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« Pourquoi se baserait-on sur des facteurs de réussite identifiés avec des implants d'il y a 40 ans ? »
Zéro perte osseuse après implantation « Pourquoi se baserait-on sur des critères de réussite d'implants datant de 40 ans ? »
Professeur Tomas Linkevičius | Lituanie Institut d’odontologie, Faculté de médecine, Université de Vilnius
Propos recueillis par le Dr Marjan Gilani
Est-il normal d’avoir quelques millimètres de remodelage osseux autour des implants ? La pose de cet implant est-elle un succés ? Le professeur Tomas Linkevičius pense qu’avec les progrès de la science et des biomatériaux, il n’est pas trop ambitieux de s’attendre à l’absence de perte osseuse après la mise en place de l’implant¹.
Pr Linkevičius, la plupart des cliniciens pensent que le remodelage osseux autour des implants est inévitable. N'êtes-vous pas d'accord ?
Prof. Linkevičius : Oui. Pendant de nombreuses années, on nous a appris que la perte osseuse est inévitable. L’une des références les plus citées en dentisterie implantaire est celle d’Albrektsson et coll. selon laquelle quelques millimètres de perte osseuse autour d’un implant est une réaction physiologique prévisible qui ne compromet pas la réussite de l’implant². Avant, cela était acceptable. En revanche, aujourd’hui, avec tous les nouveaux biomatériaux ainsi que toutes les nouvelles technologies et connaissances, pourquoi se baserait-on sur les facteurs de réussite d'implants posés il y a 40 ans ? Attendrions-nous la même chose du traitement contre le cancer, l’AVC ou les infarctus ? Vous préconisez une approche « zéro perte osseuse » ?
Oui. Dans certaines indications, nous pouvons encore perdre un peu d'os, mais pour la plupart des implants, nous pouvons obtenir zéro perte osseuse après la mise en place de l’implant. Nous devrions placer la barre plus haute concernant nos attentes et faire évoluer nos mentalités. Et c’est ce que j’enseigne dans le cadre de mon cours en ligne. Croire que le remodelage osseux s'arrête au bout d’un an facilite notre travail, mais nous ne pouvons pas dire, de manière certaine, qu’il s’arrêtera réellement. De plus, un certain degré de remodelage osseux rend ces implants plus sujets à l’inflammation des tissus mous, à la péri-implantite et à d’autres complications. Faut-il se tourner vers des considérations préventives ? Quel rôle joue l'aménagement des tissus mous ?
C’est un changement de paradigme important. Pendant de nombreuses années, l’os était notre principale préoccupation. Aujourd’hui, les patients ont des exigences esthétiques plus importantes. Les progrès de la dentisterie esthétique ont attiré l'attention sur la gestion des tissus mous. Et, en effet, les tissus mous sont tout aussi importants que l’os pour la réussite implantaire, pour l’esthétique, certes, mais aussi pour la fonction.
Pouvez-vous donner un exemple ?
Prenons l'exemple de la mise en place d’un implant dans la région postérieure. La résorption de l'os vestibulaire dans cette région n’est pas une menace pour la stabilité de l’implant. Par contre, elle crée un défaut du contour des tissus mous pouvant créer un site favorable à l'accumulation de nourriture qui doit être nettoyé après chaque repas. On pourrait dire que ce n’est pas un gros problème, mais pourquoi les patients devraient-ils vivre avec cet inconvénient
Pilier de cicatrisation
2 mm
Implant au niveau osseux Mise en place classique de l’implant : jusqu’à 1,5 mm d’os marginal remodelé
3–4 mm
Pas de perte osseuse après la gestion des tissus mous
Fig. 1 : Mise en place classique de l’implant par rapport au concept « zéro perte osseuse » par T. Linkevičius – protection des tissus mous contre le remodelage (lyse) osseux périimplantaire.
alors qu'avec une gestion adaptée des tissus mous, nous pouvons rendre ce site plus facile à nettoyer et plus proche des dents naturelles ? Les patients ne se plaignent pas souvent. Ils pensent que c’est une situation normale avec laquelle ils doivent vivre. C’est notre travail de les informer des risques et de placer la gestion des tissus mous au cœur de nos préoccupations.
Comment aidez-vous les patients à prendre leur décision ?
Je leur montre des images de la crête, des implants stables et des défauts de contour des tissus mous. Et je leur dis : « Si nous ne plaçons pas un substitut de tissu mou dans cette zone, il y aura une accumulation d’aliments et vous penserez à moi après chaque repas (sourire). » De plus, des bactéries peuvent s’accumuler dans ce site et engendrer des complications. Je leur montre également des cas cliniques où les tissus mous ont été épaissis avec Geistlich Fibro-Gide® pour que le patient puisse voir la différence : un implant qui fonctionne simplement d’un côté et, de l’autre, un implant qui ressemble et donne la même sensation qu'une dent naturelle.
