PRIVAT_GAELLE INTRODUCTION Vers les espaces publics : appréhender le capital humain de la Haute-Durance L’article présent concerne les villes de la Haute-Durance dans les Hautes-Alpes. Nous ne parlerons pas de la diversité naturelle de ce territoire rendue par l’altitude et la contraction dans l’espace (l’été de l’étage montagnard côtoie l’hiver des cimes) mais de celle des villes. Sur un trajet de 50 minutes en voiture, vous partez d’Embrun (6000 hab) à l’architecture témoin d’une riche histoire (ancienne sous-préfecture, évêché d’Embrun), déjà plus sudiste (tuiles), puis vous croisez Guillestre (2300 hab) située sur un plateau agricole, le village fortifié par Vauban de Montdauphin (146 hab) et classé à l’UNESCO, l’Argentière (2300 hab) ville industrielle qui mise aujourd’hui sur les pratiques sportives estivales, Vallouise (728 hab) village typique des Ecrins avec ses « fustes » et ses « fetes», et vous finissez à Briançon (11000 hab), constituée de sa ville haute (fortifiée) et sa ville basse. A cela s’ajoute les stations de ski surplombant la vallée. Si le contexte est posé, le sujet intéressé traitera de leur espace public. Le choix porte sur ces villes aujourd’hui peu étudiées, dans l’ombre des stations voisines. Néanmoins, celles-ci reposent sur un territoire qui, pour certains, sera refuge dans les années à venir, notamment avec la proximité de Marseille1. A l’heure où il n’est plus envisageable de concevoir l’urbain autrement que sous le prisme de la transition écologique, il semble nécessaire de comprendre ces villes valléennes pour ne pas reproduire les étalements urbains excessifs des Vosges par exemple2. Au-delà de la préservation des sols, rares en montagne, il est une question nécessaire que soulève la duplication des maisons individuelles : c’est l’espace public. Si l’espace public de ces villes de montagne peut souffrir du phénomène de périurbanisation, il peut également souffrir de la proximité de la montagne. En effet, pourquoi s’y intéresser lorsque les sentiers sont à quelques minutes ? C’est en station que ces séquelles sont les plus connues puisque les plus visibles. Mais qu’en est-il des villes de vallées ? Si l’espace public est, avant même une forme spatiale, le support des usages de la population, il semble intéressant de comprendre dans un premier temps qu’elle est cette population. De plus, l’hypothèse de territoire refuge avancée par certains, peut-elle déjà se vérifier dans un changement de population qui serait enclenché ? Quelle est donc la population de la Haute Durance aujourd’hui ? Pour y répondre, différents entretiens ont été menés (chercheurs sur la question des territoires montagnards et du tourisme, aménageur des territoires de montagne à l’ONF d’embrun, CAUE du 05, élus de l’Argentière et de Guillestre, architectes, professionnel du tourisme et habitants du Guillestrois-Queyras). Outre les données de l’INSEE, deux questionnaires rassemblant plus de 460 réponses ont été menés auprès de la population locale (via des groupes Facebook diversifiés, tous âges compris, et le journal d’Adscb regroupant des associations à Briançon) et des individus vivant hors des Alpes. Ce second relate à majorité des retours des 19-30 ans (70% soit environ 140 personnes), et des habitants de zones urbaines de plus de 100.000 individus (60% soit environ 120 personnes). Il n’est donc en rien représentatif d’une opinion générale, mais permet tout de même d’avoir une vision plus large et de déconstruire certains préjugés.
1 Plusieurs des personnes interrogées à ce propos rejoignent cette théorie comme un élu de l’Argentière-la-Bessée, une architecte au CAUE 05 d’Embrun, un restaurateur des territoires de montagne à l’ONF d’Embrun, un accompagnateur en montagne à Guillestre 2 DIAZ Isabel (dir), Massifs en transition : Vosges, Jura, Alpes du Nord, Marseille, Editions Parenthèses, 2018.
