une seconde fois, en 2004, l’UE a accompagné un projet exceptionnel, dans le cadre du « Feder ». Par ailleurs, nous n’avons eu, depuis la création de la compagnie (plus de 35 ans), que quelques subventions ponctuelles accordées par la Drac, la Région et le Conseil Général du Tarn, représentant moins de 3% de l’ensemble de nos budgets. Notre activité artistique et nos créations n’existent que par la vente de nos spectacles. La compagnie fait vivre des permanents, des intermittents... elle crée des spectacles, du rêve, de l’émotion...elle continue, elle subsiste... mais jamais, elle n’a été soutenue de façon continue et conséquente. Cela peut surprendre beaucoup de personnes dans le milieu artistique et parmi nos spectateurs, mais c’est la stricte réalité » conclue l’association.

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en bref en bref


Doss er

Culture L’ état des lieux

Pas créateurs pour

un sou

Refus des subventions, débrouille en milieu rural, nouvelle donne du Web, rôle du mécénat. Pour échapper aux habituels circuits de financement, qu’ils le veuillent ou non, certains artistes, par conviction ou pas, empruntent d’autres chemins pour financer leur production ou évènements. Du petit atelier ou local d’où émerge la création, ses souffrances ou sa jubilation, jusqu’à la diffusion dans des galeries, festivals ou dans le bistrot au coin de la rue, c’est tout un circuit qu’il faut mettre en place. Lorsque l’on juge que l’oeuvre est digne d’être présentée, il faut bien trouver les moyens de la diffuser. Sans refuser systématiquement l’intervention des collectivités, mais qui s’apparente souvent à un chemin de croix pour les moins connus, il existe aujourd’hui de nouveaux modes et façons de se faire connaître. On croyait internet voué à faire disparaître sous la masse les singularités, il devient un formidable outil de participation et de collaboration. On a longtemps stigmatisé le mécénat et ses tonnes de fric réservé aux grands artistes, il s’invite maintenant dans les petits festivals ou les galeries. On pensait le milieu rural réduit au baloche de campagne et aux expos du dimanche, c’est de là qu’émergent aujourd’hui les festivals les plus pointus, osés, avant-gardistes. Petit voyage dans l’atelier bouillonnant de la création, du bout de ficelle précaire jusqu’aux utopies réalisées de Jean Vilar ou du cinoche indépendant.

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– par frituremag –

collage Herbot

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- Par Lise Valette -

Y a-t'il un peuple dans la salle ?

collage Herbot

à LIRE Sur le TNP, « le théâtre, service public », Jean Vilar, notes rassemblées par Armand Delcampe, Gallimard. Sur Jean Vilar, « Jean Vilar par luimême », Association JeanVilar.

L’ombre de Vilar à Sète

En 1951, l’acteur, metteur en scène et inventeur du festival d’Avignon, Jean Vilar, fait sortir de sa torpeur le Théâtre national populaire, créé à Paris une trentaine d’années plus tôt. Plus qu’un lieu de spectacles, c’est un véritable projet de société qu’il veut bâtir. Dont le public, le plus large possible, doit tenir le premier rôle.

L

Point de maison Jean-Vilar à Sète. C’est à Avignon, deuxième patrie de l’homme de théâtre, qu’il faut se rendre pour franchir le seuil du seul espace dévolu à l’histoire exhaustive du théâtre national populaire et du festival, dont le fonds documentaire a été logé dans le vieil hôtel particulier de Crochans (*). A Sète, suivre la trace du directeur du TNP se mérite : ici, une simple plaque fixée en hauteur, au-dessus d’une enseigne commerciale, au 13 de la rue Gambetta, signale sobrement que « Jean Vilar est né dans cette maison le 25 mars 1912 », où ses parents tenaient une mercerie. Plus loin, une rue a tout de même pris son nom, tout comme le bel amphithéâtre de plein air, scène de tous les festivals estivaux, qui surplombe la Méditerranée... Mais il ne viendrait à l’idée de personne de l’appeler autrement que « Théâtre de la mer » ! Et si le crochet devant la tombe de Vilar, au cimetière Marin, fait partie de l’itinéraire touristique – pour le cadre et la tombe de Paul Valéry à proximité-, l’homme garde une belle part de mystère. Pas vraiment populaire, quoi. Ce qui n’a pas dissuadé la municipalité de Sète de célébrer le centième anniversaire de sa naissance, au printemps dernier, marqué par la visite du ministre de la Culture d’alors, Frédéric Mitterrand, et avec, entre autres, deux expositions, dont l’une d’Agnès Varda, photographe au TNP du temps de Vilar. (*) 8 rue de Mons, montée Paul-Puau, tel. 04 90 86 59 64 (expositions, rencontres, bibliothèque et vidéothèque).

La formule est devenue un classique : « Le théâtre, au premier chef, est un service public, tout comme le gaz, l’eau, l’électricité ». A l’époque où Jean Vilar la prononce, dans les années 50, elle est pourtant révolutionnaire. Car le théâtre, pour ce fils d’un patron de mercerie sétois, comme pour bon nombre de provinciaux modestes, voire petits bourgeois, ne va pas de soi. S’il a eu la chance de se nourrir de livres, littérature classique qui garnit la bibliothèque familiale, ce n’est qu’à l’âge adulte et en arrivant à Paris, à l’âge de 20 ans, que Vilar peut enfin s’enflammer pour les planches. En tant que comédien d’abord puis régisseur, terme qu’il préférait à « metteur en scène ». Quand Jeanne Laurent, la sous-directrice des spectacles et de la musique (alors rattachée au ministère de l’Education nationale, les Affaires culturelles n’existant pas encore), lui demande, en 1951, de relancer « les activités populaires » du Théâtre national du Trocadéro (au palais de Chaillot), il sursaute : « Du théâtre pour les ouvriers ? Moi, je ne les connais pas les ouvriers ; mais je connais des gens qui ont souvent des vies plus difficiles que les ouvriers. Les petits commerçants par exemple. J’appartiens à ce monde et dans mon enfance, le théâtre était une fête que je ne pouvais pas m’offrir souvent. » (1) Ce sera donc sa bataille pendant douze ans, jusqu’à 1963, année de son départ du Théâtre national du Trocadéro auquel il s’est empressé de redonner son nom des origines, « Théâtre national populaire » (TNP) : proposer des spectacles de qualité au plus grand nombre, du « théâtre élitaire pour tous », comme le définit alors le metteur en scène Antoine Vitez. Et qu’on ne se méprenne pas ! Quand Jean Vilar parle de « populaire », c’est bien à une communauté de citoyens d’une nation qu’il pense, éduqués et rassemblés autour d’un théâtre proposant des œuvres au caractère universel mais terriblement exigeantes. « Le TNP porte la marque du projet social de la Résistance : redonner du lustre à la notion de démocratie culturelle et retrouver une cohésion sociale », avance Sylvain Cornuau, auteur d’un mémoire universitaire sur le théâtre populaire (2). « Il faut se souvenir du contexte de l’époque », explique Rodolphe Fouano, rédacteur en chef des Cahiers Jean Vilar. « Sorti de la Comédie française et des théâtres privés,

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il n’y avait rien ». Tout est donc à faire et, aujourd’hui encore, le considérable travail entrepris par Vilar pour attirer le plus large public imprègne le modèle des théâtres que l’on trouve jusque dans les petites villes de province : prix accessibles à tous, abonnements, vestiaire gratuit, horaires des spectacles avancés en début de soirée par égard aux spectateurs qui doivent se lever tôt le lendemain, possibilité de se restaurer, relations avec les comités d’entreprises et les associations... « On lui doit aussi l’interdiction du pourboire », rappelle Rodolphe Fouano. Ce qui poursuivait un double but : « Supprimer le pourboire signifie que l’on donne un vrai statut à l’hôtesse, ou l’hôte, d’accueil et permet aussi de ne pas humilier la personne qui doit le donner, et qui ne connaît pas forcément les codes du pourboire ». Ce que d’aucuns ont résumé en soulignant que Vilar avait rendu le théâtre « psychologiquement accessible ». En douze ans, avec la troupe du TNP, où se croisèrent Gérard Philipe, Philippe Noiret, Jeanne Moreau et bien d’autres, Jean Vilar a ainsi monté 81 spectacles, joués devant plus de 5 millions de spectateurs dans une trentaine de pays. « Ce bilan populaire n’est pas un mythe », affirme Rodolphe Fouono. Jean Vilar n’a pas pour autant réellement impulsé le mouvement de décentralisation culturelle. Dans le bouillonnement de l’après-guerre, ce sont les 39 centres dramatiques nationaux, ces troupes subventionnées par l’Etat et les collectivités locales progressivement installées à partir de 1949, qui contribueront le plus efficacement au maillage du théâtre public, suivis par la création, à partir de 1991, de 70 scènes nationales soumises à une mission de service public. (1) Extrait de « Jeanne Laurent, une fondatrice du service public pour la culture 1946-1952 », Marion Denizot, La Documentation française, avril 2005 (2) « Le théâtre populaire a-t-il un sens aujourd’hui ? », Université Lyon II, septembre 2005


Ressource « identitaire », outil de promotion territoriale ou support de lien social, la culture est aujourd’hui pleinement associée à l’aménagement du territoire et a gagné sa légitimité de service public et de développement local. Les territoires de Midi-Pyrénées ont pu mettre à jour de nombreuses initiatives culturelles et artistiques. Mais ces émergences pourrontelles perdurer ? - Par Christophe Pélaprat -