L’épaisseur horizontale des tissus est souvent jugée moins importante dans le contexte de l’os crestal et de la stabilité de l’implant. Mais elle est tout aussi importante, non seulement dans la région antérieure pour l’esthétique, mais également dans la région postérieure, pour l’hygiène et le confort.
Quels autres facteurs biologiques prenez-vous en compte ?
L’autre facteur biologique que nous, cliniciens, avons oublié pendant tant d’années est l’épaisseur verticale des tissus mous. Je me demande encore pourquoi l’article de Berglundh et Lindhe publié en 1996³ n’a pas plus attiré l’attention sur ce sujet. Nous avons de nouveau évalué l’impact de l’épaisseur verticale des tissus mous sur la perte d’os marginal et avons montré qu’une épaisseur verticale de 3-4 mm de tissus mous est nécessaire pour des résultats optimaux. Elle protège l’os après la mise en place de l’implant et crée un profil d’émergence esthétique (Fig. 1)⁴. Enfin, le dernier facteur important à prendre en compte est le volume du tissu kératinisé. Nous savons tous qu’une gencive immobile et l’attache tissulaire sont essentielles pour la réussite implantaire.
À quelle fréquence réalisez-vous des augmentations verticales des tissus mous ?
Chaque implant posé en différé est sujet à une augmentation horizontale et verticale des tissus mous. Cela fait partie de mon protocole. Dans certains cas, nous pouvons peut-être éviter l’épaississement vertical des tissus mous, si nous disposons de beaucoup d’os pour y placer l’implant plus profondément, selon le modèle d’implant. Pour l’augmentation horizontale des tissus mous, en revanche, il n’y a pas d’alternative. Il faut réaliser une greffe dans cette région, que ce soit avec des tissus mous autologues ou un produit prêt à l’emploi.
Et lequel préférez-vous ?
La gestion des tissus mous est un élément central de mon protocole ; en général, je n’utilise pas de greffons de tissu conjonctif du palais afin d'éviter une intervention chirurgicale supplémentaire pour le prélèvement du greffon. Les patients détestent ça ! Lorsque j’essaie d’expliquer la procédure du prélèvement de tissu conjonctif palatin, j’ai des patients qui veulent l'éviter à tout prix ou préfèrent laisser l’implant tel quel. Depuis trois ans, j’utilise Geistlich FibroGide® pour l’épaississement horizontal et vertical. L’un des avantages des biomatériaux de substitution est leur disponibilité illimitée. Par exemple, quand j’utilise Geistlich Fibro-Gide®, je peux le découper en deux et m’en servir pour l’épaississement horizontal et vertical, sans toucher au palais. Pour augmenter le tissu kératinisé, je peux utiliser du tissu conjonctif et des biomatériaux de substitution. Mais le plus important pour moi
est de créer du tissu attaché et immobile autour de l’implant. Cela stoppe l’invasion bactérienne et augmente la longévité de l’implant.
Les patients acceptent-ils le coût supplémentaire lié à l’utilisation des biomatériaux ?
Devrions-nous revenir aux bridges parce qu’ils sont moins chers que les implants ? Bien sûr, nous devons expliquer toutes les options aux patients pour qu’ils puissent prendre leurs propres décisionsen connaissance de cause. Mais nous devons les aider à comprendre que, même si le coût est plus élevé, les biomatériaux de substitution peuvent changer les résultats de leur traitement implantaire. Quels sont les arguments en faveur des biomatériaux ?
Par rapport aux greffons de tissu conjonctif, il y a moins de complications avec les biomatériaux de substitution. En général, toutes les étapes supplémentaires sont supprimés comme par exemple : les procédures de prélèvement et la désépithélialisation qui peuvent peuvent augmenter la durée de la chirurgie et accroître les complications... mais aussi la perte osseuse peut être plus importante pendant la cicatrisation des tissus mous. Bien sûr, cela peut dépendre de l’expérience du chirurgien. La prédictibilité peut être compromise si le chirurgien est moins expérimenté. Tout d’abord, je pense que le clinicien doit être convaincu des avantages d’un protocole thérapeutique. Ensuite, les patients suivront naturellement.
Références 1 Linkevičius T : Quintessence Publishing Co Inc.,
ISBN : 978-0-86715-799-4; 9780867157994 (livre)
2 Albrektsson T, et al. : Int J Oral Maxillofac Implants. 1986;1(1):11-25. (étude)
3
4 Berglundh T, Lindhe J : J Clin Periodontol 1996;23(10):971-3. (étude clinique) Linkevičius T, et al. : Clin Implant Dent Relat Res 2015;17(6):1228-36. (étude clinique)
Photo : Prof. Tomas Linkevičius Prof. Tomas Linkevičius pendant le cours en ligne sur le concept Zéro Perte Osseuse (Zero Bone Loss), https://education.tomaslinkevicius.com