ROUE LIBRE 2017
Gaëlle
La plume qui déambule. Tilalilalou. Un peu de fraicheur, dans le métro, sur le trône. Pour vous.
Les vrais remerciements sont là, suivant l’A,B,C, déambuler, E, F, G, H, Imaginer, J, K, L, M, nanana... Alex, je ne peux que sourire tiens, en écrivant ces lettres! Si juste, si ouverte et si intelligente. Andres. Je suis tellement contente que vous vous soyez rencontré avec Daisy. Tu es vraiment une belle personne. Là pour l’autre, plein de philosophie et de vie. Annef, le bout de vie par excellence. Tu es une grande part de ce que je suis aujourd’hui. Apo, une des personnes les plus remarquables et forte que je connaisse. D’une constante bluffante, toujours pleine de vie. Aurélie, ta rencontre m’a fait tant de bien! Tu as une si belle énergie! Quand je serai vieille je veux être une Aurélie. Clara, un autre soleil. Une personne que je prends beaucoup pour modèle dans divers situations. Il y a des gens comme ça. Daisy, je t’ai retrouvée. A l’écoute et réellement, des amis, des inconnus. Tu es juste. David, je te vouerai toujours une grande admiration et une reconnaissance. Fanchon, une femme une vraie, déterminée et bienveillante sur ton entourage. Flo, si loin géographiquement. Mes sentiments et l’admiration que j’ai à ton égard ne s’altéreront jamais. Tu as tant pour toi, tu fais tant pour les autres. Jérem, mon Jérem. La leçon de vie, l’écoute, la simplicité et la force. Tu es bien grand. Juju, surprenante de ta construction. Tu sais où tu vas, tu le fais. Et toujours dans l’attention de l’autre. Kelly. Ma cous’ que je suis tellement contente d’avoir retrouvé! La bonne paire. Kim, tu es une personne si talentueuse. Tu es belle, tu sembles altruiste. Tu donnes à être connue. Leandro, le chico de cette troupe de gonzes. Le sourire aux lèvres, toujours. Luc, la raison, la rigueur, mais aussi l’écoute. Tu es un sacré personnage et je suis terriblement fier de t’avoir approché et de te connaître. Lulu, là, toujours là. La femme sur tous les fronts, et pour tous. Mandy, si vive d’esprit. Que ce soit dans les conversations de groupe où l’humour souvent est attendu, ou dans les réelles réflexions. Tu as tellement pour toi. Marion, la planète Marion, le personnage Marion, la simplicité Marion. Ca m’a fait tellement de bien de te croiser pendant le voyage! Marron. Une très jolie rencontre. Une grande ouverture, pleine de vie et une belle sensibilité. Mariana, la plus femme que je connaisse et en son sens le plus noble. Tu es impressionnante. Momo. Tu m’as accompagnée dans mon périple. Tu m’as accompagnée au retour qui a suivi. Tu es toujours là, la distance et la réflexion pour l’autre. Un petit soleil dont la simple évocation du non amène le sourire. Morgane, dont l’intelligence du regard sur le monde me surprend à chaque fois. Tu es belle. Robin, d’un réel dévouement pour ton entourage. Et tu le sais, le regard tellement riche et inspirant. Yoyo, la personne la plus à l’écoute et la plus généreuse que je connaisse. Tu es dingue.
14 / 08 / 2017 – La journée de train. Quelle surprise fût la découverte des prix et des durées proposés pour le trajet Nîmes-Hendaye ! 8 heures pour 140 euros. Rien que ça. Puis 2 changements. Super. Ah, ils se mettent bien à la SNCF ! Je devais initialement y aller dimanche en voiture avec Simone. Non Roro. Mais quand le père Ugo, après que je lui formulasse la proposition de m’accompagner (Ah la bière ça vous décoince…), m’a dit venir à Nîmes jusqu’au lundi… Bah le choix était vite vu. L’appel du mâle n’attend pas. Le monde est tout de même bien fait. J’ai trouvé pour 80 euros, vélo compris, un billet pour Dax. Le train arrivait à 22 heures. Je pouvais donc dormir au camping de Roro là-bas, avant de reprendre les rails au petit matin pour Hendaye. Il est 17h48. J’attends justement que Romain me réponde. J’ai besoin qu’il me dépanne sur ce que j’ai oublié : anti-moustiques et oreillettes. J’ai également oublié mes aquarelles. Mais ça il ne pourra rien y faire. A vous, futurs grands voyageurs à vélo, voici de tête ce que j’ai avec moi. VELO, (c’est la première catégorie). - Sacoches avant et arrière - Tendeur en filet (de la bombe bébé) - Chambre à air, rustines et kit associé - Outil multi fonctions et clé à roulette - Pompe - Casque - Elastiques pour fixer le câble de ma dynamo qui par son frottement me ralenti - 3 anti-vols dont 1 fabriqué grâce à une chaîne de Leroy Merlin DORMIR - Tente - Matelas d’Ugo - Duvet d’Ugo - Coussin (ben voui) - Cache yeux (Chanel, hey hey) et boules quies (orthographe à vérifier)
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MANGER - Réchaud d’Ugo - Assiette, tasse, fourchette, cuillère - Cannelle, épices salade, thé - Nouilles, puré - Graines, avoine - Thon, sardines - Concombre, carottes, pommes, citron - Gruyère Le reste (fruits non transportables longtemps, pain…) sera acheté au fur et à mesure. TOILETTE - PQ - Serviette, savon, shampooing - Tampons, coton - Brosse (dont j’ai cassé le manche pour gagner en place), crème solaire - Pansements, désinfectant, pansements ampoules - Doliprane, Lysopaine, gel pour les muscles, baume du tigre - Pierre d’Alun, gant - Brosse à dents, dentifrice DIVERTISSEMENT - 2 carnets, 4 stylos, 3 livres - MP3, chargeur PRATIQUE - Lampe frontale, piles - Couteau suisse, briquet, ficelle - Couverture de survie, bombe lacrymo - Téléphone, chargeur - Itinéraire imprimé, numéros des campings repérés - Papiers importants, carte 12/25 Et je me demande si j’aurais dû prendre des sacs poubelles. Cette liste exhaustive me parait bien. Je n’aurais pas dû manger d’ail. 18h19 – Agen. Je suis contente de traverser ces noms. Ce ne sont encore que des noms, et
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pas des villes. Mais déjà, j’ai de nouvelles images à poser sur ces lettres, autre que celle d’un pruneau. C’est un peu vallonné. J’ai même aperçu une maison troglodyte. Je m’attendais à un paysage plus plat. Pourquoi ? Je n’en sais trop rien à vrai dire. Il y avait pas mal de ces « sapins » qu’on aperçoit sur la côte d’Azur. Le vocabulaire me manque. Ugo m’en donnerait l’essence. Il dit que mon français est riche lorsque j’écris. Il est bien gentil. Les habitations grattent le ciel sur 3, 4, voire 5 étages. Elles sont tournées vers les rails. Leurs 2 grandes fenêtres supérieures sourient. Celle du bas laisse sortir le jardin, comme une langue déployée jusque nos rails. Potagers en activité. Palimpseste familiale. Des beiges, des verts et les volets comme d’autres petites notes colorées. Rue Jules Guesdes. Port-Sainte-Marie. Le train a ralenti. Il ne s’arrêtera pas. C’est beau ces maisons. Cette diversité, cette harmonie en même temps. Ce n’est pas un homme ou une société, qui là-haut, depuis son grand siège ajustable sur roulettes de plastique, sa souris et son Autocad, a tracé des lignes sur un écran, future résultante de volumes uniformes dédiés à Monsieur Durand et Monsieur Dupond. Non. C’est Monsieur Durand qui, au vu de ses besoins et de ses moyens, a construit le volume. Bien sûr, il a regardé un peu ce que faisait le père Dupond. Où a-t-il trouvé ses pierres ? La terrasse est faite ainsi ? Et pour l’hiver ? Et c’est un nouveau point dans la maille urbaine de Port-Sainte-Marie. Où est la place de l’architecte ? Il va vraiment falloir apprendre à être modeste. Pourtant, la nature est si grande que cela devrait être intrinsèque à l’homme. Observer c’est déjà être humble. Car on reconnait. On reconnait qu’on doit apprendre. On reconnait qu’on doit se légitimer. En terrain social, cela doit fonctionner de la même manière. De l’implantation d’un bâtiment dans un pays différent, à notre venue dans un nouveau groupe. Et se défaire de tout jugements si on y arrive. Pourquoi juge-t-on ? Est-ce d’abord le fruit d’une comparaison ?
