TERRITOIRE DE PARTAGE, les espaces publics de Guillestre - extrait notice de projet/ résumé mémoire

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TERRITOIRE DE PARTAGES

Guillestre, vers un urbanisme agricole Notice de PFE - AMTH 2 le projet européen - 2020/2021 Victoria ROGNARD & Gaëlle PRIVAT

ÉTUDIANT(S) TITRE

1

PRIVAT Gaëlle

Espaces publics valléens

UNIT

E1032B - MÉMOIRE 4 - MÉMOIRE MENTION RECHERCHE - OPTION.

RESP.

CATTANT J.

DE. MEM

NOWAKOWSKI F.

DE. PFE

OLIVARES Y.

ENCADREMENT NOWAKOWSKI F.

MARCH ARCH

SEM 20-21

Promo

SRC AMTH

© ENSAL


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1/ PENSER À PART L’espace publ


TIR DE L’HUMAIN ic Guillestrin

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1/ APPROCHE DU PROJET 4

1/ Requestionner la notion d’espace public à Guillestre.

Explorons à présent les notions d’espace public et de commun, appuyé sur l’un de nos mémoires qui fondait son étude dans la commune de Guillestre dans les Hautes-Alpes. Traiter un tel sujet au travers une ville de vallée sans notoriété particulière a permis de mettre en avant des conclusions applicables à d’autres communes surtout, de réaliser à quel point les problématiques pouvaient finalement être proches du périurbain. Pour ce faire, nous allons dans un premier temps partager l’interprétation de la notion «espace public», fondée sur la recherche sur Guillestre, et les questions que cette définition pose. Nous aborderons ensuite les grands principes identifiés comme constituant l’espace public de Guillestre, puis nous reviendrons sur l’ensemble de la méthode mise en place pour atteindre ces résultats. Une attention plus particulière sera portée sur les ateliers participatifs. Enfin, nous concluerons, d’une part sur les résultats globaux des réflexions du mémoire et du PFE, et d’autre part, sur les potentialités, les limites et la réplicabilité ou non de cette méthode.

A. Définition de la notion d’espace public. Une remise en question du cadastre en montagne et à Guillestre. L’orientation du mémoire fut sociologique. Ce que nous avons considéré comme « espace public » n’était pas perçu au travers le statut du sol, mais plutôt au travers les usages habitants. Partir de ce postulat requestionne le statut juridique, finalement le cadastre, face à sa réalité vécue. Qu’est-ce qui apparait comme le plus « vrai », qu’est-ce qui a plus d’importance ? Est-ce la porte ouverte au requestionnement de la propriété ? Le travail n’a pas été considéré comme tel, mais comme un témoin des usages et des pratiques. Envisager l’espace public avant tout comme support d’actions a d’autant plus son sens en région montagnarde. La propriété y est inconsciemment requestionnée, ce qui engendre deux formes de limites opposées. La première est une porosité accrue, une perte de lisibilité de ce qui est de l’ordre du public ou du privé. Cela est dû au contexte sauvage : il peut être légalement autorisé de traverser une propriété par laquelle passe un chemin de randonnée, un accès à un site de sport en extérieur… Cela est dû également à la saisonnalité : les limites visibles disparaissent à l’hiver, notamment avec l’obligation de retirer les piquets des enclos, ou simplement avec l’épaisseur de neige qui estompe les séparations humaines. L’impression d’immensité vécue sur place est aussitôt requestionnée à la vue du cadastre qui apparait alors comme hyper morcelé. Enfin, cela est due à la place majeure qu’occupait l’agriculture occupait en montagne : les champs pouvaient arriver aux pieds des habitations par soucis d’optimisation des sols, et ce qui est aujourd’hui appelé « rue » était investi par les outils agricoles, forme d’extension des surfaces privées des familles. Ces appropriations font aujourd’hui le jeu touristique, comme à Vallouise (figure 10) où des outils sont devenus objets de décoration des façades, mais certaines demeurent fonctionnelles, comme l’investissement du pont de la départementale (figure 11) pour y entreposer une réserve de bois de chauffe. La deuxième forme de limites visible est au contraire hyper marquée. A l’image du cadastre, la moindre surface privée peut parfois être soulignée amenant à certaines absurdités comme une parcelle grillagée sur le plateau agricole (figure 12), ou une chaine métallique venant doubler un portail (figure 13). C’est sans doute à partir de cette intuition d’un rapport privé / public particulier en montagne que le mémoire s’est naturellement tourné vers les usages. A Guillestre, les frictions public/privé se déroulent principalement sur le plateau agricole, à tel point que l’accès à un parking communal complet durant les jours d’été n’est aujourd’hui rendu possible que depuis des chemins agricoles privés. Ce même plateau est considéré par les habitants comme l’un des éléments représentatif de Guillestre, et sur lequel ils exercent de nombreuses actions. C’était également le refuge de quelques groupes durant les confinements. Cela dit, cet engouement n’est pas partagé par les agriculteurs, bien qu’ils reconnaissent la plus-value que peut représenter le passage de potentiels clients à côté de leur ferme. Une autre des opportunités dépassant le foncier est celle de l’usage des chemins de halage. Bien qu’ils appartiennent à l’association syndicale des canaux de Guillestre, de nombreux promeneurs ou jogger les parcourent, sans même savoir que ces voies ne sont pas communales. La frontière mouvante ou invisible entre privé et public semble produire des recoins inédits, des abris où germent usages et souvenirs, nourrissant l’imagerie globale que les habitants ont de leur commune. Les espaces de la sociabilité quittent la place publique pour s’imbriquer aux espaces agricoles du plateau, et les typologies de cheminements naturels viennent quant à elle s’imbriquer et enrichir le tissu du pavillonnaire. Ces confrontations soulèvent directement la question d’une gradation des espaces publics. Si l’unité de mesure est celle des usages et, d’une certaine manière, de la sociabilité d’un lieu, en quoi les rues stériles des lotissements seraient d’avantage espace public que le sentier du dimanche des promeneurs du plateau ?


B. L’espace public : une notion subjective induite par les usages et l’échelle. Un phénomène a émergé des recherches Guillestrines : c’est la subjectivité qu’induit l’espace public, considéré alors comme une notion. Des espaces font « plus » espace public que d’autres, et un imaginaire culturel et personnel est associé à l’idée d’espace public. Les outils mis en place dans le cadre du mémoire ( questionnaires en ligne et ateliers participatifs), ont permis de mettre en évidence deux facteurs déterminants. Le premier est formel. Espace public rime pour beaucoup avec place publique. Cette influence culturelle est très forte car elle donne une image claire, historique, et partagée par tous. Elle renvoie à l’agora grecque, avec son ciel ouvert, ses échanges commerciaux et politiques, sa symétrie et ses limites clairement tracées par les bâtiments limitrophes (Besse, 2018). Autrement dit, c’est un objet urbain. Les grandes lignes sont alors posées : l’espace public est une production de la ville bâti, en extérieur soit le vide entre les bâtiments, c’est un lieu accessible à tous où il y a des activités, bien qu’on omette que seuls les hommes libres agissaient dans l’agora. Cette carricature est intéressante car elle soulève aisément les limites de l’espace public. Peut-on parler d’espace public en zone rurale ? Un espace fermé mais accessible à tous comme une église est-il un espace public ? Si aucune activité n’est générée sur les trottoirs comme dans les quartiers pavillonnaires parle-t-on encore d’espace public ? Nous ne nous aventurerons pas à répondre à ces questions car nous reconnaissons la subjectivité de cette notion, et il ne serait alors pas convenu d’apporter une réponse ferme. Néanmoins, nous guiderons les questionnements en nous appuyant sur un facteur déjà évoqué : les usages. Sont-ils considérés inconsciemment comme déterminant dans ce qui fait d’un lieu un espace public ? Comme déjà entrevu, les pratiques habitantes surpassent le cadastre en montagne. Parmi les retours à la question « pouvez-vous citer des lieux qui font espace public, pour vous, à Guillestre » des questionnaires, des réponses inattendues sont revenues fréquemment : le plateau agricole et le parking du « Carrefour ». Ce qui a justifié ces réponses est bel et bien la fréquentation, les individus citant les regroupements et promenades du dimanche sur le plateau, ou le parking sur lequel on croise toujours « une tête connue ». Plus le degré d’interaction est fort, plus l’espace est considéré comme public. Certains, à contrario, qualifiait les rues pavillonnaires seulement comme un « espace ouvert ». Ce requestionnement induit nécessairement l’échelle. En quittant l’enceinte bâtie des communes, jusqu’où peut-on parler d’espace public ? Il peut-être aisé, à Guillestre, de l’associer au plateau agricole, finalement assimilé à un parc de par sa forme finie, tracée d’un côté par les gorges du Guil, et de l’autre par le bourg. (figure 13). Néanmoins, lorsque la silhouette d’une ville n’est plus visible, lorsque devant nous se trouve l’immensité des forêts et des alpages, peut-on encore parler d’espace public ? Ou finalement, sommes-nous retenus par la dimension urbaine qui continue de surpasser ce terme, ce caractère anthropique qui induit, puisqu’on nomme la chose, une certaine maitrise sur elle, sentiment qui s’estompe face à un environnement naturel qui nous dépasse ? Dans le mémoire, nous supposions qu’ouvrir la notion d’espace public à ces sols amenait une forme d’appropriation et induisait alors une attention plus particulière à l’espace nommé. En l’occurrence, nous mettions en parallèle cette réflexion avec l’étalement urbain et le risque de continuum dans la vallée de la Haute-Durance, comme il est aujourd’hui visible dans certaines vallées des Vosges (Diaz, 2018). Nous évoquions pour cela la théorie de la Zwischenstadt de Thomas Sieverts. Suivre cette pensée de l’entre-ville, c’est opérer un changement de conception des espaces entre les villes, alors nommés et non plus considérés comme de seuls vides à « remplir ». Nommer ce sol « espace public » lui donne inconsciemment une épaisseur, une fonction, une symbolique. C’est le pouvoir de l’image des mots. Ceci a d’autant plus son sens aujourd’hui, à l’heure ou l’usage du terme « espace public » devient un outil marketing pour parler de projets fédérateurs, fondés sur des valeurs sociales et humaines dantan.

1/ APPROCHE DU PROJET 5

Le cloisonnement des lignes imaginaires du cadastre font références au cloisonnement bien réels que l’on observe dans l’espace public sur le sol bâti des communes, que nous appellerons espace public urbain. Chaque type d’usager a un espace qui lui est réservé : les vélos dans leur couloir, les traits de peinture où traverser, les enfants dans leur parc… L’homme semble œuvrer pour une rationalisation et une maitrise totale, mais antinomique à son milieu qui se veut bien plus sauvage. Les frictions entre privé et public apparaissent dans ce contexte comme une résistance parfois non conscientisée mais induite par ce milieu. L’espace public revêt alors sa position plus engagée d’espace lié à l’expression. Nous ne ferons ici qu’évoquer cette définition comme terrain de communication, puisque le mémoire n’aborde l’espace public qu’en tant que lieu palpable.


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Figure 10. Vallouise. Photo personnelle. Figure 11. La départementale pour stocker son bois. Photo personnelle.


1/ APPROCHE DU PROJET 7 Figure 12. Un champ dans le champ à Guillestre. Photo personnelle. Figure 13. Chaîne métalique le long du canal. Photo personnelle.


1/ APPROCHE DU PROJET 8 Figure 13. Le «parc» du plateau du Simoust, photo personnelle.


