ESPACES PUBLICS VALLEENS - guillestre - gaelle privat

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ESPACES PUBLICS VALLéens « Comment qualifier les espaces publics des villes de montagne ? Recherches appuyées sur Guillestre, commune de la vallée de la Haute-Durance. »

ÉTUDIANT(S) TITRE

PRIVAT Gaëlle

Espaces publics valléens

UNIT

E1032B - MÉMOIRE 4 - MÉMOIRE MENTION RECHERCHE - OPTION.

RESP.

CATTANT J.

DE. MEM

NOWAKOWSKI F.

DE. PFE

OLIVARES Y.

ENCADREMENT NOWAKOWSKI F.

MARCH ARCH

SEM 20-21

1SRC AMTH

Promo

© ENSAL


ENTRE VAllée de la durance et gorges du guil, Production G.Privat

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REMERCIEMENTS PROFESSIONNELS. La première personne à prendre de son temps pour ce mémoire est son directeur, François Nowakowski, qui ne fut pas épargné de longues relectures et se montra à chaque demande disponible. Madame la Maire de Guillestre, par deux fois accorda de son temps sans en compter les minutes, permit l’utilisation d’un local public pour les ateliers, et offrit son ardeur pour Guillestre. Hervé Gasdon partagea avec enthousiasme sa connaissance et sa passion pour son territoire et son histoire forestière. Philippe Bourdeau, qui fut le premier interlocuteur interrogé, inspira par ses écrits et accorda un échange précieux. Emeline Hatt engagea les réflexions de par ses articles, et se rendit disponible pour un bel entretien où le temps fila. François Philippe, malgré les journées chargées que l’on sait aux éleveurs, me reçu pour converser aux abords des champs. Elsa Giraud accorda une visite commentée de Vars de 4 heures, où elle partagea ses réflexions d’historienne et d’habitante du territoire Haut-Alpin. Enfin, Annunzia Trischitta offrit ses connaissances d’habitante, d’architecte au CAUE 05 et son temps avec un constant sourire.

REMERCIEMENTS PERSONNELS. Mes premières pensées vont vers U.Michelou sans qui jamais un pied n’aurait été foulé à Guillestre, et dont la patience est sans borne. Merci pour tout, tu le sais. La patience, s’est aussi l’un des plus grands cadeaux que me fait au quotidien V.Rognard, sans qui cette aventure aurait bien moins de consistance et sans qui les réflexions ne seraient pas portées si loin. Merci pour ton énergie. Les éternels et infatigables relecteurs, et depuis des années, mes grand-parents. J’espère bien que vous prendrez plaisir à voir ce mémoire dans son état final. De par leur accueil et leur réactivité à chaque fois que j’ai eu besoin, je remercie mes parents qui j’espère liront cette petite visite des espaces publics. J’ai également une grande pensée pour A.Groleaud, qui n’a pas hésité à mobiliser ses collègues pour les ateliers. Sans en nommer tous les participants, je les remercie grandement de leur présence, car sans eux, ce mémoire n’aurait pas pris cette épaisseur. Certains n’ont pas hésité à venir deux fois et à remplir chacun de mes questionnaires, je pense notamment aux «colocs», et à P.Marty et M.Fargeas, dont le partage des réflexions auprès du fameux «Le Central» n’a pas été oublié. Egalement et particulièrement, je pense à L.Gadenne qui m’a accordé un entretien et n’a pas hésité à me partager de la documentation. Pour finir, je remercie D.Rozan, G.Bayle et L.Roux qui m’ont précédé à l’ENSAL, facilitant mon arrivée et mon parcours. Et depuis Paris, la famille Michelou, sans qui je n’aurais jamais pû reprendre mes études, et mes amis et collègues de chez D.,en l’occurence C.Biarrotte, M.Lombard et M.Schaack, m’encourageant vivement dans cette voie. Enfin, j’accorde une place particulière à H.Klinger, qui m’a reçu en stage, faisant preuve de patience et de pédagogie à mon égard, et dont les réflexions vont maintenant servir un nouvel enjeu: celui du Projet de Fin d’Études.

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Plateau agricole du Simoust

Plan d’eau d’Eygliers Polarité générée par l’eau Cours d’eau Plan de Phazy Chemin de marchepied Chemin vicinal / forestier Polarité générée par site escalade Point de vue notable sur Guillestre Point de vue Carrière de marbre rose Zone forestière

support de lecture : Abords de guillestre et lieux principaux, Carte réalisée par G.Privat dans le cadre du projet AMTH.


5 Pain de Sucre


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Cinéma

Place Albert

Eglise

< Auberge de jeunesse

Abattoir

Potager collectif

support de lecture : centre de guillestre et lieux principaux.


7 Cimetière

Gymnase

EHPAD

Salle du Queyron

Collège Ecole

Square de la Plantation

Place J.Salva

Carrefour


ENTRE VAllée de la durance et gorges du guil, Données de l’IGN, Production G.Privat

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PRÉAMBULE p 11 INTRODUCTION p 13 DÉFINITIONS p 21 LE MONTAGNARD. p 21 LA VILLE DE MONTAGNE. p 21 L’ESPACE PUBLIC. p 23

1/ L’ESPACE PUBLIC EXISTE-T-IL EN MONTAGNE? p 27

1/ L’espace public est-il délaissé dans les montagnes françaises ? p 27 2/ Retour historique dans le Nord des Hautes-Alpes. p 27 3/Quelles formes pour les espaces publics de la Haute-Durance aujourd’hui ? p 29 4/L’espace public au service de l’image ? p 44 5/La position des communes vis-à-vis de leurs espaces publics. p 45

2/ Un espace public réellement adapté à ses habitants? p 52

1/ Pourquoi et comment comprendre ceux qui font l’espace public de la Haute-Durance ? p 52 2/ Quel portrait en héritage ? p 52 3/ Natif ou nouvel arrivant, quelle différence aujourd’hui ? p 53 4/ Quelle demande d’espace public résulte ? p 59

3/ Quelle forme d’espace public se dégage des usages? p 63 1/ Comment comprendre les usages pratiqués par les habitants dans l’espace public ? p 63 2/ Communication et organisation des ateliers publics. p 63 3/ Session 1. p 69 Activité 1, les lieux qui « font adresse ». p 69 b. Activité 2 : Ce qui structure Guillestre, représentation collective. p 70 c. Activité 3: Portrait chinois des ambiances de Guillestre. p 75 4/ Session 2 Activité 1 : Espaces publics représentatifs. p 79 b. Activité 2 : Cartographier sa pratique de Guillestre. p 79 c. Activité 3 : Imaginer et localiser ses usages dans l’espace public Guillestrin. p 83 5/ Fin session 2 : Ouvrir le débat. p 86 6/ Bilan des résultats d’atelier. p 87 7/ Bilan des résultats du questionnaire post-atelier. p 91

4/ Relation au grand paysage.

p 99 1/ Guillestre permet-elle de ressentir les paysages naturels ? p 99 2/ Penser l’espace public comme le paysage : les strates du temps. p 107 3/ Penser l’espace public comme le paysage : un changement d’échelle. p 111 4/ Le paysage comme ressource commune? p 113

5/ L’espace «public» des villes de montagne est «commun» ? p 120

1/ L’espace public face à l’espace commun ? p 120 2/ Comment la spécificité montagnarde requestionne le couple privé/public et le commun ? p 126 3/ L’espace public de Guillestre fait-il figure de « village idéalisé » ? Propriété, identité et individualisme. p 134

Conclusion. p 142 BIBLIOGRAPHIE. p 148 DéTAIL DES FIGURES. p 150 ANNEXES. (me contacter si besoin) 9


Figure 1. Château de Castelgrande, Bellinzone, Suisse. Cet édifice a été restauré entre 1984 et 1991 par Aurelio Galfetti. La photographie ne présente pas la célèbre entrée dessinée par l’architecte dans la paroi, mais plutôt le caractère minéral du site. En effet, Galfetti n’a pas hésité à abattre les arbres qui recouvraient le promontoire pour valoriser le château et rendre son sens et sa cohérence au site. L’acte architectural est radical et à l’échelle du site. Cela pose toutefois la question : jusqu’où le geste de l’architecte peut-il être justifié pour révéler le lieu, et son regard est-il nécessairement le plus légitime ?

Figure 2. Ancien club Med de Cap de Creuse, Catalogne, Espagne. Sur le site présent se trouvait un Club Med construit en 1980, à la capacité d’accueil de 900 personnes. En 2005, le site a été racheté par le gouvernement en vue de sa renaturation. Le paysagiste Marti Franch a été en charge du projet. La photographie met en avant l’écoute et la mise en valeur des éléments du site généré par l’acte architectural. La matérialité du projet est cela dit moins en cohérence avec l’intention, puisqu’il s’agit d’acier corten. Rendre son sens à un paysage est-il dans le rendu ou dans la mise en œuvre de ce rendu?

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PRÉAMBULE

Avant de mettre les deux pieds, ou les deux yeux, sur ces lignes Hautes-Alpines, voici un retour sur les raisons personnelles qui ont mené à cette écriture. J’ai eu l’opportunité de découvrir à 4 reprises le territoire de la Haute-Durance. La première était à 12 ans. Habitant à Nîmes soit à 3h30 de voiture, mes parents ont loué plusieurs hivers un appartement pour la semaine, dans la station de Vars. Je ne faisais que « passer par » Guillestre, auquel je ne vouais aucune attention, pas plus que je n’en offrais aux autres villes alentours. Je m’étonnais simplement que les espaces construits en montagne soient si « moches » et si peu « à la hauteur » de leurs cimes. Paroles d’enfant. La seconde fois était à 24 ans. Une rencontre personnelle aidant, et après quelques allers-retours depuis Paris, j’ai quitté mon travail dans la capitale pour faire une saison comme vendeuse dans un magasin de sport à Vars. Le quotidien, bien que dense par le travail, semble être une liberté. J’habite dans « le lieu des vacances » et je découvre « les coulisses », ceux qui restent. La troisième fois fut à 26 ans. Retournée à Paris, j’ai négocié deux jours de télétravail, et ce, avant que le mot « covid » ne soit devenu commun. Le train de nuit « Paris-Briançon » et l’alternative diurne « Paris-Valence-Guillestre » intègrent ma routine hebdomadaire. La montagne ne sera-t-elle jamais compatible avec ma formation d’origine de designer ? Je prépare peu à peu l’installation de mon quotidien réel dans la région, amplifiée le 17 Mars 2020 par le choix de m’y confiner, puis accrue par un stage estival en agence à Embrun. Je découvre enfin les vrais problématiques des habitants et du territoire. Pour finir, la quatrième fois est en cours. C’est le prisme du mémoire par lequel je regarde les villes de la Haute-Durance. Et nombre de mes préjugés ont été ajustés. C’est un regard qui n’est plus neutre, mais qui tente de rester polymorphe. Ecrire un mémoire sur les villes de montagne. Voilà l’intention première qui a pour cadre non pas les stations, déjà traitées dans de nombreux écrits, mais plutôt ces lieux du quotidien dans un espace de vacances. Comment vit-on dans une hétérotopie (1) ? Quelle part pour le fantasme, puis la réalité ? L’espace banal du quotidien a-t-il la place et le droit d’exister ? Un attrait personnel pour les espaces publics, provenant peut-être d’une enfance passée dans un village pavillonnaire du Gard (3878 habitants pour 1356 maisons, 777 appartements, 2 boulangeries et 1 superette) m’a menée à développer ce sujet. Les espaces publics me semblent représentatifs de la réalité du quotidien des habitants d’une ville. Sont-ils donc les parents pauvres en montagne, où le tourisme mais aussi la beauté des reliefs prévaudraient ? Mon intuition caricaturale présageait une urbanisation non contrôlée, un oubli des trottoirs et un dénie de l’importance, même touristique, des villes de vallée au profit des sentiers de randonnée et des stations de ski. Quant aux intérêts des habitants, je fus surprise, au fil d’ateliers et de questionnaires de les voir très urbains (déjections canines, attention sur la voiture) voir similaires à ceux des grandes villes (demande de circuits courts, de tiers lieux…). Ma réflexion sur le territoire de la Haute-Durance commença alors à prendre de la consistance. Des problématiques comme celles de « la revanche des villages » (Charmes, 2019) prirent également tous leurs sens, et mes clichés, de jeune skieuse, de saisonnière, d’habitante partielle, et d’étudiante en architecture se déconstruisirent un à un. A l’issue de ce mémoire, et de cette année scolaire, se trouve une intention bien précise : celle d’habiter les HautesAlpes. La reprise des études d’architecture nourrit cet objectif, pour compléter un cursus de designer en prévision d’une installation dans ce territoire afin d’y exercer dans mon domaine de compétences. C’est également dans ce but qu’intervient ce sujet Alpin, prolongé par le diplôme traitant lui-même de ce territoire. Cette transversalité et la richesse apportée par ma coéquipière de projet, Victoria Rognard, permettent d’aborder sous différents aspects, de la réflexion à « l’application », les problématiques et enjeux Hauts-Alpins. La réalisation d’un stage estival à Embrun a participé à ce même savoir, et j’ai énormément appris de Harold Klinger (2). Au-delà d’anticiper une installation, le but est d’engranger un maximum de connaissances pour être en mesure de penser et de dessiner avec justesse des projets pour le territoire Haut-Alpin. J’aspire à une architecture fine, presque invisible, et à l’écoute du territoire, que j’illustrerai par deux démarches qui posent question mais qui n’en restent pas moins inspirantes.

(1) Hétérotopie : ce concept a été théorisé par Michel Foucault en 1967 pour parler d’un espace concret en discontinuité avec ce qui l’entoure et qui abriterait une utopie, un imaginaire. L’exemple le plus récurrent est la cabane d’enfant. Ici, c’est parler d’un lieu, parfois même ex-nihilo, qui abrite l’univers mémoriel des vacances. (2) Harold Klinger est le fondateur de l’Agence des Territoires de Montagne (ATM) à Embrun. C’est un architecte et enseignant engagé et aux compétences transversales.


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Figure 3. Un situation européenne stratégique enclavée dans le territoire national. 1h de voiture depuis Guillestre 2h de voiture depuis Guillestre Autoroutes nationales Ligne de train à grande vitesse

Mur de foehn

2.5°C

3000m

Niveau de désaturation

2000m

Niveau de condensation

1000m

-1°C/100m

+1°C/100m

12.5°C

-0.5°C/100m

10°C

15°C

22.5°C

Figure 4. Climat méditerranéen de montagne. Phénomène de foehn révelateur d’un climat clément dans les Hautes Alpes.


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INTRODUCTION

Pourquoi s’intéresser aujourd’hui à la question des espaces publics en montagne ? Depuis quelques années, ce territoire est revenu sur le devant de la scène publique. Différentes entrées l’ont favorisé, comme la tendance à privilégier le mode de vie plutôt que la carrière professionnelle, réponse à l’ère de crises écologiques et économiques qui caractérise notre époque. L’épisode Covid, s’il n’est irréversible, accélère ce changement de valeurs, favorisant les expérimentations notamment par le développement du télétravail. Pour la première fois, il est possible de conjuguer les différents choix : celui d’allier son activité professionnelle avec le quotidien d’un cadre rêvé. Des aspirations similaires poussèrent à l’accroissement des périphéries fabriquées par la maison individuelle. Aujourd’hui, le télétravail remet en cause la géographie même, en abolissant les distances. Bien sur, tous les corps de métier ne sont pas délocalisables. Mais une majeure partie des activités intellectuelles, encore peu présente dans les territoires montagnards mais constituant souvent le profil des « néo ruraux » qui décident de « tout quitter », est désormais plus à même de se déplacer. Une autre entrée de ce retour de la montagne est la revalorisation de ses activités. Contrairement aux années 70 qui se focalisaient sur un temps donné, l’hiver, l’ensemble des saisons devient attractif. L’une des pratiques la plus représentative de ce renouveau, ou de cet effet de mode, est bien évidemment l’escalade comme en témoigne une croissance accélérée du nombre d’adhérents aux fédération française de la montagne et de l’escalade (FFME) et des clubs alpins de montagne (FFCAM) (3). Celle-ci est partagée aussi bien par les femmes que les hommes et enfants, et s’exporte jusqu’en ville avec l’explosion des implantations de « salles ». Le nombre de projets architecturaux lors de l’exposition Ré-inventer Paris (4) au pavillon de l’Arsenal (2016) comprenant des parois, que ce soit dans la salle d’activité d’un bureau ou le hall d’entrée de logement affichait ce nouvel essor. Le territoire montagnard semble donc à l’orée d’un changement. S’y installer ne relève plus seulement d’un choix isolé ou politique. Ce nouveau mouvement néo-rural, accéléré depuis la crise financière de 2008 et mis en relation avec les années 1970, notamment par l’historienne en architecture Caroline Maniaque (5), est aujourd’hui l’effet d’un public averti, souvent intellectuel et pleinement conscient de leur choix. A la différence des années 1970, l’accès à l’information est tel que le « changement de vie » peut se penser profondément fondé, préparé et plus durable. Pour aborder et témoigner de ces problématiques, le choix du Nord des Hautes-Alpes s’est opéré pour différentes raisons. Cette région est relativement excentrée de la trame des circulations actuelles, accessible en train de nuit depuis Paris et par l’autoroute qui s’arrête à Gap, soit à une heure en voiture de Guillestre (figure 3). Elle n’est donc pas encore dans l’ère urbaine directe d’une métropole et garde encore un environnement naturel sauvage et un patrimoine architectural et urbain à préserver. Sa géographie et son climat méditerranéen, notamment grâce à l’effet de Foehn (figure 4), en font un terrain attractif. Une augmentation du nombre d’habitants est quantifiée (figure 5) et surtout repérée par les acteurs du territoire interrogés, traduite notamment par un renouvellement de la population et de certaines dynamiques. Cela dit, l’augmentation la plus visible est celle des surfaces urbanisées, dépassant largement le nombre des nouveaux installés (figure 6). Cette disproportion s’explique notamment par l’évolution importante de résidents secondaires (figure 7). Ce territoire est donc en transformation, mais une certaine autonomie est envisageable, par l’éloignement et par les ressources locales multiples, bien que l’essor économique moderne soit fondé sur le tourisme. Le cadrage particulier de la vallée de la Haute-Durance s’explique par l’amplification de chacun des phénomènes évoqués à cet endroit. En effet, celle-ci est bordée de nombreuses stations de ski de haute-altitude, ce qui en fait à l’hiver son attractivité, les domaines skiables étant encore relativement préservés des problèmes d’enneigement. Également, le tourisme estival y est important, quittant les cimes pour s’installer en fond de vallée, autour des activités nautiques générées par la création du Lac de Serre-Ponçon depuis la construction du barrage en 1960. Enfin, ce tronçon Nord porte une variété de paysages et d’implantations urbaines importantes. Elle est née de la jonction du climat méditerranéen et alpin, des différentes typologies d’espaces produites par l’origine glaciaire de la vallée dite en « U » (verrous glaciaires, surfaces planes du fond), et formes paysagères multiples générées par la Durance, de la petite rivière au lac (figure 8). De par cette attractivité, ce patrimoine, et les mutations en cours, on peut considérer la vallée de la Haute-Durance comme un territoire à enjeux. Si les territoires montagnards connaissent un regain d’intérêt, l’espace public quant à lui, bénéficie également d’un retour de valeurs autour du cadre de vie. Il est devenu commun d’entendre que rendre une ville habitable passe entre autres par son espace public. Au même titre que la montagne renvoie vers une idée d’authenticité, de communauté, du vivre avec la

(3) Le président Georges Elziere, dans le rapport d’activité de la FFCAM de 2014-2015, disait déjà qu’en 2 ans, le nombre de licenciés déclarant pratiquer la cascade de glace avait augmenté de 30%, passant de 6000 à 8000. Le rapport de 2019 reconnait « l’effet de mode » dont jouit les salles de bloc (p 6) et souligne également la forte de la pratique en site naturel en escalade, prévenant du travail de sensibilisation à faire (p17). (4) Réinventer Paris, exposition des résultats de l’appel à projets urbains innovants, 04 Février 2016 – 08 Mai 2016, Pavillon de l’Arsenal, Paris. Scénographie : Peaks, architectes. (5) MANIAQUE Caroline, Les années 68 et la formation des architectes, Point de Vues, Rouen, 2018


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Hautes-Alpes 141.784 x1,5

97.407

Gap 40.776 x1,8 Haute Durance 31.851 x1,5 Briançon 12.370 x1,5 Embrun 6.177 x1,4 Guillestre 2.301 x1,5

24.751 21.106 8.215 4.273 1.479

1965

2015

Figure 5. Une croissance démographique continue.

3 Résidences principales 65715 x 2,3 Résidences secondaires 61342 x 6,4

28913 9640

1968

Figure 7. Le secondaire symptomatique de la consommation touristique du territoire des Hautes Alpes.

2007


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Briançon 1965 165ha 2020 414ha urb x2,5 pop x1,5 2075 1036ha 278ha hors commune

l’argentière 1965 42ha 2020 111ha urb x2,6 pop -4% 2075 284ha

guillestre 1965 19ha 2020 166ha urb x8,4 pop x1,5 2075 1308ha 723ha hors commune

embrun 1965 46ha 2020 313ha urb x6,8 pop x1,4 2075 2103ha 842ha hors commune

Figure 6. une capacité d’accueil limitée Tâche batie de la commune en 1965 Tâche batie de la commune en 2020 Surface à bâtir dans la commune si la même évolution persistait en 2075 Surface à bâtir hors de la commune si la même évolution persistait en 2075 Bati Cours d’eau Forêt

0

5 km

10


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Figure 8. Une géographie variée qui multiplie les paysages. Forêts ouvertes et fermées de feuillus (chêne pubescent, chêne verts...) Forêts ouvertes et fermées de conifères (pin sylvestre, épicéa, douglas, sapin) Forêts ouvertes et fermées à mélange de feuillus et conifères Formation herbacée à ligneux bas, Formation pastorale 0 10 TYPES DE FORMATION VEGETALE Départementales et Nationales Km Forêt fermée de chêne pubescent Voies ferrées Forêt fermée de chêne vert Forêt fermée de plusieurs feuillus sans qu'une essence ne soit pure Forêt ouverte de feuillus

Forêt fermée de conifères Forêt fermée de pin sylvestre Forêt fermée d'un autre conifère autre que pin, sapin, épicéa, douglas, mélèze ou cèdre Forêt ouverte de conifères Forêt fermée à mélange de feuillus prépondérants et conifères Forêt fermée à mélange de conifères prépondérants et feuillus Forêt ouverte à mélange de feuillus et conifères Formation herbacée à ligneux bas, Formation pastorale située à l’intérieur ou en bordure

0

20

10 km

20


Pour explorer ce sujet, la densité d’habitants et l’économie de la commune devaient être suffisamment importantes pour démontrer des tendances, des choix politiques et des visions contemporaines de ces espaces, ce qui écartait alors les hameaux et les petits villages. Pour autant, la superficie urbanisée devait rester à l’échelle du piéton pour que l’urbain soit confronté au naturel. Également, le choix s’est porté sur une commune qui représente la réalité du quotidien, soit où l’on vit à l’année. Le cadrage se resserrait alors autour des villes valléennes d’Embrun, de Guillestre et de l’Argentière. Dans un premier temps, il a été envisagé d’effectuer une étude comparative entre ces différentes communes. Néanmoins, les conditions de ces recherches ont été bouleversées par l’arrivée du Covid. Les observations in situ se trouvant modifiées, le choix d’une seule ville a été privilégié, portant sur Guillestre. Le premier confinement réalisé dans cette ville et les quelques contacts et connaissances présents pouvaient alors servir un réel approfondissement du sujet, palliant les usages non observés. La notion d’espace public a largement évolué tout au long de ce travail, mais il est une conviction qui a toujours été là : c’est que ce qui fait « espace public » c’est sa pratique. Si une intuition engagée sur ce qui qualifie l’espace public préexistait, des problématiques ont également motivé ce travail d’étude. Elles sont au nombre de trois : - La rurbanisation face au droit à la ville : l’espace public existe-il ? Cela ne peut échapper au regard du vacancier en voiture ou de l’habitant dans ses déambulations quotidiennes : certaines vallées de montagne voient leurs terres mitées et leurs moindre parcelles planes englouties sous un pavillonnaire grandissant, ponctuées de zones commerciales parfois importantes. Ce phénomène est particulièrement connu dans les Vosges (Diaz, 2018) et a fait l’objet d’un référendum national mené par Franz Weber en Suisse en 2012, limitant désormais le nombre de résidences secondaires à 20% du parc de logements (Petite, 2013). Au-delà des conséquences identifiées et controversées de l’étalement urbain (Léger, Mariolles, 2018), ce qui intéresse ici la réflexion est le droit à la ville dans ces bassins urbains grandissants. Quelle place est accordée aux équipements communs du quotidien, à l’espace public des villes, perçu notamment comme catalyseur d’usages, dans un territoire dont l’économie est pour beaucoup régie par le tourisme, et dont près d’un tiers des logements (moyenne générale établie en croisant les données INSEE 2020 de 12 communes de la vallée de la Haute-Durance) sont secondaires ? L’urbanisation grandissante et l’architecture générique qui est souvent produite amènent à la seconde question. - La ville encore porteuse de patrimoine et d’identité : l’espace public est-il fabrication ou héritage ? Depuis les cartes, si l’on compare entre 1965 et 2020 les superficies de sol dédiées aux quartiers pavillonnaires, aux zones dites commerciales ou industrielles, et les quartiers dits historiques, les vallées semblent entièrement périurbanisées. Guillestre a par exemple vu sa surface urbanisée multipliée par 8,4 avec environ 24.000m2 au sol de centre historique pour 117.000m2 de maisons individuelles et 13.000m2 de logements collectifs construits après 1965. Le village archétypal n’est plus qu’une idée. L’architecture locale prédominante n’est plus faite de marbre rose et de mélèze, ni de toitures en bardeaux de bois, mais bien de béton, de tôle, et d’essence de bois importées, oscillant entre un style générique international, et des interprétations pastiches de ce qui pourrait être une architecture régionaliste. Les logiques d’implantation elles-mêmes ont changé. Le bâti s’agglomérait pour laisser la part belle aux terres agricoles, et investissait

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nature, une forme de retour finalement, l’espace public véhicule une même nostalgie, ce rapport à l’autre perdu… Avec une telle imagerie collective, le couple espace public et territoire montagnard pourrait sembler inné. Or, espace public renvoie généralement à des outils et des formes urbaines bien précis qui restent avant tout en ville, et il serait de ce fait antinomique avec la montagne. Le simple terme « ville » semble incompatible à « montagne ». En effet, beaucoup des personnes rencontrées, qu’elles soient des professionnelles de l’aménagement ou des habitants alpins, requestionnaient le sujet de ce mémoire : « Mais il n’y a pas de villes en montagne ». Or, c’est oublier que sur les 47 km qui séparent Embrun de Briançon, 4 communes ont plus de 2000 habitants avec une densité de moins de 200 m entre les habitations, étant de ce fait conformes à la définition Insee de « ville isolée » : Embrun, Guillestre, l’Argentière-la-Bessée et Briançon. Les autres unités urbaines de la vallée sont des villages ou hameaux, puis en hauteur, les stations de ski développées sur les hameaux existants ou ex-nihilo. Une vision urbano-centrée de l’espace public parait, comme le vide non pensé entre du bâti bien pensé. Plus encore, si l’on pense l’espace public depuis un milieu urbain important, l’espace public devient respiration et échappatoire, renvoyant à l’état « méditatif » et à ce rôle de régulateur de la vie sociale dans cette ère de la densification que décrit Denis Delbaere (Delbaere, 2010). Quelle importance accorder à de tels espaces quand ils se situent dans des villes de petites tailles, où les perspectives et les activités de pleine nature dont à quelques minutes à pied ?


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les hauteurs, soulignant un promontoire et s’inscrivant dans le paysage. Aujourd’hui, il est construit vers et à l’échelle des infrastructures routières, préférant les importants terrassements en fond de vallée. Si le bâti domine le regard, de quelles transformations l’espace public témoigne-t-il, est-il lui-même une fabrication générique ? Ou au contraire, peut-il contribuer à porter et à valoriser le patrimoine et l’identité de la ville ? Cette question qui parle d’héritage et de préservation amène nécessairement à aborder l’environnement naturel et le paysage caractéristiques de la région. - La préservation du paysage et l’équilibre entre le bâti et le naturel : l’espace public comme outil ? Au-delà même des questions liées au maintien de l’environnement fragile de montagne, qui ne devrait plus être un sujet mais une évidence liée à chaque projet, comment ces territoires dont le nombre de logements est croissant peuvent-il préserver leurs qualités paysagères historiques ? Comment le bâti doit composer avec l’élément naturel pour dessiner un paysage commun cohérent ? Existe-il une rencontre entre l’espace public et le paysage ? Également, une conscience de ce paysage existe-t-elle réellement sur le territoire ou n’est-ce qu’un fantasme de citadin exogène ? Est-ce utopique de penser que les qualités esthétiques d’un environnement peuvent initier l’appropriation et la volonté de préservation ? L’ensemble de ces intuitions, questionnements et aspirations peuvent mener à de nombreuses problématiques que celle qui a été optée pour ce mémoire tente d’inclure en restant ouverte : « Comment qualifier les espaces publics des villes de montagne ? Recherches appuyées sur Guillestre, commune de la vallée de la Haute-Durance. » L’usage de termes à l’allure simple et porteurs d’images collectives distinctes interroge. Ville, montagne, espace public sont usuels mais finalement difficiles à définir et plus encore, à associer. A partir de quand parlet-on de ville, et jusqu’où ? Quels critères attribuent-on à un lieu pour le qualifier d’espace public, et quelles sont les limites d’un territoire dit montagnard, certaines communes de plaine dont l’horizon est fait de cimes se revendiquant « villes alpines ». Emettre une hypothèse sur la définition des notions qui articulent cette problématique revient aux résultats de ce mémoire. L’évolution de ces termes a largement évolué au fil des études menées sur le territoire. Toutefois, une première partie, comme une notice de lecture, développera les notions de « montagnard », de « ville de montagne » et d’« espace public », mettant un exergue leur polysémie.

(6) Le monde nouveau de Charlotte Perriand, exposition, 02 Octobre 2019 – 24 Février 2020, Fondation Louis Vuitton, Paris. Commissaires : Jacques Barsac, Sébastien Cherruet, Gladys Fabre, Sébastien Gokalp, Pernette Perriand ; et Arthur Rüegg.

Pour tenter d’apporter des éléments de réponse à cette problématique, quelle fut la stratégie mise en place pour leur appréhension ? Etant étrangère au milieu montagnard, le sujet « montagne » a d’abord été élagué, prenant pour prétexte l’écriture d’un article imposée à l’école. C’était une sorte d’état des lieux du territoire alpin français et des différents sujets liés. La première approche, par un corpus de lectures large, a rapidement montré que les publications étaient limitées. Les études devraient alors être largement nourries sur place. En effet, l’écriture autour du sujet de la montagne, à ce jour, concerne avant tout les géographes, les sociologues, et les acteurs de l’économie et du tourisme. Ce corpus renvoie généralement vers la fragilité du milieu montagnard, l’avenir incertain des stations de ski, et le besoin d’innovation face à cette obsolescence. Concernant l’architecture et l’urbanisme, il s’agit là encore d’ouvrages anciens sur le vernaculaire, ou sur les formes modernistes des stations. Le sujet de la station est en effet remis au jour. Il transparait d’abord dans de nombreux mémoires étudiants, ce qui est significatif du renouveau évoqué. Également, les deux dernières années ont été marquées par la publication de la thèse « Urbaniser les Alpes » (Pia, 2019), et la grande exposition « Le monde nouveau de Charlotte Perriand » (6) à la Fondation Louis Vuitton, dont l’affiche montrait un paysage montagnard, alors que l’exposition n’y dédiait réellement que deux salles sur les 3 étages. Concernant les villes de vallées, le corpus dédié à l’urbanisme et à l’architecture est faible. L’ouvrage de recherche « Massif en Transition » (Isabel Diaz, 2018) en est le plus important. D’autres publications sont à noter, mais elles concernent d’avantage le paysage comme un des numéros des Cahiers de l’école de Blois « Pentes, reliefs et versants »(Gaudin, 2019). Enfin, concernant directement l’espace public, Emeline Hatt, maitre de conférences en aménagement et urbanisme a publié des articles et une thèse, abordant ces espaces sous le thème du tourisme (Hatt, 2011). La focale est donc mise davantage sur les stations que les villes de vallée. L’auteure complète qu’en 1999 l’agence française d’ingénierie touristique publia un ouvrage pour les gestionnaires des stations qui met l’accent sur l’aménagement des espaces publics. En 2000, le dispositif des Opérations de réhabilitation de l’immobilier de loisir (ORIL), institutionnalisé par la loi S.R.U, consacre un volet à la réhabilitation des espaces publics en station. Si le sujet des espaces publics en ville valléenne est encore peu traité, il renvoi néanmoins à d’autres champs dont les problématiques sont finalement proches, à


Une liste d’acteurs à interroger est alors née, liée au domaine de l’aménagement d’espace ou au territoire HautAlpin. J’ai eu la chance d’échanger avec Philippe Bourdeau, enseignant-chercheur à l’institut de géographie alpine à l’université de Grenoble, auteur d’un article sur l’Argentière-La-Bessée qui traite de l’innovation alpine (Bourdeau, 2009). J’ai pu également profiter d’un long échange avec Emeline Hatt évoquée plus haut, dans son laboratoire interdisciplinaire en urbanisme à Aix-en-Provence. Dans les Hautes-Alpes, j’ai rencontré Hervé Gasdon, restaurateur de terrain de montagne à l’ONF, l’historienne Elsa Giraud lors d’une visite guidée de Vars, et le CAUE 05 par le biais d’Annunzia Trischitta. Également, j’ai échangé avec l’architecte et urbaniste Lucie Gadenne exerçant à Embrun, et l’accompagnateur en montagne Ugo Michelou basé à Guillestre. D’un point de vue plus politique, j’ai assisté à des tables rondes à l’Argentière-la-Bessée sur le devenir des friches industrielles alpines (7). J’ai également participé à des ateliers en vue des élections municipales de Guillestre, élaborés par le maire sortant. Enfin, j’ai assisté à deux réunions participatives pour l’élaboration de la charte du Parc Régional du Queyras. L’ensemble de ces rencontres a permis de cerner le paysage polymorphe et politique du territoire. La dernière ressource a été la réalisation d’un stage estival à l’Agence des Territoires de Montagne à Embrun (ATM), chez l’architecte, enseignant et ancien coordinateur du cluster montagne Alpes du Sud Harold Klinger. Au-delà d’un apprentissage sensible, responsable, et méticuleux de l’architecture, le stage a permis de saisir le contexte du métier d’architecte dans la région, ce qui en régie ses lois, et j’ai pu y apercevoir la valeur de l’espace public dans les projets.

Introduction 19

savoir les villes moyennes, la périurbanisation / rurbanisation, l’installation des néo-ruraux et les problématiques agricoles.

Pour compléter les lectures théoriques et les entretiens avec les acteurs de l’aménagement, les recherches se sont tournées vers les perceptions des habitants. Cette étude s’est déclinée sous trois formes. Un premier questionnaire Facebook fût diffusé auprès d’individus étrangers aux Hautes-Alpes pour comprendre leur regard sur le département, leur connaissance ou non de ce territoire, le projet d’y vivre ou pas… Ce questionnaire était une recherche personnelle dont les résultats sont à relativiser au vu du faible échantillon. Il a néanmoins permis une prise de recule sur les représentations, pour ne pas généraliser un engouement subjectif grandissant au fil du mémoire. Parallèlement, un second questionnaire a été réalisé, à destination des habitants Haut-Alpins. Il a été diffusé sur une multitude de groupes Facebook, des pages patrimoniales aux groupes musicaux en passant par les pages à visée environnementales, les bibliothèques, et les clubs de sport. Ce questionnaire a reçu 265 réponses. L’objectif était de comprendre qui habite le territoire et de quelle manière, afin de percevoir les dynamiques de population et les potentiels usagers des espaces publics. La troisième forme fut celle d’ateliers participatifs organisés durant l’été à Guillestre auprès des habitants. Une rencontre a eu lieu avec Madame la maire qui permit l’utilisation d’un local. Ces jeux avaient pour but de comprendre plus finement le rapport des guillestrins à leur ville et à leurs espaces publics. Ils ont été complétés d’un dernier questionnaire, tourné seulement vers les habitants de Guillestre, qui reçu 65 réponses. Celui-ci fut élaboré d’après les ateliers et leurs résultats, s’appuyant également sur les lectures nouvelles qui apparurent au fil du mémoire. En effet, des thématiques plus fines ont émergé et des relectures ont été effectuées après les ateliers. Les ouvrages traitaient d’avantage des problématiques liées à l’espace publics (Jan Gehl, Thierry Paquot, André Micoud), de la périurbanisation (Eric Charmes), du rapport au paysage (Denis Delbaere, carnets du paysage), puis de la question du commun (Gael Giraud, Michel Lussault). Deux entretiens ont clot le travail de recherche en Février 2021, l’un réalisé auprès d’un agriculteur du plateau (8) et l’autre auprès de la mairesse de Guillestre. Enfin, le travail de mémoire a été constamment alimenté de parcours filmés, photographiés, dessinés. Plusieurs observations d’une heure, au même endroit et à différents moments ont été réalisées pour noter les activités humaines. L’immersion s’est faite autant que possible et malgré les divers confinements, durant les 4 saisons. Dans un territoire encore régit par sa météo, il aurait été incomplet de ne pas se rendre sur place l’hiver comme l’été, et l’automne comme le printemps. Également, l’étude ci-présente trouve actuellement sa suite dans le travail de projet de diplôme mené conjointement avec Victoria Rognard sur la ville de Guillestre. Une analyse urbaine menée à l’échelle de la vallée a permis d’aborder d’une nouvelle manière, notamment par la carte, le territoire Haut-Alpin. Des croisements entre les différentes communes se sont opérés, définissant plus encore, par altérité, les spécificités des espaces publics de Guillestre. La question qui peut être posée est l’intérêt de telles recherches aujourd’hui. La réponse de situe à différentes échelles, de la matérialité même du projet, aux problématiques territoriales et économiques. Outre contribuer de sa toute petite part, à l’épaississement d’un thème encore faiblement traité par les architectes, le présent mémoire tente humblement de comprendre ce qui fait essence dans les espaces publics des villes

(7) Workshop de projet pour la transformation du site des friches industrielles des ex Aciéries et Fonderies de Provence et de Péchiney. Organisé par l’équipe internationale du projet trAILS et plus spécifiquement par ses partenaires français les CAUE des Hautes Alpes et du Vaucluse, en lien étroit avec la Communauté de communes du Pays des Écrins. Les 11, 12 et 13 Février 2020 à l’Argentière-La-Bessée. (8) Entretien réalisé auprès d’un agriculteur éleveur bovin de Guillestre. Il s’est déroulé en In situ, sur le plateau agricole le 8 Février 2021.


Introduction 20

de montagne, dans le but d’y dessiner des projets plus cohérents. A titre personnel, j’accorde un grand intérêt à l’identité et aux logiques de territoires. Identité paysagère, identité culturelle, identité sociale, identité constructive et identité architecturale. Envisageant d’exercer dans la région haut-alpine, cette recherche qui n’est qu’à son commencement, est une première manière de forger le regard et les réponses. Plus largement, une autonomie des régions montagnardes comme modèle économique pérenne est souhaitable et revendiquée, notamment par Manfred Perlik (Perlik, 2011), géographe et économiste. Il est évident que le tourisme n’est plus un socle stable, et il est encore tôt pour juger d’un retour « post-covid » au local. L’économiste remet également en question les apports du résidentiel « volatile par son utilisation sélective des sites les plus attrayants ». Si selon lui les régions de montagne risquent de perdre leurs anciens systèmes de production (agriculture, transformation, tourisme) sans acquérir des systèmes nouveaux durablement, il semble alors nécessaire de s’intéresser à la question de l’espace public, qui est une des entrées de l’habitabilité d’une ville. L’idéal serait que les régions de montagne puissent développer leurs propres formes d’urbanisation, « ce qui leur permettrait de rompre avec la dichotomie polarisante d’une métropole affectée à la production face à un environnement de loisir essentiellement consommateur ». Néanmoins pour certains auteurs, l’espace public est avant tout un régulateur de la vie sociale, permettant d’organiser les différentes populations voisines (Delbaere, 2010). Mais alors, quelle peut-être sa valeur dans des communes de petites tailles, qui plus est dans un environnement sauvage et ouvert tel que le territoire montagnard ?