1/ DES NOTIONS PERMEABLES ET MOUVANTES L’habitant de la montagne, le « MONTAGNARD » Au-delà de la définition « Qui habite la montagne (…) ou qui en est originaire3 » , qu’est-ce qu’un montagnard ? L’idée originelle est celle d’un individu aussi robuste que son environnement, portant la patience et la solitude que l’on peut éprouver dans ces milieux. La littérature entretient cet archétype, à l’image du chasseur du « poids du Papillon4 ». L’idée plus actuelle, depuis la ville, est celle d’un individu vivant avec/pour/par son environnement. Il y a comme une superposition de l’idéal de montagne calqué sur son habitant. Avant il était isolé et puissant comme elle. Aujourd’hui il porte son rythme naturel et sain. En sommes, les qualités qu’on oppose à celles de la ville. Or, le « nouveau » montagnard est souvent un expatrié des villes, ou un jeune natif qui souhaite partir. Il est aussi un ouvrier étranger. Un vieux dantan. Il est un militaire. Un retraité de la métropole qui prépare sa transition depuis longtemps. Finalement, le montagnard devient un homme ordinaire. Ce qui fait sa spécificité, c’est sa motivation à s’installer/rester dans ce territoire. C’est, à l’inverse de la ville aujourd’hui, un choix motivé par l’environnement et la manière de vivre, qu’un choix professionnel et économique. A nuancer bien sûr, mais il est indéniable que les places et les secteurs sont limités en comparaison avec les grandes aires urbaines. Il est indéniable aussi, que ce qui retient les citadins à s’expatrier, au-delà du réseau privé, c’est le travail, la position sociale et le revenu. Les résultats des questionnaires vont dans ce sens : 17% (soit 38 personnes) des habitants de la Haute-Durance interrogés souhaiteraient trouver un travail dans leur domaine. Quant aux individus exogènes, sur les résultats rassemblant 88 personnes projetant de s’installer dans les Alpes d’ici 10 ans, 33 personnes attendant leur retraite ou l’arrivée d’enfants, 34 personnes ne l’envisageant pas et 80 personnes y restent ouvertes, le plus grand des freins à une installation est le travail. 119 personnes l’évoquent dont 55 pour un poste dans leur secteur, 28 pour une place similaire, et 36 pour « simplement » trouver un travail. Les freins suivants sont l’éloignement de leur réseau privé (72 personnes) et le manque d’équipement public (56 personnes). Les habitants des Hautes-Alpes ont donc fait le choix d’une vie particulière. Les raisons de leur installation ou de leur enracinement est à 53% le cadre de vie « montagne », puis 32% le travail et 11% parlent d’un changement radical. Il y a pour finir, parmi ces Hauts-Alpins différents types de « montagnard ». Si un montagnard était seulement un individu qui « pratique la montagne », autrement dit qui en fait un usage sportif (ski de randonnée, alpinisme…) alors certains parisiens, grâce au train de nuit, sont tout aussi montagnards. Les Hauts Alpin sont également investis dans leur montagne pour des raisons écologiques, culturelles, patrimoniales (121 interrogés sont membres d’une association sportive, 72 d’une association liée à la culture et 60 d’une association à caractère écologique). Enfin, la nature n’est pas seulement socle récréatif, elle est aussi paysage. Un montagnard peut-il être un habitant qui ne pratique pas, mais qui vibre chaque matin face à la vue qui s’ouvre sous ses rideaux ? La Haute-Durance, un territoire de « montagne » La Haute-Durance à présent, est le premier tronçon de la rivière éponyme de 324 km prenant forme à la frontière italienne pour rejoindre le Rhône en Avignon. Ce territoire s’étend de Briançon au lac
3 Définition donnée par le Centre National de Ressources Textuelle et Lexicales (CNRTL) : https://www.cnrtl.fr/ lexicographie/Montagnard. 4 DE LUCA Erri, Le poids du papillon, Paris, Gallimard, 2011.
de Serre-Ponçon à Embrun. Il est bordé du Parc National des Ecrins à l’Ouest et du Parc Régional du Queyras à l’Est. La vallée, d’origine glaciaire donc plus ouverte, jouit de l’effet de Foehn5 à l’origine d’un climat chaud. Les anciens diront qu’il y fait beau « 400 jours par an ». La vallée enfin est relativement accessible au Sud en voiture (Embrun Marseille 2h30), à Grenoble (2h30) et à l’Italie (Briançon Turon 1h50). Un train de nuit depuis Paris est direct. La Haute-Durance est avant tout une région montagnarde. Mais qu’appelle-ton montagne ? Au-delà des données liées à l’altitude (déclivité de +20% et altitude supérieure à 600 m pour 80% du territoire selon le décret de 1961), ou la présence de torrents, caractérisés d’avantage par leur transport de matériaux que d’eau6, la montagne est un territoire subjectif. Les habitants des Monts-Lyonnais se disent à la montagne, alors que les guillestrins considèrent que Gap en marque déjà la fin. L’altitude variant lorsque l’on parle de de moyenne montagne (1000 m dans les Alpes et 800 m au Portugal7 ou la position des villes de la Haute-Durance non pas considérées comme de moyenne montagne, alors qu’elles demeurent à une altitude inférieure à 1500 m (Embrun 870 m, Vallouise 1200 m et Briançon 1326 m) appuie que cette notion dépend d’un référent extérieur. Elle est également sujette à un idéal ou au contraire, un rejet. Enfin de par son pouvoir paysager, elle remplit une double fonction. A la fois elle nourrit un besoin fondamental de bien-être biophysique dont certaines qualités sont universelles (absence de pollution, lumière, calme), et à la fois aussi, ces besoins prennent une valeur marchande, étalant le luxe du temps libre, devenant objet de désir du fait de leur rareté et valorisant ceux qui possèdent ces privilèges au capital symbolique fort (habiter avec une vue sur l’ensemble de la vallée). 2/UN HERITAGE SOCIAL ET SOCIETAL HAUT-ALPIN Exploiter la vallée : Entre agro-sylvo-pastoralisme et industrie Nous avons abordé les notions de « montagnard » et de « montagne », axant directement le propos autour de la Haute-Durance. Etablissons un retour sur le passé de cette région, avant de tenter de déceler ceux qui en font le territoire aujourd’hui, en prenant avec mesure le fait que le discours historique peut être politisé et instrumentalisé. La civilisation originelle de la région était dite agro-sylvo-pastorale, basée sur une économie de subsistance, et elle atteint son pic en 1850. Il y avait 8500 habitants dans le Queyras contre 1600 en 1950 et 2300 aujourd’hui. En 1827, les Eaux et Forêts arrivent et interdisent le déboisement, ce qui sera à l’origine du premier exode rural vers Lyon et Marseille, la forêt étant le moyen de vivre des habitants. Certains d’entre eux émigreront en Amérique du Nord, rentrant une fois la fortune faite pour construire de grandes demeures, comme à Aiguilles8. En réaction à ce changement économique, les fruitières apparaissent afin de passer de l’élevage ovin qui dégrade la forêt à l’élevage bovin qui ne se rend pas sous les arbres, tout en créant une nouvelle filière économique pour les habitants. Le lait ne pouvait pas se vendre en montagne à cause des temps de déplacement, le fromage le peut. Parallèlement, il est une ville qui se développa tout autrement, c’est l’Argentière-La-Bessée. Malgré son nom, la ville n’exploitera pas les bouleaux mais le plomb argentifère et d’autres métaux comme l’aluminium. « L’Argentière a d’une certaine manière tourné longtemps le dos à la montagne, à l’exception peut-être des conduites forcées9 ».
