Article de recherche - Master 1, AMTH - GaĂŤlle Privat
Comprendre le contexte architectural et sa place dans les villes de montagne aujourd’hui en France.
concevoir la ville de montagne ? La question est large et à ce stade des recherches encore précoce. Pour répondre à cette aspiration générale, et pour préciser les spécificités à développer dans ce futur mémoire, j’ai d’abord tenu à embrasser le contexte général des villes de montagne. A l’image de ce territoire transversal, les premières recherches doivent couvrir les différents acteurs et enjeux concernés. De plus, s’imprégner de ce contexte est également une manière de mieux cibler et de mieux communiquer avec les futurs enquêtés. Partager un vocabulaire et un socle commun est essentiel dans la compréhension de l’autre. Ce premier travail est donc une synthèse de différentes sources théoriques autour de la question montagnarde puis de sa ville. Les lectures qui continueront de compléter ce travail par la suite porteront davantage sur les phénomènes urbains relevés. Ceux-ci étant similaires à certains problèmes « des plaines », la documentation architecturale et urbaine est plus dense. La seconde phase de travail, parallèle à l’apport théorique, va se concentrer sur un territoire : le territoire des Hautes-Alpes. Vivant une partie de l’année à Guillestre, cette commune sera l’épicentre de l’étude qui s’étendra jusque Gap et Briançon, en passant par le Queyras. L’intérêt sera d’examiner des typologies variées, du petit village historique haut perché, au chef-lieu du département, en passant par les villes de la vallée de la Durance. Le document ci-présent aborde la question de la station, élément incontournable de la montagne et du territoire construit alentour. Néanmoins, le mémoire se tournera davantage vers les villes de « l’habiter », soit les villes de vallée (dites villes valléennes). L’analyse de se territoire sera le croisement de recherches théoriques (histoire du site, cartes…), in situ (dessins, immersion à différents moments, parcours) et d’interactions (enquêtes dont les supports seront à définir). Enfin, j’ai l’opportunité d’effectuer un stage de deux mois en agence d’architecture et d’urbanisme à Embrun. Je pourrai alors superposer une nouvelle vision du site et avoir de réels échanges sur l’avancée de mes analyses.
Article de recherche - Master 1, AMTH - Gaëlle Privat
Comprendre le contexte architectural et sa place dans les villes de montagne aujourd’hui en France. La ville de montagne est fascinante, du fait qu’elle ne soit justement pas perçue comme une ville. On précise ville de montagne comme on ne préciserait pas ville de plaine. Déjà, il est insinué que le milieu est prépondérant, ne faisant de la ville de montagne le seul fruit aléatoire de l’homme. L’imaginaire associé lui est fort. Au-delà de l’héritage pittoresque montagnard, les massifs induisent nécessairement une notion de lenteur. Le temps de l’élément naturel, le temps de la saison, le temps du silence aussi, et le temps des vacances. Différents mondes semblent se superposer sur un même territoire. Le modèle urbain qu’on y associe, si ce n’est celui de la station, est celui de village, avec l’idéal social, culturel et les valeurs qui l’entourent. La ville a contrario, bruyante, agitée, saturée, terrain de l’artifice et de l’anonymat, porte une connotation bien différente. Ces deux portraits, bien que caricaturaux, sont largement répandus. Traiter de la ville de montagne aujourd’hui, c’est s’ancrer dans des problématiques actuelles qui sont la transition écologique et le changement de paradigme émergent quant à l’habiter. Le sujet de la ville en montagne possède matière mais n’est pas le plus traité en architecture. Les années 1960-1980 ont fait couler beaucoup d’encre dans la discipline urbaine. Depuis, l’essentiel concerne la transition climatique, et l’économie unique et en danger du ski. Néanmoins, il apparait de plus en plus de thèses et de mémoires d’étudiants en école d’architecture et d’urbanisme. Cette documentation jeune et nouvelle, est bien la preuve d’une prise de conscience émergente et grandissante. La situation de la montagne et ses villes rassemblent des compétences et des acteurs transversaux. La plate-forme LabEx ITEM, mettant en réseau des chercheurs et des professionnels de la montagne, que ce soit des penseurs du territoire (géographes, marketing…) ou des « vrais usagers » (accompagnateurs en montagne, chef d’entreprise…) est en ce sens éloquente. Ce qui m’amène à traiter la question de la ville de montagne, c’est le quadruple regard que j’y porte. Le premier, le plus répandu, c’est l’adolescente qui ne connait la montagne que deux semaines par an, à travers les stations, la location d’appartement, le cinéma parfois, et la pratique intensive du ski. Le second, c’est celle de l’architecte d’intérieur qui a pu négocier un contrat pour télétravailler 2 jours par semaine pour sa boite parisienne depuis les Hautes-Alpes, le train de nuit permettant cette expansion hebdomadaire d’habitat. Le troisième, c’est celle qui pénètre dans les coulisses, la saisonnière d’un hiver en magasin de sport en station. Le dernier regard, est celui de l’étudiante en école d’architecture lyonnaise, qui s’apprête à rédiger un mémoire sur les villes de montagne. L’intérêt sera de mettre à profit ses regards « blasés » du quotidien, « émerveillés » de la ponctualité, « subjectifs » de l’expatrié des villes, « fonctionnels » de l’habitant, et d’offrir une analyse objective et entre les lignes de ces relations et de ce territoire. Qu’est-ce que la ville de montagne, ou plutôt comment
Comprendre le contexte architectural et sa place dans les villes de montagnes aujourd’hui en France. Qu’est-ce que la ville, ou plutôt qu’est-ce qui fait ville ? Pourquoi on se sent en ville et à partir d’où commence-t-elle ? Lors d’une première excursion à Briançon, j’ai demandé à mon ami de me déposer à la gare pour commencer mes analyses sur la ville et l’espace public. Étonné de mon choix, il m’a dit « Ah mais ce n’est pas intéressant autour de la gare ». Il insinuait par là que l’espace public n’appartenait qu’au centreville. Pourquoi ? Et de là, qu’est-ce que la ville de montagne ? Est-elle une ville comme une autre, ou possède-t-elle des spécificités qui dépassent sa géographie ? Si l’on saisit ces spécificités, il y a-t-il une écriture particulière à donner pour la ville de montagne de demain ? Voici donc un préambule théorique à ces questions. Le plan se découpe en 3 volets, composés de 3 parties dont le contenu est classé par points. Nous commencerons avec LA TRANSITION, sous le regard écologique, touristique et sociétal. Le contenu est informatif mais choisi sous le regard de l’habiter et des impacts urbains pressentis. Puis nous aborderons TERRITOIRE COMPLEXE, évoquant la multiplicité des acteurs, la pression immobilière et l’économie et l’architecture au grès des modes. L’intérêt est de saisir 1
la position actuelle des villes et de ses acteurs. Enfin nous déboucherons sur SOLUTIONS ÉMERGENTES VERS LA DURABILITÉ, retraçant les ressources intrinsèques à la montagne, les pensées urbaines, et retrouver de la ville. Cette dernière partie tend à saisir l’importance qu’occupe la ville en montagne, et de faire émerger des réponses quant à l’approche de son réaménagement.
qui ne serait alors plus spécifique à l’échelle du massif alpin. «Faut-il y voir la conséquence de l’intervention de bureaux d’études exogènes aux territoires dans l’élaboration des stratégies touristiques, conduisant à créer une offre davantage centrée sur les standards de la demande touristique actuelle que sur les caractéristiques et potentialités d’un territoire ? Ou cela traduit-il les difficultés à proposer une offre de diversification répondant aux enjeux de spécification de l’offre touristique et susceptible de générer des retombées économiques suffisantes pour le territoire ?» dénonce Coralie Achin, docteur en sciences du territoire, sur le site LabEx ITEM qui a pour vocation d’accompagner les acteurs transversaux du territoire montagnard face à cette transition généralisée.
LA TRANSITION > ECOLOGIQUE
L’ÉLÉMENT DÉCLENCHEUR : la fonte des neiges La porte d’entrée pour parler aujourd’hui des villes de montagne, est bien sur celle du climat. Sujet déjà plus qu’ancré dans les conversations et les préoccupations, il tient sur le territoire montagnard une position prépondérante. Le réchauffement y est plus fort qu’en plaine : +1,97 °C contre +1,1 °C dans les Alpes françaises. Cela ne semble que des chiffres, mais lorsque l’on vit la montagne on constate factuellement la remontée de l’isotherme zéro, (soit la limite pluie-neige). Sur les 300 stations françaises, seulement une dizaine seront encore préservées de ce non-enneigement d’ici 2050. Également, la saison d’enneigement naturel se raccourcit et ne correspond plus toujours aux périodes de vacances. L’alternative non durable est aujourd’hui la neige de culture qui consomme à la fois 4 000 m3 /jour d’eau à l’hectare, (soit la consommation annuelle d’une ville de plus de 200 000 habitants) mais aussi 25 000 kWh/an à l’hectare (soit la consommation électrique de 50 000 foyers). Le coût de cette énergie augmentant, le secteur du ski alpin ne sera définitivement réservé qu’à une clientèle aisée, et les petites stations ne pourront plus boucler leurs comptes d’exploitation et rembourser leurs dettes (Vlès, Hatt, 2009). Le phénomène irréversible est aujourd’hui suffisamment visible pour que l’ensemble des acteurs de la montagne se mobilisent. Des dispositifs multipartenarials naissent comme le Programme des Alpages sentinelles, commencé dans les Écrins à la suite d’une sécheresse. Il Rassemble près de 40 alpages et étudie les relations entre des changements climatiques avec les milieux, la biodiversité et les pratiques. D’un point de vue économique, la première alternative à la neige est l’eau. On passe de «tourisme blanc au tourisme bleu» (Diaz, 2018), Les vallées, le bon air et le soleil se vendant assez bien avec peu d’infrastructures. Cela constitue néanmoins un changement de paradigme notoire des pratiques touristiques car l’offre est plus diffuse obligeant à passer d’une logique de station à une logique de territoire. (RE)MULTIPLIER LES SOURCES ECONOMIQUES : la diversification Le grand terme, hissé haut dans l’ensemble des discours est «la diversification». Il s’agit à la fois de multiplier les pratiques pour ne pas être seulement tributaire du ski, mais également, de couvrir l’ensemble des 4 saisons. Cela dit, l’analyse détaillée de ces actions laisse entrevoir une importante similitude des propositions localement retenues. À titre d’exemples, la création de sentiers de trail, d’itinéraires de vtt ou encore la mise en valeur du patrimoine local bâti apparaissent comme des stratégies largement mobilisées. Certains professionnels redoutent un lissage global de l’offre,
« Depuis vingt ans on parle de logique de diversification. Mais on est confronté aux limites de la diversification. Qui peut donner le mode d’emploi permettant de se substituer à une économie de station ? On est dans un domaine industriel, si on ferme une station, c’est comme si on ferme une usine : on ferme l’usine et les sous-traitants. Aujourd’hui, on ne connaît pas de substitution », Chaix Yvan, Chargé de mission économie et tourisme au Conseil Général des Hautes-Alpes (cité par Achin, 2015).