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Devons-nous nécessairement positionner les choses entre elles et nous situer face à elles ? Positionner un élément extérieur à nous-même nous donne-t-il l’impression d’un contrôle ? Car on l’a classé ? C’est avec Yoyo que je devrais en parler. Et avec Alex. De manière différente chacun, ils ne jugent pas. 18h49 J’ai toujours des remontées d’ail. 18h50 Les potes de mon frère me dépannent d’écouteurs. Ça c’est chouette !
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15 / 08 / 2017 – Jour 1. 08h58 – A la gare de Dax. Quelle nuit ! Après 7 heures de train à peu près confortables, une arrivée en plein cœur des fêtes de la ville. Des gens partout, la chaleur humide, l’orage, et moi, chargée comme une mule. Après ce périple, la douceur d’un lit sera ici celle du siège auto de la voiture de Fabien. Bonheur. Cela ne fût finalement pas si terrible. Ou je sais me contenter de peu. Ou les deux. J’y ai seulement laissé ma lampe avant, cassée en rentrant la bête de fer dans le coffre. Bon. L’élastique que j’ai mis ce matin pour rafistoler tout ça tiendra. Petit nuage noir pour commencer ce matin : tous les campings appelés étaient complets. Ça n’est pas de très bon augure. Mais ce n’est pas grave, je me pointerai gentiment comme une fleur. Coucou. C’est moi. C’est Gaga. La petite fleur, le petit papillon de 2mètres carré pour quelques heures. Love. Kiss. For Ever.
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16 / 08 / 2017 – Jour 2. J’ai deux journées à raconter. En effet, j’ai eu un empêchement de taille hier soir. De taille, genre vraiment. Un bon mètre 90 sur un autre de large. J’y reviendrai. 10h36, ou 26. – Hendaye L’arrivée à la gare. L’excitation. Enfin ! La tête en éveil. Le pied à la pédale ! C’est qu’il démangeait celui-là. L’Espagne est devant moi, beaucoup plus verte. La côte française est, elle, tachetée de maisons blanches et rouges. Il y a des écris basques aussi. Partout même ! Sur les habitations, sur les panneaux routiers, sur les enseignes. Entre fierté, voire revendication, démonstration culturelle et marketing. Et puis, bah la belle surprise : c’est vallonné. Il y a ce qu’on appelle « Les Pyrénées » pas bien loin. Et voui ma petite Gaëlle, tu vas les cracher tes poumons ! Ça passe. Il ne fait pas très chaud. Une vingtaine de degrés, pas plus. (Tiens, au moment où j’écris j’ai fait tomber une amande de ma bouche). L’orage de la veille a refroidi la côte et le ciel en est resté couvert. Je peux donc rouler entre 12h et 14h pour faire les 70 bornes fixées pour cette courte journée. Saint-Jean de Luz est la prochaine étape. Sur la carte, cela semble si proche. Cœur. Bébé Gaëlle voit plus gros que ses jambes. Et comme elle est têtue, elle le fait. Et oui, je parle de moi à la troisième personne. Lalalère. (« Bonsoir Messieurs, Mesdames. » Mes voisins de table vont se coucher. Il faut vraiment que j’aille faire popo.) Ça monte, ça descend. Ça monte, et ça redescend. Les automobilistes s’amusent à me prendre en peine. Cela les fait sourire. Les cyclistes, les vrais j’entends, également. Un pouce levé par ci, un encouragement par là. Puis la ville, enfin. Villas de pêcheurs, spectacle de Flamenco, marché de petits producteurs
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locaux. C’est un peu frustrant de ne pas pouvoir m’arrêter réellement avec mon vélo. J’ai pû acheter du pain à une dame depuis ma bicyclette. Bon, il n’était pas bon, mais celle-ci m’a gentiment coupé la baguette en deux, m’a fait doubler tout le monde, et elle est venu jusque moi, ranger le vivre sur mon porte bagages. Ah tiens, cela me fait penser : à Dax, quelqu’un m’a dit, de manière non assumée bien sûr, « c’est interdit aux vélos ici ». Un monsieur, de manière assumée cette fois-ci, a immédiatement rétorqué: « c’est interdit aux cons ici ». Bref, Saint-Jean de Luz, si vous ne connaissez pas, allez-y. Cela semble vraiment très beau et peu amoché par le tourisme. Par contre, n’y allez jamais, JAMAIS, dans le cadre de la Vélodyssée. J’ai commencé par remonter une départementale (encore des conducteurs pour m’encourager) et c’était vraiment long. De plus, le balisage est clairement à revoir. Sortir du centre fût une sacrée petite galère ! Et j’ai roulé, roulé. Je me suis arrêtée pour manger. Ce n’est pas moi qui aie choisi le lieu, mais bien l’inverse. Après une importante côte… un petit banc, là, sur ma gauche. Il me faisait de l’œil ce saligot ! Tout ça pour que j’y mette une fesse ! Remarque, sa vue n’était pas trop mal non plus… l’océan. Nous étions comme sur une proue, dont l’eau, quelques trente mètres plus bas, venait lécher le sable. Le ciel était gris. La mer argentée, brillante et opaque. Les falaises en demi-cercle, l’embrassaient. Celle à ma droite était dessinée d’une roche marquée par les vagues. La colère… jusque dans la végétation entièrement inclinée au même degré. Cela doit être un sacré spectacle aux jours grognons de l’année. 16h30. J’ai pédalé comme un bourrin toute la journée, malgré les nombreux ralentissements de la ville. La chasse aux balises est effectivement un facteur à considérer. Puis, dans mon dos, un « hiiiii ». A lire avec un accent anglais, pas avec le mien. Mon premier compagnon de route. Voilà le grand viking qui débarque. « Linius », quelque chose comme ça. Je lui ai fait répéter deux fois pourtant. Mais rien n’y fait. Mon oreille française… Drôle de personnage ce Linius. Physiquement hyper imposant. Une bête.