Les territoires ruraux,

ça se cultive

d

Difficile de prétendre encore qu’il n’y a pas de vie culturelle à la campagne. « Il ne se passe rien… que je vois, recadre Jean-François Brunel, chargé de mission culture au Pays du Couserans. On a la vision d’un territoire vide en regardant seulement sur sa commune, sans aller voir dans les autres vallées à 20 km ». Son territoire a plutôt été en proie à un foisonnement de propositions culturelles et artistiques, qui posaient plus problème par leur densité et leur caractère hétéroclite que par leur absence. « Il n’y a pas de manque de vie culturelle, confirme Mariette Sibertin-Blanc, Maître de conférences en aménagementurbanisme à l’Université de Toulouse-Le Mirail. Mais de fortes inégalités subsistent, dans les équipements, les offres publiques ou les interventions visibles ». Rendre visible – et lisible – la culture de leurs territoires est le quotidien de ces animateurs qui, tel JeanFrançois Brunel, repèrent les potentialités et aident les acteurs culturels à mieux se structurer. En Couserans, la musique et les spectacles vivants ont donné lieu à des labels de territoire, qui fédèrent les petites structures et les intègrent dans un projet commun. Reliées, elles peuvent s’affirmer dans un paysage culturel plus large et développer des actions avec des partenaires régionaux. Les publics, et principalement les habitants, y gagnent en qualité et en proximité, et les politiques territoriales ajoutent du sens et de la continuité aux propositions artistiques auxquelles ils ont accès. La progressive territorialisation des politiques culturelles de ces dernières décennies fut pour beaucoup

dans cette évolution. En Midi-Pyrénées, à partir de 2002, les « Projets culturels de territoire » portés par la Région ont suscité l’émergence de politiques culturelles à l’échelle des Pays, des Agglomérations et des Parcs naturels régionaux. La Région a ici utilisé sa compétence d’aménagement du territoire pour donner une place à la culture dans les projets de développement. Peu saisi par les Agglomérations, pour qui la culture est restée dans les girons municipaux, ce dispositif a rencontré beaucoup de succès dans les territoires ruraux. « Ce fut un appel d’air pour beaucoup de territoires, raconte Nils Brunet, directeur adjoint au Parc naturel régional des Causses du Quercy. En aidant l’émergence de projets, la formation d’acteurs culturels, des interventions artistiques, mais cela a aussi permis aux collectivités de réfléchir à leur rôle de soutien à la vie artistique et culturelle. » Beaucoup de communautés de communes ont pris depuis la compétence culturelle, même si certaines peinent à savoir l’utiliser. « Nous sommes dans une phase d’appropriation, constate Mariette Sibertin-Blanc, un apprentissage des élus sur ce que représente la culture ». Qu’elle apporte un positionnement régional et une attractivité au territoire, comme en Couserans, ou qu’elle réponde à une problématique d’accueil de nouvelles populations (ce fut le fondement du projet culturel du Pays Portes de Gascogne), la culture ne peut désormais être oublié des politiques territoriales. De nouvelles générations d’élus ou de techniciens ont su aussi la percevoir avec plus d’intérêt. « La culture devient un service à la personne, une aménité », relève l’universitaire.

Une vie culturelle vivace ? Les freins ? Dans la plupart des Pays de Midi-Pyrénées, ce sont les dynamiques associatives et des initiatives privées qui font l’essentiel de la vie culturelle, qui reste aussi très dépendante des élus qui s’en emparent – ou pas. La faible densité de population du milieu rural peut réduire ces perspectives à quelques individus et rendre leur nombre fatal à la dynamique culturelle : essoufflement des bénévoles, dépendance de la vie associative à quelques piliers charismatiques, faible professionnalisation, initiatives morcelées au détriment de certains domaines comme l’enseignement artistique. Les débats sur la vie artistique peuvent aussi être exacerbées en milieu rural, où les frontières seront plus floues entre troupes amateurs et compagnies professionnelles, où le métier d’artiste sera plus méconnu, moins reconnu.

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Aujourd’hui se terminent les aides qui ont permis cette période d’émergence : fin du dispositif régional, incertitudes de la nouvelle période de contractualisation à venir (2014-2020), sans compter le retrait incessant de l’Etat et une réforme des collectivités territoriales en cours. Les inquiétudes sont nombreuses, d’autant plus que le relais financier espéré des communautés de communes n’est pas au rendez-vous. « La tendance générale va vers une métropolisation, une concentration vers les lieux de richesse et les villes-mondes, craint Aurélie Bégoux, en charge de la culture au Pays Portes de Gascogne. Alors que les milieux ruraux et périurbains peuvent prouver d’autres modes de développement tout en connaissant les mêmes attentes des publics, qui augmentent ». « La vie culturelle n’a jamais été aussi vivace, même si elle est toujours inquiète, tempère Mariette Sibertin-Blanc. Mais il faut miser sur de l’innovation en terme d’action culturelle, inventer de nouvelles pratiques, très territorialisées, miser sur des initiatives

« Beaucoup de communautés de communes ont pris depuis la compétence culturelle, même si certaines peinent à savoir l’utiliser »

transversales : culture et social, culture et santé… ». « Attention à ne pas créer de poudrières, s’inquiète néanmoins Aurélie Bégoux. La culture, c’est d’abord l’ouverture au monde, le maintien du lien social. En priver certaines zones serait un risque politique ».


Africajarc, vicissitudes de l’Afrique à la campagne Côté pile, une formidable aventure humaine qui fait l’approbation d’un public nombreux, un événement très vite hissé au rang des festivals qui comptent dans le grand Sud-Ouest. Côté face, un labeur sans relâche, une organisation bénévole rigoureuse et le combat perpétuel d’un projet culturel qui a pourtant fait ses preuves. Difficultés et réussites, dans les coulisses d’un petit « gros » festival lotois.

I

- Par Christophe Pélaprat -

Ils en veulent, les bénévoles d’Africajarc. Ce n’est pas parce qu’il se déroule sur les bords du Lot que le festival des cultures africaines est un long fleuve tranquille. En quinze ans d’existence, déficits financiers, annulations pour cause d’orages, combats récurrents pour les subventions publiques, recherches incessantes auprès de partenaires privés ont demandé une ténacité quotidienne pour maintenir et faire grandir cette rencontre inattendue : quatre jours d’Afrique dans un village lotois d’un millier d’habitants. Loin d’êtres uniques, les aléas Africajarc illustrent les incidents de parcours que subissent ce type d’aventure culturelle et qui malheureusement grèvent au fil des années l’acharnement bénévole. Une lassitude qu’heureusement contrebalancent l’enjeu des réussites et la richesse des échanges ; la satisfaction de la rencontre humaine qui a lieu chaque année efface la charge de travail et les désagréments de l’organisation. Lorsqu’en 1998, des artistes togolais sont intervenus dans les écoles de Cajarc, nul ne se doutait que ce premier échange donnerait naissance à un festival l’année d’après. Ce fut pourtant cette rencontre fortuite, dénuée de toute passion envers l’Afrique, qui par sa richesse humaine suscita ce désir. En fin d’année scolaire, le millier de spectateurs venus assister à la représentation de clôture décidait plusieurs enragés de l’association des parents d’élèves de Cajarc de créer l’événement. Tout de suite, le parti de l’ambition fut pris : une tête d’affiche marquerait désormais chaque édition d’Africajarc. Petit à petit, au gré des volontés et des compétences de chacun, la programmation s’étoffera. Aux côtés de la musique viendront la littérature, les arts plastiques, l’artisanat et le cinéma, mais aussi des conférences et des débats… A une soirée festive, qui reste le point d’orgue du festival, s’est ajouté le kaléidoscope des composantes culturelles africaines, de celles empreintes de tradition comme de celles qui se nourrissent des influences du monde, et qui rendent compte de la réalité de ce continent. Ce brassage éclectique a fait d’Africajarc un festival unique en France pour sa pluridisciplinarité. C’est d’abord une date qui marque Cajarc chaque dernier week-end de juillet. Auprès d’un public régional ou national, pour les financeurs publics, des partenaires privés qui accompagnent le festival depuis longtemps, la réputation d’Africajarc n’est plus à faire. .

Contre les replis identitaires

Epuisement bénévole

Africajarc est aussi devenu, pour les artistes africains ou d’inspiration africaine, un carrefour incontournable, un lieu de convergences propice à des rencontres fructueuses et à l’effervescence de projets communs. La reconnaissance et les compétences accumulées en quinze ans de festival confèrent aujourd’hui à Africajarc un savoir faire inédit dans la connaissance des ressources artistiques d’outre Méditerranée. Enfin, en faisant partager d’autres cultures, en montrant par les arts les valeurs d’un continent souvent soumis aux préjugés, Africajarc réussit sous le prisme de l’Afrique à véhiculer un esprit d’ouverture et de tolérance. Par ses spectacles, ses débats, mais aussi des projets de fond menés dans l’année, Africajarc s’avère un outil efficace à l’encontre des replis identitaires et des logiques d’exclusion d’aujourd’hui. Mais cette réussite culturelle ne suffit pourtant pas à garantir la pérennité financière du projet. Les financements restent l’épée de Damoclès des festivals. Chaque année, Africajarc joue l’équilibre subtil entre l’appât des têtes d’affiches et la promotion culturelle de talents en devenir, moins connus. Pris en étau entre son rôle de diffuseur de cultures souvent mal représentées, dont les artistes ne déplacent pas toujours les foules, et une nécessité commerciale, le festival, autofinancé aux alentours de 67 %, dépend pour l’essentiel de ses fonds propres : billetterie, droits de place, bars et restauration, stages… Comptant parmi les festivals majeurs du département du Lot, conventionné avec la Région, il voit jusqu’à aujourd’hui ses soutiens publics maintenus. Un statu quo inespéré dans ces périodes de restriction budgétaire, pour autant ces apports publics sont loin de suffire au budget. Et si Cajarc soutient son festival, la taille de la commune ne donne pas à Africajarc la puissance de feu que de grandes villes apportent à leurs évènements, en termes financiers ou en moyens techniques et humains.