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Définitions

Définir les termes principaux de ce sujet est un acte important qui mérite son propre espace dans le mémoire. Ce n’est d’ailleurs pas une définition, mais une interprétation résultant d’un an d’étude. Également, ce n’est pas de termes qu’il s’agit, mais plus exactement de notion. Cette précision rappelle que « montagnard », « ville de montagne » et « espace public » sont appropriables et fluctuants. En somme, ils sont ouverts. LE MONTAGNARD. Il est difficilement envisageable d’entamer l’écriture d’un mémoire sur le territoire montagnard sans en évoquer le paysage romantique, observé puis fabriqué depuis la montée du Ventoux de Pétrarque au XIVe siècle. Intrinsèquement lié aux valeurs paysagères, le milieu montagnard passa du simple décor, comme l’arrière-plan non précis des représentations de Turin (De Rossi, Ferrero, 2004), à un territoire exotique peu à peu conquis et nommé. L’imaginaire puissant des massifs, la rudesse réelle des éléments, l’omniprésence du risque, les écarts de l’alpage, suggèrent qu’il faut ici, plus qu’ailleurs, une intelligence particulière et des savoirs inédits pour y vivre. Cette capacité à maitriser les règles d’un milieu difficile est revendiquée par les habitants des massifs. Elle est aussi pour ceux qui choisissent de s’y installer, une source de motivation : si l’on vient ici c’est pour vivre avec et selon les éléments naturels, en s’appropriant les savoirs faire collectifs du massif. Peut-être cette vision est-elle désormais obsolète, à l’heure où l’humanité (occidentale) s’est affranchie des contraintes de son milieu ? Au mot « montagnard » résonne une idéologie alpine, relevant d’une femme ou d’un homme aussi robuste que son environnement, dans ses capacités physiques, sa solitude, sa patience. Un peu à l’image du chasseur du « poids du Papillon» (De Luca, 2011). L’imagerie plus contemporaine, depuis la ville toujours, c’est celle de quelqu’un qui vit avec/pour/par son environnement. Il y a comme une superposition de l’idéalisation du milieu qu’est la montagne, calqué sur son habitant. Avant il était isolé et puissant comme elle. Aujourd’hui il porte son rythme naturel et sain. En sommes, ce sont les qualités qu’on oppose à celles de la ville. Or si l’on regarde le Nord des Hautes-Alpes, le « nouveau» montagnard est pour beaucoup un expatrié des villes, ou un jeune local qui veut la fuir et qui en possède aujourd’hui les moyens ( scolaires, transports...). Il est aussi un ouvrier étranger. Un vieux d’antan. Un retraité de la métropole qui prépare sa transition depuis longtemps. Finalement, le montagnard devient un individu ordinaire. Ce qui fait la spécificité d’un certain nombre de ces habitants, c’est qu’ils sont nouveaux et qu’ils ont fait le choix de s’établir dans la région. C’est donc, à l’inverse de la ville aujourd’hui, un choix qui est motivé d’avantage par l’environnement et la manière de vivre, que par un facteur professionnel et économique. A nuancer bien sur, mais il est indéniable que les places et les secteurs sont limités en comparaison avec les grandes villes. Il est indéniable aussi, que ce qui retient parfois les citadins souhaitant s’expatrier à le faire, c’est leur travail, leur position sociale et leur revenu, comme le témoignait notamment le questionnaire transmis à des individus n’habitant pas un massif. Les secteurs dominants étant le sport et par extension le tourisme, ainsi que les métiers liés à la filières bois et l’agriculture, ils représentent une partie de cette nouvelle population, et mènent ceux qui ne sont pas issus de ces filières à se reconvertir ou à innover. Les idées autour de « néo-ruraux » apparaissent alors et enrichissent la définition de « montagnard ». Manfred Perlik parle même de « gentrification alpine », en mettant en avant la réalité de montagnards aujourd’hui bien urbains. Pour lui, les nouvelles mobilités ne constituent pas un « contre-modèle » de l’urbain en faveur du rural. Au contraire, elles amplifient le modèle urbain vers « un régime d’accumulation mû par la métropole », qui déploie de nouvelles perceptions, pratiques et valorisations. (Perlik, 2011)

LA VILLE DE MONTAGNE. Avant de tenter une interprétation globale, regardons une à une les notions « ville » et « montagne ». La ville est une notion en transition depuis la deuxième moitié du 20e siècle. Nous ne reviendrons pas sur ses dimensions politiques, économiques, sociales, de services et de réseaux. Toutefois, nous pouvons avancer qu’étant l’héritage du tracé romain, la ville fut considérée comme un objet aux limites marquées. C’est parce que cet « objet » a connu un changement soudain et irréversible après la seconde guerre mondiale, du moins en Europe, que sa qualification a été questionnée. La multiplication des essais en atteste : « ville diffuse », « ville fractale », « ville poreuse », « ville


Définitions 22 (9) Ainsi, toute commune, prise isolément ou appartenant à un ensemble de communes, ayant sur une partie ou la totalité de son territoire une zone bâtie de moins de 2 000 habitants est considérée comme rurale. Il en est de même lorsque les communes ont, dans une zone bâtie pluri-communale de plus de 2 000 habitants, moins de la moitié de leur population. Au contraire, une commune qui excède cette borne minimale de 2 000 habitants, mais qui est entourée de communes rurales, est une unité urbaine unicommunale, ou « ville isolée » (10) L’expression « crétin des Alpes » vient du nombre important de personnes atteintes de crétinisme (ensemble de troubles physiques et de retard mental, liés à une insuffisance thyroïdienne par carence environnementale en iode) recensées dans les Alpes en 1850.

franchisée », ainsi que l’apparition de termes alternatifs comme « agglomération », « espace urbain », « métropole ». Une recherche de critères s’opère pour définir la ville, mais lesquels doivent-ils être ? Le nombre d’habitants, d’infrastructures, la superficie ? Certains critères ne sont pas quantifiables mais relèvent du sensible ou d’interprétations personnelles. Le démographe et sociologue Alfred Sauvy met en avant une approche iconoclaste de la ville en disant que, « dans le Midi, une ville moyenne, c’est une ville capable de gagner le championnat de France de rugby ». Le géographe Gérard-François Dumont développe cet exemple. Il reconnait, au travers l’histoire sportive, que pratiquement aucune des villes nouvelles ou des territoires urbains construits depuis 1960, et malgré un nombre d’habitant équivalent à une ville moyenne, n’a gagné de championnat sportif. « Cette réalité serait-elle symbolique d’une incapacité d’être une ville, d’une insuffisance de cette cohésion sociale que les villes devraient assurer ? ». (Dumont, 2010) Il est parfois plus aisé de qualifier une chose par son contraire. La recherche d’altérité a mené au couple « villecampagne » ou « urbain-rural ». La compréhension de cette dualité, ou complémentarité, ou même entité, est en cours de construction. Sans doute, nous faudra-t-il des décennies ou des siècles avant de la saisir, ou du moins, avant d’être en mesure d’énoncer quel était son état au 21e siècle. Toutefois, nous pouvons nous appuyer sur les critères déterminés par l’Insee plaçant le seuil minimal à 2000 habitants (9). Également, une notion de densité apparait puisque l’Insee précise que ces bâtiments sont situés à moins de 200m les uns des autres. Enfin, la ville semble un concept passéiste voire idéal, bientôt au même titre que celui de « village». On associe de plus en plus l’idée de « ville » au centre-ville : à Nîmes, lorsque les habitants du quartier Gambetta traversent le boulevard de 15 mètres de large pour se rendre dans le centre historique, ils disent « aller en ville» (Marconot, 1988). La ville est donc pour eux le support d’activités, de services, et de récits qui peuvent être historiques ou personnels. A contrario, certains habitants de territoires ruraux y associent une altérité forte avec leur propre milieu. La ville est pour eux le support de la densité, la concentration de l’argent, de la culture et des décisions. La ville c’est grand, artificiel, bruyant, on y est anonyme, coupé de la nature et, de ce fait, de « la réalité ». Nous pourrions ensuite aborder la montagne comme milieu en énumérant les ressources qu’elle constitue. Nous pourrions insister sur sa fragilité et les enjeux environnementaux qu’elle représente, chiffrant le propos puisqu’à échelle de vie humaine, les impacts sont visibles, sur l’enneigement, l’érosion des terrains, la diminution de la faune, les changements de la flore, la qualité de son air, la variation des températures et du climat. Également, nous pourrions évoquer l’évolution de la représentation de la montagne au travers les siècles, du milieu hostile et inexploré, à la toile de fond romantique et au territoire exotique, citant écrivains et peintres, géographes et explorateurs. L’entrée que nous choisirons est le rapport individuel que la montagne représente. Reflet d’un changement de pratiques, la montagne est passée du terrain nourricier et contraint, au support de loisirs et de contemplation. Elle est l’objet d’une appropriation individuelle, que ce soit dans le défi de conquête qu’elle a incarné, citons les courses aux sommets des alpinistes dont le plus célèbres dans les Hautes-Alpes est Edouard Whymper, et qu’elle continue d’être pour ses pratiquants. Elle offre un temps en solitaire, un moment de surpassement ou d’introspection. De ce fait, la montagne est polymorphe et peut-être appropriable par un grand nombre, que l’on arpente ses hauteurs physiquement ou que l’on observe de loin ses lignes. Certains la qualifie presque de vitale : « Quel est le don majeur, essentiel de la montagne comme la nôtre ? Ne s’agirait-il pas surtout, au-delà des activités sportives dont elle fournit l’occasion et le décor, de combler un manque affectant d’ailleurs un nombre croissant de citadins ? (…) carence non seulement physiologique mais psychologique, (…) peut-être bien d’ordre poétique.» (Perol, 1972) Notons enfin que si ce territoire peut être un idéal, il peut être aussi un rejet, rattaché à des connotations plus négatives. Il serait en effet peu objectif que de ne relater que l’imagerie positive, en délaissant d’autres mythes comme « le crétin des Alpes » (10), et en omettant d’appuyer sur une contrainte aujourd’hui plus forte que les paramètres climatiques et météorologiques : son isolat. La montagne est donc un territoire subjectif. Quelles en sont alors ses limites ? Il y a plusieurs degrés de « montagne». Les habitants des Monts-Lyonnais se disent à la montagne, alors que les haut-duranciens considèrent que Gap marque déjà la fin du territoire montagnard. Tout comme la ville, c’est dans l’altérité que se construit la perception de la notion de montagne, soit ici depuis le lieu duquel l’observateur nomme « montagne » ou non. Tout comme la ville encore, rechercher des critères permet de cerner l’objet montagne. La définition du CNRTL dit «Forme de relief consistant en élévations importantes de terrains et caractérisée par une forte dénivellation». Ces données peuvent fluctuer d’un pays à l’autre (l’altitude minimale est de 600m en France, elle était de 350m aux Etats-Unis avant 1970). La législation a du quantifier ces données, ne serait-ce que pour la distribution des subventions. De cette limite floue, de plus en plus de labels ou même de villes tentent de tirer parti…


L’ESPACE PUBLIC. Si l’on décrypte ces deux termes, il s’agit d’un support et d’usagers. Le support que nous regardons ici n’est pas de l’ordre de l’immatériel ou de la seule communication, il s’agit du lieu. Également, nous pourrions nous arrêter au régime cadastral, qui détermine si un lieu est légalement considéré comme privé ou comme public. Plus que le statut, c’est la perception qui intéresse ce mémoire. Nous sommes alors face à une notion qui peut être subjective et graduée. Il y a des lieux qui font «plus» espace public que d’autres. Et ceux qui le font pour l’un, ne le font pas toujours pour l’autre. A Guillestre, un accompagnateur en montagne a directement parlé d’un sentier hors la ville. Une fille du même âge a cité une place. Les deux ont évoqué le parking du «Carrefour». Une dernière a nommé ce banc perdu entre les champs. Banc, sentier, centre commercial... ce qui est commun à tous, c’est que derrière les lieux cités sont induits une fréquentation et des usages. Également, d’autres ont cité la bibliothèque que nous qualifierons d’emblée équipement public, car bien que théoriquement gratuite et libre d’accès pour tous, une bibliothèque est régie par ses horaires d’ouverture. Cet exemple interroge sur les squares fermés la nuit. Une question de forme et de cinquième mur apparait alors. Dans une logique opposée, Denis Delbaere intègre les Parcs Naturels (PN) (Delbaere, 2010). La notion d’espace public a tendance à poser des limites d’échelle et un cadre identifiable. Mais quel argument auraiton à opposer à considérer comme espace public un Parc Naturel? Peut-être que nos actes y sont limités en faveur de la préservation des milieux qu’il porte? Mais après tout, l’espace public urbain est lui aussi réglementé. Au-delà des véritables interdictions comme fumer sur un quai, il y a des comportements admis par tous comme marcher sans se bousculer. D’emblée donc, la notion d’espace public soulève des interrogations sur sa forme, son échelle, et son accès. Il est communément entendu que l’espace public serait un héritage de la ville historique, romançant avec nostalgie un passé mythique et les liens sociaux d’antan. Son discours est souvent celui de la réparation de la ville. En vérité, l’histoire de l’espace public est indissolublement liée à l’émergence de la modernité urbaine. Sans avoir

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On en vient donc à la notion de ville de montagne, que l’on comprend aussitôt relative. « Ville de montagne », pourrait tenir de l’oxymore. L’interlocutrice interrogée du CAUE avoua en décrivant un projet : « (…) de la commune, je sais pas si on peut dire ville, j’ai du mal à prononcer ce mot là sur le département ». La spécificité des villes de montagne est-elle leur incapacité à être perçues comme telle, au même titre que les habitants de Verdier en Suisse ne perçoivent leur espace ni comme pavillonnaire, ni comme urbain, car chacune des maisons individuelles est de la forme archétypale du chalet (Pia, 2019) ? Ville et montagne semblent en opposition. Or, même si le contexte naturel demeure fort (pente, températures, risques naturels, saisons encore marquées...), le territoire montagnard, dans ses altitudes les plus basses et sur ses replats, subit le même lissage que le restant du territoire français. Il n’échappe ni aux infrastructures routières, ni aux zones commerciales et industrielles, ni aux lignes pour les réseaux électriques ou l’internet. L’échelle est certes limitée, ce qui en génère, notamment dans les Hautes-Alpes, sa préservation. Mais les évolutions, les déplacements et les échanges d’idées, de besoins, de populations, voire d’activités demeurent. Ainsi, des lyonnais sont bel et bien plus «montagnards» que certains briançonnais citadins, et certains habitent Embrun et travaillent à Marseille. La ville de montagne est donc en transition, ne se soustrayant pas au concept de ville hypertexte d’André Corboz. Également, comme nous le verrons dans le mémoire, les modes de vie et les aspirations des habitants sont déroutants d’urbanité, des plaintes de déjections canines et de saturation des parkings aux demandes de circuits courts et de tiers-lieux. En hyperbolisant, ce qui semble distinguer une ville de montagne d’une ville de plaine, c’est avant tout le paysage autour, l’arrivée ponctuelle de la neige, et celle, plus longue, des touristes. Au même titre que l’architecture des années 1970 pouvait outrer certains par une transposition brutale des « barres d’immeubles » en pleine montagne, l’urbanisme d’aujourd’hui semble, sous couvert de l’accession au rêve de la maison individuelle, être une transposition d’une ville moyenne en montagne. Pour finir, il est important de relever que le terme de «montagne» semble dominer et colorer nécessairement les communes d’un certain idéal. Jean Guibal, conservateur en chef, a écrit une introduction claire et engagée à ce sujet pour le numéro « La cité dans la montagne » de L’Alpe (Guibal, 2004). Il retrace l’étonnement voire le refus qu’aurait eu un habitant de Grenoble si on lui avait dit vivre dans une ville alpine, jusqu’aux changements de valeurs actuels. Il soulève alors la propension récente pour les villes à se revendiquer alpines, en l’absence de critère objectif. « De fait, c’est bien d’image qu’il s’agit. Et c’est une démarche publicitaire qui anime les édiles de nos cités dans un contexte de concurrence plus ou moins feutrée. Le cadre de vie, les valeurs humaines supposées montagnardes ( avec une confusion entretenue avec les valeurs de l’alpinisme) et surtout cette nature réputée sauvage, compose un thésaurus publicitaire dont le jeu offre d’innombrables variantes. »


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Figure 9. CONFLUENCE de la vallée du guil et de la durance, Depuis Saint Clément-sur-Durance.


En connaissance des interprétations faite dans ce mémoire des notions de « ville de montagne », d’«espace public » et de « montagnards », et maintenant que des premiers questionnements ont émergé, il s’agit de mettre en relief et en confrontation ces concepts dans le territoire de la Haute-Durance et à Guillestre.

Définitions 25

toujours été nommé, l’espace public a existé sous diverses formes. La ville antique était avant tout axée sur la typo morphologie de ces espaces, mais limitait leur usage à des catégories sociales particulières, là où au contraire, la ville médiévale, anarchique dans sa forme et dans ses limites du privé et du public, était ouverte à tous (Paquot, 2009). A partir du 18e siècle en France, l’Etat s’empare de l’espace public comme témoin de la grandeur du pouvoir. Il le dessine et le politise, jusqu’aux valeurs hygiénistes de la révolution haussmannienne. L’objet urbain se multiplie, d’abord réservé à une élite comme les bancs, payants dans un premier temps (Aguilar, 2020), puis il se déploie sur le territoire, au-delà même des grandes villes. Le modernisme en marque une nouvelle ère, qui est pour certain sa dissolution. En 1980, la Déclaration de Bruxelles demande que « toute intervention sur la ville européenne réalise ce qui toujours fut la ville, à savoir : des rues, des avenues, des îlots, des jardins… soit des quartiers ». Un retour vers les typos morphologies haussmanniennes apparait, valorisant voire idéalisant les cœurs de villes historiques. Ce rapide survol des formes et typologies révèle la place sans cesse croissante de l’espace public dans l’organisation urbaine. D’abord en surface, passant des parvis et cours, aux squares, aux parcs urbains, aux réserves naturelles, ou encore aux parkings, aux linéaires des galeries commerçantes souterraines, et aux halls de gare et d’aéroport. Également, cette place croissante apparait dans le discours politique qui tend à son idéalisation. Quelle ville ne procède pas à la restructuration de sa grande place, symbole s’il en est de l’identité communale et de lieu des possibles (Delbaere, 2010) ? Mais sur le terrain, l’espace public contemporain n’est finalement pas une plage de liberté publique où les fonctions ne resteraient que potentielles. A la grande idée du partage d’un espace ouvert a succédé la réalité d’un espace fragmenté, divisé en autant de couloirs fonctionnels qu’il y a d’usages différents à mettre en présence. On est passé d’une logique de la confrontation et de l’échange à un principe de séparation et de cloisonnement. Or, si comme le décrit Denis Delbaere, le propre de l’espace public « tient dans sa capacité à constituer le cadre spatial de l’échange et de la confrontation du social », il possède d’autres propriétés qu’un trop grand cloisonnement viendrait à estomper, en plus de limiter les interactions : celui d’agir comme repère. C’est un repère spatial, pour le parcours, mais aussi pour l’identification, l’appréhension et l’appropriation d’un lieu. Également, c’est un repère temporel et symbolique, rythmé par les usages qui s’y déroulent. Vincent Vlès relève ce rôle qu’incarnent les places dans le paysage, par leur nature de point, de convergence, de changement de direction, de leur valeur symbolique et de leur fonction pratique (Vlès, Berdoulay, Clarimont, 2005). Ne se concentrer que sur la forme revient très vite à réduire cet espace à son mobilier, aux lignes tracées sur son sol. Ce serait aussi omettre une propriété grandissante de l’espace public : son rôle de vitrine urbaine. Vincent Vlès dit « Par leur propre morphologie, les espaces publics constituent la face concrète des multiples processus qui contribuent à la production, reproduction et diffusion des images qui donnent sens à la ville. » Les communes s’emparent de plus en plus de cet outil, à l’heure de la concurrence urbaine.


Figure 10. formation en «village rue» (Vars Ste Catherine), et en «village tas» (La Font)

l’espace public existe-t-il en montagne? 2/Retour historique dans le Nord des Hautes-Alpes. 26


1/ L’espace public est-il délaissé dans les montagnes françaises ?

Reconnaissons-le, ce sujet d’étude était fondé sur des aprioris, ou des intuitions, quant à l’attention portée à l’espace public en montagne. Contrairement à l’Autriche dont l’altitude moyenne culmine à 899m ou à la Suisse qui est à 1370m, la moyenne française se situe à 375m. Bien que nous ayons différentes chaines montagneuses et que nous portions le Mont-Blanc, il peut être entendu que la culture du pays n’est pas montagnarde. Il peut également être entendu que les innovations n’ont pas pour terrain d’origine les villes situées en montagne, mais plutôt en plaine. En somme, il peut être admis qu’il y ait une forme de rétro activité, et une conception urbano centrée dominante. Ce qui a été charnière dans le développement des territoires montagnards est sans conteste ce que l’homme urbain a choisi d’y établir : l’économie touristique. Nous ne reviendrons pas sur l’apparition et l’essor des stations de ski, qu’elles soient greffées à des villages existants ou ex-nihilo. Nous allons plutôt nous intéresser à ce qui se trame dans les communes situées au bas de ces stations, ces communes par lesquelles le touriste ne fait que passer l’hiver, ou dans lesquelles il descend faire ses courses pour échapper aux prix exorbitants des cimes. Ce sont les villages et villes valléens. Marc Perol dénonçait le développement anarchique de cette montagne du bas au profit du marché de la neige, telle une « future grande banlieue d’agglomération » (Perol, 1972). Qu’en est-il réellement aujourd’hui ? Ces villes sont-elles les enfants pauvres des territoires de montagne, dans l’ombre des stations ? L’observation par le prisme de l’espace public permet de mesurer l’état de la commune. Sur les trottoirs se mesure la bonne santé d’une ville. L’espace public serait-il oublié en vallée, puisqu’il ne s’agit que d’y passer, et puisque l’attention est aux stations ? Également soumis aux contraintes liées à la neige et faisant face au paysage naturel accessible à pieds en une poignée de minutes, l’espace public perdrait-il de sa valeur et de son intérêt ? Si les espaces publics venaient à être délaissés dans le territoire Haut-Alpin, en quoi serait-ce une spécificité montagnarde plutôt qu’un problème retrouvé dans les agglomérations de plaine à la taille et aux moyens similaires ?

2/ Retour historique dans le Nord des Hautes-Alpes.

Pour comprendre ce que l’on regarde aujourd’hui, retraçons ce que fut l’espace public dans le Nord des Hautes-Alpes hier, afin de saisir les continuités ou les ruptures d’un éventuel héritage. Parlons d’abord de forme urbaine. Le regroupement est l’organisation spatiale historique de la région. Il n’existe pas d’habitation isolée ancienne, toutes les habitations hivernales et la majorité des estivales étant agglomérées en petits villages. Deux formes urbaines dominent : « le village rue » et « le villages-tas » (figure 10), généralement en hauteur. Le village-rue, comme son nom l’indique, s’étend le long d’un chemin ou d’une voie. Ce pincement autour de la circulation permet de suivre les courbes de niveaux, et d’étirer les surfaces agricoles au plus près des maisons. Le village-tas est quant à lui une agglomération plus dense de bâti, ou vent mais aussi lumière circulent moins. Il peut jouer du relief en s’inscrivant sur un promontoire. Là encore, sa consommation de surface doit être la plus minime en faveur des champs. Chaque commune compte un certain nombre de hameaux, entre lesquelles il n’existait pas nécessairement de hiérarchie. Dès qu’ils atteignaient une certaine taille, ces hameaux étaient eux-mêmes divisés en quartiers, devenant des communautés indépendantes. St Véran fut par exemple divisé en 5 groupes de constructions. Ces quartiers jouissaient d’une autonomie, en devenant notamment une paroisse, et certains élisaient leur consul (11). Cette subdivision dessinait un territoire de micro-communautés. Les gestions et les conceptions se faisaient donc à une échelle presque familiale. Également, cette organisation était fonctionnelle. Elle permettait de réduire la surface de voies de circulation à terrer l’hiver pour éviter la formation de verglas dans les rues des hameaux et quartiers, et à intercaler des espaces suffisants entre chacun d’entre eux, pour éviter la propagation et l’ampleur des incendies. Ce modèle urbain est encore aujourd’hui visible. Il constitue l’une des spécificités de la vallée de la Durance, à savoir que les villes et villages demeurent encore des objets cernables. Néanmoins, nous y reviendrons, ces formes urbaines tendent à s’étendre, s’ouvrir, et suivre des logiques de construction et de développement qui ne sont plus les leurs. Observons à présent ce que fut la forme originelle des « vides » dans les villages Hauts-Alpins qui constituent les actuels centre bourgs. L’organisation spatiale en maisons fortement agglomérées, indépendantes les unes des autres, et orientées de la même manière, vers le Sud ou la vallée, ont déterminé des vides de circulations, soit les rues. Peu de façades sont sur rue en vis-à-vis, si ce n’est le long de la voie principale. Ces habitations s’ouvrent sans transition sur la voie publique (figure 11). Les cours privées closes par un mur de pierres percé d’un portail

l’espace public existe-t-il en montagne? 3/Quelles formes pour les espaces publics de la Haute-Durance aujourd’hui?. 27

1/ l’Espace public existe-t-il en montagne?

(11) Elus par l’assemblée générale formée par la réunion de tous les chefs de famille de plus de 20 ans. Pour être éligible, il fallait avoir une propriété cadastrée, sans taille minimale requise. Ce titre était non rémunéré. Le consul était responsable de la levée des impôts. Il pouvait être emprisonné et ses bêtes confisquées s’il ne réglait pas à temps ses obligations, (des travaux d’entretien d’église...). Ce système fut en place jusqu’à la fin de l’Ancien Régime.


l’espace public existe-t-il en montagne? 2/Retour historique dans le Nord des Hautes-Alpes. 28 Figure 11. sans transition sur la rue, Vallouise

Figure 12. l’agricole dans la rue, Guillestre

Figure 13. LES fete, les jardins du tissu urbain, Vallouise Figure 14. LE cimetière devient place, Vallouise


Dans le Nord des Hautes-Alpes, l’espace public, en tant qu’espace aménagé et pensé comme tel est donc un fait de la modernité. Qu’en est-il du paysage urbain aujourd’hui ? Pour en comprendre les formes contemporaines, les divergences et les récurrences qui demeurent, il s’agit de retracer le portrait des communes significatives de la vallée, de par leur taille et leurs spécificités historiques et paysagères.

3/Quelles formes pour les espaces publics de la Haute-Durance aujourd’hui ?

Cette vallée dite en « U » est d’origine glaciaire, ce qui explique, en coupe transversale, sa forme d’auge avec certains de ses flancs abrupts et son large fond plat, et en coupe longitudinale ses nombreux ressauts et ses verrous glaciaires, dont la plupart sont devenus des promontoires habités. Le plus célèbre est la cité fortifiée de Mont-Dauphin, dont « la marque » Vauban lui vaut son classement à l’Unesco. La diversité des typologies d’espaces engendrée par la Durance a généré une diversité des formes urbaines. Le présent mémoire portant particulièrement sur Guillestre, nous allons décrire les communes significatives dans un rayon de 20km autour, soit la mesure d’une journée à pied. Ce tour permet d’embrasser la diversité de la vallée, d’ancrer la commune dans son paysage urbain et d’en révéler les permanences. Du Sud au Nord, nous allons voir successivement Embrun, centralité économique, démographique et historique, Guillestre, Risoul, resté hameaux d’habitation en bas de vallée mais agrandi d’une station de ski sur ses hauteurs, Mont-Dauphin, cité militaire ex-nihilo, Saint-Crépin, petit village resté relativement en retrait du développement urbain des années 60-80, et L’Argentière-La-Bessée, ville industrielle qui a dû se réinventer lorsque les logiques économiques ont muté. (figure 15) Commençons au Sud par Embrun. Le développement de la ville s’est fait en deux temps. Historiquement perchée sur son « Roc », Embrun était la cité épiscopale la plus importante de la région. L’archevêque d’Embrun, reconnu dès 829, eut sous sa tutelle des évêchés jusque dans les Alpes-Maritimes. Son patrimoine architectural était donc riche et important, comprenant jusqu’à 7 paroisses et une enceinte projetée par Vauban, rasée notamment par l’arrivée du chemin de fer en 1882. La construction du barrage de Serre-Ponçon en 1959 constitua le renouveau de la ville. Le développement urbain engendré s’étira avec du pavillonnaire sur les pentes en amont du roc, et des zones commerciales, industrielles et touristiques en aval, autour du lac et du plan d’eau artificiel. L’espace public de cette commune de plus de 6000 habitants prend aujourd’hui plusieurs formes. Dans le centre historique, il est un patchwork médiéval, constitué de placettes, de places, de ruelles, de squares et de parvis d’église dont la majeure partie est investie par des parking. Le sol est tout aussi éclectiques, oscillant entre des pavés en granit, des galets, quelques pierres en marbre rose pour les édifices importants, des pavés en bétons des années 70’ et de la pelouse, face à un enrobage d’asphalte uniforme et pas toujours entretenu. Le boulevard urbain, ou D994H, a été réhabilité en 2013 par le cabinet embrunais Garcin et Coromb. Il entoure le centre uniformément tout au long de ses 3 kilomètres : du béton désactivé beige, des pierres de taille claires qui soulignent les

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sont exceptionnelles, sauf dans le Queyras où elles prolongent les dispositifs de circulation et ont un caractère traditionnel. De ce fait, la rue était une forme d’extension de l’habitation de chaque famille. Elle constituait une sorte de cour de service où les habitants y abandonnaient les ramasses (traineaux) et les outils. Pendant la stabulation hivernale, ils y entreposaient le fumier sorti de l’étable. La volaille y picorait librement et le bois de chauffage s’empilait le long des murs, à l’abri des avant-toits. L’hiver il fallait aménager les abords encombrés de neige et faire la trace à la pelle entre les portes de l’écurie et de la grange, et entre les maisons. (figure 12) Enfin, les jardins potagers étaient à la périphérie des maisons, formant une auréole maraichère hérissée de palissade de bois, et parfois associés aux vergers pour former de grandes parcelles, notamment dans la Durance. Seule Vallouise possédait ce qu’ils appelaient « les fêtes », soit des jardins dans le tissu urbain, enclos par un mur en pierre. (figure 13) Pour finir, il est particulièrement intéressant de noter que l’espace public tel qu’on l’imagine aujourd’hui n’existait pas. Les assemblées générales se déroulaient en plein air, communiquées par le curé, par le champier qui se rendait dans chaque hameau, ou par affichage. L’espace extérieur de réunion était appelé « place publique » mais il se réduisait au parvis d’une maison, ou, pour la majeure partie du temps, au cimetière qui entourait l’église. L’ouvrage L’Habitat du Nord des Hautes-Alpes relate : « Contrairement aux villages du midi de la France, ceux du Nord des Hautes-Alpes se caractérisaient par une apparente absence d’organisation de l’espace public. Les places de village actuelles, comme celles de Ceillac ou de Vallouise (figure 14), sont nées du transfert du cimetière paroissial en dehors des agglomérations » (Mallé, Heller, Pegand, Roucaute, 199. Si la météo ne le permettait pas, les évènements officiels s’organisaient sous le porche de l’église, ou à l’intérieur. Jusqu’au 18es, il n’y avait pas de maison commune. Les mairies sont postérieures à la Révolution et les archives étaient abritées dans les églises.


l’espace public existe-t-il en montagne? 3/Quelles formes pour les espaces publics de la Haute-Durance aujourd’hui?. 30

l’argentière-la-béssée la roche de rame

st crépin montdauphin guillestre risoul

embrun

Figure 15. TOUR DES COMMUNES d’embrun à l’argentière-la-béssée, Non exhaustif


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Figures 16 à 21. PORTRAIT D’EMBRUN

Figure 22. nîmes, Boulevard Gambetta

Figure 23. embrun, Boulevard Pasteur

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Figure 24. GUILLESTRE, Comparaison vue aérienne de 1965 et de 2020

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Si l’on remonte la Durance, nous arrivons après 20 minutes en voiture à Guillestre. Du haut de ses 2300 habitants, c’est une des communes les plus importantes du territoire. Sa position entre Durance et gorges du Guil en fait le passage obligé vers le Queyras, et vers les stations de Vars et Risoul. Ancien bourg fortifié, la trace des anciens remparts, matérialisée ici et là par des portes, abrite l’actuel centre-ville. Si Guillestre n’a pas connu d’élément déclencheur aussi visible que le lac de Serre-Ponçon, cela n’a pas empêché une explosion de cet ancien village agricole. Sa population a été multipliée par 1,5 entre 1965 et 2020, et sa surface urbanisée par 8,5, laissant présager le mitage qu’a connu le plateau agricole guillestrin (figures 24 et 25). Le développement urbain, qui ne s’est pas encore accaparé toutes les parcelles de culture limitées au Nord par les gorges, s’est largement étendu vers le fond de la vallée de la Durance où bourdonne la Nationale 94. C’est une logique d’implantation nouvelle, qui n’est plus pensée selon les terres agricoles, ni selon les risques de crue des cours d’eau, ni selon les reliefs, mais qui est désormais à l’échelle des terrassements possibles par la machine. Le plat est recherché, et qu’importe que les terres fussent riches d’alluvions, et la proximité avec la Nationale, ligne structurelle du réseau Haut-Alpin est pensé comme un atout. Ces quartiers de fond de vallée, finalement appelés « zones » industrielles et commerciales, font désormais office d’entrée de ville, tout comme à Embrun (figure 26). Les formes de l’espace public Guillestrin sont finalement semblables à celles d’Embrun. Il y a là encore les vides générés par le bocage pavillonnaire qui recouvre la majorité de la superficie du Guillestre bâti. Voirie et voitures sont reines, et certains des creux du centre bourgs sont aujourd’hui des parkings. Il demeure néanmoins quelques placettes, les rues du centre n’étant pas toutes praticables en voiture, des abris pour les lavoirs, et deux places publiques principales structurent Guillestre. La première est la place du Général Albert. Elle fait face à l’église, et elle est bordée d’un bar animé, d’une librairie, d’un glacier ouvert le soir en été et d’autres commerces. Un immeuble s’y est effondré en 2014, ce qui a totalement ouvert la place, ramenant de la lumière et la proportionnant au Guillestre agrandi du 21e siècle. La seconde place publique la plus grande est celle de Joseph Salva, entourée de l’office de tourisme et de plusieurs bars et restaurants. Au contraire de la première qui est enfoncée dans le tissu urbain, celle-ci, de par sa position d’angle de rue, est beaucoup plus ouverte. Un autre des espaces notables est le square qui rassemble les plus âgés au club de pétanque, les sorties des collégiens, les usagers du stade de basket, et les parents autour des quelques jeux pour enfants. Le parking du carrefour, en plein cœur de ville, est aussi le lieu des rencontres. Enfin, un des autres espaces largement fréquentés est le sentier du plateau agricole du Simoust où se côtoient promeneurs du dimanche et grimpeurs dès les beaux jours. Il est particulièrement important de noter l’apparition de l’agricole dans l’espace public de Guillestre. En effet, l’héritage agraire est présent et mobilisé par les habitants. Il se traduit par des champs en friches dans le tissu urbain, où villas des années 1970 côtoient cabanes d’outils agricoles, mais aussi par les canaux d’irrigation qui animent des cheminements nouveaux entre les parcelles habitées (figures 27 à 32). Parmi les communes suivantes nous pouvons citer Risoul, archétype du « village-rue » décrit plus haut. La commune est découpée en différents hameaux s’écoulant tout au long des zig-zags de la départementale. Les centres-bourgs ne sont peu voire pas reconnaissables. On les devine à la densité de bâti plus importante et à la présence de bâtiments publics comme la mairie. Néanmoins, aucun aménagement urbain ne contribue à leurs lisibilités. Ces successions d’agglomération de maisons sont comme les étapes traversées d’un chemin qui mène jusqu’à la station construite ex-nihilo : Risoul 1800 (figures 33 et 34). Il y a de l’autre côté du Guil la cité fortifiée de Mont-Dauphin, fondée en 1693 par Vauban et inscrite au patrimoine

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hauteurs de trottoirs, la piste cyclable proprement tracée, les grilles des arbres et les jardinières. L’espace, par son sol, est unifié. Mais en devient-il standardisé ? La première intuition sur place fut que le vocabulaire choisi était finalement très proche des tonalités visibles dans le centre nîmois, requalifié par Alain Marguerite, Wilmotte & Associés, Michel Corajoud et Antoine Grumbach (figures 22 et 23). Une forme d’anatopisme en somme. Il se trouve justement que la ligne directrice de la mairie était de réaliser un espace « comme à Aix-en-Provence », en utilisant notamment des pierres du Rhône, dont on se doutera de la portée des problèmes engendrés par le gel. On touche là à l’une des limites à penser un espace public comme une image, et à opérer avant tout la requalification visuelle d’un lieu. Outre les vides créés par le « bocage pavillonnaire », pour reprendre l’expression de Pauline Frileux, une autre des formes de l’espace public les plus importantes de la ville est l’aménagement paysager autour du plan d’eau du lac artificiel de SerrePonçon. L’unité apparait à travers le mobilier (même gamme de lampadaires, barrières en pin...) et une tonte impeccable de la pelouse. Le stabilisé contribue également au parcours paysager. Le terminus de la promenade est un ensemble d’infrastructures touristiques, d’équipements nautiques et de résidences. Cela laisse présager le destinataire premier de ces espaces, et explique les nombreux panneaux réglementaires et les caméras suspendues aux arbres (figures 16 à 21).


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Pente importante (moyenne +30 °) Falaise Parcelle agricole Parcelle agricole disparue Parcelle agricole en friche

Figure 25. réduction de l’agricole. Pente importante +30 °) Pente importante(moyenne (moyenne +30°) Falaise Falaise Parcelle agricole Parcelle agricole (148 ha) Parcelle agricoledisparue disparue Parcelle agricole Parcelle agricole friche Parcelle agricole enenfriche

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Nationale et départementales Equipement public, commercial et industriel Tâche urbanisée Centre historique

Figure 26. Un changement des logiques. Nationale et départementales Nationales et départementales Equipement commercial Equipementpublic, public, commercial et et industriel industriel Tâche Tâcheurbanisée urbanisée Centre Centrehistorique historique

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Figures 27 à 32. PORTRAIT DE GUILLESTRE

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Figures 33 à 34. PORTRAIT DE RISOUL

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Figures 35 à 36. PORTRAIT DE MONTDAUPHIN

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Figures 37 à 38. PORTRAIT DE SAINT CREPIN

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Figures 39 à 42. PORTRAIT DE L’ARGENTIèRE-LA-BéSSéE

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l’espace public existe-t-il en montagne? 3/Quelles formes pour les espaces publics de la Haute-Durance aujourd’hui?. 38 (12) La Gargouille est un objet urbain récurrent dans les Hautes-Alpes. Ce sont des rigoles médianes qui, par des captages en amont, permettaient à l’eau de dévaler constamment la pente. Elles assuraient le ravitaillement en eau mais servaient aussi à la lutte contre les incendies et à l’évacuation de la neige. Les plus célèbres gargouilles se trouvent à Briançon.

mondial de l’Unesco. La vie à Mont-Dauphin a toujours été décrite comme « morne, ennuyeuse, voire déprimante » (Favier, 2004) : longueur des hivers, isolement (une seule sortie vers Eygliers), le vent permanent. Pour que les soldats d’antan puissent y vivre un peu mieux les longues attentes de l’ennemi, Vauban conçu un projet de ville royale complète, la population civile soutenant le moral de la garnison. Les maisons furent construites sur un plan préétabli, avec des caves voûtées servant d’abri, un rez-de-chaussée réservé aux échoppes, un étage pour l’habitation et, enfin, un grenier. Des rues droites et larges suivirent une gargouille (12) centrale en marbre rose ; des fontaines et des lavoirs sont des équipements urbains qui facilitent la sociabilité de la vie quotidienne. Pour attirer la population, les terrains furent mis gratuitement à disposition pour qui voulait construire, et les habitants bénéficièrent de franchises d’impôts. Également, il fut demandé le transfert d’administrations de Guillestre, qui n’eut jamais lieu. Formidable instrument de dissuasion, la place forte n’a jamais connu de siège et faute d’habitants qui acceptèrent de vivre près de la garnison, les soldats furent condamnés, comme l’explique un contemporain, « à ne trouver dans leurs camarades que l’ennui qui leur est devenu commun ». Mont-Dauphin battit des records de désertion. La commune compte aujourd’hui 174 âmes, et connait quelques animations l’été venu, avec la présence d’ateliers d’artisans, les visites de son fort, son centre de vacances de l’IGESA et ses quatre points de restauration. Son espace public est dessiné dans la rigueur militaire, taillés dans les pierres de la région avec un vrai jeu de calepinage et une variété des matériaux au sol, les perspectives maintiennent pour horizon le massif, mais on sent malgré tout l’enfermement et l’isolement, et l’animation de la vie sociale est particulièrement saisonnière (figures 35 et 36). Nous pouvons ensuite citer l’exemple de St Crépin. Ce village de 703 habitants possède lui aussi un hyper centre implanté sur un promontoire rochaux. N’ayant jamais été fortifié, il est ouvert sur le paysage. Son tissu est dense, formé par l’agglomération des bâtiments face aux contraintes climatiques. Cette proximité des habitats semble métaphore de la proximité des habitants, du moins, c’est ce qui est ressenti lorsque l’on arpente ses rues et ruelles, où linges et jouets d’enfants côtoient chaises, pots de fleurs et outils du quotidien (figures 37 et 38). Nous terminerons ce tour non exhaustif des espaces publics Hauts-Alpin avec l’ancienne ville industrielle de l’Argentièrela-Bessée. Issue de la fusion des hameaux de L’Argentière et de la Bessée en 1791, la commune abrite plus de 2200 habitants. Elle est historiquement célèbre pour ses mines d’argent qui furent exploitées du moyen-âge jusqu’au début du 20e siècle. L’activité fut alors remplacée par la métallurgie de l’aluminium, qui transforma profondément le paysage avec sa centrale hydroélectriques et ses quatre conduites forcées. En 1988, l’usine d’aluminium Péchiney ferma ses portes, et la ville fut contrainte de revoir sa politique économique et territoriale. Joel Giraud, qui fut maire de 1989 à 2017 releva et réorienta sa commune en développant les sports nautiques et en affirmant l’Argentière comme « la porte des Ecrins ». L’histoire de la ville permet de comprendre sa forme urbaine, tournée vers la Durance, des usines aux bases nautiques. Le centre-ville semble de ce fait éclaté sur une même ligne, avec un pôle plus actif qui se dessine au niveau d’un des deux ponts de la ville. Il est peu cernable, et là encore, la majorité des espaces favorise la voiture (figures 39 à 42). Le retour historique sur la construction des formes urbaines et ce rapide survol des différents types de communes permet une première compréhension formelle de l’espace public de la Haute-Durance d’aujourd’hui (figures 43 à 51). Des grandes récurrences apparaissent. La plus visible est la domination des infrastructures routières et des espaces et équipements mis en place pour les voitures en marche, et à l’arrêt. Sans même aborder les nuisances sonores, la pollution et les problèmes de sécurité, d’autres points tout aussi contraignants sont observables sur l’espace. La vie urbaine et sociale peut en être totalement dépendante. A la Roche de Rame, les habitants réclament depuis des années une déviation, pour pallier la départementale qui scinde en deux le village, ne générant que des façades fermées. A contrario, il est entendu que la déviation construite autour d’Aiguilles dans le Queyras, a réduit l’attractivité du village puisqu’il est moins traversé. Un équilibre doit donc être à trouver entre confort de ville et fréquentation automobile, par la vitesse par exemple, le détournement des véhicules les plus importants comme les poids lourds, et l’aménagement paysager. Au-delà des fractures que peuvent entrainer le réseau routier, ce qui semble d’ailleurs paradoxal au simple terme « réseau », il s’agit des transformations paysagères et du bouleversement des logiques constructives. En effet, dans une région où la contrainte naturelle était maitresse des implantations et du dessin architectural, l’échelle est passée de la pierre et de la main de l’homme à la voiture et à la machine. Le fond de vallée, où les terres riches d’alluvions étaient cultivées prévenant de ce fait des éventuelles crues, est désormais le terrain de la ligne ferrée, de la nationale, et des « zones » construites pour la voiture, support de parking et d’équipements industriels et commerciaux. Ces espaces génériques construits en extérieurs des communes en sont désormais leurs entrées. Le parcours du piéton y est confronté à des


La seconde récurrence est la sectorisation relativement nette des types de zones et de quartiers, et leur juxtaposition. Ce découpage est historique (ville ancienne, fortifiée ou non, et ville nouvelle, développée en fond de vallée ou autour des gares), topographique (quartiers hauts généralement sur un promontoire et quartiers bas), sectoriel (quartier d’habitation, d’équipements touristiques, zones commerciales…), ou typologiques (centre bourg dense, pavillonnaire et ses logements individuels). Le rapport a l’agricole diffère selon les communes. Il peut être une hybridation plus ou moins ponctuelle dans tissu urbain, ou en être la ceinture. Finalement, le dit « espace public » fait figure de « négatif » de chacun de ces quartiers. Outre un vide réservé à la circulation automobile, comme précédemment évoqué, il est le vide du bocage pavillonnaire, marqué par endroits de trottoirs, matérialisé parfois par des bancs. Il est une ruelle médiévale tortueuse, l’ancien emplacement d’une maison effondrée, d’un cimetière délocalisé, un vide végétalisé le long de remparts… Il est aussi une large surface investie par les voitures durant les horaires d’ouverture d’un commerce, ou à l’approche d’un train ou d’un bus qui viendrait de Marseille, un pan de pelouse stérile aux pieds d’une résidence touristique… En somme, l’espace public n’est majoritairement pas un espace de lien, mais de remplissage. L’un des exemples les plus probants est peut-être le boulevard Pasteur réhabilité à Embrun. Développant ses propres codes, et pensé dans sa seule longueur, il a développé sa propre écriture et marque d’autant plus la scission entre les quartiers pavillonnaires et le centre ancien. A l’inverse, les espaces agricoles, par leur dispersion dans le tissu urbain comme à Guillestre, mais fédérés grâce à leur langage commun, et par la continuité de certains de leurs réseaux ou cheminements, comme les canaux d’irrigation, offrent une lecture nouvelle de l’espace public. De plus lorsqu’ils sont en friche, ou lorsque la culture est en accord avec le territoire, ils contribuent nécessairement au vocabulaire spécifique du lieu, abritant la faune et la flore endémiques. Une forme de porosité générale apparait, créant de ce fait une vision d’ensemble et une unité. Également, une pensée par surface et non plus seulement par ligne, donne de l’épaisseur à l’espace public. Il ne s’agit plus seulement du point « A » et du point « B », mais bel et bien du parcours. Enfin, le dernier point de récurrence brièvement évoqué est bien sur lié à la géographie de la région. Il s’agit là de la gestion de la pente, de la neige, du vent, du soleil, de l’écoulement des eaux, de la prévention autour des crues, des glissements de terrains, des coulées de boue, et de la matérialité. Outre les logiques globales et structurelles comme la conduite à telle forme d’implantation, l’investissement de tel versant, l’interdiction de construire à tel endroit, le renforcement d’un mur ou d’un soutènement… le contexte géographique mène à l’apparition d’objets ou d’évènements urbains que l’on peut considérer comme des manifestations du lieu. Cela peut être des adaptations au pas à pas, comme la reprise d’un changement de niveau du sol, des objets temporaires comme la protection d’un pied de porte en bois par une plaque en métal l’hiver, des innovations liées à l’usage ou l’expérience, comme des galets au sol fixées sur leurs tranches et perpendiculairement à la pente pour que la parcours soit moins glissant… C’est généralement dans les centres bourgs que ces évènements existent, ou du moins sont les plus visibles, et les moins standardisés. Les déceler, comprendre les raisons et les origines de leur existence, savoir les réemployer ou les adapter c’est aussi être dans le dessin juste et cohérent de l’espace public d’un territoire donné. S’il est des permanences qui demeurent, et si l’opportunité agricole laisse entrevoir des espaces d’intérêt, les problématiques les plus récurrentes de la vallée sont finalement similaires à celles des villes dites moyennes. Nous n’avons pas à faire à des petits hameaux et villages montagnards calqués sur les clichés couramment partagés, mais à des formes d’urbanisation ou de périurbanisation. Le terme de « Zwischenstadt » (13) de Thomas Sievert convient désormais, définissant une ville qui se déploie entre les vieux noyaux historiques et la campagne ouverte, entre les lieux de vie et les non-lieux des réseaux de communication, entre les circuits économiques locaux et les réseaux de dépendance au marché mondial, dans une vallée distendue au rythme des saisons touristiques. Si aujourd’hui le viaire et les infrastructures à l’échelle du touriste et non plus du territoire dominent, il est important de souligner qu’un meilleur équilibre peut être trouvé, ne niant pas ces installations hors échelle, mais en leur donnant du sens. En effet, les grands systèmes de transport et leurs nœuds, les gares, les centres commerciaux et les dépôts, dont l’architecture jetable domine la perception, doivent enfin être considérés comme des éléments de structuration formelle voire paysagère. De l’autre côté de la balance, de nouvelles fonctions doivent être attribuées aux centres historiques à la charge symbolique

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ronds-points, quelques passages spécifiques où traverser, et une ligne blanche continue au sol comme rempart contre les quatre roues à 50km/h. Finalement, la vallée se pare peu à peu des traits que produisent les non-lieux du périurbain. Les centres-bourgs quant à eux voient leurs trottoirs et leurs surfaces de creux, qu’on aurait pu appeler placettes, investis par les voitures. Enfin, nous évoquerons simplement les congestions importantes durant la saison estivale.

(13) Le concept d’entreville, ou zwischenstadt, a été élaboré par Thomas Sieverts, avec un livre publié en 1997 intitulé : Zwischenstadt, zwischen Ort und Welt, Raum und Zeit, Stadt und Land. Dans un entretien accordé à Métropolitiques, l’architecte et urbaniste allemand revient sur ses réflexions d’alors : « J’avais à l’époque donné au terme « Zwischenstadt » plusieurs dimensions, comme l’indique le soustitre : une dimension spatiale au sens d’une interpénétration de l’espace bâti et du paysage ouvert, une dimension économique au sens de la coexistence d’une économie agissant localement et d’une économie opérant sur le plan mondial, et une dimension historique au sens où ce territoire urbain encore si jeune, qui existe seulement depuis quelques décennies et se trouve dans un état transitoire, évolue vers une nouvelle forme urbaine que nous ne pouvons pas encore connaître. » (source : CHARMES Eric. (2015, Octobre). Entre-ville. Récupéré le 18 Février 2020 de : http://www.citego.org/ bdf_fiche-document-24_ fr.html#:~:text=Le%20 concept%20 d’entre%2Dville,und%20 Zeit%2C%20 Stadt%20und%20 Land.&text=Or%20 ce%20territoire%20 pr%C3%A9sentait%20 toutes,appeler%20l’entre%2Dville. )


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Implantations endémiques.

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Renouveau des morphologies urbaines.

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Architectures génériques. Figures 43 à 48 : les nouvelles écritures urbaines et architecturales


l’espace public existe-t-il en montagne? 3/Quelles formes pour les espaces publics de la Haute-Durance aujourd’hui?. 41 Figure 49. Une perte d’identité: entre déséquilibre (poids des parcs et des stations) et polymorphie (diversité des formes et des cultures urbaines)


Figures 50. DES INFRASTRUCTURENT QUI NIENT L’EXISTANT.

l’espace public existe-t-il en montagne? 3/Quelles formes pour les espaces publics de la Haute-Durance aujourd’hui?. 42


Figure 51. DES INFRASTRUCTURENT QUI NIENT L’EXISTANT. l’espace public existe-t-il en montagne? 3/Quelles formes pour les espaces publics de la Haute-Durance aujourd’hui?. 43


l’espace public existe-t-il en montagne? 4/ L’espace public au service de l’image? 44

forte et au caractère irremplaçable. L’un et l’autre doivent se nourrir et être complémentaires, et une continuité et une cohérence doit être perçue. L’espace public peut-il retrouver ce réel rôle de lien, pas seulement social mais formel, et devenir un facilitateur de la cohabitation d’infrastructures et de quartiers à première vue bien différents ? Une cohérence et un sens global peuvent-ils être générés par un espace public qui serait comme révélateur de ce qui existe ? Peutil mettre en avant des jonctions et des liens qui lui seraient antérieurs, peu visibles aujourd’hui ? Toucher les points névralgiques du territoire donné permettrait de redonner de la clarté et de la lisibilité. Ce serait, de ce fait, un paysage que l’on comprend, dont on peut s’approprier les lignes structurantes, et dont on en retient plus aisément l’image. L’image. Il est une faculté pas toujours admise par tous, car peu quantifiable et peu conscientisée, c’est l’influence de l’espace public sur l’image d’un lieu. Tenter de comprendre si les espaces publics HautsAlpins sont délaissés sans traiter de la question de l’image, dans une vallée régie par le tourisme, serait nier une partie majeure de l’histoire, de l’économie, et du développement du territoire.