> TOURISTIQUE RENOUER AVEC LA RÉALITÉ : repenser le «temps touriste» Outre la transition écologique, les massifs montagneux connaissent une transition touristique corollaire. Le tourisme, pensé pendant longtemps comme une industrie à part entière, avec des « produits », des « sites » et des « cibles », soit des «package» pré-conçus, ne satisfait plus l’ensemble de la demande. Bien sûr, il persiste, mais le besoin d’un séjour plus respectueux de la nature s’accroît, celui d’une immersion dans la vie quotidienne des lieux alentours, soit un tourisme « expérientiel » (à la recherche de sens, d’émotion, de participation) qui s’affiche plus « responsable » (demande forte pour l’écotourisme, le « slow-tourisme »). On passe d’une conception cloisonnée (le touriste étant nécessairement « extérieur » et captif des produits calibrés pour son usage) à une économie du temps libre : temps libre du quotidien des habitants locaux (ballade après le travail, restaurant, Spa…), temps libre des urbains proches (Aixois le temps d’un weekend) temps libre de ceux des métropoles ou pays proches (Marseillais, belges qui viennent se reposer quelques jours). (Diaz, 2018, p62) HABITANT ET TOURISTE, DES INTÉRÊTS COMMUNS Cela semble finalement tenir du bon sens que d’admettre que ce qui rassemble ceux qui vivent, ou ont choisi de vivre, en montagne est précisément ce qui peut attirer le visiteur soit le décor (paysage), le mode de vie (rythme et productions locale), la culture... Ainsi, la fin de cette ségrégation peut amener le tourisme là où on ne le pensait pas.
2
« Plus qu’une dichotomie entre tourisme, vie résidentielle et activités productives, il faut donc imaginer une conception plus horizontale, plus transversale, chaque élément bénéficiant à tous les
autres. C’est déjà le cas à Font-Romeu ou dans les Bauges par exemple, ou les visites des usines de charpente ou des installations solaires sont une des motivations des visiteurs. » (Diaz, 2018)
passé et vers toute formes abritant ou caractérisant ce temps. Cette recherche identitaire est également le fruit de l’hédonisme caractéristique d’une partie de la population des années 1980 dont les vacances et le voyage a progressivement permis la démocratisation. Les mœurs ont évolué du travail et de l’ambition professionnelle à celles d’un équilibre et d’un style de vie en adéquation avec des valeurs environnementales, respectueuses de l’Homme et la Femme, et valorisant des activités qui comblent l’esprit et le corps. L’investissement sur soi et sur son foyer est démultiplié. Concernant les Alpes, et notamment les Hautes-Alpes, une première vague de citadins avait déjà rejoint ces territoires dans les années 1968. Un autre phénomène visible et caractéristique de cette recherche d’identité et d’échelle plus humaine est la propagation de nombreux éco-lieux ou éco-villages sur le territoire français, en campagne et en montagne. Au-delà de l’aspect écologique, ce choix d’habiter implique une notion de mutualisation et de micro-société. Enfin, il est indéniable que la pierre peut être porteuse et génératrice d’identité. Cela se traduit donc par un engouement et une surprotection du patrimoine dans lequel les sociétés actuelles trouvent refuge. Affirmer son patrimoine bâti, c’est afficher et revendiquer ses singularités héritées, réelles ou inventées, soit son humanité, face au lissage de la mondialisation. Mais les enquêteurs du Piémont Béarnais dénoncent :
Ce renouvellement amène alors à parler non plus d’un tourisme de station mais d’un tourisme de territoire.
> SOCIÉTALE L’ÉMERGENCE D’UNE EXODE URBAINE Selon L’INSEE, la population des espaces ruraux a augmenté depuis dix ans 1,5 fois plus vite qu’en milieu urbain. Ce processus de migration démographique apparait dans les années 1960, fruit du développement des transports et du tourisme. A la différence d’un embourgeoisement des classes supérieures, le gentrifieur des espaces ruraux est une un jeune couple avec des enfants, un retraité, un individu au revenu modeste ou à la recherche d’un mieux-vivre non conditionné par l’argent (Mora, 2008). Certains voient là l’extension spatiale de la cité. D’autres parlent de «rurbanisation» ou de «renaissance rurale» ce qui entraine «de nombreuses conséquences structurelles sur les campagnes, au-delà du seul phénomène de reprise démographique : réhabilitation de logements vacants, urbanisation des campagnes par le développement de nouveaux lotissements, maintien et/ou créations d’équipements et de services à la population...» (Kayser, 1990) La plupart des spécialistes expliquent ce phénomène par un refus de la ville, ses nuisances, ses dangers, ses groupes sociaux que l’on craint... Guy Di Méo, Claire Sauvaitre et Fabrice Soufflet ont enquêté pour le Conseil régional d’Aquitaine sur le sentiment d’identité territoriale dans le Piémont Béarnais. De leur travail résulte entre autres une idéologie forte de la campagne disparue. Celle-ci est identitaire, car «elle permet de dessiner les grands traits, largement inventés, d’une distinction qui produit de la distance sociale par rapport à d’autres territoires, celui de la ville en l’occurrence». (Di Méo, Sauvaitre, Soufflet, 2004) Cette crise de la métropole semble profiter aux petits villages.
«La prolifération du patrimoine, sa surconcentration en certains lieux et territoires produit une intense valorisation et une distinction de ces espaces sociaux. En renchérissant leurs coûts d’accès, cette plus-value les met à l’abri d’une altérité sociale (immigration, pauvreté, délinquance, etc.) que redoutent leurs habitants. La ruralité fossilisée, contrôlée par de nouvelles classes moyennes bel et bien urbaines, devient une sorte de garantie sociospatiale, un antidote contre les poisons supposés de la ville, une assurance de valeur des biens «. (Di Méo, Sauvaitre, Soufflet, 2004) LA MONTAGNE, TERRAIN REPRÉSENTATIF DE CES NOUVELLES IDÉOLOGIES
« Sur un registre peu classique, le revival de beaucoup de très petites stations de sport d’hiver dans les Alpes françaises semble tout aussi révélateur: malgré la disparition annoncée et le désintérêt de la plupart des opérateurs privés et publics, ces lieux modestes et disqualifiés depuis longtemps dans le monde du «grand ski» ont vu leur fréquentation relancée depuis le début des années 2000; moins chères, moins marchandisées, moins urbanisées et artificialisées que les stations «compétitives», elles offrent aux amateurs de neige des expériences plus conviviales, en partie affranchies des jeux de distinctions sociale... et surtout plus proches de leurs lieux de vie même si la neige n’est pas toujours au rendez-vous.» (Bourdeau, 2009) UNE RECHERCHE D’IDENTITÉ Cet engouement nouveau pour le rural est en lien direct avec les problèmes sociétaux actuels. Ne sachant vers quel avenir marcher, il est plus facile de se tourner vers le
«Quel est le don majeur, essentiel de la montagne comme la nôtre ? Ne s’agirait-il pas surtout, au-delà des activités sportives dont elle fournit l’occasion et le décor, de combler un manque, affectant d’ailleurs, un nombre croissant de citadins ? (…) carence non seulement physiologique mais psychologique, (…) peut-être bien d’ordre poétique. (…) Or, il est de fait que l’on cherche à y recréer un cadre déjà à l’origine de la motivation de s’échapper.» (Perol, 1972) La montagne est le lieu d’incarnation par excellence des (nouvelles) idéologies alternatives, qui aujourd’hui ont d’autant plus de résonance dans ce climat de transition écologique. Par essence, vivre en montagne c’est vivre en interaction profonde avec son milieu. Si cela ne passe pas par son activité professionnelle, par le choix de ses divertissements ou par ses ressources alimentaires et son approvisionnement en énergie, cela sera par l’organisation des moyens de 3
subsistances domestiques, ses modes de déplacements estivaux et hivernaux, et la simple perspective quotidienne, toile de fond variant d’une lumière à l’autre, d’une saison à l’autre. Les auteurs de «Massifs en transition» soulignent la vivacité de cette relation singulière à la géographie sans laquelle la vie quotidienne ne peut s’appréhender :
est peut-être plus porté par une projection citadine collective que par son territoire réel. Di Méo toujours, dénonce le danger de cette image qui est facilement récupérable par le politique afin de contrôler et d’affirmer son pouvoir local, l’idéologie fournissant aussi des arguments pour refuser des implantations d’intérêt collectif, jugées à risques ou polluantes. Cette mise en garde là apparait d’ailleurs comme un pied de nez au politique dont le but de la commande de l’enquête était de connaitre le sentiment d’identité de ses habitants, peut-être pour la renforcer. Si l’imaginaire développé jusqu’à présent est passéiste et opposé à la ville, Jean-Didier Urbain dans Paradis Verts, désirs de campagne et passions résidentielles (2002), s’oppose à cette idée. Pour lui, ce n’est pas une pensée vers l’arrière mais plutôt vers l’avant, soit la possible «double-vie» que pourrait offrir la ville éclatée. Néanmoins, si ce siècle a formé dans la population un besoin d’identité, si la liberté, qui était avant considérée comme celle du nomade, est aujourd’hui celle de l’appartenance et de la possession quelque part de son point fixe, alors la «double-vie» d’Urbain ne serait-elle pas qu’un entre-deux provisoire ?
«Nos vies ne sont pas faites que d’échanges économiques et de gestes techniques, mais aussi de significations». (Diaz, 2018) Si la montagne est pour l’habitant un milieu propice à vivre selon les valeurs qu’il revendique, le touriste vient également à la rencontre de ce territoire pour ces mêmes raisons. A la fois il y cherchera un dépaysement, mais également un ressourcement. La notion du temps explique ce sentiment. Non seulement la réalité semble mise entre parenthèse, la temporalité et la spatialité étant celles des vacances, mais là où la ville incarne l’agitation, la montagne rappelle qu’il faut donner le temps au temps. Cela peut se traduire par l’humilité et le calme imposé par les monts, par la lumière qui épouse autant de couleurs que d’heures, par le rythme dominant qui est simplement celui du Bouleau qui deviendra rouge à l’automne, du Mélèze qui perdra ses aiguilles à l’hiver et du lièvre variable qui redeviendra gris au printemps. Cette incarnation de l’espoir, de la nostalgie et de l’échappatoire par le lieu était déjà présente lors de l’érection des grands archipels déconnectés des 30 glorieuses : « Enclaves en milieu hostile, les stations cultivent davantage de liens avec les villes et le milieu naturel qu’avec la société locale» (Vlès, 2014). La citation d’entrée de Perol, datant de 1972, mettait déjà en avant le paradoxe de recréer à la montagne le «cadre déjà à l’origine de la motivation de s’échapper». Or, l’idéal transposé à cette époque n’était peut-être pas ce même rejet de la ville qu’aujourd’hui. En effet, les villages-stations, lorsqu’ils ne sont pas les restes de stations ex nihilo, sont dépendants de l’habitant et de son histoire, répondant à une demande de réalité et de reconnexion actuelle.