5 Format paysage, pour le Parc Naturel Régional du Queyras, Atlas des paysages du Queyras et du Guillestrois, Chambéry, 2000 : L’effet de foehn est un phénomène météorologique. Dans la vallée de la Durance, les précipitations sont bloquées par les reliefs qui l’entourent. L’air qui y descend, dépourvu d’humidité, se comprime et se réchauffe en créant un vent chaud et sec : le Foehn. Il a permis le développement d’une formation pseudo-végétale pseudo-steppique. 6 GASDON Hervé, entretien du 3 Février 2020 : « C’est Alexandre Suresnes en 1841, ingénieur des ponts et chaussées qui alerte quant aux conséquences du déboisement sur les crues torrentielles, c’est parti d’Embrun tout ça. Il est le 1er à définir le torrent qui est une caractéristique des pays de montagne. . » 7 Définition des altitudes,site Le guichet du savoir : http://www.guichetdusavoir.org/viewtopic.php?f=2&t=48918. 8 GASDON Hervé, entretien du 3 Février 2020 9 BOURDEAU Philippe, entretien du 18 Janvier 2020
Un territoire transfrontalier : des échanges de ressources marchandes au tourisme Marquée par le passage de la Via Domitia, la région a toujours été le fruit de mélange, entre montagnes et lavandes. Outre sa position transfrontalière avec l’Italie, la Haute-Durance était le terrain de nombreux passages, notamment des armées (Louis IVX en particulier). L’héritage est toujours présent (IGESA à Mont-Dauphin, Infanterie alpine de Briançon). Les échanges sont aussi liés aux mondes agro-pastoraux, à l’exploitation des ressources (les radeliers qui transportaient du mélèze jusqu’au Rhône, le marbre vert qui a servi à la tombe de Napoléon) et à l’industriel (italiens et africains à l’Argentière). Ainsi, il n’était pas rare de voir à 5h du matin les ouvriers sénégalais partant pour l’usine, et les guides qui allaient retrouver leurs clients dans les rues de la ville10. Le train, arrivé à Briançon en 1884 a également participé aux échanges, mais a favorisé l’exode des habitants vers le Sud. Les axes routiers étant aujourd’hui toujours transfrontaliers, il est fréquent de rencontrer des routiers polonais. Le brassage le plus évident est lié au tourisme, longtemps perçu comme idéologie du progrès. Les Hautes-Alpes ont une histoire liée à la pratique du ski (première station en 1907 à Montgenèvre) et de l’alpinisme forte (l’anglais Edward Whymper célèbre pour le Cervin, est le premier à gravir en 1864 la barre des Ecrins, sommet le plus haut de France avant l’annexion de la Savoie). Audelà du développement en altitude de nombreuses stations dont Vars, pour laquelle Le Corbusier a réalisé les premiers plans, le tourisme apparait également en vallée. A l’heure où la valorisation est à l’activité hivernale, la construction du barrage de Serponçon (1959) créant le lac éponyme, engage un développement touristique estival tourné autour du nautisme à Embrun, et la désindustrialisation de l’Argentière engendre les sports d’eau vive et la première via ferrata au monde. De ce traumatisme engendré par la fermeture de l’usine Pechinay, l’Argentière en sortira précurseur, se construisant une nouvelle identité de porte de la haute montagne et établissant dès les années 80-90 une forme de diversification touristique11. Des voies d’escalade sont ouvertes, des itinéraires de canyoning, de cascade de glace, de parapente, de parcours acrobatiques en forêt, … Les aménagements ont assuré leur pérennité en s’inscrivant dans les nouvelles lectures de l’espace-temps récréatifs (séquences de pratiques plus courtes, temps d’accès réduits, multi activité, pratiques plus familiales…). Ce phénomène de survalorisation de l’espace valléen par rapport à l’espace de la haute Montagne a aussi été poussé par les contraintes imposées des réglementations du PNR des Ecrins (crée en 1973). Ce développement est preuve de la résilience de la région, et de sa possibilité de réexploiter les ressources qui lui sont offertes. Cette diversification permet une animation globale, an altitude l’hiver et en vallée l’été. Les résidences secondaires ne sont alors pas seulement en station, et bien que cela soit temporaire, le touriste y demeure un habitant12, mais aussi un ambassadeur de la région. Enfin, le dernier échange est à l’échelle transfrontalière et européenne. Cela passe par le discours historique, avec notamment l’épisode franco-italien des Escartons sur lequel nous reviendrons, perçu par certains comme un « collage ou un bricolage du temps entre passé et présent » car des élus des Hautes-Alpes ont senti avantageux de faire valoir leur rapprochement avec le Piémont notamment lors des JO de Turin et face à l’éloignement ressenti de la métropole marseillaise. Cela passe également par de nombreux projets transfrontaliers Alpins, comme le programme INTERREG Espace Alpin réunissant 7 pays.