4/L’espace public au service de l’image ?

Les enjeux de l’image dans la Haute-Durance se situent à deux échelles. La première concerne le territoire de montagne dans sa globalité, ses habitants et leur propre cadre de vie. Il y a le portrait idéalisé du montagnard dont l’homme urbain veut se saisir, la demeure familiale caricaturée par le chalet de bois, et l’idéal du village communautaire disparu, si tenté qu’il ait un jour existé, mais aujourd’hui réinterprété. L’architecture peut alors être sollicitée pour appuyer un discours nostalgique voir imaginaire. Cet usage décrédibilise le bâti qui n’en devient que pastiche. Cette exploitation du passé et du « tout patrimoine » est, comme le décrit le géographe Guy Di Méo, un rempart devant la mondialisation qui abolirait les originalités et les humanités (Di Méo, Sauvaitre, Soufflet, 2007). Cet usage de l’image est autocentré, il n’est pas là pour s’exporter mais au contraire pour valoriser les intériorités voire enfermer. Également, cette prolifération du patrimoine et sa surconcentration en certains lieux produit une intense valorisation et une distinction des espaces sociaux. En renchérissant leurs coûts d’accès, cette plus-value les met à l’abri d’une altérité sociale (immigration, pauvreté, délinquance, etc.) que redoutent leurs habitants. Cette altérité est finalement propre à la ville. Le fait de conjuguer au discours passéiste les spécificités montagnardes, amplifie la dualité ville/montagne (ou campagne). « La ruralité fossilisée, contrôlée par de nouvelles classes moyennes bel et bien urbaines, devient une sorte de garantie socio spatiale, un antidote contre les poisons supposés de la ville, une assurance de valeur des biens » conclue Guy Di Méo. La valeur des territoires de montagne dépend de cet écart avec la ville. En effet, la nature possède une double fonction. Elle répond à des besoins de bien-être biophysiques (lumière, calme, absence de pollution, sécurité) et elle représente un capital symbolique qui distingue individus et couches sociales. Les besoins fondamentaux sont désormais marchandisés et leur valeur est dynamique. Elle dépend des changements temporels et spatiaux nécessités pour leur accès. Ainsi, ces bénéfices se banalisent si les besoins biophysiques trouvent déjà leur réponse dans la proximité. À l’inverse, lorsque les paysages visés sont rares et perçus comme particulièrement esthétiques, leur valeur de propriété augmente et ces qualités deviennent des objets de désir du fait de leur rareté (habitat avec vue, exclusivité d’un lieu ou d’une perspective…). Une dépendance à la ville et une vision urbano centrée demeure. Si entretenir la dualité ville/montagne accentue la valeur des massifs, il en va de même du maintien des codes archétypaux et passéistes. En effet, cela confère une « marque », ou selon un terme plus au goût du jour un label, au territoire de montagne. L’environnement alpin devient un produit à vendre, et son discours archétypal un outil de communication. L’écrivain engagé John Berger dira : « La publicité est nostalgique dans son essence même. Son rôle consiste à vendre le passé à l’avenir. Ses références à la qualité sont obligatoirement rétrospectives et traditionnelles car la publicité doit obligatoirement utiliser à son propre avantage l’éducation du spectateur-acheteur moyen ». On comprend dès lors le recours à des formes archétypales d’antan, et l’objectivité biaisée des images du passé. Le second niveau de lecture de l’image est celui de la compétitivité et il est à l’échelle des communes. En effet, les villes de vallées sont de plus en plus concurrentielles, à l’image des stations de ski. C’est le reflet, ou la conséquence, d’un tourisme estival qui descend des cimes, pour proposer notamment des activités nautiques, que ce soit le kayak exposé à l’Argentière, le kite Surf de Savines sur le lac artificiel de Serre-Ponçon, ou les baignades de fin de journées aux plans d’eau d’Eygliers ou d’Embrun. Les communes saisissent alors l’opportunité de cette attractivité, par leurs propositions d’animations permanentes ou évènementielles. C’est le point de départ de nouveaux récits urbains et de nouvelles images, comme un palimpseste enrichi au fil du temps. Une forme de marketing urbain apparait, par la mise en scène, la promotion symbolique, l’attractivité différentielle et la production identitaire. Avec l’enjeu de l’image, le tourisme devient un levier


Toutefois, Vincent Vlès, Vincent Berdoulay et Sylvie Clarimont, après leurs études sur la dimension touristique des villes de Bordeaux et Barcelone, dénoncent les risques de ce phénomène (Berdoulay, Clarimont, Vlès, 2005). Le plus grand est la réduction narrative de l’héritage patrimonial au profit d’un discours monothématique, alors plus simple à communiquer et à identifier. Ils illustrent ce risque avec l’exemple bordelais, qui pour conforter son récit unique, a effectué des sélections de grandes ampleurs. Des hangars et des terrasses sur la rive gauche de la Garonne ont été détruits car ils « cachaient » la beauté des façades du 18e siècle. La répétition de messages simplifiés et stéréotypés éteint également le caractère spontané de la ville, rend bas de gamme le discours, le standardise et favorise son mimétisme. Cela est finalement à contre sens de la singularité visée. La confrontation sociale avec les habitants est réduite, alors qu’ellemême peut être recherchée par les touristes. Effectivement, outre les torts causés d’un point de vue urbain, cette forme d’image simpliste réduit les possibles. C’est la limite et l’obsolescence d’un système initialement producteur de désir qui agit aujourd’hui à contre sens de la demande touristique. En effet, l’ère est désormais au « slow-tourisme ». Ce sujet est l’un des plus traité dans la littérature montagnarde récente, puisqu’il s’agit d’une reconversion transversale de territoire. Celle-ci est pluridisciplinaire et mobilise un large panel d’acteurs, comme en témoigne les réflexions transversales menées par le Labex Ittem (14). L’une des entrées principales est le passage de l’or blanc (la neige) à l’or bleu (l’eau), et le glissement du tourisme de station au tourisme de territoire. Autrement dit, l’offre n’est plus seulement basée sur la neige mais tend à valoriser l’ensemble des ressources montagnardes, de la visite d’une menuiserie ou d’une cave à fromages, à celle de friches industrielles (Diaz, 2018). Le visiteur veut découvrir « la vraie vie », soit les coulisses du territoire. Dans ce contexte, Emeline Hatt met en exergue l’intérêt touristique inhérent aux espaces publics (Hatt, 2015). Pour conclure, la capacité de production d’images de la ville de montagne est un atout important mais fluctuant. C’est un outil à mobiliser avec justesse et à l’écoute des habitants et du territoire. Les communes doivent se saisir de cette conscience de l’importance de l’image pour leur économie touristique en gardant en tête que ce qui est recherché est la singularité et l’authenticité du territoire. Il est alors question d’épaisseur et non de carricature, aussi bien pour les habitants que pour des voyageurs non dupes. Dans cette nouvelle ère, l’espace public trouve pleinement sa place. Les communes de la Haute-Durance ont-elles aujourd’hui conscience de ces potentiels ? Quelles actions ou projets sont mis en place, et quels procédés sont mis en œuvre pour y accéder ?

l’espace public existe-t-il en montagne? 4/ L’espace public au service de l’image? 45

de renouvellement urbain et un pilier de la stratégie de développement de la ville. L’espace public a son rôle à jouer. Emeline Hatt défend ses qualités de « ressources micro territoriales » de par sa production et diffusion d’images, participant à l’expérience touristique, à l’ambiance et à l’attrait de la destination (Hatt, 2015). Ce contexte qui favorise l’attention portée à la qualité de vie, ou de séjour, a conduit différentes stations à requestionner leurs espaces publics pour qu’ils dépassent leur seule visée fonctionnaliste. C’est le cas de Crans Montana en Suisse en 2001, initié par un grand plan de l’office fédéral de la santé publique et concentré sur la mobilité, Hauteville-Lompnes dans le Jura pour développer l’accessibilité et les activités multi saisons… L’espace public devient un repère, que ce soit par les éléments identitaires du lieu donné, ou par la lisibilité et la facilitation des accès et des actions. Dans la Haute-Durance, ce phénomène de développement par et pour le tourisme en vallée est visible jusque dans les formes urbaines, avec l’apparition de la « ville basse » d’Embrun autour du lac, ou l’étirement du centre-ville de l’Argentière tout au long de la Durance (figure 52). La requalification du centre d’Embrun participe d’une certaine manière de cette même dynamique, visant à accueillir un public similaire à la population d’Aix-en-Provence, soit un public familial et de classes sociales supérieures.

5/La position des communes vis-à-vis de leurs espaces publics.

La vallée de la Haute-Durance n’est pas un territoire statique vide de projets urbains où l’attention ne serait portée qu’aux stations. Il serait intéressant de retracer les origines de cette activité, ou de la comparer à d’autres vallées. Est-ce un fait qui n’est pas particulier à ce territoire ? Cette émulsion a-t-elle été initiée par l’attrait touristique estival, notamment depuis le lac de Serre-Ponçon, là ou d’autres territoires montagnards ne fonctionnent que l’hiver ? Ou la vallée a-t-elle toujours eu une logique de développement importante pour ses habitants ? Différentes études et projets ont été réalisés, témoin d’une prise en compte de l’évolution urbaine et du cadre de vie local. Sans être exhaustif, nous pouvons citer chronologiquement quelques exemples. En 2002, la ville d’Embrun lançait son projet urbain autour de la requalification du boulevard Pasteur évoqué précédemment. D’un coût supérieur à une dizaine de millions d’euros, ce fut sans doute l’un des projets urbains et paysager majeurs du département (figure 53). Il y a ensuite Guillestre, qui a été retenue à l’Appel à Manifestation d’Intérêts « centre bourgs » (AMI) lancé par

(14) Le Labex Ittem – Innovations et transitions territoriales en montagne – fédère des chercheuses et des chercheurs issus de neuf laboratoires en sciences humaines et sociales. Encourageant une approche globale, il accompagne l’action publique en montagne par des projets construits avec les actrices et acteurs des territoires, dans une perspective de développement soutenable.


46 Figure 52. la ville nouvelle du plan d’eau d’embrun.


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Figure 53. REQUALIFICATION DU BOULEVARD PASTEUR.

Figure 54. REQUALIFICATION DE LA RUE MAURICE PETSCHE.

Figure 55. CONSTRUCTION D’UNE MEDIATHEQUE, Briançon.

Figure 56. REQUALIFICATION URBAINE, Briançon.


Pour finir, il est intéressant de noter un changement de conception du projet dans ces communes, suivant le fameux modèle « Bottom-up » des grandes villes. Les concertations, tables rondes et ateliers participatifs se multiplient, réservés à quelques acteurs ou ouverts au public. Ayant assisté dans le cadre du mémoire à quelquesunes de ces réunions, que ce soit dans le cadre des élections municipales de Guillestre, de l’écriture de la nouvelle Charte du Parc Régional du Queyras, ou de la reconversion des friches industrielles de l’Argentière, certaines des limites de ce format ont pu être décelées. Le temps peut être à l’enthousiasme, mais la mobilisation reste limitée, même parmi les élus, et les idées semblent être récurrentes. Différents participants ont évoqué des sujets qu’ils entendaient « depuis des années », des projets qui avaient déjà été pensés, finalement, des impressions de « retourner quelques années en arrière ». Des frustrations peuvent être créées, comme ces Guillestrins qui attendent toujours leur passerelle au-dessus des gorges du Guil qui relierait la commune à Eygliers. Enfin, Denis Delbaere évoque d’autres limites. Se référer à population habitante avant même le corps d’experts valorise la démocratie et le pluralisme des compétences habitantes ou usagères mais remet selon lui la légitimité des expertises en question (Delbaere, 2010). Également, par une démocratisation des modes de communication, puis de ce fait, des modes de conception, le projet peut venir à en perdre son épaisseur. L’espace devient une image. La valorisation des perspectives au détriment des plans et des coupes en témoigne. Denis Delabere déplore qu’avec l’image, la capacité, réelle ou illusoire, des populations à comprendre les projets, et donc à agir sur eux se trouve accrue. « Bientôt, de nouveaux programmes de conception assistée par ordinateur permettront, pourquoi pas, lors de réunions de concertation de projeter l’espace en

l’espace public existe-t-il en montagne? 5/ la position des communes vis-à-vis de leurs espaces publics. 49

le gouvernement le 23 Juin 2014. Un immeuble s’effondrait sur la place Albert quelque temps après, témoignant bien de l’urgence qu’il y avait à revitaliser son centre. Le programme a touché le logement, les commerces et leurs façades, mais également la requalification des espaces publics. La rue Maurice Petsche, axe majeur du centre bourg, a été requalifiée, la place Albert a quitté ses allures de parking, et la place Bonnet a été dessinée (figure 54). Briançon a bénéficié d’un autre programme, celui des territoires de la Plateforme d’Observation des Projets et Stratégies Urbaines (POPSU) lancé en 2018. Cette recherche-action a permis d’interroger les processus de déprise foncière et les possibilités de (re)mise en projet des espaces vacants dans la municipalité. Également, la ville a mis en place depuis le départ de l’armée en 2009 le projet « cœur de ville ». L’un des enjeux est de palier l’urbanisation morcelée de la ville évoquée en début de chapitre. Le projet remporté par le cabinet Faloci s’inscrit sur 130 hectares. Plusieurs des logements prévus sont déjà habités et les espaces publics attenants ont été construits. Il est à ce stade encore difficile de juger de la capacité du projet à créer le lien escompté. En effet, l’écriture de ce nouveau quartier n’est ni en lien, ni connectée au restant de la ville, accentuant de ce fait le morcellement déploré. Les quelques espaces publics aujourd’hui observables semblent génériques voire anecdotiques, notamment les pans de pelouses aux pieds des immeubles de l’éco-quartier, n’incitant pas à de réels usages. Le parvis de la nouvelle médiathèque est quant à lui proportionné aux casernes militaires qui l’encerclent, permettent un réel recul et une valorisation du projet, et offre une place publique aux dimensions de la ville. Le pari sera maintenant que celle-ci soit réellement utilisée par les habitants (figures 55 et 56). Evoquons ensuite le lancement de deux gros projets à Gap, concernant notamment les logements sociaux, et le pôle économique, résidentiel et sénior prévu à Embrun entre 2025 et 2030 sur le site de l’ancien centre de vacances de la Banque de France. Cette reconversion est sans doute révélatrice du changement économique du territoire. Tout récemment aussi, L’Argentière-La-Bessée a lancé un avis d’appel public à la concurrence, clôturé en Janvier 2020, quant à la revitalisation de son centre bourg. Enfin, il peut être intéressant que l’importance grandissante de l’espace public se traduise aussi avec les actions menées par le CAUE 05. Citons notamment le premier projet participatif urbain du département qui s’est déroulé à Val de Buech Meouge, dans le Sud de la Haute-Durance, en 2012, et sert désormais de modèle et d’appui. Sur papier donc, les communes du territoire semblent avoir enclenché de réels changements comprenant une réflexion des espaces publics. L’enquête serait à approfondir quant à l’importance véritablement attribuée à ces espaces lors de la conception, que ce soit au travers le temps de dessin consacré, la recherche depuis l’existant, au travers les matériaux, les usages, et l’identité de la commune, et les budgets alloués. Toutefois, le stage effectué en agence d’architecture à Embrun cet été 2020 a permis de réaliser, ne serait-ce qu’au travers deux projets de constructions de bâtiments publics et des requalifications de leurs abords, que les sacrifices financiers touchaient l’espace public avant de toucher le bâti. Bien sûr, cela peut s’expliquer par une vision plus statique du bâtiment, là ou les espaces extérieurs ont davantage la capacité d’évoluer dans la forme et dans le temps. Également, une architecte du CAUE des Hautes-Alpes interrogée à ce sujet en entretien a insisté sur la vision purement fonctionnelle des espaces publics, réduits à la qualité de leur sol et à l’entretien important généré en territoire de montagne.


Figures 57 et 58. INVESTISSEMENT DE L’ESPACE PUBLIC, l’exemple d’Aiguilles et Guillestre

l’espace public existe-t-il en montagne? 5/ la position des communes vis-à-vis de leurs espaces publics. 50


Si l’idée préconçue d’un délaissement des espaces publics en villes valléennes est entendable, de par l’investissement généré, en termes de coûts et de temps pour leur fabrication et leur entretien, dans des territoires de petites communes, et de par la difficulté à conscientiser et à reconnaitre la plus-value qu’ils engendrent, elle est aussitôt requestionnée sur le terrain. Tout d’abord, et encore plus que dans certaines régions de plaine, la spatialisation de l’espace public est un fait récent. Il a ensuite été dominé par l’échelle de la voiture, présentant aujourd’hui les mêmes séquelles que les villes moyennes. Néanmoins, certaines opportunités ont été relevées, comme la présence parfois importante de l’agricole, et l’attention nécessaire portée à l’image dans un territoire encore essentiellement touristique et concurrentiel. Ce deuxième point est relativement reconnu pour certains des acteurs du territoire, ce qui participe à l’élan de projets urbains. Dans la limite des contraintes financières, l’espace public est utilisé comme un outil. Plus encore, une partie de la population, indépendamment des sollicitations de réunions publiques et participatives, semble elle-même témoigner d’une affection et d’un investissement pour ses rues. L’espace public du Nord des Hautes-Alpes ne serait donc pas seulement constitué de vides purement fonctionnels, inertes, ou seulement réservés à la circulation. Afin d’en comprendre le réel visage, il est nécessaire de saisir qui en sont ses usagers.

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3 dimensions. Chacun pourra en détecter les inconvénients et même y ajouter en direct ses propres modifications. » Une autre des réductions du projet due à cette accélération et cet encroisement incessant des propositions est une découpe du projet par interlocuteurs. Ce qui est individuellement essentiel est défendu, soit une vision superficielle de chacune des parties, sans qu’il n’y ait de vision globale. L’éclairagiste défend ses lumières, l’ingénieurs ses principes de circulation, l’habitant ses trottoirs propres sans déjections… La structure paysagère ne change pas, les logiques qui constituent l’espace non plus. Le projet se réduit alors à des couleurs, à du mobilier urbain, à des objets décoratifs. De plus, ne réduire l’espace public qu’à des éléments mobiles voire temporaires, oublier la dimension structurelle, que ce soit d’un point de vue typo morphologique, urbain, paysager, social, et même économique, amenuise les moyens qu’on y donne. Ainsi, un projet qui comprend bâti et abords favorisera le bâti, l’espace public étant reléguer « dans un second temps » alors que les deux doivent être pensés de manière corollaire. Si les modèles participatifs organisés par les acteurs du territoire ont leurs limites, une réelle affection et un investissement malgré tout présent des habitants est à rapporter. Cela peut se traduire au travers des actions privées ou associatives sur l’espace public. Si vous vous promenez dans la commune d’Aiguilles sur Google Map, les photographies qui datent d’Aôut 2016 (figure 70) vous laisseront voir, ici et là, des chaises de toutes formes et de toutes couleurs qui investissent les rues. Au même titre, vous pouviez rencontrer cet été 2020 des personnages en pailles dans les rues d’Abriès, et des tableaux exposés sur les arbres ou sur les candélabres à Guillestre. Également, des boites de conserves avec l’écriteaux plastifié « boite à mégots » jonchent les rues du centre bourg Guillestrin (figure 71). L’investissement peut également être politique, avec notamment l’actuelle pétition contre la reconstruction de logements sur la place Albert.


un espace public réellement adapté à ses habitants ? 1/ Pourquoi et comment comprendre ceux qui font l’espace public de la Haute-Durance? 52

2/ Un espace public réellement adapté à ses habitants?

1/ Pourquoi et comment comprendre ceux qui font l’espace public de la Haute-Durance ? La conception de l’espace public que défend ce mémoire est avant tout basée sur sa pratique et sur ses usagers. L’espace public n’existe qu’au travers ceux qui le pratiquent. Au même titre que le paysage a besoin d’un spectateur pour exister, l’espace public nécessite un usager pour être. Pendant longtemps, l’espace urbain a été traité selon deux modes disjoints : une perspective architecturale qui s’intéresse aux qualités formelles de l’espace, à la construction matérielle du cadre bâti, et une perspective sociologique orientée vers les modes de vie des citadins. L’articulation de ces deux dimensions était pensée en termes de traduction (l’espace urbain comme reflet de la structure sociale) ou de détermination (effets de l’espace construit sur les comportements). Michèle Grosjean et Jean-Paul Thibaud défendent qu’actuellement, « le problème ne consiste plus à réduire le spatial à du social ou de rabattre l’une de ces dimensions sur l’autre. Tout en respectant l’irréductibilité de chacune d’elles, il s’agit de penser le rapport de connaturalité entre les formes construites et les formes sociales, de mettre en évidence le travail de configuration réciproque de l’espace et des pratiques » (Grosjean,Thibaud, 2008). Cette vision doit dépasser le seul espace construit, puisque l’espace public ne l’est pas nécessairement. Pour tenter de rentrer dans une telle finesse de compréhension, il s’agit dans un premier temps de comprendre qui fait l’espace public, autrement dit, de saisir qui habite le territoire de la HauteDurance. Par habiter, on entendra les individus qui y ont un pied à terre, un logement à l’année, ou qui y travaillent. Le lien sous-entend une fréquentation régulière et/ou un attachement fort et une connaissance du territoire.

Qui habite et qui fait le territoire de la Haute-Durance ? Plusieurs intuitions se trament derrière cette question. L’une d’entre elles concerne l’hypothèse que les Hautes-Alpes seraient un « territoire refuge ». Cette théorie prend bien évidemment racine dans le contexte climatique auquel nous faisons face, l’air de la montagne étant voué à être de plus en plus sain et frais que celui des villes de plaine. Elle peut également être renforcée par le contexte sanitaire actuel et l’accroissement du télétravail. Si la courbe de la croissance démographique n’est que légèrement positive (la population des communes de la Haute-Durance a été multipliée par 1,5 depuis 1965), faisons-nous face à un changement de population ? Pour y répondre, différents entretiens ont été menés (chercheurs sur la question des territoires montagnards et du tourisme, aménageur des territoires de montagne à l’ONF d’embrun, CAUE du 05, élus de l’Argentière et de Guillestre, architectes, professionnel du tourisme et habitants du Guillestrois-Queyras). Outre les données de l’INSEE, deux questionnaires rassemblant plus de 460 réponses ont été menés. Le premier visait la population locale grâce des groupes Facebook. Tout en gardant en tête que ces résultats ne seraient ni exhaustifs ni pleinement objectifs car le support conserve la même plateforme numérique, une diversité maximale des groupes Facebook a été couverte. La diffusion a été faite sur 73 pages, comprenant des groupes sur le patrimoine, les pages de mairies, les communautés de communes, des bibliothèques, médiathèques, des regroupements associatifs par communes, des pages écologistes, artistiques, des clubs de sports, de parents d’élèves, d’échanges de vêtements, de troc en tout genre, des commerçants, des bars, le groupe d’un lycée, de covoiturage, des groupes militants… L’ambition était de toucher des habitants de tout âge, de tout sexe, de tout domaine, et de toute classe sociale. Un grand nombre d’architectes y a participé. Également, le journal d’Adscb regroupant les associations du Briançonnais a diffusé l’information auprès de ses habitants. Un second questionnaire a été diffusé auprès de populations ne vivant pas dans les Hautes-Alpes. L’intérêt de ce second test était une prise de recule personnelle mais objective vis-à-vis du territoire montagnard. Celui-ci était nécessaire pour maintenir une certaine lucidité face à un enthousiasme grandissant pour les Hautes-Alpes à mesure que les analyses avançaient. Enfin, des recherches historiques sur la population ont été menées pour dessiner le portrait du Haut-Alpin d’aujourd’hui.

2/ Quel portrait en héritage ? (15) Propos historiques recueillis lors de l’entretien avec Hervé Gasdon, restaurateur en montagne à l’ONF et auteur des « Sentier de Montagne des Forestiers – Itinérance ente la Durance et l’Ubaye » édité en 2019 aux éditions Transhumances.

La civilisation originelle de la région était dite agro-sylvo-pastorale, basée sur une économie de subsistance, et elle atteint son pic en 1850. Il y avait 8500 habitants dans le Queyras contre 1600 en 1950 et 2300 aujourd’hui. En 1827, les Eaux et Forêts apparaissent et interdisent le déboisement, ce qui sera à l’origine du premier exode rural vers Lyon et Marseille, la forêt étant le moyen de vivre essentiel des habitants. Certains d’entre eux émigreront en Amérique du Nord, rentrant une fois la fortune faite pour construire de grandes demeures, comme à Aiguilles (15). En réaction à ce


Des exploitants de l’argent aux commerçants en passant par les militaires, la population est historiquement éclectique. Comme le relate le géographe Philippe Bourdeau pour l’Argentière, il n’était pas rare de voir à 5h du matin les ouvriers sénégalais partant pour l’usine, et les guides qui allaient retrouver leurs clients dans les rues de la ville (Bourdeau, 2009). Le train, arrivé à Briançon en 1884 a également participé aux échanges, mais a favorisé l’exode des habitants vers le Sud. Les axes routiers étant aujourd’hui toujours transfrontaliers, il est fréquent de rencontrer des routiers polonais. Le brassage le plus évident aujourd’hui est lié au tourisme, longtemps perçu comme idéologie du progrès. Les Hautes-Alpes ont une histoire liée à la pratique du ski (première station en 1907 à Montgenèvre) et de l’alpinisme forte (l’anglais Edward Whymper célèbre pour le Cervin, est le premier à gravir en 1864 la barre des Ecrins, sommet le plus haut de France avant l’annexion de la Savoie). Au-delà du développement en altitude de nombreuses stations dont Vars, pour laquelle Le Corbusier a réalisé les premiers plans, le tourisme apparait également en vallée. Le lac de Serre-Ponçon, comme déjà évoqué, en fut le catalyseur, et inspirant sans doute la reconversion de l’Argentière. Ce développement est preuve de la résilience de la région, et de sa possibilité de réexploiter les ressources qui lui sont offertes. Cette diversification permet une animation à l’année. Les résidences secondaires ne sont alors pas seulement en station, et bien que cela soit temporaire, le touriste y demeure un habitant (Lazzarotti, 2018), mais aussi un ambassadeur de la région. Enfin, le dernier échange est à l’échelle transfrontalière et européenne. Cela passe par le discours historique, avec notamment l’épisode franco-italien des « Escartons » sur lequel nous reviendrons, perçu par certains comme un « collage ou un bricolage du temps entre passé et présent » car des élus des Hautes-Alpes ont senti avantageux de faire valoir leur rapprochement avec le Piémont notamment lors des JO de Turin et face à l’éloignement ressenti de la métropole marseillaise. Cela passe également par de nombreux projets transfrontaliers Alpins, comme le programme INTERREG Espace Alpin réunissant 7 pays. Le dernier héritage de la population Haute-Alpine d’antan est lié à son désir de liberté, d’alternative et de militantisme. En 1343 le Briançonnais achète sa liberté au Dauphin de France pour être autonome : c’est la fameuse période des Escartons. L’impôt de contrepartie était divisé entre Briançon, le Queyras, et en Italie Oulx, Pragelato et le Val Maira. Cette « petite démocratie » où l’on parle l’occitan et qui prendra fin à la Révolution française fut une véritable expérimentation locale. Parallèlement aux Cathares dans les Pyrénées, les Hautes-Alpes sont le territoire des Vaudois, précurseurs au protestantisme, qui réalisent une traduction de la Bible pour leurs pratiquants. Ces synchronismes s’expliquent car la montagne est un pays refuge. En 1824, la première école normale de France se trouvera dans le village de Dormillouse (figures 59 et 60), établie par le pasteur Félix Neff (16). Cette culture du savoir a conféré la possibilité aux Haut-Alpins d’exercer comme précepteurs l’hiver. Leur notoriété doit beaucoup à Victor Hugo, contredisant l’image répandue du « crétin des Alpes ». L’enseignement non laïque à partir de 1831 fut aussi un facteur d’immigration, des instituteurs s’installant dans les villes à l’année. C’est enfin à Vallouise que Célestin Freinet, instituteur communiste libertaire posa ses fondements pour créer les premières classes de neige dans les années 1960. La pratique de la montagne participera à la circulation des idées anti-conformistes et alternatives. Le même village de Dormillouse sera ranimé dans les années 1970 avec l’installation de néo-ruraux anarchistes Longo Maï et deux alpinistes en 1976 érigeront le drapeau communiste sur la barre des Ecrins. Pour finir, les guides, grimpeurs et alpinistes revendiqueront une pratique libertaire, refusant un certain niveau de confort matériel. La place des femmes est aussi significative, valorisées dès l’après-guerre par le manque de « seconds de cordée », et l’on voit pour la première fois dans l’histoire de l’alpinisme, une femme élue à la présidence d’un Syndicat national des guides de haute montagne à l’Argentière (2007). Si les alternatives et le militantisme étaient autrefois mobilisés contre l’ordre, ils le sont davantage aujourd’hui pour la transition écologique. Cette révolution de pensée n’est cependant pas propre aux Hautes-Alpes, elle est nationale. Le parti

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changement économique, les fruitières apparaissent afin de passer de l’élevage ovin qui dégrade la forêt à l’élevage bovin qui ne se rend pas sous les arbres, tout en créant une nouvelle filière économique pour les habitants. Le lait ne pouvait pas se vendre en montagne à cause des temps de déplacement, le fromage le peut. D’autres ressources sont mobilisées, comme l’extraction du plomb argentifère à l’Argentière. Ce qui découle de l’exploitation de ces multiples ressources est bien évidemment les échanges commerciaux. La présence de la Via Domitia et de la Durance a favorisé ces circulations. Les radeliers transportaient par exemple le mélèze jusque dans le Rhône par la rivière. La position transfrontalière avec l’Italie a également généré de nombreux passages, notamment des armées (Louis IVX en particulier). L’héritage est toujours présent (IGESA à Mont-Dauphin, Infanterie alpine de Briançon).

(16) Felix Neff était un pasteur protestant Suisse qui oeuvra en tant qu’évangéliste, enseignant, agronome et ingénieur, notamment dans les HautesAlpes. Il contribua à faire évoluer la situation de ces hautes vallées sur le plan moral, social et économique.


Figures 59 et 60. LE HAMEAU DE DORMILLOUSE DANS LES éCRINS.

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Le Haut-Alpin que l’on découvre au travers l’histoire n’est finalement pas statique. Contraint de vivre de, et avec son environnement, les racines et l’immobilité que l’on peut lui imaginer sont finalement dues au mode de vie plutôt qu’à l’identité des individus. Ils sont en effet des êtres libres et ouverts, tant dans leurs déplacements et dans leur confrontation historique à l’autre, que dans leurs revendications et leur propre recherche de développement personnel. Si Philippe Bourdeau expliquait le partage significatif de ce trait de caractère dans d’autres territoires montagnards car ils sont des terres de refuge, peut-être est-ce aussi le fait du paysage qui individualise la pensée et recentre sur soi ? Ce portrait général, qui tend à accentuer les traits, est pour certains déjà révolu et son héritage incertain. Le territoire montagnard a beau porter encore les traces d’un romantisme idéalisé, le paysage social et habitant n’est aujourd’hui plus empreint d’exotisme. Déjà au début du 20e siècle les témoignages des modes de vie étaient recherchés avant la disparition irréversible des civilisations montagnardes. L’ouvrage « Habitat du nord des Hautes-Alpes » conclue même : « L’analyse de l’architecture vernaculaire, qui fut longtemps le sujet de prédilection des ethnologues, est en passe de devenir un travail d’archéologue » (Mallé, Heller, Pegand, Roucaute, 1999). Que vaut donc l’appellation de « natif » aujourd’hui ? Existe-il une réelle différence entre ceux qui sont d’ici, et ceux qui ne le sont pas ?

3/ Natif ou nouvel arrivant, quelle différence aujourd’hui ?

Les Hautes-Alpes n’échappent pas aux divergences historiques, mais statiques, entre montagnards et citadin. La campagne Weber de 2012 est la démonstration de ce fossé (Petite, 2013). Cette initiative a été lancée en 2006 par la Fondation Franz Weber afin de limiter le nombre des résidences secondaires à 20% du parc de logements pour chacune des communes en Suisse. La majorité des habitants de montagne s’y opposa, avançant la peur de perte d’emplois notamment dans le secteur de la construction. C’est l’opposition d’une idéologie localiste montagnarde contre une idéologie paysagère citadine. Jean-Luc Addor, conseiller communal à Savièse (Valais central), revendique : « On a déjà souvent relevé que cette initiative Weber, ce n’est rien d’autre qu’une tentative des écolosbobos des villes de transformer des cantons comme le Valais en réserves d’Indiens. Le citadin, c’est celui qui est porteur d’une vision « romantique ». Les citadins, surtout alémaniques, aiment bien prendre leurs fantasmes d’une montagne sauvage où courent les loups et les ours pour des réalités ». Dans la Clarée près de Briançon, il est encore des termes pour distinguer les natifs « gris » des non natifs « shadocks ». Cette fermeture localisée s’explique entre autres par l’immigration aux Etats-Unis de ceux qui avaient les moyens intellectuels et financiers (19). Cela dit, il est un fait notable sur lequel toutes les personnes interviewées sont revenues : c’est l’investissement dans le territoire des non natifs. Cette théorie est soutenue par Marc Perol pour qui l’inertie des territoires montagnards est liée au plaisir et à la nécessité individuelle que ce cadre induit, sans considérer le problème de masse (Perol, 1972). « Le montagnard lui-même est souvent hostile à l’évolution de son environnement, ce qui est humainement compréhensible, mais stérile car ce sont alors des étrangers qui changent ce cadre », des anglais qui ont fait naitre l’alpinisme moderne aux promoteurs immobiliers qui équipent et choisissent leur lieu d’implantation. Il en résulte des retards, des adaptations parfois peu structurées et un accommodement invariable. Plus spécifiquement dans les Hautes-Alpes, Philippe Bourdeau retrace l’innovante réinvention de l’Argentière en soulignant que les initiatives à la base sont individuelles ou micro-collectives, appuyées ensuite par les élus (Bourdeau, 2009). « Le profil de ces passeurs, le plus souvent non originaires du territoire et détenteurs d’un capital spatial, culturel et relationnel largement ouvert sur l’extérieur, s’inscrit tout à fait dans la logique de multi-apparence géographique, sociale et

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des écologistes se crée en France en 1984, et dès 1986 une liste est menée par Hervé Gasdon à Embrun, qui participera à l’effervescence des années 1980, faisant venir Pierre Rahbi, Vandana Shiva, Francis Hallé, Albert Jacquard... Les évènements musicaux changent aussi de visage, du bal musette à Bernard Lavilliers (Freissinières) ou Michel Petrucciani. Villargaudin aura le premier composteur collectif des Hautes-Alpes, et sera le premier village à éteindre ses lumières la nuit. Ce changement de mentalité s’est récemment généralisé. Les effets climatiques étant visibles à échelle humaine, la majorité de la population se mobilise, bien que les élus puissent faire preuve d’opportunisme ou de non-sens (raser 10 hectares de forêt dans le département pour y installer des panneaux photovoltaïques, sans inciter à une réduction de la consommation). Les agriculteurs se convertissent également, par conviction écologique et parce « qu’ils voient bien que c’est la seule possibilité pour eux (17) », ce qui rend le paysage des évènements liés, notamment au label AB, éclectique. Concernant la construction, les matériaux locaux et le savoir-faire tendent à être valorisés avec le label bois des Alpes, la valorisation de la rénovation à la chaux par l’ONF (18), et l’école des Gabions et l’école des Compagnons.

(17) Propos historiques recueillis lors de l’entretien avec Hervé Gasdon, restaurateur en montagne à l’ONF. (18) Ibid. : « c’est complètement antagoniste tu rénoves au pas au ciment sur de la chaux. Il a fallu que je fasse mes preuves, il a fallu que j’apprenne et j’ai aussi utilisé du ciment et puis au fil du temps je me dis non c’est pas possible on va utiliser de la chaux. A la fin j’ai réussi à faire des stages de formation d’utilisation de la chaux à l’ONF, c’est arrivé doucement. Mais la prise de conscience elle liée au fait aussi qu’à l’ONF y a des gens qui se posent des questions comme partout, et y avait un public qui était avide de ces informations-là. Donc on a fait beaucoup de rénovations à la chaux, on a beaucoup travaillé avec le Gabion. C’est une ouverture de l’ONF qui était impossible y a 40 ans. » (19) Ibid


un espace public réellement adapté à ses habitants ? 3/Natif ou nouvel arrivant, quelle différence aujourd’hui? 56 (20) Ibid : « Face aux enjeux qui va arriver au niveau climatique, je pense que les Hautes-Alpes vont devenir un refuge, je perçois ça vraiment. Alors un refuge c’est intéressant pour ceux qui y habitent mais c’est ambivalent parce que d’un côté tant mieux pour ceux qui y sont mais Embrun par exemple c’est une ville pour riche.»

culturelle généralement énoncée comme un schéma de base du processus d’innovation ». Au-delà des actions associatives, et à l’exception d’éternels fiefs comme la ville de Gap « gardée » depuis l’après-guerre, de nombreux non-natifs étaient aux têtes de liste des élections municipales (3 sur 5 à Briançon, l’ancien maire de Guillestre, la liste écologiste de l’Argentière…). Les impacts politiques s’en font ressentir. Philippe Bourdeau situe ainsi Joël Giraud, malgré son estime envers celui qui a remis l’Argentière sur pieds : « Il est du monde de la démocratie représentative, aujourd’hui de plus en plus obsolète à l’heure de la démocratie participative. » Nous pouvons reciter le forum participatif des municipales de Guillestre, dont l’un des participants dira « c’est un format qui vient de la ville ça ! ». Un autre phénomène du lissage latent entre natif et non natif est l’évolution sur le territoire de la migration d’agrément. Celle-ci se découpe en 3 types : la migration, soit totale, la migration alternante, favorisée par le raccourcissement des distances où seul le travail est délocalisé, et la migration multilocale, où la possession de plusieurs résidences multiplie les offres en termes de métiers (Lazzaroti, 2018). Peu de chiffres permettent à ce jour de parler du phénomène de migration alternante dans la région, mais les aires urbaines de Turin et de Marseille sont peut-être la source de certaines de ces situations. Également, il sera intéressant d’observer, si l’une des suites de l’épisode COVID-19 était réellement l’essor du télétravail, les mouvements de population ou pas vers les Hautes-Alpes. La migration la plus connue à ce jour est donc multilocale. La majorité des villes de la vallée possède plus d’un tiers de logements secondaires, à l’exception de l’Argentière (12,7% en 2016). Si l’on compare les données INSEE de 2011 à 2016, toutes les villes voient leur nombre de logements croitre avec la courbe des logements secondaires qui demeure supérieure. Les quelques communes au nombre de logements principaux qui augmentent ne sont ni celles qui ont des équipements publics importants, ni celles qui sont plus en altitude. Autrement dit, ce sont des villes moins attractives où le terrain est sans doute le moins cher (Eygliers, Chateauroux-les-Alpes, Saint-Crépin). Une étude plus poussée pourrait déterminer s’il s’agit là de l’installation de jeunes ménages par exemple, et si la hausse des logements secondaires dans les communes attractives témoigne d’une gentrification latente. Également, il s’agirait de déterminer si ces logements secondaires sont seulement utilisés ponctuellement à des fins touristiques, ou s’ils sont des lieux supplémentaires pour le travail et la vie sociale locale. Enfin, la question qui demeure, puisque les chiffres ne vont aujourd’hui pas en ce sens, c’est celle du territoire refuge face aux changements climatiques, comme se l’accorde à dire la plupart des acteurs du territoire (20). Si la visibilité des origines entre natifs et non natifs Haut-Alpin tend peu à peu à s’estomper, de par le nombre croissant d’habitants venus d’autres régions, et de par leur implication équivalente voire plus importante dans le territoire, qu’en est-il des aspirations et du regard de chacun sur leur région ? Marchent-ils finalement vers la même direction ? Les volontés et les demandes que soulèvent aujourd’hui les habitants montagnards sont finalement très urbaines. Outre les problématiques liées au travail, que ce soit dans les questionnaires ou lors du forum participatif des élections de Guillestre, elles concernent le transport (18%). Il est entièrement dédié à la voiture. Des initiatives sont entendues (vélos électriques à la mairie de Guillestre, aire de covoiturage, arrêts de stop, navette gratuite à Embrun) mais d’autres sont tues comme à Gap, où le maire a refusé un débat lancé par l’association « Mobil-idées », dans une ville où a été instauré, il y a des années, la gratuité des transports en commun. La demande d’équipements publics et d’infrastructures médicales est également parmi les préoccupations récurrentes, sollicitées à respectivement 11% et 4% par des interrogés, dans une vallée où le tiers des habitants a plus de 60 ans. La France cartographiée par Jacques Lévy met en avant ce désert (Lévy, 2013). Une autre des grandes problématiques est le développement limité pour les jeunes. L’accès à l’éducation supérieure existe sur le territoire, mais il est faible et principalement ciblé sur les postes principaux de la région, comme la formation des métiers de la montagne de Gap. C’est évidemment en cohérence avec le territoire, mais cela n’incitera pas à une diversification professionnelle. Néanmoins, il est à soulever la pluriactivité proposée par la formation du Lycée professionnel d’Embrun. Celle-ci est non seulement adaptée au mode de vie saisonnier des Hautes-Alpes, mais permet également d’exercer au-delà du département, avec par exemple le bac pro de charpenterie couplé au monitorat de ski. Néanmoins, le phénomène de « fuite » des cerveaux, ici peu voire pas réduit par la possibilité de navettes quotidiennes, continue d’alimenter l’exode rural et la perte d’un capital humain qualifié. Cela est propre à bien d’autres régions alpines comme le pointe une étude menée en Italie dans le Comelico. La conscience est donc internationale, et le thème de la 8e Convention Européenne sur la Montagne en 2012 (Euromontana 2012) clamait déjà que le rôle des jeunes dans les montagnes est une priorité. Cette perte peut être contrebalancée par le retour d’une partie de ces diplômés, par l’arrivée de nouveaux habitants initiée par ces natifs qui, hors de leur vallée, ont agi comme des « ambassadeurs» ou par des arrivées nouvelles indépendantes (Ferrario, Price, 2014). Par extension, le dernier


Pour finir, il s’agirait de parler d’une offre inhérente en ville mais pas toujours évidente en territoire montagnard, à savoir la culture. Si une grande appréhension des individus exogènes à la région est le manque de culture (22%), ce frein est différemment cité par les habitants. Il représente seulement 5% des lacunes manifestées mais tout de même 22% des améliorations proposées, avec respectivement 1 individu natif pour 5 individus d’aire urbaine de plus de 100.000 habitants, et 20 natifs pour 15 individus d’aire urbaine. Il y a donc une forme de résignation ou d’acceptation sur l’offre disponible, avec toutefois derrière, la reconnaissance d’un besoin d’offre plus importante. Cela peut s’expliquer par l’attrait de la pratique montagnarde (par exemple 121 des interrogés sont affiliés à des associations de pratiques montagnardes, soit 41 des natifs et 80 des non natifs, quant à l’inverse 72 sont dans des groupes culturels ou artistiques avec 18 des natifs et 53 des non natifs). Ces dernières données montrent d’ailleurs que la majorité des pratiquants de club alpins ne sont pas originaires de la région, les natifs étant davantage dans les groupes culturels ou artistiques. Si l’accès à la culture pose question, celle-ci est néanmoins mesurée. En effet, ayant connu un essor dans son développement ces dix dernières années selon plusieurs des habitants, l’offre culturelle est malgré tout présente à l’année avec bien sur un accroissement exponentiel durant l’été. Elle se traduit aussi bien par des évènements plus touristiques (outdoormix, concerts sur la place de l’office de tourisme de Guillestre, festival des Artgricoles, de nombreux musées…) que par des lieux plus locaux (bœuf musical du mardi au bar Le Central de Guillestre, cours de poterie, tournoi de Pétanque Indoor…). Cela dit, des demandes de diversification de lieux de rencontre paraissent : « plus d’espaces de rencontre » (24-30 ans, femme, Isère), « plus de lieux de sociabilité » (19-23 ans, femme, Haute-Durance), « animation avec un peu plus de sens, une vie de village renforcée » (31-40 ans, homme, Aveyron), « une discothèque tout âge » (40-65 ans, femme, Savoie). Pour finir, une des plus fortes demandes est celle de circuits courts, de produits bios, et d’actions en faveur de la transition écologique. Ces demandes ont été formulées par 49 individus (21%) dont 14 natifs et 35 non natifs. En résumé, que l’individu soit natif du territoire ou non, vivre dans la Haute-Durance constitue un véritable choix, par les contraintes imposées (peu de transports en commun, de services publics) et par la valorisation de son cadre de vie sur sa carrière professionnelle. Il n’est donc pas étonnant de voir un attachement commun au territoire, et des percevoir des sentiments d’appartenance propres à chacun. Ces convergences créent des centres d’intérêt communs, qui malgré l’image archétypal du montagnard isolé, contribue à créer des liens. L’échelle humaine donnée par la faible taille des villes de la vallée amplifie ce sentiment de communauté. Des initiatives se montent alors, stimulées par et pour ce territoire. Historiquement, la Haute-Durance a été un terrain d’expérimentations et de revendications alternatives actif, comme d’autres régions similaires (Pyrénées, Lozère (21)…). Philippe Bourdeau attribue cette capacité d’innovation à la position en écart de ce territoire, où les frontières sont de ce fait non statiques et les normes dynamiques : « Si les normes peuvent être plus mouvantes et réappropriées, il est de même des schèmes socio-spatiaux et socio-territoriaux marqués par des dualités ou des hybridations. Il s’agit là de la figure de l’entre-deux qui transparait sur le territoire : « lieu touristique-non touristique, ville-montagne, station-hors station, sport-patrimoine, séjour de vacances-résidence, été-hiver, protection-aménagement » (Bourdeau, 2009). L’accroissement de la mobilité ne laisse pas supposer un contre-modèle vers des pratiques rurales, mais une périurbanisation par des classes moyennes et supérieures (le foncier et le coût des trajets pouvant être élevés). Cette hypothèse de la gentrification alpine, et du « néo-rural » finalement bien urbain peut, bien que différemment, être appliquée dans la Haute Durance où les modes de vie réclamés sont citadins. Les résultats des deux questionnaires présentaient des similitudes évidentes, alors que l’un était adressé aux habitants des Hautes-Alpes et l’autre à des individus exogènes aux Alpes. Les similitudes sont notamment sur les questions du travail, du transport en commun et des équipements publics. Lors du forum participatif de Guillestre, les demandes adressées au maire sortant étaient aussi très urbaines, jusqu’à l’anecdote des déjections canines. Au-delà des plaintes, ce sont les aspirations qui sont les mêmes. Alors qu’un élu de l’Argentière rapportait avec un sourire la demande d’habitants de mettre des bacs de potagers collectifs sur les places de la ville, une habitante

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grand frein des habitants est l’accès à certains postes et métiers. Si la diversité y est limitée, un « pessimisme ignorant » pré-existe, démontré dans le Comelico : 72% des diplômés revenus dans la vallée n’ont pas cherché d’emploi dans leur domaine d’études. Les discours, que ce soit d’élus ou d’acteurs interviewés, y sont empreint d’un fatalisme. D’autres pensent que l’éducation supérieure n’a pas sa place : « C’est ceux qui n’ont pas étudié qui pourraient faire quelque chose ici. […] Au lieu d’ingénieurs, nous aurions besoin de ces professions (plombiers, bucheron). Les diplômés n’ont pas la possibilité de revenir car nous n’avons rien à leur offrir » (un maire dans le Comelico).