La transition que connait aujourd’hui le massif montagneux est importante et à considérer très sérieusement par les différents acteurs. Chance synchronique ou fruit de ces problèmes actuels, une partie de la population semble enclin à agir en faveur de cette transition, et au-delà des aspects écologiques, présente une réelle demande, par le bas, d’authenticité. Les décisionnaires, qu’ils soient politiques ou financiers, ne peuvent que répondre en ce sens et démocratiser ces aspirations. Il demeure bien sûr des limites. La réappropriation politisée ou marketisée de ces nécessités réelles brouillerait alors discours et identité, une partie de la population cherchant justement à fuir ce qui a trait au «marketing». Également, si l’exode urbaine vers le rural est aujourd’hui encore timide, elle sera néanmoins à intégrer très vite dans les conceptions urbaines de demain, surtout à l’heure où les ressources en ville peuvent peu à peu se tarir.
TERRITOIRE COMPLEXE
L’IMAGE PRÉVAUT-ELLE SUR LA VIE RÉELLE Comme vu au travers l’enquête de Guy Di Méo, l’image peut parfois prévaloir sur la réalité. Si l’on prend le milieu rural, une partie est aujourd’hui grignotée par la ville, une autre est dédiée aux résidences secondaires, une troisième atteste de la transformation des villages en centres touristiques, et une dernière abrite quelques activités artisanales qui ne sont plus destinées à la vie agricole. La forme du village reste mais la civilisation rurale disparaît. (Jollivet, Eizner, 1996). Pascal Dibie dans son livre « Le village métamorphosé» explique également qu’habiter au village ne veut plus dire que toute sa vie est là. Le village apparait comme un dortoir où les hommes devenus distants dans leurs rapports aux autres sont aussi devenus distants de leur espace. Architecturalement, les villages peuvent être une juxtaposition de maisons individuelles standardisées, qu’elles aient un toit en pente, des sapins ajourés sur le bois de leurs volets ou non. Le territoire rural favorise la voiture, par son dessin des voies et la pauvreté de ses transports en commun. Il est alors plus fréquent de rencontrer des places parkings, des avenues principales départementales, et des espaces piétonniers signifiés par une ligne blanche au sol. Le système de valeur de la ville rurale
Parler de montagne et de ville, c’est d’abord connaitre le territoire montagnard. Celui-ci possède de nombreuses caractéristiques paysagères, territoriales mais aussi humaines liées à sa géographie et à son histoire. Nous mettrons sous silence l’héritage imaginaire qui en fait aussi sa richesse, sa représentation et sa spécificité, pour nous concentrer sur le territoire complexe qu’il incarne aujourd’hui.
> MULTIPLICITE DES ACTEURS
4
DES ACTEURS DE NATURE ET D’INFLUENCE MULTIPLES La montagne est partagée entre différents types de décisionnaires, dont chacun à un moment peut posséder les cartes pour dominer le débat. Le célèbre et historique triptyque de gouvernance est la mairie / l’opérateur de remontées mécaniques / l’office de tourisme, dont Marcelpoil en résume la situation. Au-delà de la contractualisation, chacun des groupes d’acteurs conserve sa propre logique d’action. L’opérateur privé de remontées mécaniques affiche
une logique de rentabilité économique, avec des objectifs commerciaux à atteindre. Cette démarche est d’autant plus importante que le marché des remontées mécaniques, bien que dominé par quelques grands groupes, reste fortement concurrentiel, avec une course à l’innovation technologique. Face à cet acteur privé, se trouve la commune qui revendique de son côté des objectifs de service public, liés autant à son statut qu’aux attentes de sa population. Il s’agit là de la dimension constitutive du politique, qui renvoie d’une part, au fait que son exercice est lié à une collectivité locale, et d’autre part, qu’il s’agit d’un pouvoir soumis à une contrainte de légitimation (DURAN, 1999, repris par Marcelpoil, François, 2008). Un autre gros acteur du débat, c’est évidemment l’opérateur touristique. Outre les effets positifs du pouvoir d’achat des vacanciers, une résidence de tourisme de 80 appartements permet l’emploi annuel d’un peu plus de 13 salariés à temps plein. En somme, les études produites sur leurs impacts économiques sont claires : une résidence injecte annuellement 1,6 millions d’euros dans l’économie locale, et créé une clientèle familiale qui reviendra chaque saison d’hiver. Il n’existe pas aujourd’hui d’offre d’hébergement plus compétitive économiquement dans les stations françaises. Dans les hôtels et complexes hôteliers, on retrouve aussi ces dépenses annexes à l’hébergement sur le territoire local, mais la clientèle est beaucoup moins fidélisée et familiale. (Guillet, 2016). Avec de tels arguments financiers, il est évident que les communes ne peuvent que se courber face à l’investisseur de logements touristiques. Un autre détenteur de la parole, de moindre envergure, mais dont l’impact est grand, c’est le propriétaire de terres. Perol dénonce qu’ils «ne facilitent pas la valorisation de la montagne : ruraux aigris ou prolétarisés émigrés, spéculant sur la rente de situation de leurs parcelles montagnardes, insensibles aux intérêts de Ia communauté» et déplore «l’émiettement du terroir, façonné par les exigences du travail à la main, se conjugue au statut foncier pour repousser les constructions vers les zones d’alpages et les propriétés communales, consacrant la décadence des villages traditionnels». (Perol, 1972) Ce phénomène est explicite à la simple vue de cadastre, où les formes, les découpes et les répartitions semblent parfois incroyables. Enfin, le terrain montagnard étant générateur de lieu de vie, d’engagés et de passionnés, des groupes d’acteurs tendent à émerger, sur la base d’intérêts sectoriels (défense des saisonniers, association de commerçants) ou sur un partage de référentiels communs, telle la défense de l’image et du patrimoine de la station, ou bien sûr, les associations à visée environnementales.
touristique s’effectue sous le contrôle d’une commune, d’un groupement de communes ou d’un syndicat mixte regroupant des collectivités territoriales. Sauf recours à la formule de la régie, cette mise en œuvre s’effectue sous les conditions suivantes : chaque opérateur doit contracter avec la commune ou le groupement de communes ou le syndicat mixte compétent » (article cité par Marcelpoil, François, 2008). Si l’apprivoisement de la montagne semble sujet à de perpétuels changements, il en va de même pour sa gestion. Après une présence forte et parfois contestée des services d’État dans le développement, certains territoires ont finalement émis le besoin de support des instances plus grandes et d’experts. Plusieurs faits en témoignent. Tout d’abord, il a très vite été question d’ancrer chaque ville au territoire commun avec la communauté de communes. Un pouvoir plus grand limitant en effet les intérêts propres à une seule mairie, freine de ce fait les concurrences, notamment démographiques. Également, les communes se sont ouvertes à des processus de partenariat avec des privés. Aujourd’hui, 80 % des communes supports de station ont choisi de déléguer la gestion de leur domaine skiable à des opérateurs privés. Enfin, la majeure partie d’entre elles privilégiant de plus en plus des modes de gestion indirecte ou déléguée. (Marcelpoil, François, 2008) Le deuxième grand volet de gouvernance et de gestion régionale et nationale de la montagne est tout récent. Il est marqué par l’édiction de la loi Montagne 2, du 28 décembre 2016. Présentée comme une loi de modernisation, elle réaffirme la spécificité des territoires de montagne, traitant entre autres du déploiement du numérique, de la réhabilitation de l’immobilier de loisir, du travail saisonnier et des services publics. Différents programmes et organismes en sont le fruit. L’un des plus grand est le commissariat des massifs, divisé par secteurs, et créée pour développer l’aménagement et la protection des territoires montagnards. Celui-ci ordonne l’intégration des métropoles dans les membres de droit du comité de massif. Cela marque donc une prise de conscience et une affirmation du lien montagne / vallée et surtout montagne métropole. Les recherches dans les Vosges, les Bauges et le Jura des auteurs de «Massif en transition » (2018) mettent notamment l’accent sur ce lien, plus ou moins fort mais toujours existant, comme une toile de fond économique voire culturelle. Des grandes recherches sont alors commanditées par ces massifs pour diagnostiquer leurs territoires. L’Atlas des stations des Alpes, par exemple, a été créé par L’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea) de Grenoble à la demande du Comité de massif des Alpes. Il propose une base de connaissances sur l’ensemble des stations du massif afin d’orienter les politiques publiques, en particulier vers les stations de moyenne montagne. Cet observatoire, visible par le grand public via son site depuis 2014 (Stationoscope), fournit un état des lieux des stations en matière de gouvernance, de caractéristiques techniques des domaines skiables, de données démographiques, d’emplois ou d’environnement. Le Comité de massif demande aujourd’hui à l’Irstea de se pencher sur la problématique des « espaces valléens » qui envisage la station comme une partie d’un territoire plus vaste allant jusqu’à la vallée. Face aux aléas de l’enneigement et aux difficultés financières qui en découlent, les politiques régionales s’intéressent aux possibilités de diversification de
LES ACTEURS A L’ÉCHELLE RÉGIONALE ET NATIONALE Les acteurs et programmes nationaux autour de la montagne se sont multiplié durant cette dernière décennie. Le premier virage phare fut bien sûr la matérialisation des préoccupations de l’État pour la protection et la gestion de la montagne avec La loi Montagne, dite loi n°85-30 du 9 janvier 1985. Produit de la décentralisation, elle prodigue aux élus des communes le pilotage de l’activité touristique. L’article 42 développe ce communocentrisme : « en zone de montagne, la mise en œuvre des opérations d’aménagement 5
«Les appartements en résidence de tourisme sont considérés avec pertinence comme des lits marchands, mais ils appartiennent à des propriétaires privés. Ces propriétaires profitent d’une défiscalisation en concluant un bail de gestion avec des entreprises privées. Pour assurer une meilleure rentabilité, les gestionnaires de ces structures mettent en place dans le prix de vente un « fond de concours », durant les 9 premières années, qui permet de combler le delta entre le réel potentiel de location et les promesses faites aux acquéreurs. Comme la fin de ce « fond de concours » coïncide avec l’échéance des baux (en moyenne des baux de 9 à 12 ans renouvelables), les gestionnaires insèrent de nouvelles clauses dans le contrat de gestion : majoration des charges, baisse des loyers, frais de remise en état… Les propriétaires sont donc pris au piège, car s’ils choisissent d’annuler le bail de gestion lors des 20 premières années, ils doivent restituer le montant de la défiscalisation, au prorata du nombre d’années restantes. Certains décident alors de rompre le bail mais nombre d’entre eux choisissent d’occuper personnellement leur appartement ou d’en laisser le bénéfice à leurs proches en attendant d’arriver au terme du délai légal des 20 ans. Ils laissent un bien qui n’est plus occupé que quelques semaines par an, dans l’objectif de le céder plus tard sans restituer le montant d’exonération de la TVA.» (Fablet cité par Guillet, 2016)
l’offre touristique, au-delà du strict périmètre des stations. Un programme de recherche a alors été érigé, EValoscope, visant à lire cette diversification à l’échelle des territoires et à analyser leurs évolutions. Un autre programme tourné vers le secteur vacancier a été mis en place sur la période 2014/2020, le Poia, Programme Opérationnel Interrégional des Alpes. Celui-ci doit orienter vers un tourisme alpin durable et diversifié, via la préservation et la valorisation des ressources naturelles et culturelles. Il s’appuie pour ce faire, sur l’outil Espace Valléen. L’espace valléen est un territoire touristique de projet, labellisé et mis en œuvre par l’État au travers le Commissariat de massif des Alpes, les régions Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-AlpesCôte d’Azur, avec le soutien de l’Europe (fond Feder). L’impact architectural et urbain de ces nouvelles mises en place, concerne au moins deux points. Le premier est l’intervention de l’Etat en faveur de la réhabilitation de l’architecture de loisir. «Eu égard à la hauteur des enjeux sur ces territoires, le législateur a instauré dans la loi SRU de 2000 le dispositif des opérations de réhabilitation de l’immobilier de loisirs (ORIL), afin de soutenir les opérations de renouvellement urbain, comme cela a été mis en évidence par le ministère de l’Écologie dans un rapport sénatorial publié la même année. Le problème persistant 15 ans plus tard, une adaptation du dispositif, très attendue par les élus de la montagne, a été intégrée dans la loi du 28 décembre 2016 considérée comme l’acte II pour la loi Montagne.» (Vlès, Hatt, 2009)
La production immobilière des villes du haut repose donc sur ce modèle économique peu durable. Les professionnels parlent d’érosion du parc marchand vers « le secteur diffus». Ce phénomène engendre l’émission de lits froids. De plus, les établissements en activité deviennent pour une grande partie d’entre eux, obsolètes au vu des demandes nouvelles des touristes, d’avantage à la recherche de location. Également, les réglementations ayant la vie parfois courte, les gestionnaires peinent à se mettre aux normes. Il en résulte la fermeture d’hébergements touristiques que les stations ne peuvent assumer. La réinjection et le renouvellement de logements se fait par extension plutôt que par rénovation, pour des séjours de plus en plus courts de surcroit.