10 BOURDEAU Philippe, entretien 11 BOURDEAU Philippe, « Interroger l’innovation dans les Alpes à l’échelle Locale - Un territoire en mouvement, le Pays des Écrins », 26 Mai 2009. Récupéré le 23 Mai 2020 de http://journals.openedition.org/rga/786 ; DOI : 10.4000/rga.786 12 LAZZAROTTI Olivier, « Habiter en touriste, c’est habiter le monde », 30 Juin 2018. Récupéré le 24 Mai 2020 de http://journals.openedition.org/tourisme/1484
Des revendications libertaires et alternatives : de l’éducation et du sport à l’écologie La Haute-Durance et le Pays des Ecrins ont très tôt été une région au désir de liberté, d’alternative, et de militantisme. En 1343 le Briançonnais achète sa liberté au Dauphin de France pour être autonome : c’est la période des « Escartons », l’impôt de contrepartie étant divisé entre Briançon, le Queyras, et en Italie Oulx, Pragelato et le Val Maira. Cette « petite démocratie » où l’on parle l’occitan et qui prendra fin à la Révolution française fut une véritable expérimentation de démocratie locale13. Parallèlement aux Cathares dans les Pyrénées, les Hautes-Alpes sont le territoire des Vaudois, précurseurs au protestantisme, qui réalisent une traduction de la Bible pour leurs pratiquants. Ces synchronismes s’expliquent car la montagne est un pays refuge. En 1824, la première école normale de France se trouvera dans le village de Dormillouse, établie par le pasteur Félix Neff14. Cette culture du savoir a conféré la possibilité aux Haut-Alpins d’exercer comme précepteurs l’hiver. Leur notoriété doit beaucoup à Victor Hugo, contredisant l’image répandue du « crétin des Alpes ». L’enseignement non laïque à partir de 1831 fut aussi un facteur d’immigration, des instituteurs s’installant dans les villes à l’année. C’est enfin à Vallouise que Célestin Freinet, instituteur communiste libertaire posa ses fondements pour créer les premières classes de neige dans les années 1960. La pratique de la montagne participera à la circulation des idées anti-conformistes et alternatives. Le même village de Dormillouse sera ranimé dans les années 1970 avec l’installation de néo-ruraux anarchistes Longo Maï et deux alpinistes en 1976 érigerint le drapeau communiste sur la barre des Ecrins. Pour finir, les guides, grimpeurs et alpinistes revendiqueront une pratique libertaire, refusant un certain niveau de confort matériel. La place des femmes est aussi significative, valorisées dès l’après-guerre par le manque de « seconds de cordée », et l’on voit pour la première fois dans l’histoire de l’alpinisme, une femme élue à la présidence d’un Syndicat national des guides de haute montagne à l’Argentière (2007). Si les alternatives et le militantisme étaient autrefois mobilisés contre l’ordre, ils le sont davantage aujourd’hui pour la transition écologique. Cette révolution de pensée n’est cependant pas propre aux Hautes-Alpes, elle est nationale. Le parti des écologistes se crée en France en 1984, et dès 1986 une liste est menée par Hervé Gasdon à Embrun, qui participera à l’effervescence des années 1980, faisant venir Pierre Rahbi, Vandana Shiva, Francis Hallé, Albert Jacquard... Les évènements musicaux changent aussi de visage, du bal musette à Bernard Lavilliers (Freissinières) ou Michel Petrucciani. Villargaudin aura le premier composteur collectif des Hautes-Alpes, et sera le premier village à éteindre ses lumières la nuit. Ce changement de mentalité s’est récemment généralisé. Les effets climatiques étant visibles à échelle humaine (l’enneigement annuel d’Embrun est passé de 60 jours à 10 jours) la majorité de la population se mobilise, bien que les élus puissent faire preuve d’opportunisme ou de non sens (raser 10 hectares de forêt dans le département pour y installer des panneaux photovoltaïque, sans inciter à une réduction de la consommation). Les agriculteurs se convertissent également, par conviction écologique et parce « qu’ils voient bien que c’est la seule possibilité pour eux15 » , ce qui rend le paysage des évènements liés, notamment au label AB, éclectique. Concernant la construction, les matériaux locaux et le savoir-faire tendent à être valorisés avec le label bois des Alpes, la valorisation de la rénovation à la chaux par l’ONF16, et l’école des Gabions et l’école des Compagnons.