(21) Propos historiques recueillis lors de l’entretien avec Hervé Gasdon, restaurateur en montagne à l’ONF.


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Figures 61 à 63. témoignage du changement de population, lecture au travers les enseignes commerciales, succession du même local (2008, 2013, 2020).


Enfin, un dernier phénomène parait comme toile de fond, c’est celui de la clubbisation d’Eric Charmes. Parmi les 220 réponses Hautes-Alpines à la question « qu’est-ce qui vous amènerait à partir ? », 18 % font part de l’accroissement de la population et de l’urbanisation liée dont 13 de natifs et 27 non natifs. Est-ce là le « syndrome du dernier arrivé » ou la réelle manifestation d’une taille de ville idéale propre à la montagne inférieure aux 30.000 habitants estimés pour Thierry Paquot (Paquot, 2020) ? Si les nouveaux montagnards sont bels et bien urbains, et si leurs demandes le sont aussi, il en va de même pour ce qui pourrait être le devenir de ces zones urbanisées de montagne à savoir s’assumer comme réelle ville. Cela signifie donc augmenter leur capital territorial en étant autonome. Cette autonomie dans la HauteDurance préexiste puisque qu’elle n’est pas sous l’influence directe d’une aire urbaine. Le maintien et la valorisation des systèmes de production régionaux sont essentiels (agriculture, transformation, tourisme), mais aussi la valorisation du capital social et humain. Les non natifs formés peuvent accroitre la valeur ajoutée locale par des activités commerciales par exemple. Également, ils peuvent être des « ambassadeurs » de la vallée et utiliser leur propre réseau. Une diversification et une valorisation du travail pourrait alors être apportée qui fixerait les résidents secondaires dont le nombre est croissant et parfois supérieur aux résidents principaux.

4/ Quelle demande d’espace public résulte ?

A l’échelle urbaine et architecturale, mener un travail sur les espaces publics est une des réponses au besoin de ville. Si l’espace public est difficile à nommer et si sa nécessité est de ce fait peu directement formulée, elle est néanmoins bel et bien exprimée. Cette demande se traduit par trois entrées. La plus forte est le besoin de sociabilité. Si les installations dans le territoire ne sont pas liées à une recherche de sociabilité alpine spécifique, c’est néanmoins un besoin exprimé une fois sur place. Sur les 265 réponses obtenues au questionnaire Haut-Alpin, 214 personnes n’étaient pas originaires de la région et 23% d’entre elles sont arrivées seules, ce qui laisse présager un besoin de rencontres. Également, 49 personnes demandaient qu’il y ait davantage d’évènements, et 17 d’entres elles précisaient le besoin de lieux de sociabilité. Les volontés d’expression et de projets sont fortes, et beaucoup des réponses écrites étaient longues et engagées, certains parlant de « plus de référendums citoyens ». L’espace public Haut-Alpin, pour répondre aux demandes d’échange actuelles, et à celles à venir si les nouvelles installations continuaient de s’accroitre, doit se saisir de ce sujet. Il ne doit pas être un socle simplement hyperfonctionnel et esthétique, mais il doit favoriser des usages transversaux, imprévus et inciter à la vie de ses trottoirs. Bien sûr, il faut garder en tête qu’à lui seul il ne peut résoudre cette problématique. La pensée est complémentaire aux activités que proposent les rez-de-chaussée. Toutefois, des actions ponctuelles comme l’exposition des tableaux à Guillestre citée plus haut, les chaises d’Aiguilles, ou les signes d’appropriation, soit finalement des traces de vie, comme à St Crépin ou sur les façades décorées de Vallouise contribuent à cette animation de la rue. Finalement, des demandes comme celle des bacs à potager collectifs sur la place publique de l’Argentière peuvent avoir une portée plus importante qu’il n’y parait (figures 76 à 81). La seconde entrée est bien évidemment le cadre naturel et paysager. Bien que la montagne soit omniprésente pour ces habitants, elle demeure la toile de fond secondaire du quotidien et ne constitue pas, ou peut-être plus, un argument suffisant à la limite qualitative du cadre de vie urbain. 118 des 214 nouveaux arrivants du questionnaire reconnaissaient comme raison de leur installation l’environnement, et seulement 39 d’entre eux précisaient spécifiquement « la montagne ». Les 79 personnes restantes parlaient du cadre de vie en général, ce qui inclus nécessairement les villes et villages habités, leurs rues, leurs espaces publics. Néanmoins, des limites sont exprimées sur ce cadre une fois sur place. Un lien plus fort au naturel est réclamé. 16 personnes traduisent ce besoin au travers une nourriture bio et locale, 34 personnes souhaitent une meilleure préservation de l’environnement et de la biodiversité, « la réduction drastique de l’éclairage public », « plus de pistes cyclables », de « résilience », des « espaces-verts » … Même si ce point est encore à relativiser car à la question « qu’est-ce qui vous fait rester ? » la majorité des réponses citait le

un espace public réellement adapté à ses habitants ? 4/Quelle demande d’espace public résulte? 59

interrogée a fait part de son souhait d’espace vert dans Guillestre. Également, le questionnaire a révélé le désir de valorisation de nourriture bio et de circuits courts, mais également de lieu alternatif où se rencontrer, à l’image peut-être des « tiers lieux ». Des structures apparaissent peu à peu en ce sens comme l’espace culturel autogéré « Le lieu » à Embrun, le « Chapoul café » dans le fort de Briançon… Cette évolution se traduit également dans les commerces. Si l’on s’amuse à visiter la zone du Villard à l’entrée de Guillestre, on s’aperçoit que l’actuel « Intermarché Bio » était un « Dia » sur les images de 2013 et un « ED » en 2008 (figures 61 à 63).


un espace public réellement adapté à ses habitants ? 4/Quelle demande d’espace public résulte? 60

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Figures 64 à 72. observations in situ complétées d’informations sur l’activité observée au moment du croquis, les conditions météorologiques. Guillestre,Briançon, Réotier, Embrun et Vars.


Le dernier point au travers duquel l’espace public est visible et peut contribuer à répondre, c’est le témoignage d’une culture locale. Si l’urbanisation du territoire est grandissante, il n’est pas envisageable de faire évoluer ses villes vers des modèles génériques issus des plaines. A la question « qu’est-ce qui vous ferait partir ? » 22 personnes abordent ce sujet, certains disent « si toute la ville perdait son identité et sa mémoire », « une mauvaise transition de la vallée qui en ferait une deuxième Maurienne » ou encore « une urbanisation galopante ». 25 autres réponses expriment la peur qu’il y ait dans ce territoire « trop de gens ». Le sujet s’écarte, mais il peut aussi laisser entendre une crainte d’une urbanisation mal maitrisée. Pour les habitants déjà présents, l’enracinement, le sentiment d’appartenance et d’identité sont très forts, et pour les résidents secondaires ou les potentiels nouveaux arrivants, les motivations restent avant tout celles de ce cadre singulier. La réponse peut paraitre simpliste et valable pour n’importe quel autre territoire, mais les spécificités culturelles, paysagères et patrimoniales ont un poids et une résonnance particulière en Haute-Durance qui devront être conservées et valorisées. Comme évoqué, une diversité des villes existe déjà, voire encore, dans la vallée, et c’est une opportunité urbaine à mesurer avec honnêteté, sans glisser dans l’instrumentalisation historique ou la concurrence des communes, mais en contribuant à l’identité globale de la Haute-Durance, auquel l’espace public participe pleinement. Ce second chapitre a permis d’esquisser ceux qui pratiquent l’espace public de la Haute-Durance et d’aborder leur regard et leurs attentes sur leur cadre de vie. Des premières tendances quant aux besoins ont été formulées. Il s’agit maintenant de rentrer dans le cœur du sujet et de comprendre quelles sont les pratiques sur le terrain. Dans un premier temps, des observations in situ ont été réalisées ( figures 64 à 72) permettant de prendre conscience de la matérialité de ces espaces, d’analyser leur fréquentation ou non. Le choix de travailler spécifiquement sur Guillestre, comme développé en introduction, s’est alors confirmé, incité par la crise du covid qui limita drastiquement l’analyse sur le terrain. Pour pallier à ces aléas et afin d’aller plus loin dans les intentions et les rapports que les individus entretiennent avec leur commune, des ateliers participatifs ont été réalisés à Guillestre.

un espace public réellement adapté à ses habitants ? 4/Quelle demande d’espace public résulte? 61

cadre de vie, celui-ci doit tout de même continuer à être préservé en milieu urbain. Bien que les sentiers de montagne soient rapidement accessibles, et que de nombreuses rues offrent pour horizon les cimes, le besoin d’une proximité plus forte et d’un coin vert du quotidien est exprimé par la population locale, que ce soit sur un moment fixe (manger entre midi et deux dans un square) ou sur un trajet (promenade végétalisée, possibilité de modes doux).


Figures 73 et 74. UN LOCAL POUBLIC POUR LES ATELIERS

quelle forme d’espace public se dégage des usages ? 1/Comprendre les usages pratiqués par les habitants? 62


1/ Comment comprendre les usages pratiqués par les habitants dans l’espace public ?

Maintenant que nous avons une brève représentation des formes d’espace publics de la vallée, quelques notions historiques, et une idée de ceux qui font la population de la Haute-Durance, il s’agit de comprendre comment tout cela interagit. L’observation in situ permet de saisir à un moment donné des actions. Pour aller au-delà et pour comprendre le regard que les habitants ont de leur commune et de leurs espaces publics, des ateliers participatifs ont été organisés autour de Guillestre. Rappelons que ce qui a motivé ce choix de ville est la recherche d’une commune à la densité habitante et à l’économie suffisamment importantes pour démontrer des tendances, et où l’on vit à l’année. Egalement, à défaut de faire une analyse comparative, la réplicabilité de la stratégie mise en place, et potentiellement des résultats attendus, était un critère important. Autrement dit, il s’agissait de palier l’analyse comparative en trouvant une commune qui semble représentative de son territoire. Guillestre, par son passé agraire et l’absence d’événement particulier ( comme la création du lac de Serre-Ponçon pour Embrun ou l’industrie d’extraction de métaux localisée à l’Argentière), a paru répondre à l’ensemble de ces critères. Il se trouve qu’en comparant les profils des questionnaires des 265 habitants de la Haute-Durance et des 63 habitants de Guillestre, l’échantillon Guillestrin était représentatif de l’échantillon Haut-Durancien. Ces résultats sont à mesurer mais laissent supposer la pertinence du choix de cette commune. Deux sessions tests furent donc organisées, puis 5 sessions publiques. La notice de ces ateliers, comprenant le rapport détaillé des sessions tests et des ajustements pour les sessions publiques, est en annexe. Nous développerons ici l’organisation de ces séances publiques, et les résultats de l’ensemble des participants. Nous verrons ensuite le questionnaire en ligne, joint dans les annexes, qui a été élaboré à l’issue de ces ateliers. L’interaction a été limitée par les outils que proposait le site utilisé, mais il a été pensé dans la même logique que les séances. Ce questionnaire a eu pour but de compléter les données récoltées avec d’autres avis de Guillestrins.

2/ Communication et organisation des ateliers publics.

Afin de donner plus d’épaisseur à l’atelier, il s’agissait de l’organiser dans un lieu public. L’idéal aurait été d’aménager un espace extérieur éphémère, sur une des places de la commune par exemple, pour que les sessions soient in situ et d’autant plus visibles. Grâce à la mairie, j’ai pû obtenir un local communal gratuitement, situé dans une rue des abords du centre de Guillestre ( figures 73 et 74). L’accès était donc facile, mais la vitrine peu visible. Les ateliers se sont déroulés entre le 17 et le 30 Août 2020. Nous étions en déconfinement, et la commune étant relativement épargnée des difficultés de ce contexte, beaucoup des habitants travaillaient. La communication s’est fait au travers des affiches A3 et des flyers en A5 ( figure 75) accrochés dans la rue et distribués chez les commerçants, eux-mêmes conviés à participer. Parallèlement, de nombreuses publications ont été postées sur les groupes facebook. L’évènement a été diffusé par le journal numérique de l’Adscb de Briançon regroupant diverses associations. Il y a également eu une publication dans le journal papier régional ( figure 76), et dans la «Gazette» de la commune. Malgré une communication intense, il eut peu de participants, les principaux venus étant issus de mon propre cercle des connaissances. La maire semblait porter un intérêt à ces ateliers et elle m’a également appris qu’elle avait été interrogée sur les affiches, mais cela n’a pas suffi à regrouper plus de personnes. Le mois d’Août et le covid ont peut-être joué en défaveur des ateliers. Également, le fait que j’ai tenu à organiser des sessions par âge a été plus limitant. Pour finir, j’avais envisagé, à l’issue de cette session habitante, de finaliser le scénario de l’atelier et d’en organiser un nominatif, en choisissant et en invitant des acteurs du territoire. Le Covid et le temps ne l’ont pas permis. Chaque session a été originellement prévue par génération : 15-24 ans / 25-35 ans / 36-49 ans / 50-65 ans / +65ans. L’objectif était de faire ressortir des tendances générales par âges. La représentation aurait mené à des cartes générationnelles, mettant en avant les usages plus intenses de certains espaces ou non. Également, l’atelier a été prévu en 2 sessions, une première autour de jeux plus conceptuels et subjectifs, basés sur

quelle forme d’espace public se dégage des usages ? 2/Communication et organisation des ateliers publics. 63

3/ Quelle forme d’espace public se dégage des usages?


Figure 75. AFFICHE POUR LES ATELIERS.

quelle forme d’espace public se dégage des usages ? 2/Communication et organisation des ateliers publics. 64


Figure 76. PUBLICATION DANS LE JOURNAL LOCAL DU DAUPHINé libéré. quelle forme d’espace public se dégage des usages ? 2/Communication et organisation des ateliers publics. 65


Figures 77 et 78. JEU à tour de rôle.

quelle forme d’espace public se dégage des usages ? 2/Communication et organisation des ateliers publics. 66


L’ensemble des 19 participants fut composé de :

(Atelier test) YB, 29 ans, originaire du Jura, dans la région depuis ses études à Gap – Employé au Syndicat Mixte de Traitement des Ordures Ménagères du Guillestrois, du Queyras et de l’Argentiérois UM, 28 ans, originaire de Paris, dans la région depuis ses études à Gap – Accompagnateur en Montagne CC, 32 ans, originaire de Lille, dans la région depuis 4 ans – Plombier – (Vit à Gap) ML, 28 ans, originaire de Chambéry, dans la région depuis ses études à Gap – Animatrice à l’office du tourisme de Vars HV, 29 ans, originaire des Vosges, dans la région depuis 4 ans – Guide aux mines d’argent MP, 34 ans, originaire de Nîmes, dans la région depuis 6 ans - professeure de Yoga-Pilate – (Vit à Montdauphin) LM, 30 ans, originaire de Cannes, dans la région depuis ses études à Gap – surveillante dans un collège (Ateliers publics) LG, 34 ans, dans la région depuis 10 ans – architecte – (vit à Vars) MV, 36 ans, dans la région depuis 4 mois – ingénieur de formation, sans emploi au moment des ateliers GP, 29 ans, originaire de Paris, fréquente la région depuis 4 ans – designer – (vit à Lyon) CC, 30 ans, dans la région depuis 3 ans – sapeuse-pompière volontaire et vendeuse en magasin bio CV, 44 ans, dans la région depuis 15 ans – employée à l’Association Culturelle Sociale et Sportive du Queyras AG, 27 ans, originaire de Bergerac, dans la région depuis 3 ans – employée à l’Association Culturelle Sociale et Sportive du Queyras MeF, 27 ans, originaire de Bergerac, dans la région depuis 1 ans – Infirmière MC, 27 ans, dans la région depuis ses études à Gap - employée à l’Association Culturelle Sociale et Sportive du Queyras – (Vit dans le Queyras) MaV, 51 ans, dans la région depuis 25 ans – potière – (vit à Risoul) MF, 29 ans, originaire de Laroche Posay, dans la région depuis 3 ans – accompagnateur en montagne PM, 29 ans, originaire de Montpellier, dans la région depuis 2 ans – accompagnateur en montagne AM, 28 ans, originaire de Belgique, dans la région depuis 1 an – architecte d’intérieur de formation, sans emploi au moment des ateliers Nous retrouverons les interventions propres aux participants dans le corps de texte des résultats. S’y référer si besoin. La tendance était donc autour de 30 ans, et aucun des participants n’était originaire de la région. La majeure partie de ces habitants est issue d’un cercle de connaissance déjà établit sur place.

quelle forme d’espace public se dégage des usages ? 2/Communication et organisation des ateliers publics. 67

les ressentis et portés sur le regard général des habitants sur leur commune. Les jeux étaient de citer 5 endroits qui font adresses, de représenter Guillestre ( par dessin ou par écrit selon chacun), et de localiser des images d’ambiances appropriables sur une grande carte de Guillestre, dessinant une forme de portrait chinois de la commune. On ne parle pas encore d’espace public, et on est d’abord dans l’imaginaire de Guillestre avant de montrer la réalité des usages. La seconde séance était envisagée avec les mêmes participants, soit un public plus « aguerri», et rentrait d’avantage dans les pratiques de la ville pour aboutir sur la notion d’espace public. Il s’agissait par exemple de tracer sur une vue aérienne de Guillestre le trajet piéton préféré/évité/le plus fréquenté, de dessiner la zone dans laquelle le participant se déplace à pieds, de localiser des endroits ponctuels préférés/les plus fréquentés de jour et de nuit... Enfin, une liste d’actions préécrites ou à imaginer, actions possibles et actions interdites aujourd’hui mais désirées, étaient à localiser. La séance se terminait autour de 3 questions sur l’espace public de Guillestre, ses freins ou ses possibilités, ce qu’on vient y chercher, sa relation à la montagne. Cette séance factuelle permettait de dessiner un visage de l’espace public de la commune, par la fréquentation et les usages qu’il porte. Enfin, chaque session a été co-menée avec une personne qui gérait le temps.


quelle forme d’espace public se dégage des usages ? 3/Session 1 - a. Activité 1, les lieux qui font adresse.

Disparité des ordres et des quantités par pers- de la nature du rapport au lieu (perso ou neutre) SOCIAL x 24 NEC> sport x3

NATURE > activité x9 PATRIMOINE x7

NATURE > contempx7 TRAVAIL x4

mémoire x2

NATURE > agri x6

NECESSITE x 11

LIMITE COMMUNALE x1

Figure 79. résultats de l’activité 1: les lieux qui font «adresse».

NEC>culture x6


Ce premier exercice qui consistait à comprendre les lieux qui font adresse à Guillestre ne devait pas être influencé par le terme « espace public». La seule consigne était de ne pas citer son domicile ou celui d’un ami. Les réponses ont donc mené vers des espaces publics, mais aussi des équipements publics, ou des commerces. La majorité des lieux cités est liée à la sociabilité (24 fois) suivie de très près par des lieux liés au naturel (22). Les participants devaient y associer une idée, aidant à comprendre la signification de chacun de ces endroits cités. Cela a permis de subdiviser certaines catégories. La sociabilité s’incarne par un bar (8), une place ou une rue (7), et l’auberge de jeunesse ou la salle de concert (6). Il est en effet un bar qui propose de nombreuses animations musicales pour les locaux. Celui-ci semble avoir une place particulière dans le quotidien ou l’arrivée à Guillestre des habitants. La place dont il est attenant a été la plus citée. Vient ensuite celle de l’office du tourisme qui organise à l’été des «évènements», et la place du marché. Il est intéressant de noter la présence de l’auberge de jeunesse qui rassemble des associations et organise des évènements intérieurs et extérieurs, tout en gardant sa fonction d’auberge et de camping. C’est donc un lieu à la fois dédié aux touristes mais également très ouvert et de ce fait approprié par les locaux. Ces espaces n’ont pas le statut de « public » puisque leur accès peut être payant. Néanmoins, il n’est pas de discrimination ou de « filtre» à l’entrée, même lors des évènements gratuits. La notion d’espace public est alors requestionnée. La catégorie « naturel » vient ensuite (22 fois) , divisée en trois types. Un premier parlant d’activités (9) type escalade, marche... un second traitant de la contemplation ou de l’introspection (7) et un troisième de l’agricole (6). Il est intéressant de noter que sur l’ensemble des réponses « naturel », le plateau agricole du Simoust a été mentionné 18 fois, certains précisant l’endroit exact sur le site (pain de sucre, rue des masques...). Ce sont ensuite les cours d’eau ou canaux (5) et une personne parla du potager collectif. Si ce n’est les deux cours d’eau, aucun espace sauvage n’a été évoqué. Le plateau agricole semble donc avoir une place très particulière chez les habitants. La troisième catégorie était celle de la nécessité (20 fois) allant des commerces et des équipements publics aux infrastructures routières. Les idées associées étaient liées aux besoins quotidiens (11), à la culture (6) et à la pratique sportive (3). Il n’y a pas de grande tendance sur les espaces cités en 4e et 5e position, si ce n’est que les lieux dédiés au patrimoine architectural et urbain (église, château, vieille ville, place) sont cités en fin et généralement avec une intention plus descriptive qu’un moment personnel associé. De manière générale, les lieux choisis n’intègrent pas de non-lieux (supermarché, station essence...) bien qu’ils soient usuels. Les choix sont portés sur l’expérience heureuse et souvent récréative de la ville. Les lieux qui ont une résonnance avec la sociabilité sont parmi les plus cités, et celle-ci trouve aussi écho dans certains des lieux dits naturels. Est-ce dû à la tranche d’âge jeune, ou est-ce le reflet objectif d’une commune au terreau associatif et à l’offre d’établissements générateur d’animation importants ? Les lieux dits naturels sont, à deux voies près, cités autant de fois que ceux de la catégorie nommée sociabilité. Il semble qu’un équilibre et une complémentarité demeure entre un terreau social dans le tissu bâti et lié à des activités plus urbaines, et les potentialités collectives et individuelles offertes dans le tissu agricole et naturel. Enfin, les lieux liés au tourisme (église, place de l’office du tourisme, grand marché estival) sont peu abordés. Les réponses montrent d’abord la part la plus belle du Guillestre du quotidien.

quelle forme d’espace public se dégage des usages ? 3/Session 1 - a. Activité 1, les lieux qui font adresse. 69

3/ Session 1 a. Activité 1, les lieux qui « font adresse ».


quelle forme d’espace public se dégage des usages ? 3/Session 1 - b. Activité 2, ce qui structire Guillestre, représentation collective. 70

b. Activité 2 : Ce qui structure Guillestre, représentation collective.

Le but était d’aborder différement ce qui est structurant et fait adresse, au même titre que l’on imagine à Paris la Seine. Après un dialogue déjà établit autour de la géographie de la commune, les participants ont dessiné ou écrit, selon leur aisance et affection. Différents modes de représentations, plus ou moins accompagnés, étaient proposés (voir notice). YB La carte de YB retrace un trajet dans le jardin de la colocation. Les données ne sont donc pas exploitables car l’exercice n’a pas été tout à fait compris, mais le mode de représentation est néanmoins intéressant. Les notions spatiales et d’échelle sont mises de côté pour se focaliser seulement sur les éléments qui font quotidien. UM Les cartes de UM et CC étaient avec légende imposée. UM vit à l’année à Guillestre, et CC est le partenaire d’une des colocataires de la session test. Il connait Guillestre par intermittence, et il y était pour le confinement. La carte de UM ne tient pas compte des distances et de la route, mais se focalise sur les éléments croisés le long d’un parcours piéton, de la maison au plateau du Simoust. Le choix a été porté sur des éléments plus naturels et les activités offertes par cet environnement (site d’escalade et rivière du Guil) accessibles à quelques minutes à pieds. CC CC a une carte clairement structurée autour du réseau routier. Il a choisi de représenter le Guillestre qu’il traversait pour aller travailler dans le Queyras. La commune se résume à la route, néanmoins le plateau du Simoust et le pain de sucre figurent, avec « l’hyper centre» spécifié dans le cercle qui représente le tissu urbain. C’est un schéma résumé de la ville, qui en marque néanmoins ses composantes les plus importantes ML La carte de ML, en haut, est relativement fausse en termes d’orientation, bien qu’elle représente les routes principales et les ronds-points associés. Le nombre de ronds-points est néanmoins juste, ce qui montre leur importance dans la structure de Guillestre. Les éléments forts notés concernent directement les activités les plus fréquentes de ML dans la commune : la maison, les courses, le trajet du travail, et les activités (escalade, soirées, auberge jeunesse, Queyras weekend...). Excepté le château qui lui est inconnu, et le plateau du Simoust, 3 des lieux qu’elle a indiqués lors du jeu précédent sont présents. HV HV a souhaité être plus exhaustive. Là encore, le réseau routier est prépondérant (les parkings sont représentés en violet). Cependant, le tracé est faux est pas proportionnel. Les différents lieux du quotidien semblent donc avoir pris le dessus (restaurant, carrefour, chapelles, chez Gaby...), mais également des ambiances propres à certains quartiers (petites ruelles sombres, maisons anciennes, maisons jardins...) et des objets urbains (panneau Guillestre, poubelles, panneau lumineux circulation...). Quelques évènements marquent aussi les espaces naturels (cascade, fermes, forêt...). Enfin, le centre-ville est largement disproportionné (il représente ici la place que prend normalement tout le bâti guillestrin). La ville dessinée propose une diversité d’ambiance, de services, et une mobilité avant tout à moteur. MP MP est la seconde participante à ne pas vivre à Guillestre, mais à y être ponctuellement pour son partenaire qui vit dans la colocation de la session test. Lors du jeu précédent, MP a porté le choix de ses lieux sur des histoires personnelles (vacances avec sa sœur, évasion, faire les courses puisqu’elle doit nécessairement les faire à Guillestre, n’ayant pas de commerces dans sa ville de Montdauphin). Ici, la description se cantonne à une promenade piétonne naturelle dans la commune. Le ton touristique et les mots génériques (soleil, ciel bleu, couleurs) employés mettent une distance. Les repères directionnels sont néanmoins très précis (fontaine taillée dans le mélèze, sauter au-dessus du canal). LM LM a choisi d’écrire. Elle distingue les trajets « usuels » (soit fonctionnels) et les trajets «ressources». Le texte, pour ces deux types, est empreint de souvenirs, des 5 sens, et relève les différentes ambiances traversées (rues se resserrent, grandes bâtisses donnent le vertige, odeurs selon les saisons, musique des verres qui trinquent, un bâtiment laid, odeur du fumier, vent toujours plus fort pour affirmer que l’on arrive au plateau, le rue de la poste et le retour au réel et à la civilisation). Le texte montre que l’évasion peut se faire aussi bien dans l’espace naturel que bâti (souvenirs d’enfance), ce même bâti qui fait figure de « retour à la civilisation». Cela montre l’importance des seuils, d’un espace à l’autre, et la richesse des ambiances parcourables à pieds.


Contrairement au jeu précédent, les cartes dessinées représentent des lieux plus fonctionnels (carrefour, gendarmerie, boulangerie) et elles se structurent majoritairement autour du réseau routier (8 dessins sur 13), jusqu’à de fines précisions ( ronds-points, parkings, panneaux...). Le centre-ville est représenté 8 fois, le plateau 6 et le Guil 5. Ces éléments naturels restent donc structurants et sont parmi les plus évoqués sur ces deux premiers exercices. Le niveau de précision concerne surtout le centre bourg et le plateau du Simoust, au contraire du Sud. Le jeu précédent dépeignait un Guillestre plus idéal, celui-ci montre un Guillestre plus réel.

quelle forme d’espace public se dégage des usages ? 3/Session 1 - b. Activité 2, ce qui structire Guillestre, représentation collective. 71

LG Le cadrage concerne le centre-ville, et plus exactement, la rue Maurice Petsche, artère de Guillestre et de son animation. La carte détaille la relation entretenue par LG avec les éléments urbains, architecturaux, commerçants et sociaux de ses parcours. Les localisations sont de fait précises autour des lieux fréquentés. La place Bonnet que la participante ne pratique pas à justement faillit être oubliée. MV La représentation comprend une vision large de Guillestre, de la Nationale à la route du Queyras. Au Nord le dessin se termine avec la limite naturelle des gorges, et au Sud avec une limite présupposée mais fausse d’un cours d’eau, le Rif-Bel sans doute, mais sans aucune continuité vers Vars ou Risoul, comme si le Sud de la commune n’existait pas. Également, l’Ouest de Guillestre (Villard et pavillonnaire) n’apparait pas, seul le centre et les pavillonnaires Nord et Est. Les canaux sont justement représentés, ainsi que les deux bancs à l’Ouest du plateau et la cascade. On devine donc que le participant arpente régulièrement le Simoust. GP Le cadrage comprend le centre bourg, avec un Nord plus juste dans sa représentation et le Sud de la rue Maurice Petsche plus aléatoire, laissant présager de la régularité de la fréquentation ou pas. Un degré d’usage est représenté, de la rue sombre peu pratiquée aux espaces plus utilisés et animés (places Albert et Salva). CC Cette carte d’une habitante du Sud de la commune est intéressante car elle est la seule à représenter un Guillestre ouvert sur son Sud, et à ne même pas évoquer le plateau du Simoust. Les routes sont synthétiques et dominent, avec la Nationale, la rue Maurice Petsche, et la déviation vers le Queyras qui dessert Vars et Risoul. Le vide généré sur sa représentation est rempli des fonctions boire, manger, acheter à manger, lieux culturels. Un nuage de lits chauds et froids encercle l’ensemble. CV La participante a choisi le format de l’écriture pour cet exercice. Sa lettre relate un trajet de retour à vélo, sur lequel elle s’arrête pour prendre le temps de regarder successivement le paysage naturel, puis la ville. Des éléments pittoresques sont cités comme le clocher, la flânerie dans les ruelles, les petits commerces. Le discours devient concret sur les pratiques réelles, avec le potager collectif, et l’énumération d’associations. Le regard est enchanteur sur «la vie de village » mais argumenté et certainement objectif pour son auteur. AG Le cadrage est intéressant car il n’est ni global ni centré sur le vieux bourg. Il commence avec un rond-point à l’Ouest et s’arrête avec 3 routes qui filent à l’Est. Le réseau viaire est synthétique mais dominant. Il libère des espaces remplis par des fonctions ou des usages. Le Sud est néanmoins représenté de manière hermétique, fermé par la déviation. PM Le cadrage choisi comprend les abords du centre-ville, du lieu de vie du participant, et le plateau agricole jusqu’au Guil. Là encore, le poids de l’infrastructure dédiée à la voiture est dominant et structurant de la ville. L’axe majeur Est-Ouest est représenté, et ce dessin est le seul à émettre un timide axe Nord Sud, de Risoul à Eygliers. MV La représentation de Guillestre est ici incarnée par une série de bâtiments publics pratiqués par la participante (café, bibliothèque, auberge, cinéma, poulailler collectif) et différentes formes d’habiter (maison, yourte, camion). Un vélo et un train sont représentés, comme le souhait de modes doux. MF Le cadrage choisi sur la ville est large. Ici, ce sont les cours d’eau (Guil, torrents et canal) qui structurent la commune, puis le réseau routier faussement représenté dessus. Le centre bourg et le plateau agricole ont été dessinés avant les routes, en remplissage des cours d’eau. Aussi, la limite Sud de Guillestre est cette fois représentée par ses pentes forestières.


quelle forme d’espace public se dégage des usages ? 3/Session 1 - b. Activité 2, ce qui structire Guillestre, représentation collective. 72

YB UM

HV MP

MV

GP

AG

PM

Figure 80. résultats de l’activité 2: représenter (son) guillestre.


ML

LM LG

CC

CV

MV

MF

quelle forme d’espace public se dégage des usages ? 3/Session 1 - b. Activité 2, ce qui structire Guillestre, représentation collective. 73

CC


quelle forme d’espace public se dégage des usages ? 3/Session 1 - c. Activité 2, portrait chinois des ambiances de Guillestre. 74

Figure 81. résultats de l’activité 3 : portraits chinsois, Assemblage des potraits individuels de l’atelier test ( en haut) et assemblage des réponses par catégories des ateliers publics (en bas).


Cet exercice qui clôturait la session 1 des ateliers permettait de manière ludique et imagée de questionner les ambiances ressenties et les humeurs générées par espaces. Des images sans lien visuel avec Guillestre et à l’interprétation ouverte devaient être associées à un lieu localisé sur la vue aérienne. Il s’agissait de « deux oiseaux », « une cabane en forêt », « un groupe d’amis autour d’une table », « New-York », « un homme qui respire », « un ciel », « des embouteillages dans Paris », et une photographie de « montagne ». Ces photos tentent de montrer des milieux différents qui évoquent alors aux participants les possibilités ou les freins qu’ils y associent. Deux types de retranscription des résultats ont été adoptés. Le premier, de l’atelier test, relatait un portait de Guillestre par personne. Il comprenait originellement 3 catégories: une représentation par couleurs, une par images, et une par motifs. Par facilité et par pertinence, la catégorie retenue fut celle des images, les couleurs étant trop associées aux natures de sol (vert pour le nature, bleu pour l’eau...) et les motifs trop interprétables pour certains, ou n’évoquant rien pour d’autres. Ce format de retranscription individuelle permettait d’isoler précisément l’usage ponctuel d’une image (un établissement, une place), ou au contraire son application générale (plateau agricole, commune entière). Le second mode de retranscription est une découpe par catégorie. Il ne présente plus les avis isolés, mais les tendances collectives. Lorsque l’on croise ces deux types de représentation et les résultats de ces deux groupes, des permanences apparaissent. Les ateliers publics ont permis de remettre en question les résultats obtenus durant la session test. En effet, celle-ci mettait essentiellement le Nord de Guillestre en avant, du fait que le groupe testé était une même colocation située plutôt au Nord de la commune. Également, il faut garder en tête que ces ateliers sont intervenus après le confinement. L’Est Guillestrin, par exemple, a été exploré plus longuement pendant la période de confinement pour certains des participants. Les localisations des photos des « oiseaux » et des « cabanes » sont relativement partagées. Elles concernent les zones boisées des pentes du Simoust, des pentes vers Risoul au Sud, et des pentes du Cugulet à l’Est. Ces localisations sont plutôt précises, et certaines d’entre elles sont très ponctuelles comme un arbre remarquable ou des cabanes sur le terrain. La position de « l’homme qui respire » est également partagée par les groupes. L’application est plus générale, touchant le plateau du Simoust, les pentes Est, et plus précisément le pain de Sucre. Celle du « ciel » est plus générale encore, s’appliquant pour certains sur l’ensemble de Guillestre. Ce que l’on peut constater de ces images, c’est qu’elles sont tournées vers ce qui est de l’ordre du naturel. La localisation dans le Guillestre bâti est très peu présente voire inexistante. Aucun n’y associe les canaux, le square ou le Rif-Bels, pourtant représentés ou cités dans les jeux précédents. La rupture entre le bâti Guillestrin et le naturel est plus visible encore avec la répartition de l’image de « montagne ». Celle-ci n’a été qu’une seule fois positionnée sur le cadrage proposé par la vue aérienne. Elle est néanmoins marquée par les participants de flèches vers l’extérieur pour parler des points de vue. La montagne est donc admise comme un cadre, une toile de fond extérieure à la commune. La photographie du « groupe d’amis » est positionnée à l’unanimité dans le centre bourg, et parfois plus précisément sur la place Albert, autour du bar «le Central». Deux des participants l’ont également placée autour du parking et du site d’escalade du plateau agricole. Cette première hybridation du social dans le «naturel» est une opportunité. La photographie de « New-York » est située sur le carrefour, sur la zone du Villard et deux sont dans le centre-bourg, Cette image n’est pas utilisée par tous les participants. L’usage de la photographie des « embouteillages » n’est pas non plus partagé par tous, certains l’utilisant, d’autres non. Son application est néanmoins semblable, et suit les départementales et la Nationale. Elle est parfois très précise, traitant un virage, un resserrement ou un rond-point. Les usages et le quotidien individuel apparaissent peu à peu. Enfin, il est intéressant de noter le degré général de représentation. Celle-ci est plus précise dans le centre, puis pour certains participants dans le plateau. Elle est plus générale sur les pentes qui bordent Guillestre à l’Est, puis au Sud. Enfin, l’auréole pavillonnaire n’est à aucun moment l’objet d’une représentation.

quelle forme d’espace public se dégage des usages ? 3/Session 1 - c. Activité 2, portrait chinois des ambiances de Guillestre. 75

c. Activité 3: Portrait chinois des ambiances de Guillestre.


Figure 82. résultats de l’activité 3 : portraits chinsois, Potraits individuels de l’atelier test.

quelle forme d’espace public se dégage des usages ? 3/Session 1 - c. Activité 2, portrait chinois des ambiances de Guillestre. 76


Figure 82. résultats de l’activité 3 : portraits chinsois, Portrait par catégories des ateliers publics. quelle forme d’espace public se dégage des usages ? 3/Session 1 - c. Activité 2, portrait chinois des ambiances de Guillestre. 77


Figure 83. Assemblage cumulé des résultats de la session 2. 0 500 m 1000

quelle forme d’espace public se dégage des usages ? 4/ Session 2 - a. Activité 1, espaces publics représentatifs. 78


La seconde session était beaucoup plus concrète. Elle abordait directement, et sans la cacher, la notion d’espace public. Il a d’abord été demandé aux participants de citer 3 espaces publics de Guillestre, avant d’échanger autour de la question «qu’est-ce qu’un espace public». Il est intéressant de noter la diversité des réponses. Tous ont cité les lieux pour les usages qu’ils génèrent, plutôt que pour la forme qu’ils ont. La plupart argumentait leurs choix avec des pratiques qu’ils avaient pu y observer. La place Albert été citée par AG pour sa fontaine et l’activité sportive générée autour notamment avec deux femmes qui y faisaient leur sport pendant le confinement. Le square a été nommé par AG et MC pour les réunions qu’elles y avaient organisé dans le cadre de leur travail, et par AM pour ses repas entre midi et deux, et les nombreux enfants observés sur les jeux dédiés, «et en plus, il y a des toilettes». Également, tous les participants ont choisi un espace naturel ou agricole de Guillestre. Leur pratique de ces lieux les intègre avec évidence dans l’espace public Guillestrin. Les justifications associées étaient de l’ordre du contemplatif, que ce soit dans l’action comme « ballades» ou dans l’immobilité «c’est la vue carte postale de Guillestre (AM)» ou les sentiments provoqués «évasion», «c’est quand je suis là et que je regarde Guillestre que je me sens chez moi (MF)». La question « qu’est-ce que l’espace public » qui a suivi a permis d’élargir ou de nommer les choses. C’est dans la différence que certains ont cherché à définir ce qu’est l’espace public (MC). Des distinctions ont été faites comme l’espace public et la voie publique, insinuant de ce fait une forme d’immobilité dans les espaces publics, une fixation par l’usage, et une pensée plus en surface qu’en ligne. « L’espace public c’est le but et la voie c’est le moyen d’y arriver (AG)». Il est intéressant de mettre en relief cette réflexion avec le plateau du Simoust considéré comme espace public, mais où la plupart des participants ne faisaient finalement qu’y passer en s’y «balladant». Une participante concluait « dans l’espace public il y a la notion de se réunir, de s’asseoir, s’arrêter (MC)». Les usages semblaient si prépondérants qu’une autre des participantes a distingué le pavillonnaire comme un «espace ouvert qui appartient à tous (AG)», plus qu’un espace public. Autrement dit, il n’y a aucun élément qui ne s’oppose à qualifier de public cet espace, mais c’est le fait « d’absence » qui donne à vouloir le nommer autrement. Enfin, l’espace public a été associé au terme de «commun». Il a été définit par 9 participants comme le lieu entretenu par «la commune», pensé pour accueillir le public et gratuit.

b. Activité 2 : Cartographier sa pratique de Guillestre.

A la suite de cette introduction, les participants ont réfléchi à leurs usages des espaces publics, sous plusieurs critères, puis ils les ont cartographiés. Il s’agissait d’entourer ce qui est perçu comme «ville» (tracé orange), les limites entre lesquelles le participant se déplace à pieds (tracé discontinu vert), son trajet préféré (tracé discontinu rouge), son trajet le plus fréquenté (tracé bleu), et les zones dans lesquelles le participant ne se rend pas (jaune). Dans un deuxième temps, il s’agissait de rendre compte des deux lieux préférés ( le premier rond rouge, le second rond blanc contour rouge), le lieu le plus fréquenté de jour (rond jaune) et de nuit (rond bleu). Enfin, un tour des usages a été fait, avec des actions piochées et d’autres à écrire puis à positionner sur la carte. Il y avait des actions aujourd’hui possibles et réalisables/réalisées, et d’autres qui ne sont pas (encore) faisables à Guillestre. L’ensemble de ces données a été superposé, représentant 3 sessions d’atelier différentes et un total de 13 participants. Le premier point observé de cette superposition est la diagonale d’usage, entre la montée vers Risoul et le pain de sucre. Également, il apparait une zone de non usage entre un plateau agricole très fréquenté et le centre bourg. Celle-ci s’incarne par l’auréole pavillonnaire. Ensuite, ce qui fait «ville» pour les participants correspond en majorité à leurs trajets piétons les plus fréquentés. «Ville» et «trajets fréquentés» ne représentent tous deux qu’une petite partie de la limite des déplacements à pied des participants. La correspondance directe entre ce qui fait ville/trajet fréquenté, et l’insertion de ces éléments dans l’ère piétonne individuelle contribue peut-être à cette représentation de «village» de Guillestre. Enfin durant les ateliers, plusieurs participants ont souligné le fait que l’on ne s’arrête pas dans le centre, qu’il n’y a «rien à faire». De plus, certains ont associé l’idée d’immobilité à l’espace public. Or, il s’avère, au regard de la carte, que la majorité des points d’actions et de lieux préférés/fréquentés y sont situés. A l’inverse, les trajets préférés sont surtout situés sur le plateau agricole. Finalement, le paysage apparait comme un élément qui comble un vide. Lorsqu’on marche en regardant le paysage on fait quelque chose, à l’inverse des déambulations dans le

quelle forme d’espace public se dégage des usages ? 4/ Session 2 - b. Activité 2, cartographier sa pratique de Guillestre. 79

4/ Session 2 a. Activité 1: Espaces publics représentatifs.


quelle forme d’espace public se dégage des usages ? 4/ Session 2 - b. Activité 2, cartographier sa pratique de Guillestre. 80 Figure 84. cartographier ses pratiques (partie 1). Maison limite subjective de «la ville» Zones ignorées Limites des déplacements piétons Trajet piéton préféré


LES LIMITES DE LA VILLE Passons à présent à une analyse de cet exercice catégorie par catégorie. A la demande d’entourer ce qui fait ville à Guillestre, deux participants n’ont rien choisi, disant ne jamais s’y sentir en ville (CC qui vit à Gap et PM qui vient de Montpellier). La majorité des autres joueurs ont entouré le centre-bourg suivant la limite de ses anciennes fortifications. C’est donc la densité et l’architecture vernaculaire qui est mise en avant. Le centre est en plus un objet urbain facile à saisir grâce au tracé des remparts ressentis par le vide généré. L’ensemble de ce vide, aujourd’hui l’avenue du Docteur Julien Guillaume, la rue des Champs-Elysées et la place du portail est inclus dans «ce qui fait ville». Ensuite, certains des participants ont élargi ces limites en y incluant le Carrefour, le cinéma, voire le gymnase. Il s’agit là d’un tracé autour des équipements publics et commerciaux des abords du centre bourg. Enfin, les limites les plus grandes comprennent le rond-point du Martinet, la gare routière et le rond-point vers le Queyras. Ce sont ici les infrastructures routières proches qui dessinent la ville. L’emplacement des habitations des joueurs ne semble pas avoir influencé leurs réponses. LES ZONES IGNOREES Ce qui est considéré comme zones non visitées par les participants est, à l’unanimité, le tissu pavillonnaire. Deux d’entre eux ont ajouté des parcelles agricoles, l’une sur le plateau (MC qui vit dans Queyras et pratique peu Guillestre) et l’autre au Sud à Risoul. LA ZONE PARCOURUE A PIEDS L’ère piétonne est clairement distincte au Nord, où elle trouve sa fin dans les limites naturelles du site avec les gorges du Guil. Le Sud est quant à lui plus variable, dépendant les lieux d’habitation des participants et des actions à y faire (habitation d’un ami, faire du stop au rond-point de Vars pour aller travailler en station...). Les limites déjà tracées du site sur lesquelles certains se sont raccrochés sont la déviation (4 personnes) et la rue Maurice Petsche (MeF). Un dernier participant à suivi le Chagne (MF, qui aime y pêcher). A l’Est la limite est très claire et s’incarne par la route qui mène au Queyras. A l’Ouest enfin, si ce n’est le bout marqué par la topographie du plateau agricole, la limite a été peu nommée, reliant directement le Sud. Elle est toutefois marquée pour certains par le virage de la départementale, ou par le rond-point du Martinet. LE TRAJET PIETON PREFERE Les trajets préférés sont en majorité représentés sur le plateau du Simoust, avec des variances dans les sens ou les itinéraires, suivant le lieu d’habitation, le relief (finir par une descente, par la vue), et l’effort (raccourci). Une seule participante a appuyé sur le but de ce trajet (AM, pour rejoindre son petit ami) quand tous les autres ne se focalisaient que sur le parcours en lui-même. Ce parcours a néanmoins toujours un point fort (un lieu particulier où le point de vue est dégagé, en hauteur..) et une vue associée (sur le village, sur la vallée). Un des participants a associé son trajet préféré au Chagne (MF), il est en l’occurrence un pêcheur, et trois participants ont choisi les rues du centre bourg, avec parfois un tracé précis, et parfois plus global sur le quartier.

quelle forme d’espace public se dégage des usages ? 4/ Session 2 - b. Activité 2, cartographier sa pratique de Guillestre. 81

tissu urbain. Le paysage fait du temps de déplacement la fin en soi. Également, la zone de déplacement à pieds suit les mêmes limites que les trajets préférés, dépassant de loin «la ville». Autrement dit, plus le trajet préféré est grand et plus la zone piétonne l’est. Les habitants n’hésitent pas à la prolonger à 1,6km à l’Ouest du centre bourg, alors qu’elle n’est plus qu’à 700m à l’Est, dans une zone qui ne présente pas de support de promenade majeur. Le relief explique aussi cette disparité. Toutefois, il peut être avancé que si l’intérêt se présente, l’effort perçu est moindre, l’impression de «faire quelque chose» est plus importante, et la zone de déplacements à pieds est de ce fait agrandie.


quelle forme d’espace public se dégage des usages ? 4/ Session 2 - b. Activité 2, cartographier sa pratique de Guillestre. 82 Figure 85. cartographier ses pratiques (partie 2). Maison trajet piéton le plus fréquenté trajet piéton évité lieu affectionné 1 lieu affectionné 2 lieu fréquenté diurne lieu fréquenté nocturne


LE TRAJET PIETON EVITE La catégorie «trajet évité» n’a pas de suite été comprise par tous les participants, alors que certains avaient déjà évoqué les évitements qu’ils mettaient en place, notamment l’été lorsqu’il y a beaucoup de touristes. Une fois la problématique comprise, seuls certains garçons n’avaient pas de trajectoires d’évitements (deux des accompagnateurs l’ont souligné, l’employé su Sitomga, et le plombier). Les autres participants et participantes ont évoqué des itinéraires dangereux à pieds (toutes catégories confondues), ou l’évitement des abords du bar. Cinq des filles, âgées d’une trentaine d’années, ont évoqué ce dernier point, pour ces jours où elles ne souhaitaient pas parler ou rentrer tard, ou pour éviter de «se sentir regardées». LIEUX PREFERES, LE PLUS FREQUENTE DE JOUR ET DE NUIT Concernant les lieux préférés, ceux-ci sont catégoriques. Ils sont soit liés au naturel et à l’agricole, soit au centreville. La première famille est très précisément cartographiée, suivant un changement d’ambiance (la dernière maison du quartier, une lumière particulière, tronçon d’un chemin où il y a des pins) ou des points de vue. La connaissance du terrain est donc fine et sensible. La seconde famille de lieux en centre-ville est d’avantage associée à des lieux particuliers comme un bar, ou par l’activité générée d’un lieu (place de l’office où se tiennent des évènements, les jeux du square, la fontaine de la place Albert...). Deux participantes ont cité une rue particulière pour la beauté de sa morphologie, de son bâti (AG qui vit en face de cette rue, et MeF, son amie). Les lieux les plus fréquentés de jour sont à majorité liés aux nécessites (Carrefour, rondpoint pour faire du stop), et quelques-uns aux divertissements (pêche au Guil, bar). Sans conteste, ceux de nuit sont liés au bar ou au gymnase (ouvert le soir pour escalader).

c. Activité 3 : Imaginer et localiser ses usages dans l’espace public Guillestrin.