Il apparait évident, lorsque les villes de plaine sont depuis des années le terrain de questions urbaines comme celui de l’étalement, d’aller aujourd’hui dans le sens de la réhabilitation et de la densification. Le second point concerne l’image à créer et la répartition des fonds. En effet, et comme nous l’avons évoqué plus haut, chaque commune tend à affirmer sa propre identité, réduisant parfois le discours architectural au profit d’une mono image. Également, de nombreux acteurs dénoncent qu’une majorité des fonds partent directement dans les stations, délaissant les villes de vallées. Le cadre et l’espace de vie quotidienne des habitants ne doit alors pas pâtir d’une répartition ciblée vers ces «anciens» pôle générateur d’économie.
«En Tarentaise, sur la période 1997/2012, près de 6 000 lits quittent le mode de gestion professionnel chaque année (soit un taux d’érosion moyen de 3,4 % par an). Des établissements en cessation d’activité, hôtels ou villages de vacances ne pouvant se mettre aux normes, ferment ou sont revendus « à la découpe », les chambres devenant des résidences secondaires. Les résidences de tourisme, créées pour accroître le nombre de lits touristiques par la création neuve, adaptée aux nouveaux standards architecturaux (réglementations à énergie positive, normes accessibilité…) et touristiques (taille des logements, qualité des prestations…), retournent quant à elles dans le marché secondaire au terme du bail commercial liant les propriétaires à l’exploitant. Le SCOT Tarentaise Vanoise constate ainsi qu’entre 2006 et 2012, plus de 19 000 lits mis en service dans
> PRESSION IMMOBILIERE EN HAUT, LE TURN OVER IMMOBILIER Le territoire montagnard est comme scindé en deux : le haut et le bas. Ce que nous appelons le haut sont les stations de ski, pôle économique au rayonnement essoufflé dont ne profite pas toujours le bas, soit les villes et villages de vallée. Les stations, villes «éphémères» par leur rapidité de construction et régies par l’économie et le rythme du touriste, pâtissent d’un turn over immobilier important. Guillet cite Gabriel Fablet, alors chef de projets à l’agence d’urbanisme de la région grenobloise lors de son article, qui explique on ne peut mieux les paramètres réglementaires et financiers à l’origine de l’instabilité du parc marchand en station : 6
> ÉCONOMIE ET ARCHITECTURE AU GRÈS DE MODES
des résidences de tourisme neuves sont sortis de gestion alors que 20 000 lits étaient parallèlement construits». (Vlès, Hatt, 2009) EN BAS, LA PÉRIURBANISATION La ville du bas, celle des vallées, connait des séquelles urbaines qui ne doivent pas devenir irréversibles. Si les stations sont comme des points dispersés dans les hauteurs, les villes valléennes sont de plus en plus comme des lignes continues en contre-bas, zones « d’entre deux », ne profitant ni de l’attractivité touristique du haut, ni des services et de l’animation des « vraies villes » de plaine. En 1972 déjà, Marc Perol déplorait déjà : «La moyenne montagne est alors négligée au profite du seul marché de la neige. Elle se développe cependant, mais de façon anarchique, urbaine, telle une future grande banlieue de grande agglomération.» La montagne habitée est non seulement dans l’ombre de la montagne de loisir, mais elle en subit en plus les conséquences. Ses sols sont entre autres de plus en plus artificialisés pour répondre aux demandes de séjour en locatif. Loin des idéaux accrochés à l’image du village ou de la ville de montagne, la réalité est finalement résumée par un terme aux connotations bien plus grises : l’étalement urbain ou la ville périphérique. Les problèmes générés sont les mêmes que l’on peut retrouver en plaine. Les centralités historiques sont fragilisées et les valeurs et fonctions sociales auxquelles elles répondent s’amenuisent. Le viaire s’impose, et dans le paysage, et dans l’aménagement des espaces urbains, et dans les nuisances écologiques et sonores, et dans les coûts engendrés pour les services publics (distribution du courrier, transport en commun), et dans le quotidien par ses déplacements chronophages, et sur les terrains agricoles et les continuités écologiques qui se voient de plus en plus consommés. Marc Perol poursuit : «mais ces petites communes sont-elles en mesure de s’administrer, d’entretenir un réseau démesuré de chemins et de conduites, d’assumer les services d’éducation, d’information, d’approvisionnement, à l’ère de l’astronautique, de financer des opérations à l’échelle de la mutation du territoire, de traiter avec les collectivités citadines, inéluctablement expansionnistes et qui imposent leurs normes et leurs modèles de développement ?». Malgré les préjudices apportés à leurs propres habitants et la réduction de l’attractivité de leur territoire, les communes continuent de laisser la porte ouverte à cette expansion. Une concurrence existe, quant à l’arrivée de nouveaux logements, quand bien même ceux-ci utilisés que partiellement dans l’année augmentent les volets clos, favorisant la délivrance indulgente de permis de construire. Le territoire des Vosges est l’un des exemples les plus éloquent de ce processus malheureusement pas freiné par la loi Montagne qui estime qu’une discontinuité d’urbanisation s’établit lorsque les constructions sont séparées de 40m. La montagne se voit alors miter de 40m en 40m. L’apparition des PLUi et le renforcement des intercommunalités est vue par certains comme la solution de ce cercle vicieux. Des élus vosgiens dénoncent « il faut que la protection des terres soit une décision supra-communale, sinon c’est trop difficile de dire non ». (Diaz, 2018)
7
QUATRE GÉNÉRATIONS DE STATIONS et différentes conséquences Les villes «hautes» de montagne, et certaines des villes valléennes associées sont le produit de 4 générations récentes. Les écrits parlent de «stations de 4 générations», mais on préférera le mot ville, qui connote moins l’isolement et la haute altitude, d’autant que ces stations sont parfois greffées à des villages. «La première génération» est le fuit du tourisme estival paru dès la fin du 19e siècle. En deux mots, la montagne a d’abord attiré par ses sommets et glaciers à gravir, par le dépaysement de ces villages isolés, et par les bénéfices pour la santé notamment avec le thermalisme. D’abord incarné par les alpinistes anglais, le tourisme s’est rapidement généralisé à une élite. Des stations se développent autour de villages existants, entre 900 et 1200m. Un modèle architectural tend à découler avec bonne foi des traditions existantes, transposé pour des clients fortunés : le chalet. Megève est la station la plus représentative de ce courant. «La seconde génération» communément appelée «ex-nihilo», a pour première figure Courchevel en 1946. Elle est le fruit de compétences des collectivités pour évincer les gestions privées. Ces villes sortent de terrains totalement vierges situés dès 1600m pour répondre à la démocratisation du tourisme. Architecturalement, c’est une opposition à la génération précédente : la montagne étant elle-même architecturée, les constructions ne doivent comporter aucun folklore. Le synonyme des villes de la «troisième génération» est stations intégrées. Le gouvernement met en place le Plan neige en 1964, parallèlement aux flots de visiteurs que ramène la voiture. Ces stations qui offrent une place prépondérante au véhicule, sont l’œuvre d’un seul promoteur, créant des projets uniques et un paysage de villes variés. Elles sont situées à plus de 1800m. Les plus illustres représentations sont la station des Arcs par Charlotte Perriand et Flaine par Marcel Breuer. Enfin, les villes de la «quatrième génération» des années 1980 suscitent le débat. L’historien Franck Delorme en 2014, reprend et s’accorde avec le géographe Remy Knafou (1978) sur le fait que ces stations ne sont qu’une réinterprétation pastiche des villages du 19e siècle, où l’architecture n’est dessinée que pour elle-même. Le site «Ski-Planète», plate-forme de réservation de séjours, écrit en 2017 qu’au contraire, «le côté authentique ressort beaucoup». Ces villes affichées comme démonstratrices du progrès et propositions alternative au village n’étaient que « le fruit d’une intervention centralisée, d’une maîtrise foncière globale, de la construction en terrain vierge, de l’unicité de la maîtrise d’ouvrage du programme (qui vise à l’équilibre financier, donc à la rentabilité), d’un zonage strict des activités qui n’envisage pas les mixités ». (Vles, 2010) De ces 4 générations de villes découlent deux situations actuelles. Les stations qui ont tout misé sur la pratique intensive du ski, et qui ont été fondées à l’écart des logiques territoriales, soit l’ensemble des stations ex-nihilo et intégrées, posent aujourd’hui le plus de questions quant à leur adaptation. Leur diversification architecturale et la valorisation de ce patrimoine ne suffit pas au devenir de ces «vieilles dames cinquantenaires». Située à plus de 1800m, ce sont les stations pour qui la neige de culture est encore
SOLUTIONS ÉMERGENTES VERS LA DURABILITÉ
envisagée comme une réponse pour les décennies à venir, bien qu’il serait malhonnête de la proclamer durable. A contrario, les stations plus territorialisées lors de leur conception, soit les villages de la première génération, peuvent d’avantage s’inscrire dans la transition actuelle des villes de montagne, y compris dans le développement du tourisme d’été, voire de 4 saisons. UNE PERTE D’IDENTITÉ ARCHITECTURALE ET UN ESPACE PUBLIC EN CREUX L’histoire de la construction des villes de montagnes séquencée en différents chapitres pour certains antagonistes, est l’une des difficultés à forger une identité architecturale forte, et de ce fait le sentiment d’appartenance à la ville. D’un côté, il y a l’interprétation esthétique et l’exagération des traits, d’abord avec la reprise du «chalet», caricature vernaculaire inventée au début du 20e siècle d’après l’architecture endémique, puis avec les reconstitutions de villages des années 1980. De l’autre, nous faisons face aux transpositions des grands ensembles, « témoins de la disparition des cultures locales et de la dévalorisation des lieux qui comme ancrages sensibles symboliques, provoqué par la globalisation économique et la médiatisation mondiale » (Claude, 2004). Sur un même terrain se côtoient donc des produits de l’architecture internationaliste et de l’architecture pastiche, un standard du confort voulu et admis par tous, et des aspirations dépaysantes de l’ailleurs. En somme, de l’image. Cette absence d’identité est d’avantage exprimée dans les villes valléennes, plus génériques. Cela dit, jeu de cycle et de mode, l’architecture des années 1960 est de nouveau reconnue et admise par le grand public, comme en témoigne l’actuelle exposition sur Charlotte Perriand à la Fondation Louis Vuitton de Paris (Du 2 octobre 2019 au 24 février 2020). L’autre héritage complexe que porte la ville, c’est son absence d’espace public. Historiquement en France, l’espace public dessiné est une invention des grandes villes, une matérialisation et par là une forme d’omniprésence du politique dans la rue. Les grands travaux portant sur les terrains les plus denses, les villages dispersés ici et là ont pu y échapper. L’aménagement urbain était peu voire inexistant, mais l’espace public était fort, se traduisant par des lieux fédérateurs comme le lavoir, le four communal, la fontaine... Lorsque les stations ont émergé, l’accent a principalement était porté sur l’architecture, ses vides n’étant que dédiés à l’activité du ski et à la voiture. «Formant un “front de neige”, les immeubles se sont disposés de façon à ce que le skieur puisse rentrer chez lui skis aux pieds. L’héritage est lourd : la station intégrée ne possède aucune rue au sens urbain ou villageois du terme. On y cherche en vain une voie où se mêlent activités multiples et échanges, avec circulation douce, séparation des modes de déplacement, mobilier d’animation montagnarde, interpénétration travaillée entre espaces publics et espaces privés, accès des piétons à la montagne facilité depuis la rue, emblèmes chromatiques d’altitude (blanc, vert, gris), mise en scène de la neige, création de promenades autour du site.» (Vles, 2010) Il n’y a donc pas de vraies rues avec une vie sociale mais plutôt des voies de circulation, pas de places en tant qu’espaces de rencontres mais plutôt des parkings, pas de vie culturelle, de partage entre estivants et habitants permanents, mais plutôt des “produits” et des “événements”. L’ambiance est réduite à celle de l’accès au supermarché.