13 GRANET-ABISSET Anne-Marie, « Une mémoire transfrontalière », 17 juin 2016. Récupéré le 23 Mai 2020 de : http://journals.openedition.org/hommesmigrations/3578 14 GASDON Hervé, entretien du 3 Février 2020 15 Ibid. 16 Ibid. : « c’est complètement antagoniste tu rénoves au pas au ciment sur de la chaux. Il a fallu que je fasse mes preuves, il a fallu que j’apprenne et j’ai aussi utilisé du ciment et puis au fil du temps je me dis non c’est pas possible on va utiliser de la chaux. A la fin j’ai réussi à faire des stages de formation d’utilisation de la chaux à l’ONF, c’est arrivé doucement. Mais la prise de conscience elle liée au fait aussi qu’à l’ONF y a des gens qui se posent des questions comme partout, et y avait un public qui était avide de ces informationslà. Donc on a fait beaucoup de rénovations à la chaux, on a beaucoup travaillé avec le Gabion. C’est une ouverture de l’ONF qui était impossible y a 40 ans. »
3/L’HABITANT DE LA HAUTE-DURANCE AUJOURD’HUI Une dualité démographique qui s’estompe : qu’est-ce qu’un natif ? Les Hautes-Alpes n’échappent pas aux divergences historiques, mais statiques, entre montagnards et citadin. L’initiative récente de Franz Weber en Suisse alpine en faveur du seuil de 20% de résidences secondaires a mis en exergue l’idéologie paysagère citadine face à l’idéologie localiste17 montagnarde. Dans la Clarée près de Briançon, il est encore des termes pour distinguer les natifs « gris » des non natifs « shadocks ». Cette fermeture s’explique entre autres par l’immigration aux Etats-Unis de ceux qui avaient les moyens intellectuels et financiers18. Il est un fait notable sur lesquelles toutes les personnes interviewées sont revenues : c’est l’investissement dans le territoire des non natifs. Philippe Bourdeau retrace l’innovante réinvention de l’Argentière en soulignant que les initiatives à la base sont individuelles ou micro-collectives, appuyées ensuite par les élus. « Le profil de ces passeurs, le plus souvent non originaires du territoire et détenteurs d’un capital spatial, culturel et relationnel largement ouvert sur l’extérieur, s’inscrit tout à fait dans la logique de multi-apparence géographique, sociale et culturelle généralement énoncée comme un schéma de base du processus d’innovation ». Au-delà des actions associatives, et à l’exception d’éternels fiefs comme la ville de Gap « gardée » depuis l’après-guerre, de nombreux non-natifs étaient aux têtes de liste des élections municipales (3 sur 5 à Briançon, l’ancien maire de Guillestre, la liste écologiste de l’Argentière…)19. Les impacts politiques s’en font ressentir. Philippe Bourdeau situe ainsi Joël Giraud, malgré son estime envers celui qui a remis l’Argentière sur pieds : « Il est du monde de la démocratie représentative, aujourd’hui de plus en plus obsolète à l’heure de la démocratie participative. » C’est ainsi qu’apparaissent de plus en plus d’ateliers « bottom-up », comme le forum participatif des municipales de Guillestre, dont l’un des participants dira « c’est un format qui vient de la ville ça ! ». Un autre phénomène du lissage latent entre natif et non natif est l’évolution sur le territoire de la migration d’agrément. Celle-ci se découpe en 3 types : la migration, soit totale, la migration alternante, favorisée par le raccourcissement des distances où seul le travail est délocalisé, et la migration multilocale, où la possession de plusieurs résidences multiplie les offres en termes de métiers20. Peu de chiffres permettent à ce jour de parler du phénomène de migration alternante dans la région, mais les aires urbaines de Turin et de Marseille sont peut-être la source de certaines de ces situations. Également, il sera intéressant de voir si l’une des suites de l’épisode COVID-19 est l’essor du télétravail, les mouvements de population ou pas vers les Hautes-Alpes. La migration la plus connue à ce jour est donc multilocale. La majorité des villes de la vallée possède plus d’un tiers de logements secondaires, à l’exception de l’Argentière (12,7% en 2016), et autour de 10% de logements vacants (14,9% pour le maximum à Guillestre). Si l’on compare les données INSEE de 2011 à 2016, toutes les villes voient leur nombre de logements croitre avec une courbe des logements secondaires supérieure. Les quelques communes au nombre de logements principaux qui augmentent ne sont ni celles qui ont des équipements publics importants, ni celles qui sont plus en altitude, autrement dit, ce sont des villes moins attractives où le terrain est sans doute le moins cher (Eygliers, Chateauroux-les-Alpes, SaintCrépin). Une étude plus poussée pourrait déterminer s’il s’agit là de l’installation de jeunes ménages par exemple, et si la hausse des logements secondaires dans les communes attractives témoigne bien d’une gentrification latente. Également, il s’agirait de déterminer si ces logements secondaires sont