Concernant l’analyse des usages, le résultat a été représenté de deux manières. La première isole les différents lieux cités, montrant par un code couleur si c’est un espace lié au naturel et à l’agricole (vert), un lieu d’interactions sociales important (orange), lié au patrimoine architectural (marron), à un équipement public (bleu), ou s’il est lié à l’infrastructure routière (noir). Également, le numéro «21» correspond à ceux que les participants ont nommé «centreville», n’incluant pas un site précis. Sur ces différents lieux visibles, un premier chiffre en noir montre le nombre d’actions possibles citées, et un chiffre en rouge montre le nombre d’actions aujourd’hui impossibles citées. Deux lignes presque parallèles paraissent. La ligne naturelle et agricole du Nord du plateau du Simoust ( du 9 au 2) et celle reliant l’entrée de Guillestre depuis la Nationale au Queyras ( du 17 au 1). Également, deux types d’espaces majeurs regroupent la plupart des actions. Les lieux naturels et agricoles (40 actions possibles pour 6 impossibles) et les lieux sociaux auxquels nous ajoutons le centre (31 actions possibles pour 13 impossibles). Les limites d’usage du centre-ville sont fortement revendiquées, au contraire de l’agricole qui semble permettre plus de possibilités. Enfin, parmi les actions impossibles écrites par les participants, la majeure partie concerne des besoins qui dépassent l’espace public comme des commerces spécifiques, une salle de bloc et un tiers lieu. D’autres actions trouvent toutefois leur sens dans les usages que pourrait porter l’espace public, soit des lieux où se réunir en extérieur, des espaces verts, des zones de pêches, ou des espaces dédiés aux piétons et aux cyclistes. Enfin, plusieurs ont cité le manque d’anonymat propre à la vie de petite ville. La seconde représentation des résultats s’attache à la nature des activités plutôt qu’à la nature du lieu désigné. Cette carte permet de comprendre l’hybridation, ou pas, des usages. La nature des pratiques relevée est de l’ordre de l’interaction sociale (orange), de l’introspection et de l’activité en solitaire (bleu foncé), du sport ou du jeu (bleu clair), d’un point de rencontre avec la nature (vert), de la culture et de l’art (rose), des besoins d’extérieurs, de sortir (noir), de la nécessité matérielle (marron) et de la sécurité (rouge). Les actions possibles et impossibles ont été mêlées, pour ne montrer que les aspirations des habitants.

quelle forme d’espace public se dégage des usages ? 4/ Session 2 - c. Activité 3, imaginer et localiser ses usages dans l’espace public Guillestrin. 83

LE TRAJET PIETON LE PLUS FREQUENTE Les trajets les plus fréquentés sont liés aux nécessités (Carrefour, lieu de travail ou de covoiturage pour se rendre au travail) ou au divertissement (chemin pour le gymnase, le bar, la maison des copains). Certains choix de rue pouvaient être favorisés, suivant le relief et les quelques secondes gagnées.


quelle forme d’espace public se dégage des usages ? 4/ Session 2 - c. Activité 3, imaginer et localiser ses usages dans l’espace public Guillestrin. 84

1 PAIN DE SUCRE

13 GYMNASE

-Pleurer -Il fait beau après 1 semaine -Voir du paysage -Tu sors de confinement

-Faire du sport - nager -Lieu participatif

14 PARKING DU PRIOURE

2 FORET DU SIMOUST

- Se poser dans la pelouse

15 ROND POINT DU MARTINET

-Amener une personne que tu désires

3 PONT DU SIMOUST

-Mannifester -Te sentir seul (quand tu fais du stop)

-Pêcher -Boire des coups avec les copains -Amener ton rdv du soir

4 BORD PLATEAU SIMOUST

16 SALLE DU QUEYRON et parvis

-Lire -Voir les étoiles -Te couper du monde -Marcher -Respirer un coup -S’aérer -Décompresser -Ballader -Faire du yoga -Marcher avec de la musique -Amener tes parents -Organiser un jeu -Réfléchir à un projet -Sortir un chien -Amener une personne à qui tu veux plaire -Regarder les étoiles

5 PANACELLES (escalade) -Pique-niquer -Manger dehors

6 SIMOUST TABLE ORIENTATION

-Danser -Rencontrer quelqu’un -Regarder la vie

17 AUBERGE DE JEUNESSE -Vendre des sandwichs -Te rendre utile -Danser jusqu’à 6h -Pédaler sans voitures

18 BAR

-Boire des coups avec les copains -Danser -Sortir en fin de journée -Me cultiver - Etre anonyme

19 COUR D’ÉCOLE

-T’instruire -Assister à un spectacle

21 CENTRE VILLE

-Chanter -Draguer -Etre ivre -Fumer -Fumer tranquil’ -Tu sors du confinement -Voir les copains -Voir d’autres gens -Te sentire belle -Faire du bruit jusqu’à point d’heure -Parler -Amener ton pote d’enfance -Sortir tes enfants -Acheter du pain -Faire les courses -Acheter des légumes -Prendre un café -marcher -regarder le paysage -flâner dans les rues - Faire de l’alpi sur les façades -avoir un jardin -Faire les boutiques -Etre anonyme -Lieu artistique pour exposer -Se poser dans l’herbe -Danser jusqu’à 6h -Manger végane -Manger des kebabs et des sushis -Une salle de bloc

20 PORCHE EGLISE -T’abriter

-Parler aux oiseaux -Etre dans ta bulle -Respirer -Te sentir bien

7 SIMOUST (stade)

-Etre en nature rapidement -Voir les étoiles -Faire du kite

8 GUIL

-Nager

9 RIF-BEL

-Pique-niquer -Pêcher dans la ville -Se réunir et boire

10 SENTIER RISOUL -Faire une cabane

11 MAISON DE LA NATURE -Parler aux oiseaux

NATURE active et contemplative SOCIAL

Mémoire individuelle

PATRIMOINE

NÉCESSITE TRAVAIL QUARTIER, ROUTE

12 SQUARE

-Regarder la vie -Organiser des réunions

Figure 86. localiser ses usages, Résultats par type d’espace et mise en avant des possibles et des lacunes.


-Pleurer -Il fait beau après 1 semaine -Voir du paysage -Tu sors de confinement

2 FORET DU SIMOUST

-Amener une personne que tu désires

3 PONT DU SIMOUST

-Pêcher -Boire des coups avec les copains -Amener ton rdv du soir

4 BORD PLATEAU SIMOUST

-Lire -Voir les étoiles -Te couper du monde -Marcher -Respirer un coup -S’aérer -Décompresser -Ballader -Faire du yoga -Marcher avec de la musique -Amener tes parents -Organiser un jeu -Réfléchir à un projet -Sortir un chien -Amener une personne à qui tu veux plaire -Regarder les étoiles

5 PANACELLES (escalade) -Pique-niquer -Manger dehors

6 SIMOUST TABLE ORIENTATION

13 GYMNASE

-Faire du sport - nager -Lieu participatif

14 PARKING DU PRIOURE - Se poser dans la pelouse

15 ROND POINT DU MARTINET -Mannifester

16 SALLE DU QUEYRON et parvis -Danser -Rencontrer quelqu’un -Regarder la vie

17 AUBERGE DE JEUNESSE -Vendre des sandwichs -Te rendre utile -Danser jusqu’à 6h -Pédaler sans voitures

18 BAR

-Boire des coups avec les copains -Danser -Sortir en fin de journée -Me cultiver - Etre anonyme

19 COUR D’ÉCOLE

-T’instruire -Assister à un spectacle

20 PORCHE EGLISE

21 CENTRE VILLE

-Chanter -Draguer -Etre ivre -Fumer -Fumer tranquil’ -Tu sors du confinement -Voir les copains -Voir d’autres gens -Te sentire belle -Faire du bruit jusqu’à point d’heure -Parler -Amener ton pote d’enfance -Sortir tes enfants -Acheter du pain -Faire les courses -Acheter des légumes -Prendre un café -marcher -regarder le paysage -flâner dans les rues - Faire de l’alpi sur les façades -avoir un jardin -Faire les boutiques -Etre anonyme -Lieu artistique pour exposer -Se poser dans l’herbe -Danser jusqu’à 6h -Manger végane -Manger des kebabs et des sushis -Une salle de bloc

-T’abriter

-Parler aux oiseaux -Etre dans ta bulle -Respirer -Te sentir bien

7 SIMOUST (stade)

-Etre en nature rapidement -Voir les étoiles -Faire du kite

8 GUIL

-Nager

9 RIF-BEL

-Pique-niquer -Pêcher dans la ville -Se réunir et boire

10 SENTIER RISOUL -Faire une cabane

11 MAISON DE LA NATURE -Parler aux oiseaux

NATURE active et contemplative SOCIAL

Mémoire individuelle

PATRIMOINE

NÉCESSITE TRAVAIL QUARTIER, ROUTE

12 SQUARE

-Regarder la vie -Organiser des réunions

Figure 87. localiser ses usages, Résultats par type d’actions réalisées et désirées sur les espaces.

quelle forme d’espace public se dégage des usages ? 4/ Session 2 - c. Activité 3, imaginer et localiser ses usages dans l’espace public Guillestrin. 85

1 PAIN DE SUCRE


quelle forme d’espace public se dégage des usages ? 5/ Fin de session 2, ouvrir le débar. 86

La diversité d’actions la plus grande est sans conteste le centre-ville qui regroupe 7 catégories. Vient ensuite le plateau agricole, qui regroupe 5 catégories, soit les mêmes que le centre, avec le besoin matériel et le culturel en moins. Par catégories, la plus représentée sur le territoire est l’interaction sociale, souhaitée et/ou possible sur 14 sites. L’introspection ou l’activité en solitaire est aussi bien présente dans le centre que dans ses abords naturels (7), l’activité sportive est davantage dans les abords et elle apparait sur 9 sites, quant au culturel il n’est que sur 3 sites du centre. Enfin, les lieux de rencontre avec la nature sont présents bien évidemment sur les sites des abords (5) mais également dans le centre-ville (2) où ils apparaissent comme une demande.

5/ Fin session 2 : Ouvrir le débat.

Pour clôturer la session 2, un débat était ouvert autour de 3 questions : est-ce que l’espace public de Guillestre freine ou amène à l’initiative? Qu’est-ce que l’on va chercher dans l’espace public qu’on ne trouve pas chez soi ? Et qu’est-ce que l’espace public offre de plus que la montagne. Entre les lignes de cette dernière question était recherchée la confrontation entre un espace extérieur librement accessible et aux qualités paysagères partagées, avec l’espace extérieur de proximité, l’intérêt ou non des espaces verts, et les différents types d’interactions sociales que l’on trouve chez l’un et chez l’autre. Le retour des habitants quant à leur espace public Guillestrin était à l’unanimité très positif. L’ensemble reconnaissait que la population, «jeune et dynamique» et les nombreuses associations collaboraient à créer une «vie de village» animée et encouragée par la municipalité. La mise à disposition de salles par la mairie, mais aussi l’espace disponible comme sur le plateau du Simoust où s’est organisé pendant différentes années le festival des Artgricoles participent à la spatialisation de ces possibles. Également, le contrat implicite de la vie de village, comme les horaires ou les décibels à respecter était accepté par tous. Certains trouvaient ces paramètres évidents (CC qui vit à Gap, MF accompagnateur, UM accompagnateur venant de Paris), d’autres espéraient tout de même d’avantage de liberté (ML en service animation et HV saisonnière aux mines d’argent). Cela reste perçu comme le prix admis pour profiter de ce cadre et de ce mode de vie. De plus, certains objets urbains catalyseurs d’usages comme les fontaines ont été cités: «Elles attirent avec le bruit. Puis en Belgique, on n’a pas d’endroit où se servir en eau potable (AM) ( figure 88)». La morphologie de la place Salva ( figure 89) était, selon une participante, génératrice d’actions car elle est «accueillante avec sa forme d’estrade circulaire, et la couleur atypique du marbre rose (CC, MC)». D’autres la trouvait moins intéressantes, avançant au contraire que personnes ne s’y arrêtait (LG, architecte). Ce propos a été atténué par les observations in situ effectuées pour ce mémoire, durant 1h chacune et à différents jours/heure du mois d’Aout 2020. Les limites des interactions ont été évoquées, s’expliquant selon les participants, par le fait qu’il n’y ait plus la nécessité de sortir pour les moments du quotidien, comme il le fût autrefois avec les lavoirs ou les fours communaux. Un participant notait néanmoins : «certains profitent des instants comme à la boulangerie pour espérer rencontrer quelqu’un et discuter pendant des heures, les vieux souvent, mais moi je prends pas le temps (MF, accompagnateur)». D’autres participants ont, à ce moment-là, abondé en son sens, ajoutant que ces phénomènes étaient accrus pendant les confinements «avec la queue devant la boulangerie (MeF, PM)». Enfin, une des participantes évoqua l’informel: «J’ai réfléchi en creux. Le propre de l’humain c’est de combler du vide. Dans les endroits que je fréquente il n’y a pas vide, pas d’espace que je voudrais combler. Il faudrait laisser des bâtiments sans fonction pour voir avec le temps les usages qui naissent. Soit dans le centre, ou au contraire, vers les bâtiments agricoles. L’espace public pourrait être comme ça mais il y a trop de règles, de hiérarchie, et c’est un espace plus partagé. Par soucis de vivre avec l’autre je ne voudrais pas y imposer mes idées. Je m’y sentirais moins légitime de combler un vide. (MC, employée à l’ACSSQ)» Une autre participante, invitée sur ce sujet dit : « J’ose pas mettre une table et une chaise devant chez moi alors que je peux. Mais j’aurais peur du regard des gens, que ce soit dans le village ou en ville (MeF, infirmière)». De manière générale, bien que l’espace public Guillestrin rencontre les limites inhérentes à notre siècle, dues aux modes de vie et non pas spécifiquement au territoire, les participants des ateliers semblaient satisfaits de leur commune. Néanmoins, certains manques ont été évoqués, comme celui d’espaces verts, ou les équipements et les commerces spécifiques cités dans le jeu des usages situés. Les deux questions suivantes ont surtout insisté sur la sociabilité que permet l’espace public, notamment auprès des «inconnus». Pour les participants vivant en appartement, c’était aussi l’accès à un espace extérieur «l’idée de vivre en montagne, c’est d’être porté sur l’extérieur (MF)». La notion de bruit, soit le bruit qualitatif


6/ Bilan des résultats d’atelier.

Les ateliers ont permis de nommer certaines évidences et de faire naitre des réflexions quant à la conception nouvelle que l’on peut avoir des espaces publics. Tout d’abord, l’ensemble des participants des ateliers connaissaient certains aspects de leur commune avec une grande précision. Il s’agissait principalement du centre-ville (ses équipements, certaines de ses rues, ses ambiances), du réseau routier (nombre de ronds-points, parkings, panneaux), et du plateau agricole (position d’un banc, table d’orientation, changement de végétation, espace plus exposé au vent). Ces trois entités « centre-ville », « réseau routier » et « plateau agricole » sont finalement le socle des usages et la structure de Guillestre. Ils en sont la métonymie. Le centre et le Simoust sont parmi les lieux qui font adresse, basés sur l’expérience individuelle, heureuse et récréative des participants. Les bâtiments historiques, comme l’église ou les plus usuels comme le Carrefour, n’ont à ce moment-là pas été cités. Ce sont eux qui portent la plus grande diversité des usages et constituent d’une part les trajets préférés et d’autre part les trajets les plus fréquents à pied. L’entité « ville » perçue, qu’elle soit marquée par la trace des anciens remparts autour du centre historique ou qu’elle fixe ses limites dans les équipements comme le Carrefour, le cinéma et le gymnase, ou encore qu’elle trouve son cadre avec le tracé routier ( figures 90 à 93), est totalement inclue dans la zone piétonne que génère le plateau agricole. Non seulement cela accentue la sensation de « village », mais cela montre en plus le potentiel d’usage de la commune, puisque les accès se font en mode doux et qu’au long de ces parcours il est possible de croiser d’autres piétons. Le réseau routier, quant à lui, montre le Guillestre du quotidien des habitants, mais aussi leurs repères, complémentaires voire dépassant ceux que constituaient les cours d’eau. La ville semble avoir deux lectures, une en surfaces et en succession ou juxtaposition de micro-ambiances, et l’autre en lignes de circulation qui dessinent les limites. Également, les participants semblaient avoir une vision plus fine de leur espace du quotidien que des usages qu’ils en faisaient, et de leur impact à chacun sur cet ensemble. Que ce soit au travers les lieux qui font adresse, l’exercice sur les usages possibles ou désirés, et les questions autour de l’espace public, la notion la plus sollicitée était toujours celle de la sociabilité. La majorité s’accordait à dire que Guillestre possède un terreau fertile d’associations et de jeunes dynamiques, auxquels la mairie donne l’opportunité de se développer. Néanmoins, aucun des participants n’a réellement revendiqué ou reconnu y participer. Une mise à distance s’est même opérée à certains moments. Par exemple, avant que la notion « d’espace public » ne soit amenée, beaucoup de participants ont parlé de la place Albert, dite aussi « place du Central » en raison du bar éponyme qui la borde. Chacun évoqué en souriant la place de ce lieu dans son quotidien ou dans son passé. Lorsqu’il a été demandé de citer des espaces publics de Guillestre, les joueurs qui ont nommé ce lieu l’ont justifié pour sa fontaine et l’activité diurne générée qu’ils avaient pu observer, plutôt que de parler de l’espace festif qu’il représente dans leur propre semaine. Également, certains parlaient de l’informel et de vide à remplir, en reconnaissant ne pas oser mettre de chaise devant chez soi. D’autres encore ont

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de la rue, a été citée, certains vivant sciemment les fenêtres ouvertes pour l’entendre (AG, GP). La sociabilité liée à la pratique d’activités montagnardes a également été soulevée, avec des interactions finalement facilitées pour certains, sur l’itinéraire emprunté par exemple (MeF, MF, GP). Une forme d’identité commune tacite s’opère avec celui que l’on croise sur la route. Elle peut se matérialiser pendant un court échange, où lors de randonnées en itinérance par exemple, par un bout de chemin voire quelques jours passés ensemble. Il est possible également de se retrouver dans l’autre, et une forme de solidarité surgit. Cela peut aussi bien être un encouragement, que la prise d’un randonneur en stop si le temps vient à se couvrir. Un des participants soulignait aussi que les échanges puissent être plus forts, «car il n’y a pas d’artifice, on ne peut pas se cacher derrière une musique comme dans un bar (MF)». Enfin, en plus de la sécurité qu’offre l’espace public de par sa fréquentation, les participants ont beaucoup insisté sur l’accessibilité et la proximité au contraire des sorties en montagne: «Les ballades sur le plateau c’est quand tu n’as pas le temps, et que t’as pas envie de prendre ta voiture (PM accompagnateur». D’autres ajoutaient «puis t’as pas besoin de te préparer, de prendre un sac. C’est moins d’effort (MeF)». L’avantage des espaces verts, encore plus proches, a été évoqué pour d’autres types d’usages plus axés sur les interactions comme l’organisation de jeux publics, ou encore pour la pause permise entre collègues entre midi et deux, ou simplement pour y «regarder les gens en mangeant mon sandwich (ML,YB,AM)». Contrairement à une place, le square qui propose quelques recoins permet un retrait et une position plus anonyme...


quelle forme d’espace public se dégage des usages ? 6/ Bilan des résultats d’atelier. 88

88

89

Fontaine place Salva

90

91

Entrée ressentie au centre historique

92

31

Entrée ressentie par les infrastructures routières

94

La touristique place Salva

Entrée ressentie avec les équipements

93 Place Albert

95

Guillestre agricole et Guillestre urbain Carrefour et son parvis Figures 88 à 95: Lieux et phénomènes cités durant les ateliers (non exhaustif)


Le premier concerne la localisation des usages. Guillestre semble aujourd’hui totalement scindé en deux, avec d’un coté son plateau agricole et de l’autre son centre-ville ( figure 94). Si l’on continue la carricature, cet ensemble est séparé par le no mans land du pavillonnaire et bordé par un Sud confus et peu nommé. Centre-ville et plateau du Simoust portent la plus grande quantité et diversité d’usages. Mais le centre-ville est le terrain de plus de lacunes localisées par les participants, quand le Simoust semble permettre plus de possibilités. Néanmoins, il est un point important qui émerge, c’est la demande, formulée ou implicite, d’hybridation entre le social et le naturel, soit entre les usages du centre-ville et du plateau. Il se traduit par une demande d’espaces verts sur le sol urbain, et de lieu où se retrouver sur le sol naturel. Ce besoin d’imbrication est-il aussi témoin de cette rupture ville/montagne observée, avec une représentation du naturel et du montagnard seulement en dehors de Guillestre ou reléguée aux abords de son bâti ? Le second point aborde le changement de perception des lieux où se tiennent les usages. Comme le soulevaient des participants, les besoins qui trouvaient autrefois leurs lieux de déploiement dans les équipements partagés tels que le four à pain ou le lavoir, sont aujourd’hui individualisés chez soi. Les nécessités externalisées sont désormais avant tout liées à la subsistance. Autrement dit, il s’agit d’aller acheter son pain ou faire ses courses au Carrefour ( figure 95). Le supermarché est-il le nouveau lavoir où l’on croise du monde, se pressant ou non dans sa tâche ? De même, les lignes structurantes de la ville, ses nœuds et ses limites, s’incarnent aujourd’hui dans un rond-point et une départementale. Ils sont les équipements nécessaires à la vie des habitants, ceux qui leur permettent d’envisager une installation pérenne en montagne, reliant lieux d’approvisionnements et de travail, comme lieux d’éducation et lieux de santé parfois plus loin. Autrement dit, ces infrastructures là sont devenues presque aussi vitales que les cours d’eau, par ce rôle majeur dans la possibilité d’installation, la viabilité sur place, et par sa fonction de repère et de structure du paysage. Les nouveaux espaces communs sont-ils donc ceux qu’on appelle non-lieux et les nouveaux biens communs sont-ils aussi les réseaux de circulation routière ? Finalement, y a-t-il certains habitants qui considèrent leur moment d’achat comme « leur sortie » aux potentiels instants de rencontre, et une vallée qui n’est pas reliée aux réseaux est-elle une vallée morte ? Parler d’espaces de non-lieux comme de possibles espaces communs, d’une ligne du réseau viaire comme une ligne structurante du paysage quotidien, et d’un équipement routier comme un équipement vital est peut-être un raccourci rapide. Néanmoins, extrapoler ce qui est, c’est parler de ce qui existe et c’est tendre vers un modèle. La réalité toute mesurée montre en effet que l’on ne passe pas des heures au Carrefour de Guillestre, mais qu’il est considéré comme le « petit supermarché du coin » où « les caissières sont vachement sympas ». L’échelle de la ville et de ces non-lieux et l’accessibilité piétonne créent un rapport de proximité qui fait de ces espaces des potentiels terrains de rencontres plus que des lieux d’anonymat.

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parlé des lavoirs et des fours communaux d’antan qui créaient le tissu social et les échanges, en avouant ne pas vouloir discuter « aux vieux » qui veulent échanger dans la queue de la boulangerie. Il est donc nécessaire de reconnaitre que certaines limites de l’espace public dépassent le cadre formel et le champ des possibilités offert, relatant avant tout de questions sociétales et personnelles. Cela dit, il est apparu des points sur lesquels il peut être possible d’agir.


Figure 96. Propositions des représentations de guillestre du questionnaire en ligne.

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Les ateliers estivaux ont été complétés par un questionnaire diffusé en Décembre sur différents groupes facebook Guillestrins et relayé dans la Gazette imprimée et envoyée aux habitants. Il y eu 63 réponses d’habitants Guillestrins composées des profils suivants (voir détail en annexe). Ages : 38% de 40-65ans, 30% de 31-40ans, 22% de 24-30ans et 5% de 65-100 ans et de 19-23 ans. Sexe : 63% de femmes Département d’origine : 28% de Hauts-Alpins Commune d’origine (Hautes-Alpes inclus) : 12% + 200.000 hab– 49% 30.000 à 2.000 hab – 31% - 2.000 hab Domaine professionnel : 22% lié au tourisme – 12% social – 11% aménagement du territoire – 8% culture Association : 81% d’adhérent à une association (majorité sport 32%, artistique/culturel 24%, environnement 16%) Résidence : 87% à l’année - 62% du total vivent en appartement – 41% du total ont un jardin privé Comparaison avec le questionnaire des habitants de la Haute-Durance où il y eu 265 réponses : Ages : 41% de 40-65ans, 24% de 31-40ans, 19% de 24-30ans et 10% de 65-100 ans et 4% de 19-23 ans. Sexe : 62% de femmes Département d’origine : 21% de Hauts-Alpins Commune d’origine (Hautes-Alpes non inclus) : 32% + 200.000 hab– 32% 30.000 à 2.000 hab – 6% - 2.000 hab Domaine professionnel : 22% lié au tourisme – 12% social – 11% aménagement du territoire – 8% culture Association : 84% d’adhérent à une association (majorité sport 57%, lié à commune 24%, environnement 24%) Résidence : 91% à l’année La comparaison entre les profils de la Haute-Durance et les profils Guillestrins laissent supposer que l’échantillon de participants de Guillestre est relativement représentatif des habitants de la vallée. Le but du questionnaire post-ateliers était d’étendre les résultats obtenus auprès d’un plus grand nombre, afin de les affirmer ou de les requestionner. Également, certaines questions tentaient d’aller plus loin quant au rapport personnel à l’espace public, les limites imaginées du public et du privé, les appropriations ponctuelles ou permanentes. Ces résultats ont été classés à plusieurs reprises pour faire émerger deux grandes catégories : les espaces et les usages liés au naturel et ceux liés au sociable. Le dernier outil qui complète ces données est le parcours sur le terrain. Il a été effectué ponctuellement de Décembre 2019 à Décembre 2020, soit sur les quatre saisons, mais fut très limité avec la crise sanitaire. ESPACES LIES AU NATUREL Commençons par le rapport au naturel. Celui-ci est perçu comme très personnel, d’abord tourné vers l’individu unique jusqu’à parler d’introspectif, puis il se tourne vers son cercle de connaissances. A la question « le Guillestre pour être seul » les espaces naturels ont été cités 50 fois par les 60 interrogés, soit le plateau du Simoust (25), le Guil (18) et les canaux (7) ( figures 97 et 98). Également, 29 personnes sur les 50 nouveaux installés disent avoir changé leur rapport aux éléments naturels depuis leur arrivée à Guillestre. Le mode de vie semble toujours s’articuler autour de ces éléments, non plus par contrainte comme l’obligeaient les équipements moindres d’hier, mais par respect. Bien sûr, il faut garder en tête que ces résultats sont à nuancer puisqu’ils s’appuient sur la volonté de 76 personnes à répondre à un questionnaire ou des ateliers, sur les 2344 habitants (données insee 2017). L’environnement naturel est omniprésent dans l’imaginaire. A la question « qu’est-ce qui fait l’identité de Guillestre », la majorité (23 avis) répondent les espaces naturels. Également, à la demande illustrée « si vous deviez représenter Guillestre vous commenceriez par… » ( figure 96) la structure naturelle l’emporte (38) sur le centre-ville (29) mais uniquement en additionnant le tracé des cours d’eau du Guil et des torrents (10) aux reliefs et forêts (9) et au dessin hybride plateau agricole / tissu pavillonnaire (9). Il est toutefois intéressant de noter que seulement 4 personnes ont parlé du réseau routier dans cette question alors que la réalité des ateliers fut au contraire, d’avoir une structure routière présente voire prépondérante sur l’ensemble des dessins. Le questionnaire avec ces dessins déjà exécutés ouvre la porte aux choix idéalisés plutôt que réels. Également, nous pouvons rappeler ici les résultats de l’atelier quant au jeu du «

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7/ Bilan des résultats du questionnaire post-atelier.


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portrait chinois », qui ne pouvaient être traduit par l’outil questionnaire. Ces résultats montraient que tous les éléments naturels étaient relégués aux abords du bâti, voire, lorsque le sujet « montagne » était évoqué, l’image associée ne figurait même plus sur le cadrage de Guillestre. Peut-être que cette inscription de l’élément « nature » dans une échelle qui dépasse la commune participe aux réponses de la question « Vous vous sentez habitant… » des Hautes-Alpes (28) contre (16 de Guillestre). C’est aussi le témoin de logiques du quotidien valléen plutôt que liés à une seule commune. Si les espaces naturels sont surtout dans les abords de Guillestre, leur valeur est tout de même reconnue et les sites proposés sont exploités. A la question « Pensez-vous que l’espace public de Guillestre propose plus d’usages car… » 17 personnes parlent des espaces naturels et 9 des espaces agricoles. Également, en cherchant à comprendre la compatibilité avec les habitants, la question « Pensez-vous que le mode de vie des Guillestrins contribue à une appropriation des espaces publics? » montre que la moitié des participants évoque le lien à la nature, soit l’habitude d’être en extérieur (15) et un respect tacite et partagé de l’environnement (15). Comme les ateliers, la majorité des usages est localisée en espace naturels (821) contre les espaces urbanisés (293), avec en tête le plateau du Simoust (247). A l’inverses des ateliers cette fois-ci, c’est le Simoust et non plus le centre-ville qui présente une plus grande diversité des types d’usages. Également, il est intéressant de noter une gradation des types et des moments d’usages dans les espaces dits naturels. A l’été ils sont plus éloignés de la commune (bords du Guil et pentes du Simoust), soit en lien avec l’eau (14), les pratiques sportives liées, et celle de l’escalade (16). A l’hiver, les usages se rapprochent, avec 22 participants revendiquant le Simoust comme « le Guillestre d’hiver ». Cette gradation est aussi corollaire à ce qui est de l’ordre de la randonnée et de la montagne moins anthropisée, face à ce qui est de l’ordre de la promenade. Pour finir et suivant la tendance des ateliers, le besoin d’hybridation du naturel dans le Guillestre bâti est présent avec une demande de ralentissement des circulations (8) et de végétalisation du centre-ville (15). Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le contexte montagnard présent n’exclut pas le besoin « d’espaces verts ». Ce constat a déjà été établi dans d’autres territoires. Anthony Tchekemian, maitre de conférence en géographie et aménagement du territoire, a étudié le rapport des grenoblois à leurs parcs urbains. Bien que la montagne soit favorisée dans les représentations et les discours, l’espace urbain végétalisé apparait comme chargé de significations et porteurs d’intérêts quotidiens bienfaisants (Tchekemian, 2007). Pour lui, cette relation renvoie à la condition d’exister concrète des habitants, « lesquels ne sont pas indifférents aux dispositifs spatiaux et aux propriétés d’ambiance qui caractérisent ces lieux ». ESPACES LIES A LA SOCIABILITE URBAINE La seconde catégorie est celle de la sociabilité. Cette dimension semble très forte sur la commune entrainée par une nature qui fédère, la pratique sportive, et la petite échelle du territoire. A la question « qu’est-ce qui rassemble les Guillestrins », la réponse qui l’emporte est celle des liens sociaux (28). Les participants pensent que c’est grâce à la population dynamique que les espaces publics sont animés (12) et il y a un grand vivier associatif avec notamment 40 des 61 participants qui en font partie, dont 20 appartiennent à 2 structures. Une autre question permettait de sonder la sociabilité de la commune : « En imaginant un monde sans Covid, vous fréquentez / échangez avec environ quels cercles de personnes à Guillestre par semaine? ». Si 28 participants restreignaient leur cercle à leur famille, amis et collègues, 18 l’élargissaient aux commerçants et 15 à l’ensemble des habitants croisés, soit plus de la moitié. Cette sociabilité est sans doute l’un des points majeurs qui mène à revendiquer que Guillestre est un village (31) plutôt qu’une petite commune (20). Néanmoins, il convient de rappeler cette distance déjà évoquée entre l’image et les pratiques, cette nonconscience du rôle que l’individu lui-même joue dans ce paysage social qu’il dépeint, le fait de ne pas « oser », mais également, les limites plutôt hermétiques que l’on peut observer entre le public et le privé à Guillestre. La question « Quelle est la limite, pour vous, de votre «chez vous»? (Pour vous aider: à partir d’où considérez-vous que quelqu’un est chez vous ou à partir d’où vous ne déneigez plus...) » a montré un seuil net marqué à majorité par l’emplacement du véhicule (12), le portillon du jardin (12) et la porte d’entrée (9). Le jardin (5) et le débord de toit (5) ( figures 99 à 103) peuvent supposer davantage de porosité. Pour aller plus loin dans ce registre, les questions d’appropriation ont été évoquées. Les premières concernent les abords de sa propre maison. Si 34 individus répondaient ne pas s’approprier leur espace extérieur, 22 revendiquaient le faire ( figures 104 à 106). La majorité de ces actes étaient décoratifs (plantes, luminaires), d’autres étaient


L’ensemble des espaces, qu’ils soient naturels ou dans le Guillestre bâti, semblent être l’objet d’appropriation, qu’il s’agisse d’actes ponctuels ou plus pérennes, de détournement, d’ajouts d’objets, d’anthropisation d’éléments naturels (cabanes, land art). La neige contribue à ce jeu de la ville ( figures 110 à 112), pour les enfants (grimper sur les tas de neige de la DDE) comme pour les plus grands (circuler dans la rue en raquettes ou en ski). Elle réveille également la rue, lorsqu’au petit matin les deux mille habitants s’agitent à déneiger leur pas de porte, leurs escaliers et les allées de leurs voitures. Également, bien que les petites actions soient présentes et visibles pour l’œil qui sait les regarder, les polarités sociales de la commune semblent beaucoup réduites à un espace qui est la place Albert, et son bar accolé ( figure 113). Cette place est citée comme « le lieu représentatif de Guillestre » (24) à majorité devant le Simoust (20), « le Guillestre des habitants » est la place Albert (16) ou les bars (10), contre « le Guillestre du touriste » qui est la place Salva (24). La place Albert ou les bars figurent sur les podiums du « Guillestre d’hiver » et le lieu le plus fréquenté de jour. Quant au lieu le plus fréquenté de nuit il regroupe la place Albert (27) et les bars (19), le lieu des copains également avec les bars (18) et la place Albert (12), et le lieu de rencontre de nouvelles têtes est incarné par les bars (19) et la place Albert (18). A la question du lieu d’origine des rencontres, les associations étaient, cela dit, en tête (13) contre les bars (9) et les évènements (8). L’espace social est donc polarisé sur une place précise du village. Cela explique que la diversité des usages soit plus forte dans les espaces naturels que le centre-ville pour les participants du questionnaire, et que les lieux qui présentent le plus de lacunes et de demandes de diversités des pratiques soient dans le centre, pour les joueurs des ateliers. La demande d’hybridation réapparait entre ces lignes. Pour finir, il est une autre forme de séparation qui existe aujourd’hui et qui a peu été abordée lors des ateliers et du questionnaire, c’est celle entre les touristes et les habitants. Des lieux sont en effets dédiés aux visiteurs pour ceux qui vivent Guillestre à l’année. Le plus représentatif est la place Salva, comme déjà évoqué. Cette place est bordée par l’office du tourisme et abrite les « évènements » organisés par la ville durant l’été. L’accès à cette place depuis la zone de campings est cela dit dangereux, et il n’est pas rare de voir des groupes longer la départementale à pieds pour aller ou revenir de ces soirées. Outre les lieux festifs, l’architecture qui fait patrimoine est aussi admise comme touristique. L’un des participants de l’atelier dira « quand je parle de la place du central (la place Albert) à un touriste je dis la place de l’église ». Vlès relève ce phénomène en disant «Deux discours se croisent alors : celui du touriste qui recherche l’histoire de la cathédrale et celui de l’habitant qui consomme cette place sans chercher à en connaître l’histoire » (Berdoulay, Clarimont, Vlès, 2005). Enfin, la question touristique a été évoquée lors des trajets d’évitements. Pour les trajets piétons, l’une des participantes avoua « quand il y a le marché je passe par les rues du centre, les touristes pensent qu’ils n’ont pas le droit d’y aller ». Enfin, la circulation en voiture est la plus problématique en été, associée directement aux touristes estivaux, dont l’afflux crée la congestion des voies et des parkings. L’étude de l’espace public par l’usage, au travers les ateliers, le questionnaire et les parcours in situ a permis de faire émerger une vision contemporaine que défend Denis Delbaere, c’est l’atomisation des usages. Guillestre, par les variétés de tailles et de surfaces qu’elle propose, incite à une dispersion des usages, et donc de la vie sociale. Accroissement spatial de l’espace public et atomisation de la vie sociale vont de pair selon le paysagiste. Si l’espace public nous permet de voisiner, c’est d’abord parce qu’il instaure entre les groupes des formes de distinction qui rendent la co-présence viable. La densité impacte aussi l’intensité d’une vie sociale. Il s’agit alors d’espace publics qui préfèrent une diffusion des usages à une proximité sociale. Selon Delbaere toujours, ce modèle de vie sociale diffuse semble plus compatible avec le besoin contemporain de vivre entre soit, à bonne distance d’autrui, ou à l’inverse, dans une forme de promiscuité provisoire qui n’est que

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liés à l’encombrement (vélos, outils), ou faisait figure d’extension pour les activités (tables, chaises). Le deuxième type d’appropriations concernait l’espace public qui n’est pas accolé à son domicile ( figures 107 à 109). 31 personnes ont rapporté ces actes dont la nature était liée au sport (cours de yoga sur un parvis, luge, ski au Pain de sucre, snow sur la place Albert), aux moments de repas et d’apéritif (barbecue au jardin collectif, pique-nique près du Rif-Bel ou sur la place Albert), aux jeux (pétanque sur le parking du cimetière, molki à la plantation), ou à l’expression et l’acte décoratif (land art sur le Simoust).


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Guil et canaux agricoles

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Limites privé / public franches: portes et portillon

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Limites privé / public au sol: véhicule et jardin

(22) Un frontage est le terrain compris entre la base d’une façade et la chaussée. Il peut être composé de deux frontages. Ce concept est développé par l’architecte Nicolas Soulier dans son ouvrage «Reconquérir les rues, exemples à travers le monde» (2012).

103 Limites privé / public poreuse: débord de toit Figures 97 à 104: Les seuils et frontages (22)

104 Investir son seuil: décorations


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Investir son seuil: extension par le stockage ou la tombée d’allège pour des investissements d’espace plus longs

107 Appropriation de l’espace public par le sport

109 Appropriation de l’espace public par le Land Art

111 La neige comme terrain de sport Figures 105 à 112: Les appropriations de l’espace public

108 Appropriation de l’espace public par la restauration

110 La neige comme terrain de jeux

112 L’activité générée par le déneigement

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Figure 113 : concert du mardi au bar le central, place Albert.

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Figure 114 : restaurant le dedans-dehors, Ruelle Sani.

quelle forme d’espace public se dégage des usages ? 7/ Bilan des résultats du questionnaire post-atelier. 97

l’autre face d’une solitude collective. Ces propos sont toutefois à mesurer dans le contexte montagnard. En effet, même si la densité sociale n’est pas affichée, il n’en demeure pas moins que la sociabilité existe, voire même, prend plus d’épaisseur. Le territoire montagnard amène une forme tacite de promiscuité avec l’autre. Il devient notre alter ego : s’il est ici, c’est que de même contraintes (exemple du randonneur croisé sur un sentier) et de mêmes intérêts (cadre de vie mais aussi environnementaux) nous réunissent. Les points de sociabilité forts comme les bars en milieu urbain, sont renforcés par ceux liés à la pratique sportive, comme les sites d’escalade ou les randonnées où la conversation n’est cachée par aucun fard comme la musique. La multiplication des salles de bloc en ville, souvent associées à des bars ou des espaces de restauration, est-elle un témoin de ce phénomène ? L’espace public Guillestrin semble donc enrichit de la diversité des formes d’espaces offerts par le naturel et l’agricole. Les usages sont même renforcés par les éléments géographiques et climatiques propres au territoire, comme les points de vue générés par les reliefs, ou les multiples formes de pratiques informelles produites par la neige. Denis Delbaere parle alors de conception paysagère de la ville (Delbaere, 2010). Quel rapport Guillestre entretien aujourd’hui avec son paysage ? Qu’est-ce que la pensée paysagère et, si elle est présente, comment se manifeste-elle dans le territoire de Guillestre ?


Figure 115. contexte montagnard, Guillestre avec le hameau de Gros en second plan.

relation au grand paysage. 1/Guillestre permet-elle de ressentir les paysages naturels? 98


1/ Guillestre permet-elle de ressentir les paysages naturels ?

Si les ateliers ont laissé entendre un besoin d’hybridation entre naturalité et sociabilité, et si certaines des expressions semblaient placer l’élément naturel aux abords du Guillestre bâti, c’est que l’image que nous avons du naturel est souvent directement liée à son espace, autrement dit au paysage. De ce fait, un square ou un chemin végétalisé dans le maillage urbain ne seront pas qualifiés de « naturels » par tous, quand bien même leur forme ne serait pas anthropisée. Parallèlement, une diversité de sites végétalisés a été rapportée par les habitants. Certains étaient décrits avec une grande précision, relatant des micro-ambiances offertes sur un seul lieu. La multiplicité était même plus importante qu’en zone bâtie où étaient citées principalement les places. Par ses reliefs, ses ouvertures ou ses resserrements, sa végétation, son exposition, les vues proposées, le rapport à un cours d’eau, sa proximité ou non au tissu urbain, son accessibilité, son anthropisation ou non, l’espace naturel Guillestrin prend de nombreuses formes. Il peut être jardin privé ou partagé, potager, square, ancien verger entre deux routes, prairie permanente, culture d’orge de printemps, ripisylve, pente minérale, mélézin, clairière ou alpage. Il peut aussi être lisière de bord de route, haie coupe-vent, voie végétalisée, chemin de canal, monotrace en forêt ou à travers champs, sente animale, chemin de grande randonnée ou bord de rivière ( figures 116 à 131). Il est intéressant de noter que deux rythmes de circulations existent. Un plus rapide qui favorise la grande direction, à l’échelle de la voiture notamment, matérialisé par des routes plus larges et aménagées (nationale A94 et départementales), et par des voies plus modestes dont les pistes forestières, pas toujours accessibles au public. Mais entre ces lignes apparait un second rythme, celui de l’entrecroisement, avec un maillage important constitué de sentiers urbains ou non urbains qui offrent une autre lecture du territoire et une autre logique de déplacement. Ce changement de logique peut-être à la taille de la région comme par exemple, la vallée du Queyras qui, lorsque jambes et mules étaient les moyens de déplacements, était principalement un couloir pour l’Italie tourné vers Briançon. Aujourd’hui, la voiture reine a renversé les circulations. La route construite pour les véhicules trouve sa fin après Ristolas, et la vallée fait aujourd’hui figure d’impasse. De plus, elle est devenue totalement dépendante à la voiture, suivant l’ouverture des cols que permet ou non la neige. L’effondrement de murets de protection au Pas de l’Ours en 2018 a coupé les villages du fond de Queyras durant plusieurs mois. Cet évènement est le marquage d’un témoin fort de l’omniprésence de la nature et du paysage sur le territoire, c’est celui de la saisonnalité ( figures 140 à 141). Il est indéniable que les espaces publics montagnards sont particulièrement soumis à la variété des climats. L’élément le plus évident est la neige. Au-delà des usages qu’elle apporte ou limite, la neige est aussi génératrice de dessin de l’espace public. Des dispositifs sont mis en place, qu’ils soient réglementés dans les PLU (débords de toits, zone non constructible à respecter autour des cours d’eau notamment pour les crues dues aux fontes), qu’ils soient la matérialisation d’usages communs (escaliers d’hiver, passages aménagés proches des façades), ou qu’ils soient des initiatives individuelles (plaque de métal aux pieds des portes en bois, grille cramponnée au sol) ( figures 148 à 155). Outre la neige, l’ensemble des quatre saisons est particulièrement visible au travers les vues qui s’ouvrent à l’hiver et se ferment à l’été, les couleurs multiples du printemps, ou les rouges criards de l’automne qu’offre le mélèze, rare conifère à perdre ses aiguilles. La montagne change ses teintes, au fil d’une journée, et au long de l’année. La topographie de Guillestre et la proximité des montagnes qui surplombent la commune de 1500 mètres permettent une perspective paysagère à l’ensemble des rues. La géographie est omniprésente par le relief, que ce soit dans le panorama ou dans la pente parcourue, productrice comme la neige de dispositifs d’espace public et d’usages ( figures 156 à 162). Il peut être avancé que vivre dans les massifs signifie vivre avec la géographie. Elle relève d’une forme de « résilience », de capacité d’adaptation aux variations du milieu naturel alors que « l’économie des grandes villes a peu à peu soustrait l’urbain de la nature au point que même la pluie semble incongrue et fait déraper l’ordinaire. » (Diaz, 2018). La matérialisation des dispositifs mis en place pour vivre avec le milieu peut être défendue comme la base d’une architecture régionaliste. L’écrivain Léandre Vaillat (1878-1952) prônait l’idée que les maisons paysannes suivaient les « lois constantes de climat, de température, de sol ». C’était donc en somme le reflet de la géographie d’un lieu donné (Vigato, 2008). Selon Jean-Claude Vigato, cette idée concourt à la transformation « du territoire en paysage, en menant à une artialisation du pays (23) au paysage et de la maison paysanne à une valeur esthétique ».

relation au grand paysage. 1/Guillestre permet-elle de ressentir les paysages naturels? 99

4/ Relation au grand paysage

(23) Par pays nous entendons ici la région, une partie précise d’une province. Soit un territoire défini et son patrimoine culturel.