1/ APPROCHE DU PROJET 9


1/ APPROCHE DU PROJET 10

2/ Les principes de l’espace public montagnard.

Voyons à présent les différentes caractéristiques des espaces publics montagnards mis en exergue par le travail de recherche à Guillestre. 2.A/ Dépendance d’une vision urbano-centrée. L’espace public montagnard n’échappe pas au joug de l’urbain. ce territoire entretien en effet un rapport particulier à la ville, son histoire et sa conception évoluant selon elle. Aussi longtemps que l’homme l’a craint, la montagne était considérée comme le décor lointain des cités. L’apparition de la notion de paysage et l’attrait pour la nature sauvage et romantisée éveille l’attention sur elle, et les ascensions se multiplient. Les sommets sont nommés par des individus exogènes qui viennent les conquérir, et c’est la rencontre de la « toponymie repère », description géographique qui exclut toute activité humaine, et de celle du « faire-valoir », faisant référence à l’aptitude d’une terre à rapporter du fruit, ou au langage des alpinistes (Andres Frances, 1997). Les habitants des montagnes sont considérés comme une « civilisation » (Malle, Heller, Roucaute, Pegand, 1999), ce qui creuse l’écart sémantique avec les habitants des plaines et accentue l’exotisme qu’ils incarnent. Des villages montagnards sont alors reconstitués en ville, pour observer ces lieux hétérotopiques comme le village alpin de l’exposition de Grenoble en 1925. Cet exotisme renvoie cela dit à un certain « retard » de ces régions coupées des évolutions, renforcé par des clichés comme celui du « crétin des alpes », à tel point que certaines villes de montagne ne se revendiquent en rien montagnardes. La ville daigne peu à peu regarder ses sommets à l’heure où la pratique de ces territoires, d’abord élitiste, se démocratise. Nous ne pouvons pas omettre de citer l’impact des stations de ski, d’abord rattachées aux villages existants puis entièrement ex-nihilo, symbole de la transplantation de la ville en montagne. Ces bulles urbaines sont, à partir des années 1980, peu à peu reconnectées à leur environnement par l’expression de stations dont la forme urbaine imitent le village, et dont l’écriture architecturale fait valoir le pastiche. Que ce soit dans la réinterprétation du milieu avec les constructions des années 1960-70 (station de Puy Saint Vincent), ou l’imitation, le filtre citadin prévaut toujours sur la réalité alpine. Aujourd’hui, le territoire montagnard représente, depuis l’œil urbain, une forme de luxe que ce soit par l’échelle de temps qu’il induit, l’accès à la lumière, aux grands espaces, et à l’air sain. Au-delà du lieu des vacances et de la performance alpiniste, qui plus est à l’heure où des pratiques comme l’escalade sont en plein essor, le territoire alpin est porteur de valeurs de plus en plus revendiquées, des requestionnements personnels sur le « comment vivre » aux problématiques environnementales. Effet de mode ou réel changement de paradigme, les régions alpines semblent aujourd’hui les gagnantes, et leurs villes sont déjà à la course au titre (Guibal, 2004). Cette introduction historique se retranscrit, à plus petite échelle, sur les espaces publics de la Haute-Durance. La notion d’espace public y a été introduite au 19e siècle avec les grandes lois hygiénistes issues des villes. Ce que l’on appelle aujourd’hui « rue » était avant tout une voie de circulation dimensionnée par ses contraintes agricoles et climatiques. Également, la place en tant que tel n’existait pas. Les réunions de village, nombreuses et régies par les affaires communes et les évènements saisonniers, se tenaient dans les églises et les cimetières. Ce n’est qu’avec le déplacement des cimetières hors la ville que sont apparus ces vides devenus place, ou suite aux disparitions ponctuelles de bâtiments. Rapidement, le dessin de ces espaces se calqua sur ce que l’on trouvait en ville. Les lavoirs ont été remplacés par des fontaines d’ornements, les circulations et les usages ont été cloisonnés, piétons sur le trottoir, enfants dans le parc clos et fermé au crépuscule, arbre encadré dans son petit espace de terre… Ce phénomène est toujours en place et les projets d’espace public, que ce soit dans leur mode de conception avec l’arrivée de réunions participatives, ou dans leur forme, sont encore des produits bien urbains. Le mobilier de catalogue en acier brun prend la forme de bancs, de poubelles, de grilles des arbres, de pots de fleurs, le béton désactivé apparait avec ses trottoirs dessinées de pierre de taille et un cycliste peint en blanc dans sa voie, un espace fermé par des canisses est réservé aux chiens… Une anecdote révélatrice est celle du réaménagement du boulevard Pasteur d’Embrun (figure 14) que la mairesse voulait « comme à Aix-en-Provence » : l’utilisation des pierres du Rhône n’a évidemment pas été concluante face au gel et dégel. L’espace public montagnard originel semble avant tout être un espace non dessiné, qui s’est construit au fil d’adaptations et qui s’est structuré autour des éléments climatiques et géographiques. Il en résulte une richesse des recoins (figure 15), des reprises de niveau qui ont générés une variété de types d’entrées, parfois appropriées par les habitants… La dimension temporelle, que ce soit le temps de fabrication/adaptation ou le temps de la saison est lisible pour le promeneur. Il est difficile de retrouver cette spontanéité dans les projets dessinés dont les logiques, depuis un plan sur papier ou ordinateur, amèneront à dessiner une ligne droite, là où un décalage


1/ APPROCHE DU PROJET 11 Figure 14. NÎMES, Boulevard Gambetta et EMBRUN, Boulevard Pasteur


1/ APPROCHE DU PROJET 12

Figure 15. La richesse des recoins, Guillestre. Photos personnelles.


1/ APPROCHE DU PROJET 13 Figure 16. GUILLESTRE, Comparaison vue aérienne de 1965 et de 2020


1/ APPROCHE DU PROJET 14

sur le terrain créera de la richesse. Les outils et le processus de projet sont urbains, les agences de conception le sont parfois aussi, ce qui explique ces confrontations pas toujours heureuse. Dessiner les espaces publics montagnards demandent donc un travail d’écoute du terrain importante, car il en est la principale matière, le support à modeler et la ressource pour le faire. Nous rejoignons en cela la pensée paysagère de Denis Delbaere. (Delbaere, 2010). 2.B/ Changements des logiques d’échelles et d’implantation : vers le périurbain. La deuxième grande révolution des espaces publics montagnards est générée par l’essor des stations de ski. Ce changement s’est opéré en quelques années seulement, comme le démontre l’évolution de Guillestre. Jusque dans les années 1970, la commune a conservé son visage médiéval. L’explosion, non pas démographique mais urbaine, semble alors incroyable, comme en témoigne les vues aériennes de la commune (figure 16). Depuis 1965, la population a été multipliée par 1,5 à l’instar de Briançon, mais sa surface urbanisée a été multipliée par 8,4 contre 2,5 à Briançon. Les communes limitrophes aux zones touristiques ont vu peu à peu leur paysage urbain évoluer, par choix ou par contrainte. Deux changements de logiques majeurs ont émergé et redessiné la vallée de la Haute-Durance. Le plus important est évidemment lié à l’infrastructure routière. A toutes les échelles, ce décalage s’est opéré. La colonne vertébrale de la vallée qui était la Durance est devenue la route Nationale. De cette manière, les infrastructures les plus importantes s’y sont connectées, alors que les terrains plats et ensoleillés du fond de la vallée glaciaire comprenaient les terres les plus riches en alluvions. Ces sols étaient réservés à l’agriculture, ce qui prévenait aussi des risques torrentiels, mais ils sont devenus des agglomérats de bâtiments industriels puis commerciaux, faisant aujourd’hui figure d’entrée de ville. Également, les « villages-rue » se sont vus coupés en deux par une voie pensée à l’échelle de la mule puis devenue route nationale (figure 17), ou d’autres hameaux se sont déconnectés des circulations et de l’activité, suite à un tracé des lignes routières nouveau (Aiguilles, St Crépin). Cette transformation de la fabrication des villes s’est répercutée à l’échelle des trottoirs. Les rez-de-chaussée étaient investis par les ateliers agricoles ou artisans, et s’ouvraient directement sur l’espace public. L’animation avait pour fondement l’activité professionnelle et saisonnière, des celliers de vin au treillis pour les vignes des familles, du séchage des peaux à l’entrepôt des outils agricoles (figure 18). Au-delà des changements économiques et de la disparition de certaines activités, la présence de la voiture, sa vitesse, son encombrement et ses nuisance sonores ont amené à fermer les façades. Les limites avec l’agricole et les frontages sont devenus majoritairement stériles, bien que quelques appropriations habitantes demeures, de l’investissement de ses marches d’escalier avec des pots de fleurs, à l’entrepôt de son bois sous son porche, en passant la tombée d’allège créant un balcon sur la rue (figures 19 et 20). Le tissu urbain s’est également adapté aux modes d’habiter contemporain, agrandissant certaines de leurs voies lorsque cela était possible. Convertir les circulations du piéton au véhicule s’est parfois réalisé de manière radicale. A Guillestre, chacun des vides était devenu « place parking », jusqu’à de récents réaménagements urbains. Également, les circulations furent tellement pensées pour la voiture qu’il peut-être dangereux de les longer à pied, comme l’actuelle entrée de ville principale, ou encore, que les repères sont liés à l’infrastructure routière. Les ateliers participatifs ont révélés que les habitants étaient plus à même de dessiner le nombre et la position exacte de ronds-points que de proportionner correctement le centre-bourg à la ville. Le second changement des logiques d’implantation est lié à l’explosion démographique saisonnière. Deux conséquences s’en suivent : un déséquilibre des fréquentations, puisque les saisons touristiques sont l’hiver sur les sommets et l’été en vallée, et un changement latent de la population, et de ce fait, des manières d’habiter. Il en résulte une concurrence déloyale des sols les plus fertiles, exposés au soleil, donc généralement surélevé avec une vue dégagée. Hier dédiées à l’agriculture, ces terres prennent une valeur démesurée qui se monnaie. C’est alors l’explosion pavillonnaire et, avec elle, celle des résidences secondaires, puisque les richesses sont généralement exogènes au territoire dont l’économie est avant tout agraire. Aujourd’hui, 15% du parc immobilier de Guillestre est vacant, et plus de 30% est secondaire. Une sectorisation des quartiers apparait, par fonction symbolique (centre historique, zone touristique), économique (entrée de ville en zone industrielle et commerciale) et sociale (quartiers des «riches» ensoleillés). Ce nouveau visage de la ville fait directement référence à des typologies qui semblent bien lointaines dans l’imaginaire montagnard : celles du périurbain. Ce changement de paradigme se retrouve dans l’évolution des modes de vie habitant. Celui-ci est difficilement quantifiable mais peut se percevoir au travers les plaintes des habitants (déjections canines, congestion automobile), leurs aspirations (manque d’anonymat, circuits cours, «tierslieux») et ce malgré des accords tacites «car on est en montagne» (peu de présence de bus acceptée, mais peu de


1/ APPROCHE DU PROJET 15 Figure 17. Mannifestation pour la déviation de la départementale. source: www.deviation-lrdr.fr Figure 18. Animation agricole à Guillestre. source: Feuillassier, 2000.


1/ APPROCHE DU PROJET 16

Modèle dominant existant.

Hypothèse.

Figure 19. Les seuils agricoles, Guillestre. Production personnelle.


1/ APPROCHE DU PROJET 17 Figure 20. Confrontation des types de seuil, Guillestre. Photos personnelles.