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Je me suis dit « Aller Gaëlle, tu n’as nulle part où dormir, vas-y ». J’étais tout de même sur mes gardes. Je voulais le faire parler pour le cerner un peu. Puis je voulais parler tout court. J’aime parler. Pas toujours, mais des fois bien sincèrement. Comme me dit mon père, il ne fallait pas que j’ai ma tête de fille « impressionnée ». J’ai alors joué une autre carte. Et j’aime également jouer des cartes. Je me suis aventurée sur le terrain de la rhétorique, si bien que Linius m’a demandé si je pratiquais les échecs. Il m’a répété plusieurs fois que j’étais forte et courageuse. Faire du vélo. Parcourir autant de kilomètres. Seule. Camper avec un inconnu. « Et toi ? Tu ne te trouves pas fort ? Tu es seul, dans un pays que tu ne connais pas, dont tu ne parles pas la langue. Tu t’apprêtes à camper avec une inconnue dont c’est la région (mensonge) et dont le frère est à 20 minutes (presque mensonge) ? » Le ton était posé. Linius, 27 ans, chimiste à Vilnius, une sœur, des parents retraités, un t-shirt mille fois trop grand et pas assez de douches à son compteur. Transporte du chocolat Nestle au lait (fondu évidemment), ex-mari d’une nana en Erasmus à Estienne, bavard, se lavant totalement nu dans les lacs, gentil, asocial malgré tout et surtout… hyper flippé ! Il venait du Portugal à vélo. Et pourtant ! La peur de dormir a un jour pris possession de ses jambes durant 200km. La sieste fût diurne. Bref. Linius, un drôle de personnage. C’est donc finalement moi qui l’aie rassuré. Il était impressionné. Il m’a avoué me trouver très cool, et que j’avais égayé sa journée. Pas de drague. Que du vrai. Je lui avais casé dès le début de la conversation que c’était le matos « of my boyfriend ». Nous devions passer la journée suivante ensemble. Nous avons commencé à pédaler, mais il a dû s’arrêter. Nous avions dormi près d’un lac où la rive n’était que de sable. Il en avait sur sa chaîne. Il m’a alors dit d’y aller. Je n’ai pas insisté. Je voulais être seule. Il s’est qualifié de « alone wolf ». C’était un peu vrai. Ce fût parmi les derniers mots échangés. Et me voilà dans les landes. La veille, je doublais tout le monde. Ce jour-là, un peu moins. Ah je ne faisais pas ma maligne ! La nuit avait été quelque peu ponctuée par une chose terrible : mes premières crampes aux cuisses. Deux fois, les bougres m’ont réveillée ! J’ai alors mis la crème magique de papy. Puis plus rien. Je me suis promis de boire un peu plus, et surtout, de limiter
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les « plateaux 3 vitesse 7 ». J’ai tout de même bien avancé. Je me suis arrêtée 5 fois pour grailler. C’était des petits repas. Le plus important fût une boite de thon et du pain. C’était sur un petit ponton, en bord de plage. Il fallait bien que je m’y fasse prendre le fessier ! Et voui, j’ai fait mon pipi à côté des douches. Et bien sûr qu’on m’a vu. Ma foi. Je me sentais libre d’effectuer l’ensemble de mes besoins primaires où et quand je le sentais. J’ai passé Biscarosse. La plus grande ville avant Arcachon. Quel enfer pour sortir de là ! Le balisage n’était pas fou. J’ai longé le lac. Des touristes partout. Des « familles groseille » comme dirait papa. Ah, les jolis surfeurs d’Hossegor n’étaient plus là ! Cela dit, dans le sens opposé malheureusement, j’ai croisé des messieurs forts sympathiques chargés comme moi. Il ne fallait pas plus que leurs mots pour m’encourager ! Il faut dire, passé le lac, il y avait de sacrés dénivelés dans la forêt. Et bien entendu, c’est dans une de ces montées que j’ai décidé de dérailler. Un peu plus tard, une de mes bouteilles s’est échappée. En pleine descente cette fois. C’est tout aussi chiant. Après avoir perdu puis retrouvé la piste, me voilà en direction de la dune du Pilat. Un petit scarabée a volé à côté de moi. C’était mignon. Je voyais son corps fixe, légèrement bleuâtre sous la lumière, ses petites pattes pendaient et ses ailes s’agitaient. Le goûter m’avait donné des forces : nouilles froides (pas le temps pour le réchaud) + eau + fruits secs + flocons d’avoine. J’en avais vraiment besoin. Je pédalais comme une folle. Je voulais avoir un peu de temps au camping de la Verdalle. Arrivée aux dunes, des gens partout, des voitures, des snacks. Tout cela grouille. Des couleurs vives, du mouvement, du mass market, concours de paréo… Et Gaëlle la bouseuse sur son vélo. Au second plan, des arbres à haute tige dentellent le paysage. Ce sont des pins. Immenses. Au troisième plan, une muraille de sable, vraiment. La végétation devant elle, si petite, amplifie l’effet. Autant que l’échelle humaine : sur sa crète circulent de toutes petites taches noires. Ce sont les silhouettes des centaines de curieux face au soleil. Je n’aurais pas eu le vélo, j’aurais été l’une d’entre elles. Aller, on pédale.