Côté privé, plusieurs entreprises locales accompagnent le festival. Ce sont souvent leurs contributions en nature qui contribuent fortement à alléger le budget de l’organisation : prêts de véhicules, dons de produits alimentaires, prix préférentiels… Quelques dons financiers aussi mais, là encore, malgré les appels au mécénat, peu d’entreprises sont aptes à distribuer leurs largesses. Bref, garantir la reconduite financière du festival n’est jamais gagnée d’avance, alors même que ses impacts économiques sont désormais indéniables : hébergements, restauration, achats de matériel, de denrées alimentaires.... L’autre risque demeure l’épuisement de l’engagement bénévole. Surtout celui de ceux, déjà peu nombreux, qui mènent les rênes de l’organisation durant les 365 jours de l’année. Non seulement les perpétuelles incertitudes financières entament déjà la meilleure des motivations, mais la tâche est immense et chronophage. Africajarc est aujourd’hui trop grand pour contenir dans les seuls habits du bénévolat mais peine encore à pouvoir s’offrir sa pleine tenue professionnelle. La nécessaire professionnalisation de l’association, entamée depuis plusieurs années, se poursuit cependant malgré les aléas budgétaires. C’est cette période charnière, déterminante pour la suite de l’aventure, que traverse l’association. Le projet culturel évolue aussi, Africajarc devenant un relais de diffusion des cultures africaines sur son territoire, au delà du rendez-vous estival. Les Migrations d’Africajarc, la nouvelle saison culturelle, concrétisent cette volonté. Obstinés , les bénévoles d’Africajarc restent bien décidés à perpétuer le souffle originel qui a créé la rencontre et à poursuivre l’improbable : faire venir l’Afrique sur les bords du Lot.

La reconnaissance et les compétences accumulées en quinze ans confèrent à Africajarc un savoir faire inédit

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LA

PROXIMITÉ EN ART

HYPOTHÈSE PAR RENÉ DURAN

L

La proximité en art est peu mise en avant, peu débattue. Pourtant elle compte. Étant donné : • que la proximité en art peut avoir une convergence avec les actions écologistes et localistes, par exemple les échanges sociaux, commerciaux de produits en circuits courts. • que ce qu’on nomme École fonctionne beaucoup par une relation suivie de voisinage entre créateurs, critiques, proches, regardeurs. Côté art plastique, il y a des Écoles de l’époque des Impressionnistes et par exemple l’École de Nice ou l’École de Rodez, toujours là, révélée par Fèliç Castan. Côté rock and roll, ressort une trentaine d’années auparavant l’émergence de courants similaires sur Bordeaux et Le Havre. Côté littérature, il faut souligner dans l’après-guerre le noyau de Carcassonne avec des écrivains en langue d’oc, d’autres en langue française, plus de peintres, sans oublier, à un moment, les revues à Marseille. • que les gens du coin aiment voir où sont leurs créateurs, même leur avant-garde malgré qu’ils ne l’appellent pas comme ça.

• que donner des chances à des créateurs d’ici peut leur permettre de s’affiner grâce à la continuité qui en découlerait, laquelle actionne une potentialité. La critique a un rôle à jouer, en dehors de ça celle-ci ne peut pas éviter de s’informer d’une certaine façon à son niveau par rapport à la situation artistique internationale dans son ensemble tout en gardant un pied dans la proximité. • que la création artistique, grâce à une énergie dans un secteur donné, a la possibilité de stimuler l’économie davantage que la diffusion de l’art parachuté. • que le relationnel suivi au sein d’un environnement est souvent nécessaire à ceux qu’on appelle artistes de survie. Je pourrais donner des exemples. • que les créations d’ici en langue française, en langue d’oc, dans des langues immigrées malgré différentes problématiques, peuvent avoir une stratégie commune.

Originaire de Rodez (Aveyron), René Duran est un artiste et penseur protéiforme. Occitaniste, écrivain, journaliste et musicien (créateur du groupe Novel Optic), inventeur du concept d’ «Art approximatif et négligé », il a publié plusieurs romans et nouvelles. Ami de Ben ou de l’école de Nice, il se bat pour une culture issue du territoire, et n’hésite pas à écrire aussi bien sur le rugby que sur l’art contemporain.

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Pas de

culture sans territoire

Pronomade(s) d r o b ’a d s t n a it b a Les h

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Depuis quinze ans, le territoire de St-Gaudens en Haute-Garonne explore une culture du quotidien pour apporter à ses habitants un véritable service public : omniprésent, donnant le droit à l’écoute et à la participation.

« Le but n’est pas d’avoir beaucoup de spectateurs, mais d’être en relation avec ceux qui vivent ici », pose en principe Philippe Saunier-Borrell, directeur de Pronomade(s). En confrontant des artistes avec le territoire, en lien avec des associations locales, des écoles, des professionnels… , Pronomade(s) invite les 80 000 habitants du Sud de la Haute-Garonne à participer au projet culturel qui s’invente avec eux, à travers des interventions de longue durée, en proposant une saison de spectacles et en accompagnant la création artistique. C’est après un travail du théâtre municipal de StGaudens sur les arts de la rue, et sept ans de festival thématique sur l’excès et la folie, « St-Gaudingue », que s’est affirmée la volonté de s’adresser toute l’année aux habitants plutôt que de privilégier un événement ponctuel, certes plus médiatique mais dont les propositions artistiques ne concernaient pas directement le territoire. Pourquoi la culture ne s’écrirait-elle pas au quotidien, en donnant à voir à tous le regard des artistes sur le monde environnant ?

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Labellisée Centre national des arts de la rue, Pronomade(s) révèle les stratégies d’aménagement du territoire, du département à l’Etat, en Midi-Pyrénées : les centres d’art nationaux y ont été positionné en milieu rural, hors de la métropole toulousaine. C’est le choix de doter un territoire tel que celui de St-Gaudens, qui n’en aurait pas seul les moyens, d’une structure digne d’une grande ville. Son rôle national n’empêche pas Pronomade(s) de s’inscrire dans la proximité puisqu’elle s’attache à faire participer à ses projets les huit communautés de communes sur lesquelles l’association intervient. Pronomade(s) est-elle déjà un dinosaure ? Philippe Saunier-Borrell s’inquiète de la tendance à la concentration autour des métropoles, accompagnée de l’effritement des services publics à la campagne. Après le clivage entre villes et banlieues, y aura-t-il une fracture entre métropoles et territoires ruraux ? « Un nouveau projet similaire ne pourrait pas se créer de cette façon aujourd’hui », déplore-t-il.

ATP s r u o d a b u o r T s e L’esprit d «Puisque ce que l’on nous propose ne nous suffit pas, puisque c’est le désert, donnons-nous les moyens de programmer nous-même ce dont nous avons envie»; c’est l’idée qui est ressortie d’une réunion qui eut lieu en mars… 1983 à la Maison des Jeunes et de la Culture à Carcassonne. L’Association pour le Théâtre Populaire (ATP), née dans l’esprit de Jean Vilar, maintient depuis trente ans

cette idée du théâtre à portée de tous au sein de l’Aude rurale. Dix ans après sa création, l’édifice est encore fragile, mais le public répond présent. Il faudra attendre les vingt ans d’itinérance théâtrale à travers le département pour voir enfin les premières collectivités reconnaître le rôle de défrichage culturel de l’ATP. Si, aujourd’hui encore, l’ATP est restée une organisation de bénévoles passionnés,

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POUR ALLER PLUS LOIN www.pronomades.org

il a fallu s’adjoindre dès le départ une équipe de salariés tant un vide était à combler sur le territoire. Ce vide existait également au niveau des lieux de diffusion. De ce côté-là, quelques réalisations ont cependant vu le jour, mais les spectacles se déroulent encore souvent avec les moyens du bord au gré des gymnases et autres salles polyvalentes, qu’il faut bien aménager en lieux d’accueil adéquat le temps d’une soirée. Signe des temps, le programme est désormais orné d’un mot d’accueil des présidents du Département et de la Région. Pour fêter ses trente ans, l’ATP affiche au compteur 340 spectacles diffusés dans 41 lieux différents du département. Cela dit, l’association souhaite garder ce caractère et cette philosophie qui fait l’essence du théâtre et refuse de devenir une institution, juste garder l’espace rural comme scène populaire.


Babel Gum c li b u p e c a p s e l’ r le é Rév

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Si la culture est ce qui reste quand on a tout oublié, Babel Gum est là pour la réveiller. D’un village à l’autre, le festival éphémère investit les lieux publics et fédère les énergies locales, dans le Lot et ailleurs. Né du mélange de trois univers (politiques culturelles, cirque, régie de spectacle), Babel Gum répond au besoin commun de créer des évènements de croisement, en reliant tous ceux qui, sans se connaître, font vivre un territoire. Durant deux semaines, parfois dix jours, un campement s’installe dans une commune, apporte le décor nomade d’un monde imaginaire, lieu de spectacles, de débats, animé de soupes populaires, de criées publiques… À chaque fois, ce festival itinérant s’appuie sur les ressources locales, institutionnelles, associatives, repère les potentialités artistiques, des professionnels et des amateurs… « On est des agenceurs, pas des programmeurs, explique Gwen Rio, l’une des initiatrices de l’association, chargée de son administration. On ne défend pas notre œil, on ouvre une fenêtre sur le bouillonnement créatif local ».

Révélateur de la culture qui sommeille en chacun des habitants de la commune d’accueil, Babel Gum s’attache à générer du lien et propose une création participative qui marquera le final de chaque festival. En créant une réelle mixité, autour de dynamiques déjà présentes, Babel Gum provoque la rencontre et revendique un projet politique, au vrai sens du terme. « La culture, ça sert à faire société, affirme Gwen Rio, et le terreau nécessaire se trouve dans les acteurs locaux. On défend l’absence de désert culturel, la réalité ne nous a jamais donné tort ». Le concept emballe souvent les mairies, même si les financements ne coulent pas de source, et malgré les inquiétudes suscitées par le côté « carte blanche », l’originalité du festival, les critères défendus par Babel Gum, qui sortent de l’excellence : les choix s’attachent à la diversité des disciplines, le secteur géographique, la

vaillance et la sincérité des propositions artistiques et non à leur notoriété. Loin de n’être qu’un festival itinérant, Babel Gum propose une boîte à outils au service d’associations organisatrices d’évènements : des yourtes de bistrot ou de spectacle, un bus-atelier, une flotille de caravanes décorées, mais aussi des savoir-faire pour des structures en manque d’outils, pour des milieux ruraux et populaires.