1/ APPROCHE DU PROJET 18

Figure 22. Projet urbain «Coeur de Briançon», 2020. Photo personnelle. Figure 21. Gargouille de MontDauphin. Photo personnelle.


1/ APPROCHE DU PROJET 19 Figure 23. Construction pastiche à Guillestre et réhabilitation à Vallouise.


1/ APPROCHE DU PROJET 20

présence des trains moins admise). Ces réflexions ouvrent la porte au « néo rural », et aux problématiques soulevées par Éric Charmes autour de la fameuse clubbisation. Nous ne développerons pas d’avantage cet aspect sociologique détaillé dans le mémoire, mais il est important de noter l’investissement dont font preuve les habitants originellement exogènes au territoire (prise de fonctions politiques, mise en place d’initiatives diverses, apport des compétences nouvelles et complémentaires) et les confrontations que cela génère. Un des élus de l’Argentière-La-Bessée rencontré dans le cadre du mémoire témoigna : « c’est vrai qu’il y a des nouveaux habitants, et ils nous demandent des mettre des bacs de potager sur la place de la maire. Mais on fait pas ça chez nous, c’est un truc de la ville ça. » 2.C/ Disparition de la géographie et crise identitaire. Un des troisième caractère contemporain identifié est la conséquence directe des deux points précédent : il s’agit de la disparition de la géographie. Cette affirmation semble forte pour un territoire où les éléments naturels s’imposent. Mais la réduction de la prise en compte des composants du milieu montagnard est observable et proportionnel au pouvoir de maitrise de l’humain sur le non-humain. Nous avons déjà évoqué qu’avant la moitié du 20e siècle, la donnée agricole régissait les implantations. Il en va de même des données climatiques et géographiques, ce qui, nécessairement, produisait une architecture localisée. Par exemple, le relief comme celui des verrous glaciaires, permettait l’implantation de citées fortifiées, protégées naturellement par leur promontoires. Également, la densité des tissus urbains protégeait du froid. A l’échelle du bâtiment, la pente pouvait déterminer les logiques de circulations, séparant les entrées agricoles des entrées habitantes. Le dispositif présent dans l’espace public le plus éloquent est celui des gargouilles de Montdauphin et de Briançon (figure 21). Il s’agit d’une rigole construite en pierres de taille, en l’occurrence à Montdauphin du marbre rose puisqu’une carrière se trouve à Guillestre, dans laquelle l’eau circule en continu, si un incendie vient à se déclarer dans une grange, et par laquelle la neige fondue s’évacue. Au-delà de ces fonctions climatiques, le dessin de cette rigole remplit une fonction esthétique pour la rue qui la porte, et revêt une symbolique identitaire forte, à tel point que l’on nomme le centre ancien de Briançon « la gargouille ». Rappelons qu’aujourd’hui, la mise en scène de cette contrainte climatique a laissé place à l’invisibilisation (sel), et au dessin urbain standardisé (quartier en « raquette » pour la circulation des déneigeuses). Enfin, cette disparition de la localité se retrouve dans le dessin des bâtiments. L’exemple le plus probant est sans doute la sortie de terre du quartier « cœur de Briançon » (figure 22), dont les immeubles pourraient aussi bien se situer à Villeurbanne. L’écriture architecturale se voit peu à peu brouillée de par des logiques constructives qui s’affranchissent des contraintes climatiques, de par la multiplicité des langages par « secteurs », et de par la majorité dominante du bâti construite sous les paramètres économiques et temporels des années 1970, dessinant un paysage pavillonnaire générique aux traits pastiches. Il n’est pas rare de trouver les étages supérieurs des habitations maçonnées recouverts d’un bardage en bois peint pour évoquer les niveaux en mélèze de l’architecture vernaculaire (figure 23). L’ensemble de ces paramètres qui participent de la décontextualisation des villes sont-ils révélateurs d’une crise identitaire latente ? Il ne semble pas démesuré de dire que l’espace bâti des villes, notamment à Guillestre, est de moins en moins porteur d’identité. Lors des ateliers participatifs organisés dans la commune, la majorité (23 avis) répondaient « les espaces naturels » à la question « qu’est-ce qui fait l’identité de Guillestre ? ». Du même ordre, les résultats des questionnaires en ligne montraient qu’à la demande « si vous deviez représenter Guillestre vous commenceriez par… » ( figure 96) la structure naturelle l’emportait (38) sur le centre-ville (29). Seulement 4 réponses se tournèrent vers la structure routière, bien que lorsqu’il s’agissait de dessiner lors des ateliers en présentiel, tous les participants structurèrent leur plan autour de la voirie. Ce décalage montre bien l’idéal, revendiqué par les habitants, qu’incarne le naturel. Mais parallèlement à cela, une dissociation avec le nature ressortait clairement dans les témoignages, comme si finalement la ville disparaissait au profit des espaces naturels dans l’imaginaire habitant. Les conclusions du jeu de « portrait chinois » appuyaient ce constat, puisqu’ils positionnaient sur une carte les éléments dits « naturels » (comme une photographie d’oiseau, de ciel, et de cabane dans les arbres) hors du Guillestre bâti, et les éléments paysagers et sauvages (comme une photographie de montagne) hors du cadre de la commune. Enfin, ces tendances des habitants à revendiquer une identité liée à l’environnement naturel et à en extraire leur propre commune explique peut-être les résultats de la question « Vous vous sentez habitants… » des « Hautes-Alpes » (28 réponses contre 16 « de Guillestre »), puisque l’échelle de l’entité dite « naturel » dépasse celle de la commune ? Si nous nous sommes appuyés sur les résultats des ateliers et des questionnaires en ligne, c’est que le sentiment d’identité est difficilement mesurable, et se retranscrit surtout au travers les témoignages. La tendance globale semble conforter la théorie selon laquelle les paysages naturels créent un sentiment d’appartenance, parfois fabriqué par la manipulation d’objets sémantiques et l’invention d’un récit, notamment dans le


Si les trois points précédents semblaient pessimistes, les trois suivants laissent entrevoir des potentiels à investir. 2.D/ l’opportunité agricole. La qualité spatiale majeure des espaces publics guillestrins réside dans l’héritage agricole (figure 24). Cette spécificité propre à la commune se matérialise par son plateau agricole, forme de parc urbain pour les habitants, les chemins de halages qui longent les canaux, et les cultures enclavées dans le bourg, encore en activité. De par la diversité de leur dimension et des ambiances qu’ils proposent, ces espaces multiplient les usages et enrichissent le paysage Guillestrin. Le plateau agit comme un parc dégagé, parfois au vent et ensoleillé, à la végétation basse mouvant au rythme des pratiques agricole, offrant la vue sur le grand paysage et les sommets des écrins. Les canaux relèvent d’avantage du cheminement, permettant quelques raccourcis piétons et offrant, aux humains comme aux non-humains, des coupures linéaires vertes dans le tissu urbain. La présence de l’eau génère des écosystèmes et favorise la présence animale. Une diversité existe au sein même de ces chemins d’halage, du sentier tracé où l’on croise d’autres promeneurs au monotrace caché qui laisse douter de l’autorisation ou non de l’accès. Le cheminement est ponctué de petites écluses, et l’ambiance qu’il produit varie avec les saisons, du fossé sec ou couvert de glace sous laquelle l’eau circule, au trop plein d’eau qui déborde sur le chemin boueux. Les champs résiduels dans le tissu urbain créent quant à eux des creux dans le patchwork bâti, créant des formes d’ilots de résistance dont le combattant encore debout tient à une cabane agricole. Ces cabanes offrent à ce propos un paysage bâti multiple, de la construction tout en bois à l’abris en pierres semi enterré, situé parfois dans la continuité des clapiers centenaires. Ces confrontations entre urbain et agricole sont inédites et fabrique à l’échelle de la ville des liaisons. En effet, si les communes ont tendance à être découpées en secteurs bien distincts, l’agricole, de par son langage commun et, qui plus est local, puisqu’il est le témoin de pratiques et de cultures endémiques, fédère et crée une cohérence globale. Il pose les jalons de l’identité Guillestrine. Le second type d’espaces naturels diversifiant l’offre des espaces publics Guillestrins relève des espaces naturels et de ce que Gilles Clément nomme le « tiers paysage », soit les espaces naturels dits « résiduels ». Leur forme est de surcroit multipliée grâce au relief. Des promontoires naturels dominent les commune offrant sur elle des points de vue dominants comme le Pain de Sucre. Parmi ces espaces, nous pouvons également citer les falaises des gorges du Guil, investie par un secteur d’escalade de grande ampleur appelé « Rue des Masques », ou encore les berges des torrents du Chagne et du Rif-Bel. La diversité paysagère est la force de l’espace public de Guillestre, multipliant ses états, ses typologies et les micro ambiances générées. 2.E/ La subversivité des usages et l’intensité de la sociabilité. Ce cinquième principe est directement lié au point précédent. Il s’agit de tous les usages qui sont rendus possibles par les espaces agricoles (figure 25), naturels et urbains (figure 26) dans le contexte alpin. La diversité est telle qu’une forme de sur-mesure est permise. Les habitants peuvent choisir un espace caché où se retrouver seuls ou entre amis, un espace au contraire grand et dégagé, une vue tournée sur la vallée de la Durance, une autre sur les gorges plus étroites du Rif-Bel. Un espace en pente ou un espace plan, un versant au soleil ou à l’ombre, un lieu où observer le grand-Duc et un autre où apercevoir les chevreuils, les vaches ou les marmottes… Le panel offert d’activités relève du groupe, du sport, de l’introspection, de la stimulation intellectuelle, de la sortie diurne ou nocturne. Ces usages sont alors démultipliés par la saisonnalité. La neige catalyse des usages hors et dans le tissu bâti (déneigement anime les rues, escalade des tas de neige formés par la DDE, marche en raquettes dans la rue, luge sur un champs…). L’ensemble de cette offre ne sollicite pas d’installations artificielles préalables. C’est le terrain de la spontanéité, ce qui stimule d’avantage encore les actions. Les recherches ont mis en exergue l’applicabilité du concept de sociabilité diffuse de Denis Delbaere dans le territoire

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contexte des Parcs Naturels Régionaux. Le sentiment communautaire n’est plus celui du lien social fondé sur la rencontre de l’autre, qui plus est dans des territoires majoritairement porteurs d’habitats individuels, mais il tient d’avantage au lien paysager. L’entre-soi n’est plus lié au vécu, mais à l’image. Anne Sgard alerte également sur l’identité villageoise créée sous la seule bannière du paysage. Pour elle, cela génère un ciment commun factice qui cache au contraire une partie de la réalité. Elle défend que l’engouement à associer la préservation du paysage au bien commun répond à un besoin de « conjurer les dérives du discours identitaire » (Sgard, 2018). Il est mobilisé comme un matériau de construction et d’expression d’identité et d’altérité, construit l’accord mais aussi l’exclusion. Elle revendique que « formuler les enjeux en termes de bien commun oriente le débat vers l’espace public, (…) ses usages, ses règles » et on parle d’intérêt général, de vivre ensemble, de préservation assurant une transmission plutôt que de repli identitaire. Cette digression est surtout là pour rappeler les enjeux qui reposent dans le dessin et dans la mise en œuvre de l’architecture et de l’espace public, quant à la capacité de créer de l’identité et du lien, et à être le reflet d’un territoire localisé ici, et maintenant.


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Figure 24. Le Guillestre agricole, limites franches et imbrications.


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Figure 25. Usages générés par la présence du plateau agricole.