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L’entrée à Arcachon était terriblement mal indiquée pour les bicyclettes, et après la muraille de sable, c’était la fosse de bitume. Départementale 2x2 voies, nationales, autoroute même plus bas… difficile pour la petite reine. Je fais une aparté. Au moment où j’écris ces lignes, le soleil s’est noyé sous les épais nuages gris violets de l’horizon, avant d’être emporté sous les flots. Sous chaque percée du ciel, la mer est argent. Mes pieds nus se refroidissent doucement. Pour le reste, mon pull me suffit. Il est 21h33. Il n’y a plus de baigneurs. Seulement un pêcheur dans le tumulte. Le ronronnement des vagues est épais et constant. On distingue certains flots qui s’écrasent. Seulement deux lumières au loin, dans la mer. Des bateaux sans doute. Un homme cherche des métaux depuis plus d’une heure. Deux vélos sur le sable à gauche. Mauvaise idée. Mais c’est un couple de jeunes amoureux, on ne peut que comprendre. Quelques personnes marchent seules, happées par l’horizon. Ces gens pensent-ils ? A eux, à ce qu’ils sont, ce qu’ils veulent ? Ou à leur programme de demain ? Cinq personnes devant moi à 100 mètres. Ils rangent le piquenique. Et Gaga sur sa dune. Non pas comme une reine qui domine, mais comme une rêveuse qui observe et écrit. Elle se gratte aussi, et se claque de temps à autre le visage. Satanés moustiques ! Et la Gaga, elle va rentrer se laver les dents. Beh oui, j’ai beaucoup trop de remontées d’oignons rouges. Je crains qu’un brossage ne suffise pas. Ouille. Je reprends. L’arrivée à Arcachon. Un gars à vélo s’est arrêté : « prends directions la Teste de Buch ». Il m’a mise sur la bonne voie, mais pas celle de la Vélodyssée. Pas grave ! Avec un peu d’observation et de bon sens, j’ai pû trouver mon camping. Quelle joie ! La nuit précédente avec Linius, celle d’avant dans la voiture sous l’orage de Dax et enfin moi, la douche, la sécurité pour mes affaires ! J’avais une seule envie c’est qu’on m’acclame. Genre « Oui Gaëlle,tu l’as fait ! ». (Censuré) puis j’ai la chance d’avoir de supers amis qui savent parler, qui connaissent les mots et surtout, qui comprennent. En l’occurrence, ce fût Alex et Momo. Elles l’ont formulé simplement, peut-être même sans trop en réaliser l’impact. Alex m’a dit être « fière de moi, vraiment ». Momo m’a dit que je n’étais pas obligée de faire autant si je sentais que ce n’était pas encore le moment. Elle m’a aussi dit que j’étais « solide ». Elle sait. Ces mots ont résonné dans ma tête. Et ceux du vieux Monsieur qui, dans le silence nocturne, lorsque je dépliais ma tente, m’a soufflé « Ah ! Il faut du mental pour faire du vélo comme ça ». Et mes voisins de parcelle,un couple de retraités de Valence, habitués eux aussi à pédaler, impressionnés par le nombre
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journalier de kilomètres parcouru sans aucun entraînement préalable. Bref, ce n’était pas la joie ce soir-là, et j’avais besoin de trouver un intérêt et du sens à ce que je faisais. C’est vrai. Pourquoi je fais ça ? Ma voisine a dit « cela fait de beaux souvenirs ». Mais pourquoi faire une chose pour qu’elle reste dans le passé ? Ce serait plutôt pour qu’elle impacte mon présent. Ce ne sera pas encore le cas. Je me suis douchée. Quel Bonheur. J’ai vu ma tête dans un miroir. Quelle horreur. J’ai mangé un concombre. Je ne savais pas qu’un concombre pouvait faire autant de bien. Lalala. Tiens, « Lalala » était souvent l’objet de mes mails chez Dior, signés « Gaga ». Tu m’étonnes qu’ils m’aient qualifiée de perchée. Après avoir étudié mes cartes et m’être endormie en écrivant… et ben rien justement. Je dormais.
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17 / 08 / 2017 – Jour 3. Je suis assise sur le bitume, contre un mur de l’accueil du camping. Il y a un spot au-dessus de moi. Une lumière jaune, presque orange. Je ne peux pas trop tendre les jambes. Je risquerai de faire un croche patte aux serveurs qui passent remplir les poubelles à ma droite. Il est 22h et j’écris. Aujourd’hui, réveil 6h15, départ 7h30. Je mets beaucoup trop de temps ! C’est que je veux bien tout ranger. J’ai en effet une organisation rigoureuse avec mes affaires. Et je le suis tout autant avec mon hygiène. Cela surprendrait peut-être ma mère ou ma grand-mère qui me pense négligée. Tut tut. Pas de fard soit, mais l’hygiène la vraie. Le visage et le minou surtout. Miaou. Les affaires étaient trempées. Comme je n’avais que 90 ou 100 km aujourd‘hui, je me suis dit les faire sécher à midi. Ce 17 commençait par une fête : abricots, prunes vertes (tellement bonnes, oui, oui !) et violettes, pruneaux (pour aider un peu) et surtout… mini pain au chocolat. Cela a produit son effet. Plus de 70km dans la matinée de ce troisième jour. Encourageant. Il faut dire, je n’ai pas traversé de grandes villes et c’était essentiellement du tout droit. A chaque patelin rencontré, la piste longeait une ancienne gare. J’en ai déduit que nous circulions sur les vestiges d’une voie ferrée. J’ai cela dit douté plus loin, à cause de la petitesse d’un pont. Le sol était goudronné. Lisse. Indigo. Quelques boursoufflures : les racines des arbres sur lesquelles le vélo joue musique. Parfois des lignes de séparation. Parfois non. La symétrie. Le point de fuite semble bas. Est-ce réellement une descente ou la perception est-elle faussée par ma position plus haute qu’à l’habitude ? Et oui, le vélo ça fait grandir. Aparté. J’ai depuis plus de 48h le bout de l’annulaire droit engourdi comme si désormais, mes globules rouges et blancs s’étaient d’un commun accord passé le mot « Aller les gars, on ne descend plus là ! ». Bref.
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Les paysages défilent autour de ce ruban anthracite. Il est déroulé entre les pins avec à leur pied, sur le sol acide, des fougères (Robin est vraiment fort des fois). Un mélange de plein de buissons interrompt le regard de sa densité impénétrable. Des vieux arbres comme des chêne s’embrassent au-dessus de la voie. Puis, en direction d’Hourtin, le pompom. Un immense tapis de végétation sans aucune haute tige. La pampa. Pompom Pampa. C’est ici que j’établis ma demeure. Je suspends à un panneau « piste cyclable » et « cédez le passage » ma tente. Cela fait beaucoup sourire les cyclistes, seules personnes circulant ici. Au sol, j’étale ce qui ne peut être accroché au vélo pour sécher, la place étant limitée. A midi c’est « pain viking » et sardines à la tomate. J’ai tout saucé. Et je repars. Il y a pas mal de vieux pelotons. Enfin, de pelotons de vieux. Parfois des ânes qui restent au milieu aussi. Ça m’éneerve ! Les gars vousne voyez pas comme je suis chargée ? La monotonie de la route m’autorise la musique. Je m’imagine à cheval. Guerrière sur les musiques médiévales, grande sportive sur les morceaux plus récents. Je danse même le tango sur un air de guitare. 13h30. Hourtin est à 22km. 14h45. Bonjour Hourtin. 14h47. Et merde ! C’était Hourtin-Plage qu’il fallait attraper. 13km à l’Ouest. Comme moi. 14h48. J’ai vraiment perdu l’embout de l’oreillette ? Zut ! Aller, on reste constante, pas grave pour le détour, on a trouvé l’erreur sans panique, on y va. Des montées. Super. Où il y a montée, il y a descente. Puis le plat devenait un peu chiant. Tiens, cette fois c’est une libellule qui vole à côté de moi ! 16h00, un peu avant même, Hourtin-Plage. J’appelle le camping. Le monsieur de l’accueil a l’air vraiment sympa. Ça fait zizir ! 20km pour son camping à Montavilet. 20km de ligne droite à côté d’une départementale. Le rêve. (Longue censure).