17 PETITE Mathieu, « Les montagnards face aux écolos. Une énième déclinaison au travers de l’initiative Weber», 10 janvier 2013. Récupéré le 23 Mai 2020 de http://journals.openedition.org/rga/1864 ; DOI : 10.4000/rga.1864 Idéologie localiste : présentée comme étant endogène : elle vise à promouvoir un développement autocentré des « gens de la montagne » ou les « montagnards ». Elle aboutit à une coalition des « cantons alpins » qui sont toujours opposés aux cantons de « plaine » ou « urbains ». Dans cette campagne, cette idéologie s’est exprimée sous deux formes principales : limiter les résidences secondaires équivaut à limiter le développement des régions de montagne ; et ce développement doit être laissé à l’autonomie des populations qui les habitent. 18 GASDON Hervé, entretien du 3 Février 2020 19 Ibid. 20 Manfred Perlik, « Gentrification alpine : Lorsque le village de montagne devient un arrondissement métropolitain Les nouveaux résidents partagés entre amour du paysage et capital symbolique », 03 mai 2011. Récupéré le 23 Mai 2020 de http://journals.openedition.org/rga/1385 ; DOI :10.4000/rga.1385
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+6,1
54,6
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14,9
EYGLIERS
+1,8
+2,6
-4,4
61,9
35,8
2,3
CHATEAUROUXLES-ALPES
+2,2
-3,4
+1,2
59,6
31,2
9,3
SAINT-CREPIN
+4,9
+2,8
-7,6
53,4
44,2
2,5
VALLOUISE
-0,4
+0,2
+0,3
26,6
67,2
6,3
L’ARGENTIERE-LABESSEE
-0,5
+0,4
+0,2
74,8
12,7
12,5
EMBRUN
0
+0,9
-0,9
56,5
35,7
7,8
BRIANCON
-4,3
+4,8
-0,4
59,4
33,3
7,3
*Tableau établi depuis les données de l’INSEE
seulement utilisés ponctuellement à des fins touristiques, ou si ils sont des lieux supplémentaires pour le travail et la vie sociale21 ce qui laisserait supposer un certain investissement dans la vie HauteAlpine. La dernière question qui demeure, puisque les chiffres ne vont aujourd’hui pas en ce sens, c’est celle du territoire refuge face aux changements climatique, comme se l’accorde à dire la plupart des acteurs du territoire22. DES PHENOMENES INTER-ALPIN : une demande croissante de ville Les aspirations et les demandes que soulèvent aujourd’hui les habitants montagnards sont finalement très urbaines. Outre les problématiques liées au travail, que ce soit dans les questionnaires ou lors du forum participatif des élections de Guillestre, elles concernent le transport (18%). Il est entièrement dédié à la voiture. Des initiatives sont entendues (vélos électriques à la mairie de Guillestre, aire de covoiturage, arrêts de stop, navette gratuite à Embrun) mais d’autres sont tues comme à Gap, où le maire a refusé un débat lancé par l’association « Mobil-idées », dans une ville où a été instauré, il y a des années, la gratuité des transports en commun23. La demande d’équipement public et d’infrastructures médicales est également parmi les préoccupations récurrentes, sollicitées à respectivement 11% et 4%
21 Manfred Perlik, « Gentrification alpine : Lorsque le village de montagne devient un arrondissement métropolitain Les nouveaux résidents partagés entre amour du paysage et capital symbolique » 22 GASDON Hervé, entretien du 3 Février 2020 : « Face aux enjeux qui va arriver au niveau climatique, je pense que les HautesAlpes vont devenir un refuge, je perçois ça vraiment. Alors un refuge c’est intéressant pour ceux qui y habitent mais c’est ambivalent parce que d’un côté tant mieux pour ceux qui y sont mais Embrun par exemple c’est une ville pour riche.» 23 Ibid.
par des interrogés, dans une vallée où le tiers des habitants a plus de 60 ans. La France cartographiée par Jacques Lévy met en avant ce désert24. Une autre des grandes problématiques est le développement possible pour les jeunes. L’accès à l’éducation supérieure existe sur le territoire, mais il est faible et principalement ciblé sur les postes principaux de la région, comme la formation des métiers de la montagne de Gap. C’est évidemment en cohérence avec le territoire, mais cela n’incitera pas à une diversification professionnelle. Néanmoins, il est à soulever la pluriactivité proposée par la formation du Lycée professionnel d’Embrun. Celleci est non seulement adaptée au mode de vie saisonnier des Hautes-Alpes, mais permet également d’exercer au-delà du département, avec par exemple le bac pro de charpenterie couplé au monitorat de ski. Néanmoins, le phénomène de « fuite » des cerveaux, ici peu voire pas réduit par la possibilité de navettes quotidiennes, continue d’alimenter l’exode rural et la perte d’un capital humain qualifié. Cela est propre à bien d’autres régions des Alpes comme le pointe une étude menée en Italie dans le Comelico. La conscience est donc internationale, et le thème de la 8e Convention Européenne sur la Montagne en 2012 (Euromontana 2012) clame que le rôle des jeunes dans les montagnes est une priorité. Cette perte peut-être contrebalancer par le retour d’une partie de ces diplômés, par l’arrivée de nouveaux habitants initiée par ces natifs qui, hors de leur vallée, ont agi comme des « ambassadeurs 25» ou par l’arrivée indépendante de néo-ruraux. Par extension, le dernier grand frein des habitants est l’accès à certains postes et métiers. Si la diversité y est limitée, un « pessimisme ignorant » pré-existe, démontré dans le Comelico : 72% des diplômés revenus dans la vallée n’ont pas cherché d’emploi dans leur domaine d’études. Les discours, que ce soit d’élus ou d’acteurs interviewés sont empreint d’un fatalisme. D’autres pensent que l’éducation supérieure n’a pas sa place : « C’est ceux qui n’ont pas étudié qui pourraient faire quelque chose ici. […] Au lieu d’ingénieurs, nous aurions besoin de ces professions (plombiers, bucheron). Les diplômés n’ont pas la possibilité de revenir car nous n’avons rien à leur offrir » (un maire dans le Comelico). Pour finir, il s’agirait de parler d’une offre inhérente en ville mais pas toujours évidente en territoire montagnard, à savoir la culture. Si une grande appréhension des