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116

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Les imposantes parois montagneuses

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Omniprésence des cimes

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Communication rurale

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Figures 116 à 123. Géographie dans la ville, Construire avec l’eau


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Les sentes amènent de la porosité

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Imbrication du tissu agricole et urbain

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Cohabitation des pratiques

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Figures 124 à 131. TOILE DE FOND AGRICOLE, Outils agricoles ancestraux

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Figures 132 à 139. TOUR DES ASSISES, Un paysage qui demande le regard


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Figures 140 à 147. Saisonnalité

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140


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148

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Protéger les portes : construire en hauteur ou couvrir le bois

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Matérialités : mettre en exergue les reliefs et limiter les glissades

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Gestion : évacuer la neige

154 Figures 148 à 155. DISPOSITIFS NEIGE, Abriter de la neige

155


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Valoriser les petits reliefs

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30 158

Investir les différences de niveaux

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Verticalité des fonctions dans les habitations : les niveaux d’entrée

161 Figures 156 à 162. DISPOSITIFS RELIEFS, Créer des vues

162

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156


relation au grand paysage. 2/ Penser l’espace public comme le paysage: les strates du temps. 106

Si le paysage naturel s’exprime à Guillestre au travers ses espaces et sa géographie, il est également présent dans le mode de vie des habitants et dans leurs représentations. La perception de la « nature » de la commune se lit à différents niveaux. Elle est nourricière, par les espaces agricoles du plateau, et par la multitude de potagers visibles sur le sol Guillestrin. Le rapport à une production de la terre plus saine et de proximité est en effet l’un des intérêts défendus par les habitants, comme évoqué dans le second chapitre. L’agricole est perçu comme un bien commun à défendre. La nature est également individualiste. Cette dimension se traduit par les moments introspectifs qu’elle permet aux habitants. Il peut s’agir de marche oisive ou de fins plus spirituelles comme l’état méditatif, que Denis Delbaere retrouve notamment dans la « condition du passant » (Delbaere, 2010). Cet individualisme peut devenir performance, lorsque la montagne, et de ce fait la nature, est perçue comme un terrain à dompter et conquérir, particulièrement au travers les pratiques alpinistes. La philosophie de la nature des habitants est aussi de l’ordre du sensible, avec une conscience plus ou moins partagée de la nécessité de protéger ce milieu. Si la majorité des participants au questionnaire disait avoir changé leur rapport au naturel, il convient de rappeler que celle-ci est parfois plus présente chez les nouveaux arrivants, ou les « bobos-écolos », comme vu en chapitre 2. Enfin, la nature est avant tout le cadre de vie familier. C’est le milieu qu’on ne voudrait pas voir dénaturé par de nouveaux venus, comme s’il nous appartenait. C’est aussi le terrain des appropriations spontanées et habituelles. D’une certaine manière, l’espace naturel extérieur est une extension du « chez soi ». Ce rapport de proximité et d’affection laisse entendre un usage fréquent des espaces, par des actions spécifiques permises selon les micro-lieux offerts par le cadre naturel. Ce dernier point, qui renvoie à l’atomisation des usages entrevue précédemment, peut être apparenté au concept de sociabilité diffuse que l’on retrouve dans les parcs. A l’inverse de la place qui est l’espace de sociabilité de contact, de diversité sociale, d’échanges commerciaux et de circulation de l’opinion (on manifeste davantage sur une place que dans un parc), le parc est l’espace de sociabilité disséminée. On s’y rend volontairement plus qu’on ne le traverse. Denis Delbaere défend que dans ce cadre paysager, l’espace public redevient un espace de liberté, mais au prix d’un net affaiblissement de la vie sociale conçue en tant que cadre d’échange. Il ajoute qu’« ici et désormais, le social git et vit à côté, et non plus à l’intérieur de l’espace public » (Delbaere, 2010). Cette pensée est toutefois à modérer selon les territoires où ces phénomènes s’exercent, leur taille, et leur sociabilité existante. En effet, bien que l’environnement paysager mène à un éclatement des pratiques sur une surface plus large que le simple Guillestre bâti, il n’en est pas moins que les moments partagés par ces petits groupes sont rendus plus forts et plus intenses. Reprenons pour réflexion celle d’un des participants des ateliers qui revendiquait qu’en montagne il n’y avait pas de fard derrière lequel « se cacher » comme la musique d’un bar. Également, ce milieu particulier a permis à des groupes de se retrouver pendant le confinement, reproduisant la sociabilité temporairement interdite de l’espace public. Cette distillation de la sociabilité, permise par la taille importante des espaces et les micro espaces produits, offre une intimité qui désinhibe et enclenche des pratiques ( yoga, lire… ). On en comprend alors des remarques issues du questionnaire, comme « le square de la plantation n’est pas assez intimiste ». La naturalité joue elle aussi son rôle. Là où l’espace public urbain propose une cohabitation en séparant strictement les usages, l’environnement naturel n’impose que ses propres contraintes, climatiques ou topographiques par exemple. Un respect partagé des milieux naturels existe chez les habitants de Guillestre, engendrant une forme d’acceptation des hommes entre eux, soit une cohabitation. A l’inverse de l’espace public du milieu urbain, cette cohabitation est d’avantage fondée sur ce qui fédère que sur ce qui sépare. Denis Delbaere hasarde que « la seule chose que nous sommes encore capables de vivre ensemble est justement cette contemplation collective des éléments, cette expérience furtive de la météo et de l’état de l’air. Peut-être est-ce là la clé d’une cohabitation durable » (Delbaere, 2010). C’est en effet ce même phénomène qui est observé chez les habitants des Parcs Naturels Régionaux. Créés en 1966, ils avaient pour vocation initiale de former des coupures vertes pérennisées entre les grandes agglomérations urbaines. Néanmoins ces territoires sont souvent très habités et il a fallu concilier les objectifs environnementaux aux impératifs sociaux et urbains. Une dimension ethnologique fut ajoutée, et l’invention de ce nouveau récit culturel fut renforcée par des cartes, des circuits à thème… Des objets sémantiques ont été manipulés pour créer l’identité locale et collective qui aujourd’hui demeure. Le sentiment communautaire n’est plus celui du lien social fondé sur la rencontre de l’autre, qui plus est dans des territoires majoritairement porteurs d’habitats individuels, mais il tient d’avantage au lien paysager. L’entre-soi n’est plus lié au vécu, mais à l’image. Peut-être, est-ce cette diversité des paysages qui marque les disparités identitaires vécues et revendiquées par les habitants de la Haute-Durance ?


2/ Penser l’espace public comme le paysage : les strates du temps

L’idée que tout projet ait avant tout un existant est pour certains une évidence, pour d’autres un combat, et pour d’autres encore inconcevable. Néanmoins, si les habitants sont désormais inclus dans les processus de conception d’espace publique, c’est bien qu’ils en sont considérés comme les acteurs et non plus comme les simples utilisateurs. Cette pensée s’appuie nécessairement sur ce qui a été observé, donc sur ce qui est. Concevoir les habitants comme acteurs des projets de demain, c’est admettre qu’ils le sont pour les espaces d’aujourd’hui, et d’hier. La forme de l’espace n’est donc pas seulement un projet porté, mais c’est ce qui est là, l’existant produit spontanément par l’action privée des individus et des groupes. C’est un espace chargé de significations, un palimpseste où tout est trace d’humanité sur le territoire. En somme, c’est un fait de culture. De cette construction commune et constante nait le paysage. Il offre une appropriation et une relation subjective et unique avec celui qui l’arpente. La perception est au cœur de ce langage dont le mode de communication est le signe, à l’interprétation à la fois partagée et individuelle. C’est une fabrication humaine au pas à pas, comme la « ville à 5km/heure » de Jan Gehl, un témoignage des strates du temps. Thomas Sievert établit une analogie entre cette idée du paysage comme somme de constructions et d’actions, et son « entre-ville » ( figure 163). D’une certaine manière, cette comparaison permet un nouveau regard sur les formes péri-urbaines, valorisées par la notion « paysage », aux connotations positives. Pour ce faire, il met en relation les savoirs des « grands anciens » en matière d’architecture, et les plus récentes réflexions philosophiques sur « une esthétique du non ordonné, de l’hétérogène, du renvoi, de l’accroche, du décalage, du collage » (Claude, Sieverts, 2004). Ces valorisations des signes et des évènements diversifient la perception et suscitent du sens. On y retrouve l’épaisseur du temps, la singularité et la surprise. Cette transposition de la fabrication du paysage dit « naturel » à la fabrication du paysage de l’entre-ville amène une relecture de ces espaces communément peu qualifiés ou simplement peu regardés. C’est aussi revendiquer la trace culturelle que laisse nécessairement le bâti.

relation au grand paysage. 2/ Penser l’espace public comme le paysage: les strates du temps. 107

Si le paysage est omniprésent dans le territoire et dans la commune de Guillestre, peut-on réellement rattacher la conception des espaces publics à une conception paysagère ?

Cette conception du paysage, et par extension de l’espace public, comme socle et produit d’actions, est partagée par différents penseurs du paysage comme Denis Delbaere ou Sébastien Marot (24). Elle légitime la place des architectes et paysagistes. En effet, l’exactitude technique et l’objectivité des experts ne peuvent laisser de place au débat alors que le projet se fonde sur une vision toujours ouverte de l’espace, pensé comme une expérimentation sans fin (Delbaere, 2010). Architecte et paysagiste semblent plus aptes à composer avec l’imprévu. Les apports de la pensée du paysage au champs de l’aménagement permettent donc de spécifier et de légitimer le travail du concepteur. L’architecte et chercheur Pascal Amphoux a identifié deux caractéristiques, relatés par Denis Delbaere. La première est celle du temps. De fait, les jardiniers comme les paysagistes ne peuvent ignorer impunément qu’ils travaillent un milieu vivant. Plus que programmer un espace, ils doivent anticiper des effets probables, mettre en relation des essences qui croissent à des rythmes différents, synchroniser ou désynchroniser des interventions pour orienter « la morphogenèse d’un site », sans jamais prétendre en maitriser la forme. La deuxième caractéristique est celle de la sociabilité. « A l’heure où la ville tend à découper son sous-sol en un enchevêtrement de réseaux, à fragmenter son territoire en espace publics ou privés, concevoir un jardin, c’est imaginer non pas un rapport social déterminé (fonction de détente, loisirs, sport…) mais une sociabilité potentielle qui dans et par le jardin aura lieu ou n’aura pas lieu » (Delbaere, 2010). Définir la conception paysagère comme partant nécessairement de l’existant trouve son origine dans son histoire. Au 19e siècle, le paysage cesse d’être tableau pour devenir l’espace même qui était représenté, magnifiant l’immensité et les permanences de l’espace. Suivant une pensée déjà amorcée sous Louis XIV qui, en son temps, ouvrit Paris, les murs tombent au profit de fossés pour ne pas enclore le regard, et les continuités qui sont trouvées suivent le paysage extérieur, pour l’essentiel forestier ou agricole. Cette pensée explique que le projet du paysagiste trouve nécessairement son origine sur le site. C’est ainsi qu’après la 2nde Guerre Mondiale, le paysage des grands ensembles, finalement constitué des grandes étendues agricoles voisines et de panoramas ouverts sur les vallées, est prolongé par les paysagistes qui s’efforcent de déplacer les espaces publics en périphérie, au contact de ces paysages, donnant naissance à l’aménagement de bases de loisir ou de grands parcs. Si admettre qu’un paysage est intrinsèquement lié à un existant antérieur signifie, comme évoqué, qu’il est produit

(24) Sébastien Marot plaide pour remettre le site au cœur des démarches architecturale, urbaine et paysagère. Il invente le terme de sub-urbanisme pour nommer cette subversion de l’urbanisme qui consiste à inverser la hiérarchie entre programme et site, à la faveur du dernier. Pour le Projet de Fin d’Etudes, nous abordons son scénario de « Sécession » développé autour de la ville agricole pour l’exposition Agriculture and Architecture: Taking the Country’s Side, dans le cadre de la Triennale d’Architecture de Lisbonne en 2019 (figure 164).


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Figure 163. une vallée qui s’urbanise, Entrelacement des réseaux et juxtaposition de sols de natures éclectiques, Guillestre.


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Figures 164 et 165. sécession (sébastien marot) et plu (une logique de densification).

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3/ Penser l’espace public comme le paysage : un changement d’échelle

Envisager l’espace public comme le paysage signifie également que l’on opère un changement d’échelle. Ce sont en effet les mêmes logiques que l’on retrouve, bien qu’un glissement de cette taille puisse paraître troublant. Rejoignant les réflexions autour de l’entre-villes de Thomas Sievert, Denis Delbaere parle de « retourner la ville comme un gant », en tirant parti du pouvoir de « déconnexion urbaine » propre aux formes éclectiques de la rurbanisation pour installer le paysage, soit ledit espace public, et permettre à hommes et bêtes de se déplacer. Le paysage n’étant pas une étendue neutre et isotrope, ces projets doivent prendre place de façon « homéopathique », sur les nœuds structurels, les points particuliers et les « inter lieux » qui en articulent les composantes (Delbaere, 2010). Ce modèle de pensée semble pertinent pour les territoires de montagne. En effet, les réponses apportées ne peuvent pas être à la seule échelle d’une commune. Les enjeux, d’une part, sont trop gros, comme le déplorait par exemple un élu des Vosges dans l’étude de l’ouvrage « Massifs en Transition » (Diaz, 2018). Dans un territoire où les PLU ne sont que communaux, que le Scot n’existe pas, et que la concurrence persiste pour accueillir de nouveaux habitants, « il faut que la protection des terres soit une décision supra-communale, sinon c’est trop difficile de dire non ». D’autre part, penser à l’échelle de la vallée, et non plus des communes, semble nécessaires et difficilement inenvisageable dans un territoire fragile, où les mêmes intérêts environnementaux, quelques en soient les motivations, sont à défendre. Les jeux de concurrences sont des visions bien petites et à court terme, car quand bien même les intérêts ne seraient qu’économiques, si la vallée ne possédait plus ses qualités attractives qui sont directement liées au milieu naturel qu’elle porte, alors l’ensemble de ces communes en pâtirait. Enfin, comme le souligne Denis Delbaere, il convient de rappeler que l’heure est au retour du pouvoir des villes et à la métropolisation. « Chaque ville ne peut plus se penser sur ses propres limites administratives, et ne peut réaliser son développement qu’en périphérie et dans ses relations territoriales avec ses villes-satellites et même ses rivales les plus proches » (Delbaere, 2010). Les communes de la Durance sont encore suffisamment éloignées pour ne pas se faire aspirer dans l’ère urbaine de métropoles voisines. Néanmoins, de nombreux échanges économiques en faveur de Marseille, à 2h30 en voiture, existent déjà, avec des déplacements pendulaires vers la cité phocéenne, la recherche de praticiens experts, ou l’emploi de main d’œuvre pour les entreprises haut-alpines qui y réalisent des chantiers. Séparées, les communes n’ont aucun poids face à une métropole et ne pourront, le moment venu, faire valoir leurs intérêts. Un changement d’échelle et de perception est donc nécessaire. Rappelons que cette perception est, d’une certaine manière, déjà existant puisque la majorité des habitants de Guillestre se considéraient comme « habitant des Hautes-Alpes » avant d’être Guillestrin. Les politiques de maillage urbain doivent donc envisager une mise en continuité des tissus fondés, non plus seulement sur la succession des masses bâties, mais sur la continuité du sol en tant qu’espace public. Pour parvenir à cela, une véritable révolution dans la manière de penser la ville est nécessaire, non plus comme un centre et une périphérie, mais comme « un agrégat de situations urbaines distinctes » mais reliées de façon fluide et ouverte sur le paysage (Delbaere, 2010). C’est ici que l’architecte a son rôle à jouer. Il doit œuvrer spatialement pour que l’espace public soit perçu comme

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de l’humanité et de ce fait en constante mutation ce qui conforte la place des architectes et paysagistes, cela interroge aussi d’une certaine mort de la forme. En formulant l’hypothèse que si cette forme ne peut plus résulter d’un choix de tracé, de programme, alors elle ne peut résider qu’en amont du processus de projet, soit ce qui est déjà là. Denis Delbaere pousse à l’extrême cette idée de la conception. « Dans le cadre du projet de paysage en effet, la forme aménagée n’est plus argumentée par des données programmatiques, ou en référence au seul univers artistique du concepteur, autant de formes d’argumentation périmées dans le cadre d’une société démocratique où chacun a le droit de se forger sa propre idée de la beauté ou de la convenance des espaces publics. Ici, le projet est argumenté par l’unique volonté de tirer parti de ce qui dans le lieu, fait continuité et fait permanence. Effet d’un donné extérieur et antérieur au projet lui-même, à l’abri des intérêts particuliers des multiples acteurs du projet, la forme paysagère est donc la seule que nos sociétés puissent reconnaitre comme apte à construire l’espace collectif » (Delbaere, 2010). Enfin, l’auteur tempère que l’une des limites à conférer au site une valeur plus grande que le projet serait de vouloir en figer l’existant. Sa réalité admise comme antérieure à toute décision sociale, alors qu’il s’est en fait créé à partir de multiples décisions passées, lui donne une existence propre et « supra humaine qui » conduit à sa sanctuarisation. « Ne pas agir rime parfois déjà avec protection », et demeure plus acceptable et bien perçu.

(21) Propos historiques recueillis lors de l’entretien avec Hervé Gasdon, restaurateur en montagne à l’ONF.


Figures 166 et 167. REVALORISER LES FRANGES ET LES DéLAISSéS AGRICOLES.

relation au grand paysage. 3/ Penser l’espace public comme le paysage: un changement d’échelle. 112


Le paysage, qu’il soit de nature dite « sauvage » (forêts, versants rocheux), agricole, ou encore simplement perçu comme « vide » entre les communes apparait comme une ressource mobilisée et défendue par les habitants. Il est à la fois porteur d’identité à laquelle les guillestrins se rattachent, mais également générateur de nombreux usages. Peut-on alors penser le paysage comme ressource, puisqu’il apparait comme un élément essentiel et indissociable au quotidien des individus de ce territoire ?

4/ Le paysage comme ressource commune?

En 2018 a été édité un numéro des carnets du paysage intitulé « Paysages en commun ». Jean-Marc Besse introduit d’emblée que les paysages sont des ressources communes parce qu’ils répondent aux besoins humains, sociaux, psychologiques, et politiques (Besse, 2018). La Convention Européenne du paysage appuie cette vision en parlant d’élément « essentiel au bien-être individuel et social, qu’il est nécessaire de protéger ». Parce qu’il est reconnu comme essentiel aux humains, le paysage est ressource. Il ne l’est pas seulement pour les femmes et hommes, mais aussi pour les non-humains. Le paysage apparait alors comme terrain partagé, ou comme milieu commun. Ce n’est pas seulement « le choc et l’événement de l’horizon », mais une expérience commune (Besse, 2018). Cette vision parle d’épaisseur et d’un ensemble, plus que d’un partage et de répartition. Sa conception et son aménagement ne sont alors plus dictés par les temporalités humaines du projet, ni par le périmètre rigide d’un plan, mais plutôt par le « faire avec ». Cela renvoie au modèle de conception paysager des espaces, défendu par Denis Delbaere. Si la ressource paysagère induit une cohabitation, elle induit également une limite d’exploitation. En effet, celle-ci a sa propre fin, et la Convention Européenne du paysage renvoi chacun à ses responsabilités quant à sa préservation. Également, le docteur en géographie Pierre Donadieu dit du paysage qu’il est un espace « dont la mise en conscience d’une responsabilité à partager entre les différents acteurs, engage l’émergence du commun entre les partis prenants du devenir des paysages locaux» (Donadieu, 2018). Autrement dit, il porte les intérêts de chacun, ce qui induit une forme de concurrence, mais également d’équité, puisque tous ces intérêts sont interdépendants, mais leur ressource première est ce milieu commun. Il apparait alors la notion de gestion de cette ressource. Suivant la pensée du prix Nobel en économie Elinor Ostrom, la doctoresse en urbanisme Bénédicte Grosjean défend l’idée que, lorsque la ressource foncière a peu de valeur et peu de moyens valorisés, c’est la gestion commune qui favorise la production optimale de ressources. Elle montre également que si les droits d’accès aux terres communes sont donnés à un grand nombre (répartis entre tous les descendants), ces droits sont néanmoins possédés à plusieurs, pour ne pas trop diviser les

relation au grand paysage. 4/ Le paysage comme ressource commune? 113

un réel espace de lien, et non plus comme vide. Un espace « vide » n’existe pas. Mais si un espace est perçu comme tel, alors il semble donner l’opportunité de n’être qu’un creux à remplir, et c’est ainsi que l’urbanisation non contrôlée progresse. Un changement de valeur doit être opéré. Si l’on prend l’exemple du plateau agricole de Guillestre, il a depuis 1965 était réduit considérablement. Comme déjà évoqué, la commune qui a vu, dans cette période, sa population multipliée par 1.5 et sa surface urbanisée par 8.4, a grignoté ses terres agricoles. Le PLU actuel bloque le développement du Guillestre urbanisé en faveur d’une densification ( figure 165). Or, pour être protégé de manière pérenne et non plus dépendre de la seule volonté d’une politique à un instant donné dans un territoire qui ne possède pas de Scot, l’ensemble des individus doivent être convaincus de l’épaisseur et du rôle de telles parcelles. Ainsi, bien qu’ils restent non habités, les vides de ces parcelles prennent une valeur qui les installent dans le paysage et dans le quotidien de la vallée durablement. Les projets paysagers qui émergent en réponse à ces questions investissent généralement les franges agricoles avec des vergers, des potagers collectifs… pour rendre cette auréole nourricière et productive, soit matériellement et visiblement nécessaire ( figures 166 et 167). D’autres usages discrets et fruits d’initiatives individuelles, comme les pratiques visibles sur le plateau agricole de Guillestre, montrent un déplacement du regard et une réelle appropriation ( figures 168 à 175). Ces espaces deviennent finalement des formes de tiers lieux ouverts, par le politique qu’ils incarnent et parfois par leur temporalité, à cause de leur avenir plus ou moins inévitablement promis aux lotissements ou aux zones d’activités. Denis Delabere soulève la difficulté à laquelle sont confrontés certains programmes de construction, notamment parce que les usagers de ces parcs entendent bien les défendre, « et que ces populations souvent très éduquées savent bien par quel biais attaquer un permis de construire » (Delbaere, 2010).


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Des pratiques acceptées ou initiées

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S’offrir une vue du plateau (pérènne ou ponctuelle)

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Faire avec la matière existante

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Figures 168 à 175.APPROPRITIONS DU PLATEAU DU SIMOUST, Usages informels


Tout d’abord, le territoire montagnard porte une grande diversité de vivants et non-vivants. Cette diversité s’explique notamment par le condensé de temporalités et de géographies dues à l’altitude (neige sur les cimes lorsque c’est l’été en vallée), au rôle de tête de bassin versant (différentes typologies du chemin de l’eau, de la source au lac, de la vallée large à la gorge), aux formations géologiques… Ensuite, ce vivant et non-vivant sont directement exploités par l’humain. C’est la matière première, et la matière à transformer. Enfin, les conditions difficiles engendrées par le climat ont nécessairement poussé les hommes à agir ensemble, pour leurs intérêts communs mais aussi individuels. La professeure en géographie Anne Sgard relate différentes études en ce sens, notamment la monographie du Val Anniviers en Suisse, réalisée en 1906 par Jean Bruhnes et Paul Girardin. Ils démontraient déjà l’usage de régime commun quant à la propriété des alpages, avec un mode d’exploitation par des regroupements de propriétaires. La question de la propriété commune amène à la gestion commune, et les deux auteurs rapportent les délibérations qui ont lieu à l’assemblée du Dimanche « à l’issue de la messe » (Sgard, 2018). Il y a là un ancrage dans le quotidien dantan. Anne Sgard met en avant le fait que ces formes anciennes de gestion sont aujourd’hui remployées. Elle cite l’étude de Giangiacomo Bravo et Béatrice Marelli en 2008 sur la gestion collective des réseaux d’irrigation dans les Alpes italiennes. Les conclusions démontrent la pérennité de cette organisation, la dimension humaine et le sens apporté par ce partage. Si ces gestions étaient autrefois organisées et gérées de père en fils, nous pouvons supposer que l’un des changements est celui des nouveaux modes de gestion, passant notamment du cadre familial à l’associatif. A Guillestre, l’eau des canaux qui irriguent les champs et les jardins privés est gérée par des associations syndicales (ASA), regroupant 950 propriétaires. Pour l’instant, cette gestion est encore peu contrainte puisque la ressource est présente, mais il se pourrait bien que le modèle évolue. Un agriculteur guillestrin explique que «pour l’instant, à part un peu depuis 2 ans, y a pas de tour d’eau, ce qu’on appelle… Chacun ouvre quand il veut car on a la chance d’avoir de l’eau, et il en faut un peu pour tout le monde. Là y a deux ans on a instauré un peu des tours, pour le mois d’Aout Septembre, parce que l’eau n’arrive pas toujours au bout du plateau. Au début y en a toujours mais voilà. Ces deux jours-là, c’est toi, après c’est toi… Mais c’est vrai qu’on a la chance d’avoir de l’eau » ( figure 178). Cela dit, la maire de la commune déplorera que les tracés des canaux ont beaucoup évolué, et que les propriétaires des terrains autrefois irrigués continuent de verser une taxe. Si l’entrée du paysage comme ressource et biens naturels pour parler de bien commun apparait évidente, il s’agit tout de même de souligner que parler de naturel n’est pas nécessairement parler de commun. C’est la pensée développée par la philosophe Catherine Larrère, qui s’appuie notamment sur la mise sous cloche des parcs (Larrère, 2018). En France, une idée d’une nature romantisée du paysage a été défendue, où l’homme y était inclus dedans. On parle de cadre, de composition. Aux Etats-Unis, c’est la nature sauvage qui est défendue. Elle parle d’une autre manière des hommes et des femmes, puisque c’est la nature qu’ont rencontré les « blancs » lorsqu’ils sont arrivés. C’est le patrimoine le plus ancien et le plus essentiel qui existe de l’histoire culturelle américaine. D’une certaine manière, les Parcs américains comme le Yosemite sont la filiation des parcs et des jardins à l’anglaise. Ceux-ci défendaient déjà l’idée de « tout naturel », depuis l’évolution des représentations du « Land » au « Landscape » sous Jacques Ier. Dans un souci d’unification, le souverain a opéré un décalage de représentations diversifiées des multi-localité et des paysages habités à une représentation unifiée du pays et de sa nature. Beaucoup de propriétaires de grands terrains détruisirent alors les villages ou traces anthropisées sur leurs terres pour avoir une nature « sauvage », enclose par un fossé. La préservation de l’environnement naturel qui s’oppose dans sa logique au commun est aussi démontré en France avec l’opposition de l’ONF et des forestiers français, qui dès la seconde moitié du 19es dénoncèrent les dangers de la déforestation, ressource pourtant essentielle notamment aux Haut-Alpins. Également, si les parcs nationaux français ont d’abord été réalisés sur le territoire colonial, c’est qu’il était

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parcelles (Grosjean, 2018). Il y a donc une cohérence à maintenir entre la quantité de la ressource, et la quantité de gestionnaires/propriétaires. Également, Elinor Ostrom montre que plus la ressource est incertaine, « plus elle se détache de celle du droit du sol, pour acquérir une plus grande finesse de répartition et intégrer plus de variables ». Autrement dit, c’est une connaissance très fine de la ressource, de son taux d’approvisionnement, et des taux d’extraction de l’ensemble des producteurs qui engendre et permet l’efficacité (Grosjean, 2018). La gestion des ressources communes est indissociable du milieu montagnard, et plusieurs des articles des carnets du paysage ont pour entrée la montagne. La raison semble évidente.


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Figures 176 et 177. LES PROblématiques de fermeture du paysage, Abords de Guillestre et études de Chalmazel (42) par l’agence Fabriques et l’atelier Montrottier (mandataire).


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Figure 178. PLAN DES CANAUX DE GUILLESTRE, PLU 2020.

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Figures 179 à 182. LES CABANES AGRICOLES DE GUILLESTRE.

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plus facile de mener des politiques autoritaires. Presque vides d’hommes, ils sont l’aboutissement d’une lutte contre les droits d’usage et les communs. Cela dit, la scission en France est moins radicale qu’aux Etats-Unis, puisque les usages agricoles traditionnels n’ont pas été prohibés. Des parcs comme celui de la Vannoise sont habités temporairement l’été (estives, transhumance), d’autres le sont à l’année (Port-Cros, Cévennes). Le fait que certains de ces Parcs puissent être habités montrent toutefois qu’ils sont aussi des lieux communs ouverts à un usage partagé, et non pas seulement garde de l’Etat à conserver, ni seulement bien à la valeur marchandisable. Au contraire, lier les ressources à l’habitat donne plus de poids à ce qui fait commun car, au-delà du cadre de vie utilitaire et esthétique, une véritable relation affective apparait. La définition des communs d’Ostrom retenue par Larrère dit qu’ils sont « des ressources, une communauté et un ensemble de règles » (Larrère, 2018). Il y a donc une différence de la conception du nature comme ressource que l’on consomme, ou comme chose que l’on peut dégrader, perdre, ou dont on peut prendre soin. Observer la nature sous la définition de chose à conserver, et non pas de ressource en éloigne la dimension de commun. L’exemple précédent montre que la perception du paysage diffère selon la nature de l’action projetée, qu’elle soit plus active (ressources et matières mobilisées) ou plus passive (ressource paysagère à conserver en état). La notion de commun varie mais reste toile de fond dans cette conception collective. Cette perception dépend également du type d’acteur et de l’époque depuis laquelle on regarde. Elle est donc polymorphe et dynamique. Par exemple, l’entretien mené auprès d’un agriculteur Guillestrin a montré que, pour lui, le paysage était considéré comme « beau » lorsqu’il était « travaillé » et, d’une certaine manière, protégé. « Oui, si c’est beau c’est aussi parce que c’est travaillé. Mais c’est aussi très fragile, enfin… d’un jour à l’autre, ou d’une génération à l’autre, ça peut vite changer… Par rapport à l’entretien et tout, si les terres sont pas travaillées, forcément ça se referme, ça se boise beaucoup. On le voit là en face à Risoul (…) c’est toute une montagne à vaches. Il y avait plein de près, on voyait les vaches avec les jumelles quand j’étais petit, mais là on voit plus rien. C’est plus que de la forêt. Comme c’est plus travaillé et que la fauche s’est arrêtée après-guerre, petit à petit la forêt a pris le dessus. Après y en a qui disent « oui c’est la nature, c’est comme ça ». Mais après voilà, y a les risques d’incendie, voilà. D’entretenir c’est quand même… » ( figures 176 et 177). Si les perceptions diffèrent d’un acteur à l’autre, la lecture objective du territoire de chacun varie aussi. Ainsi, en parlant de ce même phénomène que l’agriculteur considère aussi comme un problème, il dira : « y a quelques personnes qui voudraient refaucher en montagne parce qu’on a des espèces rares, ce qui est vrai hein. Mais le problème, c’est le cout pour nettoyer, déboiser… avec des subventions tout se trouve. Mais après qui va aller le travailler ? jusqu’où on va aller ? pourquoi on va le faire à tel endroit, des plantes rares y en a quand même partout. Le modèle a changé, y a eu un moment où il fallait produire, il fallait produire. Et aujourd’hui c’est pas qu’on veut pas redevenir petits. Moi si je pouvais vivre avec 3 vaches je le ferai ». La vision du paysage comme milieu commun et partagé, même si elle est animée de convictions similaires, trouve ses nuances suivant les intérêts et la culture de l’acteur concerné. De plus, cette vision n’est pas statique et peut évoluer dans le temps, suivant la relation que les hommes entretiennent avec la ressource. Prenons l’exemple des bisses du Valais en Suisse. Ils sont le témoin d’un siècle de commun par leur fonction agricole, mais ils font aujourd’hui figure de commun pour leur fonction récréative et patrimoniale, corollaire finalement aux changements de perceptions et d’usage de la montagne. Anne Sgard dira de cette évolution qu’elle montre que « la place et le rôle du paysage se renforcent, passant d’une qualité pittoresque mineure à un processus de syncrétisme où le paysage, au même titre que l’eau et la Montagne, devient un bien commun ; il sert la mise en récit d’un mythe fondateur, la mise en scène d’une ressource et l’expérience sensible ». Il est alors un autre phénomène qui apparait entre les lignes, c’est le changement de mode de vie et de logique quant à ce qui fait office de ressource et d’élément vital. Le transfert de l’outil agricole au patrimoine existe aussi dans les cabanes agricoles que l’on trouve sur le plateau Guillestrin ( figures 169 à 182). « Les petites cabanes qu’on voit c’est quand même tout des trucs qui ont plusieurs siècles. Avant, Les gens avaient un morceau de terre dans le quartier. (…) Ils vivaient un peu en autarcie donc ils avaient une petite cabane pour faire leur sieste après, ou pour poser leurs patates, ou pour cuisiner à midi, ou s’il pleuvait ils se mettaient à l’abris… Y a un peu un aspect patrimonial là derrière aussi. Y en a plus beaucoup parce qu’elles sont plus entretenues, mais y a une histoire derrière chaque cabane. ». La dimension patrimoniale du paysage est pour Jean-Marc Besse une caractéristique du commun : « (le paysage) porte les héritages historiques qui peuvent être considérés comme des ressources communes. Défendre le paysage


A regards croisés, le paysage apparait bel et bien comme une ressource commune, et le territoire montagnard semble être un véritable laboratoire de la notion de « commun ». Il en interroge les différentes notions (ressource commune, bien commun patrimonial, Bien commun, milieu commun…), à différentes échelles (de l’hyper local à l’échelle mondiale avec l’actuelle mobilisation pour sa protection), et sous des disciplines transversales (économiques, touristique, paysagères, nourricières). La notion de « bien commun » ou « d’espace commun » apparait incontournable. L’espace public en montagne doit-il être réinterroger au travers le commun ? Le concept même d’espace public est-il finalement obsolète ou simplement exogène au territoire montagnard, et serait-il plus juste de parler de commun ? Également, parler de commun est-ce parler de collectif, d’humain, et d’une certaine manière d’esprit villageois dantan ?

Figure 183. Pré de madame carle DANS LES éCRINS.

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comme un bien commun, c’est revendiquer des usages non exclusifs et non marchands. » (Besse, 2018).


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5/ L’espace «public» des villes de montagne est «commun» ? 1/ L’espace public face à l’espace commun ?

Le spécialiste en économie mathématique Gael Giraud requestionne la vision économiste binaire du droit issue des années 1950, réduisant le monde aux biens privés (qui relèvent de la sphère marchande) et aux biens publics (qui relèvent de l’administration publique) (Giraud, 2019). Les biens privés sont considérés par les économistes comme des biens dont la consommation est exclusive et dont l’accès peut être régulé, par exemple par un prix (une pizza). Les économistes estiment qu’ils sont traditionnellement destinés à devenir des biens marchands. Les biens publics ont une consommation non exclusive et leur accès ne peut pas être régulé. On peut tous en profiter simultanément (exemple : les rayons du soleil). Ils sont traditionnellement destinés à être gérés par une instance publique. Suivant la pensée du prix Nobel en économie Elinor Ostrom, Gael Giraud considère en plus l’existence des « biens communs » et des « biens tribaux » (ou effet club). Ils partagent les caractéristiques des biens privés et publics, sans être ni totalement privés, ni totalement publics. Les biens communs ont une consommation exclusive mais leur accès ne peut pas être régulé (un étang avec des poissons). C’est d’une certaine manière les biens fragiles. Ils induisent un certain nombre de règles que la « sagesse pratique a réussi à honorer pour les biens qu’on a réussi à conserver ». S’intéressant particulièrement à cette forme, Elinor Ostrom a établi huit critères essentiels à cette conservation et cette bonne gestion, au fils de ses cas d’études. Enfin, les biens tribaux ont une consommation non exclusive, mais leur accès est régulé (rentrer dans un club d’échec). Ils sont liés à une tribu, un clan, qui a accès à la ressource de manière privilégiée. Afin de comprendre l’intérêt de dépasser la notion d’espace public pour parler d’espace commun à Guillestre, il s’agit dans un premier temps de saisir ce qu’engage ce concept. La majorité des auteurs étudiés traitant de la notion de bien commun s’appuyaient sur les travaux d’Elinor Ostrom. Il ressort de ces lectures croisées que ce qui prévaut est la gestion, l’usage du bien, donc finalement sont usager. Jean-Marc Besse dit explicitement que ce n’est pas la nature de la ressource qui la rend « bien commun », mais son statut juridique (Besse, 2018). L’auteur Christian Laval le rejoint en affirmant que par nature, aucune chose n’est commune, que ce caractère dépend du mode de gestion choisi ultérieurement pour elle. La bonne gestion semble être le nerf de la guerre, à tel point que pour Ostrom, la ressource dépasse l’homme puisque les communs doivent être construits de manière à ne pas devoir compter sur « la bonne foi des autres appropriateurs, en s’appuyant sur l’interdépendance des rationalités, bien entendu, sur un système de surveillance / sanction / gestion de conflits qui est une part importante de leur condition de conception » (Grosjean, 2018). De cette manière alors, le système peut être efficace, plus même que la propriété individuelle, puisqu’elle nécessite un accès équitable et une gestion mesurée. Ce mode de gestion semble alors approprié en montagne, où la ressource naturelle se voit de plus en plus fragilisée par l’Homme. Revendiquer la dimension de bien commun, c’est précisément reconnaitre la limite voire la rareté de la ressource. C’est affirmer une dépendance et des besoins. On comprend alors la définition que le sociologue André Micoud donne au bien commun : « c’est le patrimoine qu’une société choisit collectivement de transmettre aux générations futures ». Les réflexions d’Elinor Ostrom dessine donc un modèle de résilience. Enfin, Bénédicte Grosjean s’attarde particulièrement sur la valeur même du sol qui porte les ressources. Selon elle, les théories d’Ostrom écartent les jardins partagés du système commun puisque les sols utilisés ne sont pas de faible valeur (car ils sont rares en ville), et que, si le jardin partagé n’est pas divisé en petites parcelles clôturées, cela tien d’avantage des « valeurs de convivialité et de bonne conscience » (Grosjean, 2018). Dans cette même logique, elle exclut les formes de coopératives puisque celles-ci mettent en commun les moyens et la production établissant une forme de répartition alors que les systèmes communs, pour elle, tiennent davantage à organiser l’espace pour que chaque utilisateur seul ait accès au même nombre de ressource. Une forme d’autonomie du sol est revendiquée, bien que dans l’ensemble des cas des figures, c’est une décision humaine qui est à la base du statut de commun ou non du sol. Dans le cadre du mémoire, ce qui nous intéressera de cette notion est d’avantage la perception, les usages et les valeurs produites que l’appellation ferme et fermée du sol. Cette porosité remet en question un droit du sol plus complexe que la simple « délimitation excluant l’accès à autrui » (Grosjean, 2018). Parler de commun est s’interroger sur le rapport entre


Le paysagiste Gille Clément requestionne aussi la notion d’espace public par le commun. Pour Gilles lui, l’espace public est « le commun ordinaire des villes ». Il est le résultat des subdivisions du sols en parcelles privées, le reste. Le commun rural est lui aussi un reste qu’il qualifie « d’ensemble morcelé d’accès à l’offre de nature, sans échange de monnaie, sans taxe d’habitation, sans loyer » (Clément, 2018). Il nomme le processus qui a engendré cet ensemble de restes : l’inversion du paysage. Si l’espace public apparait comme la forme de commun non pensée entre des formes bien pensée, le commun rural est le fruit de la reforestation naturelle, du démembrement, de la logique tournée depuis des années vers la machine, de terrains trop pentus et des délaissés agricoles. Là où le « commun ordinaire des villes » portent les usages des urbains, le commun agricole agit comme sanctuaire et abrite les espèces de faune et de flore chassées ailleurs. C’est le « tiers paysage »(25). Dans leur « Dictionnaire de la Géographie et de l’espace des sociétés », Michel Lussault et Jacques Levy ont eux aussi réinterrogé ces concepts. Pour eux, l’analyse standard de l’espace public en fait un espace vertueux de la citoyenneté, dérivée de l’idéal type mythologique de l’agora grecque, « constitué en point-origine et en matrice de tout espace public » (Lévy, Lussault, 2013). En témoigne sa représentation systématique sous la forme d’une place publique. La philosophe Joelle Zask rejoint ce formatage idéologique qui oppose fortement la place publique aux formes végétalisées (jardin, parc), l’espace public incarnant la condition urbaine, le socle du pouvoir et de la politique où le naturel n’aurait évidemment pas sa place. Elle avance que l’idée même de politique élève l’homme au-dessus de sa condition animale, laissant alors entendre que le lieu de cet exercice doit être totalement anthropisé (Zask, 2018). Également, elle décrit la place publique comme un élément coupé du temps, de par cette forme et cette matérialité géométrique, artificielle, hors sol. Cette pensée très orientée explique l’engouement dont l’espace public est aujourd’hui l’objet, et ce rapport à un vocabulaire de réunification, de retissage des liens dans la ville. C’est en effet d’abord à des typologies urbaines que ces espaces sont associés, posant alors la question des lieux clos appartenant à la puissance publique. Ces lieux en sont généralement exclus, la pensée de l’espace public étant rabattue sur leurs seuls périmètres extérieurs, ce qui confirme encore que le modèle mythique de l’agora est à l’œuvre, comme le rappellera Lussault (Lévy, Lussault, 2013).

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l’espace et ce qui le constitue, soit la ressource, et l’usage que l’on fait sur et avec cet espace. C’est amener des outils plus fins pour situer l’homme dans son milieu et la relation entre ses droits et celui du sol.

Rappelons que cette définition de l’espace public renvoie à la vision primaire qui était portée sur Guillestre à l’orée de ce mémoire ( figures 184 et 185). Cette conception était doublement urbano centrée : par la forme urbaine prônait, et par l’intuition des usages qui découlait de ce rapport archétypal à la Démocratie. La diversité des lieux où se jouent les usages des Guillestrins a requestionné la nature urbaine des espaces dits publics. Une imbrication entre les pratiques de la sociabilité urbaine et contemporaine et le condensé d’espaces multiples, plus ou moins sauvages, a permis de saisir une gradation de ce qui fait espace public ( figure 186). Croisons ces intuitions avec les concepts développés par Levy et Lussault pour dépasser la notion d’espace public au profit du commun. « Un espace commun est un agencement qui permet la co-présence des acteurs sociaux, sortis de leur cadre domestique – pour disjoindre ainsi espace commun et logement. Cet espace commun peut être pensé comme un espace de convergence et d’acte, au sens où des individus y convergent et y agissent, et interagissent avec les autres individus, mais aussi avec des objets, des formes spatiales » (Lévy, Lussault, 2013). Les auteurs théorisent alors trois « contrariétés » objectives qui permettent d’analyser les espaces communs. La première est celle du privé vs le public. Elle identifie ou non un propriétaire et permet de déterminer les pratiques légitimes sur l’espace concerné. Du simple fait d’être public ou privé, l’espace n’est pas affecté institutionnellement et juridiquement des mêmes valeurs et des mêmes potentialités d’usage autorisés. « Face à cette instauration collective de la définition des deux types d’espace, chaque individu est plus ou moins docile, intériorise et intègre plus ou moins les schémas prescriptifs, organise plus ou moins ses actes en fonction du cadre normatif. » Le second couple est l’intime et l’extime. L’intime tient du « moi moderne », et de son indispensable vecteur, l’intériorité, construction sociale fluctuante selon les évolutions des sociétés. L’« extime » se concentre sur la relation au monde que constitue « l’intersubjectivité », entendue comme le domaine de la relation subjective du moi (ego) à autrui (alter-ego). Ces interactions entre le moi et l’autre se retranscrivent à différentes échelles, du geste au message sans frontière sur internet. La mobilisation de l’intime et de l’extime est un droit. Il est acquis par tous, et l’exigence de protection de l’intimité peut redoubler celle de la préservation de la sphère privative. Intimité et privé suivent toutefois des

(25) Le tiers paysage est un concept créé par le paysagiste français Gilles Clément, afin de désigner l’ensemble des espaces qui, négligés ou inexploités par l’homme, présentent davantage de richesses naturelles sur le plan de la biodiversité que les espaces sylvicoles et agricoles.


Figure 184. PLACE DU COLONEL BONNET, Guillestre.