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Je reprends. J’étais sur cette route interminable pour Montavliet. Seulement 20km. Je n’en pouvais plus. Ou plutôt, je m’impatientais d’arriver. Les frottements de l’entre jambe avec le cycliste devenaient de plus en plus désagréable. Et difficile dans ce contexte d’en faire abstraction. « Il faut du mental » m’avait dit ce vieux monsieur. C’était de longues lignes droites sur plusieurs kilomètres. La piste cyclable dans un gris clair avec de gros agrégats longeait la départementale plus noire. Quelques voitures passaient rapidement de temps à autres. Comme je comprends. On ne peut que y rouler vite. A 17h08 j’arrivais. Quel bonheur ! Si tôt. Mon matos bien sec du midi. J’étais loin du coup de mou de la veille. Le monsieur de l’accueil a été hyper sympa. Il m’a placée entre 2 emplacements, comprenant que je refuse l’unique parcelle disponible, juxtaposé au bar où une nana animait le karaoké jusqu’à minuit. Elle avait une jolie voix d’ailleurs. Mais ce n’était pas non plus dingue. 13 euros payés au lieu des 18 euros prévu. Génial. Je me suis alors occupée de moi, et de ma maison. A ma droite pour voisins un petit couple de vieux en caravane, et à ma gauche une jeune famille dans une tente immense. Genre vraiment balèze en fait. Je ne m’intéresse pas au monde de la tente donc je ne suis pas au jus de ce qu’il s’y dessine (et ce doit être vraiment chouette à faire d’ailleurs) mais des comme telle, je n’avais pas encore vu. J’ai un peu échangé avec le chef de la tribu séjournant dans ce château de toile. Il semblait un peu m’envier. Autant qu’il semblait heureux. La douche fût un bonheur. Ce fût également l’occasion d’observer le sacré coup de soleil qui dessinait mon dos. La belle marque. Bien nette, autant que l’ombre l’est sur le sol. J’ai ensuite attaché toutes mes affaires avant ce petit plaisir… un restaurant ! Rien que ça pardis ! Un restaurant pour moi et moi. Je me suis attablée avec toutes mes cartes. J’aime bien. « La part des anges ». C’était le nom de l’établissement. J’étais d’ailleurs très contente de connaître cette expression. Enseigne brillante, écriture manuscrite vectorisée sur illustrator, en blanc sur fond anthracite, numéro de table au feutre sur un coin. Un restaurant convenable. L’équipe semblait chouette. La serveuse était blonde, la trentaine. Elle était de Montaviletet aimait travailler ici. Je me suis dit qu’elle devait surfer. Elle en avait le corps et l’allure. J’ai appris à la fin du repas qu’elle s’appelait Gaëlle. Derrière moi, une table bien particulière. Deux hommes et une femme, les alentours
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de 70 ans et hyper superstitieux. La première réplique : « Nous avons la table 13, comme par hasard… ». Alors qu’est-ce qu’ils n’ont pas dit à la découverte de mon numéro : la 7 ! Mais le plus important dans tout ça, ce qui vous intéresse vraiment, je n’en doute pas, c’est ce que j’ai consommé. J’étais partie pour un petit verre de menthe bien frais. Lalala. Je l’ai bu d’un trait. Lalala. Puis me voilà tentée « Aller va, une entrée ». Lalala. Mais celle-ci ne pouvait pas ne pas être accompagnée. Lalala. Me voilà conviant à ma table crevettes et leur mayonnaise, salade grecque avec ses (fameux) oignons rouges, et du pain, du très bon. Puis parce que la douceur est une chose essentielle, le petit chocolat chaud. Je suis allée digérer sur la plage, avant de sombrer vers 00h30.
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18 / 08 / 2017 – Jour 4. 23h39. Drôle de journée. Je me suis motivée à partir à 7h08. L’idée était de faire le parcours de deux jours (moins l’ile d’Oléron) en une seule journée. Tout démarrait très bien. 35 km en moins de 2 heures. Mais les petits problèmes sont arrivés. A la sortie du bac de l’estuaire, la pluie. Bien. On se camoufle Gaëlle, ça ira ! Mais le souci majeur : une envie immaitrisable de pisser toutes les 3 minutes ! Et ce n’est pas une manière de parler. Cela avait commencé la veille mais là, ce n’était plus gérable. A m’essuyer avec des feuilles d’arbres aussi ! Passé Royan, j’ai finalement fait demi-tour pour prendre le train pour Bordeaux. Qu’est-ce que ça m’a coûté de retourner sur mes pas ! Je n’en avais pas envie et j’ai tiré jusqu’à n’en plus pouvoir. Et ce détour, quelle épreuve ! Le brouillard rendait les distances si grandes. Le vent marin, de toute sa force, renvoyait directement les gouttes de pluie sur mon visage. Se diriger devenait difficile la tête tournée ou les yeux fermés. Mon k-way était ruisselant, mes chaussures lourdes d’eau. Et je me voyais avancer, petite chose contre les éléments, dernière tâche mouvante sur les trottoirs vides. J’ai décidé de rire, ma foi, et d’ouvrir la bouche pour sentir sur ma langue s’écraser les grosses gouttes. Arriver à la gare a été un grand soulagement. Je suis d’abord allée à la pharmacie adjacente prendre un traitement. La dame m’a d’ailleurs offert une pochette pour que j’y range mes papiers, ma monnaie et mon portable. Elle ne semblait pas partisane des sacs congélation. Je l’ai gardé par politesse mais en vrai, c’était tout de même plus encombrant. Le premier train était jusqu’aux Saintes, où un changement s’effectuait pour Bordeaux. I talked all way long with a woman totally lost. C’était une allemande d’environ 60 ans qui avait eu des problèmes de vélo. Elle devait voyager entre Pin Sec et Rochefort dans la journée, seule, pour faire un échange entre sa bicyclette louée et celle dépannée. A la gare, une saloperie de la SNCF n’a pas voulu lui vendre de billet prétextant le train complet. Elle a alors fraudé. Nous avons bien discuté, je l’ai rassurée et apaisée au fil de l’échange. Je l’ai ensuite aidé à prendre sa correspondance à la gare. Elle m’a fait un gros câlin. J’en aurais également bien fait un au gars de la SNCF
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qui m’a porté le vélo (chargé je le rappelle) dans deux escaliers jusqu’au wagon du train où il a chassé les gens pour ma monture. C’est donc chez Marion et William que j’ai passé le restant de la journée. Ils sont vraiment trop mignons. Elle est vraiment parfaite. Une petite amie idéale. Détente, belle, drôle. Et c’est les rois des costumes. De l’amitié même. William était une pieuvre, Marion une méduse. J’adore. Maintenant je vais dormir. Demain je veux rouler. Ça me manque. Dormir dehors aussi en fait. Je ne pensais pas.