> RESSOURCES INTRINSÈQUES A LA MONTAGNE « La montagne possède un quadruple rôle : elle est productrice de produits de qualité, réservoir de biodiversité, espace de divertissement et lieu d’éducation à l’environnement. » (Diaz, 2018) Pour trouver vers quoi la montagne et ses formes urbaines devraient tendre, il semble évident de se rapprocher au mieux de ce territoire, de le comprendre et de se baser sur ses ressources dites «spécifiques», soit dépendantes d’un espace donné, à l’inverse des ressources «génériques» transférables (Colletis et Pecqueur, 2005, cités par Achin, 2017). Existantes à l’état latent sur chacun des territoires, ces ressources territoriales devraient être révélées puis valorisées. Cela suppose une mobilisation de l’ensemble des acteurs du territoire. (Hadjou, 2009, cité par Achin, 2017) RESSOURCES PRODUCTIVES La première ressource est l’eau. Beaucoup de territoires sont en tête de bassin hydrographique important (Les Vosges en Lorraine, Les Pyrénées Catalane pour Perpignan, Barcelone et Carcassonne...). Le rôle et la responsabilité sont importants, bien plus que leurs moyens quant à la gestion de l’eau. Ce patrimoine naturel est également l’opportunité du tourisme bleu évoqué en début d’article. La seconde, qui constitue une part importante de l’identité des massifs est le bois. Sa qualité y est intrinsèque puisqu’elle provient d’une croissance ralentie par le froid. Un patrimoine important existe en France avec notamment le Mélèze dans les Hautes-Alpes et le Douglas dans les Vosges. Il existe depuis 2008 une certification «bois des Alpes», suivant la traçabilité et la qualité des entreprises de transformation. Néanmoins, au contraire des entreprises scandinaves ou d’Europe de l’Est, la filière française peine à se situer. «70% de la forêt de Douglas Vosgienne est publique et de nombreux tests sont en cours pour trouver les essences adaptées au réchauffement climatique. Bien que l’ONF développe des contrats d’approvisionnement avec les scieries, beaucoup de bois finit en plaquette plutôt que dans les quelques chalets qui apparaissent. Sans modèle territorial, ces filières manquent d’une perspective claire à élaborer sans doute avec les métropoles, à l’instar de Bordeaux et la forêt des Landes.» (Diaz, 2018, p100)
8
L’agropastoralisme est également une ressource forte du territoire montagnard. Il participe à son identité par la découpe et l’animation animale de ses terres. Le tourisme émergent de la gastronomie intéresse de plus en plus. Le Jura par exemple mise sur sa filière d’excellence : la production de fromage. Les appellations sont protégées (AOP) et l’ensemble des acteurs du secteurs s’unissent et se mobilisent. Le paysage
productif montagnard, tributaire lui aussi de la transition climatique, est à préserver et à valoriser, pour sa durabilité, pour le grenier qu’il représente, et pour le tourisme. En effet, l’offre territoriale se voit de plus en plus concernée par les aspirations touristiques générant des bénéfices économiques qui pourraient un jour combler les lacunes liées au ski.
contemplatives) (Vlès, 2009). Développer une identité permet de se distinguer mais aussi de mieux se connaitre, par altérité. Néanmoins, et comme tout processus, celui-ci ne doit pas être amplifié et doit conserver un certain équilibre pour ne pas perdre son degré de véracité. L’image d’un lieu est avant tout l’effet du temps, le palimpseste enrichi par les populations que ce lieu a porté, par leurs décisions, leurs actions. Autrement dit, cette échelle de temps n’est en rien comparable avec l’identité de marque fabriquée en quelques mois par des professionnels parfois même exogène à leur terrain d’exercice. Une synthèse est créée avec des fins marketing, précisant au-delà d’une histoire, une « offre urbaine ». Vlès, Berdoulay et Clarimont parlent même de construction ex nihilo d’image de marque. Processus de réduction narratif d’un héritage patrimonial ou authenticité factice, hyperboliser une direction identitaire peut s’avérer brouiller le sentiment de parenté réel des habitants. Cela peut également tronquer la ville, lorsque, persuadé de la mono direction, tout est mis en œuvre pour la satisfaire. Par exemple Bordeaux, pour défendre son image de ville du 18e siècle, a opéré une sélection, n’hésitant pas à détruire ses hangars et ses terrasses en rive gauche, qui cachaient la « beauté des façades » (Vlès, Berdoulay, Clarimont, 2005). Si le tourisme, par la quantité, engendre de nombreuses entraves au quotidien des habitants (stratégie d’évitement en changeant de parcours, bruits, embouteillages, coûts du nettoyage…), il ne doit pas en plus s’imposer jusque dans la remise en question de leur identité propre.
RESSOURCES HUMAINES Une autre des grandes forces du territoire de montagne est les femmes et hommes qui l’habitent et la vivent. Par la force des évènements et le relais des médias, les enjeux climatiques atteignent de plus en plus de consciences individuelles. Le territoire montagnard est prééminent sur le quotidien de ses habitants, par contrainte ou par conviction. Les effets du réchauffement y sont également les plus visibles. Enfants du pays ou expatriés des villes, le public est donc sensibilisé et demandeur. Par le haut ou par le bas, cette prise de conscience est généralisée. « L’hiver 2006-2007 a pris ainsi des airs de « temps de la révélation » : événements consacrés à la question environnementale (premier forum international « Les stations s’engagent pour la planète » à Avoriaz, les « Ateliers de la terre » à Courchevel…) ; approvisionnement en énergie renouvelable de plusieurs stations françaises (Chamrousse, Serre-Chevalier) ; démarches de certification environnementale ISO 14001 et Qualité Sécurité Environnement (Les Ménuires, Montgenèvre) ; réalisation de bilans d’émissions de gaz à effet de serre. » (Bourdeau, 2009).
Bien que les écrits concernant la pensée de la ville actuelle soient peu nombreux, pour la plupart issus de la crise des stations des 3e et 4e générations ou axés sur la transition écologique, et bien que ce sujet soit d’abord traité par des historiens, des géographes, avant les urbanistes et les architectes, il est possible de cerner différents courants de réponse, complémentaires à la focalisation sur les ressources et à la recherche identitaire.
Les programmes et les organismes se multiplient : Programme des Alpages sentinelles lancé dans les Ecrins à la suite d’une sécheresse, « Charte nationale en faveur du Développement durable dans les Stations de Montagne » par l’Association Nationale des Maires des Stations de Montagne (Ski France, 2007) ... Néanmoins, il demeure de nombreuses contradictions irrésolues, notamment ce que Bourdeau appelle le syndrome « AIE ! » (Automobile-Immobilier-Enneigement artificiel).