individus exogènes est le manque de culture (22%), ce frein est différemment cité par les habitants. Il représente seulement 5% des lacunes actuelles manifestées mais tout de même 22% des améliorations proposées, avec respectivement 1 individu natif pour 5 individus d’aire urbaine de plus de 100.000 habitants, et 20 natifs pour 15 individus d’aire urbaine. Il y a donc une forme de résignation ou d’acceptation sur l’offre disponible, avec toutefois derrière, la reconnaissance de l’envie d’une offre plus importante qui serait bienvenue. Cela peut s’expliquer par l’attrait de la pratique montagnarde (par exemple 121 des interrogés sont affiliés à des associations de pratiques montagnardes, soit 41 des natifs et 80 des non natifs, quant à l’inverse 72 sont dans des groupes culturels ou artistiques avec 18 des natifs et 53 des non natifs). Mais l’entièreté de l’explication n’est pas là. En effet, élargie depuis plus de 10 ans, l’offre culturelle est malgré tout présente à l’année avec bien sur un accroissement exponentiel durant l’été. Elle se traduit aussi bien par des évènements plus touristiques (outdoormix, concerts sur la place de l’office de tourisme de Guillestre, festival des Artgricoles, de nombreux musées…) que par des lieux plus locaux (bœuf musical du mardi au central, cours de poterie, tournoi de pétanque indoor…). Cela dit, des demandes de diversification de lieux de rencontre paraissent : « plus d’espaces de rencontre » (24-30 ans, femme, Albenc), « plus de lieux de sociabilité » (19-23, femme, Haute-Durance), « animation avec un peu plus de sens, une vie de village renforcée » (31-40ans, homme, Rodez), « une discothèque tout âge » (40-65ans, femme, Albertville). Pour finir, une des plus fortes demandes est celle de circuit court, de bio, et d’actions en faveur de la transition écologique existe, représentée par 49 individus
24 LEVY Jacques, Réinventer la France : trente cartes pour une nouvelle géographie, Paris, Fayard, 2013 25 Elena Ferrario et Martin Price, « Should I stay or should I go ? Les facteurs de décision d’un retour dans la région montagnarde d’origine des jeunes diplômés alpins », 02 août 2014. Récupéré le 23 Mai 2020 de http://journals.openedition. org/rga/2387 ; DOI : 10.4000/rga.2387 « Une réponse au déclin des régions montagneuses est l’installation d’individus qualifiés. Le phénomène inverse, l’afflux de cerveaux, est défini comme l’arrivée, ou le retour d’une population hautement qualifiée dans un territoire donné (Mayr et Peri, 2008). Dans les Alpes, l’afflux de cerveaux prend différentes formes. Quand les personnes hautement qualifiées quittent leur vallée mais y restent attachées, elles deviennent « ambassadeurs » de leur région d’origine, et apportent une valeur ajoutée au développement de ces dernières (Rérat et Jeannerat, 2011). »
(21%) soit 14 natifs et 35 non natifs. CONCLUSION L’espace public comme anticipation et réponse au besoin de ville Vivre dans la Haute-Durance constitue un véritable choix, par les contraintes imposées (peu de transports en commun, de services publics) et par la valorisation de son cadre de vie sur sa carrière professionnelle. Il n’est donc pas étonnant de voir un attachement commun au territoire, et des percevoir des sentiments d’appartenance propres à chacun. Ces convergences créent des centres d’intérêt communs, qui malgré l’image archétypal du montagnard isolé, contribue à créer des liens. L’échelle humaine donnée par la faible taille des villes de la vallée amplifie ce sentiment de communauté. Des initiatives se montent alors, stimulées par et pour ce territoire. Historiquement, la Haute-Durance a été un terrain d’expérimentation et de revendications alternatives actif, comme d’autres régions similaires (Pyrénée, Lozère26…). Philippe Bourdieu attribue cette capacité d’innovation à la position en écart de ce territoire, où les frontières sont de ce fait non statiques et les normes dynamiques : « Si les normes peuvent être plus mouvantes et réappropriées, il est de même des schèmes socio-spatiaux et socio-territoriaux marqués par des dualités ou des hybridations. Il s’agit là de la figure de l’entredeux qui transparait sur le territoire : « lieu touristique-non touristique, ville-montagne, stationhors station, sport-patrimoine, séjour de vacances-résidence, été-hiver, protection-aménagement » (Bourdeau). La position de communes montagnardes dans l’aire de métropole, favorisée par l’accroissement de la mobilité, ne laisse pas supposer un contre-modèle vers des pratiques rurales, mais une périurbanisation par des classes moyennes et supérieures (le foncier et le coût des trajets pouvant être élevés). Cette hypothèse de la gentrification alpine, et du néo-rural finalement bien urbain peut, bien que différemment, être appliquée dans la Haute Durance. En effet, même si les aires urbaines les plus proches à 1h30 en voiture, les modes de vie réclamés sont eux citadins. Les résultats des deux questionnaires présentaient des similitudes évidentes, alors que l’un était adressé aux habitants des Hautes-Alpes et l’autre à des individus exogènes aux Alpes. Les similitudes sont notamment sur les questions du travail, du transport en commun et des équipements publics. Lors du forum participatif de Guillestre, les demandes adressées au maire sortant étaient aussi très urbaines, jusqu’à l’anecdote des déjections canines. Au-delà des plaintes, ce sont les aspirations qui