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19 / 08 / 2017 – Jour 5. 14h et quelques… Franchement je suis bien. Je suis au bord d’un canal (pas encore celui du midi) après 80 bornes parcourues dans la matinée, malgré quelques péripéties. J’en suis à 8/10eme de mon itinéraire, et il me reste la moitié de la journée ! Je me sens apaisée, je n’ai besoin de rien. J’écoute mon corps, j’écoute le vent. Le grincement des insectes de l’été. Le feuillage des platanes de l’autre côté de la rive. La mouche derrière moi. Aller, je range mes affaires, je m’étire et j’y vais. 18h02. Je m’ennuie. 18h03. Je me demande bien ce qu’attend un gars lorsqu’il klaxonne une nana. Le dernier était à plus de 30 mètres de moi ! J’étais là, tranquillement, assise à attendre mon train. Il pouvait à peine deviner mon visage ! C’est peut-être le cycliste. C’est vrai, c’est tellement sexy cette couche culotte serrée aux jambes. Ça me fait un gros paquet. Bref, je suis à la gare et je vais en profiter pour raconter cette journée. J’ai quitté la maison de Marion à 6h42. Tiens, au moment où je note ces chiffres, je me dis que cette précision / rigueur (cochez le terme qui vous sied) peut étonner pour ces jours où rien ne semble chronométré. (J’ai pété, ça a vibré dans mon cycliste). Et bien au final, pas tant. La route est jonchée de nombres décroissants : les kilomètres restants. Et eux, oui, oui, parfois on les compte ! Enfin, je dois avouer que noter l’heure accentue la dimension « journal de bord ». Catherine Laborde. Catherine l’aborde. (Note : au moment où je retranscris ce texte, je suis dans le train pour Paris. J’étais avec une dénommée « Mouf » aujourd’hui. Et je lui ai fait deux blagues : « Moufqueton » et « Mouftique ». J’ai trouvé cela très drôle ce matin, la tête dans le cul, le cul dans le lit. A ça elle m’a répondu « un amoufreux ». A ça j’ai enchéri « le petit bonhomme en Mouf ». Bref) Me voilà ce matin à la fraîche, quittant joyeusement Bordeaux. Les couleurs du ciel étaient de augure. Sur les champs en lévitation à quelques
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centimètres de l’herbe perlée d’eau, le brouillard. Cette poudre uniforme, flottante. Ce Monet naturel. La journée s’annonce belle. Tilalilalou. A la sortie de Bordeaux, à l’Ouest de son île, les demeures sont remarquables. Ça sent le flouz’ quoi ! La vue sur la Garonne n’en est néanmoins pas à la hauteur. Elle est rapidement arrêtée par un parapet blanc et l’épais manteaux broussailleux qui le coiffe. La rive apparait ici et là, dans quelques ouvertures résiduelles. Les habitants ne sont pas à plaindre pour autant. Leurs terrains se comptent en hectares. Leurs maisons en milliards. La fête des voisins doit être l’une des plus guindées de France. Et la Gaga continue à rouler. Me voilà dans une forêt. Je pense alors à maman et l’entend me dire « mais tu n’as pas eu peur seule, si tôt, le matin dans la forêt ? ». Honnêtement à vélo, tu te sens moins vulnérable. Cela faisait longtemps que je n’avais pas traversé d’environnement si humide. Le sable avait laissé place à la terre noire et à la mousse. Les troncs blancs et lisses à l’écorce sombre. Je glissais sous la canopée dense. Beh merde ! Mon vélo tangue ! Je descends de ma monture, vérifie l’éventuel frottement des freins et sacoches, leur disposition, l’équilibre des poids, la mise en place de ma dynamo, la stabilité de la tente, du tapis de sol et des bouteilles maintenus dans le filet. Rien. Je remonte… et là juste ciel, mon pneu avant, complètement à plat ! « Bon, j’ai dû rouler sur un mauvais truc. Je vais changer ma chambre à air au village plus haut, au moins si je galère, quelqu’un viendra m’aider ». J’étais, cela peut surprendre, très contente. Voilà l’occasion d’utiliser mon arsenal et de découvrir mes compétences. Bien évidemment, je n’avais finalement pas pris le temps de m’entraîner à cette tâche. Papa me gronderait. Je ne pouvais de ce fait pas l’appeler à la rescousse. Et bien je me suis débrouillée comme une chef ! Bon, c’était le pneu avant, donc plus simple. Mais tout de même. Et la cause de la crevaison ? Une punaise ! Pas de chance, une punaise sur la piste cyclable penserez-vous. Mais détrompez-vous ! L’homme aux punaises sévit dans la région ! Dites-vous qu’il va jusque les peindre en noir pour qu’elles soient moins visibles ! Le perfectionniste ! Ou le malade, c’est au choix. Au moins 5 autres personnes y ont également autour de moi laissé un pneu. Un gars qui s’était arrêté pour me proposer
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de l’aide m’a dit qu’un jour, il a vu des fils de fer tendu à 1m50 du sol ! La punaise passée, c’est un arbre renversé en plein milieu de la piste que j’ai rencontré. Un bon morceau de centenaire. Impossible de le contourner, et les abords étaient trop peu praticables par leur densité qui s’étirait jusque l’asphalte de la voie. J’allais pour décharger mon vélo afin de le porter et un bonhomme est arrivé. Il m’a proposé de l’aide et m’a averti que juste derrière moi se trouvait un sanglier mort. Le beau tableau ! Il a alors soulevé de ses deux bras ma bicyclette toute chargée au-dessus de l’obstacle. Je lui ai aussitôt demandé « Et le sanglier, c’est vous qui l’avez tué ? ». Cette journée était de loin la plus belle. Passé Bordeaux, jusque Réole, c’était de la forêt. Puis des collines de vignes. Puis le canal des deux mers. L’idée était de dormir à Toulouse. Je devais initialement prendre directement le train de Bordeaux à Toulouse. Les problèmes de la veille avaient contrecarré mes plans car j’aurais été trop frustrée de ne pas rouler aujourd’hui. J’ai donc avancé jusqu’à Tonneins où j’ai dû m’arrêter relativement tôt, contrainte par les horaires de train, pour l’appartement toulousain du fréro. Les collines constituèrent la partie la plus intéressante. La route, par son relief, était déjà en elle-même plus agréable puisque variée. Et on ne saurait apprécier une accélération vitesse 7 plateau 3 et l’élan donné pour gravir la côte vitesse 3 plateau 1, où les jambes moulinent à souhait pour battre l’impression de sur-place. A chaque haut de colline, un petit château. Mais le plus plaisant, c’est la vue dégagée induite par les plantations. Le canal des deux mers était d’abord enthousiasmant puis assez vite barbant. De plus, quelques racines ici et là des arbres gourmands dont les pattes trempaient, venaient soulever le bitume. Mon vélo avançait au rythme de ces reliefs. C’est ici que j’ai croisé ce couple qui, je vous le jure, roulait main dans la main. Ohé les gars ! Il y a des gens derrière vous ! Puis Tonneins. Puis Toulouse. J’y ai rejoint la famille Henrion, amis de Nouvelle Calédonie, qui m’attendait dans une petite brasserie. Le patron, de lui-même, nous a fait visiter les lieux et initié à la fabrique de la bière Eau + oligo éléments + houblon. On le tourne, que tout soit bien pris. On transvase dans une cuve à 22°c. On y ajoute le malte. On fait chauffer. On gère le degré d’alcool. Le désiré atteint, on stabilise le tout à 4°c. On laisse gentiment poser, on rajoute le gaz, on gère la clarté (avec 2 nouveaux éléments) et bam. Trois mois se sont écoulés et on a de la bière. C’était une bonne soirée. Puis le sommeil.