MULTIPOLARISATION : une mutualisation à différentes échelles Il est une conception du village et de la ville de montagne qui tend à rassembler différents penseurs, chacun avec leurs propres mots et leur propre dénomination. Il s’agit là de concevoir les villes comme une entité unique, au sein d’un même archipel. Jonathan Dawson, consultant sur le développement durable et Président du Réseau Mondial des Ecovillages défend la vision contemporaine du village qui n’est pas un retour à un passé idéaliste mais plutôt une « nouvelle vision holistique de monde » où le village est perçu comme l’une des composantes d’un réseau. L’architecte et urbaniste Alberto Magnaghi propose une reterritorialisation par « une revalorisation des localités, en conservant les ressources, l’identité et la mémoire des lieux, tout en les intégrant au sein d’une globalité ». Il parle également de
> LES PENSEES URBAINES DRAMATISER L’IDENTITÉ : se différencier Conscientes que la seule offre générique du ski et de la neige ne suffit plus, les villes tendent de plus en plus à (ré) affirmer leurs spécificités propres. On assiste à un genre de « taylorisme » où un même massif porte un ensemble de profils touristiques complémentaires. Courchevel par exemple, cultive le haut de gamme raffiné où le quinquagénaire est fortement représenté, la Clusaz joue sur son patrimoine savoyard, les Deux-Alpes misent sur l’après glisse, le Queyras est fait pour le calme, l’Alpe d’Huez représente la compétition, Saint-Pierre de Chartreuse est pour les budget serrés, Serrechevalier pour les familles aisées... Le média transcrit l’esprit du lieu pour proposer aux touristes d’identifier leur idéal. L’enjeu est d’être capable de définir une image de marque forte pour que l’individu fasse des associations culturelles entre un lieu et son territoire. On distingue ainsi deux tendances opposées : le «hard» (vacances actives) et le «soft» (vacances
«constellation de villes solidaires» où chaque village serait un centre défini par ses caractéristiques morpho-typologiques et historiques. Enfin Vincent Vlès, professeur des universités en Aménagement et urbanisme touristiques, définit le territoire et son paysage comme réfléchis en polarité, dont l’ensemble est régi en « métastations ». (Vlès, 2014). 9
Qu’importe la dénomination attribuée, il y a de commun l’existence d’un jeu multiscalaire, où le village passe d’une résonance communale à régionale voire internationale, et la mutualisation des ressources et des équipements. Les villages sont donc interdépendants sous un même étendard. Cela se traduit par l’épicerie qui sera ouverte dans telle commune, une société de travaux qui sera présente dans une autre… la démocratisation des moyens de transport et la modernisation des systèmes de communication a rétréci les distances et a rendu ces solidarités possibles. L’offre d’un même massif peut donc être perçue comme complémentaire plutôt que concurrentielle. Tel fromage pourra s’accorder avec telle boisson du massif, créant un paysage d’offre plus riche. Le territoire peut donc manifester une identité plus globale, à l’image de l’architecture généralement moins caractéristique d’un village que d’une région. La transition écologique peut également faire figure d’adversaire commun à combattre en s’unissant, ce qui n’est pas un non-sens dans le milieu montagnard où une solidarité entre les individus a toujours dû exister, face à une nature si imposante. Cette logique de mutualisation peut être effective du point de vue des ressources et des moyens, mais aussi d’un point de vue touristique.
valoriser ces proximités. Chamrousse, proche de Grenoble, se veut comme une « smart » station avec une volonté d’ouvrir la montagne aux dynamiques technopolitaines de l’agglomération. Le dialogue, s’il est nourri d’une culture des opportunités et des dynamiques communes, peut être bénéfique aux deux corps. Dès l’entrée de l’autoroute 51 à Marseille, un grand panneau publicitaire pour la station de ski de Vars est visible. La communication semble réduire la distance, comme si Vars était l’étendue du territoire marseillais où skier. En extrapolant cette vision, le territoire est pensé comme une urbanisation généralisée qui fonctionne par quartier dont chacun répond à des demandes qui lui sont propres. LA LOI DES CYCLES, INÉLUCTABLE DESTIN DE LA VILLE DE MONTAGNE Si différentes théories cherchent absolument à nommer et rationaliser les phénomènes de transformations de la ville, d’autres semblent être plus fatalistes ou plus légères. Elles admettent simplement que par essence, le territoire montagnard est sujet aux changements. Viviane Claude, écrivant à propos de l’ « Entre-ville » de Thomas Sieverts dans Les annales de la recherche urbaine en 2004, dit « Bien que la société soit de plus en plus quadrillée par des systèmes rationnels et complexes fondés sur les acquis scientifiques, l’imprévisibilité de l’évolution de l’ensemble du système n’en diminue pas pour autant ; elle constitue même l’un de ses paradoxes insolubles. »
« La vie culturelle est plus riche si elle se confond avec tout ce qui s’organise au bénéfice des touristes et des visiteurs _ ce qui éloigne d’ailleurs la tentation du folklore. Pour ceux qui travaillent sur le massif, ou pour ceux qui y sont « captifs » (les personnes âgées, les enfants), la disponibilité de ces services au quotidien est indissociable de la présence d’entreprises dynamiques, d’une part, et de la continuité des services publics, d’autre part (pour les écoles, les crèches, l’accès à la santé…) » (Diaz, 2018, p60).
La montagne, qui a été le terrain d’une longue succession d’expériences architecturales, au grès des modes et de l’évolution des moyens, est-elle une métonymie de cette société imprévisible en perpétuel changement ? Rémy Knafou imagine le concept de « moment de lieu » (2005), comme si la ville de montagne cristallisait les innovations socioéconomiques et demeurait comme témoin de la société à un moment donné. Le simple terme de « génération » parle également de succession de modèles, avec une notion de filiation, comme s’ils étaient finalement tous interdépendants. La montagne, où le temps par essence s’impose et se vit, la montagne, ambassadrice de la nature, terrain le plus significatif du changement climatique, est-elle aussi reflet des hommes ? Delorme met en avant le phénomène de boucle en avançant qu’on est passé « d’un village-station pionnier à une station-village nostalgique » (Delorme, 2014). Or, il est indéniable que des aspirations « passéistes » émergent et se multiplient, que cela soit comme cité plus haut par la renaissance du modèle villageois, ou par la nécessité grandissante de vivre autrement, en favorisant simplement l’échelle de l’homme, qu’elle soit spatiale et temporelle. Rejoindre la théorie de la boucle de Delorme, c’est une fois encore constater une montagne représentative de sa société contemporaine.
Emmanuelle George-Marcelpoil, Ingénieure et chercheure en Economie et gouvernance des territoires touristiques, met également l’avantage touristique de ce réseau multipolaire de villages qu’elle nomme « STL », soit Système Touristique Localisé. En effet, les attentes touristiques et leurs moyens dépassent aujourd’hui le simple cadre du village. La crise économique qui a autrefois répandu une concurrence entre les communes les amène maintenant à s’unir. LIEN VERTICAL : se relier à la «grande ville» La forme de mutualisation précédente était horizontale, autant dans le sens géographique qu’économique et social, avec des entités comparables qui s’allient. Certains prônent également une mise en commun vertical, c’est-à-dire des villes et stations de montagne avec leur métropole de proximité. En effet, nombreux massifs sont, de près ou de loin, en lien avec une métropole de plaine (Genève dans le Jura, Chambéry et Lyon dans les Bauges, Marseille dans les Hautes-Alpes…). Cela se traduit aujourd’hui par la fréquentation ponctuelle de ces massifs par ces citadins, mais également par des échanges professionnels (certaines agences d’architecture d’Embrun ou de Gap travaillent avec des bureaux d’études marseillais…). Il est donc question de complémentarités entre tourisme urbain et tourisme de station. Certains territoires ont déjà choisi de
LA VILLE SUR LA VILLE S’il est un point qui semble évident aujourd’hui, en montagne comme ailleurs, c’est qu’il faut construire la ville sur la ville, ou du moins, que la ville doit continuer son développement sur elle-même, sans nier son propre territoire et sans rogner des espaces encore non urbanisés. 10
Nous pourrions, sans les paraphraser, simplement citer les représentants de différentes disciplines à ce propos.
modèle plus sobre en carbone, en énergie et en ressources naturelles demandent de la volonté, des moyens financiers et du temps dont toutes les communes ne sont pas pareillement dotées. (Vlès, Hatt, 2009)
« Enfin, l’urbanisme européen devra apprendre à se satisfaire des espaces déjà occupés afin de préserver notre environnement vital : aucun projet nouveau ne pourra plus s’établir sur un terrain qui n’aurait pas déjà été bâti ; les constructions existantes devront s’adapter à de nouveaux usages. » (Claude, 2004).
> RETROUVER DE LA VILLE
Cette dernière partie, découlant du point précédent qui est de construire la ville « sur » et « avec » la ville, met en exergue l’importance, même en montagne où l’élément naturel est surplombant, de renouer avec l’urbanité. Qu’estce qui fait une ville, est quels sont ses apports pour l’habitant montagnard aujourd’hui ?
Si nous apportons la nuance à l’expression « construire sur la ville », c’est pour bien mettre en exergue la continuité et non la table rase, la ville offrant déjà tous les prémices du programme. « Le site, mixte de données géographiques et historiques, n’est pas un contexte dans lequel il s’agirait d’insérer un programme, fût-il d’espace public, mais constitue la matière même du projet : c’est presque en lui que le programme de l’intervention sur l’espace ouvert serait à déchiffrer ». (Marot, 1995). L’approche doit être fine, sensible, forte en conviction pour réellement s’intégrer au site. La citation de Vincent Vlès est longue mais chacun des aspects apportés est essentiel :
L’espace et le service public constituent un lien dans le renouement avec la ville. Les programmes étatiques s’en sont rendu à l’évidence. L’opération ORIL qui en 2000 portait principalement sur la réhabilitation du bâti touristique existant, a revu ses textes en 2016 pour amplifier le volet consacré à l’espace public. Il y a donc une véritable prise de conscience sur l’impact de ces espaces non vus, d’abord assimilés comme des creux et aujourd’hui de plus en plus centraux. L’aménagement et la gestion des espaces publics participent tant au fonctionnement de la destination touristique (accueil en forte et basse saison), qu’à la construction du paysage du séjour touristique. Viviane Claude appuie fortement sur cette nécessité du service et de l’espace public dans la conception que l’on se fait de la ville et son sentiment d’appartenance.