sont les mêmes. Alors qu’un élu de l’Argentière rapportait avec un sourire la demande d’habitants de mettre des bacs de potagers collectifs sur les places de la ville, une habitante interrogée m’a fait part de son souhait d’espace vert dans Guillestre. Également, le questionnaire a révélé le désir de valorisation de nourriture bio et de circuits courts, mais également de lieu alternatif où se rencontrer, à l’image peut-être des tiers lieux. Des structures apparaissent peu à peu en ce sens comme l’espace culturel auto-géré « Le lieu » à Embrun, le « Chapoul café » dans le fort de Briançon… L’importance accordée à l’espace public se réveille quant à elle peu à peu, notamment grâce aux actions menées par le CAUE 05. Le premier projet participatif urbain du département s’est déroulé à Val de Buech Meouge, dans le Sud de la Haute-Durance, en 2012, et sert désormais de modèle et d’appui. Le maire sortant de Guillestre a initié la redynamisation de son centrebourg financé par le programme AMI (Appel à Manifestation d’Intérêt), Veynes qui n’a pas obtenu ces financements s’est rapproché du CAUE pour requalifier son centre, Briançon bénéficie du programme
26 GASDON Hervé, entretien du 3 Février 2020
POPSU… L’espace public reste néanmoins pour d’autres élus le sol sur lequel on se déplace, soit les problèmes de sécurité ou d’enneigement, et des contradictions persistent. En effet, le terme de ville semble encore antagoniste à la région pour les habitants, si bien que l’interlocutrice interrogée du CAUE avoua en relatant un projet « (…) de la commune, je sais pas si on peut dire ville, j’ai du mal à prononcer ce mot là sur le département ». Ce qui fait la spécificité des villes de montagne, c’est peutêtre donc leur incapacité à être perçues comme telle, au même titre que les habitants de Verdier en Suisse ne perçoivent pas leur espace comme pavillonnaire, et donc urbain, car chacune des maisons individuelles est de la forme archétypale du chalet27. Enfin, un dernier phénomène parait comme toile de fond, c’est celui de la clubbisation d’Eric Charmes. Parmi les 220 réponses Hautes-Alpines étudiées à la question « qu’est-ce qui vous amènerait à partir ? », 18 % font part de l’accroissement de la population et de l’urbanisation liée dont 13 de natifs et 27 non natifs. Est-ce là le « syndrome du dernier arrivé » ou la réelle manifestation d’une taille de ville idéale propre à la montagne, bien sous les 30.000 habitants estimés pour Thierry Paquot28 ? Si les nouveaux montagnards sont bels et bien urbains, et si leurs demandes le sont aussi, il en va de même pour ce qui pourrait être le devenir de ces zones urbanisées de montagne à savoir s’assumer comme réelle ville. Cela signifie donc augmenter leur capital territorial en étant autonome. Cette autonomie dans la Haute-Durance pré-existe puisque qu’elle n’est pas sous l’influence directe d’une aire urbaine. Le maintien et la valorisation des systèmes de production régionaux sont essentiels (agriculture, transformation, tourisme), mais aussi la valorisation du capital social et humain. Les non natifs formés peuvent accroitre la valeur ajoutée locale par des activités commerciales par exemple. Également, ils peuvent être des « ambassadeurs » de la vallée et utiliser leur propre réseau. Une diversification et une valorisation du travail pourrait alors être apportée qui fixerait les résidents secondaires dont le nombre est croissant et parfois supérieur aux résidents principaux. A l’échelle urbaine et architecturale, mener un travail sur les espaces publics est une réponse au besoin de ville. Si l’espace public est difficile à nommer et si sa nécessité est de ce fait peu directement formulée, elle est néanmoins bel et bien exprimée. Que ce soit au travers un bac à potager collectif, un espace vert ou un lieu purement social, les attentes des montagnards sont corollaires à celle des villes. Bien que la montagne soit omniprésente pour ces habitants, elle demeure la toile de fond secondaire du quotidien et ne constitue pas, ou peut-être plus, un argument suffisant à la limite qualitative du cadre de vie urbain. Toutefois, il n’est pas envisageable de faire évoluer ces villes vers des modèles génériques issus des plaines. Pour les habitants déjà présents, l’enracinement et le sentiment d’appartenance et d’identité sont trop forts, et pour les résidents secondaires ou les potentiels nouveaux arrivants, les motivations restent avant tout celles d’un cadre spécifique. La réponse semble simple et valable pour n’importe quel autre territoire, mais les spécificités culturelles, paysagères et patrimoniales ont un poids et une résonnance particulière en Haute-Durance qui devront être conservées et valorisées. Comme évoqué en introduction, une diversité des villes existe déjà, voire encore, dans la vallée, et c’est une opportunité urbaine à mesurer avec honnêteté, sans glisser dans l’instrumentalisation historique ou la concurrence des communes, mais en contribuant à l’identité globale de la Haute-Durance.
27 PIA Fiona, Urbaniser les Alpes : stratégies de densification des villes en altitude, Birkhauser, Bâle, 2019 28 PAQUOT Thierry, (2020, 10 mars). Emission France Inter, La terre au carré. « Urbanisme : la taille idéale d’une ville». Récupéré le 06 Avril 2020 de : https://www.franceinter.fr/emissions/la-terre-au-carre/la-terre-au-carre-10-mars-2020
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