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20 / 08 / 2017 – Jour 6. 17 heures et quelques… Alzonne. A quoi pensent-ils ces vieux, seuls, assis sur leur banc ? Un individu par banc. Un seul restait libre. Son propriétaire avait-il pris le long chemin d’une posture plus horizontale ? Celui que j’observe regarde défiler les voitures. Ou il regarde vers le bas. Il porte une chemise blanche, une canne et des lunettes de soleil brunes aux branches d’or. Ses mocassins sont caramel et son pantalon bien repassé est beige. Est-ce lui qui repasse? Sa femme, sa fille, son auxiliaire ? Se met-il toujours sur le même banc ? En face de lui, une maison au jaune très délavé. La porte blanche est au centre. A sa droite et à sa gauche, des volets rouges. Les trois volets du haut sont dans un vert très foncé. Chacune des six ouvertures de ce quadrillage a un cadre d’environ 15 centimètres blanc. Le toit est en tuile. Cette demeure est parfaitement alignée avec les dix autres façades juxtaposées. L’ensemble constitue un versant entier de rue. Le versant qui lui fait face est une place d’environ 30 mètres de large, fermée par une autre muraille de façades. Il y a deux rangées de platanes, les quelques bancs et un monument aux morts. Il y a une Vierge Marie aussi. Ses fleurs sont fraiches. Sont-elles entretenues par les locataires de la place ou la mairie ? Mon vieux est toujours là. Quant à moi, j’essaye d’imaginer cet endroit 70 ans auparavant. Le monument aux morts devait être tout frais de la première guerre. Avec moins de noms qu’aujourd’hui. On enlève le bruit des voitures. Le bitume certainement. Ce devait être du stabilisé. Pas de la terre. C’est la place tout de même. Je m’interroge sur les platanes. Depuis quand les petits villages ont leurs platanes ? La rigueur de leur alignement ne laisse pas de doute sur leur importation. Mais un bel arbre coûte cher, et ils sont tous très gros. Ils doivent être là depuis un moment. Reconstruction post guerre peut-être ? Je n’ai pas arpenté l’ensemble du village, mais la carte indique distinctement que cette rue est la plus centrale, aujourd’hui porteuse de l’étiquette « départementale ». Etait-elle à l’époque celle dédiée au passage des commerçants, et sa place celle des marchés ? Ce jour était rapide : canal du midi depuis Toulouse jusqu’au camping d’Alzonne. 80 kilomètres. Finito.
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21 / 08 / 2017 – Jour 7. 22h48. Ah non, ça vient de passer à 49. Voilà, c’est fini. Ce matin je me suis levée au camping à 5h48. L’idée était de partir le plus tôt possible. Au final, le plus tôt possible est toujours 7heures. Pourquoi ? Pour la bonne raison qu’il fait nuit avant, alors je trainaille. Puis bam. D’un coup, d’un seul, le jour. Il me surprend toujours celui-là. Il me prend au dépourvu, et v’la ti pas que je me magne en ronchonnant « rho tié bien couillonne ! ». Le Monsieur du camping m’avait aiguillé la veille. En effet, la piste cyclable qui longeait le canal s’arrêtait net, sans aucune indication. Je savais désormais où reprendre la route, ce qui est bien mieux pour commencer la journée. Me voilà donc partie « dans le froid ». J’étais surprise du nombre de véhicules présents si tôt. Les pauvres, ce n’était certainement pas un choix du même ordre que le mien. L’objectif de la journée était de plus de 120 km. Sachant que les pistes du bord de canal sont très mauvaises. Les nombreuses racines et pierres obligent à ralentir. L’étroitesse de certaines portions aussi. Le monsieur du camping m’avait dit « Oh, vous serez sûrement demain soir à Carcassonne ! ». J’y étais à 10h30. J’aurais bien voulu le recroiser ce gaillard et lui dire ça y est ! Tout comme l’espagnol de la veille pour lui annoncer « et Oui Monsieur, j’ai atteint Castelnaudary pour le repas de midi ! ». C’était un peu frustrant de seulement passer. J’ai continué ma route. J’avais la musique à l’une des oreilles. C’était pour rêver. Pour me donner un peu de force en brisant la monotonie du trajet aussi. Dans ma tête en tous cas. Je roulais beaucoup dans ma tête. Sur cette journée un peu moins tout de même. La piste était tellement jonchée de pierres et de racines, ma tête se trouvait dans mes pneus. Il fallait être vigilant, d’autant que la piste était très étroite et à hauteur d’eau. Je me suis d’ailleurs interrogée plusieurs fois sur ce que je pourrais bien faire si je venais à tomber dans le canal. Le vélo coulerait. Mes seuls bras ne suffiraient pas dans ces profondeurs si troubles.
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Je n’avais pas faim. J’avais au réveil avalé un bon porridge préparé la veille. Je crois que j’ai bien dit « porridge ». Yoyo serait fier de moi. J’ai tout de même graillé à 13h à Ventenac-en-Minervois. C’était surtout pour alléger mon sac en vidant mes vivres. Je me suis installée sur un parapet, face au village où je me suis préparé un petit thé avec l’eau javélisée du camping qui remplissait mes bouteilles. Aparté en parlant d’eau. Autant j’ai croisé grand nombre de gens bien sympathiques. Autant j’ai croisé 2 nanas vraiment peu aimables, dans deux cafés différents, lorsque j’ai demandé à remplir mes bouteilles. Ma foi, à sourire on répond sourire. Et l’inverse. J’étais donc sur mon parapet, tranquilou, à contempler et me restaurer. A côté de moi, un papy, une mamie et leurs deux petits enfants à vélo. Ils devaient être anglais. Leurs mots en chanson flottaient, le ronronnement de la flore, la caresse du vent (ah non, il n’y avait pas un souffle !), le rire des cigales. « La population est informée que des clés de voiture d’un modèle type Honda ont été trouvées et sont à venir récupérer en mairie ». Trois fois. Les gens s’étonnent. Je m’étonne. « La population est informée qu’une adorable chatte de type Elizabeth est à adopter en mairie ». Trois fois. Quel tableau surréaliste ! 13 heures, ce village si vide, ses volets fermés, et cette voix qui court depuis les hautparleurs des pilonnes dans les toutes les rues ! J’ai traduit les informations aux étrangers, histoire qu’ils ne s’inquiètent pas trop. Cela les a fait beaucoup sourire. L’après-midi a été particulièrement difficile. J’avais beaucoup avancé. Il ne restait plus qu’une cinquantaine de kilomètres. Je crois que j’étais fatiguée. Assez en tous cas pour seulement rire en découvrant avoir perdu ma tente sur mon porte bagage. Puis avouons tout de même la principale épreuve : il faisait terriblement chaud. J’avais un peu peur de faire une crise ophtalmique ou une insolation. Je pense qu’il s’en ait fallu de peu. Je n’avais plus qu’un peu d’eau javélisée. Je croisais très peu de cyclistes, presque pas de village et comme sur l’ensemble de mon trajet, aucune fontaine. Puis, au loin, un restaurant ! Quel soulagement ! Je m’approche de l’oasis.