«Choisir les matériaux en fonction du lieu et de sa découverte, repérer dans l’architecture existante des indices ou des raisons de transformer les choses tout en liant le projet avec la découverte des lieux, y compris dans leurs accidents, dans leur mémoire, de choses qu’on ne comprend pas toujours au départ, en début de chantier, en atelier d’urbanisme. Si on parvient à introduire en station de montagne la dimension du temps qui passe, l’urbanisme montagnard des stations n’est plus seulement issu d’un dessin qu’on exécute, mais aussi d’une interprétation du milieu. La seule manière, sans doute, qui a permis de respecter la permanence de la montagne s’est servie de l’état des lieux, de l’îlot, du village pour insérer un plan-masse, composer avec des bâtiments, s’appuyer sur des volumes existants, renouveler la construction par la prise en compte de la tradition dans la modernité, pour trouver dans les traces de ce qui existe déjà des raisons de différencier les constructions nouvelles. Pour éviter les immeubles de gabarit type du «modèle intégré», la ressource du site apparait une référence incontournable qui donne une nouvelle dimension à l’ensemble. La composition urbaine est devenue dans ces sites une façon de dialoguer avec ce qui est alentour, ce qui existe et ses traces sur le site. L’habitant, de passage ou permanent, doit pouvoir aussi s’emparer de son habitat pour le transformer : la finalité est que la maison, le village soient habités et pas seulement occupés. Tout ce travail de réinterprétation des bâtiments anciens exclut toujours la tabula rosa» (Vles, 2014)
« Le jour où les habitants d’une ville ne se considéreront plus que comme les clients d’un système administratif de prestations de services individuels, lorsque les compétences communales fondamentales (…) se trouveront privatisées, on aura alors détruit les ultimes fondements d’un aménagement participatif disposant d’une légitimité politique, et on aura, du même coup, perdu toute possibilité d’identification avec la collectivité de la ville. » (Claude, 2004) LE CADRE DE VIE : ÉMETTEUR D’IDENTITÉ Comme avancé plus haut, le milieu où l’on se constitue est essentiel de notre identité. Le lieu consolide, s’il ne les forge pas directement, les identités collectives puis qu’il « arrime les individus à leurs espaces vécus », il fédère en de mêmes objets, en une même consistance matérielle, les codes et les signes d’une identité dite « socio-spatiale ». Le lieu est un des ciments du groupe. Di Méo rajoute « On peut imaginer que l’identité fonctionne socialement comme le moyen de légitimer un groupe dans un espace (territoire) dont il tirera le plus clair de ses ressources et de son pouvoir stratégique. » (Di Méo, Sauvaitre, Soufflet, 2004)
Enfin, une raison on ne peut plus pragmatique puisque chiffrée, c’est la rareté du foncier en montagne, qui devrait d’elle-même pousse à investir le bâti existant et à opérer une gestion plus économe de l’espace. Il demeure néanmoins certain qu’encourager des formes urbaines plus compactes, s’inscrire dans un principe d’économie circulaire pour un 11
En prenant conscience d’un tel pouvoir, il est impensable de ne dédier son énergie et ses financements, même en montagne, qu’à la transition écologique portée par l’intérêt autour de la neige. Que ce soit en station ou en ville valléenne, et bien que le territoire montagnard constitue en lui-même une identité, le cadre de vie ne peut être négligé. L’espace public, pour satisfaire cette identité positive, doit
donc répondre aux fonctions qu’on lui attribue, et au-delà. Il doit offrir
accordée aux espaces de déambulation » (Hatt, 2010). Au-delà des avantages visuels et d’usages, l’espace public participe à créer un sentiment d’appropriation chez le touriste. Cette possession sentimentale est construite par un cadre agréable, qui offre des opportunités d’action, de rencontre, et des points de repère indispensables. La question de l’entrée en station est également essentielle. Il s’agit de l’espace par lequel on arrive pour découvrir son nouveau lieu de séjour, un nœud dans lequel l’automobiliste devient villégiateur ou simple visiteur. (Hatt, 2012) Or, il se trouve que la majorité des espaces publics, dans les communes et à leur seuil, portent les séquelles des aménagements des années 60 et 80, à savoir la position centrale du véhicule. La plupart des places sont des parkings, et la plupart des entrées de villes sont un rondpoint. Il faut toutefois souligner que le patrimoine architectural et urbain peut constituer un objet de consommation. On vient à Bonneval pour le charme des chalets rustiques traditionnels, à Flaine pour le modernisme de Marcel Breuer, à Avoriaz pour son architecture intégrée... L’architecture constitue un objet de muséification qui poussé à l’extrême est dénoncé, par exemple par Michel Houellebecq dans son ouvrage « la carte et le territoire », mais qui est cependant à considérer. Ce questionnement de politisation de l’image est au cœur des actualités comme le montre l’exploration de ce thème dans l’émission de France Culture évoquée avec Michèle Prats, « du grain à moudre » diffusée le 27 Mars 2014 avec pour problématique « Le développement des villes passe-t-il par leur muséification ? ». Plus concrètement, cette prise de conscience s’est généralisée sur le terrain, poussée « par le haut ». Déjà en 1999, un ouvrage sur les espaces publics des stations de montagne « vulgarisé » pour des gestionnaires de stations, mettait l’accent sur la question de l’aménagement des espaces publics, thématique jusque-là peu traitée. C’est d’ailleurs l’année suivante que le dispositif des Opérations de réhabilitation de l’immobilier de loisir (ORIL) est institutionnalisé par la loi S.R.U., promouvant en partie le réaménagement urbain. Voici 3 exemples de communes qui ont misé sur la requalification de leurs rues (Vlès, Hatt, 2009) :
« une satisfaction des usages économiques (services, commerces, travaux, artisanat), relations sociales spontanées et libres (rencontres programmées ou dues au hasard, échanges d’information touristique, attente, flânerie, culture, spectacles, jeux…), plaisirs sensoriels et psychologiques (surprise des formes, des événements), imaginaire original qui combatte l’ennui, permette d’accéder à la rêverie, à la découverte, à la promenade, à la tranquillité, au mouvement, à l’histoire, aux symboles…, déplacements utilitaires ». (Berdoulay, 2004) Le dessin clair de l’espace public est l’une des clés de sa réussite. Conçu d’après et pour son site, il doit en clarifier les traits existants, créer des continuités et des liaisons où elles manquent, ne pas multiplier les informations, être presque invisible pour permettre à l’usager de se concentrer sur son paysage architectural, sur les interactions humaines, et sur les possibilités qui lui sont offertes. C’est un peu le chef d’orchestre que l’on n’entend pas, l’accompagnateur inconscient dans les gestes les plus triviaux, n’opposant aucune entrave au parcours. Il doit être un « un champ visuel ouvert alliant transparence, chevauchement, échappée et panorama, élément d’articulation, indication ; une conscience du mouvement », devant « rendre plus claires les pentes, les courbes et les interpénétrations ; des dénominations et des significations cristallisant l’identité et la structuration. » (Vlès, Berdoulay, Clarimont, 2005). LE CADRE DE VIE : RETOMBÉES TOURISTIQUES « Ça manque de rues dans les stations, sous prétexte que les gens viendront de toute façon pour skier ils ne font rien pour les piétons », enquêtée d’Emeline Hatt à la Gourette, 2012 L’espace public est l’interface qui permet de comprendre et de capter l’atmosphère d’un système urbain. Il est la face concrète des multiples processus qui donnent du sens à la ville, un lieu d’images fortes bien que paradoxalement non conscientisé. Il est souvent difficile de nommer un espace public, ou les paramètres qui font qu’on s’y sent bien. La place qu’il importe au tourisme est de plus en plus reconnue. Interrogée sur France Culture en 2014, Michèle Prats, experte auprès du Conseil International des Monuments et des Sites, met en exergue la part majoritaire de touristes qui viennent pour découvrir « l’esprit de la ville ». Emeline Hatt, Maître de conférences en aménagement et urbanisme, a mené en 2010 des enquêtes photographiques auprès de touristes. De cellesci ressortent l’intérêt évident, et parfois inconscient de ces lieux. Présentant des photographies des villes étudiées, et de villes similaires, il est demandé aux interrogés de classer en différentes catégories les images présentées, d’en extraire pour chacune une photographie représentative, et de les classer par ordre affectif. « Trois “marqueurs microterritoriaux” attractifs ont ainsi été identifiés : l’importance de l’équilibre minéralvégétal et le rôle de la nature, le rôle fondamental des points de repère paysagers (sculptures, fontaines, etc.) et l’importance
CRANS MONTANA – SUISSE, la « grosse ville » La station de Crans Montana (dans le Valais suisse) a été retenue comme l’un des trois territoires pilotes en 2001 par l’Office fédéral de la santé publique dans le cadre du plan d’action Environnement et Santé sur le thème de la mobilité et du bien-être. Sa problématique principale est l’affluent de très nombreux touristes en saison, la rendant plus dense que Sion la capitale du Canton (soit entre 30 000 et 45 000 habitants contre 25 000 habitants). Pour y répondre, le projet vise prioritairement l’amélioration de la mobilité piétonne et le développement des transports en commun. HAUTEVILLE-LOMPNES, JURA, accessibilité, héritage des stations de santé Hauteville-Lompnes située entre 680 et 1230 m dans le Jura cherche à développer des activités multisaisons pour tous et de renforcer l’accessibilité et l’adaptabilité de l’offre touristique et de loisirs. Cet ancrage du projet de territoire sur l’accessibilité fait 12
ici écho à la tradition de soins présente sur le plateau depuis le début du XXe siècle (du traitement de la tuberculose à la rééducation fonctionnelle).
Enfin, phénomène applicable à différentes échelles, un trottoir abimé sera toujours révélateur de la faillite d’une municipalité. Le trottoir et son animation expriment donc, ici et là, la bonne santé d’une ville. Anthony Tchékémian, Maître de conférences en Géographie et Aménagement du territoire, a enquêté en 2007 sur le rapport que les grenoblois entretiennent avec leur nature urbaine. Il s’agit là du paroxysme de l’intérêt ou non de l’espace public en ville de montagne. Ses recherches aboutissent sur une perception paradoxale de la nature domestique. A la fois, ces espaces sont dénigrés, qui plus est davantage par les hommes que les femmes. En effet, celles-ci admettent les fréquenter, tout en nécessitant la visibilité des montagnes depuis la ville. Les hommes au contraire, réfutent l’usage des parcs, se targuant de s’adonner aux pratiques de montagne. Ces exploits leur permettent d’affirmer leur supériorité sur la nature sauvage. Clin d’œil aux espaces verts urbains, dont il est généralement admis qu’ils sont une forme de domination de l’Homme sur la Nature. Au-delà du débat genré qui ne fait pas loi, l’auteur, au regard de cartes mentales réalisées, constata que les grenoblois localisaient et décrivaient avec précision les espaces végétalisés de Grenoble. Bien que critiqués, la nature domestique était principalement perçue comme positive pour la ville, et également comme échappatoire de proximité et lieu d’appropriation autre que son habitat. Cela reste néanmoins la nature sauvage qui demeure fondamentale pour se situer et s’affirmer en tant que sujet, soit l’élément d’identification des habitants.