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Figure 185. MARChé estival d’embrun, Rue de la Liberté. l’espace «public» des villes de montagne est «commun»? 1/ L’espace public face à l’espace commun? 123


l’espace «public» des villes de montagne est «commun»? 1/ L’espace public face à l’espace commun? 124 Figure 186. CARTE DES GRADIENTS D’URbanité, Du naturel «sauvage» (en bleu) aux infrastructures urbaines de grande échelle (rouge).


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l’espace «public» des villes de montagne est «commun»? 2/ Comment la spécificité montagnarde requestionne le couple privé/public et le commun? 126 (26) La circulaire de Ravanel de 1962 est un mythe montagnard qui aboli toute forme de propriété dès lors que les terrains se trouvaient recouverts d’une épaisseur de neige de 60 cm.

logiques différentes puisqu’il est possible de trouver de l’intimité dans l’espace public. C’est une des qualités qui est recherchée pour la réalisation de certains usages sur le plateau agricole ou en retrait dans les délaissés forestiers. Ces propriétés sont l’un des éléments catalyseurs de l’atomisation des usages de Delbaere. Également, Lévy et Lussault évoque une forme « d’intimisation » de l’espace public, selon le vécu de chacun des individus et de leur expérience du lieu, qui le connote durablement. L’espace se pare alors de valeurs personnelles. C’est notamment la nature vécue comme cadre familier, comme cité en chapitre 4. Ces phénomènes sont favorisés lorsque les appropriations sont rendues possibles, comme la construction d’une cabane en forêt ou la mise en place d’une chasse au trésor. Ces constructions renvoient au concept de l’hétérotopie énoncé en introduction. Les auteurs notent également que les espaces privés sont aussi concernés par l’extimité, jusqu’à se voir configurée par elle : « le pub, le café, et tous les lieux privés où la rencontre est permise et recherchée en constitue de bons exemples ». Enfin, le troisième point évoqué est celui du couple individuel vs social. Il met en exergue les interactions entre les uns et les autres, suivant les normes sociales dites « systèmes normatifs non institutionnels, plus ou moins intériorisés et objectivables par les personnes, qui définissent et codifient les pratiques légitimes à l’intérieur d’un groupe, ainsi que les modes de relations possibles (et leurs transgressions reconnues), entre l’instance individuelle et l’instance sociale » (Lévy, Lussault, 2013). Cette contrariété trouve une résonnance à Guillestre entre les espaces du centre-ville, souvent évoqués par les participants des ateliers comme les lieux où « rencontrer des inconnus », et les moments vécus sur le plateau agricole où l’on se rejoint en groupe d’amis déjà constitué. Sans que la chose ne fût encore nommée à ce moment-là, ces ateliers participatifs Guillestrins ont permis d’analyser les représentations et les usages des individus pour en comprendre les systèmes normatifs et les situations spatiales engendrées. Lussault et Lévy diront : « Un tel exercice emporte le chercheur bien audelà de la seule notion d’espace public, pour approcher le foisonnement des valeurs sociétales du moindre espace commun. Le concept intégrateur, dans cette perspective, devient bien celui d’espace commun, l’espace public ne constituant plus qu’une des modalités possibles de l’interaction spatiale. »

2/ Comment la spécificité montagnarde requestionne le couple privé/public et le commun ? Il n’est pas rare d’entendre que la neige abolit la propriété en montagne. Si la « circulaire Ravanel de 1962» (26) qui absout toute forme de propriété privé à partir de 60cm de neige serait un mythe, il n’en est pas moins que certaines pratiques et habitudes demeurent, brouillant les limites entre privé et public. La première explication est liée à une dissociation des usages et du sol. Gilles Clément cite l’exemple du chasseur, qui, lorsque la chasse est ouverte, ne se soumet alors qu’à la règle de propriété du gibier dont il en est le maitre, possédant de ce fait un passe-droit sur les terres au même titre que l’animal chassé ne se soumet pas au cadastre (Clément, 2018). Sous un autre registre, la définition du « sport de nature » requestionne elle aussi les limites. L’article L311-1 du Code du Sport dit : « Les sports de nature s’exercent dans des espaces ou sur des sites et itinéraires qui peuvent comprendre des voies, des terrains et des souterrains du domaine public ou privé des collectivités publiques ou appartenant à des propriétaires privés, ainsi que des cours d’eau domaniaux ou non domaniaux. » Le second point, plus spécifiquement montagnard est lié à la neige. Si la hauteur de neige ne serait pas une caractéristique ou non de la propriété, les lois favorisent néanmoins les activités sportives d’hiver face au privé. Des secteurs spécifiques sont délimités dans les plans locaux d’urbanisme, en application du code de l’urbanisme, en ce sens. L’article L.342-20 du Code du Tourisme dit que les propriétés privées peuvent être grevées « au profit de la commune (…) d’une servitude destinée à assurer le passage, l’aménagement et l’équipement des pistes de ski, le survol des terrains où doivent être implantées des remontées mécaniques, (…) et, lorsque la situation géographique le nécessite, les accès aux sites d’alpinisme, d’escalade en zone de montagne et de sports de nature au sens de l’article 50-1 de la loi n° 84-610 du 16 juillet 1984 précitée ainsi que les accès aux refuges de montagne ». Au-delà de l’activité sportive, la neige induit des comportements différents lié à la nature même du sol. Ainsi, un agriculteur Guillestrin relate à propos de ses champs : « l’hiver que les gens traversent ça me dérange pas. Mais après, du mois de Mars au mois d’Octobre, quand les prairies sont en production… ». Mais il s’agit là de tolérance et de bon sens, plus que de changement de régime. A cela s’ajoute la lecture même du paysage sur le site. Lorsque la couche neigeuse devient importante, il peut être difficile de distinguer les différentes parcelles arpentées, et les éleveurs ont pour obligation de retirer leurs clôtures dans certains secteurs, pouvant être dangereux par cet absence de visibilité.


De part une lecture privé/public mouvante, saisonnière, soumise à des exceptions, et à la valeur par endroits moins forte que les usages, l’espace public montagnard rencontre différentes entraves à sa lecture. Celui-ci est alors amené à être requestionné. De l’autre, comme entrevue dans le chapitre précédent, les espaces communs semblent avoir une position majeure, ou du moins historique. Nous allons alors établir un retour sur ce qui fait et a fait commun dans la construction du territoire spécifique de la Haute-Durance, au-delà des ressources naturelles communes. Pour ce faire, les sources croisées sont les témoignages oraux d’un agriculteur Guillestrin et de la maire, et le cahier du patrimoine « L’habitat du Nord des Hautes-Alpes », sollicité dans le chapitre 1. Agriculture et gestion des communs sont la base des structures urbaines haut-alpines. L’organisation des hameaux forme, au-delà d’une agglomération de constructions, une communauté. Situé au centre de terres de culture, le hameau administrait et possédait ses chemins, ses canaux d’arrosage, ses édifices collectifs. Chacun avait son propre quartier de pâturage d’altitude et de chalets, parfois son groupement de celliers (27) dans le vignoble de la plaine, ou ses mines de charbon. Le géographe André Allix avançait : « chaque commune n’est en vérité qu’un assemblage, une véritable fédération de communautés paysannes. Tout hameau a ses pâturages propres et ses terres de culture, épars à travers tout le territoire de la commune, mais cependant à lui seul attribués et portant son nom ; et cela au moins depuis le moyen-âge » (Mallé, Heller, Pegand, Roucaute, 1999). Cette division géographique l’était également par endroit dans les rapports humains et le partage des ressources. Également, le nombre de quartiers constituant les hameaux fluctuait en fonction du taux de population : la taille d’un quartier correspondait au nombre d’habitants nécessaire pour gérer en commun un four à pain, la garde collective des troupeaux et le domaine agricole. Chaque hameau ou quartier a ses bâtiments à usage collectif ( figures 196 à 203): chapelle, fontaine, lavoir, four à pain, parfois moulin, fruitière. Ils sont souvent accolés les uns aux autres, créant en négatif, un espace de circulation propice aux rencontres, aux échanges et délibérations. Ce nœud n’est balisé par aucun aménagement particulier, on ne peut pas parler de place de village comme dans le Sud de la France : - Les églises : Parmi les espaces communs historiques, l’un des plus important était l’église. Le territoire en comportait de nombreuses, à la fois pour maitriser l’explosion démographique à partir du 15e siècle et l’hérésie vaudoise. Comme vu en chapitre 1, celles-ci n’étaient pas seulement des abris religieux. L’église de Guillestre a vu son premier étage devenir école, puis mairie, puis bibliothèque, et sa sacristie en rezde-chaussée devenir prison puis garage ( Barre, Feuillassier, Moyne, Meyer-Moyne, 2000). - Les chapelles : Edifiées à des dates diverses et souvent reconstruites, les chapelles de hameaux présentent de grandes différences de structures et de décor (fruit des dons des habitants). Elles ont toutes un trait commun qui intéresse la vie de la communauté. Elles sont surmontées d’un clocher-arcade dont la cloche prévenait les habitants en cas de dangers ou

l’espace «public» des villes de montagne est «commun»? 2/ Comment la spécificité montagnarde requestionne le couple privé/public et le commun? 127

Le dernier point est lié à la forme ouverte de l’espace qui en brouille le statut privé ou public ( figures 187 à 194). Le même agriculteur rapporte ses déboires quant aux traversées illicites sur ses parcelles : « y a beaucoup de gens avec qui on a du mal à discuter parce qu’ils ne comprennent pas que voilà, que nous c’est un outil de travail. Après ça part dans le débat du ah ! ben vous avez qu’à vous clôturer si vous voulez pas qu’on vienne chez vous ! ». Les traversées physiques possibles ou rendues légales par les activités sportives est un phénomène également relevé par Anne Sgard. « Le touriste qui contemple un panorama, suit un itinéraire de randonnée, ou descend un versant à ski, traverse et parcourt du regard une multitude de « biens » dont il ignore les limites et les propriétaires : parcelle ou bâtiment privé, forêt privée ou communale, alpage collectif de « petite » ou « grande » montagne, consortage, alpage concédé par baux au domaine skiable, espace communal de haute altitude… sur lesquels s’applique une diversité de régimes de protection (sites classés, réserves naturelles, parcs naturels…). Le statut particulier de la montagne l’érige globalement en espace public, consacré au loisir des citadins qui refusent dès lors de voir leur liberté contrainte par des clôtures ou des interdictions » (Sgard, 2018). Au-delà de la multiplicité des statuts, la vétusté des limitations des parcelles et la complexité des cadastres ne facilitent pas la bonne lecture et la connaissance des limites. L’agriculteur Guillestrin montre l’exemple d’un parking communal sur le plateau agricole ( figure 196), très utilisé voir saturé pendant l’été, dont l’accès ne se fait que par une voie privée. Selon lui, certains élus ne seraient pas au courant de « tout ça ». Quoi qu’il en soit, il est certain que les usages prévalent sur le cadastre, créant des entre-deux. L’agriculteur conclut : « et les gens sont souvent perdus. Ils sont au bout (du plateau agricole), ils ont laissé la voiture ici, ils ne savent pas comment rentrer… parce qu’y a aucun panneau. Je leur explique que c’est un chemin privé donc on va pas mettre de panneau. Mais en même temps faut prendre la décision si les gens promènent ou promènent pas » ( figure 195).

(27) Les celliers sont des petites maisons utilisées seulement pendant les vendanges. Elles possèdent une cave et une cuve à vin, une étable, une grange et une petite habitation. Le centre-ville de Guillestre en abritait plusieurs, de propriétaires de Ceillac et de Bramousse. Cette forme d’habitat saisonnier posait question aux Guillestrins, quant à la participation ou non des propriétaires dans les finances du village.


l’espace «public» des villes de montagne est «commun»? 2/ Comment la spécificité montagnarde requestionne le couple privé/public et le commun? 128

187

188

Usages tolérés l’hiver

189

190

191

192

Unification des limites de parcelles sous la neige

193

194

Figures 187 à 194. frontières privé/public poreuses, Ouverture du paysage.


Figures 195 et 196. CADASTRE ET SITUATION DU PARKING COMMUNAL. l’espace «public» des villes de montagne est «commun»? 2/ Comment la spécificité montagnarde requestionne le couple privé/public et le commun? 129


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196

197

L’église et la chapelle : la polyvalence continue

198

199

Fontaines et lavoirs: espaces ludiques intemporels

200 Les Artgricoles : investir le plateau

202

201 Cinéma plein air dans la cour de l’école

203

Figures 196 à 203. les espaces communs d’hier et aujourd’hui, Les ressources de Guillestre.


Il est évident que la logique de société agraire dans un milieu aux contraintes importantes a favorisé le développement de la culture du commun et de la mutualisation. Outre les bâtiments évoqués, il existait des pratiques comme la garde des troupeaux communaux de génisses ou de moutons, effectuée par des bergers salariés par les communes. Également, des troupeaux communs étaient gardés à tour de rôle par des propriétaires dont la gestion relevait du hameau. L’héritage agricole est encore très présent à Guillestre ( figure 204). Il se traduit, comme évoqué précédemment, par une porosité dans le tissu urbain et des typologies d’espaces particuliers (chemins de canaux, dent creuse agricole, plateau du Simoust…), mais aussi par des formes contemporaines d’espaces communs. Ces formes coopératives permettent de compenser le cadre familial qui régissait le monde agricole dantan. L’agriculteur interrogé relate : « Avant y avait beaucoup plus d’exploitations mais comme elles étaient petites et qu’y avait de la main d’œuvre dans les familles… les gens avaient 2,3,4,5 hectares à travailler. Il y avait pas besoin de collectif. Après dans les années 70 les CUMA (28) se sont développées, donc pour le matériel ça nous a un peu concerné ici. Après y a eu les coopératives au niveau des laiteries, du ramassage du lait. Puis l’abattoir repris en gestion avec un système coopératif. » Contrairement à des territoires plus denses, les CUMA ne sont pas spatialisées par un bâtiment autour de Guillestre, mais elles sont simplement formalisées par la garde alternée du matériel agricole. L’abattoir de Guillestre, quant à lui, date des années 1960. Il a été rénové plusieurs fois avant d’être en liquidation en 2005. Un regroupement d’éleveurs s’est alors mobilisé pour le reprendre sous forme de société coopérative, ce qui inspira d’autres abattoirs de la région et valu un article dans « Le Monde » en 2020 ( figures 206). Celui-ci fonctionne sous le principe de « tâcheron » : « Y a pas de salariés. C’est ou des éleveurs, ou des bouchers, ou d’autres personnes qui viennent faire le travail et qui sont rémunérés à la quantité. Si y a une vache à tuer, ils ont un certain montant, s’il y en a 10, 14, 100… c’est proportionnel au travail qu’ils ont à faire. Avant on tournait avec des salariés. Quand il y avait du travail ça va, c’était rentable, mais quand il y avait rien à faire, c’est normal, il fallait les payer. Mais du coup il y avait beaucoup plus de charges salariales. Donc ça c’est un système coopératif qui s’est développé » expliquera l’agriculteur. Enfin, au-delà des espaces patrimoniaux et historiques, et au-delà des formes de communs produits par l’agricole, il est important de noter que la mairie de Guillestre possède une politique valorisant le communal. Malgré ses 2400 habitants, la commune possède un gymnase, une salle de concert, une bibliothèque, une maison de retraites et des équipements scolaires (de la crèche au collège), et la mairesse se bat pour leur préservation ( figure 205). Également, une « maison des citoyens », soit un tiers-lieu et en cours d’étude, et une maison médicale va être construite. Bien que situé dans un territoire touristique, Guillestre n’en oublie pas moins ses habitants à l’année qui ne constituent que la moitié du parc immobilier. La commune est bien loin de la station ou de la ville-musée, et les espaces communs

l’espace «public» des villes de montagne est «commun»? 2/ Comment la spécificité montagnarde requestionne le couple privé/public et le commun? 131

d’incendie, et les appelait aux assemblées et aux corvées. C’était encore le cas dans la première moitié du 20es à Cervières. - Le four à pain, dit « banal » : Le terme « banal » est en référence au droit féodal pour les seigneurs de faire construire un four que les paysans sont obligés d’utiliser et de payer. Même lorsque ces droits fûts rachetés à la fin du Moyen-Age, tous les membres d’une communauté avaient le droit et l’obligation d’utiliser les édifices banaux et interdiction d’en construire des privés. Les banalités furent supprimées à la Révolution. Certains fours ne faisaient cuire le pain qu’une fois par an, surtout en haute montagne (La Grave, St Véran). Dans le Guillestrois, les cuissons s’organisaient toutes les 2 ou 3 semaines, la pâte étant préparée par les familles à tour de rôle. Cette pratique commune s’est éteinte en 1957 à St Véran. - Les fontaines : Elles constituaient la seule source d’eau pour le hameau. Il n’y avait en effet pas de puit, et les bêtes pouvaient y boire été comme hiver. Certaines fontaines faisaient office de lavoir. Traditionnellement, les fontaines à bassin rectangulaires étaient constituées d’une borne et d’un ou deux bassins (batchas), l’abreuvoir se déversant dans le lavoir. Les fontaines en bois sont apparues à Molines et à St Véran et furent, à partir de 1880 jusqu’en 1914, reconstruites en marbre rose dans le Guillestrois. Il fut remplacé, après 1920, par du béton armé. - Les écoles : Dès le 16e siècle, les enfants étaient scolarisés, l’étable faisant office d’école. Les chefs de famille ou les maitres enseignaient. L’instruction, malgré les moyens spatiaux limités, étaient reconnue. Le territoire abritait grand nombre de maîtres qui partaient « se louer » à la saison. - Les foires et marchés : Seules les communes de Guillestre, Briançon et Abriès avaient le droit de tenir foires et marchés. Abriès possédait l’équivalent d’une halle, bâtiment en pierres percé d’arcades. Guillestre avait également son marché couvert sur la place Albert, mesurant 36 x 14m, et probablement détruit lors du siège de 1692 mené par le Duc de Savoie. - Les fruitières : Les fruitières sont des Coopératives fromagères nées en Suisse et FrancheComté. Les éleveurs y apportaient leur lait et un salarié fabriquait la crème, le beurre et le fromage. La première fut inaugurée en 1855 à Abriès. (figures)

(28) La Cuma est une société coopérative agricole. Ces sociétés ont pour objet l’utilisation en commun par des agriculteurs de tous moyens propres à faciliter ou à développer leur activité économique, à améliorer ou à accroître les résultats de cette activité.


Figures 204 et 205. CONTINUIté des communs.

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Figure 206. l’abbatoir de guillestre, un système de commun reconnu. l’espace «public» des villes de montagne est «commun»? 2/ Comment la spécificité montagnarde requestionne le couple privé/public et le commun? 133


l’espace «public» des villes de montagne est «commun»? 3/ L’espace public de Guillestre fait-il gigure de «village idéalisé»? 134

semblent les garants de ce qui fait ville. Nous prendrons pour appuie cette citation de Thomas Sieverts : « Le jour où les habitants d’une ville ne se considéreront plus que comme les clients d’un système administratif de prestations de services individuels, lorsque les compétences communales fondamentales se trouveront privatisées, on aura alors détruit les ultimes fondements d’un aménagement participatif disposant d’une légitimité politique, et on aura, du même coup, perdu toute possibilité d’identification avec la collectivité de la ville » (Claude, Sieverts, 2004). Il apparait que la notion d’espace public dans les territoires montagnards peut amener à être repensée plus finement par le biais du commun. Toutefois, l’idée de commun doit elle-même être mesurée. En effet, si parler d’espace public est aujourd’hui utilisé comme un outil marketing urbain, faisant allusion à un (re)tissage des liens, à une co-production et à un lieu de l’expression voire de la liberté, parler de commun fait aussi état de raccourcit sémantique optimiste et rapide. En effet, une forme d’harmonie, de symbiose, se cache derrière le terme « commun », plus forte encore que derrière la notion d’espace public. Cette idée d’acte engage l’individu qui n’est plus seulement un usager mais un acteur, et dont l’ensemble agirait vers une même direction et pour une même fin. S’il est évident que le commun est indissociable de la commune de Guillestre et de son territoire montagnard, peut-on pour autant admettre une forme d’habiter utopique renvoyant à l’idéal de village ?

3/ L’espace public de Guillestre fait-il figure de « village idéalisé » ? Propriété, identité et individualisme

Outre l’attachement à l’imaginaire agricole, la notion de village évoque une sociabilité forte et des relations d’échanges et de sens. Elle renvoi à des notions de partage, de commun et de collectif entrevues en début de chapitre mais confrontées à des phénomènes moins joviaux théorisés par certains chercheurs et/ou observés à Guillestre. Les trois que nous rapprocherons sont la perméabilité ou non de la propriété, la fabrication identitaire, et l’aspiration ou non, à vivre reclus. PROPRIETE Les spécificités montagnardes, quant à la propriété, laissent paraitre de nombreux paradoxes et nous en retiendrons trois. Tout d’abord, Il a été mis en exergue la porosité existante en montagne entre le public et le privé. Celle-ci peut-être si importante qu’elle génère des confusions qui peuvent être législatives mais également, voire surtout, perçues sur le terrain. Ce phénomène concerne particulièrement les espaces agricoles et naturels. Or, lorsque l’on arpente les rues dans le bâti Guillestrin, les propriétés semblent au contraire hyper marquées. Nous l’avons évoqué en chapitre 3, basés sur les résultats du questionnaire en ligne post-atelier qui soulignait les frontières hermétiques entre les habitations et la rue. En arpentant la commune, le « bocage pavillonnaire » ne peut échapper au promeneur. Chacune des parcelles est close, et il demeure une diversité sans fin des types de clôtures, témoignant d’une individualité exprimée jusqu’à la chaussée, sans pour autant ouvrir le dialogue avec cette dernière. Ces clôtures, plus ou moins hautes, sont pour certaines doublées ou complétées de panneaux restrictifs, notamment le long des sentiers pédestres des canaux. Le chemin inter-quartier qui semblait alors une joyeuse trouvaille pour le visiteur devient une voie dont il ne s’agirait pas de s’écarter… ( figures 208 à 210) Le second paradoxe traite de l’agricole. Si son omniprésence et son héritage se traduisent par de nombreuses pratiques autour du commun, la réalité est cela dit à nuancer. L’explication se trouve déjà dans la pratique même du métier d’agriculteur, qui se veut aussi solitaire. L’agriculteur guillestrin interrogé explique à propos des cabanes que l’on trouve sur les champs : « Ils vivaient un peu en autarcie donc ils avaient une petite cabane pour faire leur sieste après, ou pour poser leurs patates, ou pour cuisiner à midi, ou s’il pleuvait ils se mettaient à l’abris… ». Bien que les fermes des Hautes-Alpes soient moins grandes que celles des Monts du Lyonnais, on peut toutefois établir un parallèle quant à l’individualisation des familles. Contrairement aux exploitations viticoles du Sud où le mouvement coopératif régional était important et où on extériorisait les activités hors du bâtiment siège, les maisons de montagne regroupaient pour beaucoup les fonctions agricoles sous leur toit. L’anthropologue Michel Rautenberg écrit des Monts du Lyonnais : « la variété de la situation des parcelles est telle qu’il était très difficile d’organiser une rotation communautaire des cultures, et ainsi chacune d’elles a son propre cycle. Il y a donc à cette époque, selon Marie-Thérèse Lorcin, un individualisme du travail agricole qui correspond bien à la forme dispersée de


Le troisième paradoxe est lié à la présence de ressources. Bien que celles-ci engendrent des formes de gestion efficaces et innovantes qui relèvent du commun, il faut garder en tête que ressource signifie aussi valeur et intérêt, créant de l’attractivité, des désirs de propriété et des rivalités ( figures 211 à 212). Ce phénomène est visible depuis la ressource foncière que constitue le sol, qui plus est dans un territoire ou cette ressource est hyper variable (selon la pente et l’exposition) et limitée. L’agriculteur guillestrin déplore : « Moi qui ai pas mal roulé, je trouve qu’on met pas assez les choses en commun ici. Mais c’est vrai qu’on a quand même des CUMA, des coopératives, on a l’abattoir qui est un modèle collectif… Voilà, on a quand même beaucoup de trucs collectifs. Après les exploitations restent assez individualistes parce que c’est le métier qui est comme ça. Par rapport au manque de foncier ». Regarder le cadastre de Guillestre est éloquent. Il y a une abondance de divisions de parcelles, plus encore lorsque le terrain est attractif ( figures 213 à 214). Il en résulte un territoire dominé par le privé et un équilibre fragile, basé finalement que sur la bonne intelligence des acteurs concernés. Pour exemples, l’ensemble des sentiers qui longent les canaux sont privés, et un parking communal saturé tous les étés sur le plateau du Simoust n’est en fait accessible que par une voie privée. Outre le retournement de veste que pourrait faire le propriétaire de la voie ou ses descendants, l’agriculteur alerte sur la « responsabilité » avec l’exemple des canaux : « Aujourd’hui tu te promènes le long du canal, tu tombes dans le canal… c’est la faute du canal. C’est pour ça que l’ASA a mis quelques panneaux par endroit… Mais après ça plait pas. Mais celui qui se casse la figure, il va porter plainte contre le canal. Il faut toujours un responsable. Et c’est dommage. Parce que les gens, qu’ils se promènent ver le canal, c’est pas grave ça. Mais le jour où ils tombent dedans, c’est propriété de l’ASA donc on se retourne contre l’ASA ». La mairesse également relatait cette problématique à laquelle ils sont confrontés, parfois même de manière rétroactive. Les descendants d’un habitant qui avait légué ses terres par voie orale à la commune permettant l’installation de camping veulent aujourd’hui récupérer des décennies de loyer. Maintenir une majorité d’espaces publics est cependant l’un des enjeux majeurs et garantie des valeurs citoyennes. Dans le même sens, Jacques Lévy souligne que chaque fois qu’un empiètement tend à privatiser un espace réputé public, sans offrir de nouveaux usages mais en restreignant les libertés, le lieu se privatise. « Sans parfois qu’un seul mot n’ait été prononcé par les acteurs de ces micro-évènements, c’est bien des valeurs politiques de la société urbaine et de leur mise en œuvre qu’il est question. La civilité, c’est le politique sans la politique » (Lévy, Lussault, 2013). Outre ces trois paradoxes évoqués, les problèmes générés par la propriété créent également des conflits, comme mentionné avec les pratiques des habitants sur le plateau agricole. Il est une autre forme de cohabitation propre à ce territoire, c’est celle de l’habitant avec le touriste. L’étude de la gestion des estives Pyrénéennes citée par Anne Sgard et menée en 2014 par Corinne Eychenne et Lucie Lazaro prouvait la limite des droits d’usage avec des activités touristiques dominantes sur l’activité d’élevage ; soulignant néanmoins que les éleveurs peuvent « mobiliser l’historicité des pratiques et des modes d’appropriation comme facteur de légitimité sur les espaces d’altitude dans un contexte de multi-usages » (Sgard, 2018). Ces phénomènes ne touchent pas seulement le sol, mais aussi les pratiques quotidiennes des habitants, et ce de manière plus ou moins implicite. Des gênes sont évidentes et revendiquées par les Guillestrins comme celle de la saturation des routes et des parkings à l’été. Des chercheurs ont étudié plus finement les limites de cette cohabitation comme Vincent Vlès. « Signe d’un conflit latent, on observe des stratégies d’évitement de la part des habitants. Elles sont la plupart du temps inconsciemment adoptées, car c’est seulement en faisant réfléchir les personnes enquêtées sur leurs propres pratiques qu’elles s’en rendent compte. Il s’agit de choix de parcours qui permettent d’éviter la trop grande densité de touristes ou bien le paysage commercial qu’il génère » (Berdoulay, Clarimont, Vlès, 2005). Ce constat a été retrouvé à plusieurs reprises dans les ateliers participatifs organisés à Guillestre. Non seulement les habitants faisaient part des itinéraires d’évitement qu’ils mettaient en place, mais il est également apparu qu’une division habitants/touriste plus pérenne existe, inscrite aujourd’hui à l’échelle de la saison. Celle-ci se traduit notamment par

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l’habitat et à l’existence d’exploitations d’un seul tenant » ( Barre, Feuillassier, Moyne, Meyer-Moyne, 2000). Si le modèle Haut-Alpin présente des divergences avec notamment des habitats regroupés pour pallier les contraintes climatiques plus rudes, il demeure que les problématiques agricoles se croisent. Ainsi, suivant des logiques d’implantations minimales au sol, les maisons des Hautes-Alpes abritaient chacune leur étable et leur grange, et les celliers étaient principalement la propriété d’une seule famille. Également, la majorité des moulins étaient privés au 19es. Ils étaient édifiés en périphérie des hameaux, mais Guillestre en possédait au Sud de son centre, profitant de la force motrice du Rif-Bel ( Barre, Feuillassier, Moyne, Meyer-Moyne, 2000).


l’espace «public» des villes de montagne est «commun»? 3/ L’espace public de Guillestre fait-il gigure de «village idéalisé»? 136

207

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Une propriété bien marquée

213 41

214 42

Figures 207 à 214. la propriété à guillestre, Différence importante des valeurs des terrains.


L’IDENTITE Si le rapport à la propriété privé ne rapproche pas tant Guillestre du « village idéal », qu’en est-il de la capacité fédératrice du cadre de vie ? Il serait obsolète de croire que l’esprit villageois d’antan domine dans des territoires montagnards aux logiques désormais bel et bien urbaines, comme démontré en chapitre 2. Néanmoins, il réside des valeurs convergentes fortes qui lient les communautés d’habitants. Il s’agit là du territoire lui-même, de la beauté partagée de ses paysages. Ces intérêts communs qui dépassent l’individu engendrent une forme d’esprit communautaire, ou tout du moins, forgent une même identité. Ainsi, comme l’explique le géographe Guy Di Meo, « l’identité fonctionne socialement comme le moyen de légitimer un groupe dans un espace (territoire) dont il tirera le plus clair de ses ressources et de son pouvoir stratégique. Inversement, le procès identitaire utilise le territoire comme l’un des ciments les plus efficaces de la construction sociale. Le territoire confère aux réalités sociales une consistance matérielle faite de signes et de symboles enchâssés dans des objets, des lieux, des paysages » (Di Méo, Sauvaitre, Soufflet, 2007). Cette théorie justifierait peut-être un paradoxe observé dans le questionnaire post-atelier de Guillestre. A la question « ce qui rassemble les Guillestrins » 47% répondent « les liens sociaux (échanger, se retrouver, mutualiser) » et 11% disent « les paysages naturels environnants ». A contrario, à la question « ce qui fait l’identité de Guillestre », 39% répondent « les paysages naturels environnants » et 15% « les liens sociaux ». Anne Sgard alerte toutefois sur l’identité villageoise créée sous la seule bannière du paysage. Pour elle, cela génère un ciment commun factice qui cache au contraire une partie de la réalité. Elle défend que l’engouement à associer la préservation du paysage au bien commun répond à un besoin de « conjurer les dérives du discours identitaire » (Sgard, 2018). Il est mobilisé comme un matériau de construction et d’expression d’identité et d’altérité, construit l’accord mais aussi l’exclusion. Elle revendique que « formuler les enjeux en termes de bien commun oriente le débat vers l’espace public, (…) ses usages, ses règles » et on parle d’intérêt général, de vivre ensemble, de préservation assurant une transmission plutôt que de repli identitaire. S’il est évident de lire entre les lignes de Guy Di Méo et d’Anne Sgard le renfermement que peut constituer la mobilisation générée par l’identité territoriale et l’opposition à l’altérité, Eric Charmes soulève une autre problématique. En effet, au-delà de l’idée de groupe identitaire, il interroge sur la constitution même de ces groupes-villages. Pour lui, le rapport à l’espace emblématique de la campagne (le village) a été complètement transformé. L’un des changements les plus marquants est « le passage de la communauté politique (où des gens qui n’ont pas choisi de vivre ensemble s’interrogent sur ce qu’ils ont en commun) au club résidentiel (où des gens qui ont choisi de vivre ensemble sont unis derrière la défense de leur cadre de vie ». Également, si les intérêts « villageois » ont changé, les motivations d’installation aussi. Avant, les sociétés rurales traditionnelles se posaient la question de comment améliorer le vivre ensemble, l’accès aux ressources communes et les gestions du village, car on ne se posait pas la question d’où vivre. Autrement dit, plutôt que de chercher à s’installer ailleurs, ou dans un cadre de vie déjà « idéal », les hommes travaillaient à améliorer les orientations et les choix politiques de leurs communautés (Charmes, 2019). Concernant Guillestre, les questionnaires ont confirmé que la majorité des choix d’installation était liée au cadre de vie. Également, et comme de nombreuses communes, il est clair que ce qui était de l’ordre de l’acte du collectif villageois est aujourd’hui absorbé par la commune, comme l’entretien des routes. Néanmoins, les habitants se mobilisent à leur échelle, ce qui se traduit par les nombreuses associations de défense pour le patrimoine ou pour l’environnement et les actions citoyennes (comme l’actuelle pétition contre la reconstruction de bâtiments effondrés qui a permis d’agrandir la place principale de la commune, l’opposition à la fermeture d’une classe et à la fermeture de la gare ferroviaire, la mobilisation revendiquée, même si non partagée par tous, pour l’aide aux migrants qui arrivent à Briançon…). Les habitants s’emparent donc de sujets qui parfois dépassent leur propre individualité. Ils travaillent ensemble au maintien d’un cadre de vie et d’un cadre environnemental sans pour autant le rendre hermétique, se positionnant plutôt sur la transmission du patrimoine et des équipements. Cette mobilisation rejoint la définition de l’espace commun défendu par

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la place des touristes (place Salva) et la place des locaux (place Albert). La première, plus ouverte et intersection de la rue depuis Vars et de celle du Queyras, est bordée par des restaurants et l’office du tourisme. Les évènements y sont organisés par la mairie l’été. La seconde, dans un renfoncement de la rue centrale, et filant vers la mairie, est bordée de commerces et d’un bar qui anime la place par sa terrasse et par les concerts ponctuellement organisés. Les conditions d’écriture de ce mémoire (covid) n’ont pas permis de déduire si ces usages ont leur empreinte à l’année.


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Figure 215. tableau des gradients d’espace public, Jacques Lévy - Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, p 366.


INDIVIDUALISME L’idée que de partir s’installer en zone rurale, qui plus est en montagne, est se « couper du monde », soit fuir la ville et se renfermer sur soit, est répandue. Jacques Lévy la partage et l’explicite, défendant que les habitants de ces petites communes cherchent à s’éloigner au maximum des métropoles et de leur diversité, espaces qui concentrent le maximum de « gradient d’urbanité » ( figure 215). Il parle d’une vision du monde, préférant « la sphère domestique plutôt que l’ouverture sur le monde, le jardin privatif plutôt que le parc public, la voiture plutôt que le transport en commun. » Cette vision est peut-être radicale et semble ne pas s’appliquer à la commune de Guillestre, ou du moins, pas à l’ensemble de la population. En effet, l’engouement pour l’environnement montagnard, voire l’environnement naturel tout simplement, semble authentique et sincère, et fédère la majeure partie des habitants, comme le montrait les résultats du questionnaire post ateliers mis en ligne. Eric Charmes défend que « l’histoire des lieux est beaucoup plus décisive que le gradient d’urbanité » amenant de la nuance aux théories de Jacques Lévy. Plutôt que de tomber dans la radicalité du cosmopolisme ou du club, Charmes émet l’hypothèse d’une gradation des espaces de la vie quotidienne (Charmes, 2019). Celle-ci se traduit par la sphère la plus intime et privée à l’échelle de l’habitation, celle des connaissances ou des « inconnus familiers » à l’échelle du quartier ou du village, puis celle du monde extérieur et des inconnus à l’échelle la plus grande. Ce regard nuancé parait cohérent pour définir la relation que les Guillestrins entretiennent avec le « monde extérieur ». Il serait peut-être l’une des explications qui dépeint ce qui pourrait sembler comme paradoxal ou inattendu à savoir le nombre d’associations guillestrines face au nombre de logements secondaires. Vivre dans la forme la plus individualiste de l’habitat n’est pas nécessairement le reflet du rapport au monde de ces habitants. De même ordre, et bien que l’échantillon soit trop faible pour en déduire une généralité, il a été observé que les participants des ateliers qui étaient dans des associations étaient ce qui arrivait tout juste sur Guillestre ou qui vivaient seuls. Les individus qui vivaient en colocation une tendance plus grande à rester « entre eux ». Eric Charmes va alors plus loin pour montrer que choisir de s’installer dans une petite commune rurale n’est pas nécessaire une fuite de la confrontation à l’autre. Il met en avant que les nouvelles classes moyennes des années 1970 apparues avec le développement de la fonction publique autour des aides sociales, de l’éducation, de la culture, de la santé… ont contribué au réinvestissement des petites villes (Charmes, 2019). Selon lui, ces communes étaient à l’échelle humaine pour répondre au besoin de maitrise de leur milieu de vie de ces classes. Il parle de retrouver une vie sociale authentique, et de volonté d’agir ensemble (associations de toutes sortes). Il évoque le droit au village comme droit de l’expérience concrète de l’agir en commun. Les exemples qu’il cite sont l’organisation des enfants pour la garde après l’école, le covoiturage ou la mise en place de circuits courts alimentaires. Autrement dit, il s’agit là de problèmes de la vie quotidienne. Également, il parle de mobilisation politique, comme la défense d’école ou de bureau de poste susceptibles d’être fermés, et d’investissements dans la transformation de la société, puisque la petite taille des villes est « propice à des expériences de démocratie radicale ». Le village comme étant un terrain d’exercice de la démocratie était une pensée aussi revendiquée par François Mitterrand, justifiant la nécessité des 36.000 communes qui produisent des habitants citoyens. Eric Charmes dit très ouvertement que « le droit au village peut revendiquer l’héritage d’Henri Lefebvre s’il est un droit à agir avec ses voisins pour le bien commun. » D’autres auteurs rejoignent ce discours comme la philosophe Catherine Larrère insistant sur la dimension politique du « pays » qui serait une instance comme un socle de la Démocratie où tout est débattu pour arriver à être entente (Larrère, 2018).

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André Micoud. Également, ces actes minimisent la fameuse analogie d’Eric Charmes entre la commune périurbaine et « le club » dont l’achat d’une maison individuelle est le ticket d’entrée, et dont la bonne gestion des règles et des participants est tenue par la mairie qui veille, notamment au travers les PLU, à accueillir des joueurs similaires. Au contraire, grâce à l’Appel à la Manifestation d’Intérêt dont bénéficie Guillestre depuis 2014, un programme de réhabilitation des résidences vacantes et de construction de logements sociaux est en cours, notamment pour répondre aux besoins des jeunes ménages. Toutefois, les problématiques évoquées par Charmes ne sont pas totalement à exclure comme le rappelle le questionnaire effectué à l’échelle de la Haute-Durance. A la question « qu’est-ce qui vous ferait partir ? » 16% des réponses faisaient allusion à la croissance future du territoire dont parmi ces réponses 13% évoquaient la « perte d’identité » et 53% craignaient « qu’il y ait trop de gens ».


Figure 216. plan de guillestre tracé au pas à pas, élaborée pour la carte des hybridations (figure 186) .

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Si rapprocher de la vision joyeuse et idéale de « village » l’espace public de Guillestre, petite ville de montagne, terrain de biens communs et de gestions communes et collectives, à l’héritage agricole encore omniprésent et aux vues paysagères remarquables, tient de l’image d’Épinal, l’une des conclusions pour une meilleure cohabitation est simple. Elle n’est pas une résolution mais une des clés : la communication. Les différents entretiens ont fait paraitre des juxtapositions plutôt que des imbrications. L’une des plus évidentes est celles des habitants avec le plateau agricole, alors que dans la pratique, ils l’utilisent fortement et ils lui vouent une place particulière. L’agriculteur interrogé déplore que « les gens soient enfermés » car ils sont « en ville entre guillemets », et qu’alors, au moment où ils « sortent », ils ne comprennent pas que les champs soient des outils de travail. Les termes qu’il emploie montre à quel point la scission qui est vécue est grande. Il précise également : « j’ai rien contre les gens qui viennent d’ailleurs, mais c’est quand même beaucoup les gens qui sont venus s’installer y a 10-20 ans à Guillestre qui font ça (marcher sur les cultures) plus que les gens qui sont vraiment du pays. Ou alors les gens qui étaient du pays, et qui sont partis en ville et quand ils reviennent, ils veulent leur liberté. Les gens qui sont vraiment toujours resté là, ils ont vu l’évolution, ils respectent plus je pense. Ils connaissent. Mais donc c’est pour ça, y a quand même une histoire sur l’information. On va pas leur donner raison, mais faut quand même communiquer plus, parce qu’après ils ne prennent que les avantage d’habiter sur le plateau ». Ce témoignage renvoie bien évidemment au chapitre 2 qui questionne sur la place des natifs et des non-natifs. Il est intéressant d’accorder, ici, un peu plus de réflexions autour de l’entretien même avec cet agriculteur. Cet échange a pu se réaliser grâce à un facilitateur de poids : Madame la maire. L’agriculteur rencontré, également membre à la chambre de l’agriculture, a été réactif en répondant à l’invitation, et n’a pas hésité à accorder plus d’une heure de son temps. On peut donc supposer une certaine ouverture et une mise à distance des préjugés natifs / nonnatifs et agriculteurs / non-agriculteurs (ou NIMA (29)), pour ce fils d’éleveur Haut-Alpin. Néanmoins, des idées demeurent, culturelles ou empiriques, notamment sur le besoin de sanctionner, évoqué comme solution à différentes reprises par l’interlocuteur. Cela dit, et sans nécessairement chercher à terminer sur une note positive, il reconnaîtra en fin d’échange : « Mais en même temps faut prendre la décision si les gens promènent ou promènent pas. Moi si j’ai pas de panneaux à la ferme, c’est parce qu’en discutant y a des gens qui arrivent et qui consomment. Si demain on interdit le plateau à tout piéton, voilà. C’est aussi se couper un peu l’herbe sous les pieds. Il faut rester ainsi, corrects ».

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Une petite commune, comme terrain de la Démocratie, doit alors être ordonnée par des conditions qui permettent la co-présence et la cohabitation des expressions et des individus. Une relation peut être établie avec les conditions que décrivent Michel Lussault et Jacques Lévy autour de l’espace public. Pour eux, celui-ci est comme une métonymie de la mondialité et reproduit à son échelle la capacité et le degré de vie sociale. Bien qu’il soit un lieu de rencontre, il est nécessairement conditionné par la civilité (« retenue silencieuse, évitement circonspect, attention discrète plutôt que publicité citoyenne ») et par la possibilité d’anonymat. « Cette séparation au travers de multiples seuils et sas, entre sociabilité avec autrui et sociabilité avec soi-même, aura fait de la ville (et singulièrement de la ville européenne du Moyen-Age à aujourd’hui) la force propulsive du couple individu/société face à la communauté » (Lévy, Lussault, 2013). L’anonymat est en effet une valeur revendiquée par les Guillestrins, et qui, malgré la proximité des espaces naturels où il est aisé de se retrouver seul, manque à certains des habitants. Les ateliers participatifs ont en effet mis au jour les trajets d’évitement de certains des participants pour ne pas se faire « alpaguer au bar », et l’une dira : « c’est vrai que ça me manque des fois, d’être avec mon livre en ville et que personne ne me reconnaisse ». D’une certaine manière, si l’anonymat urbain est basé sur la coprésence et demeure solitude de l’esprit, l’anonymat Guillestrin n’est réellement possible que dans la solitude physique.