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Terre de couleur s e ir a d li o s ie m o n o c Culture et é

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Créée en 1993, l’association Terre de Couleurs invite chaque été à Daumazan sur Arize en Ariège des artistes appartenant aux mouvements des musiques du monde, traditionnelles et actuelles. Depuis 2002, l’association organise aussi des concerts à l’année sous chapiteau ou dans les salles des fêtes ariégeoises. Si Terre de Couleurs tient à rapprocher les cultures, l’association souhaite aussi garder son festival ouvert au plus grand nombre en pratiquant des prix d’entrée modérés. La mise en pratique des principes de l’économie sociale et solidaire demeure la règle, et se veut « une alternative au

libéralisme sauvage. » Une fois le décor planté et les principes énoncés, il faut concrétiser. Au cours des trois jours de festival, l’euro n’a plus cours et la monnaie d’échange devient le Léon, tandis que le tri sélectif est fortement suggéré, tout comme le co-voiturage. Le festival Terre de Couleurs reste précurseur pour ce qui est des innovations. Les toilettes sèches permettent d’économiser vingt mille litres d’eau le temps d’un festival, les matières compostées permettent d’enrichir les jardins de la vallée. Les gobelets réutilisables, que l’on trouve désormais dans de nombreux festivals, et non des moindres,

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ont pris leur envol au bord de l’Arize. Enfin, les repas pris dans l’enceinte du festival sont élaborés à base de produits locaux et issus de l’agriculture biologique. L’osmose avec le territoire est complétée par la volonté d’héberger les artistes chez l’habitant. « On ne mesure pas à quel point la culture est importante pour le territoire, ça donne envie de s’installer, ça crée de la vie en milieu rural, la culture fait se rencontrer les gens », affirme Monique Estrade-Spencer, artiste lyrique et membre du Conseil d’administration de l’association.


Derrière le Hublot n ie id t o u q le r e s r Bouleve

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POUR ALLER PLUS LOIN www.derriere-le-hublot.fr

Entre Lot et Aveyron, Derrière Le Hublot affiche une ambition culturelle jamais démentie, celle d’aller toujours plus loin dans la découverte des territoires et des gens. Un travail de longue haleine qui montre que la culture se marie à tout.

Au départ, la simple envie qu’il se passe quelque chose, que la bourgade de Capdenac-Gare puisse prétendre à la même dynamique culturelle d’une grande ville. Telle était l’ambition d’une quinzaine de jeunes gens, natifs de ces bords du Lot et déterminés à y rester au terme de leur adolescence. « Nous nous sommes demandés comment rester sur ce territoire, comment y vivre et s’y sentir bien », résume simplement Frédéric Sancère, directeur artistique de la structure dont il aura été l’un des fondateurs. Sans lieu fixe au départ, l’association Derrière Le Hublot (DLH) s’est vue d’emblée orienter ses projets sur les arts de la rue, en favorisant des artistes qui font le choix d’inscrire leur parole

dans l’espace public. Ainsi, ce qui aurait pu être considéré comme un handicap est largement revendiqué aujourd’hui, puisque c’est le territoire dans son ensemble que DLH sollicite pour être un espace de création et de diffusion tout en étant un support d’écriture et une opportunité de dialogue. En créant du lien entre habitants, associations, milieu sportif… DLH ira chercher les publics, redessinera les cartes du territoire. « C’est bien un projet culturel et pas seulement de programmation, qui tient compte des personnes. L’objectif aujourd’hui est que ce soit quelque chose d’évident sur le territoire, comme un club sportif ou une association de loisirs, que les habitants

se disent : c’est pour moi, ça me concerne », explique Frédéric Sancère. Parti de Capdenac-Gare, DLH développe un territoire de projet concentrique, entre le Lot et l’Aveyron, sur l’ensemble du Pays de Figeac mais aussi sur celui du Rouergue Occidental. En fonction des projets et selon les aspirations des artistes, DLH détermine les lieux d’accueil des spectacles : chez l’habitant, dans les bistrots, sur les places des villages, dans les salles des fêtes, les salles de spectacles, les rues, les champs et les sentiers… Une longue histoire partie aussi d’une chose inédite pour les élus de l’époque : voter un projet culturel.

e é s li a é r e c n a t is s é La R de Ciné 2000 Au premier casting, quatre jeunes espoirs sortis de l’ESAV, l’école de cinoche à Toulouse pleins d’avenir mais les poches vides. Comment faire des films sans pognon ? S’organiser. Ces Spielberg de la débrouille montent une asso et fédèrent une équipe. Au clap de fin, un noyau dur de douze cinéastes, une trentaine en tout. Ça donne Ciné 2000. D’accord les gars n’auront pas la palme d’or du marketing avec leur nom de station de ski prisée. Mais, c’est pas leur priorité. «C’était tellement nul en terme de com’ qu’on s’est dit qu’il fallait que ça nous appartienne ». Cela part d’une vanne, mettre 2000 à toutes les sauces. Génération 2000. « L’an 2000 au service du cinématographe ». Changer les codes du cinoche peu réputé pour son autogestion. Objectif : reprendre en main

la création. Production, réalisation, diffusion. Quelques prestations à des associations et des institutions emplissent la bourse. Une « autotaxe » de 10% est dédiée à l’autofinancement du collectif. Le reste à l’auteur du film « presté ». Un sous-compte pour chaque membre qu’il gère à l’envi pour du matos ou des frais supplémentaires. Sans but lucratif. Tous bénévoles. Le rapport aux institutions est simple. Aucun. Ciné 2000 ne court pas à la subvention. Un principe. Une réalité aussi au vu de leur cinema. « Faire des fims les plus vindicatifs », avouent ces Godards cryptolibertaires. Moins pour se filmer le nombril que parce que « résister c’est créer et créer c’est cool ». Loin de l’effervescence d’Hollywood sur Garonne ou de la Maison de l’image toulousaine, ils

tracent leurs rails de travelling. Des docus, des fictions, des court-métrages. Depuis trois ans le collectif a le « moteur ça tourne » plutôt facile. Des ciné-tracts en soutien au squat du CREA, des projections-rencontres à Arnaud Bernard. Z’ont même navigué en Bateau pirate. Les forbans tendance nouvelle vague sillonnaient la ville en vidéo projetant leurs images. Une façade, un thème en lien. Exemple : un film sur le syndicalisme projetée sur la bourse du travail. Caméra de vidéo-résistance.

POUR ALLER PLUS LOIN http://cine2000.org/

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Comment

Utopia construit son succès

En 1973, la première salle du cinéma Utopia voit le jour à Aix-en-Provence. 40 ans plus tard, le succès du cinéma garanti sans 3D et sans popcorn ne se dément pas. La raison d’une telle réussite tient en partie à un modèle économique original. - Par Christophe Abramovsky -

Mais comment un cinéma peut-il être rentable, sans devenir une industrie de la pellicule ? Michel Malacarnet, co-fondateur d’Utopia avec Anne-Marie Faucon, explique la recette. D’abord, une bonne dose de passion et d’appétence pour des films qui ne passent pas dans les grands complexes, des films rares écrits par des auteurs. Ajoutez une pincée de chance et nappez le tout d’un principe simple : ne pas payer de loyer exorbitant. Car là est la règle qui a permis au cinéma d’Arts et d’essai de survivre depuis la première salle bricolée d’Aix-en-Provence : s’affranchir de la contrainte budgétaire du loyer. « Le modèle le plus abouti est celui de Tournefeuille », raconte Michel Malacarnet. Ça démarre par un désir, celui de la Mairie de Tournefeuille qui souhaite avoir son cinéma. Quoi de plus normal. Dans le même temps, à Toulouse, les salles Utopia de l’ancien Rio ne désemplissent pas. Les spectateurs ne peuvent assister aux séances quand ils le désirent. « Pendant six ans, Utopia Toulouse a été le cinéma le plus rentable de France, jusqu’à ce que les règles de calcul du classement changent », ironise son fondateur. En 2000, à Tournefeuille, la municipalité propose alors de louer un terrain de 1200 m2, à proximité de la mairie, pour 500 € par an seulement. Un bail emphytéotique de 99 ans est signé. Dès lors, charge à Utopia de trouver les financements pour la construction et l’exploitation du lieu. Quatre salles de cinéma et un bistrot sont construits pour un montant de 2,8 millions d’euros. Une somme ! Le fond de soutien du cinéma L’opération est rendue possible grâce à un système que tous les exploitants connaissent bien : le fond de soutien du cinéma. Il

s’agit en fait d’une sorte de caisse de mutuelle qui récolte 10,72% du prix de chaque billet acheté. Cette taxe spéciale additionnelle (TSA), gérée par le Centre national de la cinématographie, est une épargne for-

cée qui va devenir la tirelire bienvenue pour la création de chaque nouvelle salle et pour l’entretien des anciennes. Créé après la seconde guerre mondiale, ce dispositif a déjà à l’époque pour principe : « l’exception culturelle française ». « Mais pour que cela soit efficient, il a fallu constituer une communauté d’intérêt avec toutes les salles Utopia de France. Ainsi, chacune participe au développement de tous, rappelle Michel Malacarnet. Pour Tournefeuille, quand les travaux ont démarré, nous avions déjà en caisse un millions d’euros grâce à cette épargne ». Pour compléter le tout, le conseil général de la Haute-Garonne subventionne à hauteur de 120 000 €, le Centre national de la cinématographie accorde une aide sélective pour la qualité du projet de

Pendant six ans, Utopia Toulouse a été le cinéma le plus rentable de France

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25 000 €. Pour finaliser le projet, le crédit coopératif entre en scène et prête un million d’euros avec la caution de l’Institut de financement du cinéma (IFCIC) et de la Mairie de Tournefeuille. « Chaque année, on remboursait 100 000 €. Depuis l’an dernier, nous avons terminé le remboursement de nos emprunts, et cela en moins de 13 ans », annonce fièrement Michel. Désormais, chaque ticket vient alimenter le fameux fond de soutien et garantit les futurs projets, comme celui de la cité des confluences à Pinsaguel (Haute-Garonne), ou des futures salles d’Onet-leChâteau à côté de Rodez (Aveyron)… S’affranchir du système bancaire A Rennes, le schéma est identique à celui de Tournefeuille et les calculs aussi simples qu’une équation sans inconnu. La Mairie de Rennes se porte caution en toute quiétude, vu l’équilibre financier de la communauté des Utopia. La capitale bretonne, étudiante et énergique, peut espérer sans difficulté atteindre les 300 000 entrées par an. Avec un prix moyen du billet de 5€, les 11% du fond de soutien font rentrer dans les caisses mutuelles plus de 160 000 euros… L’avenir s’annonce radieux. A Onet-Le-Château, la formule est sensiblement différente. La Mairie devient maître d’ouvrage. Elle finance les locaux, mais bénéficie du fond de soutien par délégation sur 15 ans. Le temps de rentrer dans ses fonds. Ainsi, le fond de soutien d’Utopia fait en quelque sorte office de système bancaire, sans faire appel aux banques ! Presque une révolution et une façon de réinventer la logique mutualiste. Pour couronner le tout, Utopia Bordeaux est devenu, début novembre, le premier Utopia qui passe en SCOP. Désormais, l’outil de travail devient la propriété de ses travailleurs… Et brique à brique, Utopia construit sereinement son succès.