GOURETTE, Pyrénées, station thermale et « richesse » mobilier urbain Gourette, ancienne station thermale et une des stations pilotes de la mise en place des opérations de réhabilitation de l’immobilier de loisirs (ORIL) en 2000, a fait l’objet d’un vaste projet de requalification urbaine (…). Les espaces piétons et motorisés sont désormais clairement délimités par un choix de revêtement différencié et un mobilier urbain positionné en limite. Ce mobilier urbain a été enrichi en termes fonctionnels (les bancs publics comme lieux d’attente et de repos ont été introduits) et symboliques (des lampadaires au vocabulaire moderne ornent le territoire). Le simple flâneur, contemplatif, retrouve une place dans une station initialement conçue comme un lieu de la pratique intensive du ski. UN INTÉRÊT MÊME EN MONTAGNE Il serait légitime de s’interroger sur le besoin d’espace public dans les villes de montagnes, quand l’immensité et la vraie nature ne sont qu’à quelques minutes. L’espace public de la «grande ville» incarne des valeurs qui ne semblent pas nécessaires. On s’accorde à dire qu’il «recoud» la ville, qu’il est un «régulateur de la vie sociale» (Delbaere, 2010) soit un indicatif de la densité urbaine où il devient alors nécessaire aux habitants. Il est un terrain vierge de possibles dans un territoire saturé. Également, il revêt l’espace de l’anonymat et de l’expression. Parler d’espace public comme terrain d’expression est en effet un phénomène depuis longtemps nommé (Habermas, 1962). Mais il est intéressant de souligner que la plupart des grandes manifestations se sont tenues jusque-là sur les places et pas dans les parcs. L’espace public incarne aussi des valeurs et des pratiques transposables sur des échelles de petites villes de montagne. Au moyenâge, l’opposition public/privé était très estompée, l’atelier étant l’habitat, l’espace public devenait alors une extension du chez soi. Les cafés, apparut en France au 18e siècles, ont très rapidement réinterprété ce rôle. Dans ses « Souvenirs et portraits de jeunesse », Champfleury confirme cette double domiciliation :
CONCLUSION La ville de montagne fascine. Dans l’imaginaire collectif, elle est proche de cet idéal inventé du village. Les citadins de plaine la fantasment, les vacanciers l’envient. Elle est la compilation des désirs de non urbain et de temps suspendus. Sa position géographique est unique. Elle offre des possibilités physiques d’échappatoire permanentes et une toile de fond constante pour les évasions de l’esprit. Si l’on choisi de s’y établir ou d’y rester, la ville de montagne rassemble des individus aux aspirations convergentes. Mais sa réalité est aussi faite de séquelles. Le 20e siècle a séparé les usagers de la montagne : d’un côté les touristes, de l’autre les locaux. Le modèle économique unique du ski ne présentant d’abord aucune faille, il a simplement été question de l’amplifier, en excluant les habitants. Les villes du haut, soit les stations ex-nihilo et intégrées, semblent déconnectées à leur territoire, rattachées néanmoins par un viaire omniprésent et dominant. Les villes du bas, dites villes valléennes, sont elles aussi conséquences du développement du véhicule. Elles s’apparentent à des villes périphériques, étendues, où services et espaces publics sont peu présents. Les centres historiques demeurent, bien que fragilisés et réduit au prorata de la nouvelle surface couverte par leur commune. Les habitants trouvent leur identité principalement dans la montagne, la culture de la ville étant peu présente. L’espace public étant un lieu non conscientisé, il est encore peu revendiqué par les habitants pour lesquels il est plus simple de nommer des lacunes comme la manque d’équipement, le manque de transport en commun, le peu d’horaires d’ouverture… en somme le manque de ville, auquel
« la vérité est que jusqu’en 1848, notre cabinet de travail était particulièrement situé dans des cafés hospitaliers (...). Les uns lisaient, les autres jouaient ; certains écrivaient par hasard, et la surprise fut considérable le jour où Fauchery, ayant transporté son attirail de graveur, essaya de se livrer à sa besogne journalière.» (cité par Paquot,2009, p43) Dans quel petit village ne voit-on pas aujourd’hui, s’il n’est pas ouvert, un vestige de café ? N’est-ce pas là la preuve que même au sein de petits villages, la nécessité d’un lieu commun libre d’usages a toujours existé ? L’espace public, qui a en ces lieux longtemps pris la forme fédératrice de fontaine, de lavoir, ou de four communal, serait aujourd’hui à réécrire. 13
l’espace public fait intégralement parti. Qui plus est, les petites villes et villages répondaient autrefois aux besoins sociaux de leurs habitants avec des équipements publics, ouverts et accessibles à tout moment par tous, à savoir les lavoirs, les fours communaux… L’ensemble de ces installations est devenu obsolète avec l’individualisation de ces fonctions chez soi. Néanmoins, à l’heure où l’on observe une transition sociétale quant à la manière de vivre, n’est-il pas préférable d’anticiper et de répondre à ce besoin du collectif auquel le paysage seul de montagne ne suffit pas ? Si ce n’est pour l’intérêt de ses habitants, les mairies devraient, pour leurs propres avantages, requalifier leur cadre urbain. En effet, jusqu’ici mis de côté, les apports touristiques de l’espace public sont désormais reconnus, indéniables, et même quantifiés. Michèle Prats, interrogée sur France Culture, déclare que 70% des touristes consultés viennent avant tout à Paris pour la ville en ellemême, et parmi eux 60% visiterons un musée. L’échelle est bien sûr autre, mais démontre l’importance du cadre de la ville. A l’heure où le ski comme seule rentrée économique ne suffit plus, les communes ont tout intérêt à faire valoir leurs spécificités multi saisonnières. Requalifier ses espaces urbains concourt en ce sens. Il faut toutefois veiller à ne pas se « fabriquer » une image. La ville de montagne est aussi une « vraie ville », et ne doit pas être seulement tributaire et focalisée sur son tourisme. Synecdoque et indicatif de la ville, l’espace public devra donc trouver son essence dans la commune qui le porte, dans sa géographie, dans ses vestiges, dans ses pratiques sociales, à la manière dont Sébastien Marot conçoit le paysage. Cette école de pensée est aujourd’hui de plus en plus admise et défendue, et elle prend tout son sens dans la ville de montagne dont l’évolution constante a été corollaire et contemporaine au reflet de sa société.
14
BIBLIOGRAPHIE
DI MEO Guy, SAUVAITRE Claire, SOUFFLET Fabrice. (2007, 25 octobre). « Les paysages de l’identité (le cas du Piémont béarnais, à l’est de Pau) ». Récupéré le 10 janvier 2020 de http://journals.openedition.org/geocarrefour/639 FABLET Gabriel. (2014, 24 mars). « La croissance immobilière des stations de sports d’hiver en Tarentaise ». Revue de géographie alpine. Récupéré le 16 janvier 2020 de : http:// journals.openedition.org/rga/2188
LIVRE DELBAERE Denis. (2010). La fabrique de l’espace public. Ville, paysage et démocratie. Paris : Editions Ellipses. DIAZ Isabel (dir). (2018). Massifs en transition. Vosges, Jura, Alpes du Nord. Marseille : Editions Parenthèses. PAQUOT Thierry. (2009). L’espace public. Paris : Editions La Découverte. ARTICLE DANS UN LIVRE COSNIER Jacques. (2001). « L’éthologie des espaces publics ». Dans GROSJEAN Michèle, THIBAUD Jean-Paul, L’espace urbain en méthodes. Marseille : Editions Parenthèses, 13-18 VLES Vincent et HATT Emeline. (2019). « Des stations de ski et d’alpinisme confrontées aux enjeux de la transition : changement énergétique et écologique, évolution touristique, requalification urbaine ». Dans SPINDLER Jacques (dir.), PEYPOCH Nicolas (dir.), Le tourisme hivernal – clé de succès et de développement pour les collectivités de montagne ?. Paris : L’Harmattan. ARTICLE DANS UNE REVUE CLAUDE Viviane, SIEVERTS Thomas. (2004). « Entreville. Une lecture de la Zwischenstadt ». Les Annales de la recherche urbaine, N°97, p. 152-153 MARCELPOIL Emmanuelle, FRANCOIS Hugues. (2008). « Les processus d’articulation des proximités dans les territoires touristiques. L’exemple des stations de montagne ». Revue d’Économie Régionale & Urbaine, p. 179-191. ARTICLE EN LIGNE ACHIN Coralie. (2017, 27 juin). « D’un “modèle unique” à la spécification des stations de moyenne montagne ? ». Récupéré de : https://labexitem.hypotheses.org/426 BOURDEAU Philippe. (2009, 09 décembre). « De l’après-ski à l’après-tourisme, une figure de transition pour les Alpes ? ». Revue de Géographie Alpine. Récupéré le 30 avril 2019 de : http://journals.openedition.org/rga/1049 DELORME Franck. (2014, 22 juillet). « Du village-station à la station-village. Un siècle d’urbanisme en montagne ». Récupéré le 19 avril 2019 de : http://journals.openedition. org/insitu/11243
GEORGE-MARCELPOIL Emmanuelle, ACHIN Coralie, FABLET Gabriel Fablet et al. (2016, 01 septembre). « Entre permanences et bifurcations : une lecture territoriale des destinations touristiques de montagne ». Mondes du Tourisme. Récupéré le 16 janvier 2020 de : http://journals. openedition.org/tourisme/1237 HATT Emeline. (2012, 28 décembre). « La mise en scène des lieux urbains en station de montagne ». Récupéré le 3 janvier 2020 de http://journals.openedition.org/rga/1796 HATT Emeline. (2015, 30 septembre). « Les enquêtes photographiques auprès des touristes ». Récupéré le 3 janvier 2020 de journals.openedition.org/tourisme/272 VLES Vincent. (2015, 30 septembre). « Du moderne au pastiche. Questionnement sur l’urbanisme des stations de ski et d’alpinisme ». Récupéré le 10 janvier 2020 de http:// journals.openedition.org/tourisme/398 THÈSE / MÉMOIRE GUILCHER Benoit. (2016). Mutation morphologique urbaine des villages-station de montagne. Le contre-exemple d’Orpierre, un modèle d’avenir ? Mémoire d’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble. GUILLET Hugo. (2016). Les nouveaux défis des stations de sports d’hiver : Requestionner le lien Ville-Montagne à travers l’exemple de Chamrousse et de l’agglomération grenobloise. Mémoire de science de l’Homme et société, Université Grenoble Alpes, Institut d’Urbanisme de Grenoble. PEROL Marc. (1972). Aménage en moyenne montagne, Corrençon en Vercors. Mémoire d’Ecole Spéciale d’Architecture. TCHEKEMIAN Anthony. (2007). Le citadin et la nature : entre représentations et pratiques sociales de la nature sauvage et domestique à Grenoble. Mémoire Université Grenoble Alpes, Institut d’Urbanisme de Grenoble. THIBAULT Marion. (2015). Les réinterprétations de l’idéal villageois. Mémoire d’étude, Ecole nationale supérieure d’architecture et de paysage de Bordeaux VLES Vincent, BERDOULAY Vincent, CLARIMONT Sylvie. (2005). Espaces publics et mise en scène de la ville touristique. Rapport final de recherche, Université de Pau et des Pays de l’Adour, Laboratoire SET UMR 5603 CNRS-UPPA
ÉMISSION EN LIGNE GARDETTE Hervé, PRATS Michèle. (2014, 27 mars). Emission France Culture, Du grain à moudre. « Le développement des villes passe-t-il par leur muséification ? ». Récupéré le 06 janvier 2020 de : https://www.franceculture. fr/emissions/du-grain-moudre/le-developpement-des-villespasse-t-il-par-leur-museification CONFÉRENCE EN LIGNE ALBA Dominique. (2017, 2 février). Cours public sur l’espace public à Paris, figures capitales d’une métropole dans l’histoire du cycle 2016-2017 de la Cité de l’Architecture et de Patrimoine de Paris. Récupéré le 6 janvier 2020 de : https://www.citedelarchitecture.fr/fr/video/lespace-publicet-les-nouveaux-usages-du-xxie-siecle GADY Alexandre. (2016, 17 novembre). Cours public sur l’espace public à Paris, figures capitales d’une métropole dans l’histoire du cycle 2016-2017 de la Cité de l’Architecture et de Patrimoine de Paris. Récupéré le 14 janvier 2020 de : https://www.citedelarchitecture.fr/fr/video/la-fabriquede-lespace-public-parisien-sous-lancien-regime-ordre-etdesordre