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Guillestrin, de par cet éclatement des usages. Néanmoins, si cette idée en ville de plaine génère, selon l’auteur, un affaiblissement de la vie sociale comme cadre d’échange et serait le témoin d’une « solitude collective » de par ces distances gardées avec autrui (Delbaere, 2010), ces conclusions sont requestionnées à Guillestre. Les théories avançant que le paysage joue un rôle fédérateur pour les individus (Charmes, Besse) ont largement été vérifiées lors des ateliers et des questionnaires, où 46% des nouveaux habitants affirment que ce qu’ils ont le plus changé depuis leur arrivée est le rapport à la nature, et 48% des participants s’accordent à dire que si l’appropriation des espaces publics est possible, c’est que les Guillestrins ont l’habitude d’être dehors et qu’il existe un respect implicite et partagé de l’environnement. La montagne réunissait les humains par ses contraintes, elle le fait aujourd’hui, d’avantage encore, par les intérêts qu’ils défendent. L’autre est finalement notre alter ego. A une autre échelle, c’est ce phénomène que l’on retrouve lorsque l’on croise un randonneur sur un sentier, et qu’un échange d’expérience autour de la beauté et des obstacles rencontrés s’opère. La proximité sociale n’est pas affichée par la concentration physique des individus dans un même lieu, mais par l’appropriation et l’intensité de l’espace vécu qui induit une relation forte à l’espace public. 2.F/ les nouveaux communs a Guillestre. La notion d’espace public connait une notoriété qui interroge. Si l’usage abusif de cet outil relève d’avantage du marketing urbain, il ne peut être minoré la demande récurrente des habitants de toutes communes de « plus d’espaces de rencontre ». Pourquoi cette demande aujourd’hui, et qu’est-ce qu’une espace de rencontre ? Qu’est-ce qui fait commun à Guillestre ? Premièrement, il apparait évident que la logique de société agraire dans un milieu aux contraintes climatiques importantes a favorisé le développement de la culture du commun et de la mutualisation. L’héritage agricole très présent à Guillestre se traduit, comme évoqué précédemment, par une porosité dans le tissu urbain, mais aussi par des formes contemporaines d’espaces communs. Ces formes coopératives permettent de compenser le cadre familial qui régissait le monde agricole dantan. Un agriculteur interrogé dans le cadre du mémoire relate : « Avant y avait beaucoup plus d’exploitations mais comme elles étaient petites et qu’y avait de la main d’œuvre dans les familles… les gens avaient 2,3,4,5 hectares à travailler. Il y avait pas besoin de collectif. Après dans les années 70 les CUMA se sont développées, donc pour le matériel ça nous a un peu concerné ici. Après y a eu les coopératives au niveau des laiteries, du ramassage du lait. Puis l’abattoir repris en gestion avec un système coopératif. » La mutualisation n’était pas seulement vitale en montagne pour l’agriculture, mais pour l’ensemble des tâches quotidiennes. Si elle ne l’était pas, elle pouvait être imposée, comme par les fours banaux obligatoires, renforcés par l’interdiction de construire des fours individuels. Mais quels espaces génèrent encore des rencontres aujourd’hui, dans l’ère de l’individualisation des modes de vie ? Quels besoins ne peuvent être assoiffés individuellement et créent, de ce fait, de la sociabilité sur l’espace public ? Il y a évidemment l’offre culturelle et les animations générées par les lieux liés à la restauration (bars, cafés...). Les activités liées au sport sont également fédératrices (du terrain de pétanque aux rassemblements de coureurs dans les parcs ou sur des quais, site d’escalade). L’un des avantages reconnu de l’environnement montagnard est sa capacité à rendre possible ces pratiques sportives qui peuvent être individuelles et sociales. Nombre des réseaux des habitants de la Haute-Durance se sont fondés sur ces activités d’après les réponses au questionnaire. Ces exemples tiennent du récréatif. Un autre besoin qui mène à la rencontre est l’achat de nécessités. La rencontre est subie car elle n’est pas toujours choisie. Cela dit, des échanges apparaissent, d’autant plus dans cette époque où le Covid a largement réduit les lieux de la sociabilité au supermarché. A Guillestre, ce phénomène est accru car la petite échelle de la ville crée de la proximité. Les rapports avec les commerçants sont revendiqués par les habitants, comprenant le Carrefour du centre-ville. Outre l’intérieur du bâtiment, l’activité du parvis profite à la ville, et le parking du Carrefour est l’un des lieux où les plus jeunes se réunissent. Lors des ateliers participatifs, des joueurs évoquaient ces personnes âgées qui profitent du moment d’achat de leur baguette pour échanger avec les inconnus des fils d’attente. Le moment hyperfonctionnel de l’achat de nécessité peut-être un moment de sociabilité. Le lieu peut-il favoriser ces frictions par la superposition du capital social avec d’autres fonctions ? Si l’on extrapole ces observations, nous pouvons citer les polyvalences locales historiques (les églises faisaient office de mairie, les cimetières étaient les lieux de réunions extérieures), ou contemporaines (la cour de l’école de Guillestre sert de cinéma plein air l’été, le plateau agricole reçoit le festival des Artsgricoles). Des espaces publics qui ne cloisonneraient pas les fonctions par une répartition trop précise des actions permettent alors une forme de résilience des usages. Pour finir, la notion de tiers-lieux a été évoquée à différentes reprises par les habitants, dont certains étaient originaires de la région, comme la quintessence de la sociabilité. Les enjeux d’un tel espace seraient de créer un tiers-lieux


1/ APPROCHE DU PROJET 25 Figures 26. Usages divers générés par la variété de types d’espaces et la saisonnalité.


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qui répondent aux problématiques du terrain, et pas seulement calquer ces établissements urbains en montagne. Pour terminer l’offre d’espaces communs urbains, il est important de noter que la mairie de Guillestre possède une politique valorisant le communal. Malgré ses 2400 habitants, la commune possède un gymnase, une salle de concert, une bibliothèque, une maison de retraites et des équipements scolaires (de la crèche au collège), et la mairesse se bat pour leur préservation. Également, une « maison des citoyens », soit un tiers-lieu est justement en cours d’étude, et une maison médicale va être construite. Bien que situé dans un territoire touristique, Guillestre n’en oublie pas moins ses habitants à l’année bien qu’ils ne constituent que la moitié du parc immobilier. La commune est bien loin de la station ou de la ville-musée, et les espaces communs semblent les garants de ce qui fait ville. Nous prendrons pour appuie cette citation de Thomas Sieverts : « Le jour où les habitants d’une ville ne se considéreront plus que comme les clients d’un système administratif de prestations de services individuels, lorsque les compétences communales fondamentales se trouveront privatisées, on aura alors détruit les ultimes fondements d’un aménagement participatif disposant d’une légitimité politique, et on aura, du même coup, perdu toute possibilité d’identification avec la collectivité de la ville » (Claude, Sieverts, 2004). Pour finir, quittons le Guillestre bâti pour parler de ce qui fait le commun dans son espace public. Sans même évoquer la préservation commune pressante de ressources comme l’eau, il est un autre élément qui aborde cette notion sans supposer d’activité, c’est l’omniprésence de la nature. Là où l’espace public urbain propose une cohabitation en séparant strictement les usages, l’environnement naturel n’impose que ses propres contraintes, climatiques ou topographiques par exemple. Un respect partagé des milieux naturels existe chez les habitants de Guillestre, engendrant une forme d’acceptation des hommes entre eux, soit une cohabitation. A l’inverse de l’espace public du milieu urbain, cette cohabitation est d’avantage fondée sur ce qui fédère que sur ce qui sépare. Denis Delbaere hasarde que « la seule chose que nous sommes encore capables de vivre ensemble est justement cette contemplation collective des éléments, cette expérience furtive de la météo et de l’état de l’air. Peut-être est-ce là la clé d’une cohabitation durable » (Delbaere, 2010). (figure 27). Jean-Marc Besse formule plus explicitement cette idée en affirmant d’emblée que les paysages sont des ressources communes parce qu’ils répondent aux besoins humains, sociaux, psychologiques, et politiques (Besse, 2018). Cette pensée du paysage comme ressource commune est toutefois mesurée, notamment par la philosophe Catherine Larrère (Larrère, 2018) qui soulève que la mise sous cloche des parcs naturels peut amener à une ségrégation. Si elle prend pour exemple les parcs américains qui sont pensés sauvages, donc sans l’homme, un lien peut être tissé avec les confrontations des forestiers et des HautsAlpins au 19e siècle. Les premiers s’emparèrent des massifs pour les protéger de la déforestation, et les seconds ne pouvant plus exploiter une ressource qui leur était vitale, furent contraints de quitter la région, ce qui engendra la première exode des territoires Haut-Aplins, notamment vers l’Amérique. Ces exemples historiques qui témoignent de la diversité des regards sur un même élément considéré commun sont valables aujourd’hui. L’entretien mené avec un agriculteur Guillestrin dans le cadre du mémoire mis ce point en évidence, que ce soit avec la beauté du paysage qui reposait selon lui dans le « travail » d’une terre, ou sur des sujets comme cela de la reforestation naturelle des versants de montagne. Également, cette diversité des regards n’est pas statique et peut évoluer dans le temps, suivant la relation que les hommes entretiennent avec la ressource. Le transfert de l’outil agricole à l’objet patrimonial en témoigne, comme les Bisses du Valais en Suisse, ou à l’échelle de Guillestre, les tronçon de canaux suspendus, les cabanes agricoles et les clapiers.

3/ La notion d’espace public requestionnée par le commun.

L’ensemble des principes tirés des recherches autour de l’espace public guillestrin quitte le seul cadre urbain et démontre que le territoire montagnard requestionne la notion même d’espace public, de par la multiplicité des usages générés par le paysage, dépassant finalement le cadastre. Les deux remises en question majeurs sont : l’espace public a-t-il une échelle, puisqu’il sort désormais des limites du cadre bâti ? Et l’espace public estil une notion dont l’intensité est graduée, puisque les usages et les perceptions sur le terrain ont montré une relativité ? Une nouvelle notion apparait alors, plus juste car intrinsèquement liée au sol, à la ressource, et aux pratiques et à l’exploitation de ces deux élements : le commun. Parler de commun est finalement s’interroger sur l’une des composantes de l’espace public. C’est amener des outils intellectuels plus fins pour situer l’homme dans son milieu, et la relation entre ses droits, ceux des non-humains et ceux du sol (figure 28).