Le mécénat culturel, la nouvelle poule aux œufs d’or ? A Toulouse et dans la région, de plus en plus d’acteurs culturels font appel à cette nouvelle source de financement privé. Une aubaine pour un secteur de moins en moins subventionné par les collectivités locales. Tour d’horizon à travers les fondations et compagnies emblématiques.

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– Par Mathieu Arnal –

LE GRENIER DE TOULOUSE

Si la plupart des compagnies théâtrales en difficulté a encore le réflexe de se tourner vers les institutions publiques, le Grenier de Toulouse, lui, fait figure d’exception (avec le Grenier Théâtre) pour s’être tourné depuis deux ans vers le mécénat culturel. Une question de survie pour cette institution patrimoniale, créée en 1945 par Maurice Sarrazin et aujourd’hui co-dirigée par Stéphane Battle et Pierre Matras. Ce théâtre sans domicile fixe, accueilli tour à tour au Sorano, au théâtre de la Digue, au Moulin de Roques-sur-Garonne a mis au point une véritable démarche mécénale, rencontrant des chefs d’entreprises par l’intermédiaire de la Chambre de commerce et d’industrie, et en structurant plusieurs clubs de mécènes (soutien en numéraire et en compétence). Grâce à Danielle Buys, la première adjointe au maire de Tournefeuille à la culture, le Grenier est en résidence pour une cinquantaine de dates par an à l’Escale, toute nouvelle salle de spectacle. Par ailleurs, la mairie a mis à disposition un terrain de 1 600m2, dans le quartier de la Paderne, signant un bail emphytéotique de 99 ans (comme pour Utopia). « Le Grenier est la seule entreprise culturelle privée à ce jour à construire son lieu propre de création. Ce sont les entreprises de BTP qui vont œuvrer essentiellement dans le cadre d’un mécénat en nature, en mettant à disposition leur compétence » précise Sandrine Marrast, chargée de mécénat pour le Grenier.

La loi Aillagon sur le mécénat La loi Aillagon n°2003-709 du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations. Elle se traduit par le versement d’un don en numéraire, en nature ou en compétence à un organisme pour soutenir une œuvre d’intérêt général, ayant un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel… d’organismes publics ou privés dont la gestion est désintéressée et qui ont pour activité principale la présentation au public d’œuvres dramatiques, lyriques, musicales, chorégraphiques, cinématographiques ou de cirque, ou l’organisation d’expositions d’art. Le don ouvre pour certains pour les donateurs (entreprises et particuliers) à certains avantages fiscaux. Selon le premier alinéa de l’article 200 du Code général des impôts, les particuliers bénéficient d’une réduction d’impôt (IRPP) de 66% du montant du don, dans la limite de 20% du revenu net imposable. Le mécénat se distingue clairement du parrainage ou sponsoring, par la notion de contrepartie.

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LES GRANDS INTERPRETES

Autre acteur incontournable du paysage musical classique régional, celui des Grands Interprètes. Soutenue par la Mairie de Toulouse, le Conseil général de Haute-Garonne et le Conseil régional de Midi-Pyrénées pendant 25 ans, l’Association s’est tournée à partir de juin 2010 vers le mécénat. Le Cercle des Grands Interprètes s’adresse aussi bien aux entreprises qu’aux particuliers. Pour participer au développement de la structure qui compte une cinquantaine de membres dont la Banque Populaire Occitane, la Caisse d’Epargne Midi-Pyrénées, EDF ou Airbus, mais aussi des PME, on peut devenir membre ami, donateur ou bienfaiteur selon le montant de contribution (cotisation annuelle minimum fixée à 100 € plus un don facultatif jusqu’à 20 000 € pour les grosses boîtes). Cette nouvelle diversification des ressources est non négligeable puisqu’elle apporte une manne de 12% à son budget. Pour Christine Nimeskern, la responsable du développement et du mécénat, « elle permet ainsi de pérenniser sa qualité programmatique et de développer des projets pédagogiques afin de sensibiliser les plus jeunes mais aussi les publics dits « empêchés » à cette musique jugée à tort élitiste. Des partenariats ont été mis en place aussi bien vers les publics scolaire et universitaire ou avec l’Hôpital des Enfants de Toulouse de Purpan et nous avons engagé des actions en faveur des publics précaires avec la Mission locale de Toulouse ou la Fondation Agir contre l’Exclusion ».

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A aïda

L’Association des entreprises mécènes de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse est la pionnière en la matière. Créée en 1988 à l’initiative de Michel Plasson, le célèbre chef d’orchestre et de Claude Goumy, le directeur général de Matra Espace, elle compte aujourd’hui 83 adhérents, de toutes tailles dont les grands comptes (Airbus, Astrium, le Cnes, Aéroport Toulouse-Blagnac, Chambre de Commerce et d’Industrie de Toulouse…) « Nous avons deux catégories de donateurs : la première s’élevant à une cotisation annuelle de 19 500 € et la seconde à 3 800 €. En contrepartie, pour la saison qu’Aïda organise à la Halle aux Grains (deux concerts de musique de chambre, trois symphoniques et un à destination des enfants), nous offrons un quota de places pour les salariés des entreprises partenaires (60 places/ concert à la première catégorie, 24 à la seconde) » explique Muriel Cazabat, la chargée de communication d’Aïda. Selon les derniers chiffres de 2012, la répartition des dons va à 80% à l’Orchestre (ce qui permet d’aider financièrement à ses tournées internationales), les 20% restant servent au paiement des frais de fonctionnement de l’association. Et depuis 2011, l’Association soutient les formations des musiciens de l’Orchestre, comme le montage de l’Orchestre Mozart Toulouse (anciens boursiers d’Aïda) ou encore Enharmonie, formation qui regroupe professionnels et amateurs dont des salariés des entreprises adhérentes.

m MARIONNETTISSIMO

Reconnu comme référence de l’art marionnettique et des théâtres des formes animées à l’échelle hexagonale, l’Association Et qui libre/Marionnettissimo organise depuis 1990 un festival international, chaque année, fin novembre (et depuis 2006, annuellement à Tournefeuille, ville de l’agglomération toulousaine la plus ambitieuse en matière culturelle). Si elle bénéficie du soutien des collectivités territoriales (44% du budget, grâce entre autre à la Ville de Tournefeuille, la Ville de Toulouse et l’Eurorégion), ce n’est plus forcément le cas de l’Etat. Lorsque la Drac se désengage en 2009, Jean Kaplan, le directeur artistique de la manifestation, se tourne vers le mécénat (7% du budget). Pour se faire, il en appelle aux compétences d’un spécialiste du mécénat et de l’ingénierie culturelle, Nicolas Battist, via le Dispositif local d’accompagnement de Haute-Garonne (DLA 31) (émanation de la Caisse des dépôts et consignations) qui vise à accompagner et renforcer économiquement les structures d’utilité sociale. « Nous avons mis en place une véritable stratégie de proximité entre les entreprises partenaires et l’équipe du festival. Ainsi, par exemple, on a permis de faire venir les festivaliers dans les agences de Saint-Georges à Toulouse, Tournefeuille et Castanet-Tolosan de Groupama, en les animant par de courtes formes marionnettiques, au-delà de la simple présence conventionnelle de logos » explique le directeur de Culture Eco, agence de conseil, d’accompagnement, et de prospection en mécénat culturel sur Toulouse et Midi-Pyrénées.

Les chiffres du mécénat en France

illustration Veks Van Hillik

-Le montant total du mécénat en France : deux milliards d’euros dont près de 400 millions pour le mécénat culturel. -40 000 entreprises sont concernées. Parmi elles, les PME représentent 93% des mécènes -Le mécénat se distingue de trois manières : mécénat financier (74%), mécénat en nature (33%), mécénat de compétence (11%) Source : l’Association pour le développement du mécénat industriel et commercial (Admical) qui regroupe les principaux acteurs du mécénat.