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« Il y a quelqu’un ? Une porte ouverte ? Un robinet extérieur ? Une bassine ? Et merde. » Je me suis interrogée. Qu’est-ce que je fais ? Je m’arrête ici et j’attends que ça aille mieux ? Une demi-heure peut-être, avec mon eau à la javel ? Non, évidemment que non ! J’allais pédaler jusqu’au prochain village. Et puis si vraiment je venais à mal me sentir, je m’assiérai. Après tout, on est en France et je ne suis pas seule non plus. Et mon entêtement a eu raison de moi. L’heure suivante, j’étais attablée à Capestang, une crêpe à la confiture et un sirop de menthe devant moi. e me suis reposée trois bons quarts d’heure. En selle Mireille ! Je n’avais plus que 20km à croquer. Tellement plus simple ! Puis je savais ce qui m’attendait : le train à Bézier, une douche, et la salade commandée à Mamie. C’est ainsi que cela s’est fini. Aussi brutalement.
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23 / 08 / 2017 – Jour +2. 19heures et quelques. Je ne sais pas dessiner les gens. Je n’oserai pas les photographier, et encore moins les filmer. Et pourtant, devant moi se passe une scène. Une vraie scène. Un tableau de silence. Laissez-moi le dépeindre… Le TGV direction Paris. Nous sommes avant Valence. Le jour décline. La lumière est jaune. Elle s’infiltre et tâche irrégulièrement les passagers. Carré familiale, 2x2 sièges qui se font face. Sur le duo, en face de moi à gauche, de l’autre côté du couloir donc, la scène. Une femme est assise, dans le sens opposé à la marche, côté fenêtre. Elle a environ 40/50ans. Elle est mince, musclée même, au moins des épaules et des bras, seules parties visibles. Elle porte un jean et un T-shirt kaki. Simple donc. Aussi simple que sa coupe de cheveux, courte de quelques centimètres sous les oreilles, et son visage sans maquillage. Elle est belle. Devant elle, son chat roux, plutôt grand. Il passe de temps à autres son museau hors son sac. Elle est silencieuse. Elle est pensive. Ses yeux se tournent beaucoup vers la fenêtre. Le paysage défile. L’air est un peu grave, parfois presque inquiet. En fait, elle est difficile à cerner. A côté d’elle, une petite princesse. Elle est noire et porte une robe d’un rouge vif, qui n’en ressort que d’avantage. Elle se tient très droite, les bras, les épaules et les jambes musclés. Sa mâchoire, particulièrement avancée et saillante lui donne un air fier et ferme. Elle porte des lunettes. Ses cheveux courts à la garçonne font comme des petits grelots bruns. Elle doit avoir 7 ou 8 ans. Le plus énigmatique, et ce qui me mène à écrire, c’est ce silence qu’elles partagent. Elles le partagent oui. Elles savent. Quoi ? Je l’ignore. Mais elles savent une chose. Les quelques regards échangés, rares, semblent être là au seul moment où ils doivent l’être. Elles ont mangé une tiele chacune. La femme a tendu la portion à la fille. Dans le silence toujours. Puis un biscuit. Il y a eu un « merci ». Le chat a été sorti. Il se trouve entre elles. La plus âgée fermait les yeux, le plus jeune regardait la fenêtre. Elles ont tourné la tête l’une vers l’autre. Elles se sont souris. Puis de nouveau ce silence.
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23 / 08 / 2017 – Jour +2. 21 heures moins 5 minutes. Quand faut-il conclure ce récit ? J’ai l’impression que c’est une chose qui s’échelonne dans le temps. Une chose qui n’en finit pas, qui évolue. Faut-il conclure ? Je ne sais pas. Mais je veux relever cette évolution de la pensée, alors il faut une trace. C’était un beau voyage. Je l’ai fait car j’avais la curiosité de voir. C’est quoi pédaler ? c’est quoi voir défiler les paysages, à échelle humaine ? C’est quoi être seule ? C’est quoi le temps qui passe ? Ce temps que je voulais vite faire venir ? Ce temps que j’ai voulu compresser ? Ce temps que j’ai voulu prolonger ? Ce temps que j’ai voulu finir, ce temps que j’ai voulu recommencer ? Est-ce que je suis capable ? Mon corps, mon autonomie, mon sens de l’orientation, mon organisation, ma tête ? C’est quoi vivre au rythme du soleil et au rythme de sa faim ? C’est quoi s’écouter ? C’est quoi un état un peu plus authentique ? Je n’ai évidemment pas de réponse. Et puis toutes sont subjectives. Puis ce n’était que 7 jours. C’est une esquisse. Bien que le temps soit déformé et distendu. J’étais contente de rentrer. J’étais contente de pédaler pour Uzès le surlendemain. J’étais extrêmement contente, en fait, de retrouver Alex à la plage et une partie de ma troupe parisienne à Uzès. Je les aime mes amis. Beaucoup. Je me sens à la maison avec eux. J’étais contente de revoir mes frères. Je les aime aussi. J’étais contente d’emmener mes grand-parents au restaurant (à Uzès toujours). Eux aussi je les aime. Je crois que je garde tous ces sentiments pour moi. Je crois que je ne sais pas toujours profiter de leur présence. Et pourtant… En termes de parcours, ce qui m’a semblé le plus intéressant était autour d’Arcachon et Bordeaux. La Côte Basque était hyper touristique. Enfin ce que j’en ai vu. Le canal très peu pratique.
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Je ne sais pas vraiment ce que cette lecture vous aura apporté. J’espère que les quelques descriptions vous auront laissé dessiner quelques jolies images. J’espère que certaines réflexions vous auront un peu parlé. En tout cas, ma morale à moi, ce mercredi soir depuis mon train : me retrouver c’est vous vous retrouver, et vous retrouver, c’est me retrouver. Gaga