1/ APPROCHE DU PROJET 27 Figure 27. TOUR DES ASSISES, Un paysage qui demande le regard


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3.A/ L’échelle de l’espace public confrontée au « commun ». D’emblée, le paysagiste Gille Clément écarte la question de l’échelle en concevant l’espace public par le prisme du commun. Pour lui, l’espace public est « le commun ordinaire des villes ». Il est le résultat des subdivisions du sols en parcelles privées, le « reste ». Le commun rural est lui aussi un reste qu’il qualifie « d’ensemble morcelé d’accès à l’offre de nature, sans échange de monnaie, sans taxe d’habitation, sans loyer » (Clément, 2018). Il nomme le processus qui a engendré cet ensemble de restes : l’inversion du paysage. Si l’espace public apparait comme la forme de commun non pensée entre des formes bien pensée, le commun rural est le fruit de la reforestation naturelle, du démembrement, de la logique tournée depuis des années vers la machine, de terrains trop pentus et des délaissés agricoles. Là où le « commun ordinaire des villes » portent les usages des urbains, le commun agricole agit comme sanctuaire et abrite les espèces de faune et de flore chassées ailleurs. C’est le « tiers paysage »(1). La question des limites de ce qui fait espace public est alors transcendée par ce qui fait commun, amenant vers un système d’échelle plus grand. La gradation de l’espace public confrontée au « commun ». Une imbrication entre les pratiques de la sociabilité urbaine et contemporaine et le condensé d’espaces multiples, plus ou moins sauvages, a permis de saisir une gradation de ce qui fait espace public (figure 29). Croisons ces intuitions avec les concepts développés par Levy et Lussault dans leur « Dictionnaire de la Géographie et de l’espace des sociétés », pour dépasser la notion d’espace public au profit du commun. « Un espace commun est un agencement qui permet la co-présence des acteurs sociaux, sortis de leur cadre domestique – pour disjoindre ainsi espace commun et logement. Cet espace commun peut être pensé comme un espace de convergence et d’acte, au sens où des individus y convergent et y agissent, et interagissent avec les autres individus, mais aussi avec des objets, des formes spatiales » (Lévy, Lussault, 2013). Les auteurs théorisent alors trois « contrariétés » objectives qui permettent d’analyser les espaces communs. La première est celle du privé vs le public. Elle identifie ou non un propriétaire et permet de déterminer les pratiques légitimes sur l’espace concerné. Du simple fait d’être public ou privé, l’espace n’est pas affecté institutionnellement et juridiquement des mêmes valeurs et des mêmes potentialités d’usage autorisés. « Face à cette instauration collective de la définition des deux types d’espace, chaque individu est plus ou moins docile, intériorise et intègre plus ou moins les schémas prescriptifs, organise plus ou moins ses actes en fonction du cadre normatif. » Le second couple est l’intime et l’extime. L’intime tient du « moi moderne », et de son indispensable vecteur, l’intériorité, construction sociale fluctuante selon les évolutions des sociétés. L’« extime » se concentre sur la relation au monde que constitue « l’intersubjectivité », entendue comme le domaine de la relation subjective du moi (ego) à autrui (alterego). Ces interactions entre le moi et l’autre se retranscrivent à différentes échelles, du geste au message sans frontière sur internet. La mobilisation de l’intime et de l’extime est un droit. Il est acquis par tous, et l’exigence de protection de l’intimité peut redoubler celle de la préservation de la sphère privative. Intimité et privé suivent toutefois des logiques différentes puisqu’il est possible de trouver de l’intimité dans l’espace public. C’est une des qualités qui est recherchée pour la réalisation de certains usages sur le plateau agricole ou en retrait dans les délaissés forestiers. Ces propriétés sont l’un des éléments catalyseurs de l’atomisation des usages de Delbaere. Également, Lévy et Lussault évoque une forme « d’intimisation » de l’espace public, selon le vécu de chacun des individus et de leur expérience du lieu, qui le connote durablement. L’espace se pare alors de valeurs personnelles. C’est notamment la nature vécue comme cadre familier. Ces phénomènes sont favorisés lorsque les appropriations sont rendues possibles, comme la construction d’une cabane en forêt ou la mise en place d’une chasse au trésor. Ces constructions renvoient au concept de l’hétérotopie de Michel Foucault. Les auteurs notent également que les espaces privés sont aussi concernés par l’extimité, jusqu’à se voir configurée par elle : « le pub, le café, et tous les lieux privés où la rencontre est permise et recherchée en constitue de bons exemples ».

(1) Le tiers paysage est un concept créé par le paysagiste français Gilles Clément, afin de désigner l’ensemble des espaces qui, négligés ou inexploités par l’homme, présentent davantage de richesses naturelles sur le plan de la biodiversité que les espaces sylvicoles et agricoles.

Enfin, le troisième point évoqué est celui du couple individuel vs social. Il met en exergue les interactions entre les uns et les autres, suivant les normes sociales dites « systèmes normatifs non institutionnels, plus ou moins intériorisés et objectivables par les personnes, qui définissent et codifient les pratiques légitimes à l’intérieur d’un groupe, ainsi que les modes de relations possibles (et leurs transgressions reconnues), entre l’instance individuelle et l’instance sociale » (Lévy, Lussault, 2013). Cette contrariété trouve une résonnance à Guillestre entre les espaces du centre-ville, souvent évoqués par les participants des ateliers comme les lieux où « rencontrer des inconnus », et les moments vécus sur le plateau agricole où l’on se rejoint en groupe d’amis déjà constitué. Sans que la chose ne fût encore nommée à ce


A regards croisés, le paysage apparait comme une ressource commune, et le territoire montagnard semble être un véritable laboratoire de la notion de « commun ». Il en interroge les différentes notions (ressource commune, bien commun patrimonial, Bien commun, milieu commun…), à différentes échelles (de l’hyper local à l’échelle mondiale avec l’actuelle mobilisation pour sa protection), et sous des disciplines transversales (économiques, touristique, paysagères, nourricières). La notion de « bien commun » ou « d’espace commun » apparait incontournable. Le concept même d’espace public est-il finalement obsolète ou simplement exogène au territoire montagnard, et serait-il plus juste de parler de commun ? Toutefois, l’idée de commun doit elle-même être mesurée. En effet, si parler d’espace public est aujourd’hui utilisé comme un outil marketing urbain, faisant allusion à un (re)tissage des liens, à une co-production et à un lieu de l’expression voire de la liberté, parler de commun fait aussi état de raccourcit sémantique optimiste et rapide. En effet, une forme d’harmonie, de symbiose, se cache derrière le terme « commun », plus forte encore que derrière la notion d’espace public. Cette idée d’acte engage l’individu qui n’est plus seulement un usager mais un acteur, et dont l’ensemble agirait vers une même direction et pour une même fin.

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moment-là, ces ateliers participatifs Guillestrins ont permis d’analyser les représentations et les usages des individus pour en comprendre les systèmes normatifs et les situations spatiales engendrées. Lussault et Lévy diront : « Un tel exercice emporte le chercheur bien au-delà de la seule notion d’espace public, pour approcher le foisonnement des valeurs sociétales du moindre espace commun. Le concept intégrateur, dans cette perspective, devient bien celui d’espace commun, l’espace public ne constituant plus qu’une des modalités possibles de l’interaction spatiale. »


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Figure 28. Les ressources pour tous. Photos personnelles et Ledauphine.com


1/ APPROCHE DU PROJET 31 Figure 29. TABLEAU DES GRADIENTS D’ESPACE PUBLIC, Jacques Lévy - Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, p 366.


32 Figure 30. CARTE DES GRADIENTS D’URBANITÉ, Du naturel «sauvage» (en bleu) aux infrastructures urbaines de grande échelle (rouge).


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4/ L’atelier participatif comme support: retour sur le processus de recherche. (Gaëlle Privat) Je me suis dirigée vers un travail de mémoire sur les espaces publics afin de chercher comment dessiner une forme « juste », et pour cela, il semblait pertinent de commencer par regarder comment les individus habitent l’espace public de Guillestre, plus que les lignes du cadastre. J’ai entamé ce travail pour chercher une forme dessinée par l’homme, mais j’en suis ressortie avec un espace subjectif et mouvant. Egalement, je possédais une vision urbano centrée de l’espace public qui, en s’ouvrant au-delà du tissu bâti, interroge aujourd’hui la limite maximale de ce qu’est l’espace public. Quelle est la matière même de cette limite, est-ce lorsque la ville quitte notre horizon ? Cette question porte encore sans doute en elle cette vision urbano centrée. Afin de répondre à ces questions, j’ai mené une recherche composée de grandes étapes. Dans un premier, nous allons énumérer ces étapes et leur intérêt. Ensuite, je reviendrai plus en détail sur l’une d’entre elle traitant des ateliers participatifs. Je partagerai ensuite la manière dont les résultats des ateliers furent réinjectés dans le projets, puis je détaillerai les grands principes tirés et les questions générales qu’ils posent quant au dessin de projet, avant de conclure sur les limites de cette méthode et ses apports pour faire projet. 4.A/ Le processus. Je reviendrai brièvement sur le fait que les ouvrages traitant des problématiques liées à l’espace public en montagne, qui plus est dans le domaine de l’architecture et de l’urbanisme sont très peu nombreux. Nous ne reviendrons pas sur l’état de la recherche générale sur la question montagnarde en architecture et en urbanisme, mais seulement sur celle des espaces publics de ces territoires, tout aussi peu explorée. Il est un écrit particulier qui marque cette recherche, c’est celui de Emeline Hatt, que j’ai rencontrée en 2020 pour ce mémoire, mais sans doute était-ce trop tôt. Emeline est maitre de conférences en aménagement et urbanisme, et a publié des articles et une thèse, abordant ces espaces sous le thème du tourisme (Hatt, 2011). La focale est donc mise davantage sur les stations que les villes de vallée. L’auteure complète qu’en 1999 l’agence française d’ingénierie touristique publia un ouvrage pour les gestionnaires des stations qui met l’accent sur l’aménagement des espaces publics. En 2000, le dispositif des Opérations de réhabilitation de l’immobilier de loisir (ORIL), institutionnalisé par la loi S.R.U, consacre un volet à la réhabilitation des espaces publics en station. Si le sujet des espaces publics en ville valléenne est encore peu traité, il renvoie néanmoins à d’autres champs dont les problématiques sont finalement proches, à savoir les villes moyennes, la périurbanisation / rurbanisation, l’installation des néo-ruraux et les problématiques agricoles. J’ai donc entammé le travail par des lectures d’articles qui font état de la situation montagnarde générale, avant de me tourner vers des textes qui traitent de l’espace public en général (Paquot, Gehl, Delbaere), du périurbain (Charmes), du paysage (Besse), puis du commun (Giraut, Lévy, Lussault). Parallèlement, j’ai rapidement commencé à chercher l’information par d’autres biais, en menant de nombreux entretiens (chercheurs, mairie, CAUE, ONF, historienne, agriculteur, accompagnateur en montagne, habitants / tables rondes sur la question des friches industrielles alpins, ateliers municipaux, constitution de la Charte du Parc du Queyras) puis en créant moi-même un terrain propice aux réponses. C’est cette phase là que nous allons abordée. Il convient de rappeler qu’une posture vis-à-vis de l’espace public à guidé ce processus (soit celle de privilégier les usages), et l’exploitation d’un outil qui m’est relativement familier du fait des études (le dessin). Penser les espaces publics par les usages, comme nous l’avons évoqué plus haut, à son sens tant les frontières privé/public sont mouvantes en montagne. Egalement, et c’est certainement un postulat que je pose, j’ai le sentiment qu’ un projet qui a du sens et qui fonctionne, est un projet qui est approprié par les usagers, dans leurs habitudes et leurs représentations. L’architecte doit alors regarder là où, sur un site et un territoire, les habitudes et les représentations des individus créent du conflit, et là où celles-ci peuvent être sublimées. Nous reviendrons plus tard sur les résultats concrets appliqués au projet de cette approche. Enfin, pourquoi le dessin? C’est en dessinant que l’on observe réellement. La retranscription de ce qui est vu induit une sélection, et de cette sélection, et de la répétition de certains éléments émerge une tendance soit une des entités qui structure l’espace. Ce n’est ni une vérité absolue, ni un support exhaustif, mais c’est un outil qui permet de mettre au jour l’une des réalités d’un lieu. C’est en l’occurence l’approche que j’ai développée pendant mon stage de recherche à l’Atelier 43 évoqué en introduction, qui utilise le dessin comme outil de recherche. Egalement, dessiner depuis les trottoirs, c’est montrer la


35 Figure 31. SUGGÉRER QU’ENTRE LES LIGNES DE L’AMÉNAGEMENT S’INSCRIVENT DES PRATIQUES. Mathias Poisson, 2009, « Entre les dalles », promenade dans les architectures modernes et labyrinthiques du Colombier à Rennes.Strabic.fr.


