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« Ces patients perdront beaucoup d’os alvéolaire si nous ne faisons rien. »

Préservation de la crête chez les patients asiatiques et caucasiens « Ces patients perdront beaucoup d’os alvéolaire si nous ne faisons rien. »

Propos recueillis par Verena Vermeulen

Biotypes fins versus épais, angulation dent-racine – quelles sont les différences d’anatomie alvéolaire entre les patients asiatiques et caucasiens ? Et que signifient ces différences pour la mise en place de l’implant ? Nous avons interrogé trois experts de deux continents concernant les petites différences qui ont de grands impacts.

Dr Araújo, vous êtes l’un des premiers chercheurs à s’être intéressés à la séquence des événements biologiques après l’extraction de la dent. En bref, que se passe-t-il ?

Dr Araújo : Le processus de cicatrisation se divise en trois phases : inflammation, prolifération et modelage/remodelage. Dans la dernière phase, l’activité des ostéoclastes favorise une résorption osseuse étendue qui réduit les dimensions de la crête alvéolaire. Les parois osseuses vestibulaires ont souvent une épaisseur inférieure à 1 mm, et ces fines parois sont presque exclusivement constituées d’os fasciculé1. La structure étant totalement dépendante de la dent, l’os fasciculé se résorbe après l’extraction de cette dernière.

« Dans la région esthétique, 30 % du volume de la crête alvéolaire est perdu. »

Dr Maurício G. Araújo Quel volume est perdu en moyenne ? Il y a tellement d’études, de facteurs spécifiques au site, de points et de méthodes de mesure... avezvous une réponse facile ?

Dr Araújo : En moyenne, dans la région esthétique, environ 50 % de la largeur et 30 % du volume de la crête alvéolaire sont perdus2, ce qui est très significatif.

Le processus de résorption osseuse est-il similaire chez tous les patients et sur tous les sites ?

Dr Araújo : Le processus est le même chez tous les patients, mais le résultat clinique est différent. Une paroi osseuse vestibulaire fine, une alvéole étroite et une alvéole en dehors de l’enveloppe osseuse peuvent augmenter significativement la perte de volume.

Dr Yeo, vous avez étudié plus en détails l’un de ces éléments qui ont un impact sur la résorption osseuse après l’extraction de la dent : l’angulation dent-alvéole. Que signifie ce terme ?

Dr Yeo : L’angulation dent-alvéole est l’angle mesuré à l’endroit où les plans axiaux de la dent-racine et de l’alvéole convergent (Fig. 1). Un petit angle suggère que l’ensemble de la dent-racine est censée être positionnée dans le procès alvéolaire. Si l’angle est grand, la racine se situera très près de la paroi osseuse vestibulaire ou même en dehors de la face vestibulaire du procès alvéolaire.

Dr Mauricio G. Araújo | Brésil Département de dentisterie Université d’État de Maringa Dr Yoshihiro Iwano | Japon Clinique dentaire Iwano, Tokyo

Dr Alvin Yeo | Singapour Faculté dentaire Université nationale de Singapour

Quelle est la fréquence de cette situation ?

Dr Yeo : À ma connaissance nous disposons de nombreux rapports sur les problèmes d'angulation pour les populations asiatiques, mais peu ou pas du tout pour les populations caucasiennes.

Dans une étude chinoise, 50 % de la population étudiée (n=300) présentait des angulations dent-alvéole supérieures à 20 degrés3. Dans notre étude à Singapour, nous avons mesuré une angulation dent-racine moyenne de 13,6 degrés4 . Près de 36 % de la population de notre étude (n=100) présentaient des angulations dent-racine supérieures à 15 degrés4. De même, dans mon propre cabinet dentaire, environ 20 % des patients présentent des angulations dent-alvéole modérées à sévères.

« L’augmentation des tissus mous est souvent nécessaire pour les personnes qui ont ont des tissus durs fins. »

Dr Yoshihiro Iwano

Quelles sont les conséquences d’une angulation sévère des dents pour la cicatrisation osseuse après l’extraction de la dent ?

Dr Yeo : Souvent, ces alvéoles affichent déjà, avant l’extraction de la dent, des déhiscences osseuses vestibulaires, des fenestrations ou des perforations qui entraînent des défauts osseux après la cicatrisation. Dans l’article de Chappuis et coll. publié en 2013, il y avait presque sept fois plus de perte osseuse mi-vestibulaire lorsque l’alvéole de la dent d’origine présentait un phénotype osseux fin et fragilisé5 .

Dr Iwano, vous avez également étudié les différences entre les alvéoles d’extraction de patients asiatiques - notamment japonais - et caucasiens. Quels ont été vos résultats ?

Dr Iwano : Comparées aux données des patients caucasiens, il semble que les parois osseuses vestibulaires des patients

japonais soient nettement plus fines, en particulier pour les dents antérieures maxillaires6. À 5 mm de la crête alvéolaire, nous avons en moyenne une épaisseur de 0,24 mm, et de seulement 0,20 mm à 6 mm6. On suppose que l’os alvéolaire est très fin, non seulement dans la partie centrale mais également dans la partie mésio-distale de la dent antérieure.

Qu’est-ce que cela signifie pour l’extraction de la dent ?

Dr Iwano : L’os fasciculé a une épaisseur d’environ 0,2 à 0,4 mm – tout comme la largeur osseuse moyenne rapportée⁶. Ainsi, dans le cas des Japonais, nous pouvons supposer que l’os alvéolaire dans la partie centrale du côté vestibulaire se résorbera entièrement après l’extraction de la dent.

Parlons de la façon de gérer ces situations pour la mise en place de l’implant. Dr Yeo, vous avez dit, une fois, que vous aviez eu plusieurs surprises lorsque vous vouliez réaliser une implantation immédiate sur vos patients à Singapour. Quelles étaient les causes de ces surprises ?