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Portraits

Jean-Philippe Fedier, « mineur de de

Installé à Laurabuc, près de Castelnaudary (Aude), JeanPhilippe Fedier a créé avec sa compagne C2K, une entreprise spécialisée dans l’événementiel et l’aménagement de musées, expositions et stands. Ce scénographe et designer toulousain, au parcours atypique (antiquaire, entrepreneur, conseiller naval, conseiller politique) nous livre une analyse sans concession sur l’art où le business et le coup médiatique priment sur l’authenticité créatrice.

fond de l’art » – Par mathieu arnal –

« Je ne suis pas instable mais disons que j’ai plusieurs centres d’intérêt ». Lorsqu’il commence à évoquer son parcours, Jean-Philippe Fedier use de la litote pour mieux vous faire sentir son âme de bourlingueur. Ce sans origine fixe, pour qui la famille se partage entre la Russie, la Pologne, l’Angleterre, l’Australie et les Etats-Unis, est né à Toulouse. Par hasard. « Mon père, un des premiers collaborateurs de Formica (célèbre gamme de mobilier de cuisine mélaminé thermorésistant prisé des ménagères des années 1950 à 1970, ndlr) a pas mal bougé au cours de sa carrière. Après le Sud-Ouest, on l’a suivi à Paris puis à la frontière du Nord et de la Picardie ». A cause d’un attentat à Belfast, il ne peut rejoindre la verte Irlande et s’inscrit à la faculté de médecine d’Amiens à la rentrée 1971. Pour faire plaisir à ses parents. Lui, qui voulait être architecte, est ballotté dans différents services, de la cardiologie à celui d’anatomie pathologique, réservé aux « mauvais élèves ». Pour gagner sa vie, il enchaîne les petits boulots et embrasse la profession d’antiquaire à Lille. Il y monte « Antiquité Valeurs », un des premiers dépôts-vente de la ville. Il donne d’utiles conseils à Jean-Pierre Boudier, le futur créateur du célèbre Troc de L’Ile (aujourd’hui Troc. com) « Lui, il avait la maturité pour monter sa boîte, moi, non, il me suffisait de boucler les fins de mois ». Il quitte le secteur après plusieurs achats fructueux et rejoint un ami de fac à Fort-de-France (Martinique). Làbas, pendant un mois, il devient un fondu de voile. A son retour en métropole, il décide de construire un premier bateau à Béziers (Hérault) et vit de ses subsides. Devenu un des spécialistes de la construction navale, il conseille les entreprises du milieu, en terme de construction, de management et d’implantation. Pour elles, il obtient des aides et subventions via entre autre le Fonds régional d’aide et de conseil (le FRAC). Par la suite, il revient dans le domaine de ses premiers amours et se lance dans le domaine du matériel médical. Pendant une dizaine d’années, son entreprise marche relativement bien jusqu’à ce que les locaux brûlent. « Aussi surprenant que cela puisse paraître, je me suis senti libre. Là, j’ai compris qu’on pouvait faire autre chose que de travailler tout le temps ». Il change à nouveau de cap. Nous sommes en 1998 et il arrive à Marseille à bord d’une vedette de 18 mètres, ayant appartenu un temps à Brigitte Bardot. Il s’essaie avec succès au marketing et à la communication politique, collaborant tour à tout avec le PC, le PS puis l’UDF. Il conseille le maire Jean-Claude Gaudin et son équipe « sans conviction, quand on conseille les cyniques, on devient cynique à son tour » lâche-t-il ironique.

vendre avant de créer

En 2007, il créé avec sa conjointe artiste (sculptrice, peintre, graphiste), C2K, une entreprise spécialisée dans l’événementiel et l’aménagement de musées, expositions et stands. Une diversification obligatoire si le couple veut s’en sortir financièrement, quitte souvent à délaisser l’intérêt artistique. « Le concept d’artiste maudit, ça ne prend plus depuis longtemps. Nous ne sommes plus dans la démarche des premiers marchands d’art qui s’intéressaient aux grands classiques du début du XXe siècle. Aujourd’hui, il faut

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vendre, monnayer son temps à tout prix, avec des contraintes, des enfants à qui l’on paye des études… Par exemple, lorsque la ville de Tourcoing (Nord) fait appel à nous pour sa fête -le Week-end Géant-, qui a lieu chaque année en mars, nous nous posons des questions comme une boîte de communication, nous ne sommes pas dans le génie créateur, il faut vendre ce qui est susceptible de leur plaire. Nous allons faire un fil à linge géant avec une paire de chaussette géant qui sèche. L’an passé, nous leur avions fait la signalétique. Là, nous sommes dans le démonstratif, ça se voit donc les gens ont l’impression que le maire fait quelque chose et comme nous allons rentrer en période électorale, évidemment, ça compte ». Même démarche lorsque les centres commerciaux les appellent pour relooker l’ensemble comme celui de Floirac (Gironde), ou les éditions Milan Presse ont besoin d’un graphisme plus pertinent, les sollicite... « On n’est pas dans l’art glamour, on est dans des métiers, quand on pense à l’artiste, on pense à celui qui fait ce qui bon lui semble et qu’une bande de groupies va acheter… Mais non ! On rame, on pousse les wagonnets, on est quelque part les mineurs de fond de l’art ». Mais à côté de ces figures imposées, il peut y avoir de belles surprises. Le fait d’avoir remporté l’appel d’offres lancé par le Centre Pompidou est bien sûr un gage de fierté. Théoriquement, C2K interviendra durant trois ans lors de gros événements comme ce fût le cas sur celui rétroactif consacré à Salvador Dali, de janvier à mars de cette année. Ce sont près de 800 000 visiteurs qui sont passés par un œuf géant de 7,50 m sur 5 m de haut confectionné avec de la mousse, de la fibre de verre et de la résine, servant d’entrée à cette exposition. Avec néanmoins des contraintes liées au temps et à la logistique. « Le plus délicat, c’est de pouvoir gérer une commande de dernier moment de cette ampleur, de remonter les 12 pièces de l’œuf sur site et de l’installer au 6e étage du Centre, en faisant rapidement appel à son réseau d’amis qu’on rémunère ».

Quand le contenant prime sur le contenu

Si Beaubourg comme le Louvre ou le Grand Palais attirent des foules considérables, aussi bien d’avertis que de profanes pour leurs expositions denses et de haute tenue, ce sont les arbres qui cachent une forêt vierge de sens. « Aujourd’hui, les musées sont de plus en plus beaux, de plus en plus grands, et il y en a partout. Mais c’est l’enveloppe qui prime. On va à Bilbao pour le Guggenheim comme on va au Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MuCEM), (l’un des projets phares de « Marseille 2013, capitale européenne de la culture »). Le public n’y va pas pour le contenu mais le contenant… Effectivement, le rendu est très beau, les architectes sont considérés comme des artistes puisqu’on va voir leurs œuvres. Les résilles de béton, il n’y a pas que Rudy Ricciotti qui sait les utiliser mais il a su construire sa notoriété pour qu’on lui commande à lui ses résilles. Avec Rudy, on avait travaillé ensemble, des maisons en forme de barre de béton enfoncées dans des pentes abruptes qui donnent sur la Méditerranée, des constructions certes modernes mais convenues, le tout servi par un discours faussement rebelle mais talentueux (référence à son livre L’Architecture est un sport de combat). Une posture assumée de l’art conceptuel qui a pris le pas sur les réels enjeux esthétiques et où la justification intellectualisée éclipse l’œuvre en tant que telle.


Quand

change les donnes

L

Le secteur des musiques actuelles est sans doute l’un des plus en phase avec la réalité numérique. Non sans effets collatéraux puisque Internet a provoqué la faillite de l’industrie du disque et la mort de nombreux labels. « Internet a bouleversé le paysage professionnel. Cela a commencé avec Myspace au début des années 2000 », souligne Cyril Della-Via, responsable de l’action culturelle et artistique du collectif Avant Mardi, l’antenne en Midi-Pyrénées du Printemps de Bourges. A l’heure où le CD est en voie de disparition, la nouvelle génération mise davantage sur la sortie d’un EP (format intermédiaire entre le single et l’album) pour asseoir sa notoriété, tout en soignant son image sur internet. « A l’ère du zapping, le cycle de vie d’un projet artistique est plus court. Pour s’adapter, mieux vaut lâcher les morceaux un à un, et attendre pour sortir son album », analyse Alexandre Barthès, chargé de l’inforessource à Avant Mardi. Pour tenir le public en haleine, la création musicale puise souvent dans l’audiovisuel, en vue de s’assurer une présence sur la toile. Ainsi, le groupe toulousain de blues hip-hop Scarecrow, qui cartonne avec 200 concerts en trois ans à son actif, a sorti deux clips et travaille sur le troisième. « On a mis les gens au courant avant de faire le tournage. Cela les fait entrer dans les coulisses du groupe, et les rend acteurs. La virtualité d’Internet permet une proximité plus forte avec le public », explique le guitariste, Slim Paul. « On se développe sur le web en parallèle du live, car on sait que la distribution en magasin est compliquée, tout comme la visibilité dans les médias. Internet permet d’avoir un coup d’avance, de donner du poids au projet ». « Aujourd’hui, il y a deux manières d’exister en tant qu’auteur ou artiste. Il y a l’identité physique, et l’identité numérique, à travers laquelle tu peux tisser ton réseau », assure Wilfrid Estève, photographe, producteur multimédia, et confondateur du studio Hans Lucas, dédié aux nouvelles narrations sur le web. « Sortir un album par an est insuffisant pour faire vivre son groupe et attirer le public. Il faut donc alimenter en continu sur Internet en postant des sessions acoustiques, des vidéos, des nouvelles. Cela crée un cocon nécessaire pour préparer la sortie d’un EP », estime Augustin Charnet, leader et chanteur de Kid Wise, talentueux groupe de poprock toulousain. « On a construit l’image du groupe avec Internet, d’abord avec des pages Facebook. On a vu qu’il y avait un réel impact sur la manière dont les gens nous perçoivent », poursuit-il. La jeune génération investit les plateformes d’écoute, comme Deezer et

Cultiver son image et créer le buzz

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Grooveshark, les sites de téléchargement comme Bandcamp et SoundCloud. Elle poste ses vidéos sur Vimeo et YouTube. Noir Coeur, sélectionné aux Inouïs du Printemps de Bourges cette année, ne se défend pas d’être « addict » à Internet. Au bout de deux ans d’existence, le duo d’électro-pop enrichi depuis peu d’un batteur, prépare déjà une tournée européenne. Le groupe manie avec virtuosité la vidéo et la photo. Dès l’enregistrement de leur premier titre en 2011, ils ont fait un clip. Chaque morceau, ou presque, a sa vidéo, vue 10 000 fois en moyenne. Le succès de ces jeunes artistes s’explique peut-être par leur appétence à mêler les disciplines. « Quand on a commencé, c’était un projet global. On ne savait pas si on ferait de la scène. On voulait développer un univers, en utilisant de l’image en parallèle de la musique. Nous savions qu’Internet était incontournable pour supprimer les frontières. Dès le début, on a été repris par des blogs mexicains, japonais, canadiens », confie Adrien Broué, un des deux musiciens de Noir Coeur. Encore plus efficace, Kid Wise a créé le buzz mi septembre, grâce à son clip « Hope ». Avec 150 000 fois vues en un mois et demi, la vidéo, très léchée, représente un tournant inespéré pour le jeune groupe. « Le clip nous a fait découvrir par des professionnels, et par effet domino, nous avons eu de nombreuses propositions. Il sera diffusé dans un festival de courts métrages de Los Angeles ». La vidéo a été bricolée avec des copains dans la maison de famille d’Augustin, en Corrèze. Mais des réalisateurs parisiens ont assuré le montage.