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ville à échelle du parcours de l’homme, le rez-de-chaussée plutôt que le toit de l’immeuble. Il parait évident de l’utiliser au profit de cette posture qui favorise les usages. Le domaine de la recherche dans lequel ce procédé trouve écho est celui des cartes sensibles. La première étape de recherche présentée plus bas s’inspire justement du travail du plasticien et dessinateur Mathias Poisson (figure 31). Pour lui, la carte n’est pas un «double mimétique de la réalité, mais un double analogique». Il choisit une entrée (Métropole labyrinthique par exemple), qui guide alors ce qu’il représente, au pas à pas, et son mode de représentation (projections protéiformes pour rendre compte de la complexité du parcours. Ces cartes montrent ce que Google Map ne montrent pas, et tout l’enjeu est dans la valeur synthétique et analytique. Initialement, je pensais utiliser ce support pour les ateliers participatifs, puisqu’à l’inverse d’autres cartes types IGN ou cadastre, il ne faut pas de savoir particulier pour les comprendre. Néanmoins, je suis revenue sur ma décision et j’ai utilisé une vue aérienne pour sa neutralité et ses dimensionnement plus proches du réels. L’idée sous-jacent était de n’orienter en rien les retours des participants, et qu’ils puissent se repérer. A.1/ La carte in-situ (figure 30). Peu avant le Covid, je me suis rendue sur la commune liée au mémoire, Guillestre, pour y dessiner une forme de carte sensible. Elle n’est pas exhaustive, mais elle s’est construite entre les données de géoportail quant aux types de culture par exemple, et l’avancée sur le terrain. Elle tente donc d’être précise sur la richesse des élements qui constituent les espaces publics dans le tissu bâti et agricole, relevant les clapiers (amas de pierre formé par les hommes en nettoyant leur champs), les arbres particuliers, les cabanes, les traces de feux de camp, les bancs déplacés, les arbres où se trouvent plein d’oiseaux dans le bourg, les potagers privés... C’était une chasse aux traces d’usages et à ce que j’appelle les «micro ambiances». Dans son dessin, j’ai choisi de distinguer 4 couleurs selon les typologies d’espace (nature «sauvage», agricole, pavillonnaire, équipements urbains), ce qui a immédiatement montré la répartition nette de ces entités sur la communes. Les imbrications, plus timides, sont aussi visibles. > Cet outil a permis de saisir ce qui physiquement constitue l’espace public, mettant au jour qu’il est plus juste de parler «des» espaces publics à Guilletsre. L’intérêt pour le chercheur est cette amorce à la connaissance du lieu, l’objectivité du vu. A.2/ Les ateliers participatifs (figure 32). Cette étape est intervenue durant l’été 2020, notamment pour compenser avec les observations des usages qui n’avaient pû être réalisées. Pour dépasser ce que l’on peut voir, les ateliers ont été pensés de manière à rendre les participants actifs, de les questionner sur leur propre vision et usage de Guillestre plutôt que sur leur relation à la notion d’espace public. L’organisation s’est faite dans un local communal, afin d’officialiser la démarche, la communication s’est matérialisée par des affiches dans la commune (figure 33), de nombreux partages sur les groupes facebook, et l’évènement a été relayé par deux journaux locaux. Egalement, 8 séances ont eu lieu pour un total de 19 participants. Pour finir, deux scénarios ont été écrits: les premières séances portaient d’avantage sur les représentations des Guillestrins de leur ville, et le terme «espace public» n’était pas cité; et les secondes séances pointaient les usages et actions des habitants sur leur commune, et dans les espaces publics. Cette méthode a mis au jour une demande forte (mais pas directement formulée) d’imbrication entre le nature et le social, que ce soit en terme d’actions ou d’espace (la version alpha étant la demande d’espace vert dans le bourg ou la demande d’un espace où pique niquer au bord de l’eau). Cette imbrication existe finalement déjà, mais elle n’est visible que par les usages, et non pas par les espaces. C’est à posteriori que je m’en suis rendu autant compte. Paradoxalement aussi, cela a amplifié cette intuition d’entités cloisonnées. Une citation qui l’illustre (et partagée par l’agriculteur interviewé) est de parler de «retour à la civilisation» lorsque l’on quitte le plateau agricole pour retourner dans le tissu bâti. > Cet outil a permis de faire émerger ce que l’espace public physique ne montre, soit le Guillestre des usages (figure 34) et le Guillestre des images. L’intérêt pour le chercheur est de dépasser ses préjugés, et d’approcher une certaine objectivité de la relation des habitants à leurs espaces. A.3/ Les questionnaires. Leur création est directement issue des jeux mis en place pour l’atelier, l’idée étant de diffuser la recherche auprès d’un maximum d’interlocuteurs pour approcher des résultats plus objectifs. En effet, les ateliers ont rassemblé des habitants plutôt jeunes grâce au bouche à l’oreille de mes connaissances sur places, alors


37 CHARMES Eric. (2019). La revanche des villages, essai sur la France périurbaine. Paris : Seuil

MALLE Marie-Pascale, HELLER Marc, ROUCAUTE Gérard, PEGAND Nathalie. (1999). L’habitat du nord des HautesAlpes. Patrimoine architectural et mobilier. Inventaire Général DRAC. Aix en Provence : Edition patrimoine de provence

BESSE Jean-Marc (dir.), Paysages en commun, Les carnets du paysage, n°33. Paris : Actes Sud, p. 5-13

DIAZ Isabel. (2018). Massifs en transition. Vosges, Jura, Alpes du Nord. Marseille : Editions Parenthèses.

GIRAUD Gaël (2019, 8 janvier). Après la privatisation du monde. Conférence à l’Institut d’études avancées de Nantes. Récupéré le 25 Octobre 2020 de : https://www.youtube.com/ watch?app=desktop&v=qT3BZZ3rMJ8&feature=youtu.be

Figure 32. PUBLICATION DANS LE JOURNAL LOCAL DU DAUPHINÉ LIBÉRÉ.

DELBAERE Denis. (2010). La fabrique de l’espace public, ville, paysage et démocratie. Paris : Ellipses Edition

CLEMENT Gille (2018, 25 main). Espace public et paysage. Colloque international : L’espace public Intervention publique à la Société Française des Architectes. Récupéré le 09 Mai 2021 de: https://www.youtube.com/watch?v=XxxgwYoOYJ4


38 Figure 34. Affiche pour les ateliers participatifs.


39 Figure 34. ASSEMBLAGE CUMULÉ DES RÉSULTATS DE LA SESSION 2.

0

500 m

1000


40

que les questionnaires ont eu l’avantage d’obtenir un panel de sujets plus large, avec 63 individus: Ages : 38% de 40-65ans, 30% de 31-40ans, 22% de 24-30ans et 5% de 65-100 ans et de 19-23 ans. Sexe : 63% de femmes Département d’origine : 28% de Hauts-Alpins Commune d’origine (Hautes-Alpes inclus) : 12% + 200.000 hab– 49% 30.000 à 2.000 hab – 31% - 2.000 hab Domaine professionnel : 22% lié au tourisme – 12% social – 11% aménagement du territoire – 8% culture Association : 81% d’adhérent à une association (majorité sport 32%, artistique/culturel 24%, environnement 16%) Résidence : 87% à l’année - 62% du total vivent en appartement – 41% du total ont un jardin privé Quelques une des questions posées se sont également affinées, grâce au support numérique et au retour d’expérience post-atelier, notamment sur la question des limites et des appropriations. Le questionnaire a mis en exergue la scission ville / «naturepaysage». Je lie bien nature et paysage car finalement, c’est d’imaginaire qu’il s’agit. L’imaginaire du naturel prend tellement le pas que l’on ne s’aperçoit pas de la vraie différence entre les perceptions (vie «à la montagne» et pas «à la ville de montagne») et le vécu (réalité de l’omniprésence routière, etc). Le pouvoir du paysage pose question sur la position de l’architecte. Un paradoxe un peu similaire se lit au travers les valeurs sociales à Guillestre où, d’un côté la majorité des habitants disent habiter «un village» plutôt qu’une «petite commune» / mais la réalité est celle d’une majorité visible de frontages stériles (pavillonnaire mais aussi centre médiéval). Cela dit, là encore, les frictions se mesurent dans les actions plus que dans l’espace. Il y a quelques appropriations de seuil ( citées en partie précédente et que j’ai divisé en 3 catégories: décorative / une pièce en plus pour les objets, soit stockage / une pièce en plus les humains, soit tables à manger...), et des appropriations de l’espace public qui produisent des actions informelles et subversives. Cela dit, celles-ci sont surtout situées hors du Guillestre bâti ( actions liées au sport / repas / enfants). > Cet outil a permis d’objectiver d’avantage les résultats des ateliers. L’intérêt pour le chercheur et d’approfondir les tendances qui se dessinent et les hypothèses qui s’infirment ou se confirment. Les deux étapes suivantes sont en cours ou à venir: A.4/ La carte sensible du projet. Dans le cadre d’un PFE, la création d’une carte sensible qui identifie les différentes micro ambiances traversées et les usages supposés permet de réinjecter, par le dessin et par la localisation, les ressources sur lesquelles nous nous appuyons et celles que vous souhaitons exacerber. Le portrait reste cela dit subjectif puisque théorique et imaginé par nous-même. Il serait néanmoins intéressant de le confronter à des acteurs locaux comme la mairesse. > Cet outil est prospectif, il dépeind un récit urbain existant et amplifié. A.5/ Le projet «Rues des Ecrins» (figure 35). Pour terminer, l’idée de mettre en place une recherche plus focalisée sur la matérialité des espaces publics montagnards est apparue. Grâce à la bourse de la Fondation Eve Marre, le projet d’un relevé des dispositifs spatiaux qui constituent l’espace public du Parc National des Ecrins verra le jour en Septembre 2021. Le but étant, suite à ce parcours dessiné, de publier un livre et des cartes postales pédagogiques autour de ces problématiques, en y réinjectant l’ensemble des réflexions issues des recherches précédentes. > Cet outil est perçu non plus pour les intérets qu’il porte au chercheur mais plus directement à l’architecte. L’ambition sous-jacente est d’affiner mon regard quant aux dispositifs de gestion de la géographie (neige, relief) autre qu’urbains, et de comprendre ce qui fait les limites, que ce soit celles des seuils des bâtiments, et celles du tissu bâti au tissu non-bâti.


PRIVAT Gaëlle - ENSA Lyon - Master 2

RUES DES ECRINS, A LA RECHERCHE DES DISPOSITIFS ARCHITECTURAUX ET PAYSAGERS QUI DESSINENT LES ESPACES PUBLICS DES ECRINS Projet appuyé sur un relevé dessiné au Parc National des Ecrins (05)

Figure 35. Le projet «Rues des Ecrins».


Figure 36. Jeu du portrait chinois sur Guillestre: les lieux image.



1/ REPRÉSENTATIONS - SCÉNARIO ET RÉSULTATS DE LA SÉANCE 1 DES ATELIERS A/ LES LIEUX QUI FONT ADRESSE.