(29) NIMA est employé en agriculture pour désigner les personnes Non Issues du Milieu Agricole


CONCLUSION 142

Conclusion

« Comment qualifier les espaces publics des villes de montagne ? Recherches appuyées sur Guillestre, commune de la vallée de la Haute-Durance. » A l’orée de ce travail, l’espace public était perçu comme une typologie d’espace avant tout urbain, aussi évidente que la rue ou la place. La conviction qui sommeillait, et qui a guidé la stratégie mise en place, demeurait dans l’importance accordée aux usages. Plus encore que le statut juridique du sol, ce sont les pratiques et les appropriations portées qui prônaient. Avec une telle conception, conjuguer ces espaces au territoire montagnard était l’invitation à de nombreux préjugés. « Montagne » et « espace public », soit « environnement sauvage » et « milieu urbain » relevait de l’oxymore. Cette question revenait : quel peut être l’intérêt des espaces publics dans des communes de petites tailles, où la beauté et les activités accessibles du grand paysage ne sont qu’à quelques minutes à pied ? En effet, l’imaginaire du territoire montagnard est particulièrement prépondérant, en témoigne les questions que le sujet de ce mémoire a suscité. Pour deux architectes Haut-Alpines, le terme de « ville » semblait peu approprié pour la région. Outre la question de l’échelle, l’univers montagnard semble si important que ses villes ne sont pas toutes perçues comme telle. Ce phénomène se retrouve dans la perception de village alpin que les habitants de Verdier (Suisse) ont de leur commune et leur impression de « petit chalet », alors que la figure urbaine s’approche d’avantage du pavillonnaire que du hameau d’alpage (Pia, 2019). A Guillestre, lorsqu’il a été proposé aux volontaires des ateliers de dessiner leur ville, le réseau routier apparaissait chez chacun, structure du dessin, et du quotidien. Ce même exercice a été reporté sur internet. Etant impossible de faire dessiner les individus depuis le questionnaire en ligne, une alternative a été trouvée. Cinq représentations de la ville été proposées avec la question suivante : « si vous deviez dessiner Guillestre vous commenceriez par… ». Seulement 4 des 63 participants ont choisi une représentation avec le réseau viaire. Il y a donc un décalage entre le territoire revendiqué ou perçu, et le territoire vécu. Le caractère montagnard semble transcender la dimension urbaine de la réalité. Il s’agit à présent de retrouver de l’objectivité, et de qualifier les espaces publics des villes de montagne, appuyé sur l’exemple de la commune valléenne de Guillestre, dans la Haute-Durance. Tout d’abord, les espaces publics que l’on trouve à Guillestre ne se résument ni à des localisations dans le tissu urbain, ni à des formes urbaines. Ils peuvent être localisés en dehors des zones bâties (plateau agricole, relief forestier), et être naturels ou agricoles (torrent dans le centre-ville, terrain agricole en friche entre deux habitations) sur l’ensemble de la commune. Nous avons identifié 8 tendances réparties entre les espaces publics situés dans le tissu urbain bâti et en dehors. Ils ne doivent pas être perçus en opposition, mais en complémentarité. 1/Dépendance de la vision urbano centrée Les espaces publics alpins, du moins dans leur spatialisation, ne sont pas délaissés. Un retour historique a permis de démontrer que leur aménagement est un fait urbain récent. Avant le 19e siècle, les rassemblements se faisaient dans les églises, dans leurs cimetières accolés ou sous un porche. Les places publiques ne sont arrivées que lorsque les communes ont dû suivre les normes hygiénistes des villes de plaine, délocalisant leur cimetière en extérieur de bourg. Le vide généré entre les bâtiments était avant tout fonctionnel, que ce soit pour la communauté (terrer les voies contre le verglas) ou pour les familles (extension de l’habitation, dépose des outils agricoles…). Le phénomène pouvait être tel que les remparts de la ville de Guillestre ont été totalement absorbés par les maisons ( Barre, Feuillassier, Moyne, Meyer-Moyne, 2000).L’importance accordée aux espaces publics est corolaire à l’évolution de la vision urbano-centrée portée sur le territoire montagnard, et à la conception de ces espaces depuis la ville. Au même titre que l’espace public connait un regain d’intérêt depuis des années en ville de plaine, cet engouement se fait de plus en plus ressentir en montagne, en témoigne l’usage d’outils de projet type « bottom-up ». Il est également une vision encore inégalement répandue mais grandissante : c’est la reconnaissance des espaces publics dans l’ère concurrentielle des villes, qui plus est dans un territoire touristique. L’espace public comme fabrique d’images, l’espace public comme vitrine de la ville à la valeur marchande. Cette double dimension profite à la fois aux habitants, puisque l’action est portée sur l’amélioration de leur cadre de vie, mais aussi aux touristes, puisque leur séjour est facilité et embellit. Des objets urbains participants au récit patrimonial sont par exemple exposés, comme des


2/ Changements des logiques d’échelles et d’implantation autour du transport Opérés depuis les années 1960/70, ils sont aujourd’hui largement inscrits dans le paysage naturel et urbain. Alors que les circulations sont essentielles au développement de ces territoires, la place accordée aux véhicules est telle que le réseau viaire n’agit plus seulement comme lien mais aussi comme fracture. Le débat autour des déviations se pose, comme celle demandée à la Roche-de-Rame depuis des années, pour réunifier un village scindé en deux. Rappelons toutefois que ces déviations sont parfois l’objet d’une perte d’activité comme à Aiguilles, où l’on « ne passe plus ». Un entre-deux est à inventer, pour que les accès soient ouverts, mais s’adaptent à l’échelle et au rythme de la commune traversée, pour en devenir l’un des composants. Également, les logiques routières sont devenues si indépendantes et si imposantes que, non seulement elles nient l’existant, elles réduisent les réalités vécues à une ligne, les habitants étaient capables de citer le nombre exact de ronds-points plus que de décrire l’environnement traversé, et elles régissent le développement urbain récent. Une partie des équipements nécessaires se connecte désormais aux routes majeures et à leur échelle. Nous avons vu une boutique d’alimentation bio fermer dans le centre Guillestrin pour investir un des grands bâtiments en tôle desservi par la Nationale. Il demeure néanmoins que, malgré les « places-parking » produites, la saturation du stationnement, l’impact visuel, sonore, et les trajets d’évitement opérés par les piétons, la voiture reste indispensable dans ces territoires. 3/ Disparition de la géographie Avant la moitié du 20e siècle, l’agriculture était privilégiée (conservation des terres cultivées sur les parcelles les plus ensoleillées, les plus planes, et les plus riches d’alluvions en fond de vallée), le relief intégrait les implantations (villes protégées sur les verrous glaciaires, usage de la pente pour les étages des maisons), et la donnée climatique régissait la construction (densité de l’habitat). L’heure est aujourd’hui au terrassement et à la duplication de maisons individuelles espacées sur les terres ensoleillées. Le caractère géographique est évacué. Alors que des procédés fins et plurifonctionnels étaient mis en place, faisant de la contrainte une opportunité (gargouille pour évacuer la neige fondue et prévenir des risques d’incendie), celle-ci est aujourd’hui à rendre invisible (sel). Les dispositifs sont devenus génériques (système de raquette pour les demi-tours des déneigeuses) et dessinent les communes. On comprend alors mieux la rupture ville/montagne vécue même à l’échelle Guillestre/plateau agricole, malgré la connaissance fine, l’usage fréquent et l’appartenance au cadre familier de ce plateau par les Guillestrins. 4/ Le périurbain à la montagne Les communes deviennent à la fois l’incarnation du rêve pavillonnaire, et la réalité du développement pensé par secteurs et par opportunité. Les entrées de villes sont des « zones », et les communes sont découpées par type de quartier dont l’espace public demeure le vide. Si les divisions urbaines sont historiques aux territoires (chaque village était composé de hameaux à la surface régulée et limitée), les entités créées étaient autonomes et agissaient comme des communautés. A l’inverse, les découpes contemporaines sont aussi sociales, phénomène d’autant plus marqué dans un territoire où la valeur du terrain est particulièrement variable (quartier « riche » de Guillestre sur les terres plus ensoleillées, vue, planéité). La lecture de la ville est alors requestionnée dans son échelle, dans ses fonctions, et dans ses limites. A Guillestre, les ateliers ont laissé paraitre trois types de repères aux limites de la ville : celles du centre historique (tracé des anciens remparts), celles des équipements (le Carrefour, le gymnase), et celles des infrastructures routières (ronds-points). Au-delà de la forme périurbaine émergente, ce sont les aspirations et les besoins des habitants qui soulignent ce phénomène. Le mode de vie des Guillestrins correspond largement aux analogies soutenues par Manfred Perlik ou Eric Charmes quant à la gentrification alpine et la citadinisation (Perlik, 2011 et Charmes, 2019). Bien qu’une forme de contrat tacite soit reconnue, comme l’acceptation de moins de transport en commun ou la reconnaissance d’impossibilité d’anonymat, des demandes demeurent quant à la possibilité de plus d’usages. Celles-ci sont principalement localisées dans le centre-ville, où ils semblent plus stériles et limités. Or, quand bien même le souhait d’espaces de la proximité et de sociabilité est formulé (espaces verts, circuits courts, tiers-lieux), il fut intéressant de noter durant les ateliers que les participants ne semblaient pas réaliser la propre place qu’ils constituent chacun dans le paysage social Guillestrin. On touche là aux limites de l’espace public qui sont plus spécifiques à ce siècle qu’à Guillestre.

CONCLUSION 143

reliques industrielles à l’Argentière-La-Bessée, ou d’anciens « œufs » des remontées mécaniques de Vars. Pour autant, le patrimoine plus authentique n’est pas toujours valorisé, comme les nombreuses cabanes agricoles de Guillestre. Si réaménager son espace public alpague le client, il tente aussi de dessiner le décor de la population de résidents que l’on veut fixer, comme en témoigne la réhabilitation du boulevard Pasteur d’Embrun réalisée « comme à Aix-en-Provence ».


CONCLUSION 144

5/ L’opportunité agricole La présence de l’héritage agricole guillestrin dans le tissu bâti crée un porosité et maintien des espaces à échelle humaine (petite parcelle en friche, sentier d’entretien du canal qui traverse entre les clôtures du pavillonnaire, chemins inter quartiers…). Ces confrontations entre urbain et agricole sont inédites et fabrique à l’échelle de la ville des liaisons. En effet, si les communes ont tendance à être découpées en secteurs bien distincts, l’agricole, de par son langage commun et, qui plus est local, lorsqu’il est le témoin de pratique et de patrimoine (cabanes agricoles) ou de cultures endémiques, fédère et crée une cohérence globale. 6/ La multiplicité des usages Le contexte montagnard enrichit les types d’espaces et donc d’usages de la ville. Cette complémentarité est essentiellement externalisée. Les types d’actions, dont les exemples cités proviennent des ateliers, relèvent du sport (site d’escalade), du jeu (cerf-volant dans un champ), de l’introspection (regarder le paysage depuis le haut du Pain de sucre), de l’interaction (balader entre copains sur le plateau agricole), de la culture (festival des Artsgricoles sur le plateau, faire du Land Art), répondre au besoin d’extérieur (prendre l’air le long du torrent), et à l’envie de rencontre avec la nature (sortie nocturne pour aller écouter le Grand-Duc sur le plateau). Cette multiplicité est générée par la diversité formelle des espaces et des ressources qui permet de s’isoler seul, en groupe familier, favorisant la spontanéité des usages et l’informel. La neige est également un grand catalyseur d’usages, aussi bien en extérieur que dans le tissu bâti. Les pratiques générées sont de natures variées, du divertissement au fonctionnel, et des enfants aux adultes (déneigement des particuliers qui anime les rues au matin, escalader les tas de neige formés par la DDE, marcher en raquettes dans la rue, luge sur un champs…). 7/ L’intensité de la sociabilité Les analyses ont mis en exergue l’applicabilité du concept de sociabilité diffuse de Denis Delbaere dans le territoire Guillestrin, de par cet éclatement des usages. Néanmoins, si cette idée en ville de plaine génère, selon l’auteur, un affaiblissement de la vie sociale comme cadre d’échange et serait le témoin d’une « solitude collective » de par ces distances gardées avec autrui (Delbaere, 2010), ces conclusions sont requestionnées à Guillestre. Les théories avançant que le paysage joue un rôle fédérateur pour les individus (Charmes, Besse) ont largement été vérifiées lors des ateliers et des questionnaires, où 46% des nouveaux habitants affirment que ce qu’ils ont le plus changé depuis leur arrivée est le rapport à la nature, et 48% des participants s’accordent à dire que si l’appropriation des espaces publics est possible, c’est que les Guillestrins ont l’habitude d’être dehors et qu’il existe un respect implicite et partagé de l’environnement. La montagne réunissait les humains par ses contraintes, elle le fait aujourd’hui, d’avantage encore, par les intérêts qu’ils défendent. L’autre est finalement notre alter ego. A une autre échelle, c’est ce phénomène que l’on retrouve lorsque l’on croise un randonneur sur un sentier, et qu’un échange d’expérience autour de la beauté et des obstacles rencontrés s’opère. La proximité sociale n’est pas affichée par la concentration physique des individus dans un même lieu, mais par la forte fréquentation de l’espace public. 8/ Les nouveaux communs La notion d’espace public connait une notoriété qui interroge. Si l’usage abusif de cet outil relève d’avantage du marketing urbain, il ne peut être minoré la demande récurrente des habitants de toutes communes de « plus d’espaces de rencontre ». Pourquoi cette demande aujourd’hui, et qu’est-ce qu’une espace de rencontre ? Si le mémoire ne s’aventure pas à formuler une réponse, des phénomènes ont été observés. La mutualisation était vitale en montagne face aux éléments. Si elle ne l’était pas, elle pouvait être imposée, comme les fours banaux obligatoires, et dont la construction de four individuel était prohibée. Quels espaces génèrent le plus de rencontres aujourd’hui, dans l’ère de l’individualisation des modes de vie ? Quels besoins ne peuvent être assoiffés individuellement et créent, de ce fait, de la sociabilité sur l’espace public ? Il y a évidemment l’offre culturelle et les animations générées par les lieux liés à la restauration (bars, cafés...). Les activités liées au sport sont également fédératrices (du terrain de pétanque aux rassemblements de coureurs dans les parcs ou sur des quais, murs d’escalade) et l’environnement montagnard en est un socle important. Ces exemples tiennent du récréatif. Un autre besoin mène à la rencontre, c’est l’achat de nécessités. La rencontre est subie car elle n’est pas choisie. Cela dit, des échanges apparaissent, d’autant plus dans cette époque où le Covid a largement réduit les lieux de la sociabilité au supermarché. A Guillestre, ce phénomène est accru car la petite échelle de la ville crée de la proximité. Les rapports avec les commerçants sont revendiqués par les habitants, comprenant le Carrefour du centre-ville. Outre l’intérieur du bâtiment, l’activité du parvis profite à la ville,


Conjuguer l’espace public au territoire Guillestrin a requestionné cette notion sur son statut et sur ses limites. Une première question a alors émergé : les usages du lieu sont-ils plus importants que son statut ? L’une des spécificités Guillestrines est la complexité de ses limites privé/public. Sa perception est mouvante suivant les saisons (les agriculteurs acceptent d’avantage que leurs terres cultivées soient traversées l’hiver, les clôtures sont retirées), les activités (domaine skiable valorisé, traversée pour les sports de pleine nature autorisée), et son cadastre est vieux et hyper morcelé (acceptations des générations nouvelles quant à l’usage de voies de traversée, oublis de la propriété ou au contraire demande de compensation). L’usage prédomine parfois sur le statut, à tel point de ces habitudes s’ancrent dans le quotidien de la commune (promenades sur les voies privées du plateau agricole). Il résulte deux phénomènes de cet entre-deux. Le premier est la sur-représentation de la propriété. La transgression mène à l’usure des propriétaires qui marquent d’autant plus leur territoire. Cela peut-être d’autant plus vrai quand la propriété en question est le terrain de ressources, dans un territoire où la valeur des parcelles varie fortement. Le second phénomène est à l’inverse l’imbrication. Celles-ci renvoient aux contrariétés de privé/public, intime/ extime et individuel/social mises au jour par Michel Lussault et Jacques Lévy (Lévy, Lussault, 2013). Comme les auteurs l’avançaient, ces notions s’entrecroisent. Un délaissé forestier est un espace public mais permet de l’intimité au promeneur, ce que vont trouver nombre des guillestrins au pied du Cugulet. Également, certains habitants cherchent une confrontation aux autres et de l’extimité lorsqu’ils pratiquent l’activité de l’escalade, perçue par certains comme individuelle. Ces trois contrariétés, croisées avec la fréquentation ou la non-fréquentation d’un lieu généré par ses usages, créent un large panel de perceptions de l’espace public. Une desserte bitumée d’un quartier pavillonnaire de Guillestre est-elle d’avantage perçue comme espace public qu’une voie terrée, juridiquement privée, mais empruntée par tous sur le plateau agricole ? Si la ressource commune génère de l’activité, puisqu’elle rime avec nécessité et gestion, voire entretien, donc présence plus ou moins importante de l’humain, les imbrications des types d’usage sont eux aussi catalyseurs d’évènements urbains, de pratiques, et de diversités des activités. L’espace public, comme socle d’usages, parait plus intense et s’en trouve enrichit. L’émergence d’un large panel d’espaces, notamment agricoles et naturels, a amené à s’interroger sur la mesure de ces espaces. L’espace public a-t-il une échelle ? Cette question résonne de deux manières sur le territoire Guillestrin. La première est directement liée au paysage. Différents habitants ont avancé qu’il n’y avait « rien à faire » dans le centre-ville, constat qui ne fut jamais évoqué lorsque les espaces naturels et agricoles étaient le sujet. Guillestre regorge évidemment d’établissements qui produisent de l’activité ponctuelle sur les trottoirs. L’activité perçue semble alors n’être liée qu’à ces lieux, entourés de vides. Au même titre, le plateau agricole ne propose que des déambulations entre ses parcelles, et certaines polarités sont localisées, comme les sites d’escalade ou les zones de pêche. Pourtant, la sensation de « faire quelque chose » est plus présente dans la déambulation entre deux champs qu’entre deux alignements de façades. Le paysage rend l’ensemble du moment et de l’itinéraire productif, alors que les itinéraires dans le tissu bâti sont avant tout là pour la destination qu’ils desservent. Ce phénomène a été observé dans les résultats des ateliers qui interrogeaient sur l’aire dans laquelle les individus se déplacent à pied, et leur trajet piéton le plus fréquenté. Il va sans dire que cette aire était bien plus importante que celles des trajets usuels piétons. Elle dépassait la surface du Guillestre bâti avec, pour limites, le plateau agricole plutôt qu’une équidistance autour des habitations des participants. Si on ne peut avancer que le paysage comble un vide et amenuit la sensation d’effort, on peut néanmoins supposer qu’il modifie les perceptions physiques et temporelles. En somme, il induit un autre système d’échelle. En s’appuyant sur les hypothèses développées par Denis Delbaere, l’échelle du paysage peut-elle être appliquée voire

CONCLUSION 145

et le parking du Carrefour est l’un des lieux où les plus jeunes se réunissent. Si l’on extrapole ces observations, nous pouvons citer les mutualisations locales historiques (les églises faisaient office de mairie, les cimetières étaient les lieux de réunion extérieurs), ou contemporaines (la cour de l’école de Guillestre sert de cinéma plein air l’été). Des espaces publics qui ne cloisonneraient pas les fonctions par une répartition trop précise des actions permettent alors une forme de résilience des usages. Pour finir, la notion de tiers-lieux a été évoquée à différentes reprises par les habitants, dont certains étaient originaires de la région, comme la quintessence de la sociabilité. C’est en offrant des réponses qui ne pourraient être trouvées ailleurs que le tiers-lieu urbain génère le maximum d’échanges. Le glissement des logiques de l’individu agricole à l’individu citadin pourrait mener à penser un espace qui mette en commun la matière grise.


CONCLUSION 146

confondue avec celle de l’espace public dans le territoire Guillestrin ? Si la conception de ces espaces inclus de nouvelles formes (agricoles, naturelles), de nouveaux usages, et si le paysage est perçu comme matière avec un système d’échelle distendu, peut-on considérer que l’entièreté de la commune accessible au public est espace public Guillestrin ? Une telle conception renverse la lecture de la vallée, finalement plus sauvage et ponctuée de villes et villages reliées par les différents réseaux, mais comme continuité anthropisée. D’une certaine manière, cette logique n’est-elle finalement pas déjà en place, puisque les habitants se sentent Haut-Alpin avant d’être Guillestrin ? Une identité globale demeure, renforcée par les modes de vie éclatés entre les différentes centralités de la vallée. On vit à Eygliers, on amène les enfants à l’école de Guillestre, on fait le plein d’essence à Embrun et on travaille à la station des Orres. Là où le périurbain est développé et tributaire d’une ville centrale, généralement une métropole, les communes de la vallée semblent interdépendantes entre elles, et former une seule et même entité dispersée sur 47km. Néanmoins, une réelle autonomie est discutable. Cette ville-vallée serait-elle réellement indépendante, ou demeure-t-elle le périurbain d’un ensemble de métropoles (Marseille, Aix-en-Provence, Nîmes…) d’où elle puiserait sa ressource économique et financière (les touristes et les résidents secondaires y dépensent leurs ressources financières gagnées dans ces communes) ? L’espace public Haut-Alpin doit-il se penser dans une double échelle, en retrouvant à la fois de l’hyper localité et de la géographie, tout en concourant à une logique de surface et de liens à l’échelle de la vallée ? Cela demanderait alors un travail de fond sur l’échange et la communication entre les différents acteurs, afin que les entre-deux perçus produisent des opportunités plutôt que des conflits profonds. Également, penser à une échelle large ne doit pas dire avoir la main mise sur tous les espaces. L’inédit et l’informel naissent des limites non définies et des imbrications des différents types d’espaces. Ces zones de frictions produisent la réinvention d’usages et une sociabilité résiliente. Si confirmer la spécificité montagnarde serait le fruit d’un travail de comparaison, il est cependant important de le relever, « parce que c’est là » (30).

(30) George Mallory est un des premiers alpinistes britanniques a avoir entrepris l’ascension de l’Everest en 1924. Dans une conférence à New York, il a répondu aux journalistes, qui lui demandaient sans relâche pourquoi il voulait escalader le mont Everest, « Parce qu’il est là » (Because it’s there). Ce sont les quatre mots les plus cé-lèbres de l’alpinisme.


CONCLUSION 147 Figure 217. UNE PRATIQUE QUI REQUESTIONNE LES DIMENSIONS DE L’ESPACE PUBLIC, session grimpe à St Crépin.


BIBLIOGRAPHIE 148

BIBLIOGRAPHIE

Le corpus de ce mémoire s’est étiré entre différents types de sujet pour couvrir une problématique encore peu traitée. Quatre champs de lecture ont guidé les recherches: l’environnement montagnard, la néo-ruralité, l’espace public et les espaces communs. Un cinquième sujet est apparu, qui mériterait ses lectures si les réflexions venaient à être développées, c’est la forme spatiale du périurbain, avec notamment l’entre-ville de Thomas Sieverts. Des lectures ont particulièrement articulé le mémoire présent. Il s’agit chronologiquement de «Massifs en Transition» (Diaz, 2018) qui posa les bases de la situation charnière dans laquelle se trouvent les des villes de vallées en France. Il y eu ensuite «La revanche des villages, essai sur la France périburbaine» (Charmes, 2019) dont l’approche sociologique a permis de nommer certains phénomènes à Guillestre. «La fabrique de l’espace public, ville, paysage et démocratie» (Delbaere, 2010) a initié les réflexions spatiales les plus importantes de ce travail. Cet ouvrage, qui a été lu en début et en fin de mémoire, a permis d’aborder l’espace public Guillestrin sous un regard nouveau, une échelle et une dimension paysagère. Les réflexions de l’auteur ont ensuite été requestionnées au prisme du territoire étudié. Parallèlement, la découverte d’un ouvrage, aujourd’hui plus édité, et réalisé dans le cadre de l’Inventaire Général de la Drac «L’Habitat du Nord des Hautes-Alpes, patrimoine architectural et mobilier» (Malle, Heller, Roucaute, Pegand, 1999) a été essentiel pour comprendre l’évolution des formes et des pratiques de l’espace public du territoire. Le dernier sujet apparu, fruit des recherches qui l’ont précédé, fut celui des communs, largement appuyé sur «Paysages en commun, Les Carnets du paysages n°33» (Besse, 2018). Pour finir, les entretiens ont été déterminants pour appliquer plus finement la théorie au terrain spécifique des Hautes-Alpes.

Livre

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Entretiens

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BIBLIOGRAPHIE 149

Article dans une revue


DéTAIL DES FIGURES 150

détail des figures Figure 1. Château de Castelgrande, Bellinzone, Suisse. Cet édifice a été restauré entre 1984 et 1991 par Aurelio Galfetti. La photographie ne présente pas la célèbre entrée dessinée par l’architecte dans la paroi, mais plutôt le caractère minéral du site. En effet, Galfetti n’a pas hésité à abattre les arbres qui recouvraient le promontoire pour valoriser le château et rendre son sens et sa cohérence au site. L’acte architectural est radical et à l’échelle du site. Cela pose toutefois la question : jusqu’où le geste de l’architecte peut-il être justifié pour révéler le lieu, et son regard est-il nécessairement le plus légitime ? Figure 2. Ancien club Med de Cap de Creuse, Catalogne, Espagne. Sur le site présent se trouvait un Club Med construit en 1980, à la capacité d’accueil de 900 personnes. En 2005, le site a été racheté par le gouvernement en vue de sa renaturation. Le paysagiste Marti Franch a été en charge du projet. La photographie met en avant l’écoute et la mise en valeur des éléments du site généré par l’acte architectural. La matérialité du projet est cela dit moins en cohérence avec l’intention, puisqu’il s’agit d’acier corten. Rendre son sens à un paysage est-il dans le rendu ou dans la mise en œuvre de ce rendu? Figure 3 . UN SITUATION EUROPEENNE STRATEGIQUE ENCLAVEE DANS LE TERRITOIRE NATIONAL - Production Projet de Fin d’Etudes de V.Rognard et G.Privat. Figure 4. CLIMAT MEDITERRANEEN DE MONTAGNE. - Production Projet de Fin d’Etudes de V.Rognard et G.Privat. Figure 5. UNE CROISSANCE DEMOGRAPHIQUE CONTINUE. Production Projet de Fin d’Etudes de V.Rognard et G.Privat. Figure 6. UNE CAPACITE D’ACCUEIL LIMITEE. Production Projet de Fin d’Etudes de V.Rognard et G.Privat. Figure 7. LE SECONDAIRE SYMPTOMATIQUE DE LA CONSOMMATION TOURISTIQUE DU TERRITOIRE DES HAUTES ALPES - Production Projet de Fin d’Etudes de V.Rognard et G.Privat. Figure 8. UNE GEOGRAPHIE VARIEE QUI MULTIPLIE LES PAYSAGES - Production Projet de Fin d’Etudes de V.Rognard et G.Privat. Figure 9. CONFLUENCE DE LA VALLEE DU GUIL ET DE LA DURANCE, Depuis Saint Clément-sur-Durance. Production personnelle de G.Privat. Figure 10. FORMATION EN «VILLAGE TAS» (La Font), ET EN «VILLAGE RUE» (Vars Ste Catherine) - Photographie personnelle de G.Privat et Rémi Morel photographie. Figure 11. SANS TRANSITION SUR LA RUE, Vallouise - Photographie personnelle de G.Privat. Figure 12. L’AGRICOLE DANS LA RUE, Guillestre – Photographie tirée de l’ouvrage de BARRE André, FEUILLASSIER Joseph, MOYNE Eugène, MEYER-MOYNE Raymonde. (2000). Guillestre. Aix en Provence : Groupe Verneuil-Calade Figure 13. LES FETE, LES JARDINS DU TISSU URBAIN, Vallouise - Photographie personnelle de G.Privat. Figure 14. LE CIMETIERE DEVIENT PLACE, Vallouise – Photographie personnelle de G.Privat. Figure 15. TOUR DES COMMUNES D’EMBRUN A L’ARGENTIERE-LA-BESSEE, Non exhaustif - Vue aérienne issue de Géoportail. Production personnelle de G.Privat. Figures 16 à 21. PORTRAIT D’EMBRUN. Respectivement : Vue depuis les parcelles agricoles sur le « Roc » qui porte la ville historique / Place devenue le parking d’un supermarché en centre-ville / Parvis de la cathédrale en galets / Caméra de surveillance suspendue à un arbre autour du plan d’eau artificiel / Vue sur la ville basse d’Embrun depuis le plan d’eau / Place de la mairie - Photographie personnelle de G.Privat. Figure 22. NIMES, Boulevard Gambetta - Photographie personnelle de G.Privat. Figure 23. EMBRUN, Boulevard Pasteur - Photographie personnelle de G.Privat. Figure 24. GUILLESTRE, Comparaison vue aérienne de 1965 et de 2020 - Vues aériennes issues de Géoportail. Figure 25. REDUCTION DE L’AGRICOLE, Mitage agricole opéré depuis les années 1965 par l’urbanisation - Production Projet de Fin d’Etudes de V.Rognard et G.Privat. Figure 26. UN CHANGEMENT DES LOGIQUES, Changement des logiques vers le fond de vallée, en faveur de l’infrastructure routières et des « zones » bâties à cette échell - Production Projet de Fin d’Etudes de V.Rognard et G.Privat Figures 27 à 32. PORTRAIT DE GUILLESTRE. Respectivement : Vue sur le torrent du Rif-Bel / Décoration urbaine festivale rue Maurice Petsche / Ruelles du centre historique / Passage couvert des rues plus tortueuses du Sud du


DéTAIL DES FIGURES 151

centre-ville / Plateau du Simoust / Centre-ville depuis Risoul - Photographie personnelle de G.Privat et V.Rognard. Figures 33 à 34. PORTRAIT DE RISOUL. Respectivement : Vue vers la mairie de Risoul / centre de Risoul Basse-Rua - Photographie personnelle de G.Privat et V.Rognard. Figures 35 à 36. PORTRAIT DE MONTDAUPHIN. Respectivement : Rue centrale et sa gargouille / Remparts à l’entrée de Montdauphin - Photographie personnelle de G.Privat et V.Rognard. Figures 37 à 38. PORTRAIT DE SAINT CREPIN. Respectivement : Réhabilitation d’un alignement d’habitations / Place de l’église sur le Promontoire - Photographie personnelle de G.Privat et V.Rognard. Figures 39 à 42. PORTRAIT DE L’ARGENTIERE-LA-BESSEE. Respectivement : Hôtel de la Mairie sur la rue principale / Paris de la mairie / Place principale et son kiosque / Vue depuis l’ancien site industriel de Péchinay - Photographie personnelle de G.Privat et V.Rognard. Figures 43 à 48 : LES NOUVELLES ECRITURES URBAINES ET ARCHITECTURALES. Respectivement : Implantations endémiques ( centre historique sur parcelle pentue de St Crépin et hameau de La Font positionné suivant les derniers rayons de soleil) / Renouveau des morphologies urbaines ( site industriel en bord de Durance à L’Argentière-La Bessée et pavillonaire à Guillestre) / Architectures génériques ( maison individuelle à Guillestre et lot pour le projet cœur de ville à Briançon) - Photographie personnelle de G.Privat et V.Rognard. Figure 49 : UNE PERTE D’IDENTITE: entre déséquilibre (poids des parcs et des stations) et polymorphie (diversité des formes et des cultures urbaines) - Production personnelle de G.Privat. Figure 50. UN TISSU RENDU POREUX PAR L’HÉRITAGE AGRICOLE. Guillestre - Photographie personnelle de G.Privat et V.Rognard. Figure 51. DES INFRASTRUCTURENT QUI NIENT L’EXISTANT. Déviation autour de Guillestre - Photographie personnelle de G.Privat et V.Rognard. Figure 52. LA VILLE NOUVELLE DU PLAN D’EAU D’EMBRUN. La découpe de la ville par secteur est visible, en l’occurrence ici, le quartier sorti de terre avec l’apparition du lac de SerrePonçon suite à la construction du barrage en 1960 - Photographie de Rémi Morel photographie. Figure 53. REQUALIFICATION DU BOULEVARD PASTEUR. Embrun. Etude de définition par le cabinet Garcin et Corom et Atelier Azimuts, 2010 - Photographie personnelle de G.Privat et V.Rognard. Figures 54. REQUALIFICATION DE LA RUE MAURICE PETSCHE. Guillestre. Etudes pilotées par Harold Klinger en 2011 et requalification réalisée par Jean-Pierre Bouchet en 2016 - Photographie personnelle de G.Privat et V.Rognard. Figure 55. CONSTRUCTION D’UNE MEDIATHEQUE. Dans le cadre du projet cœur de ville de Briançon. Conception de l’agence lyonnaise Gauthier + Conquet réalisé en 2019 - Photographie personnelle de G.Privat et V.Rognard. Figure 56. REQUALIFICATION URBAINE. Dans le cadre du projet cœur de ville de Briançon, réalisation de logements collectifs et aménagement des espaces publics - Photographie personnelle de G.Privat et V.Rognard. Figure 57. INVESTISSEMENT DE L’ESPACE PUBLIC, l’exemple d’Aiguilles. – Google street view. Figure 58. INVESTISSEMENT DE L’ESPACE PUBLIC, l’exemple de Guillestre. - Photographie personnelle de G.Privat et V.Rognard. Figures 59 et 60. LE HAMEAU DE DORMILLOUSE DANS LES ECRINS, hameau aujourd’hui habité qu’à l’été qui voit passer nombreux randonneurs et alpinistes - Photographie personnelle de G.Privat. Figures 61 à 63. TEMOIGNAGE DU CHANGEMENT DE POPULATION, lecture au travers les offres commerciales et les enseignes, succession du même local ( « ED » 2008, « Dia » 2013, « Intermarché Bio » 2020) – Google street view et photographie personnelle G.Privat. Figures 64 à 72. OBSERVATIONS IN SITU COMPLETEES D’INFORMATIONS SUR L’ACTIVITE OBSERVEE AU MOMENT DU CROQUIS, LES CONDITIONS METEOROLOGIQUES. Guillestre, Briançon, Réotier, Embrun et Vars. / Entrée de Guillestre coté N94, vue sur Risoul / Place piétonne de la rue Centrale de Briançon / Concert de corps des Alpes dans la forêt de Réotier / Intersection du square de la Plantation de Guillestre, depuis le centre historique / Place piétonne de l’office du tourisme (J.Salva) de Guillestre / Place Albert de Guillestre / Intersection du square de la Plantation de Guillestre, depuis la rue du Queyron / Guillestre vue depuis son plateau agricole / Sentier de randonnée raquette de Vars, torrent du Vallon Figures 73 et 74. UN LOCAL POUBLIC POUR LES ATELIERS. - Photographie personnelle de G.Privat. Figure 75. AFFICHE POUR LES ATELIERS. - Production personnelle de G.Privat. Figure 76. PUBLICATION DANS LE JOURNAL LOCAL DU DAUPHINE LIBERE. - Photographie personnelle de G.Privat. Figures 77 et 78. JEU A TOUR DE ROLE. - Photographie personnelle de G.Privat.


DéTAIL DES FIGURES 152

Figure 79. RESULTATS DE L’ACTIVITE 1: LES LIEUX QUI FONT «ADRESSE». - Production personnelle de G.Privat. Figure 80. RESULTATS DE L’ACTIVITE 2: REPRESENTER (SON) GUILLESTRE. - Photographie personnelle de G.Privat. Figure 81. RESULTATS DE L’ACTIVITE 3 : PORTRAITS CHINSOIS, Assemblage des potraits individuels de l’atelier test ( en haut) et assemblage des réponses par catégories des ateliers publics (en bas). - Production personnelle de G.Privat. Figure 82. RESULTATS DE L’ACTIVITE 3 : PORTRAITS CHINSOIS, Potraits individuels de l’atelier test. - Production personnelle de G.Privat. Figure 82. RESULTATS DE L’ACTIVITE 3 : PORTRAITS CHINSOIS, Portrait par catégories des ateliers publics. - Production personnelle de G.Privat. Figure 83. ASSEMBLAGE CUMULE DES RESULTATS DE LA SESSION 2. - Production personnelle de G.Privat. Figure 84. CARTOGRAPHIER SES PRATIQUES (PARTIE 1). - Production personnelle de G.Privat. Figure 85. CARTOGRAPHIER SES PRATIQUES (PARTIE 2). - Production personnelle de G.Privat. Figure 86. LOCALISER SES USAGES, Résultats par type d’espace et mise en avant des possibles et des lacunes. - Production personnelle de G.Privat. Figure 87. LOCALISER SES USAGES, Résultats par type d’actions réalisées et désirées sur les espaces. - Production personnelle de G.Privat. Figures 88 à 95: Lieux et phénomènes cités durant les ateliers (non exhaustif), Fontaine (place Salva) / Place touristique (place Salva) / Entrée ressentie au centre historique (trace des anciens remparts) / Entrée ressentie avec les équipements (Cinéma, Gymnase en photo, Carrefour) / Entrée ressentie par les infrastructures routières (Rondpoints, porte eau, virage de la départementale en photo) / Place des locaux (place Albert) / Guillestre agricole et Guillestre urbain (Pied du Pain de Sucre) / Carrefour et son parvis. - Photographies personnelles de G.Privat. Figure 96. PROPOSITIONS DES REPRESENTATIONS DE GUILLESTRE DU QUESTIONNAIRE EN LIGNE. - Production personnelle de G.Privat. Figures 97 à 104: Les seuils et frontages, Gorges du Guil / Canal agricole sur le plateau du Simoust / Limites privé / public franches: portes (centre-ville) et portillon (quartier des Chapelles) / Limites privé / public au sol: véhicule (quartier de Pré Pareng) et jardin (Plateau du Simoust) / Limites privé / public poreuse: débord de toit (Place du portail) / Investir son seuil: décorations (centre-ville). - Photographies personnelles de G.Privat. Figures 105 à 112: Les appropriations de l’espace public, Investir son seuil: extension par le stockage ( centre-ville) ou la tombée d’allège pour des investissements d’espace plus longs ( centre-ville) / Appropriation de l’espace public par le sport (quartier des chapelles) / Appropriation de l’espace public par la restauration (plateau du Simoust) / Appropriation de l’espace public par le Land Art (plateau du Simoust) / La neige comme terrain de jeux (parking du Priouré) / La neige comme terrain de sport (événement organisé par le Bar Le Central place Albert) / L’activité générée par le déneigement ( place Albert) . - Photographies personnelles de G.Privat et Norman Photographies (111). Figure 113 : CONCERT DU MARDI AU BAR LE CENTRAL, Place Albert. - Production personnelle de G.Privat. Figure 114 : RESTAURANT LE DEDANS-DEHORS, Ruelle Sani. - Production personnelle de G.Privat. Figure 115. CONTEXTE MONTAGNARD, Guillestre avec le hameau de Gros en second plan. - Photographies personnelles de G.Privat. Figures 116 à 123. GEOGRAPHIE DANS LA VILLE, Construire avec l’eau, Les imposantes parois montagneuses (cascade du plateau du Simoust et plateau du Simoust) / Omniprésence des cimes (maison quartier de la Longeane et Guillestre vu du château) / Communication rurale (Panneau des randonnées place Salva et Panneau impasse sur un arbre du plateau du Simoust) / Construire avec l’eau (Torrent du Rif-Bel dans le centre-ville et source du plan de Phazy). - Photographies personnelles de G.Privat. Figures 124 à 131. TOILE DE FOND AGRICOLE, Outils agricoles ancestraux, Les sentes amènent de la porosité (quartier de la Longeane et bord du cimetière) / Imbrication du tissu agricole et urbain (Entrée depuis le Queyras et abords du gymnase) / Cohabitation des pratiques (Canal agricole dans le quartier de Pré Parenq et Bovins sur le plateau agricole) / Outils agricoles ancestraux (Ecluses du canal et clapier de pierres sur le plateau du Simoust). - Photographies personnelles de G.Privat. Figures 132 à 139. TOUR DES ASSISES, Un paysage qui demande le regard, chaise informelle sous le Pain de Sucre / Pain de sucre / Quartier des Chapelles / Route du Queyron / Pain de Sucre / Place Bonnet / Quartier du château / Banc déplacé sur le plateau du Simoust. - Photographies personnelles de G.Privat.


DéTAIL DES FIGURES 153

Figures 140 à 147. SAISONNALITE, Vues depuis le Pain de Sucre sur le plateau agricole / Chemin pour le Pain de Sucre, Hiver 2020 avant et après la neige. - Photographies personnelles de G.Privat. Figures 148 à 155. DISPOSITIFS NEIGE, Abriter de la neige, Protéger les portes : construire en hauteur ou couvrir le bois (escalier d’appoint et plaque provisoire dans le centre-ville) / Matérialités : mettre en exergue les reliefs et limiter les glissades (façade et sol en pavés et galets dans le centre-ville) / Gestion : évacuer la neige (neige entreposée dans un passage couvert du Sud du centre-ville et toitures pentues et à débord du centre-ville) / Abriter de la neige (bois entreposé sous le pont de la déviation et sous une entrée du centre-ville). - Photographies personnelles de G.Privat. Figures 156 à 162. DISPOSITIFS RELIEFS, Créer des vues, Valoriser les petits reliefs (s’adapter à la pente, rue Maurice Metche et Place Salva) / Investir les différences de niveaux ( Entrée par une passerelle et passage entre un jardin et un champs à Fontloube) / Verticalité des fonctions dans les habitations : les niveaux d’entrée (centre-ville) / Créer des vues (Vue depuis le château et vue permise sur la place Albert depuis l’effondrement d’immeubles en 2014). - Photographies personnelles de G.Privat. Figure 163. UNE VALLEE QUI S’URBANISE, Entrelacement des réseaux et juxtaposition de sols de natures éclectiques, Guillestre, depuis Réotier. - Production personnelle de G.Privat. Figure 164. SCENARIO DE LA SECESSION (SEBASTIEN MAROT) ET PLU DE GUILLESTRE, De nouvelles formes de communes plus autonomes s’affranchissent de l’orbite des métropoles « C’est la démarche, plus radicale et volontiers agrarienne, de ceux qui remettent en question l’hégémonie de la métropole. Quitter la ville en quête d’autonomie. On peut rattacher à cette nébuleuse d’initiatives toute une série de mouvements d’affranchissement et/ou d’enracinement communautaires à caractère politique comme les « Zones à Défendre » ou les regroupements de communes volontaires. », exposition Agriculture and Architecture: Taking the Country’s Side dans le cadre de la Triennale d’Architecture de Lisbonne en 2019, dessinateur : Martin Etienne - larchitecturedaujourdhui.fr Figure 165. PLU DE GUILLESTRE, Réalisé par l’agende Alpicité (Embrun) et édité en 2020. - www.geoportail-urbanisme.gouv.fr Figure 166. REVALORISER LES FRANGES ET LES DELAISSES AGRICOLES, superposition d’une photographie du plateau du Simoust sur un visuel réalisé par l’agence Fabriques. Contexte : Les PNR du Livradois Forez et des Volcans d’Auvergne ont conduit un projet de recherche dans le cadre de l’appel à projet du MEDAD (Ministère de l’Ecologie du Développement et de l’Aménagement Durable) intitulé « Qualité des paysages périurbains » en collaboration avec le Grand Clermont. Cette étude intervient dans ce cadre et s’intègre dans les réflexions de Pierre et Rémy Janin autour du requestionnement des relations entre ville et agricole. - www.fabriques-ap.net Figure 167. REVALORISER LES FRANGES ET LES DELAISSES AGRICOLES, travail prospectif autour du réinvestissement des franges agricoles de Guillestre, aujourd’hui franches. - Production personnelle de G.Privat. Figures 168 à 175.APPROPRITIONS DU PLATEAU DU SIMOUST, Vues sur le plateau ( 169 Toilettes sèches). - Photographies personnelles de G.Privat. Figure 176. LES PROBLEMATIQUES DE FERMETURE DU PAYSAGE, Abords de Guillestre, vue sur la reforestation des pentes de Risoul dénoncée par l’agriculteur interrogé - Photographie personnelle de G.Privat. Figure 177. LES PROBLEMATIQUES DE FERMETURE DU PAYSAGE, Etudes de Chalmazel (42) par l’agence Fabriques et l’Atelier Montrottier Loïc Parmentier et associé (mandataire) Dessin prospectif retraçant le portrait forestier de la commune en 1950 , 2020 et 2050. – www.atelierdemontrottier.archi Figure 178. PLAN DES CANAUX DE GUILLESTRE, PLU 2020.- www.geoportail-urbanisme.gouv.fr Figures 179 à 182. LES CABANES AGRICOLES DE GUILLESTRE, Route du Queyron / Fontloube / Plateau du Simoust - Photographies personnelles de G.Privat. Figure 183. PRE DE MADAME CARLE DANS LES ECRINS. - Production personnelle de G.Privat. Figure 184. PLACE DU COLONEL BONNET, Guillestre. - Production personnelle de G.Privat. Figure 185. MARCHE ESTIVAL D’EMBRUN, Rue de la Liberté. - Production personnelle de G.Privat. Figure 186. CARTE DES GRADIENTS D’URBANITE, Du naturel «sauvage» (en bleu) aux infrastructures urbaines de grande échelle (rouge). Cette carte met en avant l’hybridation et le concentré d’échelles différentes sur la commune. Elle a été réalisée à partir de données Géoportail et de relevés in situ réalisés avec un accompagnateur en montagne, profitant de sa lecture du paysage. Travail réalisé dans le cadre du séminaire AMTH. - Production personnelle de G.Privat. Figures 187 à 194. FRONTIERES PRIVE/PUBLIC POREUSES, PLATEAU DU SIMOUST, Usages tolérés l’hiver / Unification des limites de parcelles sous la neige / Ouverture du paysage. - Photographies personnelles de G.Privat. Figure 195. CADASTRE ET SITUATION DU PARKING COMMUNAL, morcèlement poussé à l’extrême notamment sur le plateau où n’exercent finalement que 4 agriculteurs. – www.geoportail.com


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Figure 196. CADASTRE ET SITUATION DU PARKING COMMUNAL, accès par une voie privée, utilisé par les « gens en camions » et par les grimpeurs de la Rue des Masques durant les mois d’été. - Photographie personnelle de G.Privat. Figres 196 à 203. LES ESPACES COMMUNS D’HIER ET AUJOURD’HUI, L’église et la chapelle : la polyvalence continue (église comme lieu de débat et de décision d’antan / chapelle investie par des exposition l’été) / Fontaines et lavoirs: espaces ludiques intemporels (place Josesph Salva / jouet sur un lavoir du centre-ville) / Les Artgricoles : investir le plateau (Mai 2017)/ Cinéma plein air dans la cour de l’école (Aout 2019) / Les ressources de Guillestre (Passages des ovins lors des transhumances / Source du plan d’eau de Phazy dont l’eau est utilisée par les habitants et les touristes) - Photographies personnelles de G.Privat, livre « Guillestre » de Feuillassier ( 196/198/202), www.ledauphine.com(200) et Rémi Morel photographie (203). Figures 204 et 205. CONTINUITE DES COMMUNS, Foire agricoles et aux bestiaux de Guillestre et manifestation contre la fermeture d’une classe pour la rentrée 2021. - www.ledauphine.com Figure 206. L’ABBATOIR DE GUILLESTRE, un système de commun reconnu, article de Mathilde Gérard pour Le Monde, 27 Février 2020 – www.lemonde.fr Figures 207 à 214. LA PROPRIETE A GUILLESTRE, Une propriété bien marquée (Abords du canal / Entrée rue Maurice Petsche / interaction recherchée par maison décorée pour Noël derrière son grillage / parcelles clôturées dans le tissu urbain et sur le plateau agricole) / Différence importante des valeurs des terrains (quartiers ensoleillés et avec une vue plus onéreux). ) - Photographies personnelles de G.Privat. Figure 215. TABLEAU DES GRADIENTS D’ESPACE PUBLIC, Jacques Lévy - Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, p 366. Figure 216. PLAN DE GUILLESTRE TRACE AU PAS A PAS, élaborée pour la carte des hybridations (figure 186). - Production personnelle de G.Privat. Figure 217. UNE PRATIQUE QUI REQUESTIONNE LES DIMENSIONS DE L’ESPACE PUBLIC, session grimpe à St Crépin. - Production personnelle de G.Privat.


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ESPACES PUBLICS VALLéens « Comment qualifier les espaces publics des villes de montagne ? Recherches appuyées sur Guillestre, commune de la vallée de la Haute-Durance. » Les espaces publics des villes de montagne sont-ils délaissés au profit du grand paysage, où sont-ils réellement pratiqués? Quels apports peuvent présenter l’attention portée à l’aménagement urbain, lorsque les sentiers sont à quelques minutes à pied et dans un territoire où le sol est soumis aux aléas climatiques? Ces espaces-là ont-ils une forme particulière ou sont-ils le modèle urbain plaqué en montagne? Mais d’abord, qu’est-ce qu’une ville de montagne, et qu’est-ce que l’espace public? Le mémoire présenté tente d’aborder l’ensemble de ces problématiques. Pour ce faire, le corpus, qui fut contraint par le peu d’écrits directs sur le sujet, s’est voulu transversale entre des textes traitant de la moyenne montagne, d’autres du périurbain et d’autres évidemment de l’espace public. Également, différents entretiens ( chercheurs, ONF, élus), des questionnaires et des ateliers participatifs auprès des habitants ont été réalisés. Pour terminer, le mémoire se compose de 5 parties: «l’espace public est-il délaissé en montagne?», «un espace public réellement adapté à ses habitants?», «quelle(s) forme(s) d’espace public se dégage des usages?», «Relation au grand paysage» et «l’espace public ou le village idéalisé».


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