Transcender l’art ou mutualiser les moyens

Le pôle créatif toulousain La Petite, créé en 2004, s’appuie avant


internet – PaR armelle parion –

Transversalité, interactivité, financement participatif... Ces expressions sont entrées dans le jargon culturel. A l’ère du 2.0, l’usage du web devient pour les artistes un tremplin pour se forger une identité et rassembler autour d’eux une communauté, et trouver des financements.

chalutiers et thonniers : deux problématiques différentes Le principe d’appel à contribution du public, appelé aussi souscription, ne date pas d’hier. Mais il se répand depuis deux ans sur le net, via des plateformes comme Ulule, Tousco Prod, My Major Company, ou encore Kisskissbankbank. Les contributeurs, en échange de leur don, gagnent des cadeaux et des places de concerts. En quatre ans, Kisskissbankbank, ouvert à toutes les disciplines artistiques (clips, livres, documentaires, photo), a récolté 8,2 millions d’euros répartis entre 4366 projets. Le quartet de blues hip-hop toulousain Scarecrow a utilisé Ulule pour financer son album « Devil and crossroads ». « Nous voulions avoir un vrai packaging et un vrai pressage pour assurer notre tournée, et donc accéder à un bon studio pour enregistrer en analogique », explique Slim Paul, le guitariste. Le groupe a récolté en moins d’un mois plus que le budget nécessaire. « Nous balancions une vidéo par semaine sur Youtube et Facebook, un morceau de guitare enregistré dans la rue ou une session studio. Cette démarche nous a rapproché du public ». Kid Wise, les rois du buzz, ont également financé leur dernier EP « Renaissance », grâce à Ulule. Les 1500 euros récoltés ont contribué à l’enregistrement, au mastering et au mixage, ainsi qu’à la rémunération d’un quatuor à cordes et d’un ensemble de cuivres, venus en supplément. Sans passer par aucune plateforme, le photographe et producteur Wilfrid Estève, fort de ses 69 000 abonnés sur Twitter, assure drainer 70% de ses contrats grâce aux réseaux sociaux et à sa présence sur la toile. « La construction d’une identité professionnelle numérique permet d’être autonome pour la recherche de financements. On entre en profondeur en Financement participatif : l’émergence d’une communautéimer une communauté ». Au-delà de l’apport financier, les réseaux sociaux et le financement participatif accélèrent la visibilité de l’oeuvre et de l’artiste.

tout sur l’outil numérique pour diffuser des projets transversaux et expérimentaux. La structure lance fin novembre des flyers numériques, qui utiliseront le principe de réalité augmentée. « Le flyer devient un objet artistique en tant que tel. Grâce à un fichier qui se superpose en 3D sur les smartphones, on pourra visualiser la programmation avec du son et de la vidéo », explique Emily Lecourtois, directrice de l’association. Selon la jeune femme, les nouvelles technologies doivent permettre de « transcender le projet créatif », et de le rendre plus accessible, en le faisant sortir de la salle de spectacle. Le web offre enfin la possibilité de mutualiser les moyens de développement et de gestion pour les artistes. La Petite développe depuis 2010 l’outil SMartFr, une coopérative de gestion de projets artistiques et culturels. 268 compagnies d’artistes de Midi-Pyrénées, dont beaucoup de musiciens et de circassiens, peuvent utiliser gratuitement un bureau administratif en ligne. Ils disposent notamment d’un fonds de garantie pour les salaires et d’une assurance professionnelle mutualisés. A plus petite échelle, la fanfare P4 profite de la communication en réseau du collectif Cokmalko. Elle bénéficie des 4000 visites par mois sur le site du collectif, qui rassemble l’actualité d’une dizaine de groupes de musique du monde. Chaque année, Cokmalko édite une plaquette et produit une compilation musicale de tous les groupes, pour un salon professionnel à Marseille. « Au départ, le collectif était un outil de promotion, car nous n’avions pas de tourneur ni de manager, explique Laurent Clouet, clarinettiste de la fanfare P4. Nous nous sommes regroupés pour avoir plus de visibilité. Cela valorise aussi notre image dans le milieu professionnel».

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Depuis 2008, la plate-forme nationale des cafés-culture planche sur un système de fonds d’aide à l’emploi artistique qui, tout en soulageant les bars culturels, tenterait de répondre à la crise de l’emploi sans précédent rencontrée par les artistes en intermittence. Testé depuis 2012 dans la région Pays de la Loire, le dispositif pourrait être étendu au niveau national en 2014.

- Par Nicolas Mathé -

Les cafés culture

Les artistes sont eux confrontés à une crise de l’emploi sans précédent et ce alors mEme que la pratique culturelle n’a jamais été aussi forte

En France, six mille cafés disparaîtraient chaque année. « On est passé de 200 000 dans les années 60 à environ 30 000 aujourd’hui, c’est assez éloquent », avance David Milbéo, du collectif Bar-Bars, l’une des premières associations à avoir tiré la sonnette d’alarme sur cette situation et les conséquences désastreuses engendrées pour les artistes. En 2008, les premières rencontres nationales des Cafés-culture se sont déroulées à Nantes afin de se pencher plus spécifiquement sur les problèmes rencontrés par les bars proposant une offre artistique régulière. Pour la première fois, en insistant sur la place indispensable des cafés-culture dans la chaîne du spectacle vivant, on va considérer ces lieux qui ont vu émerger le rock alternatif ou participé au renouveau de la chanson française, comme un véritable bassin d’emploi pour les artistes en phase de développement. Et pour ces milliers de très petites entreprises au modèle économique fragile, les difficultés se sont effectivement accumulées ces dernières années. Au décret anti-bruit de 1998, qui implique de lourds investissements en terme d’insonorisation, s’ajoutent, au niveau local, des arrêtés municipaux de plus en plus contraignants. De plus, au-delà de six concerts par an, les patrons de bar ont pour obligation de détenir la licence d’entrepreneur de spectacle. Et bien souvent, la délivrance de ce sésame, qui s’obtient via un stage de formation, entraîne un risque de reclassement, les bars concernés passant de la catégorie débit de boissons à celle de lieux de spectacle. Bref, les joies de l’administration. Dans le même temps, les artistes sont, eux, confrontés à une crise de l’emploi sans précédent et ce alors même que la pratique culturelle n’a jamais été aussi forte. Le nombre d’intermittents indemnisés au titre de l’assurance chômage ne cesse de diminuer tandis que celui de ceux bénéficiant du RMI/RSA augmente en flèche.

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Expérience concluante Face à ce constat et une fois établie l’évidence du lien de cause à effet entre la situation des cafés-culture et celle des artistes, les différents acteurs du milieu ont décidé de se retrousser les manches pour avancer des solutions. Dès la fin des rencontres nationales de 2008, une plate-forme nationale des Cafés-culture a été mise en place et a travaillé pendant quatre ans à l’élaboration d’un dispositif de soutien aux cafésculture. Une des premières tâches fut de définir un cadre pour ces lieux car le terme café-culture n’est pas un label. Il a ainsi été décidé que seraient concernés les bars dont l’activité principale est le débit de boissons, bénéficiant d’une jauge d’accueil de moins de 200 personnes et proposant une offre artistique régulière; le patron devant bien entendu justifier de la licence d’entrepreneur de spectacle de catégorie 1. En langage administratif, cela donne CHR N-V, soit Café-Hôtel-Restaurant de type N (pour débit de boissons) et de catégorie V. « A partir du moment ou ils répondent aux critères, tous les cafés peuvent prétendre au dispositif d’aide et pas seulement les adhérents au collectif Bar-bars », précise David Milbéo. Après quatre ans de travaux, la région Pays de la Loire a expérimenté le fond d’aide à l’emploi artistique en 2012. Ce fond, financé pour l’instant exclusivement par la Région, et géré par le Pôle de coopération des acteurs pour les musiques actuelles en Pays de la Loire, consiste en une prise en charge d’une partie de la rémunération des artistes. Les cafés doivent au préalable être inscrits au GUSO (Guichet Unique du Spectacle Occasionnel) puis formuler auprès du Pôle une demande avant chaque concert organisé. Et dans un délai, très court, le Pôle reverse au bar un pourcentage de la prise en charge du coût selon le nombre d’artistes rémunérés. Calculé sur


Nous avons rencontré, Pierre Cohen et plusieurs élus de Toulouse et les discussions ont été très positives, ils sont intéressés. Le souci, c’est que les choses sont bloquées par les municipales.

la base du salaire minimum, soit 154,01 euros (coût « employeur »), le montant octroyé va de 26% pour un artiste à 60% pour six artistes. A partir de 4 artistes, un salarié non-artiste, un technicien par exemple, peut être inclus dans le dispositif. Et à l’heure du premier bilan, tous les signaux sont au verts. « Sur l’année 2012, 62 cafés-culture ont fait appel au dispositif pour 346 concerts et plus de 1000 cachets d’artistes, ce qui représente environ 900 journées de travail aidées. C’est très positif », souligne David Milbéo. La région Pays de la Loire a déjà renouvelé sa participation en 2013 et par ailleurs, les discussions sont d’ores et déjà bien entamées pour la mise en place au niveau national du dispositif. Aurélie Filippetti, Ministre de la Culture et de la Communication, s’y est engagée dans un courrier du 23 juillet 2013, en proposant la création d’une structure adaptée pour bénéficier de financements publics et privés sur l’ensemble du territoire pour le début d’année 2014.