CONSIGNES: citer 5 lieux qui font adresse à Guillestre et y associer un mot. Le terme «espace public» n’était pas cité pour ne pas orienter. RÉSULTATS: réponses majoritaires autour des lieux du quotidien social et naturel, soit du Guillestre idéal et récréatif. APPARITION: une nature anthropisée, le plateau agricole est un parc urbain. EN NÉGATIF: lieux triviaux (supermarché, équipement routier) et eau (canaux, torrent) peu cités.

B/ LES LIEUX STRUCTURANTS.

CONSIGNES: représenter Guillestre. Support aidant: légendes imposées ou libre, dessin ou écrit. RÉSULTATS: présence routière centrale (réel nombre de rond point, Nationale pourtant hors de la commune...) sur les dessins / VS Guillestre pittoresque dans les retours écrits. L’eau apparait également, contrairement à l’exercice précédent. APPARITION: synthétisation de 3 entité: Guillestre bâti / Guillestre agricole / Guillestre routiers. EN NÉGATIF: abords (pentes forestières de Risoul au Sud et du Mont Cugulet à l’Est) peu voir pas représentés.

PM C/ LES LIEUX IMAGES.

CC

CONSIGNES: associer une des images proposées (images génériques) et son ambiance ressentie à des lieux dans Guillestre, quand écho il y a. RÉSULTATS: quelques porosités entre le «social» et le «naturel» contrairement au 3 entités distinctes de l’exercice précédent. Mais conforte l’idée que le naturel sauvage, certainement associé au grand paysage, est relégué hors la commune. APPARITION: pentes forestières du Cugulet et de Risouls apparaissent, contrairement à l’exercice précédent. EN NÉGATIF: pavillonnaire non représenté et nature sauvage située hors du cadre.

Figure 37. Le protocole des ateliers et leurs résultats.


2/ LES PRATIQUES - SCÉNARIO ET RÉSULTATS DE LA SÉANCE 2 DES ATELIERS A/ LES ESPACES PUBLICS DE GUILLESTRE.

CONSIGNES: entrée directe en collant la notion d’espace public, en demandant 3 exemples avant de définir ce qu’est un espace publis. RÉSULTATS: tous les lieux ont été cités selon leur usages, comprenant les espaces naturels et agricoles. La recherche de définition montre le polysémie et les paradoxes. Une recherche par l’altérité pour mieux en parler. Notion de pause et de contemplation plutôt que de trajets utiles, apparition non nommée de la stérélité des frontages (le pavillonaire est «un espace ouvert plus que public»)...

B/ LES PRATIQUES DANS LES ESPACES PUBLICS DE GUILLESTRE, partie 1.

CONSIGNES: cartographier différentes données par individu RÉSULTATS: -Limites de «la ville» ( définies par densité du bâti soit l’ancien tracé des remparts / équipements comme gymnase / rond point ou grand virage) -Les zones ignorées (le pavillonaire) -Ère de circulation piétonne (plus grande que limite ville_favorise impression de village, et produite par paysage_pas impression d’effort ou de vide) -Trajet piéton préféré / le plus fréquenté / évité (sans but mais le sens de marche est particulier / utile / lié aux voitures ou au tourisme) -Lieu préféré de jour / de nuit / le plus fréquenté (lié au naturel et très grande précision de l’endroit / lié au festif / lié à la nécessité) APPARITION: Deux rythmes de Guillestre, celui du piéton habitant / celui du tourisme et de la voiture Le paysage comble la sensation de «faire quelque chose», impact fort, induit son propre système temporel et spatial.

limites ville

zones ignorées

B/ LES PRATIQUES DANS LES ESPACES PUBLICS DE GUILLESTRE, partie 2.

ère piétonne

CONSIGNES: cartographier des actions qui sont aujourd’hui réalisables à Guillestre et celles qui ne le sont pas encore mais que l’on souhaiterait voir. Des actions été écrites et d’autres été à remplir, pour stimuler les idées. RÉSULTATS: Actions dominantes de nature sociale. Répartition entre deux polarités: le centre bourg (plus d’impossibilités listées, liées à des demandes hyperurbaines comme le désir d’anonylat ou de plus de boutiques, ou des désirs d’espaces plus naturels) et le plateau agricole (plus d’usages informels et subversifs). APPARITION: Emergence d’une hybridation naturel / social souhaitée, déjà en cours de réalisation là où elle est rendue possible. Finalement, une porosité visible par les usages plutôt que par la lecture spatiale de la commune.


46

B. L’outil majeur: l’atelier participatif (figure 37). Revenons à présent sur l’une des étapes majeures du processus présenté, celle des ateliers participatifs. Il est important de souligner que’aucune référence ne sera citée car les exercices ont été inventés, et de resituer les sujets, pour la plupart issus du bouche à oreille lié à mon entourage sur place. La tendance était donc autour de 30 ans, et aucun des participants n’était originaire de la région. L’ensemble des 19 participants fut composé de :

(Atelier test: expérimenter les exercices) YB, 29 ans, originaire du Jura, dans la région depuis ses études à Gap – Employé au Syndicat Mixte de Traitement des Ordures Ménagères du Guillestrois, du Queyras et de l’Argentiérois UM, 28 ans, originaire de Paris, dans la région depuis ses études à Gap – Accompagnateur en Montagne CC, 32 ans, originaire de Lille, dans la région depuis 4 ans – Plombier – (Vit à Gap) ML, 28 ans, originaire de Chambéry, dans la région depuis ses études à Gap – Animatrice à l’office du tourisme de Vars HV, 29 ans, originaire des Vosges, dans la région depuis 4 ans – Guide aux mines d’argent MP, 34 ans, originaire de Nîmes, dans la région depuis 6 ans - professeure de Yoga-Pilate – (Vit à Montdauphin) LM, 30 ans, originaire de Cannes, dans la région depuis ses études à Gap – surveillante dans un collège (Ateliers publics: divergences avec les ateliers initiaux en annexes du mémoire) LG, 34 ans, dans la région depuis 10 ans – architecte – (vit à Vars) MV, 36 ans, dans la région depuis 4 mois – ingénieur de formation, sans emploi au moment des ateliers GP, 29 ans, originaire de Paris, fréquente la région depuis 4 ans – designer – (vit à Lyon) CC, 30 ans, dans la région depuis 3 ans – sapeuse-pompière volontaire et vendeuse en magasin bio CV, 44 ans, dans la région depuis 15 ans – employée à l’Association Culturelle Sociale et Sportive du Queyras AG, 27 ans, originaire de Bergerac, dans la région depuis 3 ans – employée à l’Association Culturelle Sociale et Sportive du Queyras MeF, 27 ans, originaire de Bergerac, dans la région depuis 1 ans – Infirmière MC, 27 ans, dans la région depuis ses études à Gap - employée à l’Association Culturelle Sociale et Sportive du Queyras – (Vit dans le Queyras) MaV, 51 ans, dans la région depuis 25 ans – potière – (vit à Risoul) MF, 29 ans, originaire de Laroche Posay, dans la région depuis 3 ans – accompagnateur en montagne PM, 29 ans, originaire de Montpellier, dans la région depuis 2 ans – accompagnateur en montagne AM, 28 ans, originaire de Belgique, dans la région depuis 1 an – architecte d’intérieur de formation, sans emploi au moment des ateliers

B.1/ LES RETOURS QUANT AUX RÉSULTATS Les résultats des ateliers ont été mis en relief avec le questionnaire en ligne afin d’objectiver leur valeur. De l’ensemble de ces recherches, il résulte 3 types de rapport entre les habitants et Guillestre, apportant alors des fils pour envisager de faire projet avec les espaces publics de la commune. - RAPPORT À LA NATURE. C’est la dimension la plus essentielle à l’individu et au groupe. En effet, d’une part, une majorité des individus interrogés constatait avoir changé leur rapport à la nature depuis qu’ils habitent à Guillestre. D’autre part, un respect tacite et partagé est revendiqué, et un sentiment commun d’identité qui se rattache à la nature du territoire plutôt qu’à la commune ou un groupe d’humains domine. Outre le fait que le quotidien se déroule généralement entre plusieurs communes de la vallée, cela explique sans doute le fait qu’à la question «vous vous sentez habitant de...» la majorité réponde «des Hautes-Alpes» plutôt que «de Guillestre». Egalement, il est intéressant de constater que cette nature est mise hors la ville. Cette scission ville / nature s’est incarnée par


47 des citations comme «retour à la civilisation» en quittant le plateau agricole pour rentrer dans Guillestre, et elle est partagée du côté de l’agriculteur interviewé. Il y a ensuite l’apparition de deux natures, celle sauvage, de l’identité, liée au grand paysage, et la nature anthropisée de la commune, comme ce plateau agricole finalement vécu comme un parc urbain. Ce qui fait la qualité de ces espaces publics des abords naturels se trouve dans la multiplicité des usages qui s’y déroulent, et la stimulation des pratiques informelles. Le questionnaire est assez explicite puisqu’à la demande de situer des usages, 821 étaient placés sur des espaces publics naturels et 293 étaient situés dans le tissu urbain. Enfin, il y a une saisonnalité de ces usages qui s’éloignent du bourg à l’été, et s’en rapprochent à l’hiver. - RAPPORT AU SOCIAL. Si l’identité paysagère prédomine dans les imaginaires, il en est de même avec un idéal du village, également plus présent dans les représentations abstraites et les revendications que sur les qualités physiques des trottoirs. Le questionnaire montrait que 34 personnes disaient vivre dans «un village» plutôt que «dans une petite commune» (22). Néanmoins, des phénomènes d’ouvertures et d’échanges contraires à ce que le cloisonnement des quartiers par zone (pavillonnaire, industriel, historique, touristique) génère, apparaissent dans des actions habitantes. Il en va par exemple des appropriations des seuils dont on peut identifier 3 catégories (décorative / une pièce en plus pour les objets, stockage / une pièce en plus pour les humains, terrasse). Pour finir, deux espaces publics font office de polarité des actions et ont été pensés comme tels, soit les places Albert et Salva. Mais la réalité vécue est une diffusion généralisée des actions sur l’ensemble de la commune, et principalement sur le plateau du Simoust. - RAPPORT AU TOURISME. Enfin, le rapport au tourisme n’échappe pas aux «stratégies d’évitement» (Vlès, Berdoulay, Clarimont, 2005), qui se matérialisent très concrètement dans l’espace, avec un secteur touristique excentré et pensé pour être desservi par, voire uniquement, la voiture, et les usages implicites, comme la place Albert qui est plus pour les locaux et la place Slava pour les touristes. De manière générale, l’ensemble de ces résultats, soit la cartographie des données et l’identification de conflits latents ou déjà en place, tend à distinguer un Guillestre physique, d’un Guillestre des usages et d’un Guillestre des images.