Dr Yeo : Les protocoles standard et éprouvés pour l’extraction de la dent suivie d’une mise en place précoce de l’implant ne fonctionnaient pas, pour une raison ou pour une autre, dans environ vingt pour cent de mes cas maxillaires. En élevant le lambeau, je réalisais que la préparation du site de l’implant et la mise en place de ce dernier n’étaient pas possibles. Le volume de perte osseuse et de remodelage après l’extraction de la dent étant trop important, j’ai dû, à la place, procéder à une ROG en plusieurs étapes.

Ce qui est plus invasif et coûte plus de temps au patient...

Dr Yeo : Oui. Les patients sont plus sujets à une morbidité liée au traitement, le coût est plus élevé et la durée de traitement global plus longue.

« Environ 20 % de mes patients présentent une angulation dent-alvéole modérée à sévère. »

Dr Alvin Yeo

Comment gérez-vous ces cas dans le cadre de votre pratique quotidienne ?

Dr Yeo : Dans les cas complexes sur le plan esthétique et anatomique, nous faisons habituellement une CBCT pour évaluer le profil d’angulation dent-alvéole. Sur cette base, nous pouvons décider de réaliser une préservation de la crête après l’extraction de la dent. Ce faisant, nous avons réussi à mettre en place l’implant dans la plupart de ces cas avec une mise en place précoce « différée » après douze à seize semaines au lieu d'une ROG en deux temps.

Ainsi, vous ne réalisez pas une préservation de la crête pour éviter la ROG mais pour éviter une ROG en deux temps ?

Dr Yeo : Absolument. Une ROG ou une augmentation du contour simultanée pendant la mise en place de l’implant reste nécessaire.

Dr Araújo, comment voyez-vous cela d’un point de vue économique ? La préservation de la crête est-elle aussi « intéressante » dans ces cas ? Ou s’agitil plus d’un investissement du patient dans un traitement moins invasif ?

Dr Araújo : Dans l’exemple d’Alvin Yeo, la préservation de la crête aide à éviter une procédure de ROG en deux temps et rend, par conséquent, le traitement moins invasif. Ainsi, ce n’est peut-être pas un avantage économique évident, mais c’est sans aucun doute un moyen de réduire la morbidité liée à la chirurgie.

D’un point de vue économique, la préservation de la crête est intéressante dans les cas où elle contribue à éviter une autre procédure de ROG. Il est important de faire une CBCT de l’alvéole avant l’extraction pour vérifier qu’elle a une épaisseur d’au moins 9 mm de manière à disposer, même avec une perte de volume mineure après la préservation de la crête, de dimensions suffisantes pour la mise en place de l’implant. Il faut en outre vérifier si l’os vestibulaire est intact ou non, etc.

Dr Iwano, la préservation de la crête est-elle un traitement standard après une extraction dentaire au Japon ?

Dr Iwano : Pas encore. En 2018, nous avons interrogé 248 dentistes implantologues, dont 103 spécialistes de la Société d’implantologie orale japonaise. Dans ce questionnaire, nous demandions si les cliniciens effectuaient une préservation de la crête après l’extraction des dents avant la pose implantaire 32,3 % des participants avaient répondu « oui »⁷.

A B C D

Convergence de 2 plans = angle alpha Fig. 1 : Angulation | A Illustration d’une angulation dent-racine | B Angulation légère | C Angulation modérée | D Angulation sévère

Je fais partie de ceux qui ont répondu « oui » parce que je procède toujours à une préservation crestale et je pense que c’est utile. Cependant, ce n’est pas encore le traitement standard au Japon.

Pour quels patients préconisez-vous la préservation de la crête ? Et pourquoi ?

Dr Iwano : Elle est réalisée pour tous les patients qui présentent une table osseuse vestibulaire fine parce que ces patients perdront beaucoup d’os alvéolaire si nous ne faisons rien. Par conséquent, il leur faudra une augmentation osseuse très importante lors de la mise en place consécutive de l’implant. La préservation de la crête est une procédure chirurgicale simple et mini-invasive qui – si elle est réalisée en même temps que l’extraction de la dent – permettra de poser des implants sans avoir besoin d'importantes augmentations osseuses ultérieures.

La résorption osseuse après l’extraction de la dent pose également des problèmes pour les restaurations prothétiques avec bridge. En raison de l’allongement nécessaire du pontique, nous pourrions être confrontés à des problèmes esthétiques et de nettoyage. Il sera alors nécessaire de maintenir la résorption de la crête alvéolaire à un niveau le plus bas possible grâce à une procédure de préservation crestale. En bref : quel est le rôle des tissus mous ?

Dr Iwano : Chez les patients présentant des tissus durs fins, la présence de tissus mous épais est extrêmement importante pour préserver l’esthétique. L’augmentation des tissus mous est souvent nécessaire chez les personnes qui ont un tissu dur fin.

Références 1 Januario AL, et al. : Clin Oral Impl Res 2011; 10: 1168-71. (étude clinique)

2

3 Misawa M, et al. : Clin Oral Implants Res 2016; 27(7): 884-9. (étude clinique) Wang HM, et al. : Int J Oral Maxillofac Implants 2014; 29(5): 1123-29. (étude clinique)

4 Lee WZ, et al. : 2021 – en cours de préparation (étude clinique)

5

6

7 Chappuis V, et al. : J Dent Res. 2013; 92 (12 Suppl): 195S-201S. (étude clinique) Ezawa T. : J Jpn. Soc Periodontol. 1984; 26: 243-56. (étude clinique) Iwano Y et al. : The Clinical Question. Tokyo; Quintessence, 2018: 148-149. (chapitre d’ouvrage)

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