Une réponse aux abus Michel Vié, représentant des musiques actuelles au sein du Syndicat des Artistes Musiciens de MidiPyrénées (SAMMIP), affilié à la CGT, est un fervent partisan du dispositif d’aide au cafés-culture. Il travaille activement à sa mise en place en Midi-Pyrénées. « Nous avons rencontré, Pierre Cohen et plusieurs élus de Toulouse et les discussions ont été très positives, ils sont intéressés. Le souci, c’est que les choses sont

illustration Isabelle Cochereau

pour une musique qui dure bloquées par les municipales. La Mairie attend également de voir si le Conseil Régional est prêt à s’investir. Nous avons demandé un rendez-vous avec eux, on attend », explique-t-il. Selon lui, le dispositif permettrait non seulement de construire une vraie industrie pour les artistes en développement mais il mettrait surtout fin à des années de pratique qu’il qualifie de douteuses. « Quand un bistrot n’a pas les moyens de rémunérer les groupes au tarif suffisant, ces derniers s’arrangent pour trouver un deal, ils se tournent vers des sociétés de portage qui se substituent au réel employeur. C’est un secteur très organisé à l’économie virtuelle et souvent, les groupes acceptent n’importe quelle condition », dénonce Michel Vié. Difficile de mesurer à quel point la « combine » est répandue mais sur Internet, les sociétés de portage spécialisées dans le spectacle vivant fleurissent alors qu’à priori, ce secteur d’activité ne rentre pas dans les compétences du portage salarial. Le cadre juridique est assez flou sur cette question mais certaines antennes Assedic ont déjà refusé l’indemnisation dans de tels cas au motif qu’il n’y avait aucun lien de subordination entre l’employeur et l’employé. De même en 2012, le Ministère de la Culture menaçait de ne pas renouveler la licence d’entrepreneur de spectacle aux sociétés ayant recours au portage. Légal ou pas, Michel Vié n’en a cure : « il s’agit d’une structuration en marge qui exploite le système d’assurance chômage. Avec le dispositif, on dit stop à la magouille et tout le monde rentre dans les clous ». Bref, jusqu’à présent, le manque de cadre donnait lieu sur le terrain à

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une grande diversité de pratiques, dont certaines discutables. Et pour aller jusqu’au bout dans sa volonté de clarifier l’organisation de concerts dans les bars, la plate-forme nationale a également travaillé sur la question de la diffusion des artistes amateurs. En 2011, un protocole de bonnes pratiques a été élaboré. Il stipule que si aucune recette (billetterie, majoration des consommations...) n’est liée à l’organisation du spectacle, alors la représentation est considérée comme non-lucrative et l’amateur peut jouer sans être rémunéré. Il doit cependant provenir du département ou des départements limitrophes et déclarer sur l’honneur vivre d’un autre métier que le spectacle. Le bar, lui, s’engage alors à ne pas communiquer sur le nom du groupe. « Il faut savoir que vers 30 ans, soit un artiste passe un cap, soit il s’arrête de jouer car il n’a plus l’énergie d’aller de bars en bars et de courir après les cachets dans des conditions difficiles. Ce dispositif est vraiment un espoir pour beaucoup d’artistes », lance Michel Vié. Reste à savoir si en ces moments difficiles, les collectivités territoriales sont prêtes à aider les artistes à vivre de leur passion.


LIVRES

L VRES Média des possibles dans le Grand Sud

Le livre des amours

Contes de l’envie d’elle et du désir de lui

Henri GOUGAUD...

un roi. » Henri Gougaud Qu’y a-t-il donc de plus cardinal et de plus mystérieux que l’amour, ce sentiment fuyant, objet irréductible à la pensée depuis ses commencements, dont seule la parole poétique peut un tant soit peu rendre compte ? « Il va sans dire que ces contes sont aussi Et qui mieux qu’Henri Gougaud, écrivain, chanteur universels que le désir humain. et parolier, grande voix du conte en France, peut Quel que soit le pays de leur naissance, ils disent le 39 contes de tous les continents lus par l’auteur, rendre grâce à l’universalité et aux singularités des même étonnement de se voir au soleil après album 3 CD « intermittences du cœur », par le truchement de l’ombre insondable, le même émerveillement textes collectés dans le monde entier ? devant l’amour qui fit, où n’était rien, une bouche, Prix de vente : 29,99 € des yeux des oreilles, un visage, un cœur dans la poitrine où demeurent en secret un esclave et Les contes ne parlent pas du monde de l’enfance mais de l’enfance du monde. En eux sont l’innocence, la vigueur, le tutoiement de Dieu et l’absence de doute des premiers printemps de la vie.

Eleveurs : au temps des champs de foire

A la fin des années 1970, Denis Barrau séjourne à plusieurs reprises dans le Massif Central. Frappé par l’ambiance unique des champs de foire où paysans et maquignons se retrouvent pour négocier la vente du gros bétail, il réalise des centaines de clichés. Près de quarante ans plus tard, ses images constituent un témoignage exceptionnel sur un monde qui s’est profondément transformé. Daniel Crozes, historien, fin connaisseur du milieu des éleveurs, raconte ce moment crucial où un mode d’échanges vieux de plusieurs siècles s’est effacé devant le négoce moderne.

Un vieux rafiot échoué en Patagonie. Un jour de marché au cœur du pays Mapuche. La fête dans les rues de Valparaiso. Ou encore les portraits des disparues de la dictature sur le mur de la Mémoire de Santiago. Du Sud au nord, c’est un Chili en noir et blanc très justement conté que nous livre les éditions Privat pour le quarantième anniversaire du coup d’Etat de Pinochet de 1973. Le Chili -terre immense et longiligne- livre ces différents visages. Les photos du photographe Georges Bartoli se mêlent aux textes d’Isabel Allende Bussi – fille cadette de l’ancien président Allende – et Gérard Mordillat, romancier et cinéaste. Trois regards croisés sur un Chili contemporain où la figure du président Salvador Allende n’est jamais bien loin. Et un livre-photo d’une très grande qualité pour les éditions Privat, qui veulent ici jouer dans la cour des grands.

Editions du Rouergue Prix de vente : 29 €

Chili, pour le quarantième anniversaire du coup d’Etat Editions Privat- Collection Histoire 144 pages - 34 euros

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LIVRES

In god we trust

Sète : la pointe courte

Photographies de JeanLoup Gautreau. Texte de Jacky Villacèque. Paroles à Agnès Varda et Hervé Di Rosa.

Coincé entre l’étang de Thau et le canal de Sète, ce petit village de pêcheurs concentre dans ses étroites rues la tradition des pêcheurs et la mémoire ouvrière. JeanLoup Gautreau, ancien photographe à l’AFP et sétois d’adoption, s’y est promené durant des mois. Le résultat gravé en noir et blanc est un hommage aux hommes, aux mouettes, aux poissons et au vent. « Bien plus qu’une presqu’île, bien plus qu’un quartier, un territoire plutôt, celui d’une famille élargie, une sorte de tribu qui se serait forgé des règles, des habitudes, un mode de vie, un habitat, et qui aurait tissé ses liens sur l’échange. Ce site exceptionnel semble coupé du monde ; on découvre au contraire qu’il s’ouvre sur un immense paysage et qu’il embrasse la terre d’une infinie générosité.»

Après s’être attaché à déconstruire Pinocchio, Winshluss s’attaque au livre de contes et de légendes le plus lu au monde : la Bible. Un narrateur extérieur, Saint Franky, guide le lecteur, en portant une vision particulièrement acerbe, à travers les différents épisodes marquants de l’Ancien et du Nouveau Testament. Tout comme Pinocchio investissait les multiples parties de l’âme humaine, In God We Trust s’attelle à envelopper la Bible de plusieurs auras. Allant de la parodie du comic book (God vs Superman) à la tragédie adultérine, en passant par une étude sur la disparition des dinosaures, la densité du livre ne laissera au lecteur aucun répit. Ponctuées d’anecdotes inédites, les fabuleuses aventures de Dieu narrées par Winshluss nous en apprendront plus sur ce mystérieux personnage. Véritable voyage spirituel, In God We Trust, apparaît comme une grande épopée où le dessin, majestueux, oscille entre planches de bandes dessinées, gravures, fausses publicités et aquarelles. À la fois didactique et moqueur, Winshluss s’amuse beaucoup et retrouve l’humour dont il avait su doter Pat Boon, Happy end ou Monsieur Ferraille. Sa bande dessinée Pinocchio, publiée en 2008 aux Requins Marteaux a remporté en 2009 le prix du meilleur album au Festival d’Angoulême. Les Requins-Marteaux - 104 pages. Couleur. Broché. Format 29 x 21 cm. Prix public : 25 € .

Les éditions Dans la boîte / Librairie L’échappée belle 30 euros http://www.facebook.com/SeteLaPointeCourte

Des plantes et des hommes Pétronille rencontre un vif succès auprès des lecteurs du Lot en Action. Chaque mois elle vous emmène sur les petits chemin du Causse, vous fait découvrir les merveilles que nous réserve la nature si généreuse de notre région et vous donne, au gré de ses balades et de ses découvertes des petits trucs, des astuces : une recette de lessive faite maison, comment se débarrasser des poux, ou

encore réussir vos confitures. Nous avons collecté toutes ces astuces et vous les retrouverez dans ce numéro, classées et enrichies de l’expérience de Pétronille et de Björn ! Un bel éclairage également sur les différentes utilisations du bicarbonate de sodium et du vinaigre, deux « dons » de la nature, qui nous rendent des services tous les jours.

Hors-série du Lot en action. 80 pages en couleurs, au format magazine (couverture 170g, intérieur 110g, couché brillant)

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Illustration Samson

www.frituremag.info


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