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C. Les principes dégagés. Nous allons à présent lister les différents principes, et les questions qu’ils posent, issus de l’ensemble de la recherche, du mémoire au PFE. 1- EVOLUTION DE LA PENSEE VERS LE COMMUN - Les usages remettent en question ce qui juridiquement est espace public en montagne. Ce phénomène, accentué par la saisonnalité des perceptions et des autorisations tacites (la traversée des champs, lorsqu’ils sont enneigés, pose moins problèmes aux agriculteurs), requestionne le cadastre et l’unité qui mesure la publicité d’un espace. Il m’est alors apparu l’hypothèse d’une gradation des espaces publics suivant la densité des usages qu’ils génèrent. La question s’est posée du qualificatif à attribuer. L’espace partagé parle des humains entre eux. - La notion du commun a ensuite emmergé, en toute fin de mémoire, semblant plus juste puisqu’elle parle aussi d’usages et de partage de l’humain avec le non-humain et le sol. Au-delà du sens qui parait alors évident dans les territoires montagnards, de par l’environnement naturel et fragile, cette notion, pré existante mais non «nommée», est historique des modes de vie Hauts-Alpins. Le mémoire détaillait à ce propos les nombreux exemples de ce qui faisait le commun, de la mutualisation saisonnière des espaces au regroupement des compétences et des fonctions dans un même lieu. > PLACE DU DESSIN DANS LE COMMUN - Ce glissement vers la notion de commun pose alors différentes questions pour le concepteur et sur son rôle éventuel. Quelle est la place de l’intervention et du dessin dans le commun ? Le commun se dessinet-il puisqu’il parle de ressources qui transcendent l’humain et l’échelle même de sa durée de vie sur terre ? Peut-être que le dessin trouve sa légitimité en servant la gestion, donc la pérennité de la ressource? 2 - SPECIFICITES FORMELLES : LA MICRO AMBIANCE - La force de l’espace public Guillestrin est sa diversité, sa composition dessinée par ce que j’appelle « micro ambiances ». Il est important de nommer qu’elles sont aussi bien présentes dans les espaces naturels que bâtis. Dans les premiers, elles se matérialisent par des changements de relief, d’exposition au soleil et au vent, de la densité et du type de végétation, de l’activité humaine et de la présence d’éléments particuliers comme l’eau avec les typologies d’espaces qu’elle génère. Dans les seconds, les micro ambiances sont produites par les adaptations au relief, les strates du temps qui sont généralement plus visibles que dans les espaces naturels. Elles sont aussi fabriquées par le rapport du bâti à la rue, que ce soit les façades ou les seuils, les ouvertures ou les époques constructives, ou encore, par la présence d’infrastructures particulières, plus ou moins imposantes. Cela dit, les Guillestrins rencontrés dans les ateliers semblaient percevoir bien plus ces micro ambiances naturelles qu’urbaines. Ou du moins, pour mon œil moins averti, ils pointaient sur une carte qui montre un plateau de champs semblables, les moindres variations engendrant des pauses dans le parcours. - Cette diversité de micro ambiance est renforcée par un territoire dessiné à la petite échelle. Le bâti est originellement serré et dense pour palier aux contraintes météorologiques, et le parcellaire agricole est morcelé, répondant aux outils agricoles dantan et à la succession de propriétaires sur une surface limitée par la topographie. Déambuler dans l’espace public Guillestrin, c’est traverser de nombreuses séquences paysagères. Ces spécificités se retrouvent à l’échelle de la vallée. > PLACE DE LA NOTION DE PROJET - Confronter les analyses de ce qui constitue physiquement ces espaces publics du pas à pas avec l’exercice de conception par PFE pose la question du temps court du projet et de l’arbitrage, à un moment donné, d’un dessin global. 3 - USAGE GLOBAL ET DIFFUS DES ESPACES - La spécificité des micro ambiances, autrement dit la diversité spatiale, renforcée par la diversité saisonnière multiplie les possibilités d’usages et leurs lieux d’expression. - La nature est alors anthropisée car totalement intégrée dans le quotidien des habitants qui ne la regardent plus comme telle.


49 Figure 37. Résultats de la démarche.


50

- Les Guillestrins pratiquent l’ensemble de l’espace public en suivant les lignes des chemins, en respectant de manière tacite et relativement visible leur environnement. Sur le terrain on ne voit pas trop de déchets. Par altérité, le fait qu’un groupe de lyonnais aie équipé illégalement tout un secteur d’escalade le montre aussi… Il y a cependant quelques conflits d’usages, certains sont conscients (motocross) et d’autres moins (traversée des champs). > PLACE DU DESSIN DANS L’INFORMEL - La réalisation d’actions inattendues et non pensées pose de nombreuses questions pour le concepteur. Beaucoup des usages sur les espaces publics Guillestrins sont informels, avec une majorité située en dehors de l’espace bâti. Cela témoigne d’une certaine autonomie et liberté de la population qui attend peut-être moins d’initiatives des pouvoir publics qu’ailleurs. Cela pose la question du dessin de l’informel. Les interventions dans les espaces publics doivent-elles être seulement ponctuelles, sur les zones de conflit identifiées ? Ce que nous appelons conflit concerne les humains entre eux (conflit d’usage) et avec les ressources (conflit de gestion). Cette approche semble en tous cas cohérente à la notion d’économie de moyens récurrente dans ces territoires. Mais alors, l’enjeu du concepteur serait non seulement de répondre à ces conflits, mais également d’amener le projet plus loin que sa seule dimension fonctionnelle. Le concepteur doit résoudre et révéler.

4 - EVOLUTION DES ESPACES PUBLICS – vers une scission nature / urbain -Les espaces publics urbains ont été modelés par la «voiture» qui s’est imposée, et par des logiques constructives plus en accord avec les modes de vie contemporains (les modes d’habiter d’hier présentent leur incompatibilité aujourd’hui: bâti très dense, accès à la lumière et à la vue difficile). - L’existence de demandes citadines m’a surprise dans un premier temps (crotte de chien, espaces verts…). Je ne m’y attendais pas, au vue de la proximité à la montagne et de l’échelle de la commune. C’était alors avant de constater une coupure entre l’idée du «naturel» et l’idée de «l’urbain» à Guillestre. Finalement, cette coupure se matérialise aussi sur le terrain physique par une limite nette entre le tissu agricole et le tissu urbain. A la fois cet écart est alimenté par une population citadine, mais à la fois aussi, cette population semble formuler un besoin de plus d’imbrications du naturel dans le tissu bâti. Il semblerait qu’il s’agisse d’un besoin de «sol» pour les usages qu’il permet (aller manger sur l’herbe entre midi et deux) plutôt qu’un besoin de paysage. Néanmoins, retrouver dans le tissu urbain des lieux qui incarnent le naturel permettrait peut-être aussi aux habitants de d’avantage se reconnaitre dans leur commune. En effet, le paysage développant un imaginaire fort, les Guillestrins se disent plus habitants des HautesAlpes, donc du grand territoire, que de Guillestre, et ce sont ses abords qui, pour eux, font l’identité de la ville. > PLACE DU DESSIN CONTEMPORAIN - Je m’interroge alors sur la forme des espaces publics, sur ce territoire, aujourd’hui. Quelle est la justesse entre local, paysage, et population du 21e siècle ? J’ai l’intuition d’un style régionaliste critique qui parlerait et répondrait à son lieu, et à son temps. Je ne parlerait ici que d’intuition, car ce sujet reste à explorer, ainsi que celui de «l’identité», des questions que cela soulève à savoir qu’est-ce que l’identité, pourquoi l’identité, et qui ou qu’est-ce qui la détermine? > LOCALISER LE PROJET - Confronter les théories au projet a fait émerger le sujet de la gestion des éléments physiques, en réussissant à se détacher d’une culture trop urbaine. Cette recherche du dispositif a enclenché le projet de tour des Ecrins. - Il est encore difficile, dans le projet, de trouver la justesse de dessin dans le tissu urbain. Dans l’environnement agricole du plateau, cela parait plus évident, par des interventions ponctuées, faites de matière végétale ou minérale endémique. Dans les espaces publics bâtis, une variété de réponses se confondent. Des matières comme le béton désactivé émergent et répondent aux fonctions nécessaires (usages, pérénnité matériaux...) mais posent question, si il y a lieu d’être, sur l’écriture très urbaine. Également, les théories développées m’amèneraient à penser l’intervention depuis le terrain, au fil des micro ajustements, mais la question de l’écriture devient plus grande lorsqu’il y a des besoins de changements radicaux, comme la reconversion d’un grand parking. Il est également important de souligner, même si cela peut paraitre évident, qu’une intervention pensée de manière insitu et diffuse doit conserver, pour chacun de ses ajustements apportés, une cohérence globale. Cette cohérence,


51 identifiée au préalable, est déterminée par les grands enjeux, le sens, et le dessin que défend le projet. - Egalement, au même titre que le paysage transcende les perceptions des habitants, est-ce qu’il doit transcender l’architecture ? Est-ce réellement possible d’intégrer du « paysage », soit de mettre en lien avec l’environnement local, des espaces publics communément plus génériques comme ceux du pavillonnaire, en dépassant bien sur les problématiques purement stylistiques. - Concernant la structuration globale des espaces publics, les recherches liées au PFE m’ont prouvé que l’histoire du sol et des implantations est fondamentale, sans doute parce que l’on construisait nécessairement avec le site et des contraintes aujourd’hui abolies. Bien que les modes de vie aient évolués, les besoins primaires de l’humain et de ses milieux demeurent. Ce sont ces permanences qui sont comme une trame muette sur laquelle s’accrocher. D. LES RETOURS QUANT À LA METHODE Pour terminer, et en tentant d’être objective, quels furent les apports, les limites, les potentiels de ces méthodes, et dans quelles mesures cette approche est-elle réplicable? Il va sans dire que la conception personnelle que j’avais de la notion de, ou des «espaces publics» a largement évolué, comme évoqué plusieurs fois. Les glissements d’un regad urbano centré et basé sur les usages ont amené à questionner les échelles et le commun. Plus encore, être confrontée à l’exercice du dessin de projet, parallèlement à ces conclusions qui naissaient peu à peu, à soulevé, et soulève toujours, de nombreuses questions. Comment dessiner l’espace public? Problématique large et qui s’alimentera encore, au fil des expériences théoriques et pratiques. Les apports de cette recherche sont donc, pour le moment, surtout réflexifs. Plus de questions sont apparues que de réponses. Il me parait de ce fait que ce travail intervient au «bon moment» de mon parcours, soit au moment charnière de la formation à l’activité professionnelle. Le temps supplémentaire que je m’accorde avec le projet du Tour des Ecrins concourt en ce sens. Concrètement, les différentes étapes développées ont pris du temps mais ont été complémentaires les unes des autres, notamment pour pouvoir toucher à une certaine objectivité du regard. J’entends là aussi bien la multiplicité et la diversité des acteurs rencontrés, que les médiums utilisés, et que le recroisement des données. Le tour des Ecrins semble, en tous les cas aujourd’hui, la dernière étape avant de se confronter aux aléas réels du projet. Il est toutefois important de reconnaitre que la lenteur de ce processus semble difficilement conjugable avec le travail des projets en agence, puisqu’il ne s’agit pas du tout de la même échelle de temps. Mais peut-être, est-ce là un besoin de temps supplémentaire à revendiquer? Ce travail est donc comme une toile de fond pour affiner le regard, et devenir une forme de «spécialiste», en veillant toutefois à rester ouvert quant aux autres visions et aux autres manières d’aborder le projet. Enfin, si certains architectes praticiens peuvent se montrer sceptiques quant à l’exercice de «l’atelier participatif», il convient de rappeler que l’intérêt n’est pas d’y chercher une réponse ou un «brief» concret, au risque de rendre le projet superficiel et de le résoudre à des faits visibles comme la couleur des pavés ou la place d’un banc, mais bien de lire entre les mots ce qui constitue, au travers les habitants, les grandes lignes du territoire. En l’occurence, c’est l’approche que j’ai tenté de toucher en parlant d’un Guillestre physique, d’un Guillestre des usages, et d’un Guillestre des images. C’est ici alors, que travailler seul peut également trouver ses limites, puisqu’un unique oeil récupère et analyse ces données.


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53 Figure 38. Croquis réalisés en In Situ.


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